Mercredi 25 juin 2014

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

Point sur les activités de la délégation

M. Serge Larcher, président. - Mes chers collègues,

Avant les auditions successives de Mme Geneviève Fioraso et de Mme George Pau-Langevin, je souhaitais que nous puissions disposer de quelques instants pour faire un point sur nos travaux.

Nos derniers rendez-vous avant l'été se tiendront les 8 et 9 juillet prochains :

- le 8 juillet se déroulera dans les Salons de Boffrand une nouvelle rencontre de notre série Histoires/Mémoires croisées. Il s'agira cette fois d'évoquer le rôle des colonies dans les deux conflits mondiaux du 20e siècle et le changement de regard que cela a induit pour les outre-mer ;

- le 9 juillet, nos collègues Éric Doligé et Michel Vergoz nous présenteront leur rapport sur les niveaux de vie dans les outre-mer. Ce sera le dernier rapport d'information de la délégation sur un sujet d'étude avant le renouvellement sénatorial.

Je ne doute pas que leur rapport propose une synthèse inédite comme celle de nos collègues Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava sur les enjeux des ZEE ultramarines !

Je tiens d'ailleurs à remercier Joël Guerriau d'avoir accepté d'exposer le rapport d'information sur les ZEE ultramarines et les recommandations de notre délégation devant la délégation à l'outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Je me félicite enfin du débat qui a pu se dérouler en séance publique sur ce thème le 18 juin dernier. Je ne suis cependant pas certain que notre appel à la concrétisation d'une stratégie maritime intégrée comme investissement d'avenir ait été entendue ! Il faudra y revenir et exercer régulièrement notre contrôle sur ce sujet d'importance car les Comité interministériel de la mer se cantonnent trop souvent aux seuls discours incantatoires et répétitifs !

Les ZEE me font penser à la pêche et la pêche aux conflits d'intérêts qui peuvent survenir entre le développement des collectivités ultramarines et la mise en oeuvre de certaines politiques sectorielles ou de solidarité internationale.

Je veux ici remercier chaleureusement les collègues de différents groupes qui, à mon appel, ont accepté de cosigner plusieurs amendements sur le projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale : ces amendements exigent davantage de cohérence de cette politique de solidarité avec la place des outre-mer dans leur environnement régional. J'ai le plaisir de vous indiquer que les deux amendements adoptés à notre initiative figureront dans la loi, le texte ayant été voté définitivement lundi dernier par le Sénat.

Dernier point avant de vous laisser la parole si certains d'entre vous souhaitent intervenir avant l'audition du ministre : je vous signale la mise en distribution, aujourd'hui même, des actes du colloque organisé au Sénat par la délégation le 10 avril dernier sur la question de « l'autonomie locale ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre la ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

La situation et la réforme universitaire aux Antilles et en Guyane - Audition de Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche

M. Serge Larcher, président. - Madame la Ministre, Madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues,

Madame la Ministre, je tiens en premier lieu à vous remercier de venir à la rencontre de notre délégation à l'Outre-mer sur la question de la situation et de l'avenir universitaire aux Antilles et en Guyane.

Comme vous le savez, un groupe de travail réunissant des membres de cette délégation et des membres de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a rendu ses conclusions à la mi-avril. Sont ici présents son président, M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, et ses rapporteurs, Mme Dominique Gillot, sénatrice du Val d'Oise et rapporteur de la Commission de la culture pour les questions relatives à l'enseignement supérieur, et M. Michel Magras, sénateur de Saint-Barthélemy.

Depuis la dernière rentrée universitaire et la sécession de la Guyane actée, sans la moindre concertation avec les Antilles, par le protocole d'accord du 11 novembre 2013, la situation universitaire est en proie à une profonde confusion et son avenir reste encore fort peu lisible à moins d'un mois de l'échéance du 22 juillet 2014, date butoir pour la publication de l'ordonnance.

Depuis le début de l'année, le débat se déroule largement en marge de son théâtre naturel qui est l'université : à défaut pour les autorités étatiques d'avoir apporté le soutien et les garanties pour l'organisation des consultations nécessaires sur l'avenir universitaire aux Antilles, seuls ceux qui parlent fort se sont fait entendre, essentiellement par voie de presse. Ce phénomène crée un prisme déformant et laisse la voie libre à toutes sortes d'initiatives, avec tous les risques de brusque dérive qu'elles impliquent, comme cela s'est produit pour la Guyane.

Concernant les Antilles, notre groupe de travail a conclu à la nécessité du maintien d'une université unique constituée de deux pôles à autonomie renforcée. Ce schéma semble à ce jour encore recueillir le plus de suffrages mais les ferments centrifuges sont à l'oeuvre et l'inquiétude s'intensifie, notamment au sein de la communauté universitaire, en particulier chez les étudiants et leurs familles, au gré des prises de position et des règlements de comptes qui s'étalent quotidiennement dans la presse.

Il convient désormais de fixer un cap avant que la situation ne dégénère et ne conduise à un éclatement dispendieux et instituant un dispositif universitaire au rabais. Il ne faut pas réveiller les vieux démons qui ont opposé Guadeloupéens et Martiniquais ! À cet effet, les projets de textes doivent, de notre point de vue, fixer un cadre : nous ne devons pas répéter l'erreur de 2008 qui a consisté à trop renvoyer aux statuts. Les grandes orientations de la nouvelle organisation doivent être arbitrées en amont, dans l'ordonnance et le décret, notamment l'affirmation du principe et la définition des contours d'une autonomie renforcée des pôles guadeloupéen et martiniquais au sein de l'université des Antilles. Or, le projet de décret créant l'université des Antilles, transmis il y a quelques jours à la présidence de l'université et aux autorités régionales et dont nous avons eu connaissance, se borne à statuer sur la dénomination et à prévoir un droit d'option pour les agents. Le projet d'ordonnance ne comporte pas de garantie suffisante quant à l'autonomie des pôles et les dernières rumeurs évoquaient la mise en place d'un « statut provisoire ». Qu'en est-il ?

Les atermoiements et le silence assourdissant de l'État dans la gestion de ce dossier ont été suffisamment dommageables.

Madame la Ministre, alors que localement les tensions se font plus vives et les familles plus inquiètes à l'heure des examens et des inscriptions, je souhaite que l'audition de ce jour, dont le compte rendu sera rendu public, contribue à clarifier les perspectives.

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. - Monsieur le président, Madame la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Madame et Monsieur les rapporteurs, Monsieur le président du groupe de travail ayant produit le rapport sur l'avenir du système universitaire aux Antilles et en Guyane,

Je souhaite rappeler le contexte dans lequel le Gouvernement a été amené à créer une université de Guyane : l'ensemble des acteurs sur le terrain demandaient cette création à la suite de nombreuses années de dysfonctionnements. La décision a été prise après un arbitrage du Premier ministre : il s'agit donc d'une décision gouvernementale.

Cette décision de création de l'université de Guyane a eu pour conséquence immédiate la création d'un établissement universitaire aux Antilles. L'évolution institutionnelle est donc en cours dans ce cadre. Elle se fait sur la base de discussions avec les acteurs des collectivités territoriales et de l'université et de la recherche, même s'il n'y a pas toujours convergence des volontés exprimées. Le ministère comme l'encadrement universitaire a toujours eu à coeur de maintenir le dialogue avec l'ensemble des trois pôles concernés.

L'évolution en cours est l'occasion d'adapter l'université des Antilles aux spécificités et aux besoins qui se sont exprimés. À cet effet, le Gouvernement a soumis à la concertation un ensemble de textes traçant les contours des nouveaux établissements et précisant leurs modalités d'organisation. Le schéma retenu s'appuie sur trois dispositifs juridiques.

Le premier est un décret portant création de l'université de Guyane, précisant ses modalités d'organisation selon un statut expérimental largement dérogatoire du droit commun. Ce statut s'appliquera jusqu'à la rentrée 2015, date à laquelle cette université de Guyane rentrera dans le droit commun.

Le deuxième décret porte création de l'université des Antilles.

Enfin, le troisième dispositif est une ordonnance précisant les modalités d'organisation de l'université des Antilles. Elle prévoit une large autonomie de ses deux pôles, ainsi que la parité de représentation de la Guadeloupe et de la Martinique.

Dans la phase de concertation en cours, qui est une étape particulièrement délicate, le ministère souhaite avoir un dialogue aussi étroit que possible avec les élus. Les contacts et les échanges sont nombreux avec moi-même, les membres de mon cabinet et les services du ministère. Nous devons prendre en compte les observations formulées par l'ensemble des parties - nous avons déjà eu communication d'observations du conseil régional de la Guadeloupe - et nous souhaitons nous attacher à faire en sorte que les textes instituant l'université fassent l'objet d'un véritable consensus. Nous partageons une ambition commune au service de l'intérêt général, des Antilles et de la préparation de leur avenir dont l'université constitue une pièce maîtresse. L'enjeu essentiel réside bien dans la formation et la qualification des jeunes sur vos territoires, aujourd'hui trop nombreux à être sous-qualifiés et à la recherche d'un emploi. Nous gardons donc présent à l'esprit l'intérêt prioritaire de la jeunesse. Un autre enjeu majeur concerne la recherche. En effet, un certain nombre de recherches ne peuvent être menées que sur ces territoires, qui disposent d'écosystèmes et d'une biodiversité particulièrement riches et ce sont des lieux privilégiés pour conduire les recherches relatives à l'adaptation au changement climatique et aux énergies alternatives.

Je répondrai d'abord à vos interrogations relatives aux projets de l'ordonnance et aux deux décrets de création des universités des Antilles et de la Guyane.

Les textes relatifs à la création d'une université des Antilles se composent d'un décret et d'une ordonnance. Le projet de décret est très bref et se limite à créer une université des Antilles. Le projet d'ordonnance en revanche prévoit les modalités d'organisation de l'université en deux pôles dotés d'une véritable autonomie. Chacun de ses pôles est doté d'un conseil de pôle qui détermine ses statuts et dispose d'un budget propre qui lui est alloué par le conseil d'administration de l'université.

Ces modalités d'organisation se caractérisent également par la parité de la représentation des pôles dans les instances communes de l'université. Chaque pôle régional envoie le même nombre de représentants au conseil d'administration.

Enfin, le président élu ne pourra ainsi effectuer plus d'un mandat. Cette limitation tend à favoriser l'alternance ; il semble en effet difficile d'aller plus loin et de prévoir une présidence alternée entre les deux pôles, car cela reviendrait à priver les membres d'une partie de l'université d'être élus.

Votre deuxième question concerne la prise en compte du rapport sénatorial qui tire les leçons du passé et préconise de ne pas renvoyer aux statuts de l'université la question de son organisation, mais d'en garantir les caractéristiques fondamentales dans l'ordonnance.

Ce rapport a retenu toute notre attention, notamment concernant les modalités d'organisation et d'installation des nouvelles entités universitaires.

Le projet de décret, qui est succinct, a été soumis aux collectivités locales le 12 juin 2014. Les dispositions relatives à l'organisation de l'université des Antilles relèvent de l'ordonnance dont un projet a été communiqué aux collectivités le 23 juin 2014. Comme indiqué précédemment, ce projet d'ordonnance prévoit l'organisation de l'université en deux pôles dotés d'une large autonomie, la parité de la représentation des pôles et des dispositions visant à favoriser l'alternance de la présidence. Il s'inscrit donc pleinement dans la logique préconisée par le rapport sénatorial dont les nombreuses autres préconisations seront une source d'inspiration ultérieure car il faut aujourd'hui parer à l'urgence et installer une gouvernance durable.

Trop longtemps se sont produits des dysfonctionnements graves et déstabilisants, notamment dans la gestion des projets européens. Le Gouvernement a pris ses responsabilités ; à aucun moment il ne s'est défaussé de ses responsabilités, sans pour autant se substituer aux acteurs compétents.

Le troisième point concerne la mise en consultation et la publication de ces textes.

Concernant les décrets, la consultation a été organisée de la façon suivante : transmission aux collectivités le 12 juin, et à l'université le 9 mai. Le comité technique de l'université les examinera le 26 juin puis le CNESER sera consulté le 30 juin. Les décrets pourront être signés après l'ensemble de ces consultations.

Concernant l'ordonnance, le texte a été transmis aux collectivités le 23 juin. L'université n'a pas à délibérer sur ce texte mais il lui a été transmis pour information, en vue d'éclairer les débats de son comité technique. C'est bien au sein de l'université et sous sa responsabilité que doivent se dessiner le devenir et le contenu détaillé de l'organisation des deux pôles.

Le projet d'ordonnance doit donner lieu à un avis du Conseil d'État. Il doit être signé au plus tard le 23 juillet, date de la fin de l'habilitation législative donnée par l'article 128 de la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche (ESR).

En ce qui concerne l'organisation de l'université des Antilles, la notion d'autonomie pédagogique et budgétaire des deux pôles, Martinique et Guadeloupe, a bien été entérinée. Il reviendra à l'université de s'organiser sur les modalités pratiques de fonctionnement. Cette organisation devra se faire dans une logique de dialogue avec le ministère, les acteurs universitaires et de recherche et les collectivités territoriales. Dans la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, nous faisions d'ailleurs référence aux schémas régionaux de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Quant à la rumeur de la mise en place d'un dispositif transitoire auprès de l'université des Antilles, la loi ESR prévoit la possibilité de doter des universités de modalités dérogatoires d'organisation en les plaçant sous statut expérimental. Il aurait été possible de se placer dans cette perspective pour organiser l'université des Antilles. Cette question a été évoquée, notamment dans une résolution récente du conseil régional de Guadeloupe. Pour autant, le Gouvernement, habilité à prendre des dispositions sur l'université par ordonnance jusqu'au 23 juillet 2014, a préféré cette modalité qui garantit une plus grande rapidité d'action face à l'urgence de la situation.

Par ailleurs, avec la préoccupation de ne pas générer de déstabilisation supplémentaire, le projet d'ordonnance prévoit que la gouvernance actuelle de l'université reste en place jusqu'au terme de son mandat, fixé à la fin de l'année 2016. Il s'agit donc de procéder par étapes dans ce domaine.

Vous avez également posé des questions sur la répartition des moyens humains et financiers entre les Antilles et la Guyane. Le ministère veille à faciliter la transition dans le cadre de la création de l'université de Guyane. Des engagements pluriannuels pouvant aller jusqu'à la création de 60 postes pour accompagner la mise en place de cette université ont été pris. 9 postes ont d'ores et déjà été créés. Par ailleurs, une mission de l'IGAENR est sur place afin d'accompagner l'installation de cette nouvelle université, notamment sur le plan des ressources humaines et de l'accompagnement financier. En effet, au cours de ces dernières années, nous avons constaté que l'ingénierie financière devait être renforcée dans ces établissements.

Concernant l'exercice du droit d'option des personnels qui ne souhaiteraient pas se maintenir à l'université de Guyane, l'engagement a été pris par le ministère d'abonder les moyens de l'université des Antilles en emplois et en masse salariale pour accompagner cette opération. Selon les premières informations dont dispose la mission IGAENR susvisée, une dizaine de postes seraient nécessaires.

La répartition des moyens humains et financiers entre le pôle Guadeloupe et le pôle Martinique renvoie à la question de l'organisation de l'université en pôles autonomes. Le budget de chacun de ces pôles et la répartition des moyens seront votés par le conseil d'administration de l'université. Le ministère veillera à ce que cette répartition soit équitable et qu'elle corresponde aux projets développés. En effet, il ne s'agit pas seulement de principes d'organisation mais d'argent public qui sert des missions d'intérêt général.

En ce qui concerne les modalités de coopération entre l'université des Antilles et l'université de Guyane, l'une de vos questions portait sur la continuité des services communs qui fonctionnaient bien jusqu'à présent comme la bibliothèque, l'école doctorale ou les études médicales. Il n'est, bien entendu, pas question de remettre en cause le fonctionnement de ces services. Des conventions entre l'université de Guyane et l'université des Antilles seront passées pour permettre la continuité de l'utilisation commune de ces services.

Enfin, votre dernière question concernait le bilan des suites disciplinaires, administratives et judiciaires de l'affaire du CEREGMIA.

Sur le plan administratif, les deux principaux responsables du CEREGMIA ont été suspendus par une décision de la présidente, à la suite des conclusions de l'enquête administrative conduite par les services de l'IGAENR. Cette mesure a été prise à titre conservatoire et ne constitue pas en elle-même une sanction.

Les instances disciplinaires ont également été saisies. Dans la mesure où le conseil de discipline de l'université ne peut juger de cette affaire, elle doit être délocalisée. Il revient au CNESER de proposer le conseil de discipline auprès duquel l'affaire sera dépaysée.

Enfin, sur le plan judiciaire, le Procureur général a été saisi en janvier 2013 à la suite du rapport de la Cour des comptes. Des auditions ont été effectuées dans le cadre de cette procédure, qui suit son cours et sur laquelle le ministre et moi-même ne pouvons nous prononcer eu égard à la séparation des pouvoirs.

L'ensemble de ces questions s'inscrit dans un contexte où l'intérêt général doit être privilégié et où il faut éviter les pressions liées aux échéances électorales ou aux suites des dysfonctionnements passés. Le temps de l'université est un temps long, qui ne doit pas être tributaire de la conjoncture.

M. Serge Larcher, président. - Malheureusement, l'affaire du CEREGMIA nuit au débat serein sur l'université et tend à masquer les enjeux essentiels.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Madame la Ministre a répondu à l'ensemble de nos questions, notamment la question de la répartition des moyens.

Le traitement du volet disciplinaire de l'affaire CEREGMIA appelle un dépaysement. Compte tenu du climat délétère local qui pourrait menacer le bon fonctionnement de la justice, en quoi pourrait consister le dépaysement judiciaire ?

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. - Il revient au Procureur général de décider et je ne puis me prononcer. Je suis cependant relativement confiante car le Procureur général connaît le contexte de cette affaire. Il aura à coeur de faire en sorte que le dépaysement se fasse auprès d'un tribunal qui le connaît également.

Chacun est conscient que cette affaire a pollué les discussions en cours. Si elle est suffisamment grave pour que nous ayons pris les sanctions administratives qui s'imposaient et que des poursuites judiciaires s'exercent, elle ne doit pas obérer l'évolution de l'organisation universitaire dont les enjeux sont forts pour le développement des territoires.

La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche vise à ce que les pôles universitaires des territoires s'organisent, en lien avec les organismes de recherche nationaux, les écoles et les IUT, pour se doter de véritables stratégies. Cet objectif vaut a fortiori pour des territoires aux riches potentiels à valoriser où la jeunesse dispose aujourd'hui de possibilités restreintes de formation et d'emploi.

Seuls 5 % des jeunes de Guyane poursuivent des études supérieures : or, cette université dispose de locaux en bon état et offre des laboratoires diversifiés, davantage que certaines universités de l'Hexagone.

Malgré un contexte complexe, l'intérêt général doit primer et les territoires des Antilles et de la Guyane ont à cet égard un devoir de vigilance supérieur du fait de la situation actuelle de leur jeunesse.

Mme Dominique Gillot. - Madame la Ministre, j'ai été très heureuse de vous entendre vous exprimer sur un sujet qui nous a beaucoup mobilisés et continue de nous mobiliser. Comme chacun, j'ai eu connaissance des dysfonctionnements de l'université des Antilles et de la Guyane lors des mouvements sociaux qui se sont déroulés en Guyane à l'automne. Notre mission a eu à coeur de comprendre comment des dysfonctionnements aussi graves avaient pu perdurer aussi longtemps dans un département français. Je partage votre approche faisant primer l'intérêt général sur les pressions conjoncturelles tenant aux luttes d'influence.

Il n'existe pas un droit applicable à la métropole et un autre aux outre-mer. La jeunesse des outre-mer dispose des mêmes droits que la jeunesse métropolitaine. De plus, ces territoires présentent de véritables atouts qui doivent être valorisés pour leur plus grand bénéfice mais aussi au bénéfice de l'ensemble de la Nation.

Cependant, nous souhaiterions comprendre la position du ministère sur l'affaire CEREGMIA, qui empoisonne la vie de l'université des Antilles-Guyane depuis plus de dix ans. Le premier rapport de la Cour des comptes sur la gestion des années 1999-2003 avait déjà révélé des dysfonctionnements ; comment se fait-il que les services préfectoraux et rectoraux n'aient pas, dès alors, exercé leurs responsabilités de contrôle de l'activité de ce laboratoire ? Cela aurait permis d'éviter l'escalade dans les dysfonctionnements et de préserver la démocratie universitaire.

Par ailleurs, avez-vous échangé avec la ministre de la Justice sur les événements graves contenus dans le rapport d'enquête administrative ? Une plainte a-t-elle été déposée au nom du ministère ? C'est important pour que l'enquête aille à son terme.

Notre rapport plaide certes pour un schéma universitaire adossé aux projets de développement des territoires. Pour autant, l'autonomie des universités doit être respectée afin d'assurer un fonctionnement apaisé. Or, nous constatons que les différentes autorités régionales sont très présentes dans le débat actuel. Ne sommes-nous pas en face d'un risque de confusion : qui a la responsabilité de définir la nouvelle organisation de l'université ?

Enfin, la présidence de l'UAG nous a fait savoir que 16 personnes souhaitaient exercer leur droit d'option. Selon vos propos, elles seraient au nombre de 10. J'imagine que le droit d'option est garanti pour l'ensemble.

L'université de Guyane étant assez mal dotée en postes de professeurs d'université, il est important de lui garantir l'attribution de postes afin d'asseoir l'architecture de cette nouvelle entité. Le ministère prévoit-il de développer une stratégie pour attirer des professeurs ? Il faut aussi veiller à une répartition équitable des moyens entre les deux pôles antillais.

M. Jacques Gillot. - Madame la Ministre, le projet d'ordonnance que vous avez évoqué semble avoir été rédigé dans une perspective de reconfiguration du périmètre de l'UAG et non de création d'une nouvelle université à l'instar de ce qui est prévu pour la Guyane. Le mode d'organisation proposé est dans le prolongement de ce qui existe déjà et ne constitue donc pas une innovation.

Nous souhaitons disposer d'une vision claire de l'autonomie administrative et financière et de connaître la répartition des moyens entre les pôles. Enfin, en ce qui concerne l'alternance de la présidence, ne pourrions-nous pas inscrire dans l'ordonnance ce principe qui correspond à une demande forte des deux pôles ?

M. Michel Magras. - Madame la Ministre, permettez-moi de vous remercier pour les mots agréables que vous avez eus à l'égard de notre travail.

Nous sentons que le malaise perdure dans les communautés de Guadeloupe et de Martinique car celles-ci attendent des propositions concrètes et précises pour un climat apaisé.

Dans notre rapport, nous proposons que la présidence soit choisie à partir de la candidature de trois personnes pour garantir une entente harmonieuse au sein de l'équipe dirigeante. Souhaitez-vous retenir cette option dans l'ordonnance ?

L'ordonnance donnera-t-elle aux deux pôles, guadeloupéen et martiniquais, la possibilité d'aller jusqu'à la définition de leur propre carte de formation de premier cycle ?

Le Gouvernement prévoit-il d'attribuer des moyens de fonctionnement général, hors postes d'enseignants ? Jusqu'où ira l'ordonnance dans la description de la répartition des moyens entre la Guadeloupe et la Martinique ?

Concernant les services communs, l'école doctorale ou les études de médecine, faut-il laisser aux deux universités le soin de s'organiser ou cela relève-t-il des textes ?

Enfin, jusqu'où l'ordonnance peut-elle aller pour garantir l'alternance ? Rappelons-nous que l'ordonnance organisait quantité de possibilités qui n'ont pas été exploitées !

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État. - Merci pour vos questions et le mode constructif sur lequel elles ont été posées.

Le rapport de la Cour des comptes datant de 2007 ne faisait état d'aucun dysfonctionnement lié à l'affaire CEREGMIA. En effet, les premiers détournements ont eu lieu à partir de 2010, selon le rapport de la Cour des comptes de janvier 2013. À ce moment-là, nous avons immédiatement mandaté une mission d'inspection générale et nous avons demandé à la présidente de l'université de prendre les mesures disciplinaires qui s'imposaient. Les responsables présumés ont été suspendus.

La Cour des comptes, dès la publication de son rapport, avait déjà alerté le procureur. En l'absence de faits nouveaux signalés par la mission d'inspection générale qui n'avait fait que confirmer les constats révélés par la Cour des comptes, il n'a pas été jugé utile par le ministère de déposer une nouvelle plainte. La démarche judiciaire est en cours. Nous avons déclaré que nous suivions avec la plus grande attention les suites judiciaires de cette affaire.

En ce qui concerne l'autonomie et la mise en oeuvre du droit d'option, qu'il s'agisse des 10 personnes identifiées à ce jour ou des 16 identifiées par la présidente de l'université des Antilles, nous compenserons l'ensemble des postes.

En Guyane, nous manquons de candidats pour les postes d'enseignants-chercheurs. Il nous paraît donc souhaitable d'organiser la promotion de cette université, de mener une campagne d'information dans les universités qui travaillent d'ores et déjà de manière étroite avec elle, notamment Bordeaux et Toulouse. Nous avons engagé une information dans ces pôles afin de susciter des candidatures.

Tous les enseignants-chercheurs avec qui j'ai eu l'occasion d'échanger m'ont dit à quel point ils avaient été séduits par la Guyane. En effet, la diversité de la recherche et l'esprit pionnier qui y règne sont très stimulants. Il est en outre préférable d'avoir des enseignants issus des universités menant des coopérations avec la Guyane à l'heure actuelle car, grâce à une connaissance mutuelle, un meilleur accueil leur sera naturellement réservé. Il faut installer un cercle vertueux pour créer un vivier d'enseignants-chercheurs.

Les schémas régionaux d'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation doivent s'inscrire dans un cadre national et républicain. Les laboratoires de recherche que j'ai visités offrent des possibilités attractives, qui n'existent pas ailleurs. Bien entendu, des difficultés existent dans ces territoires mais nous devons également promouvoir leur richesse, leurs potentiels considérables.

Sur la question de l'équité dans la répartition des moyens entre les deux pôles antillais, l'autonomie des universités et le code de l'éducation prévoient que le budget de l'université soit voté par l'université elle-même. Chaque pôle détermine en revanche ses statuts et son budget propre.

Nous serons cependant extrêmement attentifs à ce que les moyens dévolus aux pôles Guadeloupe et Martinique soient des moyens qui correspondent aux projets portés. Les pôles devront réfléchir ensemble à la stratégie à mettre en place. Pour éviter tout risque de blocage, nous devons acquérir la culture de la prévention et ne pas hésiter à faire appel aux services du ministère pour organiser la médiation le plus tôt possible. En effet, le temps de la remédiation se fait au détriment de l'avancement des projets. Il faut donc être capable d'anticiper les difficultés éventuelles.

Toujours quant aux moyens, les 60 postes prévus pour la Guyane seront attribués au regard des besoins et des projets.

Par ailleurs, il est difficile de préjuger du vote d'un conseil d'administration et de prévoir qu'une alternance sera effective. En revanche, en limitant le mandat de président à un seul et en faisant en sorte que les représentations soient paritaires dans les instances décisionnelles, nous créons les conditions de l'alternance sans pouvoir l'imposer. L'ordonnance va aussi loin que possible.

L'ensemble de vos demandes a été pris en compte, même si tout ne pourra être contenu dans l'ordonnance. Nous ne pouvons pas d'ores et déjà imaginer un échec de ce dispositif ; il faut aller au bout de notre démarche.

M. Serge Larcher, président. - Lorsque nous nous sommes inquiétés des problèmes de fonctionnement de l'université de Guyane, nous avons pensé au Sénat que nous devrions prendre l'initiative de faire des propositions afin de sauvegarder l'université des Antilles. Sur l'affaire du CEREGMIA, il faut que la justice passe. Ce qui nous importe maintenant est de préserver l'avenir universitaire dans l'unité des Antilles. Nous souhaitons avant tout que l'outil de la qualification des jeunes soit développé.

Merci Madame la Ministre.

Audition de Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer

M. Serge Larcher, président. - Madame la Ministre,

Nous étions ensemble la semaine dernière pour un débat en séance publique sur les enjeux des zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines. Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau aujourd'hui.

Vous revenez de Mayotte et de La Réunion où vous avez fait des annonces en direction des entreprises et des ménages. Le pacte de responsabilité et de solidarité connaîtra une déclinaison outre-mer : pouvez-vous, Madame la Ministre, nous en présenter le dispositif, le calendrier et l'impact attendu sur la situation du tissu économique et sur celle de l'emploi ?

Outre cette question, nous souhaiterions également vous entendre sur les nombreux dossiers européens en cours, au premier rang desquels celui du renouvellement du régime de l'octroi de mer qui vient à expiration en fin d'année. Il nous importe enfin de connaître l'état d'avancement des nombreux autres dossiers tels que le renouvellement des autorisations liées aux aides d'État : qu'en est-il de l'avenir des dispositifs de défiscalisation, de soutien à la construction de logements sociaux ou à l'investissement productif ? Quid de la mise en place du nouveau crédit d'impôt comme dispositif alternatif ? Comment se déroule la mise en place du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) ? Quelles sont les conclusions de l'enquête commandée par votre prédécesseur afin de sauver la filière canne en anticipant sur la disparition des quotas sucriers à l'horizon 2017 ?

Par ailleurs, concernant l'ordre du jour législatif, deux textes viennent prochainement en discussion dont l'objet touche directement les outre-mer : je pense aux projets de loi sur la transition énergétique et sur la biodiversité. Ces textes soulèvent des interrogations et, parfois, des inquiétudes sur la prise en compte des spécificités ultramarines. Pouvez-vous nous donner des éléments de réponse ?

Enfin, sans prétendre épuiser les sujets à aborder, la santé dans les outre-mer vient de faire l'objet d'un remarquable rapport de la Cour des comptes qui, pour une fois, n'est pas focalisé sur le coût budgétaire des outre-mer. Pouvez-vous nous indiquer quelles suites vous entendez donner à ce rapport, d'autant que l'épidémie de chikungunya qui sévit actuellement aux Antilles vient confirmer les analyses de la Cour ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Monsieur le Président Larcher, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. Je suis très heureuse de me retrouver devant la délégation sénatoriale à l'outre-mer. J'ai déjà eu l'occasion de prendre connaissance des rapports qu'elle a publiés et je tiens à en saluer la qualité. La semaine passée nous avons débattu sur les zones économiques exclusives. Il est important de mettre l'accent sur l'importance de ces zones pour la France en général et plus particulièrement pour l'outre-mer. Je sais que l'action du Gouvernement est très attendue outre-mer. Il est vrai que je succède à un ministre des outre-mer particulièrement actif et qui a fait voter plusieurs textes importants. Je pense notamment à la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer dont vous avez été, Monsieur le président Larcher, le brillant rapporteur. Elle permet de s'attaquer aux maux structurels de notre économie. Ma tâche sera de faire en sorte que les préconisations de cette loi entrent dans les faits.

Dans les outre-mer, les boucliers qualité-prix sont devenus une sorte de produit d'appel pour un certain nombre d'entreprises. Nous devons être attentifs à ce que ce développement continue afin de lutter contre la vie chère et de favoriser les produits locaux.

La réforme de la défiscalisation a été menée avec le concours actif de votre délégation. Elle permet d'éviter que ce dispositif essentiel pour les investissements des entreprises soit raboté chaque année. Elle donne ainsi de la visibilité et de la sécurité aux investisseurs.

Les grands groupes industriels doivent désormais se plier à l'interdiction de rajouter davantage de sucre dans les produits destinés à l'outre-mer que dans ceux vendus dans l'hexagone, notamment les yaourts. Ce dispositif est d'application directe et favorise la production locale.

Le code des marchés publics a été modifié afin de favoriser les produits locaux dans les appels d'offres des collectivités et des hôpitaux.

La semaine dernière, lors de mon déplacement à La Réunion, j'ai été de nombreuses fois interrogée sur la régionalisation de l'emploi. Le Gouvernement examine le rapport qu'il avait demandé au député Patrick Lebreton afin de voir quelles améliorations pourraient être apportées à la situation actuelle.

Ces réformes témoignent d'un retour de l'État dans les outre-mer, avec une augmentation continue du budget qui leur est consacré. C'est donc un signe très fort dans le contexte budgétaire contraint qui caractérise la situation actuelle. Les moyens affectés à l'éducation nationale ont été également augmentés.

La stratégie du gouvernement commence à produire ses effets mais la situation demeure très dégradée et socialement fragile : le chômage se situe entre 20 % et 30 % selon les territoires. Il est encore plus élevé chez les jeunes.

Nous pouvons nous réjouir de l'embellie qui résulte des mesures adoptées, mais nous sommes encore loin d'avoir une situation satisfaisante pour l'économie et l'emploi en outre-mer. C'est là tout l'enjeu du premier point que vous avez mis, Monsieur le Président, à l'ordre du jour : la déclinaison outre-mer du pacte de responsabilité.

Il faut que nous arrivions à utiliser les mesures qui constituent ce pacte de responsabilité pour qu'il y ait des répercussions positives sur l'économie et l'emploi en outre-mer. Les effets du pacte tel qu'il a été conçu au niveau national permettront d'alléger le coût du travail et d'améliorer la situation des entreprises. Dans les outre-mer, le tissu économique est très fragile et repose essentiellement sur des TPE. De plus, la concurrence régionale est très dure et nous sommes confrontés à un chômage qui atteint des niveaux insupportables.

C'est la raison pour laquelle un certain nombre de mécanismes spécifiques ont été mis en place : un dispositif d'exonération étendu ainsi que des allégements de fiscalité dans le cadre des zones franches d'activité.

En 2012, la création du CICE a marqué une étape importante de la stratégie gouvernementale en faveur de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. Les entreprises des outre-mer en ont perçu le plein bénéfice, au même titre que l'ensemble des entreprises françaises. Cette mesure s'est traduite par un allégement du coût du travail à hauteur de 320 millions d'euros. Les entreprises d'outre-mer bénéficient de cette mesure, comme l'ensemble des entreprises françaises. Il faut toutefois noter qu'en outre-mer, où il y a beaucoup de très petites entreprises, les mesures annoncées n'auront pas le même impact qu'en métropole.

Le pacte de responsabilité et de solidarité constitue une nouvelle étape décisive qu'a engagée le gouvernement de Manuel Valls. Toutes les entreprises dans les outre-mer vont en bénéficier.

Les ultramarins bénéficieront de l'intégralité des mesures prises en faveur du pouvoir d'achat des salariés et des ménages modestes (allégements de charges sociales, réduction d'impôt sur le revenu, revalorisation des prestations et petites retraites).

Les entreprises des outre-mer profiteront, comme les autres, des allégements de fiscalité prévus au niveau national, soit pour un montant de l'ordre de 150 millions d'euros.

Mais pour tenir compte de la structure des entreprises et de la situation particulièrement dégradée dans les outre-mer, nous avons souhaité un effort supplémentaire en leur faveur. Le Premier ministre en a pris la décision et je l'ai annoncé vendredi dernier à La Réunion : le CICE outre-mer sera augmenté de 50 %, son taux devant passer en deux ans de 6 % à 9 %, avec une première étape à 7,5 %. Les entreprises en outre-mer verront leur situation s'améliorer et auront des marges de manoeuvre supplémentaires par rapport aux entreprises de la métropole. Je veux en remercier le Premier ministre qui a entendu les appels qui venaient des outre-mer, relayés par les parlementaires et des structures comme la Fédération des entreprises d'outre-mer.

Je veux toutefois souligner la nécessité, à partir du moment où il y a un effort spécifique, de réfléchir avec les entreprises sur des contreparties qu'elles pourraient apporter afin de favoriser l'emploi, notamment l'emploi local. Je note que, pour l'instant, nous ne sommes pas encore totalement parvenus à des propositions et à des solutions qui nous semblent à la hauteur de ce que nécessite la situation. Je sais qu'il y a des chefs d'entreprise vertueux, des personnes qui souhaitent que les demandeurs d'emploi puissent être recrutés sur ces chantiers, mais nous devons tous être extrêmement vigilants. S'il n'y a pas de répercussions positives de l'effort du Gouvernement sur l'emploi, nous nous heurterons à l'incompréhension de la population, notamment chez les plus jeunes.

Au-delà du pacte et de son adaptation à l'outre-mer, nous proposons une feuille de route plus large et fédératrice pour donner corps à notre politique en matière de croissance, d'emploi, de développement économique durable.

Nous essayons, dans les différents secteurs, de mettre en avant la situation des outre-mer. C'est le rôle de mon ministère, des parlementaires de l'outre-mer ou de ceux qui s'intéressent à l'outre-mer. Nous travaillons à la mise en place d'un fonds de soutien à l'économie sociale et solidaire qui constitue un gisement d'emploi majeur à l'heure actuelle en outre-mer. Il pourrait permettre de créer de nombreuses petites structures.

Nous avons aussi des mesures particulières pour les contrats aidés. Il s'agit d'encourager les entrepreneurs. Cependant, un certain nombre de mécanismes existants ne sont pas suffisamment exploités.

La transition énergétique et écologique représente un défi et une opportunité fondamentale pour nos outre-mer pour limiter des surcoûts de production qui sont aujourd'hui considérables. L'outre-mer a des atouts, que ce soit l'énergie thermique, les énergies marines ou solaire.

Vous avez posé la question de l'Europe et notamment des aides d'État. Je suis allée à Bruxelles récemment. Nous avons sécurisé, avec la Commission européenne, un dispositif garantissant la pérennité des aides d'État sans période de vide juridique puisque l'autorisation européenne expirait au 1er juillet prochain. Ces régimes d'aides au fonctionnement ou à l'investissement continueront donc à s'appliquer sans discontinuité. Les commissaires aujourd'hui en place ont bien compris les spécificités des outre-mer. Nous souhaitons que le dossier soit bouclé pour la rentrée de manière à ce que nous n'ayons pas à tout réexpliquer à la nouvelle Commission qui se mettra en place à partir de novembre.

Nous avons veillé à la continuité du dispositif de l'octroi de mer. C'est pourquoi une décision de prorogation du dispositif actuel jusqu'au 31 décembre prochain a été adoptée pour donner le temps de procéder aux dernières vérifications nécessaires concernant la proportionnalité de l'aide et le caractère bénéfique pour les consommateurs. La commission a bien compris l'intérêt de l'octroi de mer. Il nous appartient - et également aux acteurs économiques concernés - de fournir les justificatifs demandés. Notre inquiétude porte sur la lenteur de l'instruction du dossier. Si nous précipitons trop le mouvement, nous pourrions obtenir une validation du régime, mais pour un nombre réduit de produits. Il nous faut donc être patients.

Vous avez aussi évoqué les quotas sucriers. La filière a reçu un certain nombre d'aides lui permettant d'affronter cette ouverture à la concurrence. J'ai le sentiment que la fin des quotas sucriers inquiète mais je ne suis pas sûre que nous soyons parvenus à utiliser pleinement les quotas qui nous sont alloués. Il importe de promouvoir un certain nombre de filières d'excellence, par exemple les sucres spéciaux, notamment les sucres roux, que nous avons exclus du mandat de la Commission. Ainsi, les producteurs n'auront pas de difficultés particulières pour conserver ces niches.

En ce qui concerne la santé dans les outre-mer, vous avez raison de dire que nous devons aujourd'hui affronter un certain nombre de difficultés spécifiques. Quand je suis allée récemment en Martinique ou en Guadeloupe, j'ai vu ce qui avait été prévu comme dispositif pour affronter l'épidémie de chikungunya. Sur la Martinique, il semble que l'épidémie soit endiguée. Sur Saint-Martin où l'épidémie avait commencé, les choses évoluent de manière plutôt positive. Manifestement, l'épidémie flambe en Guadeloupe. C'est l'occasion d'apprendre ou de rappeler à la population un certain nombre de gestes de prévention. Des équipes seront très prochainement envoyées en renfort, principalement pour éradiquer les sites larvaires. Sur Mayotte et La Réunion, on observe des problèmes préoccupants - et récurrents - liés à la dengue. Le rapport de la Cour des comptes sur la santé dans les outre-mer met l'accent sur un certain nombre de difficultés que nous connaissons. Ce rapport sera pour nous une aide dans nos démarches auprès des administrations de tutelle qui ont souvent du mal à accorder les fonds nécessaires, par exemple, pour rebâtir un CHU aux normes sismiques ou, pour Wallis, éviter la sous-évaluation budgétaire des évacuations sanitaires. Il y a aussi dans les outre-mer des taux de mortalité infantile qui ne sont pas conformes à ceux des pays développés. À Mayotte, une maternité moderne va être construite, permettant ainsi une amélioration de la situation, mais il y a aussi la problématique des gens de la zone qui viennent pour se faire soigner. Grâce à la coopération internationale, des hôpitaux ont été bâtis dans les îles voisines mais il manque des médecins. À Mayotte même, le nombre de médecins est largement insuffisant par rapport à la population.

Il y a enfin un problème récurrent d'alimentation, et notamment de restauration scolaire. En Guyane, nous essayons de mettre en place une collation. Comme la CAF fonctionne sur la base du remboursement des dépenses exposées, tant que les enfants n'ont pas mangé une première année, ils n'entrent pas dans le système de prise en charge. Le sénateur Patient lui-même était prêt à mettre sa réserve parlementaire à disposition pour amorcer la pompe. Je trouve extrêmement choquant de ne pas obtenir de la CAF un changement de ce système. Dans un pays développé, nous ne pouvons pas nous résigner à ce que des enfants n'aient pas de repas ou même de collation alors qu'ils font souvent la journée continue. Dès 11 heures du matin, ils ne sont plus en mesure d'écouter ce qu'on leur enseigne. À Mayotte le problème est voisin, même si la CAF participe à la collation que nous avons mise en place. Des familles sont tellement paupérisées qu'elles ne peuvent pas apporter les vingt centimes nécessaires pour permettre à leurs enfants d'avoir droit à la collation. Quand on sait que c'est à peu près leur seul repas quotidien, cette situation est inadmissible sur le plan de la protection de l'enfance. Nous poursuivons les démarches pour trouver des solutions.

Monsieur le Président, je crois, pour l'essentiel, avoir présenté les points essentiels que je voulais aborder en réponse à votre introduction. Je pourrai y revenir plus en détails si vous le souhaitez.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La situation alarmante dans les écoles de Guyane et de Mayotte m'inquiète. A-t-on une idée du montant annuel par territoire que représenterait la gratuité d'un tel repas ? Les partenaires sociaux devraient être sollicités par les organisations syndicales de la CAF. De plus, un prêt à taux zéro d'amorçage du dispositif pourrait être envisagé.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Une partie des fonds sociaux de l'Éducation nationale pourraient être utilisés. De leur côté, les élus demandent à la CAF de leur notifier le budget nécessaire au début de l'année, afin d'être certains qu'ils seront remboursés mais la CAF s'y refuse.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Un fonds de garantie pourrait être mis en place

Mme George Pau-Langevin, ministre. - A minima, nous exigerons qu'une collation, à défaut d'un repas, soit offerte aux enfants.

M. Serge Larcher, président. - La mission sénatoriale a produit un rapport en 2009 comportant une centaine de propositions. L'une d'entre elles concernait les évaluations des politiques publiques. Nous ne mesurons pas la pertinence de nos politiques publiques sur le terrain. De plus, ces politiques peuvent se trouver modifiées sur la seule base d'une approche budgétaire.

Je n'ai pas l'impression que des améliorations aient pu être constatées quant au taux de sucre dans les aliments et aux dates de péremption. Si des mesures d'affichage ont été prises, il me semble que les sorbets, jus et yaourts sont toujours aussi sucrés dans les outre-mer. Par ailleurs, on a beaucoup parlé des dates limite de consommation. On s'est aperçu que les produits considérés comme périmés en France étaient toujours consommables aux Antilles. Je ne suis pas sûr que des contrôles suffisants soient effectués.

Je voudrais par ailleurs évoquer le problème des petites retraites, des personnes qui, n'ayant pas été déclarées pendant toute leur activité, ne perçoivent que le revenu de solidarité active. Les retraites sont payées le 15 du mois, ce qui induit un grand nombre de loyers impayés. Ces retraites devraient être versées en début de mois afin de résoudre ce problème.

Nous constatons un écart important entre le taux de mortalité infantile dans l'hexagone et aux Antilles, ainsi qu'une dégradation de ce taux dans presque tous les territoires d'outre-mer.

Je souhaite également être rassuré sur la fiscalité du rhum.

Je voudrais enfin évoquer les produits locaux. En 2010, l'Europe a passé des accords commerciaux avec les pays andins, qui ont ensuite été élargis à l'ensemble de l'Amérique latine. Les marchés ultramarins locaux n'ont pas été exclus de ces accords. C'est pourquoi les pays frontaliers des Antilles, le Costa Rica ou le Venezuela, exportent dans les territoires d'outre-mer des produits locaux à bas prix. L'affichage dans les supermarchés « Produits locaux » induit en erreur les consommateurs puisque ces produits sont régionaux et non locaux. Nous sommes attaqués sur nos produits d'exportation mais également sur notre production vivrière et légumière. Nos agriculteurs ont fait récemment une opération « molokoï », expression antillaise que l'on pourrait traduire par « escargot » même s'il s'agit en réalité d'une tortue de terre, pour protester contre cette concurrence déloyale.

Le tourisme est en grande difficulté aux Antilles. Une véritable réflexion est nécessaire dans ce domaine. Les établissements ont vieilli et sont vendus aux tour-opérateurs à bas coût. Les dettes des entreprises touristiques augmentent, ce qui les exclut des aides d'État, des aides européennes ou des dispositifs de défiscalisation.

M. Jacques Gillot. - Un arbitrage global a été mené afin que la construction du CHU de Guadeloupe soit assurée par l'État, pour un montant de 590 millions d'euros. Or, aucune inscription budgétaire dans les documents publiés par le Gouvernement n'a été constatée à ce titre. Pourriez-vous nous rassurer ?

Deux banques d'État, la Caisse des dépôts et consignations et l'Agence française de développement, se sont engagées sur le dossier du traitement des ordures ménagères qui piétine actuellement. Des problèmes d'aboutissement du plan de financement de ce dossier pourraient donc apparaître.

Enfin, la Guadeloupe sera-t-elle exclue de la réforme territoriale ?

M. Michel Magras. - Monsieur le Président, je voudrais rebondir sur les propos que vous avez tenus, relatifs à l'évaluation des politiques publiques en outre-mer. La Commission nationale d'évaluation des politiques outre-mer (CNEPEOM) a examiné en bureau ce matin son rapport définitif, qui sera proposé en séance plénière de cette commission le 9 juillet 2014. Il sera rendu public à la rentrée. Il s'agit d'un dossier important puisqu'il a évalué la politique de l'État dans un certain nombre de secteurs. J'ai été en charge de l'évaluation de la continuité aérienne, numérique et maritime, mais également de la continuité territoriale au sens classique du terme. J'ai émis un certain nombre de recommandations mais des problèmes d'ordre budgétaire nous guettent. S'il n'y a pas de difficultés en ce qui concerne les passeports « mobilité professionnelle » et « mobilité études », un problème de financement est susceptible de se poser pour les billets à destination de la métropole que l'on donne aux personnes disposant de faibles revenus car l'aide à la continuité territoriale (ACT) actuelle est sans limite. Si bien que tout citoyen répondant aux conditions d'attribution de cette aide peut en bénéficier. Chaque année, la loi de finances prévoit une enveloppe qui est régulièrement dépassée. Si nous souhaitons que cette aide soit durable, il faudra l'encadrer.

Monsieur le Président, vous nous dites que les produits qui viennent d'autres pays mettent en péril la production agricole locale. Au contraire, à la CNEPEOM, j'entends qu'il faut favoriser la circulation des marchandises. Nous devrions veiller à harmoniser nos points de vue.

M. Serge Larcher, président. - Il ne faut pas confondre l'insertion dans la zone géographique, c'est-à-dire avoir des échanges commerciaux sur le mode du donnant-donnant, et l'ouverture à tous vents d'un marché pour l'écoulement de produits qui viennent d'ailleurs, sans aucune contrepartie, et mettant en cause notre production locale.

Mme Dominique Gillot. - J'ai rejoint la délégation dans le cadre d'une mission d'information sur la situation de l'université aux Antilles et en Guyane. Du point de vue de l'enseignement supérieur, nous sommes en train de sortir de la crise avec le maintien d'une université des Antilles et la création de l'université de Guyane. À l'occasion de cette mission, j'ai découvert la grande misère de l'enseignement scolaire en Guyane. Certains enfants sont tellement éloignés des centres urbains qu'ils ne peuvent se rendre à l'école. Une évaluation des besoins matériels rapportés à la démographie de cette région doit être réalisée. Seulement 40 % des enfants scolarisés atteignent le baccalauréat, tandis que 10 % poursuivent des études supérieures. Les enfants de moins de six ans ne sont pratiquement pas scolarisés. Cette situation est inacceptable et un plan permettant de remédier à cette situation doit être rapidement envisagé.

Pour faciliter l'enseignement à destination de ces enfants, un renfort de la formation des maîtres est nécessaire. Une École supérieure du professorat et de l'éducation (Espé) est en cours de création mais il s'écoulera encore un bon moment avant que des enseignants formés n'en sortent et des mesures d'urgence doivent être mises en oeuvre.

J'ai découvert, lors de l'audition du professeur Blamont, qu'il serait possible d'utiliser les formation dispensées à distance pour renforcer les compétences des éducateurs et des animateurs. Ces derniers pourraient se déplacer vers les villages les plus reculés afin d'éviter ces trajets aux enfants. Il s'agit d'une suggestion qui mérite d'être étudiée avec attention.

J'en ai saisi le ministre de l'Éducation nationale.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Les petites retraites constituent un sujet que nous connaissons bien. La protection sociale a souvent été instaurée tardivement dans les outre-mer. Les difficultés sont particulièrement sensibles au moment de la retraite, notamment pour les femmes, particulièrement exposées. La date de versement des pensions pourrait constituer un levier d'action intéressant dans ce domaine.

Nous sommes allés à Bruxelles où nous avons soulevé la question de la fiscalité du rhum. Le régime fiscal du rhum avait été modifié sans l'autorisation préalable de Bruxelles. Une validation rétroactive du système a été accordée. Les directions de la Commission européenne en charge de ces questions hésitaient à valider ce système pour toute la période. L'idée d'une validation pour une période courte a alors été évoquée. Néanmoins, compte tenu des délais d'obtention d'une décision de validation, nous courrions le risque de nous trouver dans une situation non sécurisée pour les producteurs. Nous avons argumenté pour bien expliquer que, compte tenu du fait que les producteurs dans les outre-mer étaient en concurrence entre eux et non avec ceux des pays tiers, il n'y avait pas d'atteinte à la concurrence. Une évaluation à mi-parcours sera certainement menée par la Commission européenne. Si cette évaluation démontre qu'il y a une entrave à la concurrence, alors des justifications supplémentaires devront être apportées. Cela étant, une validation de l'ensemble de la période nous a été assurée.

Vous avez évoqué les produits locaux. Certaines filières de production locales sont bien organisées, notamment celle de la production de bananes. Cette production est en mesure de faire face aux intrusions de concurrence déloyale des produits de la zone. Cependant, d'autres filières sont moins bien organisées : c'est le cas de la production de citrons verts. Nous ne sommes pas certains que les producteurs locaux sont suffisamment organisés pour fournir des citrons verts avec régularité aux enseignes de la grande distribution. Par conséquent, le projet de loi sur l'agriculture prévoit une meilleure organisation des filières afin qu'elles puissent faire valoir les intérêts des producteurs des DOM par rapport aux pays voisins.

Monsieur le Président, vous considérez que les effets de la loi sur les taux de sucre dans les aliments ne se faisaient pas encore sentir. Récemment, j'ai reçu les industriels du sucre qui ont assuré respecter la législation en vigueur. Les organisations de consommateurs et les élus d'outre-mer doivent, néanmoins, demeurer vigilants. Le service de la répression des fraudes doit assurer des contrôles permettant de maintenir la pression sur les industriels.

Les difficultés auxquelles fait face le secteur du tourisme outre-mer sont illustrées par un certain nombre de friches hôtelières. Parfois, les plans de financement à moyen terme ne sont pas suffisamment étudiés. Il nous faut aussi réfléchir sur le type de tourisme que nous souhaitons. Alors que le nombre de voyageurs est en constante augmentation et que les particuliers sont nombreux à proposer des hébergements en gîte, nous devons nous demander, avec les professionnels de ce secteur, si l'offre proposée outre-mer par les grandes structures est toujours adaptée à la demande actuelle.

M. Serge Larcher, président. - Le tourisme des gîtes ruraux fonctionne très bien dans les outre-mer mais est insuffisant. Nous souhaitons un tourisme qui puisse servir de locomotive aux autres secteurs d'activité grâce à des touristes disposant d'un pouvoir d'achat élevé. Par ailleurs, le tourisme à thème ou le tourisme de randonnée peut également être développé.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - La Réunion a voté un schéma régional du tourisme. Ce travail est-il réalisé dans chacun des départements d'outre-mer ? En effet, nous manquons de lisibilité sur la stratégie de chaque territoire dans ce domaine. Par exemple, le port de Pointe-à-Pitre n'est pas suffisamment valorisé pour attirer les touristes voyageant dans le cadre des croisières.

Le tourisme repose essentiellement sur la communication. Alors que les Antilles disposent d'une image spontanément positive, à en croire certains sondages, il est particulièrement dommage de ne pas la valoriser davantage.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - La fréquentation touristique a augmenté mais il est évident qu'il nous faut améliorer sensiblement l'image et l'accueil.

M. Michel Magras. - Je pense que la politique touristique s'écrit et se choisit. Des offres haut de gamme devraient être introduites dans chacun des segments d'activité du secteur touristique. À Saint-Barthélemy, il n'y a pas que des touristes qui disposent de hauts revenus. Il y a du haut de gamme, mais il y a un quota précis de chambres pour chaque catégorie. Ainsi, tous les touristes peuvent trouver leur place.

En 2001 à Saint-Barthélemy, nous avons fait un choix de tourisme de croisière reposant sur les petites unités comportant entre 100 et 800 personnes. Les personnes qui embarquent sur ces bateaux ont un potentiel économique très fort. Or, une compagnie de croisière m'a contacté en me disant que nous étions la dernière île de la Caraïbe à proposer ce type de tourisme. Dès lors, elle devait soit élargir l'offre de ses escales à de nouvelles îles ou bien quitter la Caraïbe. À l'heure actuelle, les deux-tiers de la flotte de cette compagnie de croisière sont partis. Les différents territoires de la Caraïbe doivent donc coopérer pour profiter de ce marché colossal composé de touristes à très fort pouvoir d'achat et pouvant être fidélisés.

En 2011, le Sénat a publié un rapport sur le tourisme en Guadeloupe et en Martinique proposant une douzaine de recommandations. Certaines d'entre elles ont été prises en compte. Des signes montrent que le tourisme dans ces territoires semble être sur la bonne voie. Les élus ne doivent pas oublier que le tourisme constitue l'une de leurs compétences.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - L'évolution de la politique des visas pourra être très bénéfique pour le tourisme. Par exemple, les ressortissants d'Inde et de Chine se rendant à La Réunion bénéficieront d'une politique des visas facilitée. Par ailleurs, l'image touristique de La Réunion est bien connue et appréciée. Si La Réunion ne propose pas le même tourisme que l'île Maurice, une complémentarité de ces deux destinations est parfois valorisée par les opérateurs. Nous avons donc des atouts à faire valoir en matière touristique dans les outre-mer.

M. Jacques Gillot. - Deux projets de loi fondent la réforme territoriale souhaitée par le Président de la République et le Premier ministre pour faire émerger une organisation territoriale porteuse de politiques publiques plus cohérentes et plus efficientes. La réforme territoriale poursuit ainsi trois objectifs principaux : simplifier et clarifier le rôle des collectivités locales ; faire des territoires les moteurs du redressement économique du pays ; renforcer les solidarités territoriales et humaines.

Cette réforme, qui envisageait dans un premier temps la fusion des régions et des départements de l'hexagone dès l'année prochaine, s'est finalement orientée vers la réduction de moitié des régions et la « dévitalisation » des départements d'une grande part de leurs compétences dès 2015 et leur suppression à l'horizon 2020.

Madame la Ministre, pour ma part je suis profondément convaincu qu'une réforme des collectivités doit avoir lieu en prenant en compte les spécificités des territoires, en lien avec les élus et les citoyens qui oeuvrent pour leur développement.

Ma question porte donc sur le cas particulier de la Guadeloupe, qui cumule sur un petit territoire trente-deux communes, six intercommunalités, une région et un département. Cette organisation territoriale est, à l'évidence et depuis longtemps, source de doublons et déperditions, ainsi que de renchérissement et d'inefficacité des politiques publiques.

En 2014, nous attendons un nouveau progrès de la décentralisation pour favoriser plus de démocratie, d'efficacité de l'action publique, d'innovations et de responsabilité.

Aujourd'hui, Madame la Ministre, la Guadeloupe ambitionne de porter des politiques publiques plus efficaces afin de régler les problèmes d'eau, de développement économique, de formation, de traitement des déchets et de transports.

Comme vous le savez, en Guadeloupe, la majorité des partis politiques de gauche comme de droite se sont exprimés favorablement pour une évolution de nos institutions vers une collectivité unique, ou à défaut une assemblée unique.

Pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas fait le choix d'inscrire la spécificité de territoires comme La Réunion ou la Guadeloupe dans ce que sera le droit commun des collectivités après cette réforme, en prévoyant pour ces territoires la création d'une assemblée unique, en lieu et place de la région et du département ?

Je sais que le Gouvernement est naturellement prêt à accompagner tout projet institutionnel des élus, validé notamment par le congrès des élus départementaux et régionaux.

Néanmoins, en l'absence de réunion de ce congrès, n'aurait-il pas été plus cohérent, eu égard aux objectifs de la réforme territoriale, de décliner cette volonté de rationaliser les politiques publiques en Guadeloupe et à La Réunion en organisant une consultation référendaire interrogeant les populations sur leur souhait de voir fusionner les collectivités régionale et départementale dès 2015 ? En effet, lorsque le Gouvernement a présenté la réforme territoriale, il souhaitait réduire les doublons.

Aujourd'hui, si le congrès ne peut pas se réunir et trancher certaines questions, tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut évoluer vers une assemblée unique au minimum, et peut-être vers une collectivité unique. Aussi n'est-il pas possible d'inscrire dans la loi qu'une consultation référendaire sera menée en Guadeloupe et à La Réunion concernant la fusion du département et de la région même s'il n'y a pas d'accord formalisé du conseil général et du conseil régional ?

Mme George Pau-Langevin, ministre. - La Guyane et la Martinique ont choisi la collectivité unique, tandis que la Guadeloupe ne l'a pas souhaitée.

La mise en place concrète est délicate et toutes les mesures de fusion n'ont pas encore été définies, notamment dans le domaine de l'action sociale. La Guadeloupe et La Réunion suivront quant à elles le droit commun ; les compétences du département y seront modifiées.

Pour une autre évolution, en Guadeloupe, il suffirait que les élus se rassemblent et adoptent une motion. À l'heure actuelle, la loi ne peut décider du régime applicable à la Guadeloupe car elle irait à contre-courant de ce que le Gouvernement a souhaité mettre en place dans les territoires d'outre-mer, c'est-à-dire donner la parole aux élus.

M. Serge Larcher, président. - Aujourd'hui, il y a une impossibilité de réunir le congrès car une des deux assemblées ne le veut pas. Quelles sont les conclusions possibles ? Le Gouvernement pourrait interroger les deux assemblées. S'il constate que le congrès ne peut se réunir, alors, pour pallier cette carence, il pourrait lui-même prendre l'initiative d'une consultation référendaire, à l'image de celles qui ont été organisées en Martinique et en Guyane. Il serait alors demandé aux électeurs s'ils souhaitent l'instauration d'une assemblée unique dans le cadre de l'article 73 de la Constitution.

M. Jacques Gillot. - En 2003, une politique attisant la peur a été menée. La population a exprimé un vote de refus car on lui a dit que si elle mettait en place une collectivité unique dans le cadre de l'article 73, cela orienterait le territoire vers l'indépendance. Le Gouvernement actuel a pacifié le débat. Dans une région monodépartementale, nous savons qu'il y a du gaspillage et, à certains moments, des compétitions malsaines. La loi devrait imposer la mesure que je préconise. Le Président de la République, dans sa déclaration du 3 juin 2014, faisait mention de cette rationalisation. Or, à l'heure actuelle, il n'est plus question que de la fusion des régions, sans que nous sachions ce que deviendra le département. L'assemblée unique permettrait de réunir l'ensemble des acteurs concernés et de satisfaire un certain nombre de critères d'efficacité.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Sur le principe, nous sommes d'accord. Il reste que le Gouvernement ne pourra décider seul et devra être saisi par les élus.

M. Jacques Gillot. - Le Gouvernement doit voir les réalités des territoires. Je parle d'une assemblée unique et non d'une collectivité unique telle que celles instaurées en Martinique et en Guyane. Il faut bien comprendre la différence.

Une assemblée unique entraîne la fusion des compétences existantes et permet la mise en oeuvre d'une politique globale. S'il apparaît pertinent de transférer les collèges et les transports à la région, laisser l'insertion au département, politique en lien étroit avec l'activité économique, dépendant de la région est illogique. Tous les gouvernements socialistes depuis 1982 ont défendu cette mesure et, alors que nous sommes au pouvoir, nous faisons marche arrière !

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Des mécanismes sont prévus aujourd'hui. Si cette question doit être posée dans le cadre de la loi sur la réforme territoriale, les élus sont tout à fait légitimes pour la poser.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le projet de loi, tel qu'il a été annoncé par le Président de la République, prévoit que la région captera les principales compétences départementales, tandis que les intercommunalités capteront une autre partie de ces compétences. Ce schéma est-il comparable à ce que vous appelez l'assemblée unique ?

M. Serge Larcher, président. - L'article 73 de la Constitution prévoit la possibilité dans les départements et régions d'outre-mer de mettre en place une collectivité ou une assemblée unique, après consultation des populations.

Mme George Pau-Langevin, ministre. - Des consultations ont été ouvertes à ce sujet avec Mme Lebranchu. S'il y a une difficulté spécifique concernant la Guadeloupe, c'est le moment d'en discuter.

S'agissant des déchets, j'ai constaté que les mesures de tri sont plutôt bien suivies dans les outre-mer.

La dépense de la continuité territoriale est prise en compte par le budget. Cette dépense extrêmement dynamique, incontrôlable actuellement, sera encadrée à l'avenir. Ce dispositif a rencontré beaucoup de succès auprès des populations. Par ailleurs, le dispositif permettant aux habitants originaires des outre-mer de visiter leur famille aux frais de l'État a été supprimé.

La grande taille du territoire de la Guyane a pour conséquence une population très dispersée. Ce phénomène représente une difficulté spécifique pour l'enseignement. La construction de toujours plus de classes ne pourra résoudre la question de l'éloignement des enfants. Le recteur de Guyane envisage des mesures de déplacement des maîtres auprès des plus jeunes enfants. On ne peut pas obliger de très petits enfants à faire des heures de pirogue pour aller à l'école. Par ailleurs, le français n'est pas la langue maternelle d'un grand nombre d'enfants qui rencontrent donc des difficultés lors de leur entrée dans le système scolaire.

La question de la construction de collèges, soutenue par l'État, est liée à celle du décrochage scolaire. Un fort taux de décrochage scolaire a été constaté en Guyane. Des aides particulières devront être mises sur pied afin d'éviter les décrochages. Si nous souhaitons une université de Guyane de bon niveau, nous devons accompagner davantage de jeunes jusqu'au baccalauréat afin de constituer une masse critique de futurs étudiants.

Enfin, le dossier du CHU de Guadeloupe est en cours de traitement. Je m'assurerai auprès de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, de la prise en compte de ce dossier dans le budget.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les sénateurs, nous serons amenés à nous revoir très régulièrement et je n'hésiterai pas à solliciter à nouveau votre hospitalité pour évoquer les enjeux de l'outre-mer.

M. Serge Larcher, président. - Ce sera toujours avec plaisir.

Madame la Ministre, nous vous remercions.