Mardi 17 décembre 2013

 - Présidence de M. Jean-Claude Peyronnet, vice-président, puis de M. Antoine Lefèvre, vice-président -

Examen du rapport de M. Jean-Claude Peyronnet « La place des parlementaires dans les instances locales après l'adoption des nouvelles règles de non-cumul »

M. Jean-Claude Peyronnet. - Nous avons deux dossiers à l'ordre du jour. Je vais tout d'abord vous présenter un petit rapport sur la place des parlementaires dans les instances locales après le vote de la loi sur le non-cumul. Puis nous auditionnerons notre collègue, François Pillet, sur le rapport sur la police municipale dont il était co-rapporteur.

Vous un résumé du rapport ainsi qu'un projet d'amendement ou de proposition de loi, qui lui est joint. Le point de départ est le constat qu'avec la suppression du cumul des mandats, les parlementaires risquent d'être complètement coupés de la réalité locale. Ils sont actuellement représentants de leur collectivité dans toute une série d'organismes extrêmement divers - vous les connaissez aussi bien que moi - qui touchent tous les domaines de la vie de nos concitoyens. Lorsqu'il ne sera plus possible aux parlementaires d'être membres d'exécutifs locaux, ils pourront toujours être désignés dans ces commissions par leurs collectivités. Mais il ne faut pas se faire d'illusion, les membres des exécutifs locaux voudront toujours, et c'est logique, représenter eux-mêmes la collectivité dans les commissions importantes. Par ailleurs, le fait de ne plus avoir d'accès à l'exécutif fait que l'on perd assez vite sa technicité.

Le lien qui serait coupé serait celui qui existe avec les électeurs, mais aussi celui avec la circonscription et le mode d'élection qui va avec. Si on a un mode d'élection uninominal, c'est parce qu'on est rattaché à un territoire et que ce rattachement ne peut être seulement lié à une élection, moment fugace qui établit un lien de façon très temporaire.

La crainte est d'avoir des parlementaires « hors-sol ». Pour pallier ces inconvénients, je vous propose de permettre aux parlementaires d'être membres des commissions que j'appelle, faute de mieux, les commissions « régaliennes », celles qui sont présidées par le représentant de l'État ou l'un des représentants de l'Etat.

Ce serait le prolongement au niveau local du mandat national des parlementaires. Ceux-ci seraient présents dans ces commissions pour vérifier la façon dont la loi est appliquée et, par ailleurs, ils recevraient une information qui leur permettrait de faire remonter d'éventuelles difficultés. Pour prendre des exemples très concrets, la Commission départementale de l'éducation nationale leur permettrait d'être au courant de ce qui se passe concernant les rythmes scolaires. La Commission de contrôle des comptes de l'ARS leur permettrait d'être informés sur la politique de santé de leur département et sur la démographie médicale.

Il vous est donc proposé d'ouvrir de droit ces commissions à un certain nombre de parlementaires, tout en fixant des bornes. Il y aurait au moins un parlementaire dans ces commissions et leur nombre ne pourrait être supérieur à 10% du nombre de participants. Le mode de désignation se ferait par une conférence régionale et par une conférence départementale. Dans mon esprit, celle-ci pourrait être convoquée par le préfet - qui n'y participerait pas - et présidée par le doyen d'âge. Ainsi se rétablirait un lien avec le territoire, indispensable, je crois, au parlementaire.

Un projet d'amendement, ou de proposition de loi, concrétise mon propos. J'attends vos commentaires, vos remarques, vos critiques éventuelles.

M. François Grosdidier. - Je me réjouis de cette initiative, mais tiens à faire remarquer que nous sommes déjà, hélas, en train de limiter les conséquences négatives de la loi sur le non-cumul des mandats. Nous savons que nous allons nous heurter à cette vraie difficulté : le risque de se transformer très vite en élus « hors-sol », coupés des réalités dont nous sommes aujourd'hui imprégnés.

Comme nous allons vers l'interdiction stricte du cumul entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif, les initiatives pour éviter que cette coupure soit trop forte sont les bienvenues. Je salue donc cette idée et je la soutiens. Sur un plan pratique, je me pose tout de même deux questions.

La première, c'est qu'avec ces dispositions, nous serions surtout présents dans les « grand-messes ». Et ce n'est pas toujours dans ces occasions que s'exprime réellement la réalité du pouvoir déconcentré de l'État. Mais c'est certes mieux que rien.

La seconde, c'est que nous risquons d'être souvent intéressés tous par les mêmes commissions, les plus sensibles, moins par d'autres. Je me demande comment se fera l'arbitrage - tout en comprenant la limitation du nombre de parlementaires par commission.

M. Jean-Claude Peyronnet. - L'adoption de cette proposition de loi pourrait être le moyen de faire le ménage parmi les commissions. Nous en avons recensés 75 dans mon département - certaines ne se réunissent jamais, certaines une fois par an. Notre délégation pourrait pousser à simplifier, à élaguer cela, pour aller vers un mode de fonctionnement plus moderne et plus efficace. La délégation pourrait travailler pour cela avec la DGCL.

Second point : comment choisir ? Ce que j'imagine, c'est, en cas de désaccord dans une conférence, de passer au vote. Par ailleurs, on pourrait prévoir des suppléants aux parlementaires membres des commissions.

M. André Reichardt. - Je voudrais aller dans le sens de M. Grosdidier. Par ailleurs, je ne suis pas certain - malgré ce qui vient d'être dit - que la participation à ce que vous avez qualifié de « grand-messes » puisse être aussi utile que le suivi au quotidien des problèmes par le membre d'un exécutif communal, départemental ou régional. Ainsi, je souhaite bien du plaisir au parlementaire qui voudrait intervenir en toute compétence au Conseil académique de l'éducation nationale, s'il ne suit pas ces thèmes tout au long de l'année.

Je crains aussi qu'on ne spécialise à terme les parlementaires sur une thématique précise - ce qui les conduiraient, dans leur assemblée, à intervenir surtout sur cette thématique. Une spécialisation du parlementaire dans un domaine déterminé serait regrettable, et c'est ce que la majorité du Sénat n'a pas accepté en rejetant le projet de loi anti-cumul.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Il faut se placer dans la perspective de la loi votée. Et le dispositif permet tout de même de rattacher les parlementaires aux territoires. Je ne vois pas d'autre solution.

M. Georges Labazée. - Le dispositif que vous proposez est bien facultatif ? Il n'y aurait pas d'obligation pour un parlementaire d'aller vers telle ou telle commission régalienne ?

M. Jean-Claude Peyronnet. - Non, les parlementaires seraient membres de droit sur la base du volontariat.

M. Georges Labazée. - Il faudrait un inventaire clair et précis du nombre d'organismes concernés. Par ailleurs la Commission départementale de présence postale, mentionnée dans le contrat entre l'État, la Poste et l'Association des maires de France, voit sa composition fixée par le législateur. Un député ou un sénateur ne pourrait donc pas aller dans cette commission, nous sommes d'accord ?

M. Jean-Claude Peyronnet. - Dans mon esprit, la composition des différentes commissions devrait être modifiée pour prévoir la participation des parlementaires en tant que membres de droit.

M. Edmond Hervé. - Je crois que cette proposition est excellente. Et nous commettrions une erreur en considérant ce projet comme un texte destiné à corriger la loi sur le cumul. Cette proposition est un texte d'accompagnement. La présence dans ces commissions est un moyen de s'instruire.

Concernant la spécialisation, si un président d'exécutif a une démarche générale, un parlementaire choisit tel ou tel sujet qu'il connaît mieux et auquel il s'intéresse plus.

On assiste aujourd'hui à une polysynodie extrêmement coûteuse.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je crois que la présence de parlementaires dans ces commissions va être un moyen de les rénover. Quand un parlementaire, face à des syndicalistes, des élus, etc. demande que l'on applique telle ou telle mesure, cela a un poids.

M. Stéphane Mazars. - J'ai un avis divergent de celui de M. Hervé. Je pense au contraire que l'on est déjà en train de réfléchir à corriger les effets négatifs de la règle du non-cumul. C'est ce qui est clairement exprimé dans le rapport : les nouvelles règles de non-cumul vont couper les parlementaires de toute la vie locale.

Je pense qu'avant de s'engager sur une proposition de loi ou un amendement, il faudrait peut-être que le parlement réfléchisse aux conséquences réelles de la loi sur le non-cumul des mandats.

Mme Renée Nicoux. - Je serai un peu plus tempérée. Si la loi prévoit le non-cumul avec un exécutif, rien ne nous interdit cependant d'être élus locaux et d'avoir une connaissance du terrain, un lien avec la population.

Je partage cette idée de permettre aux parlementaires de participer à certaines instances pour avoir une vision un peu plus large de ce qui se passe sur le terrain, et de constater les répercussions des lois qu'ils votent. C'est un complément de la loi sur le non-cumul, qui permet aux parlementaires de continuer à avoir un rôle dans la vie locale.

M. André Reichardt. - Pour abonder dans le sens de M. Hervé, je ne pense pas du tout que cette proposition puisse être vue comme un correctif à la loi sur le non-cumul. On vise ici des commissions régaliennes, présidées par le préfet. La loi interdisant le cumul vise, quant à elle, le cumul avec des fonctions exécutives de collectivités locales. Ce n'est pas du tout la même chose.

Ainsi je crains que cette proposition ne donne pas aux parlementaires, et particulièrement aux sénateurs, les informations leur permettant d'assurer réellement leur mandat.

M. Antoine Lefèvre. - Pour compléter ce qui a pu être dit, on a l'impression d'essayer de corriger la loi sur le cumul - dont on se rend déjà compte des faiblesses et des manques. L'expérience des élus titulaires d'un mandat exécutif local apportait une certaine plus-value. Ainsi, lors du débat sur la loi Duflot, les collègues les plus affutés dans leur argumentaire avaient, du fait de leurs responsabilités locales, une connaissance précise de la gestion d'un Office. Il en a été de même lors de l'examen, la semaine dernière, de la loi sur les SEM.

Par ailleurs, l'aura des parlementaires n'est plus ce qu'elle a pu être. Il est difficile de discuter en tant que parlementaire avec un directeur d'agence régionale de santé. C'est en tant que maire, donc président du conseil de surveillance d'un hôpital, que l'on dispose d'un véritable poids.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je comprends cela, mais la position du parlementaire serait différente s'il était aussi membre du conseil de surveillance de l'ARS, qui en vérifie les comptes. On peut appeler cela un palliatif.

Y a-t-il des oppositions à l'approbation de ce qui pourrait être une proposition de loi de la délégation ? Pas d'abstention et pas d'opposition. Je vous remercie.

Audition de M. François Pillet sur les communes et la sécurité

M. François Pillet, rapporteur. - La commission des Lois nous a confié, à M. Vandierendonck et à moi, l'élaboration d'un rapport d'information sur les polices municipales. Nous sommes parvenus à des conclusions partagées.

Nous sommes partis du constat que le thème de la sécurité préoccupait de façon croissante nos concitoyens, et que l'exigence de sécurité s'appliquait à toutes les forces qui y participent : gendarmerie, police nationale, polices municipales, sociétés privées.

Je rappelle qu'il existait 5 600 agents de police municipale en 1984, et qu'ils étaient 18 300 en 2013. Dans le même temps, les 20 000 gardes champêtres en fonction en 1950 n'étaient plus que 1 450 en 2013.

La demande de sécurité exprimée par les populations conduit ainsi les maires à recourir de façon croissante aux polices municipales, indépendamment des réorganisations ou de l'éventuelle diminution des effectifs de police ou de gendarmerie. Aujourd'hui, 3 800 municipalités ont créé une police municipale. Il en existe de natures très diverses, en fonction de la densité de la population ou de la localisation géographique. Ainsi, les villes de Nice, Dijon ou Evry ont-elles des doctrines d'emploi et une définition des tâches de leurs polices municipales très différentes, tout comme l'est le type d'armement qu'elles attribuent à celles-ci.

Suivant le contexte local, les municipalités mettent l'accent tantôt sur les tâches de prévention, tantôt sur celles de répression. La priorité des grandes villes est incontestablement d'assurer la sécurité maximale.

Nous avons constaté une crise d'identité parmi les personnels des polices municipales, qui ne distinguent pas toujours clairement les fonctions de prévention et de répression.

Pour tenter de dissiper cette ambiguïté, nous avons proposé que les polices municipales, regroupées avec les gardes champêtres, constituent une « police territoriale », dénomination qui a le mérite de la clarté en ce qui concerne les missions assignées à ces personnels, mais se trouve mal perçue par la police nationale.

Nous avons également observé que les agents de surveillance de la voie publique constituent une sorte de prolétariat de la sécurité, et qu'ils sont souvent utilisés pour des taches pour lesquels ils ne sont pas formés. Ainsi, à Nice, le centre de surveillance urbaine, qui regroupe les images collectées par la vidéo-surveillance, emploie des agents peu formés à cette tâche, et qui n'ont pas de statut bien défini. Alors qu'ils ont été recrutés pour la surveillance du stationnement, ils sont souvent utilisés de façon beaucoup plus large.

Il nous est donc apparu nécessaire de mettre fin à l'éparpillement des statuts et des compétences des personnels des polices municipales.

Parmi les problèmes que nous avons identifiés, et sans entrer dans les détails, j'évoquerai les sujets suivants : les modalités de recrutement des directeurs ou encore une redéfinition de l'indemnité spéciale de fonction. Nous sommes allés très loin dans notre réflexion sur une meilleure identification de la police municipale, car nous avons posé la question d'un uniforme spécifique permettant de distinguer immédiatement ces agents de la police nationale. Mais cette solution soulèvera trop de réactions pour avoir un avenir.

Par ailleurs, nous préconisons des mesures simples pour répondre à la crise de croissance des effectifs. Il ne s'agit pas de donner plus de pouvoirs aux policiers municipaux mais de leur permettre d'exercer pleinement ceux dont ils disposent. Nous avons constaté qu'il était très difficile pour la police municipale de verbaliser en cas d'infraction à un arrêté de police du maire lorsqu'il n'est pas possible d'infliger une amende forfaitaire. L'agent de police municipale doit alors dresser un vrai procès-verbal. Je pense notamment aux arrêtés du maire pénalisant le citoyen qui sort ses poubelles trois jours avant la date de ramassage des ordures et pollue ainsi visuellement et olfactivement la ville. Nous avons suggéré d'étendre la sphère des amendes sur carnet. Cela ne devrait pas poser beaucoup problème.

Il nous semble également important d'élargir l'accès de la police municipale à certains fichiers. Ainsi les garagistes ont accès à certains fichiers, alors que la police municipale ne dispose pas des autorisations nécessaires pour consulter les mêmes. Actuellement, elle doit s'adresser à la gendarmerie ou au commissariat local. À partir du moment où un agent dispose du droit de constater une infraction, il doit disposer du droit de consulter le fichier correspondant, sous réserve, bien entendu, de la mise en place d'un cadre juridique précis. Par ailleurs, la police municipale, devenue police territoriale, va être sollicitée, dans le cadre de la mise en place des zones de sécurité prioritaires, pour participer à l'oeuvre de sécurité. Or, nous avons constaté que souvent les conventions de coopération entre le maire disposant d'une police municipale et la police nationale ou la gendarmerie sont insuffisamment précises et pas assez synallagmatiques. Il faut notamment fixer avec précision qui fait quoi et dans quel cas une action commune est envisageable. Ces conventions doivent être beaucoup plus élaborées, beaucoup plus réfléchies. Les conventions devront également régler les problèmes de vidéo-protection. En effet, la vidéo-protection est un outil communal auquel a accès, par accord, la police nationale ou la gendarmerie.

Notre rapport n'a pas vocation à tout bouleverser. Son but était de clarifier, de rassurer, de bien distinguer police municipale, police nationale et gendarmerie, et de réunifier le corps municipal du maintien de l'ordre pour lui donner un statut ou, à tout le moins, une existence cohérente.

À la suite de la publication de ce rapport, un débat en séance publique a eu lieu au Sénat, puis avec mon co-rapporteur René Vandierendonck, nous avons rencontré le ministre Manuel Valls, qui s'est montré très intéressé. Pour lui, ce rapport doit avoir une suite. René Vandierendonck et moi avons élaboré une proposition de loi qui est en cours de pré-négociations. Nous en avons parlé avec les services du ministère, nous organisons à nouveau des tables rondes avec les syndicats de police municipale et de gardes champêtres, avec pour objectif le dépôt d'une proposition de loi aboutie. Nous espérons son examen assez rapide. La notion de police territoriale est acceptée par le ministère de l'Intérieur et Manuel Valls s'est montré intéressé par une recomposition du paysage. Enfin, en ce qui concerne l'armement, il s'agit d'une prérogative du maire. Bien évidemment, cela nécessite un encadrement, une délimitation qui se précise dans la convention de négociation. Mais il n'est pas question de désarmer, ni d'armer tout le monde.

M. André Reichardt. - Cette discussion sur la police municipale est un des nombreux exemples où l'on voit l'utilité d'un ancrage local pour les parlementaires. Comment peut-on se prononcer sur un rapport aussi important si l'on n'a pas la connaissance de ce qu'est une police municipale, connaissance que l'on a pu acquérir en en ayant recruté ou géré une.

Ce rapport est l'occasion de confirmer que l'utilisation de la police municipale varie beaucoup d'une commune à l'autre. À mon avis, il est nécessaire, à tout le moins, de s'accorder sur ce que la police municipale peut faire. L'application des textes est très différente suivant les territoires. Deuxièmement, je souhaite insister sur la question de la formation des agents. D'une part, il y a des niveaux de compétence très disparates. Or, la population, à l'exception de quelques initiés, ne fait pas la différence entre la gendarmerie, la police nationale et la police municipale. Elle attend le même niveau de formation et la même capacité de réponse par les agents de ces trois entités.

La question de l'indemnisation des agents est également essentielle. À l'heure actuelle, les agents de la police municipale sont soumis au barème de la fonction publique territoriale, mais des primes supplémentaires peuvent être versées afin de prendre en compte certains critères, comme l'ancienneté. Or, si la commune ne verse pas la totalité des indemnités auxquelles peut prétendre un agent de la police municipale, elle ne le garde pas. Il y a aujourd'hui un tel engouement pour la police municipale et une telle pénurie de policiers municipaux que l'agent n'a aucune difficulté à trouver un poste dans une autre commune. Ainsi, le maire se trouve dans l'obligation de s'aligner sur le taux maximum des primes. Cela représente un vrai souci. Je voulais signaler ce point car, dans la mesure où la commune a investi dans la formation de l'agent, elle souhaiterait pouvoir le garder pendant quelques années.

M. François Pillet, rapporteur. - Dans vos propos, on reconnaît l'élu local qui connait bien ces questions.

À propos de la vidéo-surveillance, prenons l'exemple de Nice : toutes les voitures sont coordonnées et, dans les deux minutes, la police municipale est la première arrivée sur place pour assurer la sécurité et la tranquillité. Sur quel fondement ? Celui de l'article 40 du code pénal, qui permet à n'importe quel citoyen d'intervenir en cas de flagrant délit sur la voie publique. C'est bien sûr une vision schématique, car à Nice, Evry ou Dijon, il y a également des brigades spécialisées dans l'accueil des victimes ou dans la prévention dans les quartiers.

En ce qui concerne la formation, vous avez tout à fait raison et le rapport insiste sur l'idée d'une obligation triennale de formation continue, sur la nécessité impérative d'indiquer la formation de base au procureur et au préfet avant la décision d'agrément, ou encore sur le besoin de densification de l'offre régionale du CNFPT, notamment en matière de procédure pénale. Vous avez raison : le marché de l'emploi est tel qu'il est difficile de conserver des agents sans leur accorder le salaire maximal. Que voulez-vous ? C'est un secteur en plein développement : en prenant en compte l'ensemble des agents, y compris les agents de la Ville de Paris, les gardes champêtres, les agents de surveillance de la voie publique (ASVP), vous dépassez les 27 000 soit 10% de l'effectif de la police nationale et de la gendarmerie nationale confondues. Ce n'est pas rien !

M. François Grosdidier. - Oui, il y a une immense diversité des polices municipales et évitons d'aller trop loin dans la volonté de les uniformiser. Ce qui fait l'intérêt de ces polices, c'est précisément qu'elles sont différentes de la police nationale et qu'elles permettent aux élus de répondre à une demande sociale particulière. La création d'une police est une question de priorité. Je suis maire d'une commune populaire qui a plus de policiers municipaux et de caméras de vidéo-protection par habitant que Nice, parce qu'à un moment toute action était vaine si les problèmes de sécurité n'étaient pas résolus. En revanche, les besoins d'une commune de banlieue ne sont pas ceux de la ville-centre, où se posent d'abord des problèmes de régulation de la circulation et du stationnement, ni ceux d'une station balnéaire ou d'une station de ski. Gardons-nous d'une vision trop jacobine là où il faut, au contraire, des polices qui correspondent à la diversité des territoires et des besoins. Heureusement que la décentralisation est là pour répondre avec finesse à la demande sociale. La distinction entre la police municipale et les gardes champêtres est aberrante et souvent complètement artificielle. Nos gardes champêtres ne sont plus ceux de la IIIe République, époque où les polices urbaines de la police nationale étaient sous l'autorité du maire. Rappelons-le à ceux qui doutent de la capacité des maires à exercer des responsabilités dans ce domaine. Rappelons leur aussi que l'étatisation de la police nationale a été décidée par...le maréchal Pétain. Il ne s'agit pas de revenir à la municipalisation des polices urbaines, mais de comprendre que les polices municipales peuvent avoir des missions différentes, sur des terrains différents, répondant à des demandes différentes, justifiant dès lors une formation différente, de même qu'un équipement ou un armement différents. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce constat, même si j'ai un peu peur que l'on ne propose une vision unique de la police municipale.

M. François Pillet, rapporteur. - Je vous rassure sur ce point : ayant parfaitement conscience de la diversité des besoins, nous insistons beaucoup sur la préservation des pouvoirs du maire, indispensables à l'exercice de ses responsabilités.

M. François Grosdidier. - Ces responsabilités sont immenses. J'ai pu le mesurer lorsqu'ayant dans un premier temps équipé mes agents d'armes non létales, je leur ai ensuite autorisé le port d'armes à feux. Il faut avoir une confiance absolument totale dans ses agents ; il n'y a pas plus lourde responsabilité qu'un maire puisse prendre ; cela ne se fait jamais à la légère.

M. François Pillet, rapporteur. - Bien qu'éprouvant le besoin d'une police municipale, certaines zones pouvaient en être privées pour des raisons financières. Sur ce point, le rapport revient sur des expériences de polices intercommunales reposant non pas sur des délégations à la communauté mais sur une mutualisation de moyens. Cette formule est mise en oeuvre sur les pistes d'un aéroport parisien avec beaucoup d'efficacité.

M. François Grosdidier. - S'agissant du nom de cette police, mes agents préfèreraient qu'elle s'appelle police territoriale. Outre qu'il aurait une portée plus large, ce terme serait plus valorisant pour les agents. Il pourrait, en revanche, être problématique pour les services de l'Etat qui utilisent parfois eux aussi l'adjectif « territorial ». Elle pourrait aussi renvoyer de façon moins évidente aux pouvoirs de police des maires.

En matière d'intercommunalité, je souhaiterais que l'on aille plus loin. Ayant tout expérimenté, je ne recommande pas de transfert massif des compétences, parce que la police municipale doit s'appuyer sur la relation de proximité qui unit la population à son maire et non à un EPCI. Même si cela peut être compliqué au plan réglementaire, nous avons besoin de souplesse pour adapter cette police territoriale au contexte local. Il faut faciliter les conventions ou éventuellement la création d'une police des transports au sein des EPCI ; beaucoup de formules pourraient être envisagées.

J'appelle à la vigilance à propos de l'uniforme. Lorsque je suis arrivé en 2001 comme représentant de l'Association des maires de France à la commission nationale des polices municipales, le gouvernement Jospin avait préparé un décret selon lequel les policiers municipaux ne seraient plus habillés en bleu mais dans un vert très proche de celui des agents chargés du ramassage des ordures ménagères... En France, la couleur de l'autorité est le bleu. Est-il absolument essentiel que le citoyen distingue un policier municipal d'un policier national, d'un gendarme ou d'un douanier ? L'important est qu'il voie l'autorité et que l'autorité elle-même sache régler le problème. En outre, il faut qu'au sein de l'autorité, chacun sache où s'arrêtent ses prérogatives et où commencent celles des autres. Il importe en effet que les policiers municipaux n'outrepassent pas leurs missions, même s'ils peuvent quasiment tout faire en s'appuyant sur le code de la route ou sur l'article 40. Cela ne fonctionne que si police municipale et police nationale travaillent en symbiose, c'est-à-dire si la police municipale fait ce qu'elle doit sous le contrôle de l'OPJ et en référant à lui. Là est la règle de base, plus que de savoir qui répond à la demande de l'administré en détresse.

Cela pose les problèmes de l'encadrement et de la formation que vous évoquez. Pour assurer la formation initiale de mes agents municipaux, j'ai recruté un formateur de la police nationale qui partait à la retraite ; il intervient aujourd'hui dans le cadre de la formation continue. Il faut aussi reconnaître qu'en une décennie le CNFPT a énormément progressé dans la formation des policiers municipaux. Vous pointez le problème du sous-encadrement, qui est réel : il y a quasiment moins de cadres A et de cadres B dans les policiers municipaux que dans les services techniques ou les services espaces verts !

La vidéo est extrêmement utile et le débat à propos de la caméra qui remplacerait l'homme est un faux débat. C'est la caméra qui permet d'optimiser l'emploi des agents, sous le contrôle particulièrement serré de l'autorité judiciaire.

Votre rapport a bien identifié le problème de l'accès aux fichiers : les policiers municipaux ne peuvent pas contrôler les identités alors que les caissières de supermarché le peuvent ! Il en est de même pour l'immatriculation des véhicules. Il y a aussi des complications procédurales en matière de rédaction de procès-verbaux dans le cadre de l'application des arrêtés municipaux. Par exemple, dans le cas d'une interdiction de l'usage d'une aire de jeux après 22 heures, les contrevenants une fois verbalisés doivent être convoqués par l'OPJ, c'est-à-dire par la police nationale, qui a vraiment autre chose à faire. J'espère qu'une proposition de loi permettra, outre l'instauration d'un statut de police territoriale, de régler ce type de questions qui gênent la police municipale et encombrent la police nationale. Les solutions que vous proposez permettraient de rendre les choses plus simples.

M. François Pillet, rapporteur. - Je crains que ce point précis ne relève du pouvoir règlementaire.

M. François Grosdidier. - Alors espérons que vous parviendrez à convaincre l'exécutif.

M. Georges Labazée. - Je voudrais faire part d'une réflexion sur les conditions de recrutement de ces personnels. Il ne faut pas se le cacher, quelle que soit notre appartenance politique, il peut arriver que l'on ait au départ affaire à des embauches « de complaisance ». Une fois les personnels recrutés, ils veulent monter en grade, gagner des échelons.

Je voudrais poser la question suivante. Sur notre territoire, les services départementaux d'incendie et de secours sont maintenant, depuis un certain nombre d'années, bien structurés, même s'il y a encore trop de colonels et de généraux chez les sapeurs-pompiers. Ces services sont bien structurés en matière de formation, de recrutement, de tests de sélection. Pourquoi ne pas transposer ce modèle départemental à nos polices municipales ? On se posait beaucoup de questions sur le recrutement, la formation, le positionnement, la hiérarchisation, les avancements, les salaires : je ne veux pas faire de « copier-coller », mais aujourd'hui les sapeurs-pompiers ont une organisation cohérente sur l'ensemble du territoire français.

Cela pourrait-il, sous certains aspects, inspirer une meilleure organisation des polices municipales ?

M. François Pillet, rapporteur. - Cette approche est personnelle mais novatrice et un peu bouleversante. Pour y répondre, je retracerai schématiquement l'évolution. Il y a vingt ans, à la sortie des écoles maternelles, il y avait des gendarmes. Peu de temps après, il y a eu des policiers municipaux, puis des ASVP, et maintenant il y a des « papis et mamies trafic ». Du moment que l'on estime qu'il faut réorganiser tout cela, il faut d'abord une formation précise, qui exclut à mon sens l'embauche d'un employé de voirie simplement parce qu'il ne doit pas passer par le centre de gestion et qu'il n'a pas le concours à passer. Il faut exclure ce raisonnement. Ensuite, tout est question d'organisation et de hiérarchisation des services. Encore une fois, il est impossible de faire la même chose dans une police municipale où il y a 3, 20 ou 100 personnes.

En revanche, nous prévoyons dans notre projet de « ré-intéresser » à la progression de la grille. Vous voyez d'ailleurs arriver, dans certaines polices municipales, des directeurs soit de la police nationale soit de la gendarmerie, quand tombe la première part de retraite.

On commence donc à voir une hiérarchisation. L'exemple des pompiers est tout à fait convaincant ; la hiérarchie y fonctionne très bien. Mais il est très difficile, en particulier dans les services avec deux policiers municipaux, d'avoir une hiérarchie prononcée. L'important est d'avoir des personnels extrêmement bien formés, car ils ne surveillent plus les sorties des maternelles.

M. André Reichardt. - Je voudrais vous interroger sur la suite qui sera donnée à ce rapport mais ; auparavant, je souhaite que l'on s'interroge ensemble sur le rôle du maire en matière de sécurité dans la commune. Il y a une multitude de types de polices municipales. J'ai quand même le sentiment que le maire qui pense police municipale répond à un besoin de sécurité dans sa commune, sauf dérives éventuelles comme celles évoquées précédemment par Georges Labazée. Lorsqu'on parle de sécurité, on peut parler de sorties d'écoles, de risques d'accidents automobiles, voire d'enlèvements ou autres.

J'aimerais que l'on puisse un jour se demander quelle est la véritable responsabilité du maire en matière de sécurité dans sa commune. Les textes lui donnent une responsabilité très forte à laquelle il n'a pas vraiment les moyens de faire face.

Je dois régulièrement « batailler » avec la brigade de gendarmerie, qui se trouve à 5 kilomètres de ma commune, simplement pour qu'elle me tienne informé de ce qui s'est passé la veille, la nuit, dans ma commune. J'ai découvert plusieurs fois le matin, dans la presse, que la gendarmerie était dans ma commune la veille, et je n'en savais rien. C'est une commune de 8 000 habitants, donc à échelle humaine. Naturellement, mes concitoyens m'interrogent sur ce qui s'est produit la veille, me disent que je suis responsable, alors que je ne suis pas informé.

À de nombreuses reprises, également, des habitants déplorent des nuisances sonores le soir et la nuit, au pied des immeubles ou dans des parcs. Le lendemain matin, les gens viennent me demander ce qui est fait. Je voudrais agir, mais je ne suis pas informé. Les gens téléphonent à la police municipale, qui est fermée le soir et la nuit. Ils téléphonent à la gendarmerie, qui envoie une patrouille, mais celle-ci est trop loin et arrive trop tard. Quelle est donc la responsabilité effective du maire dans sa commune ?

Je voudrais donc profiter de cette interrogation sur la police municipale pour la resituer dans le cadre plus global des problèmes de sécurité dans la commune. Qui a la responsabilité de quoi ?

À nouveau, j'ai d'excellents contacts avec la gendarmerie, qui fait ce qu'elle peut, mais j'ai des difficultés à obtenir des informations et des réponses de sa part. Lorsque j'ai commencé à exercer ma fonction, les gendarmes étaient 16 dans la brigade, ils sont aujourd'hui 36. Et pourtant cela ne suffit pas, ils ont toujours des problèmes.

En répondant à la question de la responsabilité, on rendrait un véritable service aux maires, au-delà du constat sur la police municipale. C'est une interrogation que j'ai mais que d'autres avaient avant moi.

M. François Pillet, rapporteur. - Tout d'abord, il est hors de question de porter atteinte à une prérogative du maire, quelle qu'elle soit. Ensuite, il faut mettre à jour les dispositions du code général des collectivités territoriales définissant le pouvoir de police du maire. Il faudrait clarifier et synthétiser les textes. Par ailleurs, pour répondre plus directement à la question, je dirais que les conventions que j'ai mentionnées tout à l'heure devraient permettre de définir plus précisément les responsabilités du maire et celles des services de police ou de gendarmerie.

Pour le reste, nous avons déposé une proposition de loi. Le contenu de celle-ci est certes un peu frustrant, dans la mesure où une grande partie des problèmes à résoudre relève du pouvoir réglementaire, et c'est pourquoi nous poursuivons la sensibilisation de l'ensemble des acteurs intéressés.

M. Edmond Hervé. - La police territoriale est un phénomène incontournable. Il faudrait que la question du rapport entre la police territoriale et la police nationale soit évoquée dans le pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. En outre, compte tenu de l'évidente diversité des situations, la nécessité d'une convention entre le préfet et le maire est incontournable.

Quand j'étais maire, j'ai perdu de nombreux policiers municipaux que je recrutais, que je formais, et qui s'en allaient ensuite - pas nécessairement pour des raisons de rémunération - exercer dans des petites communes.

Ce qui me semble très important par ailleurs est la question des centres de surveillance, dont les modalités de fonctionnement nécessitent une éthique exemplaire.

M. Stéphane Mazars. - Avez-vous rencontré des parquetiers ? Comment les procureurs vivent-ils la montée en puissance des polices municipales ? Voient-ils celles-ci comme un outil de la lutte contre l'insécurité ?

M. François Pillet, rapporteur. - Cela dépend des procureurs, qui accordent l'agrément, des maires et aussi des situations de terrain.

M. Antoine Lefèvre. Nous avons plusieurs fois évoqué les problèmes d'information des maires. Dans le département de l'Aisne, nous avons mis en place, au niveau de l'association des maires, une convention avec les services de police et de gendarmerie. À compter du printemps 2014, un système d'alerte par SMS permettra aux maires d'être avertis des problèmes survenant dans leur commune. Les nouvelles technologies permettent ainsi de remettre les maires au coeur de leurs compétences en matière de police et, à tout le moins, d'avoir accès à l'information nécessaire.