COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mercredi 6 novembre 2013

- Présidence de Mme Catherine Lemorton, député -

Commission mixte paritaire sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites

La commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 6 novembre 2013.

Le Bureau de la commission a été ainsi constitué :

Mme Catherine Lemorton, députée, présidente ;

Mme Annie David, sénatrice, vice-présidente.

Puis ont été désignés :

M. Michel Issindou, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

Mme Christiane Demontès, rapporteure pour le Sénat.

Mme Catherine Lemorton, présidente. - Le texte sur lequel nous nous réunissons en commission mixte paritaire a été adopté par l'Assemblée nationale le 15 octobre et rejeté par le Sénat, hier, le 5 novembre.

Comme toutes les commissions mixtes paritaires, celle-ci a pour but d'essayer de dégager un texte commun entre nos deux assemblées. Considérant le débat au Sénat, qui a abouti au rejet du texte, cet objectif me paraît impossible à atteindre tant les positions sont dissemblables. Je pense que nos rapporteurs nous le confirmeront.

Je vais maintenant donner la parole à Mme David, puis à Mme Demontès, afin qu'elles nous présentent la situation après le débat au Sénat, puis à M. Issindou qui nous dira quelle est sa position.

Mme Annie David, vice-présidente. - Je laisse la parole aux deux rapporteurs. La rapporteure du Sénat expliquera sans doute les divergences apparues lors de l'examen par le Sénat qui rendent un accord sur le texte difficile.

Mme Christiane Demontès, rapporteure pour le Sénat. - Comme vous le savez, le Sénat a rejeté hier soir le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

Je souhaiterais revenir brièvement sur le résultat de nos discussions en séance. Celles-ci ont porté sur le texte dans sa rédaction issue de l'examen en première lecture par l'Assemblée nationale.

Lors de sa réunion d'examen du texte, la commission des affaires sociales du Sénat avait en effet voté contre le texte résultant de ses propres délibérations.

Les discussions en séance ont conduit à la suppression de 10 articles, à l'adoption de 27 articles conformes et de 15 articles modifiés ainsi qu'au vote de huit articles additionnels.

Des articles clés de la réforme ont été supprimés, parmi lesquels l'intégralité des mesures de financement : l'article 2, relatif à l'allongement de la durée d'assurance requise pour l'obtention d'une retraite à taux plein ; l'article 4 qui reporte de six mois la date de revalorisation annuelle des pensions ; l'article 3 qui instaure un nouveau mécanisme de pilotage annuel du système.

De nombreuses mesures d'équité et d'amélioration de la gouvernance ont également été rejetées, parmi lesquelles la création du compte personnel de prévention de la pénibilité à l'article 6, la mise en place d'une aide forfaitaire au rachat d'années d'études par l'article 16, ou encore la modernisation de l'organisation de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) à travers l'article 32.

En revanche, plusieurs mesures de justice ont fait l'objet d'un vote conforme : l'abaissement du seuil de validation des trimestres d'assurance vieillesse dans le régime général et les régimes alignés, à l'article 14, le rapport sur la préparation de la réforme des avantages familiaux de retraite à l'article 13, l'assouplissement du dispositif de la retraite progressive à l'article 11, l'élargissement du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue, à l'article 15 et l'ensemble des mesures en faveur des retraités agricoles, aux articles 20 à 22.

Parmi les articles modifiés, figure comme vous le savez l'article 1er, amendé, contre l'avis de la commission, pour prévoir les conditions de la mise en place d'une réforme systémique à compter de 2017.

Mais je pense aussi à l'article 27 qui crée l'Union des institutions et services de retraite (UISR). Le Sénat a adopté un amendement que je lui avais proposé, précisant l'organisation de ce nouveau GIP afin qu'il soit piloté par un « comité exécutif ».

Mentionnons également l'adoption d'un amendement visant à supprimer le jury citoyen censé être associé au comité de suivi des retraites de l'article 3.

Au total, vous le voyez, les discussions ont débouché sur un texte hybride, amputé des mesures phares de la réforme. Entièrement dénaturé, il n'avait plus aucune cohérence d'ensemble.

Pour des raisons différentes selon les formations politiques - et peut-être mêmes contradictoires -, ce texte a été rejeté à l'unanimité des suffrages exprimés.

Dans ces conditions et compte tenu des points de vue divergents exprimés par nos collègues de l'opposition et certains groupes de la majorité sénatoriale, il me semble malheureusement impossible que notre CMP parvienne à l'élaboration d'un texte qui pourrait recueillir un accord dans chacune de nos deux assemblées.

Je le regrette évidemment car, comme j'ai eu l'occasion de le souligner à de nombreuses reprises, ce projet de loi répond au double impératif de financement et de justice nécessaire à la sauvegarde de notre système de retraite.

M. Michel Issindou, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cette commission mixte paritaire se réunit à la suite du rejet par le Sénat du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites. Je regrette cette décision. Elle prive le texte des enrichissements que les députés auraient naturellement retenus.

Je crois pourtant qu'il s'agit d'un texte majeur, qui apporte des réponses courageuses et indispensables à la pérennité de notre système de retraites par répartition.

La réforme proposée met à contribution l'ensemble des citoyens - actifs, employeurs et retraités - sur la base d'efforts équitablement répartis. Il prévoit tout d'abord l'augmentation progressive des cotisations de retraites pour les salariés comme pour les employeurs, sur quatre ans. Elle représentera un effort progressif de 0,3 point sur quatre ans.

À moyen et long termes, le projet de loi prévoit également l'allongement de la durée de cotisation. À partir de 2020 et jusqu'en 2035, la durée légale permettant de liquider sa retraite à taux plein augmentera d'un trimestre par an, pour la porter à 43 annuités.

Le projet de loi prévoit le report du 1er avril au 1er octobre de la date annuelle de revalorisation des pensions de retraite. Cette mesure permet de faire contribuer l'ensemble des retraités à l'effort commun et générera, pour l'ensemble des régimes de retraite de base, une économie de 800 millions d'euros en 2014 et de 1,9 milliard d'euros en 2020.

Ces efforts nécessaires à la pérennité de notre système sont d'autant mieux compris que, pour la première fois, un projet de réforme des retraites repose sur un équilibre juste entre les efforts de financement et les mesures de justice.

Disposition phare de ces mesures de justice, le projet de loi organise une véritable prise en compte de la pénibilité au travail. Les salariés qui y sont exposés disposeront d'un compte personnel de prévention de la pénibilité qui sera alimenté en points chaque trimestre. Ces points correspondront à des droits qu'ils pourront liquider, soit pour bénéficier d'une formation leur permettant de se réorienter professionnellement, soit pour bénéficier d'un temps partiel, en cours de carrière, soit pour partir plus tôt à la retraite.

La mise en oeuvre de cette mesure reposera sur un dialogue entre partenaires sociaux et pouvoirs publics, ce qui constitue, je le crois, un gage d'appropriation et de succès d'un dispositif novateur que nous sommes particulièrement fiers de porter.

Le projet de loi comporte également des dispositions tendant à améliorer la situation des femmes, avec notamment une meilleure prise en compte des trimestres d'interruption au titre des congés de maternité et l'amélioration des conditions de validation des trimestres pour les petits temps partiels.

La situation des jeunes a aussi fait l'objet de notre constante préoccupation. Le projet de loi leur permet de racheter des trimestres d'études dans des conditions attractives. Comme souhaité par notre commission, des avancées ont été retenues pour valider les périodes d'apprentissage comme les périodes de stages conventionnés.

J'aimerais également souligner l'effort pour atténuer les conséquences sur la retraite des carrières heurtées, avec notamment l'extension de la validation des périodes de formation professionnelle et du chômage non indemnisé et l'élargissement des trimestres pris en compte pour le bénéfice d'un départ anticipé pour carrière longue.

Le projet de loi améliore aussi significativement les retraites agricoles et valorise la situation des conjoints-collaborateurs et des aidants familiaux, pour les agriculteurs comme pour les artisans et indépendants.

Les personnes handicapées bénéficieront également d'avancées.

Le projet de loi vient enfin améliorer la gouvernance de notre système avec la création d'un comité de suivi des retraites qui aura la capacité de suivre en permanence l'évolution de notre système de retraite par répartition. C'est également tout l'intérêt du groupement d'intérêt public qui devrait fusionner les régimes dits privés et qui permettrait de disposer d'un guichet unique et d'un simulateur pour mieux informer nos concitoyens proches de la retraite.

En conclusion, si la commission mixte paritaire venait à échouer, ce qui semble malheureusement le cas, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale s'attachera à retenir le plus possible les améliorations et compléments que le Sénat aurait pu apporter au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites s'il avait été en mesure d'adopter ce texte en séance publique. Je regrette cependant que le texte adopté par l'Assemblée nationale n'ait pas eu l'assentiment du Sénat : la commission mixte paritaire eût été utile et positive si elle avait eu pour objet de trouver un accord sur quelques divergences, mais les différences sont trop grandes et rendent malheureusement cet exercice vain.

M. Arnaud Robinet, député. - L'issue du vote intervenu au Sénat n'est pas surprenante ! Il s'agit de la suite logique des péripéties intervenues à l'Assemblée nationale. En effet, l'adoption du texte par l'Assemblée n'a été acquise qu'à quelques voix d'écart. Je rappelle également que l'article 4 a été rejeté, en première délibération, ce qui témoigne de la fragilité de la majorité parlementaire. Cet article touchait en effet au pouvoir d'achat des retraités puisqu'il visait à décaler de six mois, du 1er avril au 1er octobre, la date de revalorisation annuelle des pensions de retraite de tous les régimes de base. À l'évidence, le texte a mal été préparé, en dépit des annonces répétées sur la large concertation qui aurait précédé son dépôt. Cette situation explique le malaise dans lequel se trouve aujourd'hui la majorité.

J'ajoute, au surplus, que ce texte ne répond pas plus aux enjeux essentiels.

Le premier enjeu consiste à sauver le système de retraite par répartition dont le besoin de financement s'élève aujourd'hui à 20 milliards d'euros. J'en profite pour rappeler que, contrairement à ce que l'on entend notre groupe n'a jamais souhaité la disparition du système par répartition. Au contraire, si la précédente majorité à laquelle j'appartenais n'avait pas engagé de réforme, ce ne serait pas un besoin de 20 milliards d'euros qu'il faudrait aujourd'hui combler mais de 50 milliards. Or, le texte déposé par le Gouvernement ne couvrait qu'un tiers du déficit à couvrir, soit 7 milliards.

Le second enjeu tient à la fiabilité et l'exhaustivité de l'étude d'impact. Les parlementaires sont en droit de posséder tous les éléments indispensables à l'appréciation des mesures portées par le texte. Or, l'étude d'impact jointe au projet de loi ne comportait aucune comparaison internationale. Pire, elle ne précisait aucunement les coûts induits par les mesures phares du projet. Si notre groupe n'est pas opposé, par principe, aux évolutions touchant à la pénibilité, la situation des femmes ou à l'épineux enjeu des « polypensionnés », il n'en demeure pas moins inquiet quant à l'absence d'assurances portant sur le financement de ces mesures.

Mme Catherine Lemorton, présidente. - Les propos que vous avez tenus sur les conditions du rejet, en première délibération, de l'article 4 ne sont pas exacts ! Le vote est intervenu après une importante série de scrutins publics portant sur des amendements déposés par des membres de votre groupe. Emportés par le feu de l'action, les membres de la majorité parlementaire ont malencontreusement voté contre au moment de la mise aux voix de l'article. Je regrette cette situation mais je ne peux vous laisser affirmer que l'unité au sein du groupe majoritaire a fait défaut !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, sénateur. - Tous les groupes parlementaires du Sénat souhaitent sauver le système de retraite par répartition. À cet égard, nous avons fait preuve d'un esprit de responsabilité en introduisant des dispositions clés. Nous avons tout d'abord adopté un amendement tendant à mettre en oeuvre un système de retraite par points, rejoignant ainsi la position de syndicats réformistes, comme la CFDT, et du patronat. Le texte a également été amendé pour répondre à des situations sociales fragiles. Je pense ainsi au rapport demandé au Gouvernement sur les modalités d'une hausse de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) pour la porter à un niveau égal à 75 % du SMIC. Je regrette cependant qu'aucun accord ne soit intervenu sur la question de la pénibilité pour laquelle mon groupe avait déjà formulé des propositions en 2010. Nous sommes attachés à l'existence d'un système par répartition juste, universel et équitable. Je crains que, dans sa volonté d'aboutir rapidement, l'Assemblée nationale ne reprenne pas à son compte les avancées introduites par le Sénat.

M. Pascal Terrasse, député. - Que s'est-il passé à l'Assemblée nationale ? Rien de nouveau ! Les positions des groupes parlementaires étaient connues d'avance. S'agissant de la majorité parlementaire, les radicaux et les écologistes avaient déclaré qu'ils s'abstiendraient. Le groupe GDR avait fait savoir qu'il était résolument opposé à son adoption. Au Sénat, cette configuration politique s'est reproduite. Il est donc inutile de s'interroger sur de prétendus vacillements ou un quelconque malaise au sein de la majorité.

Sur le fond, je souhaiterais souligner que la majorité a pris ses responsabilités. J'avais déjà pris la mesure de l'enjeu alors que j'étais porte-parole du candidat François Hollande, en déclarant qu'il n'était pas envisageable de revenir sur la question de la retraite à 62 ans.

Par ailleurs, la majorité a une connaissance réelle de la situation dans laquelle se trouve le pays et des problèmes économiques et sociaux auxquels il est confronté. En responsabilité, le groupe majoritaire a souhaité apporter des réponses sociales. J'aurais aimé entendre des propositions alternatives de la part de mes collègues de l'opposition mais je dois avouer qu'ils sont trop occupés à courir après Marine Le Pen.

M. Christian Paul, député. - Ce texte répond à deux objectifs. Tout d'abord, il vise à sécuriser le régime général de retraites. L'enjeu consiste également à ne pas renoncer, sous prétexte de crises, à des avancées pour les salariés, comme la prise en compte, à grande échelle, de la pénibilité au travail. La majorité souhaite maintenir l'essentiel du dispositif adopté en première lecture par l'Assemblée nationale et travaillera de concert avec ses collègues sénateurs du groupe majoritaire pour y parvenir.

M. Claude Domeizel, sénateur. - Les sénateurs ont abondamment travaillé sur ce texte. Toutefois, le groupe socialiste ne pouvait décemment pas adopter un texte dénaturé au fil des discussions et ayant perdu l'essentiel de son dispositif, notamment les éléments clés portés par les articles 2, 3, 4 et 6. Je ne peux que souhaiter que les amendements déposés par le groupe Socialiste, républicain et citoyen de l'Assemblée nationale permettent de rétablir les dispositions phares de ce projet.

M. Jean-François Husson, sénateur. - Je tenais à évoquer le résultat du scrutin public portant sur l'ensemble du projet de loi : 346 votants, 346 suffrages exprimés et 346 voix contre. Ce rejet massif recouvre certes des motivations variées mais cette convergence est le signe que le texte n'a pas été suffisamment préparé en amont. Je ne peux qu'inciter mes collègues de l'Assemblée à prendre connaissance du contenu des débats sénatoriaux et à se saisir des propositions émises à cette occasion. Ce texte était à l'évidence mal préparé. J'en appelle à la vigilance de toutes les parties prenantes. Ne mésestimons pas les conséquences que son adoption, en l'état, pourrait entraîner chez nos concitoyens. La situation est grave.

Mme Catherine Deroche, sénatrice. - Il me semble nécessaire de se pencher sur le fond de ce texte pour expliquer son rejet. Concernant, par exemple, l'article 6 portant sur la pénibilité, c'est bien ses modalités de mise en oeuvre que nous avons critiquées. Le rejet de l'article 32 a largement dépassé les seuls bancs de l'opposition.

Aujourd'hui, il faut écouter les raisons profondes ayant motivé le rejet du texte avec d'autant plus de soin que nous sommes dans une procédure accélérée.

M. Dominique Tian, député. - Le Gouvernement a-t-il éclairé nos collègues sénateurs sur la façon dont il entend compenser la moindre perception de recettes de 600 millions d'euros due au changement de position du parti socialiste sur la fiscalisation des assurances-vie, PEL et PEA ?

Mme Catherine Lemorton, présidente. - Cette question est intéressante mais elle ne correspond pas à l'objet de la CMP.

Je constate qu'il n'y a aucune chance en l'état d'adopter un texte commun. Avec l'aval de la présidente Annie David, je constate donc l'échec de cette CMP.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion du projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.