Mardi 22 octobre 2013

- Présidence de Mme Jacqueline Gourault, présidente -

Examen du rapport d'information « Le secteur public ferroviaire et les collectivités territoriales », de M. Edmond Hervé

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Mes chers collègues, je vous remercie de votre présence. Je voudrais, avant de passer la parole à notre collègue Edmond Hervé, accueillir M. Jean-Pierre Vial, qui rejoint la délégation en remplacement de M. Pierre Hérisson. M. Vial m'avait sollicitée à plusieurs reprises au sujet des normes d'accessibilité - je vous proposerai une initiative à cet égard à la fin de la réunion en évoquant nos travaux à venir. Je cède tout de suite la parole à M. Edmond Hervé, pour parler du secteur ferroviaire français et des collectivités territoriales.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Le Sénat va être saisi du projet de loi de réforme ferroviaire. Les sénateurs disposent de très nombreux documents pour alimenter leurs réflexions sur le système ferroviaire français et son devenir. Je me suis permis, dans la première partie des propositions du rapport, d'énumérer les principaux d'entre eux. Bien évidemment, cette liste n'est pas exhaustive.

Par ailleurs, je pense également que nous devrions être capables de dégager des éléments constitutifs d'un consensus. Le premier élément de consensus est, à mon sens, que nous disposons en France d'un système ferroviaire qui a fait ses preuves. La France possède une véritable valeur ajoutée en matière de transports en commun, et j'ai toujours pensé que nous ne la valorisions pas suffisamment à l'étranger. Cela pourrait constituer un point fort de la coopération décentralisée.

Le deuxième élément de consensus porte sur le succès de la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs. Les régions ont investi pour ce réseau, au-delà de leurs compétences, que ce soit par l'achat de matériel ou dans la maintenance. Mais elles ont également contribué, avec d'autres collectivités territoriales, à la construction des lignes TGV dans notre pays. En outre, certaines régions n'ont pas attendu la décentralisation pour s'intéresser de manière très active au ferroviaire. Je voudrais citer le cas de la région Nord-Pas-de-Calais - Michel Delebarre pourrait développer ce point - qui, à la fin des années 1970, en dehors de tout texte de loi, a procédé à un emprunt, qui a ensuite été acheminé vers la SNCF - M. André Chadeau était alors préfet. La SNCF, grâce à cet emprunt, a fait circuler dans la région Nord-Pas-de-Calais des trains et wagons rénovés répondant aux attentes des voyageurs. Je cite cet exemple pour montrer qu'il existe dans notre pays des possibilités et des réalités en matière d'innovation.

Un autre point de consensus est la priorité qui doit être donnée à la conservation et à l'amélioration de l'existant. C'est d'ailleurs l'un des grands axes du rapport Duron, dont nous avons beaucoup parlé dernièrement.

La question de la dette est également importante. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un investissement au bénéfice de la collectivité et du service public. La dette doit intéresser toutes les autorités publiques. J'envie à cet égard l'Allemagne qui, en 1994, a pris à sa charge, par l'intermédiaire de l'État fédéral, la totalité de la dette des chemins de fer. Mais nous ne sommes plus dans cette situation aujourd'hui.

Le contexte est en outre en pleine évolution, tout le monde s'accorde là-dessus. L'une des grandes questions est de savoir si nous assistons aujourd'hui à « la fin de l'âge d'or du TGV », pour reprendre le titre d'un article paru hier dans le journal Le Monde. En effet, la fréquentation des TGV est en recul, les nouvelles lignes sont moins rentables et l'on constate une hausse des coûts d'infrastructure. Que peut-on alors attendre des économies de gestion ? J'ai été très surpris d'apprendre à la lecture de cet article que le directeur de la branche « voyages » de la SNCF a annoncé qu'une très forte réduction avait été réalisée sur les coûts de la production.

En matière de fret, l'on ne peut que constater un déclin. Les autorités de la SNCF ne croient pas au fret au niveau national. Doit-on parler de déclin ou de délaissement ?

Enfin, le dernier élément de consensus, qui n'est toutefois pas perçu par toutes les parties prenantes, est la perspective de l'ouverture à la concurrence, à partir de 2019, du transport régional de voyageurs, sauf à changer les règles européennes. Or, il faut rappeler que la concurrence ne signifie pas l'exclusion de la SNCF, qui a toute autorité pour participer à la mise en concurrence.

Passons maintenant aux résolutions. La première peut apparaître comme une banalité mais, on l'a oublié, l'État doit retrouver sa fonction de stratège et d'autorité organisatrice du système ferroviaire français. Lorsque je parle d'État stratège, cela signifie par exemple que le tracé d'une ligne TGV n'a pas à être déterminé en fonction de la participation ou de la non-participation financière de telle ou telle collectivité territoriale. Il est important qu'il y ait une vision claire de ce que doit être le service public.

Le Parlement doit jouer son rôle de contrôle. J'attends beaucoup du prochain débat parlementaire sur le projet de loi adopté en Conseil des ministres le 16 octobre dernier. Par ailleurs, les collectivités territoriales doivent avoir une représentation dans les instances dirigeantes ferroviaires nationales. La SNCF ne peut être un État dans l'État.

Enfin, dans la période actuelle, tout transfert de charge vers la région est à proscrire, sauf accord de celle-ci ou s'il favorise explicitement le service public régional.

En ce qui concerne les évolutions attendues de la SNCF, on peut citer plusieurs pistes. Tout d'abord, la SNCF doit vivre avec la décentralisation, reconnaître pleinement l'existence et les compétences des autorités organisatrices de transports décentralisées. C'est une question culturelle qui mérite d'être posée. La SNCF doit apporter une réponse et se défaire de sa « culture de domination », cela a souvent été relevé par les personnes auditionnées. J'ai également ressenti l'influence de cette culture dans l'exercice de mes anciennes fonctions de maire et de président de la communauté rennaise.

En outre, la SNCF doit respecter les principes de transparence financière et technique. Les directives européennes y invitent. Je pense à celles du 29 juillet 1991 et du 26 février 2001, mais également à la législation française concernant les comptes d'exploitation conventionnels, les comptes détaillés de ligne, la qualité de service ou encore les conditions d'exploitation du transport. Je trouve stupéfiant qu'il faille insister fortement pour obtenir des comptes de lignes. Celles et ceux qui ont des délégations de transport public dans leurs villes savent ce que je veux dire. Deux régions SNCF sont actuellement en expérimentation : la Bretagne et le Limousin. Dans le cadre de l'expérience bretonne, la SNCF s'est engagée à produire des comptes de lignes. Cela permettra de comparer les coûts et les rentabilités. La transparence technique et financière permettra également d'éclairer un vieux débat : pour les uns, le TGV finance les TER, pour d'autres c'est l'inverse. C'est un débat qui existe, il faudrait y mettre un terme. Je souhaite raconter une anecdote au sujet de cette transparence. La région Limousin éprouvait des difficultés à avoir un décompte exact de la fréquentation des TER, élément impactant directement la comptabilité. Elle a donc mis en place une petite équipe pour comptabiliser la fréquentation quotidienne. Cela a été très mal pris par la SNCF.

Un autre élément très concret et intéressant en matière de transparence financière et technique concerne les travaux de maintenance et d'entretien. Selon certaines personnes auditionnées, les entreprises agréées par la SNCF auraient - et j'utilise bien le conditionnel - des coûts 40% supérieurs à ce qu'ils estimeraient être des coûts normaux.

Par ailleurs, la SNCF doit s'habituer à une certaine simplification. L'organigramme actuel n'est pas le plus simple. Toutes les personnes auditionnées, extérieures à la SNCF, se sont retrouvées pour estimer que le directeur régional de la SNCF devait être une autorité déconcentrée authentique ayant une réelle capacité de coordination. Or ce n'est pas le cas aujourd'hui. Une véritable décentralisation n'est pas possible sans une déconcentration des grandes entreprises. Les autorités décentralisées ont besoin d'un interlocuteur qui dispose d'un réel pouvoir. La question qui se pose est de savoir si les directeurs régionaux sont favorables à cette extension de pouvoir : certains le sont, d'autres moins. Le profil des directeurs régionaux a également son importance. Il est indispensable que le directeur régional ait une compétence en matière de fret régional.

Enfin, la gestion du foncier et de l'immobilier laisse à désirer. La SNCF veut constituer des réserves, ce qui est tout à fait légitime. Mais un meilleur usage de ce foncier est possible et la nécessité de réserves ne doit pas être confondue avec un conservatisme coûteux. De larges possibilités de valorisation existent.

Les évolutions attendues des collectivités territoriales sont également nombreuses. Tout d'abord, la région doit exercer pleinement ses compétences dans le cadre d'un schéma régional établi en concertation. Je ne reviendrais pas sur la définition du chef de file. Nous en avons suffisamment discuté au Sénat. Et je dois dire que la définition du chef de file qu'a proposée le Sénat est une excellente définition, puisqu'elle met l'accent sur la coordination. Toutes les collectivités territoriales autorités organisatrices des transports doivent être associées et y participer. En outre, j'estime que dans le cadre du schéma régional ferroviaire, la région doit définir des orientations dans le fret de proximité. Il y a des expériences, des recherches à mener, en matière de technologie par exemple. Je ne suis pas un expert du wagon isolé, et je ne peux donc me prononcer, mais j'estime qu'il est nécessaire d'étudier cette question. Ce qui est clair, c'est que si on laisse l'organisation du fret régional à la seule SNCF, il n'y aura pas de fret de proximité. Dans cette optique, un dialogue entre la SNCF, RFF et les collectivités doit être instauré. Il doit notamment porter sur la formation des agents. Il y a en effet une perte de connaissance importante que ce soit, par exemple, sur l'assemblage et la recomposition de trains ou en matière d'horaires. En outre, il faut également voir si les infrastructures peuvent être remises en état. En effet il y a des régions où les infrastructures ont été totalement abandonnées.

Par ailleurs, pour faciliter les relations de la SNCF avec les régions, il serait souhaitable que l'ARF exerce une fonction d'expertise conseil, sans monopole, et participe à la reconnaissance de clauses générales susceptibles de se retrouver dans chaque convention SNCF-Région. J'ai été surpris par les différences de prise en charge de la retraite des cheminots. Dans certaines conventions, la région la prend en totalité, dans d'autres la prise en charge en nulle, dans un troisième cas de figure enfin, elle est de 50/50. Je ne sais pas si cela peut faire l'objet d'une clause interrégionale, mais on pourrait au moins essayer de rapprocher les points de vue. Sur ce point, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec le rôle de conseil que doit, selon moi, avoir le département à l'égard des intercommunalités.

Les régions doivent se préparer à la généralisation de la concurrence et prendre les initiatives les plus appropriées pour favoriser le service public. L'Union européenne est fondée sur certains principes : mobilité, libre concurrence. Si certains veulent croire que ce principe de libre concurrence ne s'appliquera pas aux TER, sachons que seul un changement des textes et principes européens peut le permettre. En l'état actuel des choses, la généralisation de la concurrence est devant nous. Il faut s'y préparer. Certains avancent l'idée, qui n'est pas nouvelle car elle date des années 1920-1930, de créer des entreprises régionales ferroviaires. Dans mon rapport, je fais un parallèle entre les avantages attendus de la mise en concurrence et les critiques qu'on peut lui faire. De manière générale, il est important de rappeler que la concurrence n'est pas un dogme, une finalité, mais un moyen pour développer le ferroviaire dans le respect d'un certain nombre de principes. Ces derniers sont d'ailleurs rappelés dans les rapports de nos collègues Yves Krattinger et Roland Ries. Le 10 octobre dernier, un débat au Sénat a porté sur l'organisation du ferroviaire. Lors de celui-ci, notre collègue Michel Teston est intervenu. L'on retrouve un point commun : la concurrence doit être encadrée. Concurrence et péréquation doivent aller de pair. Il faut aussi organiser des lots avec des lignes rentables et des lignes qui le sont moins, car sinon l'on voit tout de suite les conséquences que cela peut avoir. Il est en outre important d'élaborer un cadre social commun qui s'impose à l'ensemble des entreprises ferroviaires, quelles que soient leur nature juridique et leur nationalité. La concurrence ne doit pas pénaliser le contribuable, l'usager et le personnel. Ainsi, lorsqu'un nouvel adjudicataire est nommé il doit, conformément au droit commun, reprendre le personnel en place. À mon avis, les régions auraient intérêt à dialoguer avec les communautés, lesquelles sont habituées, en matière de transports urbains, aux changements d'adjudicataire. De même, je pense que les organisations syndicales des cheminots auraient tout intérêt à dialoguer avec leurs homologues des transports urbains. Nous allons avoir un débat identique à celui que nous avons eu lors du transfert du personnel des collèges. Par ailleurs, je vous invite, sur les perspectives de l'ouverture à la concurrence, à relire le rapport de notre collègue Roland Ries, qui développe la notion d'enchères positives et négatives. Il parle d'une « ouverture constructive à la concurrence ». Je le répète : la concurrence, ce n'est pas la privatisation systématique, ni le déclin du statut social du personnel.

Au-delà du seul thème de l'ouverture à la concurrence, les collectivités territoriales doivent également rechercher la simplification et l'efficacité : promouvoir la maîtrise d'ouvrage unique, les pôles d'échanges multimodaux, l'information intégrée, la billettique unique. Cette dernière n'est pas facile à mettre en oeuvre, elle demande beaucoup de négociations. Je l'ai éprouvée sur le terrain. En Bretagne, nous avons dans un premier temps mis en place au niveau de l'agglomération rennaise une billettique unique qui a été par la suite étendue à l'ensemble de la région.

Il est nécessaire, par ailleurs, de promouvoir la mise en place de comités de coordination de maitrise d'ouvrage en définissant les compétences des présidents.

Les régions doivent également retrouver la pleine propriété des matériels qu'elles ont financés intégralement.

La priorité doit être donnée à la maintenance du réseau (entretien, surveillance, correction des défaillances, renouvellement). Je ne suis pas sûr que la population soit bien conscience de l'état du réseau. C'est aussi l'une des conséquences de l'effet TGV. Les infrastructures de proximité doivent être développées.

Enfin, il est nécessaire de clarifier les modalités de gouvernances des gares, par la mise en place de conseils de gouvernance.

Mon dernier point est d'ordre financier et fiscal. D'une manière générale, dans le contrat de solidarité et de responsabilité entre l'État et les collectivités territoriales, un dispositif particulier est à inscrire en ce qui concerne l'exercice de la compétence « transports » des régions. Plusieurs questions se posent. Quels financements ? Quelle doit être la part de l'État et celle des collectivités ? Quelle doit être la part de l'usager et du contribuable ? De quels contribuables : la personne physique, l'entreprise ?

L'ARF avance l'idée d'un versement transports, avec deux propositions : un versement additionnel à celui qui existe déjà, ou bien la mise en place d'un versement transport interstitiel. En effet, il existe aujourd'hui une inégalité entre les entreprises qui se trouvent au sein d'un périmètre de transport urbain et sont alors soumises à un versement transport, et celles qui se situent en dehors. L'idée d'un versement transports affecté à la région est cohérente, car cela correspond à ses compétences. Toutefois, à titre personnel, dans la conjoncture actuelle la chose me parait difficile à mettre en place. Les choix à faire sont d'ordre politique.

Je suis en revanche favorable à ce que les régions puissent disposer d'une liberté tarifaire, bien entendu en respectant les tarifs sociaux et nationaux.

Je m'interroge aujourd'hui sur l'eurocompatibilité d'une surtaxe locale. Elle avait un avantage : décider localement, elle était affectée à une dépense précise. Elle avait un inconvénient : elle n'était perçue qu'à l'intérieur d'un périmètre déterminé. À l'extérieur de celui-ci, quel que soit le trajet, elle n'était pas prélevée.

Une troisième solution régulièrement avancée porte sur les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il s'agirait de prélever des ressources routières et autoroutières afin de les affecter au ferroviaire. Là encore, il y a une réelle cohérence, environnementale ou technique à promouvoir le ferroviaire.

Voilà, de manière très résumée, mes propositions.

Bien entendu, je n'ai pas évoqué l'attribution de subventions supplémentaires de l'État : cela semble peu réaliste dans la situation actuelle.

M. Jean-Claude Peyronnet. - Je connais assez mal ce domaine. M. Pepy a pu dire que la décentralisation du transport de voyageurs a été un succès. Cependant, en écoutant le rapporteur, j'ai plutôt l'impression que le rôle des régions et des collectivités territoriales est très faible. Est-ce que l'implication de la région s'est seulement traduite par un versement financier ? Dans ce cas, la SNCF ne peut que se réjouir du procédé. Combien cette régionalisation a-t-elle coûté finalement aux régions ? Cela n'est pas sans me rappeler le transfert des personnels des collèges aux collectivités territoriales. En outre, je me demande quel a été l'apport de la séparation entre la SNCF et RFF, mis à part de la confusion et une certaine dilution des responsabilités. Je m'interroge également sur la possibilité d'un allégement de taxe pour les zones enclavées. Il y a une vingtaine d'années, l'Europe avait permis d'alléger le coût de transport pour le fret dans les massifs forestiers français afin de faire face à la concurrence des pays du Nord. Serait-il possible d'envisager de manière générale pour le fret une politique européenne différenciée afin de le promouvoir ?

M. Jean-Pierre Vial. - En ce qui concerne le fret, je plaide également pour que l'État ait un véritable rôle de stratège. Je prendrai en exemple un dossier que je connais bien : la ligne Lyon-Turin. En Italie et en Allemagne, le fret se développe. Ils attendent avec impatience la liaison sud-européenne. Il en est de même avec les Espagnols. Or, on ne retrouve pas du tout cette attitude côté français, notamment à la SNCF ; bien au contraire. Et je trouve cette situation inquiétante. Il se trouve que nous avons amélioré le gabarit du tunnel historique de Cavour, le tunnel de Fréjus-Mont Cenis, en attendant la construction du nouveau tunnel. Cela permet désormais de faire passer l'autoroute ferroviaire alpine. Sur les douze derniers mois, je viens de vérifier les chiffres, la mise en place de ce nouveau gabarit a permis une augmentation de 25% du trafic, alors que l'on connaît l'état du trafic fret en France. Il n'y a pas de raison que le fret fonctionne chez les autres et pas chez nous. Or, le problème est qu'aujourd'hui, la SNCF ne croit plus du tout dans le fret. Elle ne sait plus gérer le wagon isolé, pourtant fondamental pour nos entreprises. Ces dernières nous font d'ailleurs part de leur regret de l'absence de toute péréquation de la part de la SNCF. La SNCF refuse d'appliquer la « doctrine du timbre-poste » et fait payer plus cher une entreprise mal desservie.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Que pouvons-nous attendre de la nomination de notre ancien collègue, M. Alain Le Vern, ancien président de la région Haute-Normandie, en tant que directeur général régions et intercités de la SNCF ?

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Cette nomination est intéressante. On peut penser - je le souhaite - que, du fait de ses anciennes fonctions, il sera sensible à la régionalisation. Mais la SNCF possède une telle capacité d'influence culturelle que les évolutions prennent du temps. Il serait également intéressant d'examiner la porosité entre les structures de l'État, les cabinets ministériels et la SNCF.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Et M. Le Vern aura peut-être plus de travail auprès de la branche régionale que des TGV. Il y a en effet beaucoup à faire.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - En ce qui concerne la déclaration de M. Pepy sur la SNCF et la régionalisation, nous savons qu'il existe des conflits entre la SNCF et les régions - je le mentionne d'ailleurs dans mon rapport. Il s'agit d'une affirmation à caractère diplomatique dont le but est de favoriser les bonnes relations financières entre la SNCF et les régions. Cela permettrait de faciliter certaines évolutions. En effet, il ne faut pas oublier que les régions apportent une contribution financière bien au-delà des TER. Elles ont ainsi été appelées à cofinancer les dernières lignes TGV. Au vu de l'importance de la dette, des montants à investir pour la maintenance et la gestion des lignes, et de la situation financière de l'État, elles continueront à être mises à contribution pour la construction des prochaines lignes. Or, il est important que les collectivités territoriales ne soient pas les seules à être appelées à contribuer. De manière générale, les présidents de région sont satisfaits globalement des nouveaux services et matériels. Nous voyons bien que les nouveaux TER n'ont rien à voir avec les anciennes « michelines ».

Pour répondre à M. Vial, il est indéniable que le fret peut fonctionner, notamment le fret international. Mais des investissements ont été nécessaires pour obtenir ce résultat. Quand je parle du fret régional, je suis convaincu qu'il existe des marges de manoeuvre. Les autorités régionales doivent s'en emparer, car si on laisse la SNCF et Geodis s'en occuper, je ne suis pas sûr que cela progresse. Enfin, je tiens à rappeler que nous avons en France une configuration urbaine, industrielle et portuaire qui est complétement différente de celle de l'Allemagne. Nous ne pouvons pas reprendre ce modèle dans son intégralité.

M. Michel Delebarre. - Je ferai tout d'abord une observation : la mise en place de la régionalisation dans la décennie 1990 a correspondu à une période où la SNCF était affectée par des enjeux internes, à savoir la création de RFF et les rapports avec cette nouvelle entité. Cela a été préjudiciable à la régionalisation, car la SNCF a été en grande partie accaparée par cet enjeu.

Par ailleurs, il n'existe pas d'autorité susceptible de trancher en matière de relations entre la SNCF et les régions. Les régions sont « sous tutelle » de l'État, si vous permettez cette expression, et la SNCF dépend de l'État. Or, aujourd'hui, nous ne savons pas qui va trancher les différends qui sont, d'ores et déjà existants, et vont s'amplifier. Le problème de la gestion des wagons isolés pour le fret est un véritable casse-tête. Faire des trains complets est relativement simple. Mais répondre aux demandes des PME par une gestion habile des wagons isolés est une compétence qui se perd à la SNCF. Or, les wagons isolés sont essentiels pour répondre à la demande de nos PME. Le Conseil d'État n'est pas l'assemblée la plus adapté pour jouer ce rôle d'arbitre, la Cour des comptes non plus. Je suis inquiet, car dans un domaine où les conflits ne vont pas manquer et où une intervention extérieure est nécessaire pour les résoudre, il n'y a pas de régulation possible. Les conflits peuvent être utiles par ailleurs, en permettant de faire avancer les choses.

Enfin, je voudrais évoquer le système ferroviaire dans les ports nationaux, qui a connu une évolution. Des appels d'offres pour l'exploitation de ces activités ont été passés l'année dernière ou il y a deux ans. Et la SNCF ne les a pas tous remportés. À titre d'exemple, dans le port de Dunkerque, la gestion du système ferroviaire a été attribuée à Eurotunnel. Il y aurait des leçons à tirer du changement d'interlocuteur.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Ce qui me surprend c'est, d'une certaine manière, la disparition de l'État. Lorsque l'on évoque l'État stratège, il y a derrière une fonction d'arbitre. Nous devons peut-être réfléchir à la création d'une structure d'arbitrage, même si nous n'y sommes pas habitués culturellement. L'État doit prendre position sur ce point. Pour revenir sur la séparation RFF-SNCF, cette dernière s'est faite à l'invitation pressante de l'autorité européenne afin d'opérer une différenciation comptable. Je pense que le premier résultat a été d'une grande complexité et, de l'avis unanime, d'un coût très élevé. N'oublions pas non plus que la dette de RFF ne fait pas partie de la dette au sens de Maastricht, des fameux 3% de déficit autorisé. Je ne sais ce que sera le résultat du projet de loi de réforme ferroviaire, mais les documents que j'ai pu obtenir sur ce sujet laissent à penser que cette réforme sera très technique.

M. Antoine Lefèvre. - Je souhaite rebondir sur ce que disait M. Delebarre au sujet du wagon isolé, et vous faire part de mon expérience. Je pense que si on veut vraiment améliorer le fret, il faut développer les grandes autoroutes de fret mais surtout déterminer comment irriguer nos régions et nos PME. Il y a d'abord un problème d'organisation. J'ai eu, pour résoudre un problème de wagon isolé, quatre interlocuteurs SNCF différents : un pour les céréales, un autre pour l'agroalimentaire, deux pour les métaux (acier brut et acier transformé). Pour permettre le développement économique des territoires, les zones d'activités intercommunales ou à vocation régionale ont été équipées d'embranchements ferroviaires. Cela a couté cher et n'aurait plus aucun sens si le traitement des wagons isolés disparaissait.

M. Yves Krattinger. - En comparaison de nos voisins, le système ferroviaire français peut gagner en performance. La frontière créée entre SNCF et RFF n'en a pas amélioré l'efficacité. La SNCF s'occupe moins qu'autrefois des wagons isolés, et ces wagons ne sont toujours pas équipés, en 2013, de puces électroniques.

Il y a aussi une question de réalisme : le rapport entre la route et le fer ne va pas s'inverser. La route continue de progresser. On peut seulement songer à stabiliser la part de chacun dans le transport de fret et de voyageurs.

Enfin, les TGV sont là pour relier des métropoles : Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Bordeaux, etc. Il faut des gares intermodales importantes, qui permettent de faire du « quai à quai », sur le modèle suisse. Il n'est pas approprié de faire aboutir une ligne de TGV dans une petite gare. Un TGV plein est rentable, c'est une source de profits, et un TGV aux trois quarts vide devient une source de coûts. Parmi les modes de transport de voyageurs, c'est le TGV qui est le plus proche de la rentabilité, les TER sont beaucoup plus subventionnés. Mais le TGV n'est utile qu'en présence d'un public approprié : des clients pressés, et qui ont les moyens de payer leur billet plus cher. En l'absence d'un tel public, le TGV est inadapté. Mieux vaut alors mettre en place, selon les besoins, un train long, un train court, un TER, un car, un minicar ou même un taxi. Ce principe vaut sur le plan économique comme sur le plan environnemental : déplacer un train presque vide, c'est gaspiller de l'énergie.

Le problème, en définitive, est que les prix pratiqués par la SNCF ne sont pas des prix de marché, d'où les résistances face à l'arrivée de la concurrence en 2019. Je suis d'accord pour l'essentiel avec les propositions du rapport. Il y a besoin, comme l'écrit Edmond Hervé, d'une autorité de régulation. Mais toute réforme semble difficile à mettre en oeuvre.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - La SNCF a considérablement perdu en performance. On constate aujourd'hui que la marge financière du TGV chute, pour différentes raisons, notamment en raison de la crise. Plus on multiplie les lignes de TGV, avec des allongements de ligne et des arrêts, plus on diminue la rentabilité. On a commencé à construire les lignes les plus rentables. Aujourd'hui on a des lignes qui ne sont pas aussi rentables qu'au départ. Il existe un autre phénomène : 50% des gens qui voyageaient en première classe la quittent, c'est un phénomène conjoncturel.

Pour revenir brièvement sur la complexité et le manque de transparence financière de la SNCF, j'ai été frappé d'apprendre, lors des auditions, que lorsque les régions françaises négocient leurs conventions, elles vont chercher des cabinets allemands comme experts.

Enfin, pour répondre à la question du coût pour les régions, elles ont, depuis le début de la régionalisation du transport ferroviaire, financé les TER à hauteur de 30 milliards d'euros.

M. Yves Krattinger. - S'agit-il des régions ou de l'ensemble des collectivités ? Car les départements ont également participé aux dépenses.

M. Edmond Hervé, rapporteur. - Il s'agit uniquement des régions, et uniquement pour le TER.

M. Yves Krattinger. - Concernant ces questions d'organisation du ferroviaire, les Suisses ne conçoivent pas les choses comme nous. Si vous allez dans une petite ville de Suisse, vous avez un changement de mode. Un train qui roule vite s'arrête deux ou trois fois, pas plus, puis un autre train dessert les petites gares, mais le système fonctionne grâce à des transbordements de quai à quai. En France, les trains à grande vitesse vont dans les petites gares.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - La simplification de l'organigramme de la SNCF est une nécessité. Il y a également le problème des TGV qui entrainent la suppression des lignes locales dans un rayon de plusieurs dizaines de kilomètres.

M. Yves Krattinger. - Lorsque l'on souhaite racheter du foncier à la SNCF, on ne rencontre jamais les mêmes interlocuteurs. Dès lors, les négociations s'étirent dans le temps et cela peut durer trois ou quatre ans.

Le rapport est adopté.

Travaux à venir de la Délégation : communication de Mme Jacqueline Gourault

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Je crois utile de faire le point sur nos travaux à venir. Le 5 novembre, nous organisons une table ronde sur la sécurité sociale obligatoire des élus. Pour le12 novembre, nous souhaitons organiser l'audition de Mme Escoffier sur le projet de budget 2014. Le même jour, pour faire suite à l'audition de l'ADF du 1er octobre dernier, je vous proposerai d'autoriser la publication, sous le timbre de la Délégation, du compte-rendu de cette réunion, accompagné d'une courte mise en perspective que je rédigerai. Le 26 novembre, nous auditionnerons la Cour des comptes sur son rapport de juillet dernier sur l'organisation territoriale de l'État.

Par ailleurs, à la suite d'un certain nombre d'entretiens que j'avais eus à ce propos avec M. Vial, j'ai été saisie par le président du groupe UMP d'une demande d'expertise de la Délégation sur l'accessibilité des bâtiments recevant du public. Nous pourrions décider de l'élaboration d'un rapport sur ce sujet, ce qui n'empêchera pas la mise en chantier ultérieure, si des membres de la Délégation se portent candidats, d'autres rapports sur des sujets connexes, tels que l'accessibilité dans les transports. M. Vial pourrait préparer le rapport sur l'accessibilité du bâti en binôme avec un membre du groupe socialiste.

M. Yves Krattinger. - La norme est le signe d'une société développée : il faut des normes, dans tous les domaines, dans une société telle que la nôtre. Ce qui pose problème, c'est le fait que la norme soit la même partout. Je prends l'exemple des bâtiments de basse consommation (BBC) : dans le Midi de la France, il faudrait des dizaines d'années pour amortir l'investissement. Il faut adapter la norme aux territoires. Dans les transports, on ne peut pas traiter de la même façon une zone très urbaine et un territoire rural : les moyens à mettre en place ne sont pas les mêmes. La norme est indispensable, c'est l'uniformité qui pose problème.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - La modulation est précisément l'orientation que nous souhaitons explorer, à la suite de notre réunion avec la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) le 1er octobre dernier.

M. Yves Krattinger. - Il faut aussi inventer un nouveau type de loi, telle que la « loi-cadre territoriale » proposée par la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République. Cette catégorie de loi fixerait des objectifs, ainsi que le périmètre de ce qui doit être décidé localement.

M. Jean-Pierre Vial. - Si nous voulons avancer dans le domaine des normes d'accessibilité, il faut une méthode intelligente et une démarche consensuelle. Il n'est pas question de remettre en cause la loi de 2005 sur l'accessibilité, mais de trouver une méthode permettant d'améliorer son applicabilité en tenant compte de son coût de mise en oeuvre.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - C'est vraiment sur ce point qu'il nous faut travailler. En ce qui concerne nos autres travaux à venir, je propose à Yves Krattinger de venir exposer à la Délégation les conclusions de la mission commune d'information sur l'avenir de l'organisation décentralisée de la République, dont il a été le rapporteur.

M. Yves Krattinger. - Je le ferai très volontiers, en compagnie du président de la mission.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Cela va sans dire. Nous pourrions, par ailleurs, auditionner notre collègue François Pillet, qui vient d'être chargé par le ministre de l'Intérieur d'une mission d'évaluation de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, sur ce thème, ainsi que sur son rapport de septembre 2012 : « De la police municipale à la police territoriale : mieux assurer la tranquillité publique ».

Je note aussi que la Délégation n'a pas encore travaillé sur le thème - important pour les collectivités territoriales - de la petite enfance. Nous pourrions nous intéresser à ce sujet, qui touche différents niveaux de collectivités, et aux relations avec les caisses d'allocations familiales (CAF).

Enfin, en accompagnement de la préparation du rapport d'Hervé Maurey sur le financement des lieux de culte, nous pourrions procéder en Délégation à une ou deux auditions de personnalités significatives.

J'attends naturellement vos propositions sur les nouveaux travaux que nous pourrions programmer début 2014.

M. Yves Krattinger. - La démocratie intercommunale reste à inventer, ce pourrait être un sujet à moyen terme. Le fait est que l'on commence à ressentir sur le terrain des interrogations sur l'intercommunalité.

Mme Jacqueline Gourault, présidente. - Dernier point : Edmond Hervé propose de mettre à jour un travail, qu'il avait réalisé en 2000, consacré à la gestion des temps en collectivités territoriales. Pour illustrer cette problématique, si l'on constate la formation de bouchons réguliers à telle heure sur tel carrefour à sens giratoire menant à telle zone industrielle, faut-il agrandir le giratoire, ou plutôt faire varier les horaires de début du travail dans les entreprises de la zone ?

Je constate l'accord des membres présents sur ces différentes propositions. Je vous remercie.