Mardi 23 juillet 2013

- Présidence de Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente puis de M. Philippe Marini, président -

Consommation - Examen du rapport pour avis

La commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Michèle André, rapporteure pour avis, sur le projet de loi n° 725 (2012-2013) relatif à la consommation.

Mme Marie-France Beaufils, vice-présidente. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi relatif à la consommation, dont notre collègue Michèle André va nous présenter les principaux points intéressant notre commission.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Le projet de loi relatif à la consommation a été adopté par le conseil des ministres le 2 mai dernier et comportait alors soixante-treize articles. Après son examen par l'Assemblée nationale, il en compte désormais cent vingt-huit, répartis en six chapitres relatifs à l'action de groupe, aux droits du consommateur, au crédit et à l'assurance, aux indications géographique, aux pouvoirs de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à des dispositions diverses et transitoires.

L'objet de la loi étant très vaste, et plusieurs commissions étant sollicitées - la commission des affaires économiques, saisie au fond, la commission des lois et la commission du développement durable - j'ai souhaité que notre avis soit strictement limité au domaine de compétence de la commission des finances, soit deux thématiques : le crédit à la consommation et les jeux en ligne, regroupant un total de trente articles.

L'essentiel du rapport pour avis est ainsi consacré au chapitre 3, relatif au crédit et à l'assurance. Plus spécifiquement, je me suis intéressée à la section 1ère de ce chapitre, relative au crédit à la consommation, ainsi qu'à la section 3 qui a été entièrement ajoutée par l'Assemblée nationale et qui concerne la création d'un registre des crédits aux particuliers - connu également sous le nom de « fichier positif ». En revanche, je ne me suis pas penchée sur la section 2, relative à l'assurance, dans la mesure où il s'agissait de mesures portant sur la vie de contrats d'assurances dommages destinés aux particuliers, hors du champ de compétence traditionnel de la commission des finances.

Par ailleurs, notre avis porte également sur le chapitre VI du projet de loi, au sein duquel ont été insérés neuf articles relatifs à la régulation des jeux en ligne.

Tout d'abord, l'Assemblée nationale a considérablement enrichi la section 1 du chapitre 3 consacrée au crédit à la consommation. Le projet de loi initial du Gouvernement se limitait, en la matière, à deux articles de portée réduite qui apportait des ajustements à la loi du 1er juillet 2010, dite loi « Lagarde ». L'article 18 vise à préciser que les prêteurs sont obligés de proposer systématiquement une offre de crédit amortissable alternativement à une offre de crédit renouvelable, au-dessus de 1 000 euros. Cette obligation existe depuis la loi de 2010 mais elle était interprétée de façon trop souple par les établissements. L'article 19 apporte quant à lui des clarifications rédactionnelles.

L'Assemblée nationale, tant en commission qu'en séance publique, a adopté de nombreux amendements portant, pour la plupart, articles additionnels, ce qui a fait passer la section de deux à seize articles dans la version actuelle.

Il s'agit pour l'essentiel de précisions ou d'ajustements qui font suite à la réforme du crédit à la consommation de 2010. En effet, les bilans de l'application de cette loi, dressés par Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier, ainsi que par les parties prenantes dans le cadre du Comité consultatif du secteur financier, ont montré des lacunes et des possibilités de contournement utilisées par les établissements.

Je citerai notamment : un encadrement de la publicité des regroupements de crédits, un élargissement de l'interdiction de mentionner des avantages promotionnels dans une publicité pour un crédit, une pérennisation du comité de suivi de la réforme de l'usure dont fait partie notre collègue Philippe Dominati, ou encore une extension de l'encadrement des cartes dites « liées » aux cartes associant paiement et crédit - cartes dites « double action ».

Ces ajouts sont pour l'essentiel bienvenus : ils viennent corriger et renforcer certains aspects de la loi de 2010, suite aux constats faits par les autorités de contrôle que sont l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et la DGCCRF.

Deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale sont, en revanche, plus fondamentaux. Ils ont été introduits sans que leur cohérence soit nécessairement assurée avec la création, par ailleurs, du registre des crédits.

Le premier, désormais article 18 D, réduit de huit à cinq ans la durée maximale des mesures de redressement dans le cadre des procédures de surendettement. Cet article pourrait avoir des conséquences néfastes à la fois pour les personnes surendettées et pour la distribution du crédit. Je vous en proposerai donc un aménagement.

Le second, à l'article 19, réduit de deux à un an le délai au terme duquel tout compte de crédit renouvelable est automatiquement résilié. Cet amendement réduirait drastiquement le nombre de comptes, sans véritablement atteindre son objectif de prévention du surendettement. Je vous proposerai donc une formule alternative.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté deux dispositions de nature bancaire dans des domaines différents, qui nous avaient notamment occupés lors de l'examen du projet de loi de séparation bancaire : la mobilité bancaire et l'assurance emprunteur. Nous y reviendrons à l'occasion des amendements.

Ensuite, l'Assemblée nationale a adopté, en commission des affaires économiques et à l'initiative du Gouvernement, un amendement majeur créant le registre national des crédits aux particuliers.

Ce registre, ou « fichier positif », est un sujet hautement polémique, avec des clivages qui traversent les groupes et les sensibilités. La loi « Lagarde » avait chargé un comité de préfiguration d'en dessiner les contours, et son rapport a été remis en 2012. Un groupe de travail a été constitué au Sénat en 2012, dont j'ai fait partie avec le président Philippe Marini, qui a présenté les pistes et les arguments en faveur et en défaveur du fichier.

Je me borne, pour l'instant, à vous dresser les principaux contours du projet actuel, et certains de mes amendements permettront ensuite d'appeler votre attention sur certains aspects importants. Le registre est limité aux crédits à la consommation et ne retrace pas les crédits immobiliers ni les autorisations de découverts de moins de trois mois. Cela permet de réduire le nombre de personnes qui figureraient dans le registre de 25 à 12 millions environ. Le registre ne reprend pas le stock de crédits existants, mais sera alimenté au fur et à mesure. Les crédits à la consommation ayant une maturité de cinq ans maximum en moyenne, il reprendra rapidement l'ensemble du stock. L'identifiant utilisé sera un « identifiant spécifique » déterminé à partir, notamment, de l'état civil. Ce ne sera donc pas, comme préconisé par le comité de préfiguration, un identifiant dérivé du numéro de sécurité sociale (connu sous le nom de numéro d'inscription au répertoire INSEE - NIR) mais, dans l'idée du Gouvernement, une sorte de nouvel identifiant « bancaire » individuel. La consultation par un établissement de crédit est possible uniquement dans le cadre d'une vérification de solvabilité d'un candidat à l'emprunt et pour la gestion des risques du portefeuille. La consultation du registre à des fins de prospection commerciale est interdite.

De façon générale, je considère que le registre qui nous est proposé constitue un point d'équilibre dans la recherche d'une proportionnalité entre le coût, la protection des données personnelles et la nécessité de prévenir les phénomènes de surendettement qui, même en cas d'accidents de la vie, sont souvent liés à une accumulation de crédits à la consommation.

Cependant, je pense que plusieurs éléments ne sont, à ce stade, pas suffisamment précis dans le projet du Gouvernement. Il s'agit notamment de la prise en charge du coût, de la fréquence d'actualisation ou encore de l'identifiant. Je vous proposerai donc des amendements afin de préciser ces éléments pour assurer une mise en oeuvre effective du registre.

Enfin, l'Assemblée nationale a inséré au sein de ce projet de loi un véritable volet relatif aux jeux d'argent et de hasard, composé de neuf articles additionnels. J'y reviens plus longuement car je n'aurai que deux amendements à vous soumettre sur ce volet.

Pour la plupart d'entre eux, les articles apportent des retouches à la loi du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, dont notre commission a été saisie au fond - et dont notre collègue François Trucy était le rapporteur. Je le remercie d'ailleurs pour les apports dont il nous a fait profiter.

Ces articles, d'importance inégale, peuvent être regroupés autour de thèmes logiques. Un article (72 quater) propose d'harmoniser la définition des jeux d'argent et de hasard, pour lesquels vaut un principe général d'interdiction - sauf exceptions de nature législative, auxquelles il n'est pas question de toucher. Cette démarche est nécessaire car, actuellement, plusieurs définitions coexistent, ce qui crée une insécurité juridique pour l'ensemble des parties prenantes. Seraient désormais visées « toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l'espérance d'un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l'opérateur de la part des participants ».

M. Philippe Dallier. - Il va falloir définir ce qu'est un « sacrifice financier » !

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Ainsi, le poker entrerait dans ce champ sans ambiguïté. De plus, il est proposé de faire peser la même interdiction sur les jeux dits d'adresse, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) ayant critiqué à plusieurs reprises, notamment devant notre commission, le développement de ce type de jeux, qui permettent la manipulation au moyen de robots.

Deux articles renforcent la protection des personnes interdites de jeu ou auto-exclues : l'un (article 72 octies) en interdisant la publicité pour des sites de jeux à l'adresse de ces joueurs ; l'autre (article 72 duodecies) en imposant ces mêmes contraintes aux activités sous monopole de la Française des jeux.

L'article 72 sexies propose d'imposer à tous les opérateurs de justifier de l'existence d'un mécanisme garantissant, en toutes circonstances, le reversement de la totalité des avoirs exigibles des joueurs. Il s'agit de tirer la leçon de l'affaire « Full Tilt Poker » de 2011 - quelques 13 000 joueurs ayant alors failli perdre leur compte joueur suite à la fermeture du site.

Trois articles renforcent les pouvoirs contentieux de l'ARJEL. L'article 72 septies met fin à l'obligation de mise en demeure avant l'enclenchement de la procédure de sanction. L'article 72 decies autorise le président de l'ARJEL à saisir la justice afin de faire cesser la publicité pour les sites illégaux. Et l'article 72 undecies étend cette capacité de saisine de la justice du président de l'ARJEL à l'ensemble des sites illégaux - et non aux seules activités pour lesquelles un agrément est requis). L'article 72 quinquies contient une mesure de simplification administrative. Enfin, l'article 72 nonies clarifie les obligations d'archivage de données par les opérateurs de jeux d'argent et de hasard en ligne.

Je partage, sur ces différents aspects, la vision d'ensemble des députés. C'est pourquoi je vous proposerai de donner un avis d'adoption conforme du Sénat sur la plupart de ces articles. Ainsi, je ne vous soumettrai que deux amendements sur le volet « jeux » - dont un portant article additionnel.

Présidence de M. Philippe Marini, président.

M. François Marc, rapporteur général. - Je remercie Michèle André d'avoir bien voulu assumer cet exercice. Préparer son rapport et ses amendements avant le mois d'août en vue d'une discussion au début du mois de septembre, il s'agit là d'un travail très exigeant.

Ce projet de loi me semble fort utile car il permet de renforcer la protection du consommateur, de l'épargnant, du joueur. Je formulerai deux séries d'observations sur le texte.

Tout d'abord, s'agissant des jeux en ligne, j'avais suivi ce sujet au moment de l'examen du projet de loi relatif à l'ouverture à la concurrence des jeux en ligne, dont François Trucy était le rapporteur. Avec le groupe socialiste, je m'étais opposé à l'ouverture à la concurrence de ce secteur. Je ne renie pas mon analyse de l'époque. L'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) Santa casa de misericordia a conforté ce point de vue : la France aurait pu maintenir son marché fermé, notamment pour des motifs d'ordre public et de lutte contre l'addiction.

Pour autant, ce qui est fait est fait. Nous devons tenir compte du fait qu'un secteur s'est créé, avec des acteurs économiques et des emplois. Et les outils mis en place à l'époque (règles législatives et réglementaires, création de l'Autorité de régulation des jeux en ligne - ARJEL, etc.) ont permis de limiter les dégâts. C'est pourquoi j'estime qu'il est aujourd'hui légitime d'améliorer le cadre qui nous a été donné, tout particulièrement de renforcer la protection des joueurs. Je pense que nous serons certainement en accord sur les principales orientations de ce texte.

Toutefois, je proposerai que le contrôle du Parlement sur l'ARJEL soit renforcé, en permettant au Parlement d'exprimer un avis public sur la nomination de son président. Pour l'instant, contrairement à d'autres instances, le candidat à la présidence de l'ARJEL n'est pas entendu par le Parlement, qui ne donne pas d'avis sur sa désignation. Je propose qu'il en soit ainsi à l'avenir et je déposerai donc un projet de loi organique en ce sens.

Cela dit, ayant été, comme beaucoup, alerté par certains milieux économiques au sujet des risques que ferait peser la nouvelle définition des loteries qui résulterait de l'adoption de l'article 72 quater, il serait opportun que notre rapporteure pour avis nous éclaire sur les tenants et aboutissants de cet article.

S'agissant du volet « crédit », le projet de loi du Gouvernement propose des avancées importantes qui permettent de compléter la loi Lagarde, sur laquelle le Sénat, saisi en premier, avait été très actif, comme vous vous en souvenez, monsieur le président.

M. Philippe Marini, président. - Je le sais ! Il s'agissait à l'origine de ma proposition de loi.

M. François Marc, rapporteur général. - En effet. Je crois qu'il faut se féliciter de l'introduction du registre des crédits dans sa forme retenue par le Gouvernement : un format proportionné aux enjeux, mais sans atteinte à la protection des données personnelles.

Je souhaiterais cependant que notre rapporteure nous éclaire sur deux points. Dans quelle mesure le recentrage du registre sur les seuls crédits à la consommation ne nuit-il pas à son efficacité ? Pourquoi avoir exclu les crédits immobiliers et les autorisations de découvert ? Je n'en souhaite pas particulièrement l'inclusion, mais il serait utile que l'on mesure l'intérêt que ces éléments représentent ou non pour le surendettement.

Enfin, quelles passerelles peut-on identifier entre ce projet de loi et la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, que nous venons d'adopter définitivement, et quels sont leurs apports respectifs ? Lors de l'examen du projet de loi bancaire, les questions de surendettement et de banque de détail ont été abordées mais le ministre nous avait indiqué en séance que le projet de loi relatif à la consommation permettrait d'apporter les améliorations nécessaires.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Monsieur le rapporteur général, je suis très sensible au fait que vous ayez souligné la façon dont nous avons dû travailler pendant ces quelques semaines afin de présenter aujourd'hui ce rapport. Il est assez inhabituel de travailler sur un rapport au mois de juillet pour un texte qui ne sera discuté en séance qu'au mois de septembre.

J'ai reçu, comme vous, de nombreux messages sur les risques potentiels liés à la nouvelle définition des jeux de hasard. Après avoir analysé ce sujet de façon approfondie, je ne pense pas que ces craintes soient fondées. En effet, l'article 72 quater ne vise qu'à bien préciser ce qui est interdit afin d'éviter que certains acteurs plus ou moins bien intentionnés ne profitent des interstices de la loi ou des définitions contradictoires qui peuvent coexister. Désormais, les règles seront claires et, par exemple, nul ne pourra prétendre que le poker n'entre pas dans le champ de la régulation. On ne pourra donc pas ouvrir une maison organisant des tournois de poker payants dans son coin.

En revanche, les permissions traditionnelles sont maintenues : lotos traditionnels, loteries de bienfaisance, loteries de fêtes foraines et jeux publicitaires seront préservés, tout comme les jeux par SMS liés à des programmes audiovisuels. Je crois savoir que la commission des affaires économiques proposera un amendement qui devrait rassurer tout le monde à propos des loteries commerciales.

Concernant le crédit à la consommation, l'ambition du Gouvernement était, à l'origine, de constituer un registre englobant tous les crédits. En raison notamment de l'avis défavorable du Conseil d'Etat, il est apparu souhaitable d'inclure uniquement les crédits à la consommation.

Les crédits à la consommation sont présents dans 87 % des dossiers de surendettement, contre 10 % pour les crédits immobiliers. Le crédit renouvelable, présent dans les trois quarts des dossiers, représente à lui seul 30 % du volume total de dette constatée dans les dossiers. C'est donc bien ce crédit à la consommation qui est essentiellement responsable des situations de surendettement. De plus, dans la mesure où les charges, dont le loyer, ne sont pas retracées, il aurait été injuste de faire figurer le crédit immobilier. Enfin, d'importants problèmes techniques se posaient : comment intégrer le stock existant pour les crédits immobiliers ? Comment actualiser les utilisations quotidiennement pour les autorisations de découvert ?

S'agissant de la loi bancaire, celle-ci apporte des améliorations importantes en termes de fluidité des procédures. Elle a amélioré l'articulation de la procédure avec le maintien du débiteur dans son logement. A cet égard, le projet de loi propose un ajustement intéressant pour permettre au débiteur de rembourser ses dettes au-delà de la durée maximale prévue si cela lui permet d'éviter la cession du bien immobilier.

En revanche, la réduction de la durée maximale des plans me semble, au contraire, bouleverser un équilibre déjà modifié en loi bancaire, c'est pourquoi je vous propose de revenir partiellement sur cette disposition.

Sur la banque de détail, la loi bancaire a plafonné les commissions d'intervention. Cela va dans le même sens que, par exemple, deux amendements que je vous proposerai visant à réduire la possibilité de frais bancaires. De plus, la loi bancaire a modifié le régime de l'assurance-emprunteur. Dans le projet de loi relatif à la consommation, les députés ont demandé un rapport en vue d'une réforme globale de la résiliation, sujet qui avait beaucoup animé nos débats. Ce rapport devrait être remis avant le 1er janvier 2014.

M. François Trucy. - Permettez-moi de féliciter Michèle André pour le travail qu'elle a accompli et pour sa présentation. Les mesures présentées viennent à la suite de la loi sur les jeux en ligne dont nous nous souvenons qu'elle avait suscité polémiques et inquiétudes, en 2010, lors de son examen par le Parlement.

En 2011, elle avait fait l'objet d'une clause de « rendez-vous » vide de sens et il ne s'était rien passé. Parmi les propositions faites au Gouvernement de l'époque, aucune n'a été retenue... Certes, plusieurs d'entre elles avaient un poids fiscal non négligeable.

C'est donc maintenant le bon moment pour jeter un regard sur cette loi importante. Elle concerne la moitié des Français ! Les enjeux financiers, économiques et humains sont considérables, de même que les enjeux sanitaires et sociaux.

A ce titre, l'ensemble des dispositions introduites dans le projet de loi relatif à la consommation me paraissent aller tout à fait dans le bon sens. Le Gouvernement et l'ARJEL - qui a eu un rôle moteur dans ce processus - ont permis des avancées dans la régulation du secteur des jeux. Certes, il y a une ou deux « duretés » que je trouve excessives, mais tout le reste doit être repris et soutenu.

Maintenant, si l'on regarde dans le rétroviseur, la mise en oeuvre de la loi a-t-elle permis de rassurer par rapport aux inquiétudes exprimées à l'époque ? Je pense en particulier à celui qui était le « shadow rapporteur », François Marc, qui avait exprimé en séance de très vives inquiétudes.

On avait ainsi beaucoup débattu sur le sort qui serait réservé aux deux monopoles - ou quasi-monopole - d'Etat, à savoir la Française des jeux et le PMU. La réactivité des deux entreprises a été remarquable : ils s'en sont mieux sortis que les nouveaux opérateurs qui sont entrés sur le marché. Un équilibre a donc été respecté.

Ensuite, est-ce que l'ouverture des jeux en ligne a apporté quelque chose de supplémentaire dans la prévention de l'addiction au jeu et à la protection des mineurs ? La surveillance de l'ARJEL a-t-elle été positive ? Oui, tout à fait, très positive même. Elle a fait avancer la protection dans le domaine des jeux en ligne mais aussi dans le réseau des jeux en dur. Et il faut encore progresser sinon, nous ne pourrons pas dire que nous faisons une vraie protection des mineurs et des personnes « accros » aux jeux.

Il y a aussi des choses qui ne sont pas encore au point. Nous nous étions beaucoup battus en séance - la discussion n'avait pas été facile avec Eric Woerth - car nous avions voté des ressources supplémentaires pour la protection des mineurs et la prévention de l'addiction, mais sans pouvoir les affecter à des outils spécifiques. Or, comme par le passé, il est toujours extrêmement difficile d'obtenir les données qui nous permettraient de contrôler la bonne utilisation de cet argent. Et le Comité consultatif des jeux commence à s'agacer fortement de ne pas disposer de ces informations.

Je voudrais enfin saluer l'excellente idée du rapporteur général, consistant à soumettre la nomination du président de l'ARJEL à une audition préalable par les deux commissions des finances.

D'ailleurs, je tiens à dire que la création de l'ARJEL fait exemple, au moins en Europe et quelque fois plus loin.

M. Philippe Marini, président. - S'agissant du débat de la taxation sur le produit brut des jeux ou sur les mises...

M. François Trucy. - Eric Woerth avait dit non ! On verra la réponse que fera le nouveau Gouvernement, sachant que, pour l'instant, la question ne lui a pas été posée. Je doute néanmoins qu'il réponde autrement.

M. Philippe Marini, président. - Ce serait, de toute façon, une disposition fiscale qui aurait mieux sa place en loi de finances. Mais, dès lors que l'on traite du sujet, on peut toujours soulever la question.

M. Philippe Dallier. - S'agissant du « fichier positif », j'ai l'impression que, encore une fois, nous allons mettre sur pied une solution très française : une réponse imparfaite et compliquée à mettre en oeuvre. À partir du moment où l'on omet certains emprunts, on ne peut pas prévenir le moment où la personne « bascule » dans le surendettement. Et, de ce point de vue, la question des crédits immobiliers et des découverts n'est pas une petite question.

J'ai vraiment le sentiment que, malgré toute cette complexité, nous n'arriverons pas au résultat recherché. J'ai du mal à comprendre que l'on s'arrête à une solution à mi-chemin comme celle-là. D'autant qu'il ne me semble pas très difficile, d'un point de vue technique, de prendre en compte les découverts - et même de savoir s'ils sont ou non utilisés.

On n'ose pas aller au bout de la démarche du « fichier positif ». À mon sens, soit, on choisit de ne pas le faire, soit il faut le faire complétement.

Mme Marie-France Beaufils. - En ce qui concerne la question des jeux en ligne, je rejoins tout à fait les propos du rapporteur général. Quand on voit l'état des personnes « accro » au jeu, l'ouverture à la concurrence n'a pas contribué à réduire ces situations difficiles. La loi leur a donné une capacité « à jouer plus ».

S'agissant des crédits à la consommation - et ce point rejoint parfois mon précédent -, on constate que certaines personnes, après un premier plan de redressement, ne disposent pas pour autant d'une situation financière assainie. Et ceci parce que leur situation économique ne s'est pas améliorée. On parle de difficultés liées à des crédits, mais la question du pouvoir d'achat me paraît première. La réglementation ne nous permettra donc pas toujours de résoudre les difficultés que l'on rencontre.

Le souci qui est le mien porte sur le comportement d'un certain nombre de créanciers qui refusent tout aménagement dans le plan de surendettement. À la fin du plan, faute d'évolution acceptée par les créanciers, la situation reste difficile et il faut refaire un nouveau plan. Est-ce que le projet de loi apporte des réponses sur ce point ? L'effacement d'une partie de la dette est-elle mieux prise en compte ?

J'en viens au « fichier positif ». C'est un débat récurrent depuis de nombreuses années. Je comprends que les crédits immobiliers ne soient pas pris en compte. Après tout, le loyer représente également une charge, qui peut être très lourde dans leur budget et au moins aussi lourde que le remboursement de l'emprunt. Et si vous souscrivez un crédit à la consommation dans un magasin, on ne va pas vous demander votre situation locative et votre reste à charge. Généralement, la situation du foyer est rarement regardée dans ce détail.

Par ailleurs, je trouve qu'un certain nombre de crédits sont encore proposés à des taux qui me paraissent usuraires. Est-ce que le texte apporte des éléments de réponse à ces situations ?

M. Joël Bourdin. - Sur le « fichier positif », j'ai la même position que Philippe Dallier. Et je complimente notre rapporteure pour avis qui fait évoluer dans le bon sens le système du « fichier positif ».

Je voulais également intervenir sur les articles relatifs à l'assurance mais je m'aperçois que notre commission n'est pas saisie pour avis de ces dispositions. Je me permets d'en dire deux mots car j'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet.

En effet, ce secteur a nettement besoin d'être revu : les assurés sont mal traités ! Que ce soit pour les assurances automobile, habitation, etc., il y a des gens qui n'arrivent pas à trouver un assureur ! Je propose d'ailleurs que l'assurance habitation devienne obligatoire.

Quand vous vous assurez en ligne, vous pouvez être à peu près sûr de n'avoir affaire qu'à un courtier... Et le pauvre usager se débrouille pour savoir qui est réellement son assurance. Je reviendrai sur tous ces sujets en séance publique.

M. Richard Yung. - Je sais qu'il y a eu beaucoup d'hésitations autour du « fichier positif », ne serait-ce que pour des questions de libertés publiques. Il y a toujours des tentations d'accéder à de tels fichiers.

Qui va faire ce fichier ? C'est un investissement considérable et je doute qu'il soit mis à la charge de la Banque de France. Combien de temps cela va-t-il prendre pour le bâtir ? À quel coût ? Et puis, qui va payer ?

Par ailleurs, il y a deux bonnes mesures dans ce projet de loi. La première concerne la création d'une indication géographique protégée pour les produits industriels. Nous protégeons les produits gastronomiques avec les appellations d'origine et nous étendons ce type de protection.

La seconde porte sur les actions de groupe et c'est une très bonne chose.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Je présenterai un amendement pour que le président de l'ARJEL soit nommé après avis des commissions des finances. Et cette initiative sera couplée avec le dépôt d'une proposition de loi organique de François Marc. Nous alignons le droit sur ce qui existe pour d'autres autorités similaires.

Merci à François Trucy pour les éclairages qu'il m'a apportés et pour ses remarques. Marie-France Beaufils a bien souligné la question de l'addiction au jeu. Devant notre commission, Jean-François Vilotte, président de l'ARJEL, nous avait dit que, en matière d'addiction, la grande majorité des joueurs ne semblent pas concernés. La mise moyenne serait de 50 euros par mois, ce qui peut déjà représenter un budget pour certains foyers modestes.

Il y a une petite population de gros parieurs : 50 % des mises sont le fait de 1 % des joueurs. Nos inquiétudes étaient peut-être excessives car la donne n'a pas été bouleversée, mais nous devons rester attentifs.

S'agissant des crédits à la consommation, ce sont surtout les crédits renouvelables qui précipitent les familles dans le surendettement. Leurs taux, souvent très élevés, ont néanmoins baissé de 2 % avec la loi Lagarde.

En revanche, je pense que la réduction de huit à cinq ans des mesures de redressement risque de faire augmenter le coût du crédit. Et c'est la raison pour laquelle je vous proposerai une autre solution.

Sur le sujet des assurances, nous avons choisi de ne pas nous saisir de ces dispositions qui n'étaient pas d'abord financières. J'atteste que, parfois, il est difficile de trouver un assureur : nous pouvons en constater les effets ravageurs en matière automobile.

En ce qui concerne le « fichier positif », je rappelle que le FICP concerne 2,5 millions de personnes et il comprend un taux d'erreur sur les identités des personnes de 7 % ! C'est beaucoup. C'est pourquoi, dans les amendements que je proposerai, je pose des questions - peut-être un peu basiques - sur la construction même du fichier : sa conception et son fonctionnement au quotidien. Au fond, si le principe en est adopté, on n'est pas vraiment sortis de la préfiguration prévue par la loi Lagarde. Nous n'avons pas beaucoup avancé. Je souhaiterais que les parlementaires soient les plus informés possible. Nous ne pouvons pas accepter un système qui contienne autant d'erreurs. À ce titre, nous devons être très clairs sur l'identifiant.

La Banque de France serait le garant de ce fichier. Dispose-t-elle d'un savoir-faire ? Je n'en suis pas sûre et j'ai déjà constaté que certaines administrations manquent d'expérience en la matière, par exemple lorsque je travaillais sur les titres sécurisés.

En tout état de cause, ce fichier n'a de sens que s'il est tenu à jour en permanence. Voilà les questions centrales que je vous ferai partager plus avant avec mes amendements.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE LA RAPPORTEURE

Article 18 D

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Avant de vous présenter l'amendement n° 1, je voudrais faire un rappel du dispositif et de la position des députés. Lorsqu'un dossier de surendettement est déclaré recevable par la commission départementale, deux principales voies peuvent être suivies.

Si le débiteur ne présente aucune capacité de remboursement, il est orienté en « procédure de rétablissement personnel » (PRP), qui est une sorte de « faillite civile » conduisant à un effacement des dettes.

Si le débiteur présente des capacités de remboursement, la commission cherche à établir un plan de remboursement accepté par les créanciers et par le débiteur, éventuellement avec des annulations d'intérêts voire d'une partie du capital. S'il est impossible de mettre créancier et débiteur d'accord, la commission peut imposer des mesures ou les recommander au juge.

Dans tous les cas, que les mesures soient négociées dans le cadre d'un plan amiable ou imposées, leur durée maximale est aujourd'hui de huit ans. Cette durée était de dix ans avant la loi Lagarde de 2010.

Les députés ont souhaité abaissé cette durée à cinq ans. Une réduction aussi importante aura des conséquences néfastes sur les personnes surendettées, car leurs mensualités augmenteront.

De plus, les effacements de dette seront plus importants, soit une augmentation de 500 millions d'euros par an selon la Banque de France, impactant directement les créanciers, y compris les créanciers individuels ou bailleurs sociaux et les établissements de crédit, qui pourraient le compenser par une restriction sur la distribution du crédit.

L'objectif des députés est de faciliter le rebond des personnes surendettées, en soulignant que la durée maximale est plus longue en France que chez nos voisins, mais je souligne deux éléments. D'une part, la procédure française de surendettement est très spécifique et protectrice des débiteurs (gratuité, préservation d'un reste à vivre, absence de vente du véhicule, etc.). D'autre part, il est désormais possible, au bout de quelques années de remboursement, de bénéficier de microcrédits sociaux.

C'est pourquoi je vous propose un amendement n° 1 pour ramener cette durée maximale non à huit ans, mais à sept ans, ce qui permet de répondre au souci légitime d'une durée de remboursement qui ne soit pas trop longue, sans bouleverser l'équilibre général comme le ferait la réduction à cinq ans.

Cela permet également de réintégrer la durée des éventuels moratoires, pour que tous les débiteurs surendettés soient traités de façon équitable.

M. Philippe Marini, président. - C'est une cote mal taillée ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Peut-être, mais suivre la position des députés sans bien en mesurer l'impact me paraitrait hasardeux.

M. Roger Karoutchi. - Je suis plutôt d'accord avec l'amendement, mais pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle accepté cette réduction de huit ans à cinq ans, qui augmente mécaniquement les mensualités ? Il doit bien y avoir une raison.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Dans les arguments échangés, il s'agissait d'aligner la durée sur celle de certains de nos voisins européens.

M. Jean-Pierre Caffet. - Nos collègues députés ont en effet procédé à une comparaison avec l'Allemagne, où la procédure prévoit une durée de cinq ans car les créanciers peuvent faire vendre le bien du débiteur. Or tel n'est pas le cas en France, donc l'analogie était factice.

L'amendement n° 1 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 2 vise à préciser que la réduction de la durée des plans ne s'applique aux dossiers de surendettement en cours de traitement que si les mesures de traitement ne sont pas encore mises en oeuvre. En effet, dans le cas contraire, l'équilibre de nombreux dossiers serait remis en cause en cours de procédure avec, notamment, une réduction brutale du reste à vivre pour les ménages surendettés.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 18

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 3 est rédactionnel.

L'amendement n° 3 est adopté.

Article 19 et article additionnel après l'article 19

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 4 ainsi que l'amendement n° 5, qui porte article additionnel après l'article 19, sont importants. L'Assemblée nationale a souhaité réduire de deux à un an ce qu'on appelle le « délai Chatel », au terme duquel un crédit renouvelable inutilisé est automatiquement résilié.

En clair, à moins de renvoyer une demande signée, les consommateurs qui ne se sont pas servis de leur compte pendant un an verront leur carte résiliée et perdront tous les avantages qui y sont associés. Si, par la suite, ils souhaitent effectuer un achat à crédit, ils seront obligés de soumettre à nouveau un dossier complet.

Ce délai avait déjà été abaissé par la loi Lagarde de trois à deux ans, entraînant la suppression de plusieurs millions de comptes de crédit chaque année.

En matière de lutte contre le surendettement, le bilan est cependant plus mitigé, dans la mesure où ne sont visés que les consommateurs qui, précisément, n'ont pas recours de manière régulière au crédit renouvelable.

Ces consommateurs risquent en revanche d'être freinés dans leurs achats de biens durables, ceux que justement on n'achète pas tous les jours et pour l'acquisition desquels le crédit a une vraie utilité. L'impact de la résiliation automatique au bout d'un an sera donc particulièrement négatif pour les enseignes de distribution, déjà très fragilisées par la crise et dont certaines ont déjà annoncé des plans sociaux.

Je suis donc d'avis de maintenir le délai actuel de deux ans.

Pour autant, je crois qu'il faut effectivement traiter le problème des consommateurs incités à ouvrir des comptes de crédit renouvelable dont ils n'ont pas l'usage, à la seule fin de bénéficier d'avantages promotionnels.

Pour cela, je vous propose un dispositif complet en deux amendements. Le premier, l'amendement n° 4, revient sur la réduction du délai Chatel adoptée par l'Assemblée nationale mais prévoit qu'au bout d'un an d'inactivité l'emprunteur reçoit une proposition de résiliation de sa carte de crédit et de basculement vers un programme d'avantages promotionnels sans crédit. L'objectif du second amendement, l'amendement n° 5, est de traiter le problème à la source. Il s'agirait non pas d'interdire les cartes liées, qui peuvent être utiles, mais d'obliger les enseignes à disposer, à côté de la carte liée, d'un programme de fidélité sans crédit : le consommateur doit avoir la possibilité d'adhérer à un programme d'avantages promotionnels sans souscrire de crédit. Pour une pleine effectivité de cette mesure, ce programme devra être proposé en même temps que l'offre de crédit et devra être mentionné par toute publicité faisant référence aux avantages promotionnels associés à l'ouverture d'un crédit.

Mme Marie-France Beaufils. - Je me demande cependant si cette modification de l'Assemblée nationale ne permet pas aux personnes recherchant un crédit de bien mesurer les conditions de leur engagement et de vérifier le taux du nouveau crédit. Aussi, dans le doute, je m'abstiendrai.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Le problème que nous devons traiter est d'éviter que les personnes soient tentées de souscrire un crédit pour rembourser un crédit précédent, ce qui n'est pas le cas ici.

Les amendements n° 4 et 5 sont adoptés.

Article 19 octies A

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 6 a pour objet de supprimer la précision selon laquelle la documentation relative à la mobilité bancaire doit être « appropriée et facilement accessible », car elle n'est pas du niveau législatif, d'autant que le dernier alinéa renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de définir les modalités d'application de l'article.

L'amendement n° 6 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 7 a pour objet de préciser que le service d'aide à la mobilité est proposé par la banque d'arrivée gratuitement et sans condition.

L'amendement n° 7 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 8 a pour objet d'obliger l'établissement d'arrivée à communiquer, dans un délai de cinq jours ouvrés, les coordonnées du nouveau compte bancaire aux émetteurs de virements, et non aux seuls émetteurs de prélèvements, comme prévu dans le texte issu de l'Assemblée nationale.

En effet, il semble essentiel de s'assurer que certains virements, notamment de l'employeur, de la CAF ou des mutuelles, soient immédiatement redirigés vers le nouveau compte.

Par coordination, il étend également aux émetteurs de virements l'obligation de respecter un délai défini par décret en Conseil d'État pour prendre en compte le changement de compte.

L'amendement n° 8 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 9 a pour objet de supprimer la mention selon laquelle il est interdit à la banque de facturer des frais pour des incidents de fonctionnement causés par une erreur de sa part. Cette précision est superflue, car elle résulte déjà du droit commun de la responsabilité contractuelle.

L'amendement n° 9 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 10 est rédactionnel.

L'amendement n° 10 est adopté.

Article 19 octies

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Les alinéas 5 et 6 de cet article ne sont pas compréhensibles. Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, c'est pourquoi je vous propose, par cet amendement n° 11, de les supprimer.

L'amendement n° 11 est adopté.

Article 19 nonies

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 12 vise à préciser que le rapport sur le micro-crédit social s'appuie sur les travaux des organismes existants, l'observatoire de la microfinance et l'observatoire de l'inclusion bancaire.

M. Philippe Marini, président. - Qu'attendons-nous de ce rapport ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Des propositions, afin de faire évoluer d'autres textes en la matière.

L'amendement n° 12 est adopté.

Article 22 bis

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 13 est rédactionnel.

L'amendement n° 13 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 14 vise à préciser que, s'agissant des personnes qui se portent caution - cela est rare en crédit à la consommation mais peut arriver -, la consultation du registre est facultative et ne peut se faire qu'avant l'octroi du crédit à la consommation.

M. Philippe Marini, président. - Pourquoi cette précision ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Il s'agit d'éviter une nouvelle consultation au moment du renouvellement.

L'amendement n° 14 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Avec l'amendement n° 15, il s'agit de préciser que les informations inscrites dans le registre ne portent que sur les emprunteurs et non sur les personnes qui se portent caution.

L'amendement n° 15 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 16 porte sur les frais de fonctionnement. Le coût global du registre des crédits aux particuliers est estimé à un total de 15 à 20 millions d'euros en investissement et de 30 à 35 millions d'euros en fonctionnement annuel.

Afin d'assurer le financement du registre par les établissements de crédit, qui en sont les premiers bénéficiaires, et d'éviter un financement par subvention publique à destination de la Banque de France en provenance de l'Etat, le présent amendement vise à préciser que ce coût est pris en charge par une tarification de la consultation individuelle par les établissements.

M. Philippe Marini, président. - Je suppose que le texte indique qui tient le registre ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Oui, il est tenu sous la responsabilité de la Banque de France.

M. Philippe Marini, président. - La tarification de la consultation renchérira le coût du crédit puisque rien n'est gratuit.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Mais il est précisé dans mon amendement que ce coût ne pourra être répercuté sous forme de frais.

M. Philippe Marini, président. - Cela sera répercuté autrement. En tout cas, il est étonnant que sur cette question de « fichier positif », les clivages transcendent les partis comme les organisations représentatives.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - En effet, ces divergences perdurent. Certains sont très réticents pour des raisons de protection des données ; d'autres, très favorables car cela permettrait de régler en amont les problèmes évoqués précédemment, comme le délai Châtel. La commission des lois y est très attentive, car il s'agit de recenser 12 millions de personnes, avec des problèmes évidents de confidentialité et de fiabilité.

M. Philippe Marini, président. - Dans mon souvenir, la commission des finances n'avait pas de conviction particulière.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Plus qu'une affaire de conviction, il s'agit en effet, pour notre commission, d'adopter une approche pragmatique et de déterminer clairement qui en assume le coût et de préciser les modalités de mise en place.

L'amendement n° 16 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 17 interdit aux établissements de crédit de recourir au registre à d'autres fins que la vérification de la solvabilité des emprunteurs ou la gestion des risques, en particulier à des fins de prospection commerciale.

M. Philippe Marini, président. - Cet amendement substantiel devrait permettre de rassurer certains groupes.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Je n'en suis pas sûre car, comme vous le souligniez, les oppositions transcendent les partis.

L'amendement n° 17 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 18 vise à instaurer une actualisation quotidienne des données déclarées par les établissements de crédit.

L'amendement n° 18 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 19 vise à préciser que le registre indique, le cas échéant, qu'un crédit a été souscrit par plusieurs emprunteurs, ce qui peut notamment être le cas des couples.

L'amendement n° 19 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 20 est un amendement rédactionnel.

L'amendement n° 20 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 21 est de conséquence avec l'amendement n° 1 que nous avons déjà adopté.

L'amendement n° 21 est adopté.

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 22 vise à prévoir, conformément à la recommandation du comité de préfiguration présidé par Emmanuel Constans, que l'identifiant spécifique utilisé est dérivé du NIR. Afin de donner toutes les garanties de confidentialité et de cloisonnement des fichiers, le NIR devra être détruit par les établissements de crédit dès la décision de refus de crédit ou, si le crédit est accordé, la création de l'identifiant spécifique. La CNIL est très réservée sur l'utilisation du NIR, mais soyons pragmatiques : il faut que chacun puisse connaître son identifiant, ce qui est le cas du NIR grâce à la carte Vitale.

M. Philippe Marini, président. - Le Gouvernement donnera-t-il un avis favorable ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - En tout cas, je souhaite qu'il précise comment il compte travailler pour mettre en place cet identifiant et en assurer la fiabilité.

L'amendement n° 22 est adopté.

Article additionnel après l'article 72 quater

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 23 a pour objet d'assurer que les commissions des finances des deux assemblées émettent un avis public sur la nomination du président de l'ARJEL.

M. Philippe Marini, président. - Il faudra donc un texte organique pour compléter ce dispositif...

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Je présenterai ce texte organique avec le rapporteur général.

M. Philippe Marini, président. - ... dans les mêmes conditions que pour la création de la banque publique d'investissement (BPI).

L'amendement n° 23 est adopté.

M. Philippe Marini, président. - Mais avez-vous déposé un amendement sur la parité au sein de l'ARJEL ?

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - Pas à ce stade. Je vous propose, à vous ou François Trucy, de le faire pour la séance.

Article 72 sexies

Mme Michèle André, rapporteure pour avis. - L'amendement n° 24 est un amendement de précision.

L'amendement n° 24 est adopté.

M. Philippe Marini, président. - L'ensemble des amendements de notre rapporteure ont été adoptés et seront donc soumis à la commission des affaires économiques.

M. François Trucy. - Le texte arrivant en discussion en septembre prochain, pourrons-nous déposer des amendements dit « extérieurs » ?

M. Philippe Marini, président. - Naturellement, le délai sera ouvert. Pour conclure, nous allons donner un avis sur les articles entrant dans le champ de la saisine de notre commission.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles dont elle s'est saisie, tels que modifiés et complétés par ses amendements.

Nous donnons mandat à la rapporteure de redéposer, en vue de l'examen du projet de loi en séance publique, les amendements que la commission des affaires économiques n'aurait pas adoptés et intégrés à son texte.

Il en est ainsi décidé.

Mercredi 24 juillet 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2012 - Examen du rapport

La commission procède tout d'abord à l'examen du rapport de M. François Marc, rapporteur général, en nouvelle lecture sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012.

M. François Marc, rapporteur général. - Mon propos sera bref, puisqu'il m'appartient de vous faire part de ma position sur le projet de loi de règlement qui nous revient en nouvelle lecture. Celui-ci est identique à celui que notre assemblée avait rejeté le 4 juillet, sachant qu'aucun amendement n'avait été déposé. L'Assemblée nationale a adopté le même texte que celui qu'elle avait voté en première lecture. Cela montre que la divergence entre les deux assemblées ne porte pas sur le contenu du texte proprement dit, mais traduit des différences d'appréciation politique.

Je prends acte de ces positions qui se sont exprimées et qui seront probablement rappelées au cours de la discussion générale ce soir, en notant toutefois qu'elles ne reflètent pas la nature et le contenu du projet de loi de règlement. Celui-ci se limite en effet à constater les résultats de la gestion d'un exercice, et comporte par ailleurs quelques dispositions de nature technique, qui n'ont fait débat ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat.

J'imagine que dans ces conditions, la nouvelle lecture du projet de loi ne permettra pas de rapprocher les points de vue entre les deux assemblées, ce qui est sa raison d'être ; nous sommes donc réunis pour une sorte de « remake » de la première lecture.

Dès lors, je serai tout à fait bref en vous indiquant, sans avoir besoin de revenir sur le fond du texte, que je suis bien sûr favorable, pour ma part, à l'adoption de ce projet de loi de règlement. Je souhaite que notre commission des finances puisse s'associer à cette appréciation et voter dans le même sens, mais c'est une autre affaire.

M. Philippe Marini, président. - Chacun se souvient que le vote qui est intervenu se rapportait certainement plus au contexte qu'au texte, car un rejet des dispositions de la loi de règlement elles-mêmes, il faut en convenir, n'aurait pas grand sens. J'imagine que les mêmes causes produiront les mêmes effets.

La commission rejette la proposition du rapporteur général tendant à proposer au Sénat d'adopter sans modification le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat le rejet en nouvelle lecture de ce projet de loi.

Politique française d'aide publique au développement en matière d'énergie et de transport - Contrôle budgétaire - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Yvon Collin et Mme Fabienne Keller, rapporteurs spéciaux, sur la politique française d'aide publique au développement en matière d'énergie et de transport.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir accepter les excuses d'Yvon Collin, qui n'a pu être présent ce matin, mais avec lequel j'ai travaillé sur ce rapport.

Dans le cadre de notre programme de contrôle des crédits de la mission « Aide publique au développement » (APD), notre attention s'est portée cette année sur le secteur de l'énergie, qui occupe une place centrale dans le développement. Nous en avons retenu une conception large, y incluant les transports, dans la mesure où ces derniers représentent près d'un tiers de la consommation d'énergie primaire dans le monde.

Pour analyser des projets concrets ressortant de ces deux secteurs, le choix du Maroc s'est imposé par la place qu'occupe ce pays dans l'APD française, dont il est le premier bénéficiaire, et par l'importance et la diversité des projets qui y sont menés en matière d'énergie et de transport. C'est pourquoi je me suis rendue en avril dernier à Casablanca et à Rabat, où j'ai pu rencontrer les équipes locales de l'AFD ainsi que les bénéficiaires de ses concours et visiter les installations les plus emblématiques.

Ce déplacement s'inscrivait également dans le prolongement de ceux effectués l'an dernier en Tunisie par une délégation du bureau de la commission et par moi-même.

Le secteur de l'énergie est au coeur de tous les aspects du développement. Il est un besoin essentiel des populations, comme l'ont récemment montré les « émeutes de l'énergie » au Sénégal et au Pakistan. L'accès à l'énergie est également une condition nécessaire au développement économique. Enfin, ce secteur participe à la préservation de l'environnement, avec des conséquences en termes de santé des populations et de lutte contre le changement climatique. De même, le secteur des transports constitue un outil essentiel de la croissance économique, en désenclavant les zones concernées.

Pourtant, un nombre important de personnes dans le monde sont encore privées d'accès à l'énergie. L'Agence internationale pour l'énergie estime que 1,4 milliard de personnes n'ont pas d'accès à l'électricité et que 2,7 milliards de personnes sont privées de combustible et de technologies de cuisson moderne, c'est-à-dire cuisinent encore en utilisant la biomasse, notamment en Afrique subsaharienne. Elle prévoit qu'en 2030 près de 1,2 milliard de personnes se trouveront encore sans électricité et 2,6 milliards sans combustibles et technologies de cuisson modernes. Pour résoudre ce problème, elle estime qu'il serait nécessaire d'investir 1 000 milliards de dollars d'ici 2030, ce qui nécessiterait de multiplier par cinq les investissements réalisés en 2009.

Au-delà de son importance pour le développement, l'intervention de l'APD dans le champ de l'énergie est également justifiée par la volonté de protéger les biens publics mondiaux, à commencer par le climat. De même, il s'agit d'une question de cohérence entre notre politique d'APD et nos propres politiques énergétiques : les économies d'énergie ou le développement des énergies renouvelables chez nous n'auraient pas de sens si parallèlement nous financions par exemple la construction de centrales à charbon.

Malgré ces arguments, le financement par l'APD des investissements dans les énergies renouvelables peut parfois être remis en cause en partant de l'idée que l'accès à une énergie durable serait un luxe inutile pour un pays en développement ou émergent.

Cependant, le modèle de croissance suivi par les pays du Nord n'est pas reproductible. Il est donc essentiel que les pays du Sud suivent de nouveaux chemins de croissance, véritablement durables, qui permettent un développement économique viable sur le long terme. De plus, le renchérissement et la volatilité des prix des énergies fossiles rendent ces économies vulnérables. La réflexion sur le modèle énergétique est loin d'être un luxe de pays riche ; bien au contraire, elle doit être au coeur de la réflexion stratégique des pays en développement pour ne pas compromettre leur croissance économique et leur environnement.

D'autre part, le financement par l'APD du secteur de l'énergie peut parfois être considéré comme non nécessaire, dans la mesure où il s'agit d'un secteur où la demande est forte et où les investissements peuvent être rentables. Il existe cependant des types d'interventions qui nécessitent un financement concessionnel. Il s'agit notamment des projets relatifs à l'accès à l'énergie, comme l'électrification rurale, qui ont une faible rentabilité financière mais une bonne rentabilité économique à moyen et long terme.

Cette critique se retrouve pour les investissements dans les énergies renouvelables, pour ce qui est des technologies qui n'ont pas encore atteint leur maturité technologique et donc la rentabilité. Elle est d'autant plus forte qu'il s'agit alors de financer une production comportant un surcoût par rapport à d'autres technologies. Cependant, à moyen terme, ces financements doivent permettre de faire émerger de véritables filières locales, qui répondront aux besoins énergétiques tout en alimentant le développement économique.

Malgré l'importance de la question énergétique dans tous les aspects du développement, ce sujet est absent des objectifs du millénaire pour le développement de l'an 2000.

Ce n'est qu'en novembre 2011 que les Nations unies ont lancé l'initiative « Énergie durable pour tous » qui vise à atteindre un accès universel à l'énergie durable d'ici 2030. Cependant, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Sommet Rio + 20 », n'a pas permis d'obtenir un engagement contraignant sur cet objectif d'un accès universel à l'énergie d'ici 2030. Cette question reviendra sur la table dans le cadre de l'élaboration des objectifs du développement pour l'après 2015.

Au niveau communautaire, le « consensus européen pour le développement » de 2005 a prévu expressément un objectif d'accès à l'énergie durable dans la politique d'aide publique au développement communautaire.

Dès 2002, l'Union européenne avait lancé l'initiative énergie de l'UE pour l'éradication de la pauvreté et le développement durable, qui vise à assurer l'accès aux ressources et services énergétiques nécessaires à la réalisation des OMD. En avril 2012, elle a lancé une nouvelle initiative en faveur de l'énergie visant à permettre à 500 millions de personnes supplémentaires d'accéder à l'énergie durable dans les pays en développement d'ici à 2030.

En ce qui concerne la France, le document cadre, qui définit les objectifs de notre APD, prévoit quatre enjeux principaux : contribuer à une croissance durable et partagée, lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités, préserver les biens publics mondiaux et promouvoir la stabilité et l'Etat de droit comme facteurs de développement. Ainsi, le secteur énergétique est indirectement compris dans les trois premiers objectifs, mais il n'est pas expressément cité en tant que tel.

Pour sa part, dès 2007, l'Agence française de développement s'est dotée d'un cadre d'intervention sectoriel « Energie », articulé selon trois piliers stratégiques : l'énergie durable, l'énergie sécurisée et l'énergie accessible.

Les engagements de l'AFD - qui est notre bras armé sur cette politique - dans le secteur de l'énergie ont considérablement augmenté au cours des dernières années. Ils sont passés de 360 millions d'euros en 2006 à plus de 2 milliards d'euros en 2009. Au total, sur la période 2007-2012, près de 8,9 milliards d'euros ont été engagés par le groupe dans ce secteur, soit environ 30 % de ses engagements hors outre-mer.

Sur la période 2007-2012, des résultats significatifs ont été atteints, les financements de l'AFD ayant permis de raccorder 1,82 million de personnes au réseau électrique, d'améliorer l'accès à l'électricité de 2,8 millions de personnes, d'installer 2 400 MW de puissance énergétique renouvelable, d'économiser 26 000 GWh d'énergie et d'éviter l'émission de 9 millions de tonnes de CO2 par an.

Les engagements du groupe AFD dans le secteur des transports ont également connu une hausse importante ces dernières années, avec plus de 4 milliards d'euros entre 2003 et 2011. En 2012, le niveau record de 1,3 milliard d'euros a même été atteint, soit environ un quart des engagements du groupe hors outre-mer. Le transport ferroviaire, qui nous intéresse ici particulièrement, a représenté sur cette période environ un tiers des engagements du secteur transport.

S'agissant maintenant de l'aide liée, la « Réserve pays émergents » (RPE) bénéficie historiquement en grande partie au secteur des transports, qui en a représenté près des deux tiers sur la période 2010-2013, avec 658 millions d'euros.

M. Philippe Marini, président. - Pour l'aide liée, s'agit-il de prêts ou de subventions ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Pour la RPE, il s'agit de prêts, mais pour le fonds d'études et d'aide au secteur privé (FASEP), ce sont des subventions. Généralement, ces deux outils sont utilisés ensemble, le FASEP servant en quelque sorte d'amorceur.

M. Philippe Marini, président. - Et pour l'AFD ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Pour l'AFD, ce sont essentiellement des prêts, plus ou moins concessionnels selon le pays bénéficiaire. Il faudrait également ajouter à ces outils les annulations de dettes, mais ce n'est pas notre sujet aujourd'hui.

Mme Marie-France Beaufils. - Quels sont les montants en jeu sur ces deux outils ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - La RPE a représenté 3,5 milliards d'euros de prêts depuis 2000, contre 260 millions d'euros de dons pour le FASEP.

M. Philippe Marini, président. - Il s'agit bien d'aide liée dans les deux cas ? Et comment s'en assure-t-on ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Le financement et le matériel ou l'étude sont négociés en parallèle.

M. Philippe Marini, président. - Comment s'assure-t-on qu'il n'y a pas de « perte en ligne » sur ces projets ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - J'ai pu constater sur place que les équipes de l'AFD étaient très présentes, connaissaient les interlocuteurs et accompagnaient les projets tout au long du processus. En outre, ils collaborent avec la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), « l'AFD allemande », et la Banque européenne d'investissement (BEI). Un cas de « perte en ligne » s'était produit il y a quelques années au Maroc, qui avait fait grand bruit. Les financements avaient alors été retirés.

M. Roger Karoutchi. - Lorsque je représentais la France à l'OCDE, nous avions un programme au Maghreb. Les équipes de l'AFD étaient reconnues comme très rigoureuses et plusieurs projets avaient été abandonnés après qu'elles nous eurent indiqué qu'ils ne leur semblaient pas sérieux.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Nous nous sommes intéressés plus précisément à la politique que l'AFD comptait mener dans ces secteurs dans les années à venir.

Sur la période 2012-2016, l'AFD fera la promotion du développement des énergies renouvelables dans les pays émergents et en développement afin de permettre de valoriser une ressource locale et ainsi de promouvoir un développement économique endogène. En matière d'efficacité énergétique, elle interviendra dans les trois principaux secteurs consommateurs que sont l'industrie, le bâtiment et le transport.

S'agissant de l'accès à l'énergie, l'AFD visera à soutenir la densification des branchements dans les zones suburbaines et notamment en périphérie des grandes villes.

Enfin, elle participera à la sécurisation et au renforcement des systèmes énergétiques, afin de palier l'obsolescence des réseaux électriques dans certains pays émergents. Elle encouragera également le développement des interconnexions des réseaux électriques.

L'AFD visera également à valoriser le gaz naturel. Ce positionnement se fera dans le respect des objectifs de préservation du climat. Ses interventions se concentreront sur le renforcement de l'efficacité des centrales existantes, le développement des réseaux de gaz en substitution aux produits pétroliers, l'association du gaz aux énergies renouvelables pour pallier leur intermittence, la valorisation des ressources locales et le développement de capacités de production sur le court terme pour combler un déficit de production.

L'objectif est de parvenir à un volume d'engagements supérieur à 1,5 milliard d'euros par an au cours des années 2013, 2014 et 2015, soit 4,5 milliards d'euros au total, répartis équitablement pour 90 % environ entre les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique d'une part et la sécurisation des systèmes énergétiques d'autre part, les 10 % restant finançant l'accès à l'énergie.

En matière de transport, les interventions de l'AFD visent à contribuer à la croissance économique à la réduction de la pauvreté et à protéger les biens publics mondiaux, notamment en contribuant à la réduction des gaz à effet de serre.

Sur la base de ces objectifs, l'AFD a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que les priorités portaient sur le transport ferroviaire à longue distance ainsi que sur les transports collectifs urbains.

Dans la mesure où l'énergie est un secteur essentiel du développement et où la France y consacre déjà une part significative de ses financements, nous proposons avec Yvon Collin que notre pays se fixe un objectif explicite en matière d'accès universel à l'énergie dans sa politique d'APD.

L'examen par le Parlement, annoncé pour 2014, du premier projet de loi d'orientation et de programmation relative à la politique d'aide publique au développement offrirait le vecteur idéal pour cette initiative.

Je vais maintenant aborder les projets concrets que j'ai pu étudier lors de mon déplacement au Maroc, et tout d'abord ceux relevant du secteur de l'énergie.

Le Maroc se trouve dépendant à 97 % de l'extérieur pour son approvisionnement et sa facture énergétique s'est élevée en 2009 à 4,9 milliards d'euros. Parallèlement, la consommation d'énergie primaire croît de 5 % par an et la demande d'électricité à un rythme plus rapide encore, de 7,5 % par an.

M. Philippe Marini, président. - Avez-vous des éléments sur la hausse du niveau de vie ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - On constate une hausse du PIB par tête et, concernant le sujet de l'énergie, on observe le développement rapide de nouveaux usages : appareils électroniques, climatisation, ...

Le dynamisme de la demande électrique rend nécessaires des investissements considérables. C'est ainsi que l'Office nationale de l'électricité et de l'eau potable (ONEE) a arrêté un programme d'équipement prévoyant l'installation d'une capacité additionnelle de près de 5 500 MW à l'horizon 2016, pour 9,9 milliards d'euros. De même, un ambitieux programme de renforcement du réseau de transport d'électricité et de développement des interconnexions avec les pays voisins va être mené, représentant 1,1 milliard d'euros d'investissements.

Dans sa nouvelle stratégie énergétique, le Royaume a fait le choix des énergies renouvelables. Il faut dire qu'il bénéficie d'un potentiel considérable d'énergie solaire (20 GW) et d'énergie éolienne (25 GW). L'objectif est qu'à l'horizon 2020, les énergies renouvelables représentent 42 % de la capacité électrique installée, également réparties entre l'hydraulique, l'éolien et le solaire.

En novembre 2009, a été lancé le plan solaire marocain qui vise au développement d'une capacité de 2 000 MW d'ici 2020, sur cinq sites. Son développement a été confié à la Moroccan Agency for Solar Energy (MASEN). Le choix de créer une structure ad hoc correspond à une logique marocaine de mettre en place des opérateurs sectoriels très ciblés sur de grands projets, sous la forme de petites équipes hautement qualifiées. Ce choix semble très judicieux et pourrait utilement inspirer d'autres projets et d'autres pays.

MASEN a su rendre le projet très attrayant pour les investisseurs internationaux : le choix de la technologie des centrales solaires thermodynamiques, la taille du projet et la qualité du site ont permis de donner au projet de Ouarzazate le caractère de projet phare au niveau mondial. C'est ainsi que le consortium ayant finalement remporté l'appel d'offres a proposé un prix de sortie de l'électricité extrêmement bas, 21 % moins élevé que la seconde offre, car la participation à ce projet leur permettait de devenir la référence mondiale sur cette technologie.

M. Philippe Marini, président. - Quelle est l'origine de ce consortium ?

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Il s'agit d'un consortium essentiellement saoudien, mais la technologie est espagnole.

Enfin, il faut noter que bien qu'elle ne soit pas soumise au code des marchés publics, MASEN a décidé de recourir à des appels d'offre, auxquels les bailleurs de fonds internationaux ont été associés tout au long du processus, à travers la procédure de « l'avis de non objection ».

Du point de vue du développement, la construction de la centrale de Ouarzazate est l'occasion d'aménager le territoire et de contribuer au développement local. La centrale a également nécessité la mise en place d'infrastructures routières, téléphoniques ou hydrauliques, qui ont été installées en prenant en compte les besoins de proximité. D'autre part, MASEN a exigé que 70 % des emplois non qualifiés soient réservés à la population locale.

Le plan solaire marocain vise également au développement d'une véritable filière industrielle marocaine dans le domaine de l'énergie solaire. L'appel d'offre comprenait l'exigence que 30 % du montant de l'investissement soit réalisé par des entreprises marocaines. Et afin d'améliorer la formation de la main d'oeuvre marocaine, un institut dédié aux énergies renouvelables sera ouvert à Ouarzazate, qui sera accompagné de deux autres à Tanger et à Oujda.

Enfin, à terme, les centrales solaires pourraient être une source de revenus à travers l'exportation de l'électricité vers l'Europe. On se rappelle le projet allemand « Desertech », mais le plan solaire marocain est plus réaliste.

Je vais maintenant aborder les investissements dans le réseau électrique. Le Maroc compte une population rurale importante de 13,4 millions d'habitants et dont l'accès à l'électricité est limité. Le taux d'électrification rurale au Maroc ne dépassait pas 14 % en 1990 quand il était compris entre 70 et 85 % dans les autres pays du Maghreb.

En 1996, a donc été lancé un programme d'électrification rurale global (PERG), que la France a accompagné depuis ses origines. Au total, l'AFD a accordé 241 millions d'euros de prêts, représentant plus de 10 % du budget global du PERG.

Les résultats de ce programme sont particulièrement bons. Fin 2012, le taux d'électrification rurale s'élevait à 98 %, au terme de près de 1,8 milliard d'euros d'investissements, donnant l'accès à l'électricité à 12 millions de personnes.

L'AFD a également accordé deux prêts de 50 millions d'euros en 2008 et de 57 millions d'euros en décembre dernier afin de financer le renforcement du réseau de transport électrique.

Enfin, nous allons aborder la question de l'efficacité énergétique, à travers l'exemple de l'habitat social. La croissance importante de la population urbaine marocaine vient densifier les quartiers d'habitat insalubre et les bidonvilles. Pour soutenir la politique de l'habitat social au Maroc, l'AFD a concentré ses financements sur le Holding d'aménagement Al Omrane, en lui accordant au total trois prêts pour un montant de 115 millions d'euros.

Dans le cadre du troisième de ces prêts l'AFD a, entre autre, conditionné l'obtention du prêt au respect de normes environnementales. Cette exigence permet également de nourrir les réflexions sur l'application d'une réglementation thermique nationale.

Au cours de mon déplacement au Maroc, j'ai pu visiter des logements réalisés grâce à ce financement, dans le cadre d'un projet portant sur le relogement de 18 202 ménages dans le quartier de Sidi Moumen. J'ai pu apprécier la qualité des logements financés et notamment le niveau des finitions.

Je me suis particulièrement intéressée à un mécanisme de financement innovant : le recours à un tiers investisseur. Certains lots nus sont attribués directement par Al Omrane à des ménages bidonvillois, qui se regroupent pour construire l'immeuble, chaque famille bénéficiant ensuite d'un étage. Pour financer la construction de l'immeuble, de nombreux bidonvillois ont décidé de céder le rez-de-chaussée et souvent le premier étage à un tiers investisseur, qui en échange finance la construction de l'ensemble de l'immeuble.

Cette solution, adoptée spontanément par les ménages bidonvillois a permis d'assurer une certaine mixité sociale à l'intérieur même des immeubles et de créer une activité économique, les rez-de-chaussée étant souvent utilisées comme boutiques. Elle pourrait utilement être étendue à d'autres projets et à d'autres pays.

Nous abordons maintenant la question des transports, et tout d'abord dans l'agglomération de Casablanca. Celle-ci connait une croissance importante et devrait atteindre 5 millions d'habitants en 2030. Parallèlement, on constate une explosion du trafic automobile, le nombre de voitures en circulation étant passé de 300 000 en 2001 à un million en 2012. Au-delà des nuisances pour les habitants et des effets environnementaux, le coût de la congestion pèse également sur l'activité économique. Ce coût a été estimé en 2006 entre un et deux points de PIB régional.

La région du Grand Casablanca a adopté en 2007 un plan de déplacements urbain (PDU), proposant un scenario ambitieux de développement des transports collectifs à l'horizon 2030, prévoyant notamment la mise en place d'un tramway, dont la première ligne a été inaugurée en décembre 2012. C'est cette ligne que j'ai pu emprunter lors de mon déplacement à Casablanca.

Son coût total s'est élevé à 541 millions d'euros environ, dont 103 millions de prêts de la RPE et 23 millions de prêts de l'AFD. Le matériel roulant Alstom est identique à celui de Strasbourg. Le tramway est exploité par une filiale de la RATP.

En termes d'emplois, la construction de la ligne de tramway a permis de créer 2 000 emplois directs ou indirects. En phase d'exploitation, ce sont 650 emplois qui seront créés, pour la plupart recrutés localement. Le tramway s'inscrit également dans une véritable logique d'inclusion sociale, en traversant des quartiers populaires.

En janvier 2012 ont été lancées les études pour la suite de la réalisation du projet de déplacements urbains, qui comporte notamment un projet de métro aérien, d'autres lignes de tramway et des bus à haut niveau de service.

Le prêt AFD de 23 millions d'euros a été accordé à une société de développement local avec la seule garantie de la Communauté urbaine de Casablanca et non celle de l'Etat marocain. Cette première permet de continuer à financer des projets au Maroc sans être limité par le ratio « grand risque ». Cela répond également à une stratégie de l'AFD visant à accompagner les processus de décentralisation en cours.

S'agissant maintenant de la capitale du Maroc, l'agglomération de Rabat-Salé regroupe 1,9 million d'habitants environ, répartis sur les villes de Rabat et Salé, séparées par le fleuve Bouregreg, ainsi que la ville de Témara. La situation des transports s'y est dégradée au fil des années, du fait d'un système de transports publics peu efficace et couteux.

Pour répondre, entre autre, à ce problème de mobilité urbaine, un grand projet de réaménagement de la vallée du Bouregreg a été décidé et confié à l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg (AAVB).

La mise en oeuvre de ce projet, qui porte au total sur une superficie de 6 000 hectares, a commencé dès 2006 et comporte la construction d'aménagements portuaires, d'un tunnel routier, d'un nouveau pont sur le Bouregreg rendant possible la navigation fluviale, ainsi que d'équipements publics et d'immeubles.

Le projet d'aménagement de la vallée comporte également la construction de quatre lignes de tramway, dont les deux premières ont été inaugurée le 18 mai 2011 par Sa Majesté le Roi Mohammed VI.

Le coût total de ces premières lignes s'est élevé à 343 millions d'euros. L'AFD a accordé un prêt de 45 millions d'euros pour le financement des infrastructures tandis que la RPE a été mobilisée à hauteur de 97 millions d'euros. Il s'agit également d'un tramway de marque Alstom.

En termes d'emploi, un effort a été fait pour créer de nombreux emplois peu qualifiés. Ainsi, 185 contrôleurs travaillent sur les deux lignes, ce qui permet un taux de fraude très bas, estimé à 2 %, soit environ dix fois moins qu'en France. De même la vente des billets se fait dans des kiosques et non par distributeurs. Cette présence dans les gares et dans les rames contribue à la sécurité du réseau mais également à la promotion du tramway. Enfin, le dépôt a été construit dans Salé, afin que les emplois qu'il crée bénéficient en premier lieu à ses habitants.

Il faut noter que l'exploitation du tramway de Rabat est excédentaire. C'était une vraie surprise pour moi, quand on sait qu'en France le taux de couverture est d'environ 40 %.

A terme, le réseau de tramway sera étendu à 4 lignes, en utilisant un deuxième point de franchissement du fleuve Bouregreg.

Enfin, je vous présente un dernier projet, celui de la ligne à grande vitesse entre Tanger et Casablanca. Le schéma directeur du réseau ferroviaire national à grande vitesse au Maroc prévoit la construction de 1 500 km de lignes à l'horizon 2035. La première ligne du réseau LGV marocain reliera Tanger à Casablanca, via Rabat et vise à contribuer au rééquilibrage territorial du Maroc, au bénéfice notamment de la région Nord de Tanger. La réalisation de cette ligne sera fera tout d'abord sur le tronçon Tanger-Kénitra.

Les rames seront similaires à celles du TGV Est français. Les travaux ont officiellement été lancés en septembre 2011.

Le coût de ce premier tronçon est estimé à 1,8 milliard d'euros. La France y contribue fortement avec un prêt de l'AFD de 220 millions d'euros, un don FASEP de 75 millions et un prêt RPE de 625 millions.

Cette LGV participera au développement économique du Royaume. Elle doit être vue comme un outil d'aménagement du territoire. Ainsi, la liaison ferroviaire desservant le nouveau port de Tanger-Méditerranée, qui a fait l'objet d'un prêt de 25 millions d'euros de l'AFD, a permis un développement économique local, à commencer par l'implantation d'une usine Renault à Tanger.

D'autre part, des efforts financiers importants sont consentis par l'ONCF pour en faire un « TGV populaire », avec un tarif envisagé relativement bas, basé sur le tarif actuel en train classique, majoré de 20 dirhams pour tenir compte du coût de réservation.

Il faut noter que les investissements sur le réseau à grande vitesse n'empêchent pas d'investir également sur le réseau classique. Au total, 1,7 milliard d'euros viendront financer l'électrification totale du réseau et la rénovation des gares

J'ai en particulier pu visiter les gares de Casa Port, qui est en train d'être complétement réaménagée, et celle de Rabat-Ville, dont la rénovation est achevée. Il est d'ailleurs à noter que les revenus de la valorisation des gares participent au financement des rénovations.

S'agissant du financement du projet, au cours de l'entretien que j'ai eu avec le directeur général de l'ONCF, celui-ci a attiré mon attention sur le fait que le projet devait initialement bénéficier d'un concours de la BEI et de la facilité d'investissement pour le voisinage (FIV). Ces contributions n'ont finalement pas été accordées, au terme d'un processus que j'ai souhaité éclaircir.

La décision d'accorder les financements de la FIV est prise par le comité opérationnel, qui regroupe des représentants des différents États membres. Chaque projet doit être présenté par un bailleur européen. Pour la LGV marocaine, le projet était porté par la BEI. Il aurait dû être soumis au dixième comité opérationnel, le 23 novembre 2010. Cependant, suite à la décision, le 16 novembre, du conseil des directeurs de la BEI de ne pas accorder leur soutien au projet, celle-ci n'était plus en mesure de le présenter au comité opérationnel. Il fut donc retiré de l'ordre du jour.

Pourtant, la BEI a étudié le projet en profondeur, pendant près d'un an. La direction de l'ONCF m'a indiqué qu'elle considérait que ce refus de la BEI ne provenait pas de la qualité du projet mais tenait à « des considérations et des enjeux qui [semblent] d'ordre politique et non technique » et notamment « à des intérêts divergents entre pays membres ». En d'autres mots, les Allemands ont fait campagne contre ce projet, le choix des autorités marocaines ne s'étant pas porté sur une technologie allemande.

En conséquence, le projet a perdu 400 millions d'euros de financements (300 millions de prêt de la BEI et 100 millions d'euros de subventions de la FIV). De plus, le désengagement de bailleurs communautaires a pu être interprété comme une marque de défiance vis-à-vis du projet et ont pu dès lors le décrédibiliser.

Ce problème de financement a été réglé grâce aux contributions de différents fonds arabes qui ont apporté les 400 millions d'euros nécessaires. Il n'en demeure pas moins que le retrait de la BEI et, consécutivement, la perte de la subvention au titre de la FIV, et leur remplacement par des fonds arabes ne sont pas neutres politiquement et ont ôté à ce projet son caractère de coopération euro-marocaine. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'il ne semble pas que tous les crédits dont dispose la FIV seront consommés à la fin de l'année.

M. Philippe Marini, président. - Cela prouve qu'il est possible de réduire le budget communautaire !

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Nous regrettons avec Yvon Collin que des considérations politiques aient pu priver de financements communautaires un projet aussi emblématique de la modernisation du Maroc et entacher la coopération entre le Royaume et l'Europe, alors même que la qualité intrinsèque du projet ne semblait pas en cause.

Cela pose aussi la question du processus. A aucun moment les commissaires ne sont intervenus et encore moins le Conseil, alors que du point de vue des Marocains, c'était un refus politique de l'Europe de soutenir la LGV.

M. Philippe Marini, président. - Je voudrais faire une remarque sur la LGV. Si je comprends bien, les financements français sont des financements liés ; or l'Union européenne et en particulier notre partenaire allemand, qui ont été sollicités, ne sont peut-être pas ravis de contribuer à un projet qui est un projet marocain, mais aussi un projet d'un constructeur français. Ce que vous présentez comme un échec pour l'Europe est peut-être l'effet naturel d'une émulation : la France ayant pu, compte tenu de ses liens avec le Maroc, obtenir un choix en amont de la technologie, les autres n'ont pas forcément envie de renforcer ce qu'ils voient comme une position française privilégiée.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Au lieu de nous considérer comme en concurrence exacerbée, nous pouvons aussi nous dire que nous avons la chance de compter parmi les quelques plus grands spécialistes de matériel ferroviaire au monde. En fait, les constructeurs français et allemand trouvent tous les deux des clients dans les grands pays émergents et dans les pays du Maghreb. La BEI se doit d'aider les projets portés par l'un et par l'autre. Nous devons être dans une logique de développement des technologies européennes. Au vu de la réussite du tramway, qui est étonnamment efficace et rentable, et qui repose sur un modèle économique plus performant que chez nous, on peut penser qu'il existe aussi un potentiel pour la LGV, avec un prix plus bas et une gestion astucieuse. Je propose donc que la BEI et la Commission gèrent ce projet en développement, en tant que savoir-faire que l'on exporte, et que l'on dépasse les chicaneries et les concurrences - elles sont respectables mais dans ce cas destructrices, pour le prêt de la BEI et surtout pour la subvention de la FIV.

M. Philippe Dallier. - Peut-on avoir une idée du coût du billet de tramway, rapporté au salaire moyen ? S'il y a une recette miracle, nous sommes preneurs en Île-de-France !

M. Roger Karoutchi. - Je fais le même constat : le tramway de Rabat est à l'équilibre, celui de Casablanca doit être à 80 %. Il y a bien sûr des éléments extérieurs, mais le matériel est quasiment le même. Quelle est donc la recette miracle pour atteindre ce niveau d'équilibre, lorsque nos tramways en France ont du mal à atteindre 50 % ? Le prix du billet, en proportion du pouvoir d'achat, est-il si élevé qu'il permet un rééquilibrage ?

M. André Ferrand. - Notre collègue Fabienne Keller pense-t-elle que les acteurs de notre politique de coopération gardent tout de même présent à l'esprit l'intérêt des entreprises françaises ? Nous avons là des exemples qui concernent l'aide liée. Mais en dehors du strict exemple marocain, il a longtemps été reproché à l'AFD et aux acteurs de la coopération d'oublier trop souvent, dans leur générosité, les intérêts de nos entreprises, de sorte qu'elles ne peuvent retirer leur juste part de l'argent du contribuable français.

Mme Michèle André. - Nous voyons bien, dans ce focus particulier sur le Maroc, que la jeunesse est nombreuse et que la dynamique de la population demande du transport collectif. Il suffit de se déplacer dans ces villes pour voir que l'état du parc automobile et des bus est globalement poussif et polluant. Plus généralement, nous avons depuis quelques temps l'impression d'une exigence accrue de la Banque mondiale en ce qui concerne la documentation technique qui doit être fournie à l'appui des projets qu'elle accompagne. Un chef d'entreprise dans un pays d'Afrique subsaharienne me disait récemment que certains industriels chinois avaient été exclus de certains projets faute d'avoir pu fournir des garanties techniques suffisantes. Il me semble - je parle ici comme parlementaire de la Francophonie - que nous pouvons nous réjouir de cette position nouvelle de la Banque mondiale, qui devrait permettre de reprendre pied dans un domaine où les cadeaux des Chinois sont faits dans des conditions techniques extrêmement discutables. Le Maroc est cela dit moins exposé à cette situation que l'Afrique subsaharienne.

M. François Fortassin. - Je voudrais insister plus particulièrement sur les problèmes d'énergie. Il est communément admis que les énergies renouvelables sont extrêmement intéressantes, mais que certaines fonctionnent moins bien que d'autres - en particulier l'éolien puisqu'il faut du vent, et que l'on ne peut pas stocker l'énergie. Par contre, il y a assez peu de développements dans les « énergies domestiques », c'est-à-dire les énergies adaptées à la consommation d'une famille, laquelle est étroitement corrélée au niveau de vie. Or ces pays émergents qui ont une faible consommation d'énergie sont aussi des pays où il y a beaucoup de soleil. Aussi, je voudrais interroger Fabienne Keller sur ce qu'elle pense de ce sujet.

Mme Fabienne Keller, rapporteure spéciale. - Philippe Dallier et Roger Karoutchi se sont intéressés à l'équilibre financier des transports publics : je dois dire que cela m'a interpellée moi aussi. Nous sommes dans une situation assez différente d'une ville française. Premièrement, la part des ménages équipés en voiture est beaucoup plus faible, aussi la clientèle dite « captive » est-elle plus importante. Comme à l'époque des premiers tramways, cela permet de capter l'essentiel des besoins de transport, alors qu'en région parisienne le besoin n'est jamais qu'à 40 %. Deuxièmement, les salaires sont très bas : dans les sociétés de transport françaises, les charges de personnel représentent les deux tiers des coûts, et l'on se préoccupe constamment de diminuer le nombre de conducteurs. Ce n'est pas du tout la situation au Maroc : j'ai été frappée et intéressée - humainement aussi - par le cas des employés présents sur les quais. Ils font qu'il n'y a pas de triche et que le tramway est très sécurisé, même le soir et dans les quartiers difficiles ; ils donnent aux gens qui ne sont pas toujours très à l'aise, avec les plans par exemple, les explications dont ils ont besoin. Troisièmement, les rames sont particulièrement longues : leur tramway est presque un intermédiaire entre le train et nos tramways, en termes de capacité de voyageurs.

Enfin, le prix a été calé juste en-dessous de celui des bus collectifs, c'est-à-dire du covoiturage informel. Voici un ordre de grandeur : l'abonnement mensuel est de 230 dirhams, pour un revenu mensuel médian par ménage de 3 500 dirhams. Par comparaison, à Strasbourg, l'abonnement est de 49 euros pour un revenu médian d'environ 2 000 euros. La part dans le budget des ménages est donc bien plus élevée au Maroc. Mais vous avez, d'un côté, des bus lents, inconfortables et poussiéreux, et de l'autre, un tramway impeccable, aux standards les plus modernes et climatisé.

Ce modèle mériterait donc d'être étudié, car on voit qu'il y a du potentiel dans les pays intermédiaires pour un transport public qui ne soit pas un gouffre financier - alors qu'en France les deux tiers du coût total sont financés en déficit d'exploitation. Grâce aux nombreux dons qui sont faits, le modèle marocain supporte par ailleurs très peu de coûts d'investissement en propre.

André Ferrand s'est demandé à juste titre en quoi les financements proposés par la France pouvaient aider nos entreprises nationales. Le système a été bien clarifié, notamment sous l'influence de l'OCDE. Le principe est que les aides de l'AFD sont non liées, c'est-à-dire qu'elles financent des projets et non des entreprises - mais cela n'exclut pas que les Français soient bénéficiaires de l'appel d'offre compte tenu de notre expertise dans les domaines de l'eau, des transports ou de l'urbanisme. L'aide du Trésor, par contre, est par définition une aide liée.

Michèle André a évoqué les exigences de qualité accrues de la Banque mondiale : je n'en ai pas particulièrement connaissance, mais je n'en suis pas surprise pour autant. S'il y a une valeur de l'ingénierie française reconnue par nos interlocuteurs, c'est bien la solidité, la résistance et la maintenance dans la durée. Je n'ai pas croisé d'investissements chinois au Maroc ni en Tunisie. C'est vraiment un phénomène qui concerne l'Afrique subsaharienne.

François Fortassin a évoqué l'idée des énergies domestiques. Pour l'instant, on ne voit pas beaucoup de panneaux photovoltaïques ni de chauffe-eau, lesquelles pourraient pourtant constituer un circuit court très adapté. C'est en fait vers cette solution domestique que l'AFD voudrait pousser l'État marocain. En revanche le photovoltaïque n'est pas du tout une perspective envisagée : il demeure coûteux puisqu'il passe par l'électricité, contrairement au chauffe-eau. J'ai par ailleurs été très frappée par la gestion du soleil dans les constructions, qui sont faites de telle sorte que l'intérieur soit naturellement climatisé : utilisation des carreaux, qui restituent la fraîcheur, gestion traditionnelle des auvents, balcons fermés, occultation etc. La rénovation urbaine permet aussi de très nombreux petits emplois de proximité, qui n'existent plus en France. Ces artisans et ces services forment un maillage très important pour la qualité urbaine, et apportent à la fois activité et mixité.

M. Philippe Marini, président. - J'imagine que la commission est très favorable à la publication de ce rapport qui nous a beaucoup intéressés.

A l'issue de ce débat, la commission donne acte de leur communication à Mme Fabienne Keller et à M. Yvon Collin, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.