Mardi 2 juillet 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Audition de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur la mission « Acte II de l'exception culturelle »

La commission auditionne Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication, sur la mission « Acte II de l'exception culturelle ».

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Madame la ministre, nous avons entendu la semaine dernière M. Pierre Lescure que nous avons questionné sur son rapport « Acte II de l'exception culturelle ». Pouvez-vous nous dire quelle appréciation vous portez sur ce rapport et quel est l'avenir des propositions envisagées ?

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - À l'heure du numérique, les outils qui existent aujourd'hui en matière de politique culturelle doivent être réarmés. C'est l'un des axes constitutifs du nouveau pacte de politique culturelle qui figurait dans les engagements du Président de la République.

C'est un enjeu de taille, économique bien sûr pour des industries culturelles porteuses de compétitivité et d'emplois, mais surtout un enjeu symbolique de citoyenneté. Car la rémunération juste des créateurs et le financement efficace de la création doivent toujours être assurés en même temps que la diffusion la plus large des oeuvres et en particulier en direction de la jeunesse.

Comme vous avez pu le constater mercredi dernier lors de l'audition de Pierre Lescure, le rapport de la mission « Acte II de l'exception culturelle » est un outil extrêmement riche. Et je tiens à féliciter à nouveau Pierre Lescure et son équipe.

Vous connaissez le détail des 80 propositions. Il ne s'agit pas là d'une solution clé en main mais de propositions qui nécessitent une élaboration démocratique. Il faut maintenant passer de ce rapport à la mise en oeuvre concrète d'une nouvelle politique numérique culturelle. Cela suppose notamment d'identifier les mesures prioritaires, leurs modalités d'application et leur calendrier. Cette mise en oeuvre appelle des concertations, des arbitrages, une expertise technique et juridique. J'ai donc engagé une série de réunions avec les professionnels concernés. Une analyse juridique et technique sera menée par les services de l'État. J'ai aussi tenu à placer le dialogue interministériel et les temps d'échange avec le Parlement au coeur de cette mise en oeuvre car, vous le savez, je suis très attachée à cette élaboration conjointe, avec le Parlement, des textes législatifs sur lesquels il est appelé à se prononcer. Après l'audition devant l'Assemblée nationale il y a 15 jours, cette audition ici, au Sénat, constitue pour moi une étape décisive.

De ces 80 propositions, je retiens quatre grands domaines d'action : la mise en oeuvre d'une régulation nouvelle adaptée à l'univers numérique, l'amélioration de l'offre culturelle légale et de son accès, le financement de la création et la question du partage des revenus dans l'univers numérique et enfin, les actions à mener au niveau européen car c'est au niveau européen que nous devons, aussi souvent que possible, situer notre démarche.

Tout d'abord, la régulation. Elle doit s'entendre au sens large : si elle s'applique à l'offre culturelle légale elle doit aussi permettre de combattre efficacement l'offre illégale.

Nous sommes tous d'accord, le développement de l'offre légale est la clé du succès de la transition numérique. Cette régulation passe aussi par le combat contre l'offre illégale.

La lutte contre le piratage doit être réorientée très vite, pour viser en priorité le piratage commercial. C'est une mesure prioritaire : la lutte contre le piratage commercial, autrement dit contre les sites qui proposent des contenus illicites et génèrent des profits sans jamais rémunérer les créateurs, doit devenir l'axe majeur de lutte contre la circulation des contenus illicites. Pour cela, nous devons rapidement mobiliser tous les nouveaux acteurs autour d'une feuille de route précise. Il faut mettre autour de la table les fournisseurs de paiement et les régies publicitaires mais aussi les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les représentants des ayants droit et les organismes chargés du dépôt légal. J'ai décidé de confier à Mireille Imbert-Quaretta, auteur d'un récent rapport sur les moyens de lutter contre le streaming et le téléchargement direct illicites, la mission de définir et de mettre concrètement en oeuvre cette feuille de route.

La réforme de la riposte graduée est le deuxième aspect de la lutte contre l'offre illégale. Cela commence d'abord, vous le savez car je l'ai déjà annoncé, par la suppression de la coupure de l'accès à Internet. Cette mesure est loin d'être accessoire ou superflue comme certains voudraient nous le faire croire au motif qu'elle n'était jamais appliquée. La récente actualité leur donne tort et confirme la nécessité de la « coupure de la coupure » : il y a quinze jours, un tribunal d'instance a prononcé cette sanction à l'encontre d'un internaute contrevenant. Le décret, qui était ce matin en examen au Conseil d'État, devrait être publié dans les toutes prochaines semaines.

Il n'est cependant pas question dans le rapport Lescure d'abolir toute sanction à l'encontre des internautes pratiquant le téléchargement illégal. Au contraire, il propose, de manière très pragmatique, de maintenir la réponse graduée en l'aménageant et en ne la conservant que pour une durée déterminée. Le rapport souligne en effet très justement le caractère transitoire de la réponse graduée du fait de l'extrême volatilité des comportements des internautes. La mission propose de confier la mise en oeuvre de la réponse graduée au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dont les compétences seront réorganisées pour être adaptées à l'ère numérique. J'ai demandé des expertises précises à ce sujet, notamment sur le type de sanctions -judiciaires ou administratives- le plus approprié.

L'entrée dans l'ère numérique suppose par ailleurs de confier, en ce qui concerne l'Internet, de nouvelles missions au CSA, avec une approche profondément renouvelée de la régulation. Cela pourra faire l'objet de la « deuxième loi audiovisuelle », qui abordera de manière plus globale la régulation de l'offre culturelle en ligne. Le CSA serait ainsi chargé de la mise en oeuvre d'un mécanisme de conventionnement fondé sur un équilibre entre des engagements volontaires (exposition de la diversité, financement de la création, tarifs réduits ou ciblés) et des contreparties en termes d'accès aux aides publiques, d'accès aux consommateurs, voire d'accès anticipé à la distribution des oeuvres. Concernant ce dernier point, le rapport suggère d'aménager la chronologie des médias. Ce dispositif nécessitera un temps de concertation approfondi avec les différentes parties prenantes. C'est pour cela que j'ai décidé de lancer bientôt une concertation professionnelle dans le prolongement des Assises de l'Audiovisuel du 5 juin dernier. Parce qu'il s'agit là d'une étape indispensable de l'Acte II de l'exception culturelle, je souhaite qu'elle trouve une traduction législative avant la fin de l'année 2013.

Le deuxième point important consiste dans l'amélioration de l'offre légale et de l'accès à cette offre.

Le rapport propose plusieurs pistes pour développer l'offre culturelle légale tout en prenant en compte les nouveaux usages. Les plus urgentes me semblent être les suivantes.

Tout d'abord, je l'ai déjà évoqué, il nous faut reprendre la discussion sur la chronologie des médias. La discussion est en cours ; elle se déroule sous l'égide du CNC. Je souhaite qu'elle aboutisse d'ici la fin de l'année.

Il est aussi proposé de subordonner les aides publiques, en particulier les aides à la numérisation, à la disponibilité de l'oeuvre au format numérique.

Concernant enfin sa création et sa diffusion, il s'agit de définir un nouveau cadre juridique pour le contrat d'édition numérique. J'y travaille depuis un an : et nous avons obtenu, grâce au professeur Sirinelli, un accord historique entre éditeurs et auteurs dans le domaine du livre. Je souhaite que cet exemple se généralise. Ainsi, nous travaillons avec les parties intéressées pour voir si une médiation comparable pourrait être engagée dans le secteur de l'édition musicale.

Le rapport propose aussi plusieurs pistes afin de sécuriser le cadre légal des pratiques existantes. C'est un enjeu décisif dont il faut se saisir sans tarder dans l'intérêt de la relation entre les créateurs et le monde de l'Internet.

Il s'agit tout d'abord de mettre plus efficacement les oeuvres à la disposition des personnes handicapées. À ce titre, un rapport de l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) vient de m'être remis et j'attends, avant l'été, un rapport sur la dimension internationale de la question, rédigé dans le cadre des négociations qui viennent de se terminer à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.

Il s'agit ensuite de réfléchir, dans la lignée de la piste ouverte par le rapport Lescure, aux échanges non marchands dans le cadre du cercle privé, une notion qu'il convient de définir car elle si elle dépasse le cercle familial, elle ne peut être extensible à l'infini ; l'Hadopi, comme vous le savez, vient d'ouvrir, de son côté, ce chantier, mais avec une approche différente, davantage économique que juridique. C'est bien la dimension juridique que je souhaite quant à moi privilégier.

Il nous faut aussi sécuriser le cadre juridique applicable aux oeuvres dites transformatives -le mashup ou le remix- pour mieux accompagner le développement des nouvelles pratiques artistiques à partir du numérique.

Enfin la réflexion sur la consécration positive de la notion de domaine public me paraît très importante pour pleinement reconnaître et valoriser ce patrimoine commun qu'est le domaine public numérique.

Le financement de la création et le partage des revenus dans l'univers numérique constitue le troisième grand axe.

Le transfert significatif de valeur vers les canaux de distribution et de diffusion, au détriment des contenus culturels, est largement illustré dans le rapport Lescure. La valeur créée par le développement des usages culturels numériques a beaucoup plus profité aux industries numériques qu'aux créateurs. Il nous faut corriger ce déséquilibre et retrouver un partage équitable de la valeur.

Le rapport Lescure propose de créer une contribution sur les terminaux connectés (CTC), qui permettent de stocker ou de lire des contenus culturels. Cette contribution aurait vocation à devenir un véritable outil d'exception culturelle dans l'univers numérique. Elle permettrait d'alimenter un compte d'affectation spéciale dans les conditions prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Son produit serait affecté prioritairement au financement d'actions de soutien au développement numérique des industries culturelles. Les domaines concernés prioritairement sont la musique et la photographie, très touchées par la révolution numérique. Elle permettrait aussi de financer des actions transversales telles que l'harmonisation et la circulation des bases de métadonnées qui jouent un rôle essentiel à la structuration et à la lisibilité des offres. Cette mesure s'inscrit dans la droite ligne des engagements présidentiels pour une rémunération des créateurs financés non plus seulement par les usagers mais par tous les acteurs de l'économie numérique qui profitent de la circulation numérique des oeuvres. C'est une mesure qui permettrait, comme dans l'univers analogique, de restaurer la solidarité entre l'amont et l'aval de la chaîne. La discussion engagée sur ce point doit aboutir dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014. J'aurai alors besoin de tout votre soutien sur cet aspect majeur de modernisation de nos circuits de financement de la création.

Parmi les autres pistes de financement figure également le régime de la copie privée. Je l'ai souvent rappelé, je suis très attachée à ce mécanisme vertueux et moderne. Je précise que 25 % des sommes collectées financent des actions d'intérêt général qui irriguent toute la filière, et les festivals en particulier. Le rapport de Pierre Lescure appelle à consolider ce mécanisme, dans la lignée de la décision de la commission de la copie privée du 14 décembre dernier qui a refondu la quasi-totalité des barèmes avec une méthodologie clarifiée. Au-delà de cette étape essentielle, l'avenir de la copie privée reste à écrire. Pierre Lescure a fait sur l'architecture de ce système des propositions intéressantes qui sont en cours d'analyse dans mes services.

Par ailleurs, je souhaite que soit renforcé le rôle de l'Institut de financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC), cet établissement de crédit spécialisé sur ce secteur des industries culturelles, dont la compétence est largement reconnue, et appréciable alors que le modèle de ces industries fonctionne souvent sur le prototype, et que le tissu de ces entreprises est majoritairement composé de très petites entreprises (TPE). Un partenariat avec la Banque publique d'investissement (BPI) permettrait à cet établissement d'étendre le périmètre de ses interventions vers des secteurs et des TPE qui n'accèdent aujourd'hui que marginalement aux ressources des « investissements d'avenir ». Nos industries culturelles ne sont pas sous perfusion. Riches en emplois, porteuses de croissance et de capacités d'exportation, elles ont simplement besoin, comme toutes les autres entreprises, de financements adaptés. À cette fin, l'IFCIC doit jouer le rôle de « poisson pilote » de la BPI.

Il importe enfin, dans le cadre du réaménagement en cours des investissements d'avenir, que ceux-ci puissent contribuer à financer le développement de plateformes et de services numériques innovants.

Le partage de la valeur concerne aussi tous les acteurs des différents secteurs. Des règles plus claires doivent éviter aux créateurs de l'univers numérique d'être toujours lésés au profit des producteurs ou des diffuseurs. Si les modèles économiques changent à l'ère numérique, il reste nécessaire de contrebalancer le rapport de forces défavorable aux créateurs. Ce principe n'est pas neuf puisqu'il a motivé la création du droit d'auteur en France.

Dans le domaine de la musique enregistrée, des négociations devraient être très rapidement engagées pour évoquer la rémunération des artistes au titre de l'exploitation en ligne de leurs oeuvres. Le rapport propose plusieurs pistes, passant d'abord par la négociation et, en l'absence d'accord, par la mise en place, par la loi, d'une gestion collective obligatoire. Je souhaite que des négociations puissent rapidement s'engager à l'automne.

Dans le domaine de la musique toujours, le rapport propose la création d'un droit sui generis des producteurs de spectacles vivants. Cette proposition répond à des attentes fortes. Nous avons entrepris une expertise approfondie de cette piste et allons commencer le travail avec les professionnels concernés.

Concernant la photographie, l'enjeu est grand. Je l'ai déjà dit, c'est un secteur extrêmement touché par la révolution numérique. Nous devons définir un code de bonne conduite, notamment pour encadrer le recours à la mention « DR » - droits réservés. Dans le secteur de la photographie de presse, j'ai confié à M. Francis Brun-Buisson, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission de médiation entre les agences et les éditeurs de presse.

Le quatrième point décisif est relatif à la dimension européenne.

Nous devons nourrir une ambition européenne pour la culture. C'est ce qu'a démontré le récent débat au sein du Conseil européen et le succès de notre combat au nom de l'exception culturelle. C'est aussi la conclusion à laquelle conduisent les propositions du rapport Lescure.

En matière fiscale, nous voulons défendre la pleine consécration du principe de neutralité technologique par l'application des mêmes taux de TVA aux services en ligne et aux services traditionnels, comme c'est le cas, déjà, pour le livre numérique ;

En matière d'aides d'État, la mission préconise de défendre auprès des instances communautaires l'inclusion des aides aux services et plateformes culturelles numériques, pour la diffusion et la distribution, dans les aides à la promotion de la culture. Dans une perspective de simplification et d'allègement des procédures, l'exemption de l'obligation de notification des aides d'État à la culture est une demande qui me tient à coeur, ainsi qu'à mon homologue allemand de la culture, M. Bernd Neumann : nous avons adressé ensemble un courrier à ce sujet à la Commission européenne.

En matière de concurrence, la mission suggère de plaider pour une réforme de la directive Service médias audiovisuel (SMA) afin d'appliquer à ces services la règle du pays de destination du service et de définir des règles communes pour tous les distributeurs de services audiovisuels, numérique inclus. C'est un chantier décisif pour l'avenir de la réglementation audiovisuelle européenne.

En matière de lutte contre le piratage, il nous faut lancer une réflexion à l'échelle européenne : nous devons nous interroger sur le rôle des intermédiaires de l'Internet dans la prévention et la cessation des comportements délictueux ou criminels sur Internet.

En matière de droits d'auteur, enfin, une mission a été engagée, confiée au Professeur Sirinelli sur les enjeux qui doivent nous guider dans le débat qui s'ouvre sur une éventuelle réouverture de la directive 2001/29 sur le droit d'auteur et les droits voisins.

Vous le voyez, beaucoup de ces propositions reposent sur le dialogue communautaire. Je veillerai, comme j'ai pu le faire récemment, à expliquer les réflexions menées au niveau national et à en souligner la dimension européenne. Le rapport de Pierre Lescure a été remis à chaque membre du Conseil européen des ministres de la culture. Pierre Lescure ira d'ailleurs le promouvoir en missi dominici dans différents pays européens. Vous l'aurez compris, nous sommes dans une phase de réappropriation des propositions de ce rapport. Et la France a un rôle pilote dans ce secteur.

Nous aurons aussi l'occasion de discuter de ces questions lors du prochain Conseil informel des ministres de la culture en octobre en Lituanie. Car en défendant ces idées au niveau européen, nous montrons que nous portons une véritable ambition pour la politique culturelle européenne, dans un dialogue constant avec les autres pays membres, au premier rang desquels l'Allemagne.

Vous avez donc pu vous en rendre compte, le programme est dense. Parce que l'enjeu est considérable, parce que notre ambition est grande.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci Madame la ministre pour cet inventaire complet des mesures envisagées par le Gouvernement suite au rapport Lescure consacré aux conséquences à tirer de cette mondialisation numérique, qui s'insinue dans notre quotidien et jusque dans l'intimité de nos foyers. De ce que vous venez de nous dire, nous retenons qu'un certain nombre de changements seront négociés avec les professionnels sans intervention directe du Parlement et que d'autres feront l'objet de directives européennes.

En revanche, nous serons concernés au premier chef par la contribution sur les terminaux connectés, qui sera discutée lors de la discussion de la prochaine loi de finances, à l'automne prochain.

Au même moment, nous examinerons également deux textes relatifs au Conseil supérieur de l'audiovisuel, destinés à garantir l'indépendance de l'audiovisuel public et de la nomination de ses présidents.

M. André Gattolin. - La multiplicité des questions posées par le numérique fait que nous devrons avoir recours à de multiples instruments législatifs.

Nous vous devons un satisfecit quant à la façon dont vous avez fait valoir l'exception culturelle au début des négociations sur le libre-échange, mais nous vous invitons à ne pas baisser la garde, la Commission européenne pouvant à tout moment être tentée de céder aux États-Unis, en réintroduisant dans la négociation ce cheval de Troie que constitue l'offre culturelle sous ses formes dématérialisées.

En tant que rapporteur de la loi sur la rémunération pour copie privée, je ne partage pas votre enthousiasme pour les mécanismes de prélèvement actuels, qui ont d'ailleurs été remis en cause par le rapport Victorino. Le système en vigueur, caractérisé par son opacité et ses barèmes inadaptés, favorise l'émergence d'un marché gris sur des produits achetés à l'étranger et profite à des organismes privés, alors que ces recettes pourraient abonder le budget de l'État.

M. Louis Duvernois. - L'exclusion de l'exception culturelle des négociations sur l'accord transatlantique de libre-échange est un succès, mais le différend qui nous oppose aux États-Unis après la découverte des écoutes qu'ils mènent à l'encontre de leurs alliés ne risque-t-il pas de tout remettre en cause ? Le front européen ne risque-t-il pas de s'effriter ? Le Président de la République vient d'exiger des explications, mais quelle sera notre réaction quand on nous aura répondu ?

Mme Dominique Gillot. - La jeunesse constitue une population très à l'aise dans l'univers du numérique, mais peu sensible aux enjeux économiques, ainsi qu'aux notions de propriété intellectuelle ou artistique. Par-delà la lutte contre le piratage, nous devons engager une action pédagogique d'ampleur auprès des jeunes afin de les éduquer en les sensibilisant à ces questions.

M. Jean-Pierre Leleux. - Comme plusieurs de mes collègues, je voudrais saluer votre combat pour l'exception culturelle, tout en insistant sur le fait qu'une certaine vigilance reste de mise, s'agissant notamment de nos partenaires européens, dont nous devons nous efforcer d'entretenir la motivation de façon permanente.

Je souhaiterais avoir votre avis sur la fiscalité des écrans qui, selon moi, reste un sujet tabou : le prélèvement que vous préparez doit-il se substituer à un autre ou s'ajouter au dispositif ? D'autre part, comment envisagez-vous l'utilisation et la répartition des sommes collectées ? Vont-elles contribuer au financement de l'audiovisuel public ?

Je souhaitais aussi vous faire part de quelques craintes concernant le maintien des aides territorialisées, qui m'apparaissent tout à fait indispensables au secteur du cinéma, tant au niveau européen qu'au niveau national.

Mme Françoise Cartron. - Je pense, comme ma collègue Dominique Gillot, que la sensibilisation des jeunes aux notions de droits et de propriété intellectuelle doit désormais faire partie de leur éducation. Je souhaiterais aussi rappeler les immenses possibilités offertes par le numérique en termes de supports pédagogiques et la nécessité de s'entendre avec les professionnels pour l'élaboration et la diffusion d'outils nouveaux.

Mme Maryvonne Blondin. - En juin dernier, nous avons donné à nos négociateurs un mandat pour des discussions qui prendront sans doute plusieurs années. L'exception culturelle n'est pas le seul domaine exclu du champ des négociations de l'accord transatlantique de libre-échange, car les marchés publics et les marchés liés à la Défense ne seront pas traités dans ce cadre. Par ailleurs, chaque État nord-américain ayant sa législation propre, la conclusion d'un accord avec les États-Unis ne lèvera pas forcément instantanément tous les obstacles aux échanges.

S'agissant du numérique, nous devons aussi garder à l'esprit que de nombreuses « start-up » françaises opérant sur ce secteur bénéficieront d'un accord de libre-échange qui facilitera leurs exportations.

Enfin, je souhaiterais savoir si des mesures sont envisagées pour faire bénéficier les personnes handicapées d'offres numériques moins coûteuses.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Madame la ministre, je me permets d'ajouter une question sur la protection des droits liés aux productions de spectacles vivants et je vous laisse la parole pour répondre aux différents intervenants.

Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. - Je voudrais préciser que les premières propositions relatives au mandat de négociation de l'accord de libre-échange qui nous ont été soumises par la Commission européenne, et qui ont été refusées à l'unanimité, faisaient bien état d'une exception culturelle, mais celle-ci ne concernait que les supports analogiques. La victoire nette obtenue a consisté à exiger que l'exception culturelle soit adaptée à tous les aspects du contexte nouveau généré par la révolution numérique. Cette discussion va durer longtemps. La règle de l'unanimité est préservée et la France va pouvoir faire valoir sa position sur l'exception culturelle. Nous voulons que le principe soit acté afin de pouvoir adapter notre dispositif au numérique. Nous savons que les Américains ont une position offensive sur le numérique culturel. Et c'est pour cela que nous avons défendu notre position qui n'est pas du tout réactionnaire ! C'est tout l'enjeu du combat.

Concernant la rémunération pour copie privée, c'est un modèle qui repose sur le droit d'auteur. Aujourd'hui, la société de perception et de répartition des droits (SPRD) gère ces droits d'auteur. Elle attribue 25 % selon des critères qui lui sont propres. On peut demander plus de transparence mais cela ne doit pas remettre en cause ce mécanisme.

Sur la consolidation de la gouvernance, un arbitrage est en cours. La CTC peut permettre de contrebalancer le rendement de la copie privée, d'ici quelques années, selon un mécanisme de ciseaux L'objectif est d'éviter le recoupement des différentes fiscalités. Il n'est pas contraire aux règles européennes de mettre en oeuvre des aides indirectes, de compenser le préjudice potentiel de copie privée. Le financement des nouveaux acteurs se ferait par trois mécanismes qui ne fonctionnent pas de la même manière et qui ne se recoupent pas dans un objectif de court et moyen terme.

S'agissant des écoutes à grande échelle menées par les services américains, le Président de la République a exigé toutes les explications nécessaires. Quant à l'accord de libre-échange, je suis favorable à un accord global avec certaines conditions concernant la culture, l'agriculture, la défense... Je serai très vigilante sur ma partie. Je souhaite préserver notre capacité à nous projeter dans le monde, notre capacité d'influence et, surtout, de conserver nos filières de création. C'est un enjeu stratégique majeur. C'est au coeur même de la souveraineté de la France et de l'identité de l'Europe. Quinze Etats membres ont soutenu notre démarche et l'ensemble de la presse européenne a salué la position française sur l'exception culturelle. L'opinion publique nous a également soutenus, notamment en Allemagne.

Concernant la pédagogie, l'essentiel est d'apprendre aux jeunes l'économie de la création. Il faut leur expliquer comment une oeuvre se crée et quelles sont les conditions matérielles de la création. Cela doit être inclus dans le cadre de la formation, au collège, au « brevet Informatique et Internet » (B2i) et j'y suis favorable.

Je propose de rester vigilante à la fiscalité sur les écrans. Il faut s'adapter aux usages et la neutralité technologique fiscale doit s'appliquer partout. Je soutiens la mise en place de la CTC dans le but d'alimenter les filières culturelles et non les caisses de Bercy !

Sur la communication « cinéma », je vais demander le report du rapport du commissaire européen, qui n'est pas du tout satisfaisant.

En matière pédagogique, nous travaillons sur l'exception pédagogique avec le ministère de l'Éducation nationale, à la création d'un espace numérique de travail entre les enseignants et les élèves. Nous progressons sur ce sujet. Il faut trouver un équilibre dans l'utilisation des extraits d'oeuvre dans le cadre de cet espace.

Sur les prix de l'offre culturelle, dans le cadre des nouveaux conventionnements, des pistes seront proposées en fonction des différents publics, des tarifs seront ciblés selon les plateformes... Je travaille aussi sur l'offre proposée par le ministère de la culture. C'est un axe majeur.

Enfin, s'agissant des producteurs de spectacles vivants, nous sommes actuellement dans une zone de non-droit. Les producteurs voient leurs spectacles captés sans sécurisation. Nous réfléchissons à ce sujet pour créer un droit sui generis.

Concernant Amazon, nous travaillons à l'amélioration de notre système pour soutenir les librairies françaises qui se mutualisent sur des sites de vente en ligne et qui renvoient vers des librairies de proximité.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Les photographes nous ont également alertés sur Google +, qui invite les utilisateurs à créer une page identitaire qui « avale » immédiatement vos photos privées et en fait un mur d'accès public pour tous. Désormais, la presse utilise ces images privées et ne rémunère plus les professionnels de la filière. La question de la non-spoliation fait aussi partie de l'exception culturelle.

Mercredi 3 juillet 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats

La commission désigne Mme Maryvonne Blondin, comme candidat titulaire, et M. Alex Türk, comme candidat suppléant, proposés à la nomination du Sénat pour siéger au sein du Conseil national des professions du spectacle.

Groupe de travail sur l'éthique du sport - Communication

La commission entend ensuite une communication de M. Dominique Bailly sur les travaux du groupe de travail sur l'éthique du sport.

M. Dominique Bailly, rapporteur. - Le sport n'échappe pas aux maux de notre société.

Ces dernières années, on a ainsi connu des matchs truqués, du blanchiment d'argent, de la fraude fiscale, des violences dans les stades ou encore des pratiques dopantes.

Alors que le sport est supposé être porteur de valeurs positives, on a parfois l'impression que le sport et l'éthique sont antinomiques. L'objectif d'aller « plus loin, plus haut et plus fort » serait-il contre-productif ? Le sport business n'a-t-il plus à proposer aux amateurs qu'un pur spectacle dénué de symbole ? Bref, le fair play n'est-il réservé qu'aux doux rêveurs ?

Je ne le crois pas. La pratique et la compétition sportives jouent un rôle social majeur, et le succès du concept de sportivité n'est pas le fruit du hasard : il y a une aspiration à un sport éthique et le Parlement peut avoir l'ambition de réfléchir sur les moyens de lui apporter des réponses.

Je remercie donc la commission d'avoir constitué un groupe de travail, composé de quinze de nos collègues de tous les groupes et que j'ai eu la chance d'animer.

Après 34 auditions et plus de 60 personnalités entendues, nous sommes pleinement convaincus que l'éthique, parce qu'elle permet au sport de porter des valeurs positives (égalité des chances, dépassement de soi, respect des autres, santé des participants), doit être au fondement de notre politique sportive.

Nous ne partons pas d'une table rase sur ce sujet. Les lois du 9 juin 2010 encadrant l'activité d'agent, du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne et encore du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport sont venues fixer des règles. Nos réflexions se sont appuyées sur ces dispositions existantes.

En outre nous ne sommes pas les seuls à réfléchir. Nous avons donc par exemple laissé de côté les questions sur le dopage puisqu'une commission d'enquête du Sénat rendra prochainement ses conclusions sur le sujet.

Nous avons abordé quatre problématiques qui nous sont apparues particulièrement pertinentes : les paris sportifs et leurs effets sur la vie des clubs, le rôle et l'encadrement des agents sportifs, l'éthique financière des clubs sportifs et la promotion des valeurs du sport dans la pratique amateur.

Et nous avons formulé dix propositions pour les faire vivre.

Les agents de joueurs tout d'abord. S'il y a un consensus, c'est bien que le marché des transferts de joueurs souffre aujourd'hui d'une trop forte opacité sur les transactions et que le rôle des agents ne facilite pas la transparence.

Le groupe de travail a débattu de la problématique du paiement des agents par les clubs et a considéré que le bilan de la loi de 2010 ne pouvait pas encore réellement être fait.

Il a donc fait des propositions sur ce qui lui paraît être le noeud du problème, à savoir la transparence de la transaction et de la commission de l'agent.

Sa première proposition est donc de mettre en place une chambre de compensation dans les ligues professionnelles par laquelle transiteraient toutes les sommes liées aux transferts des joueurs jouant dans les championnats de France, dont les commissions d'agents. Ce dispositif existe déjà au Royaume-Uni et est considéré comme extrêmement efficace. Je pense qu'il s'agit donc d'une initiative assez urgente à prendre.

Par ailleurs, les agents sont soumis aux obligations de déclaration de soupçon sur d'éventuels blanchiments de capitaux. Aucun élément n'est aujourd'hui remonté à Tracfin. Et pour cause, il n'existe aucun moyen de sanctionner les agents qui n'auraient pas respecté cette règle. Nous proposons donc qu'en cas de manquement, les agents puissent être sanctionnés par la commission nationale des sanctions, qui existe déjà pour les professions qui échappent à toute régulation.

Pour limiter l'influence des agents mais aussi rendre les compétitions françaises plus équitables, nous avons aussi estimé que les périodes de transferts à mi-saison devraient être supprimées : elles créent des perturbations dans les clubs et des inégalités en cours d'année. La règle serait donc : une seule et unique période de transferts entre chaque saison pour les sports professionnels.

Dernier point sur les agents : l'exercice de la profession d'agent sportif par des avocats ne disposant pas de la licence brouille totalement le jeu. Soyons clairs, les agents sont des courtiers exerçant une activité commerciale de prospection pour les clubs ou de négociation pour les joueurs, les avocats fournissent des conseils juridiques. Si un avocat veut devenir agent, il peut le faire, mais il passe la licence comme tout le monde et abandonne sa première activité.

En revanche, nous ne pensons pas pouvoir interdire pour le moment d'être agent de joueur et agent d'entraîneur car il n'existe pas dans la plupart des disciplines de « marché » d'agent d'entraîneur. Le football pourrait en revanche y penser de son côté.

Passons au sujet des paris sportifs, qui constituent un enjeu majeur pour le sport et l'intégrité de ses compétitions.

90 % des mises jouées sur les compétitions françaises le sont depuis l'étranger. Ce constat étonnant nous a conduits à faire plusieurs préconisations : si l'on veut prévenir les risques de trucage des matchs français, ce sont bien les paris passés depuis l'étranger qu'il faut suivre. Il est bien sûr impossible d'en avoir une connaissance approfondie mais les cotes suspectes pourraient être connues grâce à la mise en place d'une plateforme de supervision commune à toutes les disciplines sportives. Elle pourrait être gérée par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) au bénéfice de tout le sport français.

Se pose aussi la question de son financement. Nous avons considéré à cet égard que les opérateurs étrangers agréés devraient être mis à contribution dès lors qu'ils proposent des paris sur nos compétitions. Le droit au pari serait ainsi étendu aux opérateurs agréés à l'étranger, comme les chaînes de télévision étrangère paient pour diffuser le championnat de France de football ou Roland-Garros. Une telle mesure ne pourra bien sûr être mise en oeuvre qu'à la suite d'accords passés avec des pays européens avec des législations comparables.

Sur les paris sportifs, il y a un autre sujet difficile c'est celui de l'exercice d'équilibrisme permanent entre la volonté de limiter les paris qui constituent des risques pour les compétitions et le souhait de ne pas favoriser le passage des joueurs vers des sites illégaux et dérégulés.

Pour sortir de cette alternative, il y a la solution du blocage des sites illégaux. L'Arjel s'y est lancée avec des actions en justice mais c'est long et compliqué. Nous estimons qu'une autre approche doit être recherchée en travaillant avec les intermédiaires financiers (les banques, les sociétés de cartes de crédit, les sociétés de paiement) afin que les clients français ne puissent pas effectuer de dépenses sur les sites répertoriés comme illégaux.

Enfin, la désignation d'un délégué « intégrité » au sein des fédérations sportives pourrait permettre de les intéresser davantage à cette problématique.

D'autres sujets relatifs à l'éthique sont également apparus au fur à et à mesure de nos auditions.

Il a ainsi été constaté que les flux financiers entre les fédérations et les ligues professionnelles n'étaient pas forcément à l'avantage des premières, ce qui pose des questions sur la légitimité de l'existence des ligues, censées gérer l'aspect professionnel du sport au bénéfice des clubs amateurs. La réflexion devra être prolongée, peut-être sur la taxe Buffet, mais le monde professionnel pourrait par exemple s'engager à prendre en charge la formation des formateurs.

Enfin, les chartes éthiques fédérales, prévues par la loi, auraient dû permettre à chaque sport de définir sa vision de l'éthique n'ont pas été adoptées parce que le décret d'application n'a pas été pris. Pourtant, le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) avait avancé en prévoyant un projet de charte adaptable par les différents sports. Nous nous sommes donc dit qu'il fallait supprimer la référence au décret lors d'une prochaine loi sur le sport.

Voilà les conclusions du groupe de travail sur l'éthique sportive adoptées hier.

M. Claude Domeizel. - Vous avez évoqué de manière rapide un sujet qui me paraît particulièrement important -notamment dans le football-, celui de la formation des jeunes. Je suis d'abord toujours étonné que ces jeunes puissent être rémunérés au cours de ces études. Il existe, en outre, des centres privés, véritables miroirs aux alouettes, dont l'état d'esprit me paraît bien lointain de l'éthique sportive.

M. André Gattolin. - S'agissant de ces centres de formation, disposent-ils d'expertises extérieures notamment relatives au dopage ? Parlez-vous du dopage dans le sport amateur et le sport professionnel, en particulier quand une personne passe de l'un à l'autre ?

M. Jacques Legendre. - Je souhaite féliciter le rapporteur pour ses travaux. Je m'étonne que le décret d'application relatif aux chartes éthiques n'ait pas été pris. Il me semble que cela doit être signalé au Gouvernement, éventuellement en séance publique. Je tiens en outre à évoquer le sujet du recrutement à l'étranger de jeunes auxquels on promet un bel avenir mais qui se retrouvent, en cas d'échec, souvent abandonnés et dans des situations sociales dramatiques.

Mme Françoise Laborde. - Les propositions balaient un large spectre. Elles s'appuient sur une analyse poussée, notamment de ce qui existe à l'étranger, et sont à cet égard particulièrement intéressantes. En les mettant en oeuvre, on avancerait donc dans le bon sens et pourrions faire des émules, créant ainsi un mouvement positif en Europe.

Le problème d'addiction dans les paris constitue un enjeu important. Les propositions formulées par le groupe de travail visant à limiter l'offre dérégulée sont pertinentes. Il reste vraisemblable que l'on ne pourra pas rester dans une démarche franco-française sur ce sujet.

M. David Assouline. - L'arrêt Bosman a eu des effets majeurs sur le monde sportif faisant exploser le marché des transferts dans le football et l'ensemble des régulations nationales. Plusieurs de vos propositions n'ont ainsi de réalité que dans un cadre européen, comme la suppression de la période de transferts hivernale. Sur les paris, le problème n'est pas que l'on mise depuis l'étranger mais que les moyens de contrôle ne soient pas internationaux. Les principaux abus se glissent ainsi dans les interstices des législations nationales.

Je suis tout à fait favorable à votre idée de séparer les agents de joueurs et d'entraîneurs dans le football. On a pu constater dans certaines équipes des conflits d'intérêts patents, voire en sélection nationale.

Le dopage est l'un des enjeux primordiaux de l'éthique sportive. L'incitation à se doper devient plus forte à mesure de l'arrivée de l'argent dans le sport, et certains sportifs se retrouvent ainsi pris dans une spirale infernale, qui impose l'intervention des pouvoirs publics.

M. Michel Le Scouarnec. - Le montant des transferts et des salaires versés dans le football sont complètement indécents. J'espère que le rapport a su évaluer la montée du rôle de l'argent dans le sport ainsi que ses effets. Des chiffres précis seraient en effet utiles pour éclairer notre point de vue.

M. Jean-Jacques Lozach. - Je souhaite saluer la qualité du travail effectué par le groupe qui formule des propositions intéressantes. La chambre de compensation pourrait par exemple nous permettre d'avoir une bien meilleure connaissance du marché des transferts dans le sport et ouvrirait à mon sens la possibilité de transformer profondément le système. Je considère, en outre, qu'il est très positif que le Sénat produise ce type de rapport, qui offre une vision humaniste du sport. Je note par ailleurs que le rapport en cours sur la participation des pouvoirs publics au financement des grands équipements sportifs sera un complément utile à notre réflexion. L'ensemble des travaux menés au Sénat constitue donc une préparation active aux débats sur la future loi-cadre. Enfin, depuis que l'Union européenne a reconnu que le sport représentait un enjeu spécifique, on peut attendre des évolutions intéressantes dans les différents pays européens. Je signale ainsi que l'Espagne vient d'adopter une loi contre le dopage, qui va plus loin que la loi française.

M. Jacques-Bernard Magner. - Je partage le sentiment de mes collègues sur l'intérêt du rapport du sénateur-maire d'Orchies, qui a accueilli la finale des championnats d'Europe féminins de basketball ce week-end. Sur ce sujet, on m'a indiqué qu'un commentateur de France 3 aurait fait remarquer le coût que représentait la retransmission du match de la finale, ce qui me paraît particulièrement déplacé. Le lien entre les médias et le sport pose question. La télévision joue en permanence une forme de dramatique, un spectacle, mais ne présente pas les valeurs du sport. Je remarque à cet égard qu'il est de plus en plus difficile d'utiliser les vertus du sport pour enseigner.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Ma préoccupation n'entrait sans doute pas dans votre champ d'investigation, mais elle est relative à l'image des femmes dans le sport qui est une question d'importance et d'actualité. Aujourd'hui, j'ai bien peur que cette image puisse être déconstruite par une décision comme celle de la Fédération internationale de football association (Fifa) d'autoriser le port du voile sur les terrains de football.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Je reconnais la qualité du travail du rapporteur qui montre bien l'opacité des transactions financières dans le sport professionnel. On peut aussi parler de sujets connexes comme le recrutement de joueurs en Afrique par les clubs, par exemple Le Mans dans le football, qui a des effets collatéraux, lorsque ces sportifs sont en échec.

M. Dominique Bailly, rapporteur. - C'est bien parce que le sport porte des valeurs que nous avons un débat fourni aujourd'hui.

Je signale, en outre, que nous avons considéré que le lien entre les sports professionnel et amateur ne devait pas être coupé. Les ligues fermées présentent le risque d'un sport spectacle totalement déconnecté de la réalité des terrains.

Je reconnais que le volet éducation et le volet éducatif des centres de formation est fortement négligé. Le référent « intégrité » que je propose de placer dans chaque fédération pourrait aussi faire vivre cette question.

Grâce à la prise de position de l'Union européenne, l'Uefa a pu avancer de son côté via la mise en place du fair play financier qui constitue un outil très pertinent d'éthique sportif.

La Fifa a autorisé le voile sur les terrains mais je tiens à rappeler la position ferme de la fédération française qui a manifesté son refus. Concrètement, on ne pourrait donc voir des femmes voilées dans un stade de football que pour des rencontres internationales féminines se déroulant sur le territoire français.

La mission de contrôle, menée en commun avec la commission des finances, évoquée par M. Lozach, montre effectivement que l'investissement public dans les équipements sportifs est énorme, et que cela impose de mettre en place des règles protégeant les collectivités territoriales. Notons que pour la première fois, l'Uefa va payer des locations de stades utilisés dans le cadre de l'Euro 2016. Les sommes restent modestes mais il s'agit d'un point de départ.

S'agissant du droit au pari, je note que plusieurs pays européens s'engagent dans la voie de la régulation des paris en ligne et réfléchissent donc à cette question.

M. Jacques Legendre. - Je tiens à indiquer que je n'ai jamais proposé que les ligues soient fermées. L'une de mes préoccupations est que, lorsqu'on fait venir un jeune étranger, qui n'est pas embauché par le club, on ne l'abandonne pas à son sort. Ces situations scandaleuses doivent cesser.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie M.  Legendre ; votre remarque devrait être élevée au rang de proposition. Nous mandatons bien évidemment le rapporteur pour faire vivre les propositions. Je tiens à rappeler nettement, pour nos lecteurs, que la lutte antidopage fait partie de l'éthique sportive, ainsi que de nombreux autres sujets. Vous auriez ainsi pu parler des dérives xénophobes, sexistes et homophobes qui sont inquiétantes, notamment lors de certaines rencontres de football, ou encore, en athlétisme, d'exacerbation de la performance, qui peut aller jusqu'à l'addiction sportive, avec de vrais dégâts chez certains jeunes.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

Groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel - Communication

Puis la commission entend une communication de Mme Maryvonne Blondin sur les travaux en cours du groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure. - La commission de la culture et la commission des affaires sociales du Sénat ont mis en place, le 19 février dernier, un groupe de travail sur le régime de l'intermittence dans le secteur culturel, que j'ai l'honneur de présider.

Nous avons mené 26 auditions à ce jour, et je tiens à remercier tout particulièrement MM. Michel Le Scouarnec et Jean-François Humbert pour leur assiduité lors de ces séances de travail.

Nous nous sommes appuyés sur le remarquable travail de nos collègues députés, qui ont rendu public le 17 avril dernier le rapport de la mission commune d'information « Métiers artistiques : être ou ne pas être des travailleurs comme les autres ? », présidée par Christian Kert et rapportée par Jean-Patrick Gille, que nous avons d'ailleurs eu le plaisir d'auditionner.

Compte tenu du travail de fond réalisé par cette mission, il m'a semblé plus utile de concentrer notre réflexion sur les quatre sujets suivants :

- la réforme des annexes 8 et 10 relatives aux règles d'assurance-chômage pour les techniciens et les artistes ;

- les pistes d'évolution du cadre législatif en matière de contrat de travail pour les intermittents ;

- les suites données à l'enquête de la Cour des comptes sur la Caisse des congés payés du spectacle ;

- enfin, les enjeux autour de la convention collective de la production cinématographique.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je crois qu'il ne serait pas inutile de rappeler brièvement ce que désigne le régime de l'intermittence du spectacle.

Premier point : les intermittents du spectacle ne forment qu'une partie du monde du spectacle. On comptait en 2009 environ 316 000 emplois artistiques, dont 100 000 graphistes et designers, plus de 60 000 auteurs, artistes plasticiens et photographes, et environ 155 000 artistes et techniciens du spectacle, également appelés intermittents du spectacle. Les intermittents sont en majorité des hommes, d'un âge moyen de 39 ans, ce qui peut paraître étonnant alors que l'on pourrait s'attendre à une population très jeune. Une question spécifique aux femmes a été soulevée puisque jusqu'à maintenant elles ne bénéficiaient d'aucune couverture pendant la période légale de congé de maternité. Leur situation semble toutefois être un peu mieux prise en compte puisqu'une circulaire a été publiée en avril dernier pour préciser les modalités de définition de la période prise en compte pour le calcul de l'indemnisation. Des progrès sont toutefois encore attendus.

Deuxième point : l'intermittence n'est ni un statut ni une profession. Personne n'est, en droit, intermittent du spectacle, mais technicien du son, éclairagiste, acteur ou musicien. Les intermittents sont des salariés des entreprises de spectacle dont l'activité est caractérisée par la succession, voire la simultanéité, des contrats de travail à durée déterminée appelés « CDD d'usage », alternant ainsi périodes travaillées et non travaillées. « L'intermittence » caractérise un régime d'indemnisation du chômage prenant en compte une situation particulière d'emploi autorisée par la loi.

Troisième point : le monde de l'intermittence du spectacle regroupe des réalités économiques et sociales très diverses. Parmi les 108 000 intermittents indemnisés par Pôle emploi, les deux tiers sont des artistes, un tiers sont des techniciens.

Quatrième point : le marché du travail des intermittents croît de manière déséquilibrée depuis 20 ans. Pierre-Michel Menger, professeur au collège de France, donne des chiffres saisissants : entre 1986 et 2007, le volume des heures travaillées a été multiplié par 2,7, mais dans le même temps les effectifs d'intermittents ont été multipliés par 3,7 et le nombre de contrats de travail par 12 ! La conséquence de cette attractivité est un véritable morcellement de la durée moyenne des contrats. Elle est passée, entre 1986 et aujourd'hui, de 17 à 3 jours pour les artistes, et de 26 à 6 jours pour les techniciens.

Cinquième point : ce marché du travail atypique et dérégulé est un exemple avancé de flexisécurité. Le propre des métiers du spectacle est d'être basé sur une logique de projet, par définition à durée limitée. La flexibilité est donc inhérente au monde du spectacle. Mais cette bonne « flexibilité fonctionnelle » s'est parfois pervertie en « flexibilité contractuelle » abusive à cause des facilités offertes par le CDD d'usage. Défions-nous des images d'Épinal : le monde du travail des intermittents du spectacle est dur, avec des contrats fragmentés, qui s'arrêtent souvent du jour au lendemain, et qui sont parfois signés en cours de route, voire après coup. Cette fragmentation des contrats de travail s'accompagne d'une « miniaturisation » des structures d'employeurs, et d'une explosion du nombre d'associations. Face à cette flexibilité très forte du marché du travail, le régime d'assurance chômage apparaît comme un « matelas de sécurité » indispensable pour compenser la précarisation croissante de ce secteur.

J'en viens justement à notre premier sujet de réflexion, la réforme des règles d'indemnisation du chômage des annexes 8 et 10.

Depuis les années 1960, des règles spécifiques ont été reconnues aux techniciens et aux artistes, compte tenu du caractère par nature instable de leurs activités professionnelles. Il semblerait que le système français soit unique en Europe, et nous avons d'ailleurs demandé à ce sujet au service de législation comparée du Sénat une étude qui nous sera remise prochainement. Des annexes au règlement général de l'assurance chômage existent déjà pour adapter les règles aux intérimaires, qui sont l'objet de l'annexe 4. Mais les dérogations posées par les annexes 8 et 10 s'éloignent davantage encore du règlement général, au point même de quasiment s'autonomiser.

Ces règles, issues de la convention d'assurance chômage du 19 février 2009, sont complexes, trop complexes mêmes, nous y reviendrons. À ce stade, il convient de retenir que :

- le taux de cotisation à l'assurance-chômage de l'intermittence s'élève à 10,8 %, soit deux fois le taux du régime général. Une première tranche de 5,4 % contribue au régime général, tandis que la seconde alimente les droits spécifiques des annexes 8 et 10 ;

- la période de référence est de 507 heures sur 10 mois pour les techniciens et 10 mois et demi pour les artistes qui souhaitent entrer ou rester dans le régime des annexes 8 et 10 ;

- la durée d'indemnisation est en revanche plus généreuse pour les intermittents du spectacle, 243 jours quoi qu'il arrive (soit 8 mois) ;

- le mode de calcul de l'allocation est très complexe et repose à la fois sur la rémunération de l'intermittent, le nombre d'heures travaillées et le SMIC. (La formule de calcul va vous être distribuée afin que vous puissiez apprécier cette complexité). L'allocation ne peut être inférieure à 31,36 euros par jour pour les intermittents. En 2011, l'indemnisation moyenne des intermittents du spectacle était de 1 805 euros par mois, contre 1 123 euros pour l'ensemble des allocataires de l'assurance-chômage.

Je rappellerai quelques chiffres. En 2011, un peu plus de 108 000 allocataires ont bénéficié au moins d'une journée d'allocations, pour un montant annuel de 1,270 milliard d'euros, à comparer à des cotisations encaissées s'élevant à seulement 246 millions. Conséquence : le déséquilibre du régime a atteint un milliard d'euros pour ce seul exercice. La Cour a voulu frapper les esprits en affirmant que les intermittents, qui représentent 3 % des allocataires, étaient à l'origine du tiers du déficit l'assurance chômage en 2010.

Que doit-on penser de cette affirmation ?

Tout d'abord, il est préférable de parler de déséquilibre du régime des intermittents plutôt que de déficit, car la logique même de l'assurance-chômage est de mutualiser les cotisations dans une « caisse unique » pour ainsi dire. Ce déséquilibre est :

1°) globalement stable depuis 2002 ;

2°) naturel, compte tenu des conditions d'emploi particulières des intermittents.

Toutefois, ce déséquilibre permanent du régime risque de fragiliser à terme l'équilibre financier du régime d'assurance chômage dans son ensemble, dont les recettes totales se sont élevées à 31,8 milliards d'euros en 2011. Le déficit a atteint cette année-là 1,5 milliard, et il est estimé à 2,6 milliards en 2012 et 5 milliards en 2013, ce qui devrait porter la dette de l'assurance à plus de 18 milliards d'euros d'ici la fin de l'année. C'est donc in fine le régime général de l'Assurance chômage qui supporte le déséquilibre financier du régime des intermittents.

Tout le monde s'accorde sur la nécessité de contenir les déséquilibres de l'assurance chômage et de les rendre soutenables.

Le rapport Gille a apporté une précision capitale afin d'éclairer le débat public : la suppression des annexes 8 et 10 et l'application des règles du régime général aux intermittents entraînerait, à comportements inchangés, une économie annuelle de « seulement » 320 millions d'euros. Cela signifie que le solde entre les cotisations et les prestations demeurerait négatif, de l'ordre 700 millions d'euros. En outre, compte tenu des nouvelles recettes attendues sur les contrats courts, issues de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et évaluées à 80 millions d'euros pour le secteur du spectacle, ce déséquilibre devrait avoisiner 240 millions d'euros dès l'année prochaine. C'est donc ce surcoût de 240 millions d'euros qu'il faut garder à l'esprit.

Dans l'optique de la prochaine négociation entre partenaires sociaux de la convention assurance chômage et des annexes 8 et 10, nous avons pu identifier dix pistes de réflexion. Elles tiennent compte du caractère systémique du régime des intermittents.

Bien entendu, nous ne souhaitons pas empiéter sur les prérogatives des partenaires sociaux, mais il ne me semble pas illégitime que la représentation nationale donne des orientations aux partenaires sociaux, d'autant qu'il revient in fine au Ministère du travail de donner son agrément ou non à l'accord conclu entre eux.

La philosophie de notre approche est simple :

1°) il faut conserver les annexes 8 et 10 : elles sont essentielles pour le secteur culturel ;

2°) il convient néanmoins de leur apporter des aménagements pour rendre soutenable le déséquilibre financier du régime et résorber, autant que possible, le surcoût de 240 millions d'euros.

Première piste de réflexion : il faut appliquer un « choc de simplification » aux annexes 8 et 10. La complexité des règles actuelles est si redoutable que les réponses varient entre différentes agences de Pôle emploi en France, voire dans une même région ou à Paris intra-muros. Des pratiques abusives sont constatées et les dossiers d'intermittents sont bloqués sont aucune explication. La coordination des intermittents précaires d'Ile-de-France a été ainsi obligée de rédiger un guide méthodologique. Il est nécessaire que le prochain rapport du conseil d'administration de l'Unédic, présenté fin 2013, traite spécifiquement des annexes 8 et 10 pour alimenter la réflexion des partenaires sociaux.

Deuxième piste de réflexion : rétablir la « date anniversaire », c'est-à-dire porter la période de référence à un an tout en ouvrant une période systématique d'un an d'allocations. Il s'agit là d'une revendication forte des syndicats de salariés, qui souhaitent ainsi gagner en visibilité et en sérénité.

Troisième piste : relever le plafond, voire déplafonner, l'assiette des cotisations d'assurance chômage. Doubler le plafond, aujourd'hui fixé à 12 344 euros bruts par mois, rapporterait peu de nouvelles recettes (7 millions d'euros en année pleine selon l'Unédic). Mais cette mesure constituerait un signal politique indispensable à l'égard de la majorité des intermittents, qui souhaitent un effort plus important des plus gros cachets.

Quatrième piste : instituer un plafonnement du cumul mensuel des revenus d'activité et des allocations chômage. Si le plafonnement était fixé à 3 086 euros bruts par mois - soit le plafond mensuel de la sécurité sociale, l'Unédic enregistrait une économie de 103 millions par an, à comportements inchangés.

Cinquième piste : réfléchir à la possibilité d'augmenter raisonnablement le nombre d'heures de la période de référence et/ou de baisser la durée des prestations. J'ai bien conscience qu'il s'agit d'une sorte de tabou, de non-dit, de la réflexion. Mais est-il juste que les mêmes règles s'appliquent pour un artiste du spectacle vivant en province qui peine à joindre les deux bouts, et un technicien du son travaillant dans des grandes sociétés de production audiovisuelle ? Je serais, à titre personnel, favorable à un relèvement limité de la durée de la période travaillée de référence, par exemple 650 ou 700 heures par an, pour certains intermittents. Pourquoi ce seuil ? Parce que la durée légale du travail en France est fixée à 1 607 heures par an, et qu'il me semblerait logique de permettre à un intermittent de partager son temps, à peu près à part égale sur l'année, entre une période d'activité professionnelle et une période d'inactivité, pendant laquelle il peut librement exercer et affiner ses compétences.

Sixième piste : permettre à tous les intermittents, techniciens comme artistes, de donner jusqu'à 90 heures de cours par an contre 55 aujourd'hui, quels que soient leurs âges et la nature de leurs contrats de travail. Cette réforme s'inscrit dans la logique de la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République qui a mis l'accent sur l'éducation artistique et culturelle. En outre, la liste des « établissements d'enseignement dûment agréés » doit être consolidée, actualisée et accessible à l'ensemble des agences Pôle emploi pour éviter toute difficulté dans le traitement des dossiers.

Septième piste : simplifier le mécanisme de recours à l'allocation de fin de droit (AFD), afin de faire jouer plus efficacement la solidarité nationale à l'égard des intermittents les plus fragiles. Aujourd'hui, quand un intermittent ne dispose pas des 507 heures sur sa période de référence, des règles complexes doivent être suivies pour savoir s'il peut bénéficier, par ordre de priorité, de l'allocation classique, de l'allocation de professionnalisation et de solidarité (APS), de l'allocation de retour à l'emploi minimale de 122 jours, de l'allocation spécifique de solidarité ou enfin, de l'AFD. Ces règles sont trop complexes et ne protègent pas assez les intermittents qui en ont le plus besoin. Les sommes en jeu sont modestes et en forte diminution, et ne grèvent pas le budget de l'État (en 2010, le fonds de solidarité et de professionnalisation, qui finance notamment l'AFD, ne disposait que de 9,3 millions d'euros pour 9 000 personnes).

Huitième piste : dans le cadre de la prochaine réforme sur les retraites, mener une réflexion sur le régime de base dont bénéficient les intermittents du spectacle.

Neuvième piste : obliger l'État et ses établissements publics à un devoir d'exemplarité pour lutter contre les CDD d'usage courts. Cela doit passer par des clauses spécifiques dans les labels délivrés par le ministère de la culture aux structures de spectacle vivant et dans les appels d'offre, et par un renforcement des contrats conclus entre l'État et les centres dramatiques nationaux, comme le propose le rapport de Jean-Patrick Gille.

Dixième piste : étudier l'opportunité d'instaurer des cotisations d'assurance chômage employeur en fonction du taux de recours au CDD. Aujourd'hui, une entreprise qui utilise massivement des salariés en CDD d'usage de moins d'un mois sera traitée de la même manière qu'une entreprise qui n'y recourt qu'à la marge, ce qui n'est pas normal vous en conviendrez.

Abordons maintenant le deuxième thème de notre réflexion, les pistes d'évolution du cadre législatif en matière de contrat de travail pour les intermittents. Trois pistes se dégagent : nous devrons les explorer à la rentrée. Très brièvement, en voici un résumé :

1°) inviter les partenaires sociaux à ouvrir une négociation interprofessionnelle nationale et des négociations de branche sur les règles du CDD d'usage afin de mieux protéger les droits des salariés et tirer les conséquences de la jurisprudence de la Cour de Cassation.

2°) expérimenter la conclusion de contrat à durée indéterminée (CDI) intermittents dans le secteur du spectacle, ce qui ferait sortir les intéressés du régime des intermittents en leur offrant un cadre stable d'emploi.

3°) lutter contre la « permittence », c'est-à-dire les CDD d'usage de très longue durée avec un même employeur. Il s'agirait tout d'abord de distinguer la « permittence subie » de la « permittence choisie ». Puis d'inciter les partenaires sociaux à fixer dans la branche de l'audiovisuel un seuil au-delà duquel l'employeur doit proposer au salarié en CDD d'usage un CDI. À défaut d'accord entre les partenaires sociaux, il serait utile de fixer dans le code du travail un dispositif de requalification automatique en CDI des CDD d'usage qui dépassent un certain seuil avec un même employeur (par exemple 900 heures par an, soit plus de 6 mois de travail).

Je voudrais maintenant vous rappeler brièvement les enjeux autour de la Caisse des congés payés du spectacle. Cette caisse est une association d'employeurs, chargée de collecter et redistribuer les indemnités de congés payés aux intermittents des métiers des spectacles.

La Cour des comptes, vous le savez, a sévèrement jugé, dans son rapport public de 2013, la gestion de cette caisse :

1°) ses missions sont mal remplies. En effet, les délais de versement sont trop longs : en 2012, une indemnité sur dix n'est pas payée au bout d'un an. En outre, le taux de non-paiement définitif, cinq ans après l'acquisition des droits à congés, est également inquiétant, puisqu'il a atteint 6,5 % l'an dernier ;

2°) la caisse ne verse pas les charges sociales qui sont obligatoires dans le régime de droit commun, comme le versement transport et les cotisations à l'AGS (assurance garantie des salaires) ;

3°) ses charges de structure sont trop élevées, variant entre 3,5 et 3,9 % des cotisations reçues entre 2006 et 2011, en raison notamment d'une augmentation salariale injustifiée ;

Après moult rapports, le Gouvernement a décidé le 12 novembre 2009 de transférer la gestion de la caisse à Audiens avant le 1er avril 2013.

Aujourd'hui, force est de constater que les délais ne sont pas tenus. Au terme d'un interminable feuilleton administratif, les choses évoluent dans le bon sens mais lentement.

D'où notre souhait de voir accéléré le transfert de gestion de la caisse au groupe Audiens. Dans cette optique, le groupe de travail envisage de se rendre à la Caisse à la rentrée, afin d'y rencontrer le nouveau conseil d'administration qui sera reconstitué le 24 juillet prochain, ainsi que le nouveau président devant être élu en septembre. Ce dernier aura pour mission de modifier les statuts de la Caisse afin de rendre possible le transfert à Audiens.

Enfin, le dernier sujet de réflexion de notre groupe de travail a trait au débat intense qui secoue le monde du cinéma autour de la convention collective signée le 19 janvier 2012 par une majorité de syndicats dont la CGT, et l'Association des producteurs indépendants, l'API, seule organisation signataire côté employeurs, qui regroupe les quatre grands groupes d'exploitation de salles de cinéma et de distribution en France (Gaumont, Pathé, UGC, MK2), produisant 5 % des films.

Vous n'ignorez pas que le projet du Gouvernement d'étendre cette convention à l'ensemble des entreprises du secteur, a suscité la fronde de tous les autres syndicats d'employeurs qui représentent 95 % de la production cinématographique et 100 % des films publicitaires.

Ces différentes structures estiment que cette extension entraînerait la disparition de 60 à 70 films à petit budget par an (sur un total de 209 films en 2012). Elles ont donc conclu de leur côté, le 22 janvier dernier, un projet alternatif de convention collective avec la CFDT.

Une mission de médiation sur la négociation conventionnelle dans la production cinématographique a été confiée le 2 avril par les ministres du travail et de la culture à M. Raphaël Hadas-Lebel, avant l'extension de la convention initialement prévue au 1er juillet.

Le directeur général du travail a signé, lundi dernier, l'arrêté d'extension de la convention collective du 19 janvier 2012, avec une entrée en vigueur différée au 1er octobre 2013. Les partenaires sociaux ont jusqu'à cette date pour négocier le cadre qui s'appliquera aux films à l'économie fragile.

Voilà le fruit des premières réflexions du groupe de travail. Nous pourrons développer ces pistes de travail à la rentrée à l'occasion d'une table ronde et dans le cadre des débats sur le projet de loi d'orientation relatif à la création artistique.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie pour cette présentation particulièrement riche. Je rappelle que M. Leleux avait signalé les difficultés liées à la convention collective du cinéma. Nous avons d'ailleurs reçu depuis des plaidoyers pour et contre.

Mme Françoise Laborde. - Je vous remercie pour ce travail sur un sujet très difficile et délicat. Vous avez mis en évidence la stabilité du déséquilibre et je considère qu'il s'agit d'un élément très positif car il signifie que l'on peut raisonnablement réfléchir aux solutions pour y remédier.

Vous avez pointé une différence entre artistes et techniciens. Je souscris à cette analyse car, comme les enseignants ont besoin de temps pour préparer leurs cours, les artistes ont besoin de temps pour apprendre, répéter, se préparer. Il n'est pas choquant de réfléchir à une augmentation du nombre d'heures nécessaires pour bénéficier du régime de l'intermittence, notamment si la période de référence est rallongée.

Enfin le sujet des retraites des intermittents est un dossier important et nous aurons l'occasion d'en débattre à la rentrée.

M. Jacques Legendre. - Je constate que plus l'on creuse, plus l'on prend conscience de la complexité de la question des intermittents. Je m'inquiète des chances de voir le poids de ce régime diminuer et considère qu'il convient de se demander s'il est inéluctable de le conserver, ou s'il peut être remplacé par un autre système équivalent. Il serait utile de pouvoir disposer d'une note reprenant les réflexions de Mme Blondin, afin de pouvoir s'approprier ces sujets très techniques et contribuer aux tra vaux de notre commission.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Vous recevrez cette note mais je vous rappelle qu'à ce stade il s'agit uniquement de pistes de réflexion. Cette transmission est donc à prendre en compte avec toutes les précautions nécessaires.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. - Merci de nous avoir éclairés sur la complexité de ce sujet et sur les évolutions possibles. Il serait difficile de me prononcer sur les pistes de réflexion que vous avez présentées car la question mérite une étude approfondie. Je m'interroge sur l'articulation avec le régime général et constate une difficulté de taille puisque l'équilibre dépend de la création d'emplois.

À l'occasion de l'examen du projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, La délégation aux droits des femmes pourra aborder plus précisément la question des intermittentes et le sujet des congés de maternité.

Mme Maryvonne Blondin, rapporteure. - Je confirme qu'il s'agit d'un travail en cours et non de recommandations définitives. Il me semblait essentiel de faire un point d'étape en raison de la complexité du sujet et de l'importance des enjeux pour le secteur culturel.

Mon objectif de départ n'était pas de tout remettre en cause, mais de travailler dans un cadre contraint par les futures négociations. Je suis tout à fait d'accord pour aborder de façon plus approfondie la question des femmes.

Avant de débuter les travaux du groupe, je pensais que le déséquilibre était croissant, et j'ai été surprise de constater qu'il était stable depuis 2002. En revanche le nombre d'intermittents a été fluctuant.

Je dois ajouter que Pôle emploi, né de la fusion entre l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et les Assedic, a dû gérer de lourdes restructurations internes, ayant perturbé la gestion des dossiers. Il a fallu former les conseillers sur les emplois spécifiques. L'organisation du contrôle des dossiers d'intermittents est poussée puisque employeur et salarié doivent tous deux envoyer une déclaration des heures travaillées. Or le moindre décalage entre ces informations bloque les dossiers des intermittents qui ne reçoivent aucune justification leur permettant de rectifier les éléments non concordants. Ils doivent alors réitérer leurs appels avant de tomber sur un conseiller capable de répondre à leurs questions, nécessairement techniques. Des progrès sont encore nécessaires dans le traitement des dossiers, malgré les récents efforts de Pôle emploi en la matière.

Nous poursuivrons nos débats à la rentrée et il sera utile d'entendre les intermittents en Avignon où la question des négociations sera abordée. Je dois dire qu'à la lecture des positions des différents syndicats, telles que celle du syndicat des musiques actuelles reçue hier, je constate que nos pistes de réflexion rejoignent les propositions qui circulent aujourd'hui. Notre objectif et de poursuivre le travail pour apporter une touche sénatoriale sur des sujets bien précis qui n'ont pas nécessairement été approfondis par la mission d'information commune de l'Assemblée nationale.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il s'agit là d'un travail conséquent. Nous le poursuivrons avec la commission des affaires sociales qui va s'en emparer de façon plus forte dès la rentrée compte tenu de l'agenda parlementaire. Il appartiendra à notre commission de montrer que l'intermittence joue un rôle dans la création et la diffusion de la culture.

Enseignement supérieur et recherche - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

Enfin, la commission examine les amendements au texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche, dont la rapporteure est Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot, rapporteure. - Certains n'étaient guère optimistes quant aux chances de parvenir à un accord sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche. Nous sommes pourtant sur le point d'examiner le texte proposé par la commission mixte paritaire, qui se trouve être très proche de celui adopté par le Sénat en séance publique, ce qui constitue une vraie reconnaissance de notre travail.

Les amendements déposés par le Gouvernement sont des amendements de coordination sur lesquels je vous propose d'émettre des avis favorables.

M. Jacques Legendre. - Même si ces modifications ne touchent pas au fond, il n'est jamais de très bonne pratique que le Gouvernement dépose des amendements sur un texte élaboré par une commission mixte paritaire.

M. Jacques-Bernard Magner. - Le premier amendement introduit dans le texte les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) créées par le projet de loi relatif à la refondation de l'école.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - J'ai été la première à m'émouvoir de l'initiative du Gouvernement, mais ces amendements de coordination ont été rendus nécessaires, notamment en raison du chassé-croisé effectué par ce texte avec le projet de loi relatif à l'école, sur fond de ce mille-feuilles législatif qui nous accable.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 38

La commission émet un avis favorable aux amendements n°s 1 et 2.

Article additionnel avant l'article 56 A

La commission émet un avis favorable aux amendements n°s 3,4 et 5.

La commission adopte les avis suivants :

Auteur

Avis de la commission

Article 38
Coopération de site entre différents établissements

Le Gouvernement

1

Favorable

Le Gouvernement

2

Favorable

Article additionnel avant l'article 56 A

Le Gouvernement

3

Favorable

Le Gouvernement

4

Favorable

Le Gouvernement

5

Favorable