Mercredi 5 juin 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Lutte contre la fraude fiscale et grande délinquance économique et financière - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande tout d'abord à se saisir pour avis du projet de loi n° 1011 (AN - XIVème législature) relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, sous réserve de son adoption par l'Assemblée nationale et de sa transmission, et nomme M. François Marc rapporteur pour avis sur ce texte.

Contrôle budgétaire - Bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire - Communication

La commission entend tout d'abord une communication de MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux des crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire.

M. Philippe Marini, président. - Nous allons entendre une communication de Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », relative à leur contrôle budgétaire portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire. Je rappelle que nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne avaient fait un rapport, au nom de la commission des lois, sur la réforme de la carte judiciaire. A la suite de cette communication, nous poursuivrons cette séquence relative à l'immobilier de l'Etat avec une audition sur la politique de cession immobilière du ministère des affaires étrangères.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Les résultats de ce contrôle budgétaire auraient dû vous avoir été présentés depuis plusieurs mois déjà ; toutefois, nous avons éprouvé des difficultés à nous faire communiquer les éléments demandés aux différentes administrations concernées. Engagée en 2007, la réforme de la carte judiciaire est considérée comme achevée depuis le 1er janvier 2011. Le temps était enfin venu de procéder au bilan de cette réorganisation d'ampleur des juridictions judiciaires. Aussi, un groupe de travail de la commission des lois du Sénat, emmené par Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, a livré ses conclusions dès le mois de juillet 2012, dans un rapport à l'intitulé peu flatteur : « La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée ». Plus récemment, à la demande de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, une mission d'évaluation de la carte judiciaire, présidée par Serge Daël, a été mise en place ; celle-ci a rendu son rapport le 10 février dernier.

Nous inscrivant également dans cette démarche, nous nous sommes intéressés à un aspect de la réforme qui méritait un examen approfondi : le volet immobilier. Celui-ci a, en effet, constitué le principal poste de dépenses de la réforme. Ainsi, nous avons mené une mission de contrôle budgétaire portant sur le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire.

A ce titre, nous nous sommes inscrits dans une double approche. Tout d'abord, nous avons cherché à déterminer le coût réel du volet immobilier de la réforme. Ce dernier ayant été, au départ, fortement surévalué - une estimation de 900 millions d'euros avait même été avancée ! -, des doutes ont longtemps subsisté quant à son coût final. En outre, nous avons mesuré les économies réalisées en matière immobilière, de manière à disposer d'un bilan financier du volet immobilier de la réforme.

Ensuite, nous avons examiné la réalisation du volet immobilier, soit la mise en oeuvre concrète des opérations liées aux regroupements de juridictions. De cette manière, nous avons pu procéder à une évaluation de la politique immobilière développée par le ministère de la justice dans le cadre de la réforme. Cet exercice nous paraissait essentiel dans la mesure où les implantations judiciaires sont restées hors du champ de la réorganisation de la politique immobilière de l'Etat au niveau déconcentré.

Dès lors, notre but a été de voir dans quelle mesure la gestion du parc immobilier, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, avait répondu aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A partir des constats réalisés, nous avons tâché d'identifier les améliorations possibles des modalités de gestion du patrimoine immobilier des juridictions.

A cette fin, nous nous sommes attachés à approcher les parties prenantes de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons donc recueilli les contributions des premiers présidents et procureurs généraux de vingt-deux cours d'appel ; nous avons, par ailleurs, réalisé une visite à la cour d'appel de Versailles, située dans un immeuble à caractère historique mais très peu fonctionnel. Nous avons également interrogé différents acteurs intervenus aux côtés des juridictions dans la conduite des opérations immobilières engagées et consulté des élus locaux s'agissant des palais de justice abandonnés et restitués aux collectivités territoriales.

Je commencerai par vous présenter les principales observations formulées s'agissant du bilan financier du volet immobilier de la réforme. La réorganisation de la carte judiciaire aura entraîné, au total, 439 opérations immobilières dont 112 opérations provisoires. Celles-ci s'étalent sur la période allant de 2008 à 2017, année au cours de laquelle devraient être livrés les derniers travaux - nous verrons si ce délai sera tenu.

Entre 2008 et 2017, le coût total du volet immobilier de la réforme atteindrait 331,9 millions d'euros. Cette estimation intègre aussi bien les dépenses d'investissement, liées aux opérations de construction ou de réaménagement des bâtiments, que celles de fonctionnement, correspondant aux charges découlant des « petits travaux » et des déménagements.

Dès lors, il apparaît que le plafond de dépenses arrêté initialement par le Gouvernement concernant le volet immobilier de la réforme, soit 375 millions d'euros, a été largement respecté. Il faut, à cet égard, souligner que ce plafond portait exclusivement sur les dépenses d'investissement. Les craintes initiales relatives au coût final du volet immobilier se sont donc révélées, à ce jour, non fondées. Mais il est nécessaire de reconnaître que la relative faiblesse de l'exécution, au regard de la programmation originelle, est liée à l'annulation d'importantes opérations immobilières ; il s'agit notamment de l'extension du tribunal de grande instance d'Evreux ou encore des opérations de Coutances et de Dunkerque.

La majorité des locaux abandonnés par les juridictions dans le cadre de la réforme étaient détenus par les collectivités territoriales. Toutefois, la mise en place de la nouvelle carte judiciaire devrait permettre à l'Etat de procéder à la cession de quarante immeubles, dont le produit représenterait près de 11,9 millions d'euros. Par conséquent, le coût net du volet immobilier est estimé à 320 millions d'euros.

La réforme de la carte judiciaire a permis de réduire les coûts de loyers et de gestion de près de 10 millions d'euros par an ; dans le même temps, elle a entraîné de nouvelles charges découlant, notamment, des locations de locaux pérennes. A compter de 2017, les regroupements de juridictions permettront donc de générer 4,3 millions d'euros d'économies par an liées à l'immobilier.

Par conséquent, les dépenses réalisées dans le cadre du volet immobilier seront amorties au terme d'une période de 75 ans. Néanmoins, la réforme n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions. Le principal levier d'économies a résidé, en effet, dans la diminution des charges de personnel qui a été rendue possible par les regroupements de juridictions. La réduction de la masse salariale atteint, ainsi, 23,4 millions d'euros par an. Par suite, si la réforme est prise dans son ensemble, son coût est amorti au bout de treize années, ce qui nous paraît constituer une durée acceptable.

En tout état de cause, ces durées d'amortissement de la réforme - aussi théoriques puissent-elles paraître - permettent de mettre en évidence le poids des charges résultant des prises à bail de locaux pérennes, susceptibles d'alourdir le bilan financier du volet immobilier à long terme. Si ces locations avaient vocation à perdurer, le bénéfice de la moindre exécution du volet immobilier serait perdu en une dizaine d'années, puisqu'à cette échéance, les loyers acquittés conduiraient à un dépassement du plafond de 375 millions d'euros. En effet, si ce plafond ne concernait que les dépenses d'investissement destinées aux opérations immobilières, ce montant demeure une référence puisqu'il avait été initialement présenté au Parlement.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que souscrire à l'objectif du ministère de la justice de substituer des solutions patrimoniales, plus économes, aux locations, et ce dès que possible.

Je vais, maintenant, vous faire part des conclusions de notre travail d'évaluation de la politique immobilière du ministère de la justice. Le ministère de la justice a conservé une politique immobilière autonome. Celle-ci est, en effet, restée en dehors du champ de la réforme de la politique immobilière au niveau déconcentré ; ce choix est généralement justifié par la spécificité du parc immobilier judiciaire. Bien évidemment, un ensemble de bureaux d'une administration centrale n'a rien de comparable avec un palais de justice.

Dans un premier temps, nous nous sommes attachés à évaluer la mise en oeuvre du volet immobilier de la réforme de la carte judiciaire à l'aune des objectifs de la politique immobilière de l'Etat. A titre de rappel, ces objectifs avaient été définis par le ministre chargé du budget en 2006. Il s'agit de : diminuer le coût de la fonction immobilière de l'Etat en allouant aux services des surfaces rationalisées et en cédant les surfaces excédentaires ; valoriser le patrimoine immobilier afin de céder les immeubles inadaptés ou devenus inutiles ; offrir aux agents et aux usagers des locaux adaptés aux besoins du service public, prenant en compte l'ensemble des normes applicables ; favoriser l'offre de logements grâce à la mobilisation du foncier public à l'occasion des cessions foncières induites par les évolutions des besoins des acteurs publics.

Il est apparu que la réalisation des opérations immobilières avait permis de respecter tout à la fois les délais imposés par le calendrier du déploiement de la nouvelle carte judiciaire et l'enveloppe budgétaire arrêtée lors de l'engagement de la phase opérationnelle de la réforme. Ainsi, le pilotage du volet immobilier mis en place a permis une bonne coordination des différentes parties prenantes.

Toutefois, nous avons pu constater qu'aucun objectif chiffré n'avait été déterminé s'agissant de l'optimisation du parc immobilier des juridictions. Pourtant, la politique immobilière de l'Etat accorde une place centrale à l'indicateur de « rendement d'occupation des surfaces », dont la cible finale est fixée à 12 mètres carrés de surface utile nette (SUN) par poste de travail. En effet, un indicateur de cette nature permet de mobiliser les acteurs et de rationaliser la démarche de densification des surfaces.

Pour ces raisons, nous avons recommandé l'établissement d'un référentiel fixant, pour chaque catégorie de locaux judiciaires, des objectifs différenciés d'occupation des surfaces. Il s'agit de concilier la mise en place d'un indicateur de « rendement d'occupation des surfaces » avec les spécificités de l'immobilier judiciaire ; en effet, un bureau simple ne peut pas être considéré de la même manière qu'un bureau utilisé pour la tenue d'audience, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité. En outre, nous avons proposé d'instituer un indicateur mesurant la réalisation des objectifs arrêtés en matière d'occupation des surfaces accueillant des locaux judiciaires, intégré à la mesure de la performance de la mission « Justice ».

Je laisse maintenant Albéric de Montgolfier vous emmener sur le terrain...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - En effet, de manière plus large, nous avons souhaité examiner la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Aussi nos travaux ont-ils porté une attention particulière à l'ensemble des acteurs en charge de la mise en oeuvre de la politique immobilière du ministère de la justice. Nous avons alors pu constater l'importance des services immobiliers des cours d'appel, qui constituent des leviers majeurs de rationalisation de la gestion du parc et donc d'économies. Néanmoins, nous avons observé que la professionnalisation de la fonction immobilière dans les juridictions était encore perfectible ; toutefois, ce constat n'est pas propre au ministère de la justice mais peut être généralisé à l'ensemble de l'Etat.

A titre d'exemple, il n'existe pas de formation relative à la gestion du patrimoine immobilier à destination des magistrats délégués à l'équipement et toutes les cours d'appel ne bénéficient pas des services des techniciens immobiliers, pourtant responsables de la gestion quotidienne des locaux. Nous avons donc formulé plusieurs recommandations tendant à renforcer la professionnalisation de la gestion immobilière dans les juridictions.

Le déploiement du volet immobilier a également impliqué l'intervention des administrations spécialisées de l'Etat. A cet égard, nous avons notamment pu constater que le co-pilotage des opérations par les départements immobiliers du ministère de la justice et les directions départementales des territoires pouvait constituer une source de difficultés. A cela est venue s'ajouter une baisse sensible de l'assistance apportée par ces dernières, du fait de la réduction des moyens qui leurs sont alloués.

Il nous est donc apparu qu'il était nécessaire d'envisager une évolution des modalités de coopération entre les départements immobiliers et les directions départementales des territoires.

Malgré cela, nous avons pu observer que le volet immobilier de la réforme avait été, dans l'ensemble, mis en oeuvre conformément aux objectifs de la politique immobilière de l'Etat. En effet, les opérations menées ont permis, d'une part, de densifier les surfaces occupées par les juridictions, réduisant celles-ci de 63 278 mètres carrés et, d'autre part, d'améliorer les conditions de travail des personnels et d'accueil du public. Par ailleurs, elles ont pu, dans certains cas, favoriser l'offre de logement. A titre d'exemple, l'ancien tribunal d'instance de Cernay, dans le Haut-Rhin, a été cédé à une association offrant des logements à loyer très social.

La diminution du coût de la fonction immobilière est, quant à elle, moins évidente. Si les regroupements de juridictions devraient permettre des économies de loyers et de gestion à hauteur de 4,3 millions par an à compter de 2017, le volet immobilier a représenté un coût net de 320 millions d'euros. Mais, comme cela a été indiqué, la réforme de la carte judiciaire n'avait pas pour première finalité de réduire les dépenses immobilières des juridictions.

Quoi qu'il en soit, le principal enjeu est de consolider l'acquis. Le déploiement du volet immobilier de la réforme étant en grande partie achevé, il convient désormais de s'assurer de la mise en oeuvre d'une gestion efficiente des nouvelles implantations immobilières des juridictions. Néanmoins, la réalisation de cet objectif pourrait se heurter à une gestion du parc immobilier du ministère de la justice qui présente, dans les faits, d'importantes insuffisances.

Dans le cadre de nos travaux, nous avons pu constater que la programmation des travaux d'entretien du parc immobilier présentait des lacunes. Comme nous l'a indiqué un magistrat délégué à l'équipement, la politique d'entretien de l'immobilier judiciaire relève de la « gestion de crise et d'urgence, sans les outils adaptés ». La majeure partie des travaux d'entretien sont réalisés parce qu'ils sont devenus absolument nécessaires. Les opérations engagées à titre préventif demeurent l'exception, alors qu'elles permettraient de réduire les coûts. Ainsi, le remplacement de chaudières à faible rendement, qui serait rapidement amorti du fait des économies dégagées, n'est que rarement réalisé du fait de l'absence de crédits prévus à cet effet.

Par conséquent, nous avons recommandé de définir, pour chaque cour d'appel, un plan pluriannuel des opérations d'entretien d'immobilier, afin de permettre une programmation des dépenses d'entretien des bâtiments.

Comme cela a été indiqué, nous nous sommes rendus dans les locaux de la cour d'appel de Versailles, qui sont situés dans les anciennes écuries de la Reine ; nous avons pu constater la forte dégradation des façades sur lesquelles des filets ont été installés afin d'éviter les chutes de pierres. Les fenêtres de la cour d'appel de Versailles ont dû être récemment remplacées pour un montant total de 1,4 million d'euros. Pourtant, de tels travaux auraient pu être évités si les fenêtres avaient fait l'objet d'un entretien régulier.

Il faut souligner que ces défauts de programmation participent, de manière plus large, de l'indécision qui entoure souvent la politique immobilière du ministère de la justice. Or, cette indécision est coûteuse et peut nuire au bon fonctionnement des juridictions. La gestion du projet « Richaud » constitue un exemple intéressant. A la fin des années 1990, le ministère de la justice a décidé de localiser la cour d'appel, le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Versailles dans les locaux de l'ancien hôpital Richaud. Le terrain a été acquis en 1998 pour 4,5 millions d'euros. 9,2 millions d'euros ont été dépensés au titre des études menées dans le cadre de l'opération. A cela sont venues s'ajouter les charges de gardiennage, dont le montant atteignait 400 000 euros par an. Seulement, le projet « Richaud » n'a jamais pu aboutir et le site a été revendu en 2009 pour 8 millions d'euros, donc à perte. Cet exemple illustre bien les errements de la politique immobilière du ministère de la justice.

Par ailleurs, l'incapacité du ministère de la justice à trouver des locaux d'archivage pour le tribunal d'instance de Chartres nuit au bon fonctionnement de la juridiction. Les archives sont aujourd'hui disséminées sur plusieurs sites - y compris dans des locaux mis à disposition par le conseil général d'Eure-et-Loir -, certains d'entre eux sont inaccessibles pour des raisons de sécurité et les bureaux de magistrats et de greffiers tendent à devenir des lieux d'archivage de substitution.

En outre, nous avons pu observer que les coûts d'entretien des constructions nouvelles étaient insuffisamment anticipés, ce qui peut conduire à la réalisation de choix irrationnels, certes audacieux d'un point de vue architectural mais onéreux à long terme. Nous en voulons pour preuve les ensembles immobiliers intégrant des structures en verre. Dans le cas du tribunal de grande instance de Nanterre, le seul entretien de ces structures représente un coût annuel de 70 000 euros. Ces constructions en verre requièrent des opérations de maintenance particulièrement complexes, ne serait-ce que pour assurer leur nettoyage. Par ailleurs, elles font l'objet de dégradations récurrentes qui impliquent l'exécution répétée de réparations.

L'exemple du tribunal de grande instance de Nanterre nous apporte un éclairage nouveau sur le futur palais de justice de Paris, dont la livraison est prévue pour 2017. En effet, le projet retenu consiste en une tour étagée de 156 mètres de hauteur, abritant une surface de 61 500 mètres carrés, dotée d'une façade en verre. Aussi, le choix d'une structure en verre ne doit pas être sans lien avec le coût de l'opération. A cet égard, nous souhaitons rappeler que le projet d'installation du tribunal de grande instance de Paris dans la zone d'aménagement concertée (ZAC) des Batignolles avait fait l'objet d'un examen approfondi par notre collègue Roland du Luart dans un rapport d'information fait au nom de notre commission en 2009.

Au regard de ces exemples, nous avons recommandé d'établir, préalablement à la sélection de tout projet de construction nouvelle, une évaluation précise des dépenses prévisionnelles d'entretien.

Enfin, s'agissant des modalités de gestion du parc immobilier du ministère de la justice, nous avons regretté le manque de réflexion sur le recours à de nouveaux leviers d'économies, notamment en ce qui concerne la mutualisation des achats et l'externalisation de certaines prestations d'entretien des locaux. L'expérience nous a montré qu'il était possible d'externaliser efficacement la gestion de biens immobiliers ; à titre d'exemple, vingt-et-un conseils généraux ont confié à la Société nationale immobilière (SNI) la gestion des parcs immobiliers accueillant la gendarmerie nationale.

Pour terminer, nous avons estimé que le bilan immobilier de la réforme de la carte judiciaire devait nécessairement aborder la question des locaux restitués aux collectivités territoriales.

Lors du déploiement de la nouvelle carte judiciaire, 223 immeubles ont été rétrocédés aux collectivités. Ces dernières ne semblent pas avoir bénéficié d'une assistance spécifique des services de l'Etat à la suite de la remise des implantations abandonnées, ce que certains élus locaux interrogés ont regretté.

A cet égard, il faut souligner les difficultés qui peuvent être rencontrées lors de la reconversion, et notamment de la vente, de ces biens spécifiques que sont les locaux judiciaires. Ces difficultés sont liées à l'agencement des immeubles, voire à leur éventuel classement ou inscription au titre des monuments historiques.

C'est la raison pour laquelle nombre d'anciennes implantations judiciaires ont été transformées en maisons de la justice et du droit. Cependant, certains palais de justice ont pu faire l'objet de reconversions plus originales. Ainsi, le tribunal d'instance d'Avallon, dans l'Yonne, a été racheté en 2011 par des brocanteurs qui ont transformé le bâtiment en lieu d'exposition et en habitation.

Bien qu'elle ne s'inscrive pas dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, la reconversion de l'ancien palais de justice de Nantes a constitué un cas intéressant. En effet, le conseil général de Loire-Atlantique a consenti un bail de longue durée à une société privée afin d'y installer un hôtel quatre étoiles de 136 chambres et intégrant un espace culturel. Le projet nantais paraît avoir constitué une source d'inspiration puisque le conseil général d'Indre-et-Loire semble vouloir également reconvertir l'ancien tribunal d'instance de Loches en hôtel trois étoiles.

Certaines collectivités territoriales nous ont aussi indiqué envisager de transformer les locaux judiciaires abandonnés en lieux à vocation touristique ou culturelle, comme des salles d'exposition, ou encore des salles de ventes.

Pour conclure, nos travaux ont permis de montrer que la réforme de la carte judiciaire présentait un bilan immobilier globalement positif, mais aussi que la politique immobilière du ministère de la justice et, de manière plus générale, de l'Etat restait encore à bâtir. Les travaux auxquels j'ai pu participer au titre tant du Conseil immobilier de l'Etat, auquel j'appartiens, que de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat », m'ont conduit à constater que l'Etat peinait à connaître son parc domanial, à l'entretenir et à anticiper les dépenses y afférent. Des leviers d'économies existent encore et devront être actionnés au plus vite, alors que la gestion économe des deniers est aujourd'hui, plus que jamais, essentielle.

M. Edmond Hervé. - Je souhaiterais savoir si les rapporteurs spéciaux ont pu échanger avec les usagers des juridictions, à savoir les magistrats, les avocats, etc. La sous-budgétisation chronique du ministère de la justice rend plus urgente la redéfinition des modalités de gestion du parc immobilier. En effet, force est de constater l'éclatement des autorités en charge des questions immobilières, et ce tant au niveau national que régional. Ceci semble appeler une centralisation accrue de la gestion du patrimoine immobilier, sous l'égide du secrétariat général du ministère de la justice. Aussi la fonction de ce dernier devrait-elle être redéfinie. Il faut également noter que le manque de professionnalisation de la fonction immobilière n'est pas propre au ministère de la justice, elle se retrouve dans les autres administrations de l'Etat, comme les universités. Ce n'est pas parce que l'on est un grand magistrat ou encore un brillant professeur des universités que l'on est un bon gestionnaire... Enfin, j'observe avec satisfaction que les constats formulés par les rapporteurs spéciaux permettent de relativiser les critiques formulées à l'égard de la gestion des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - A titre d'anecdote, je vous indique qu'à Compiègne, une juridiction commerciale « élargie » - issue de la fusion des tribunaux de commerce de Compiègne et de Senlis - et le conseil de prud'hommes ont pu être installés dans les anciens locaux de la Banque de France, et ce notamment grâce à l'intervention de la communauté d'agglomération.

M. Yannick Botrel. - Les rapporteurs spéciaux ont indiqué que le volet immobilier serait amorti à l'issue d'une période de 75 ans. Ce délai paraît d'autant plus long que de nouveaux travaux devront certainement être entrepris sur les bâtiments avant que celui-ci ne prenne fin. Si les réductions de la masse salariale sont prises en compte, la période d'amortissement est ramenée à treize années ; ceci révèle peut-être le souci particulier du gouvernement de l'époque de réduire les dépenses de personnel.

Je pense que d'autres éléments auraient pu être pris en compte dans le cadre du contrôle budgétaire. En effet, prenant l'exemple du département des Côtes d'Armor, j'ai pu constater que des travaux avaient pu être réalisés à perte - du fait, notamment, de l'annulation d'opérations immobilières, etc. -, ce qui a indubitablement représenté un coût pour le contribuable. En outre, la réforme de la carte judiciaire pose la question de l'accessibilité de l'institution judiciaire par les justiciables, à laquelle l'éloignement des juridictions peut nuire.

M. Gérard Miquel. - Les observations formulées par les rapporteurs spéciaux montrent qu'il reste beaucoup de travail pour améliorer la gestion du patrimoine immobilier de l'Etat. Les magistrats ne sont pas formés à la gestion immobilière ; dès lors, pourquoi ne pas faire appel aux services déconcentrés de l'Etat compétents en la matière ? Par exemple, s'agissant de la rénovation des locaux de la juridiction de Cahors, le contrôle des opérations était réalisé par des équipes venant régulièrement de Paris. Pourtant, la direction départementale des territoires aurait pu assurer la conduite des travaux. Aussi les cloisonnements entre ministères et une centralisation excessive me semblent-ils préjudiciables. Si le patrimoine immobilier des collectivités territoriales était géré de la sorte, les critiques ne se feraient pas attendre.

M. Pierre Jarlier. - Je pense également que la gestion immobilière du ministère de la justice, centralisée et sectorisée, n'est pas efficace. Quel que soit le ministère concerné, les problématiques immobilières se ressemblent. Dans ces conditions, une gestion transversale des opérations immobilières, par des services spécialisés, serait préférable ; au niveau déconcentré, les directions départementales des territoires pourraient prendre en charge la conduite des opérations.

Enfin, je considère qu'il est indispensable de développer une approche de coût global s'agissant du choix des opérations immobilières, tenant compte tout à la fois des investissements et des coûts futurs de fonctionnement. Une telle approche constituerait un levier d'économies.

M. Claude Belot. - Je tiens à rappeler que les palais de justice sont, dans leur majeure partie, détenus par les collectivités territoriales, et plus particulièrement par les départements. Toutefois, depuis les années 1980, la gestion des implantations immobilières des juridictions appartenant aux collectivités est assurée par le ministère de la justice lui-même, ce qui peut conduire à d'importants dysfonctionnements. Je souhaite prendre l'exemple du tribunal d'instance de Jonzac. L'immeuble affecté à ce dernier est désormais surdimensionné au regard de son activité ; cela conduit à de nombreux gaspillages : la salle d'audience est chauffée à l'aide de radiateurs électriques, etc. Il a donc été décidé de procéder au réaménagement de ces locaux. Toutefois, l'extrême centralisation du processus décisionnel et la faiblesse des moyens alloués aux services déconcentrés du ministère de la justice en charge de l'immobilier freinent considérablement l'avancée du projet. Par ailleurs, alors que cette opération était estimée à 450 000 euros par les services municipaux et départementaux, l'évaluation retenue par le ministère de la justice dépasse un million d'euros ! J'ai été frappé par le manque d'efficacité des services de la Chancellerie s'agissant de l'entretien des bâtiments judiciaires.

M. Albéric de Montgolfier. - Nous avons, en effet, souhaité entrer en contact avec les usagers des locaux judiciaires. A cet effet, nous avons envoyé un questionnaire aux premiers présidents et aux procureurs généraux des cours d'appel. Nous n'avons toutefois pas rencontré de représentants des avocats. Mais nous avons tous l'occasion de rencontrer régulièrement des usagers du service public de la justice dans nos départements.

S'agissant de la gestion du parc immobilier judiciaire, je pense qu'il faut avant tout favoriser les mutualisations, et ce d'autant plus que les moyens des cours d'appel en la matière sont très variables.

M. Philippe Dallier. - La durée d'amortissement du coût du volet immobilier, soit 75 ans, est particulièrement impressionnante. Mais il ne faut pas s'arrêter à cela ; la finalité première de la réforme de la carte judiciaire n'était nullement de réduire les dépenses immobilières des juridictions. S'il est tenu compte de la réduction des charges de personnel, cette durée est ramenée à treize années, ce qui est acceptable.

S'agissant des gâchis relevés lors des opérations immobilières menées dans les Côtes d'Armor, elles révèlent avant tout un manque de planification à long terme. En tout état de cause, ces gâchis sont analysés dans le cadre du rapport d'information qui sera publié.

Nous n'avons pas traité de la question de l'accessibilité de l'institution judiciaire par les justiciables dans la mesure où nos travaux s'inscrivaient dans le cadre d'un rapport budgétaire.

M. Albéric de Montgolfier. - L'intervention de magistrats dans la gestion du parc immobilier judiciaire semble justifiée par les spécificités des locaux des juridictions.

Les directions départementales des territoires paraissent constituer le bon échelon pour mutualiser les compétences en matière immobilière ; cependant, nous avons pu constater un net recul de l'assistance apportée par ces dernières aux juridictions. Par ailleurs, nous avons relevé des difficultés de coordination entre les directions départementales des territoires et les services du ministère de la justice.

M. Philippe Dallier. - Nous avons insisté sur la nécessité de renforcer les mutualisations s'agissant de la gestion du patrimoine immobilier du ministère de la justice. Une meilleure programmation de l'entretien du parc immobilier permettrait de dégager d'importantes économies. Encore faudrait-il que des moyens soient prévus pour procéder aux travaux d'entretien...

M. Pierre Jarlier. - Ce sont des fausses économies !

M. Albéric de Montgolfier. - De manière générale, la politique immobilière de l'Etat reste à bâtir. Une meilleure programmation des dépenses d'entretien est, en effet, indispensable.

A l'issue de ce débat, la commission donne acte de leur communication à MM. Philippe Dallier et Albéric de Montgolfier, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

M. Philippe Marini, président. - Je souhaiterais revenir rapidement sur les travaux menés dans le cadre du séminaire de la commission des finances qui a eu lieu, la semaine dernière, à Avignon. Un compte-rendu de ces derniers sera transmis à l'ensemble des membres de la commission. Cinq principaux enseignements sont ressortis de nos échanges : manifester le souhait de la commission des finances de ne pas dépasser un certain point en termes de dispersion des moyens - j'adresserai un courrier en ce sens au président du Sénat ; limiter les réunions de la commission des finances au seul mercredi matin lors des semaines de contrôle ; utiliser plus systématiquement l'article 60 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour disposer d'un retour du Gouvernement sur les préconisations des rapporteurs ; regrouper les principales propositions des rapporteurs dans un rapport annuel du contrôle ; organiser une audition annuelle du ministre chargé du budget pour tirer les conséquences de l'ensemble des travaux de contrôle.

Enfin, un rapport d'information sera publié avant la fin de l'année 2013, exposant la jurisprudence de la commission des finances en matière de recevabilité financière des amendements.

Mme Michèle André. - Je souhaiterais exprimer mon accord avec les enseignements tirés lors du séminaire de la commission des finances. Je pense qu'il serait souhaitable de fixer la date de nos séminaires avec l'objectif de rassembler un plus grand nombre de nos collègues. Je tiens, en outre, à remercier notre collègue Claude Haut de son accueil à Avignon.

M. Philippe Dallier. - Je pense qu'il est important que le rapport d'information portant sur la recevabilité financière des amendements puisse être publié le plus rapidement possible. En effet, les décisions en la matière de la commission des finances ont été critiquées en séance au début de cette semaine. Aussi ai-je été contraint d'intervenir. Il serait donc nécessaire de faire preuve de pédagogie.

M. Philippe Marini, président. - Ces discussions ont eu lieu au cours de l'examen du projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. A cet égard, je tiens à préciser que seuls seize amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution, soit à peine plus de 2 % des amendements examinés par la commission des finances ! Un taux aussi faible s'explique par les contacts qui ont été pris avec les auteurs d'amendements présentant un risque d'être déclarés irrecevables ; des solutions ont été recherchées afin de mettre ces initiatives en conformité avec l'article 40 de la Constitution.

Politique de cession de biens immobiliers sis à l'étranger du ministère des affaires étrangères - Audition de Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine et de M. Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères

Enfin la commission procède à l'audition de Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine et de M. Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères sur la politique de cession de biens immobiliers sis à l'étranger du ministère des affaires étrangères.

M. Philippe Marini, président. - Nous accueillons Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine et M. Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères (MAE).

La politique d'optimisation du patrimoine immobilier de l'État menée depuis plusieurs années a donné lieu à des réussites comme à Tokyo, mais aussi à des échecs, comme en témoigne l'impossible vente de la résidence de France à Dublin aux termes de longues tractations. Roland du Luart a mené l'an dernier un contrôle budgétaire sur l'utilisation du produit des cessions de biens immobiliers du MAE à l'étranger. Céder c'est bien, encore faut-il veiller au bon rattachement des crédits correspondants et à leur affectation aux besoins prioritaires car nos représentations diplomatiques ne sont pas qu'une question de gestion budgétaire, elles renvoient aussi l'image de la France à l'étranger. Ainsi, à Séoul la résidence de l'ambassadeur, installée sur un site magnifique, entouré d'immeubles, constitue le seul espace vert préservé dans ce quartier de la capitale et le seul témoignage de l'état de la ville lorsque la France a installé sa légation. Il serait pourtant possible d'y construire un immeuble de soixante étages. Cet exemple illustre les difficultés, voire les contradictions auxquelles se heurte cette politique de cessions de biens immobiliers.

Quel bilan dressez-vous des cessions passées ? Quelles sont les opérations en cours ? Le redéploiement des services est-il réalisé dans de bonnes conditions et se révèle-t-il profitable, ou bien a-t-on cédé des « bijoux de famille » pour reloger les services en location à des coûts importants ? Existe-t-il encore une réserve de valeur dans ce patrimoine ? Enfin, comment cette politique est-elle définie ?

Mme Nathalie Morin, chef du service France Domaine. - France Domaine, qui représente l'Etat propriétaire, est chargé de mettre en oeuvre une politique immobilière cohérente.

La première des spécificités de nos cessions à l'étranger est institutionnelle. En effet, France Domaine n'a pas de représentants à l'étranger. En France nous nous appuyons sur notre réseau de responsables de la politique immobilière de l'État (RPIE) placés sous l'autorité du préfet et du directeur départemental des finances publiques, qui participent à l'élaboration d'une stratégie immobilière et à sa mise en oeuvre. Les services locaux du domaine procèdent aux évaluations, à la gestion et à la cession des biens. A l'étranger nous sommes dépourvus de relais. L'ambassadeur est seul responsable. La commission pour la transparence et la qualité des opérations immobilières de l'État, saisie systématiquement pour les opérations d'un certain montant ou réalisées de gré à gré en France, n'est pas compétente à l'étranger, selon les termes du décret du 10 février 2012. Enfin, une Commission interministérielle sur les opérations immobilières de l'Etat à l'étranger (CIM) spécialisée a été créée. Elle est indépendante, présidée par un magistrat de la Cour des comptes.

La seconde spécificité est immobilière. Ainsi, la part de bureaux dans notre patrimoine immobilier est plus faible à l'étranger qu'en France. De même, il ne faut pas négliger les exigences liées à la fonction de représentation et à la sécurité des bâtiments.

Troisième spécificité : la spécificité budgétaire. Le budget opérationnel de programme du ministère des affaires étrangères au sein du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » présente deux particularités : d'une part, il est exonéré d'une contribution à la mutualisation et au désendettement, ce qui porte le taux de retour à 100 % jusqu'au 31 décembre 2014 ; d'autre part, il est autorisé à financer les dépenses d'entretien, même sur des immeubles dont la France n'est pas propriétaire, alors qu'il devrait financer des dépenses non pérennes, de réinstallation des services par exemple.

Dernière spécificité : la stratégie immobilière à l'étranger n'est pas formalisée. Les cessions ne sont justifiées que si elles traduisent une volonté de rationaliser les implantations et permettent de dégager des ressources pour financer la réinstallation des services dans d'autres locaux plus adaptés. En France, des schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) sont élaborés après avis de France Domaine qui en assure le suivi. Il n'existe pas de tel schéma pour l'étranger.

La politique de cession obéit à deux principes. L'État ne peut vendre un bien à un prix inférieur à sa valeur vénale. En outre, conformément au principe de transparence, une mise en concurrence est obligatoire. Ces principes sont applicables à l'étranger même si le code général de la propriété publique prévoit la possibilité de dérogations, notamment pour s'adapter à la législation du pays d'accueil. La décision de vendre est prise par la CIM. Celle-ci fixe aussi le prix de réserve. Après appel d'offre, elle décide ou non de vendre, et révise éventuellement le prix de réserve à la baisse s'il apparaît surévalué. France Domaine est un membre actif de la CIM, même s'il ne dispose pas de droit de veto. Nous n'avons d'ailleurs jamais été opposés aux décisions prises.

L'emploi du produit des cessions est conforme aux orientations de la politique immobilière de l'État. Depuis 2012, la CIM est saisie de toute opération d'un montant supérieur à 5 millions d'euros. Elle examine attentivement l'intérêt des opérations de réemploi des crédits dégagés. Les opérations s'inscrivent dans une programmation rigoureuse, régulièrement actualisée. Grâce au compte d'affectation spéciale, nous disposons d'un seul instrument budgétaire qui permet de vérifier aisément les synergies et les compatibilités entre les opérations réalisées.

Toutefois, des progrès sont possibles, notamment en termes de formalisation de la stratégie. Des schémas pluriannuels de stratégie immobilière seront mis en place dans certains pays à titre expérimental. En outre le ministre a demandé que les biens des opérateurs soient mieux pris en compte, afin de favoriser d'éventuelles mutualisations.

M. Philippe Marini, président. - Avec M. Saint-Geours, nous passons du général au particulier.

M. Yves Saint-Geours, directeur général de l'administration et de la modernisation du ministère des affaires étrangères. - En effet ! Au ministère des affaires étrangères, on ne peut faire qu'avec ce que l'on obtient. Les cessions immobilières représentent un jeu à somme nulle. C'est pourquoi nous avons besoin de récupérer l'intégralité des produits des ventes. Nous sommes dans un lit de Procuste : plus l'on vend, plus les réserves patrimoniales diminuent, ce qui restreint d'autant nos marges d'action.

Il est exact que le ministère ne dispose pas de SPSI global. Toutefois nous avons réalisé des schémas pour certains pays importants : les États-Unis la Chine, l'Inde, les pays du Maghreb, ou encore pour la France, où le nombre de nos installations parisiennes a été ramené de onze à quatre. Nous avons vendu 152 biens en sept ans, dont six de plus de dix millions d'euros. Nous réfléchissons à de futures cessions dans des pays où l'immobilier est valorisé. Mais la politique de cessions devient de plus en plus difficile car nous avons cédé les bâtiments les plus simples à vendre, notamment les plus petits : nous avons déjà vendu 80 bâtiments de moins de 500 000 euros. De plus les contraintes augmentent, en particulier en termes de sécurité, comme l'illustre l'attaque contre l'ambassade américaine à Benghazi, notre intervention au Mali, ou la destruction de notre ambassade à Tripoli alors que nous y avions réalisé pour 3 millions d'euros de travaux. Nous devons faire évoluer notre doctrine. Je suis aussi fonctionnaire de défense au ministère des affaires étrangères et la sécurité est partie prenante de ma réflexion. Le ministre a annoncé un plan de 20 millions d'euros pour la sécurité, dont 10 consacrés au compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

La politique immobilière est soumise à de nombreux aléas : la situation des marchés immobiliers locaux, les difficultés économiques des différents pays : ainsi en Argentine, il faut pouvoir rapatrier les fonds... Certaines ventes programmées n'ont pas lieu, prennent du temps, entraînent des contentieux, ou posent des difficultés juridiques.

Dans ce contexte, nous avons essayé de faire de nécessité vertu. Ainsi, une grande partie des recettes a été consacrée à des regroupements ou des mutualisations. Nous n'avons donc pas seulement vendu à l'encan des « bijoux de famille » mais avons aussi cherché des solutions plus rationnelles. L'aide de la CIM et de France Domaine est précieuse à cet égard. Nous devons poursuivre nos efforts de rigueur.

Ces dernières années, la vente de la villa Trotti à Monte-Carlo a rapporté 50 millions d'euros, la vente de Bangkok 30 millions, celle de Hong-Kong 52 millions. Ces trois ventes représentent donc à elles seules presque la moitié des 307 millions d'euros récoltés lors des cessions réalisées des 2006 à 2012. Nous avons réalisé de bonnes opérations : certes, à Hong-Kong, nous devons désormais louer, mais les frais de maintenance de l'ancien bâtiment étaient élevés. Le rachat d'un immeuble de 18 millions d'euros à Shanghaï, où nous payions un loyer supérieur à celui que nous acquittons à présent à Hong-Kong, a permis de dégager un bénéfice de 34 millions si l'on consolide ces deux opérations. 

Il est vrai, monsieur le Président, que, comme vous l'avez souligné, toutes les opportunités n'ont pas abouti. A Dublin, par exemple, il est dommage que nous n'ayons pas profité de l'embellie du marché immobilier irlandais avant 2008 pour vendre. Nous avons cédé également des résidences consulaires à Chicago, Vancouver, Sydney, même si les ventes n'ont pas abouti à Athènes, Madrid, ou Barcelone. Globalement, les ventes sont de bonne qualité.

Existe-t-il une réserve de valeur ? France Domaine estime notre patrimoine immobilier à 5 milliards d'euros, dont un milliard au Liban, et plusieurs centaines de millions aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou au Japon. Mais ce patrimoine n'est pas facile à vendre. En outre, ne convient-il pas de conserver, par exemple, notre immeuble de Tokyo, d'autant que nous l'avons modernisé ? Ces 5 milliards constituent donc en grande partie une réserve de valeur non cessible. En revanche il est possible de vendre encore certains biens, comme notre résidence à Buenos-Aires, éloignée du centre, la résidence du consul général à Alger, ou le campus en Corée du Sud, pays dans lequel nous avons un projet d'installation conjointe avec les Allemands. De plus, nous soutenons des politiques de représentation mutualisées dans des villes où plusieurs ambassades sont implantées : ainsi nous allons vendre la résidence du représentant permanent français à l'Organisation des Nations Unies (ONU). Des pistes sont aussi à l'étude en Finlande, au Luxembourg ou à Amsterdam avec l'Institut wallon. Nous avons aussi des projets de construction. L'absence de stratégie ne signifie pas l'absence d'orientation, en lien avec la prise en compte dans notre réseau des nouveaux équilibres du monde : ainsi, nous avons vocation à augmenter notre présence dans des villes comme Abuja, Bangkok, Djakarta ou encore Dacca ; en parallèle, nous cherchons à rationaliser notre présence à Sofia ou à Tunis ; à côté de cela, des rénovations lourdes sont en cours à Washington, Moscou ou New Delhi. Il faut aussi mentionner les aléas, comme à Tripoli, où notre ambassade a été détruite.

Notre système exige vertu et rigueur, mais il ne peut être pérenne car le patrimoine cessible diminue. Il est indispensable que le retour intégral des recettes, prévu jusqu'à fin 2014, perdure. Nous avons besoin de votre aide, de celle de la CIM et de France Domaine pour continuer à améliorer la saine gestion de notre patrimoine.

M. Philippe Marini, président. - Vous faites de nécessité vertu et luttez avec pugnacité dans votre lit de Procuste. Nous avons aussi compris que vous faisiez appel, avec beaucoup d'à propos, à l'aide de notre commission...

M. François Marc, rapporteur général. - Dans son rapport sur la certification des comptes la Cour des comptes a salué votre travail, notamment en matière de fiabilisation des évaluations du parc immobilier à l'étranger. Cette évaluation a-t-elle également porté sur le statut juridique du patrimoine, qui relève de régimes très différents ?

Les services des ambassades sont-ils suffisamment armés pour traiter des dossiers parfois très complexes ? Quel est le processus de décision ? Quel est le rôle de l'ambassadeur ?

Le produit des cessions immobilières sert à financer non seulement des acquisitions de nouveaux locaux mais aussi des dépenses d'entretien. La Cour des comptes le déplore car ce mécanisme sort du budget général des dépenses qui devraient y figurer. Qu'en pensez-vous ? Ce système est-il efficace ?

M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat ». - On ne peut faire qu'avec ce que l'on a : voilà une sage devise dont devrait s'inspirer Bercy... Pour le reste, j'ai deux questions précises à poser aux intervenants.

Tout d'abord, le projet de relocalisation de notre ambassade de Madrid est ancien, Jean-François Deniau l'évoquait déjà il y a 30 ans. Elle est bien située mais particulièrement vétuste, loin des normes exigées pour les bâtiments publics en France. Le projet de construction d'un nouveau bâtiment avait été confié à la Sovafim. Il n'avance pas. Pourquoi ?

Ensuite, en France, l'espace de 2 000 mètres carré qui abritait les archives, au sein de l'immeuble du ministère des affaires étrangères, rue de l'Université, reste vacant, après leur transfert en banlieue. En effet, le ministère des affaires étrangères a été « roulé » dans une opération impliquant Matignon et le ministère de l'écologie ! Il possédait un immeuble situé sur le boulevard Saint-Germain, d'une valeur de 69 millions d'euros, qui a été donné au ministère de l'écologie, lequel s'y est installé sans le payer au MAE. Or ces ressources font défaut pour aménager l'immeuble de la rue de l'Université. Résultat : un espace vacant de quelque 2 000 mètres carrés depuis deux ans en plein coeur du VIIème arrondissement. Si le grand public le savait, les critiques fuseraient ! Sortons de cette situation ubuesque. Pourquoi ne pas déroger aux critères d'emploi des produits des cessions réalisées à l'étranger pour financer cette opération ?

Sinon, je soutiendrai la pérennisation du principe du retour de l'intégralité des produits de cession afin de poursuivre l'effort de rationalisation de notre implantation à l'étranger. Je reconnais également que la sécurisation pose de nouveaux défis au ministère des affaires étrangères. Espérons qu'il n'y aura pas d'autres Tripoli !

M. Richard Yung, rapporteur spécial de la mission « Action extérieure de l'Etat ». - L'absence de stratégie immobilière me surprend. Le compte d'affectation spéciale a été créé en 2006. Depuis des réflexions ont été menées sur l'universalité du réseau, sur le rapprochement des services consulaires, sur le réseau culturel, etc. Mais toujours pas de stratégie ! Les élus des Français de l'étranger apprennent les cessions dans la presse, comme si c'était un caprice non de Procuste, mais de Zeus, la dernière en date étant la cession de la maison de France à Berlin, sur le Kurfürstendamm, pourtant centre de la vie culturelle. L'émotion est grande... Les décisions sont prises sans concertation, le dialogue reste inexistant, et - c'est une tradition au Quai -, les élus sont tenus à l'écart. Des progrès sont indispensables.

D'autre part, la CIM me laisse perplexe. Quels en sont les membres ? Que fait-elle ? Quelle est sa stratégie ? Comment associer les élus ?

Par ailleurs, vous nous indiquez que les ventes ont rapporté 307 millions : quelle part a été réinvestie ?

Comment appréciez-vous le passage du statut de propriétaire à celui de locataire ? La vente à Hong-Kong était justifiée : inutile de posséder des résidences d'une telle valeur. Mais après la vente, il faut louer, et un ambassadeur doit disposer de locaux de réception. A la fin de l'opération, y gagnons-nous donc vraiment ?

Quelle est, enfin, la part du CAS affectée à l'entretien ? A trop le négliger nous en sommes réduits à installer des filets sur nos ambassades pour empêcher les chutes des pierres : c'est la malédiction du service public !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Des opérations exemplaires et justifiées ont été réalisées, à Hong-Kong, Tokyo ou New-York. Vendre c'est bien, mais il faut réinstaller les services. Sur quelles évaluations vous appuyez-vous pour réaliser vos arbitrages et apprécier le coût des relocations provoqué par les ventes ? La cession des « bijoux de famille » est une politique de courte vue si elle induit des coûts de relocation élevés et durables, dans des villes où les loyers sont élevés et susceptibles d'augmenter.

M. Philippe Marini, président. - Sans oublier, d'un point de vue budgétaire, le problème posé par la perméabilité entre des recettes constituées de cession de capital et des dépenses de gestion courante.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». - Il est anormal d'utiliser une partie du CAS pour entretenir des bâtiments : c'est l'avis de la commission de finances et de la Cour des comptes. Dans le budget, quelle somme serait-elle nécessaire pour assurer l'entretien de votre patrimoine immobilier ?

D'autre part, Nathalie Morin nous a indiqué que France Domaine n'a pas de droit de veto à la CIM. Pourquoi ?

Mme Nathalie Morin. - Pour répondre aux questions relevant plus particulièrement de la compétence de France Domaine, je voudrais tout d'abord souligner que la fiabilité des évaluations domaniales a été améliorée. La Cour des comptes a émis cette année une réserve non substantielle sur le parc immobilier de l'Etat, alors qu'elle émettait jusque-là une réserve substantielle. C'est un progrès notable quand on connaît son degré d'exigence.

Comme je vous l'ai indiqué en introduction, nous ne disposons pas de services à l'étranger pour réaliser les évaluations domaniales. Celles-ci, d'ailleurs, sont fondées sur la valeur d'usage. La valeur vénale diffère de la valeur comptable. Aussi la réserve de valeur est sans doute différente des 5 milliards figurant dans les comptes de l'État au titre de l'estimation du patrimoine immobilier.

En 2012 un prestataire privé a été choisi, après appel d'offres, pour réaliser des évaluations dans seize pays particulièrement importants, qui représentent près du tiers du parc immobilier. Cette année nous envisageons de passer un autre marché plus restreint concernant d'autres pays significatifs.

En outre, un travail de fiabilisation des données de l'inventaire physique et comptable de l'État est engagé, portant notamment sur le statut d'occupation. Des progrès importants ont été accomplis et la Cour des comptes n'a relevé que très peu de cas d'informations défaillantes.

Les procédures de cession sont particulières dans chaque pays en raison des régimes juridiques différents. La CIM est quand même très présente pour toute opération importante. Pour répondre au sénateur Yung, la CIM est présidée par un magistrat de la Cour des comptes et compte sept membres : trois du ministère des affaires étrangères, deux de la direction générale du Trésor, un de la direction du budget et un de France Domaine. Elle instruit les dossiers, décide de l'opportunité de la vente, du prix, choisit la procédure, valide l'offre finale, ou encore baisse le prix de réserve s'il est surévalué.

M. Yves Saint-Geours. - Les ambassadeurs sont en première ligne dans les opérations immobilières. Ils peuvent s'appuyer sur les services communs de gestion composés de juristes, et les services économiques, ainsi que sur le service des affaires juridiques internes et la direction de l'immobilier et de la logistique situés à Paris. Les cessions comme les acquisitions donnent lieu à des échanges itératifs pour nourrir le dossier soumis finalement à la CIM. Rien n'est simple. Les situations juridiques sont parfois complexes : on peut être propriétaire du terrain, mais pas de l'immeuble, ou l'inverse...

Les crédits du compte d'affectation spéciale sont nécessaires pour financer l'entretien du patrimoine. J'aimerais bien m'en passer, mais il n'y a pas assez dans le programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » de la mission « Action extérieure de l'Etat ». Pour assurer l'entretien lourd, 20 millions d'euros ont été prélevés sur le compte d'affectation spéciale ; pour investir et entretenir, il nous faudrait 50 millions d'euros, dont 30 rien que pour l'entretien.

En réponse au sénateur du Luart, j'indique que le projet de Madrid n'a reçu l'accord de principe qu'en novembre 2011. Il s'agissait de vendre pour reconstruire un nouveau bâtiment, tout en récupérant, comme à Hong-Kong, une soulte. Depuis, compte tenu de la situation économique, les perspectives se sont compliquées... J'ai souhaité vérifier la soutenabilité financière du projet. Une mission de l'inspection générale, en février, a revu la soulte espérée à la baisse, entre 3 millions d'euros... et peut-être zéro. La prudence s'impose, d'autant plus que la compatibilité de la construction nouvelle avec les règles d'urbanisme n'est pas garantie, un seul un bâtiment étant autorisé sur le terrain envisagé.

M. Philippe Marini, président. - Il faudrait éviter une manifestation des Madrilènes pour défendre les espaces verts...

M. Yves Saint-Geours. - Effectivement, le retard pris est d'autant plus rageant que l'on en parle depuis 20 ans ! Mais je ne suis en poste que depuis quelques mois ; je préfère être prudent.

Les nouvelles sont meilleures pour les archives. Sans vouloir être cocardier, je tiens à souligner que le quadrilatère situé entre le Quai d'Orsay et la rue de l'Université a été construit entre 1848 et 1855, et conçu dès l'origine pour abriter un ministère, le seul cas jusqu'à Bercy... L'ensemble est classé monument historique : les aménagements devront en tenir compte. Par exemple, le bâtiment rue de l'Université ayant été dessiné pour abriter des archives, sa façade comporte des murs aveugles. Comme nous n'avons pas perçu le produit de la vente de notre immeuble du boulevard Saint-Germain, nous n'avons pu rénover cette aile. Toutefois, nous devrions bénéficier - l'arbitrage est presque rendu - du produit de la vente des bâtiments situés avenue de Ségur. Nous pourrions aussi intervenir sur le centre enterré dans la cour du Quai d'Orsay, opération d'un montant de 40 millions d'euros : 24 proviendraient de la cession de Ségur, le reste de la vente d'autres locaux à Paris - rue Huysmans, rue de Constantine - et de crédits divers. Je suis raisonnablement optimiste.

M. Roland du Luart. - Voilà une bonne nouvelle !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'Assemblée nationale était-elle intéressée par ces locaux ?

M. Yves Saint-Geours. - Elle a éludé la question.

M. Roland du Luart. - Nous avions récemment abordé ce sujet au Conseil immobilier de l'État avec le ministre du budget, Bernard Cazeneuve.

M. Yves Saint-Geours. - Aucune stratégie immobilière, dites-vous, M. Yung ? Le jugement est sévère.

M. Richard Yung. - C'est vous qui l'avez dit !

M. Yves Saint-Geours. - Certes, nous ne disposons pas de SPSI mais nous développons d'autres instruments de pilotage. Présents dans des dizaines de pays nous devons avant tout avoir des stratégies locales ; nous avons aussi de grandes orientations, comme celle de réinvestir l'argent des cessions dans de nouvelles constructions ou de nouveaux achats.

Je ne suis pas un fervent partisan du recours à la location systématique. Notre réseau coûte 340 millions d'euros par an, y compris à Paris, dont 100 millions d'euros de loyers. Je souhaite vivement que nous achetions dans certains endroits. En fait, il est très rare de passer de la vente au loyer : souvent nous vendons non pas pour louer un nouveau bâtiment, mais plutôt pour procéder à un regroupement ou une mutualisation de services. Nous sommes d'ailleurs en train d'explorer ce genre de piste dans le cas des investissements qui suivront la vente de l'appartement du résident permanent à l'ONU car nous sommes bien conscients qu'en termes d'affichage, une vente est plus facile à présenter que l'achat d'un appartement de prestige, quand bien même cette opération pourrait se traduire, au global, par une forte plus-value pour l'Etat. Rares sont les endroits où nous acquittons un loyer : à Hong-Kong, le loyer est de 500 000 euros par an ; comme il était supérieur à Shanghai, nous avons fait une bonne opération. Dans plusieurs endroits nous envisageons d'acheter. L'envolée de certains marchés immobiliers ou l'inflation nous y incitent.

M. Jean Arthuis. - La politique immobilière de l'Etat est un bon indicateur de sa santé financière.

Le recours aux partenariats public-privé ou aux baux emphytéotiques administratifs s'est développé ces dernières années. France Domaine a-t-il un contrôle de ces opérations ? Sur le plan budgétaire, le Parlement vote une autorisation d'emprunt. Ne serait-il pas sage qu'il puisse voter une autorisation similaire pour ces formes d'emprunts latents ?

De même, ne faudrait-il pas privilégier la comptabilité générale plutôt que la comptabilité budgétaire dans laquelle dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement sont mêlées et qui incite, dans un souci de présentation du déficit de l'État, à sacrifier un investissement pour privilégier un loyer ?

Enfin, le temps n'est-il pas venu de mettre en place des rapprochements immobiliers entre représentations diplomatiques des différents pays membres de l'Union Européenne (UE) ?

M. André Ferrand. - La stratégie immobilière doit s'intégrer à la stratégie diplomatique de la France. Alors que tous les services de l'Etat devraient se mobiliser, nous déplorons que la France avance en ordre dispersé : Ubifrance, Alliance française, Agence française de développement (AFD)... Une réflexion est-elle en cours sur le regroupement de tous les services à l'étranger ?

La Maison Descartes d'Amsterdam, appelée aussi l'Institut wallon, fait l'objet d'un vif débat au sein de la communauté française : il semble que le Quai d'Orsay a pris la décision de la vendre. Or, cette maison abrite le consulat et général et l'Institut français. La Chambre de commerce française aux Pays-Bas a étudié la possibilité, au lieu de vendre la Maison, qui nécessite des travaux importants, de créer une fondation, d'y regrouper des services et de louer les locaux inutilisés : 4 000 mètres carrés, voire plus, sont disponibles !

Le président Arthuis a évoqué le PPP : je ne suis pas un inconditionnel de cette procédure, mais serait-il intéressant d'y avoir recours ?

Enfin, les lycées français à l'étranger ont été transférés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) mais sans transfert des crédits correspondants, ce qui a provoqué une augmentation des frais de scolarité.

M. Philippe Marini, président. - Qu'en est-il des implantations françaises à Jérusalem ?

Mme Nathalie Morin. - Je suis fort aise d'entendre M. Arthuis parler de comptabilité générale ! Je regrette qu'elle soit si peu utilisée.

M. Jean Arthuis. - Hélas !

Mme Nathalie Morin. - L'évolution de la valeur comptable est un indicateur de la politique immobilière ; ainsi, malgré des cessions pour un montant global de plus de 4 milliards d'euros, l'augmentation de la valeur du parc immobilier dans le bilan de l'Etat montre que nous n'avons pas bradé en vain les « bijoux de famille », mais que nous avons su astucieusement réinvestir le produit de leur vente.

Je précise que l'entretien propriétaire est financé par le programme 309 « Entretien des bâtiments de l'Etat », doté en 2013 de 215 millions d'euros, avant mise en réserve et avant gel !

France Domaine ne peut que regretter que les dépenses d'entretien soient sacrifiées ; une comptabilité générale donnerait de la profondeur à la vision.

Avec le compte d'affectation spéciale, on dépense ce que l'on a. Normalement, le taux de retour est de 50 % ; chacun a des arguments légitimes pour demander des dérogations, mais les contraintes budgétaires doivent peser sur tout le monde de la même façon.

M. Philippe Marini, président. - Très bien !

Mme Nathalie Morin. - Je confirme la bonne nouvelle annoncée par M. Saint Geours. La décision de ne pas vendre Ségur-Fontenoy a d'abord lésé le ministère de l'écologie, mais aussi Bercy...

M. Philippe Marini, président. - Tout cela, c'est un jeu d'écriture. Il s'agit de l'Etat dans tous les cas.

Mme Nathalie Morin. - Certes, mais le sénateur du Luart a dit que le ministère des affaires étrangères avait été lésé. Nous avons réglé le problème du ministère de l'écologie, nous avons réglé le problème de Bercy, nous sommes en train de régler le problème du ministère des affaires étrangères.

Les PPP ? Ce sont des montages innovants, mais nous ne sommes pas toujours très bien armés pour apprécier leurs performances économiques.

M. Jean Arthuis. - Ce sont des sparadraps pour ne pas réformer !

Mme Nathalie Morin. - Le ministre nous a demandé de faire le point sur la question.

L'AEFE n'a pas besoin de crédits supplémentaires : le transfert des lycées est un simple transfert comptable, réalisé à la demande de la Cour des comptes. Mais, hier comme aujourd'hui, l'Agence prenait déjà à sa charge l'entretien des bâtiments. Rien ne change donc de ce point de vue.

M. André Ferrand. - Je ne suis pas totalement rassuré par ce raisonnement...

M. Saint Geours. - L'AEFE doit avoir les moyens de mener une politique immobilière dynamique ; je sais qu'elle bénéficie de toute la sollicitude du sénateur Ferrand.

Effectivement, nous voulons mettre en oeuvre une politique de co-localisation avec nos partenaires européens, notamment allemands : c'est le cas à Dacca. Nous avons des projets à Rio, Séoul, Koweit, Pyongyang... Et au lendemain de l'explosion de Tripoli, notre ambassadeur a demandé à son collègue anglais si une re-localisation était possible dans son périmètre, très sécurisé...

Nous n'entendons fermer aucune ambassade, mais nous voulons en alléger certaines ; treize audits ont été demandés par le ministre. Une des solutions est la co-localisation, soit avec un pays de l'Union européenne, soit avec la délégation de l'Union européenne. Nous y travaillons à Tegulcigalpa, mais je ne sous-estime pas les difficultés de l'opération.

M. Jean Arthuis. - Difficultés de quel ordre ?

M. Saint Geours. - La co-localisation des services français pose des problèmes juridiques et financiers très complexes.

Nous avons choisi de regrouper ; c'est une véritable politique, mais sa mise en oeuvre se révèle parfois difficile, comme à Berlin, voire impossible, comme à Sao Paulo, où j'ai dû renoncer, faute de pouvoir aller vite. Mais on regroupe beaucoup : Tunis, Séoul,...

Contrairement à ce que laisse croire son nom, la « Maison Descartes » n'est pas un lieu historique. Le regroupement est une idée séduisante, étudiée par l'ambassadeur actuel et son prédécesseur, mais très compliquée ; et avec quels moyens serait-il mis en oeuvre ? Les grandes entreprises qui ont regretté la vente de la résidence de Hong Kong n'ont rien proposé quand il était encore possible d'agir... Je suis donc très sceptique sur ce projet.

Enfin, il nous est impossible de céder nos implantations à Jérusalem : nous allons donc continuer de les entretenir et de les valoriser.

M. André Ferrand. - Je regrette qu'il n'y ait pas eu d'étude économique sur la Maison Descartes.

M. Saint Geours. - D'étude économique, non ; d'étude immobilière, si.

M. Philippe Marini, président. - Merci de vos interventions.

Le redéploiement immobilier peut être une chance pour notre diplomatie : le regroupement des services conforte le rôle de l'ambassadeur, comme celui des services départementaux a conforté le rôle du préfet.

Nous continuerons à être très attentifs sur la question.