Mardi 23 avril 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Contrôle sur pièces et sur place au ministère de l'économie et des finances - Communication

La commission entend tout d'abord une communication de M. Philippe Marini, président, relative au contrôle sur pièce et sur place effectué au ministère de l'économie et des finances le 11 avril 2013.

M. Philippe Marini, président. - Je souhaiterais revenir brièvement sur la séquence de la semaine dernière, en particulier sur les remarques qui ont été formulées, par rappel au règlement en séance publique par notre collègue Edmond Hervé, puis devant la commission, lors de l'audition du ministre du budget, par le rapporteur général François Marc.

Ces propos étaient relatifs au contrôle sur pièce et sur place que j'ai effectué jeudi 11 avril 2013, conjointement avec le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, Gilles Carrez. Il me semble utile de lever quelques malentendus car j'ai trouvé, dans ces expressions, par ailleurs tout à fait légitimes, des éléments qui ne me semblent pas correspondre à la réalité.

Comme vous le savez, les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances ont d'abord reçu, à propos de la situation de Jérôme Cahuzac, un courrier du ministre de l'économie et des finances. A la suite de ce courrier, sans nous concerter, le président Carrez et moi-même avons adressé des questions complémentaires au ministre par lettre. Nous avons reçu très rapidement une réponse.

Gilles Carrez et moi-même comptions nous contenter d'interroger le ministre par courrier, jusqu'à la parution de l'hebdomadaire « Valeurs actuelles » le jeudi 11 avril au matin. Celui-ci avançait qu'une mission d'investigation de quinze personnes aurait été envoyée en Suisse. Ces indications étant particulièrement graves, il n'était pas concevable de les laisser circuler sans y regarder de plus près. C'est bien, me semble-t-il, la fonction des contrôles sur pièce et sur place que peuvent exercer les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat - puisque ces prérogatives sont attachées à chacune de nos quatre fonctions.

Je vous indique d'ailleurs que depuis le début de l'année 2013, je me suis déjà rendu deux fois à Bercy dans le cadre d'un contrôle sur pièce et sur place à la direction générale des finances publiques. Ceci a été fait sans publicité particulière, mais sans dissimulation non plus. Ces contrôles portaient d'une part sur les procédures de contrôle fiscal à l'encontre de certaines sociétés multinationales, notamment du domaine de l'internet, et d'autre part, sur la question des transferts de bénéfices imposables d'un pays à un autre et préjudiciables au rendement de l'impôt sur les sociétés. Dans le même cadre, j'ai également interrogé la direction générale des finances publiques sur la mesure des expatriations de capitaux, des exils fiscaux et des délocalisations de patrimoine. Tout ceci ne me semble pas avoir posé de problème particulier.

Nous en revenons au 11 avril : l'information du jour était la publication de l'article de « Valeurs actuelles » et les questions qu'il conduisait à se poser. Dès lors, le président Carrez et moi-même avons été soumis à une pression médiatique considérable. Tout à fait naturellement, nous avons répondu aux journalistes qui nous questionnaient que nous ne pouvions rien dire avant d'avoir interrogé les responsables du ministère de l'économie et des finances. Le président Carrez a fait savoir par communiqué, en fin de matinée, que nous allions nous rendre à la direction générale des finances publiques. Nous n'avons organisé, ni l'un, ni l'autre, aucune mise en scène médiatique. Nous n'avons convoqué aucun journaliste, mais il se trouve qu'ils étaient tous concentrés sur ce sujet. Ayant connaissance de l'heure à laquelle nous devions nous rendre à Bercy, ils ont fait circuler ce message et nous ont attendus dehors un certain temps - puisque nous sommes restés en réunion pendant une heure et quarante-cinq minutes avec le directeur général et ses deux adjoints.

A titre de conclusion, je voudrais souligner plusieurs points. Tout d'abord, je n'ai pas mis en cause l'administration. Il me semble qu'il est de son devoir de concourir aux objectifs définis par le pouvoir exécutif. J'ai indiqué - je crois que François Marc a relevé ce terme - que l'administration était en quelque sorte le « bouclier du ministre » ; ce n'est pas du tout pour moi une expression péjorative. C'est ce que l'on doit souhaiter, me semble-t-il, de toute administration au service d'un pouvoir élu démocratiquement.

Il est vrai - et François Marc a relevé mon propos - qu'en réponse à une question d'un journaliste, j'ai indiqué que je souhaitais la démission du ministre de l'économie et des finances, en disant dans la même phrase, que ce n'était pas en rapport avec l'affaire Cahuzac.

M. Jean Germain. - C'est exagéré !

M. Philippe Marini, président. - Bien entendu, en tant que membre de l'opposition, je serais prêt, si le Sénat en avait le pouvoir, à voter la censure tous les jours, et donc à souhaiter le départ de l'ensemble du Gouvernement, et notamment du ministre de l'économie et des finances. Ce dernier accepte de se faire contredire par certains de ses collègues du Gouvernement, ce qui me semble poser de réels problèmes d'autorité. Ce n'est ni plus, ni moins. S'agissant de l'affaire Cahuzac, je n'ai aucun élément pour enjoindre quoi que ce soit à Pierre Moscovici.

En troisième lieu, je précise que Gilles Carrez et moi-même avons sollicité des documents au cours de cette rencontre. Lorsque nous avons demandé s'il y avait des notes émanant de l'administration et adressées au ministre ou à son cabinet sur les procédures relatives à Jérôme Cahuzac, la réponse a été assez floue. Connaissant un peu le fonctionnement de l'administration, il m'est apparu assez improbable qu'il n'y ait pas de trace écrite de l'analyse de cette situation. Au demeurant, je ne pense pas que l'administration prenne le risque de dissimuler des éléments puisque les technologies actuelles permettent de retrouver les pièces. Certes, ce n'est plus, comme je l'ai fait autrefois, en compulsant des peluriers. Mais, lorsque l'on dit « faire parler la mémoire des ordinateurs », c'est comme chercher dans les pelures, c'est-à-dire la production d'un secrétariat à un endroit et un moment donnés.

Enfin, je précise que les éléments recueillis pourront, si vous le souhaitez - je m'en suis entretenu ce matin avec le rapporteur général - faire l'objet d'une communication à la commission. Ceci suppose que j'aie bien reçu les informations demandées, listées au cours de la réunion, et qu'elles aient pu être exploitées. Je joindrai à cette communication un compte-rendu de la séance de travail à Bercy. Je joindrai également, si le ministre m'y autorise, les deux réponses qu'il a faites à mes courriers successifs. J'observe d'ailleurs que tout cela a été largement traité lors de l'audition de Pierre Moscovici à l'Assemblée nationale, le 17 avril 2013.

Voilà ce que je peux dire à propos de cette séquence, en souhaitant que les esprits ne s'enflamment pas trop. Gilles Carrez et moi-même avons eu le sentiment d'être les célébrités du jour, mais nous ne l'avons pas recherché du tout ! Au demeurant, chacun ici est bien placé pour savoir que lorsque l'on souhaite organiser une conférence de presse, en général, il y a peu de participation. Et au contraire, c'est lorsque c'est spontané et que l'information se répand comme une traînée de poudre que tous les journalistes sont présents, alors que l'on ne s'y attendait pas forcément. Voilà, mes chers collègues, les quelques éléments de fait que je souhaitais vous indiquer, en vous priant de bien vouloir excuser mon absence de la semaine dernière.

M. Edmond Hervé. - Monsieur le président, je vous remercie pour cette communication. Mon rappel au règlement était un hommage à la fonction de président de la commission des finances, puisque dans mon intervention, j'ai tenu à citer la fonction de contrôle qui est la vôtre, comme celle de tout membre de la commission. D'autre part, en vous écoutant, j'éprouve beaucoup de compassion pour toute personne qui subit une pression médiatique. Il est quelquefois difficile d'échapper à ce genre de pression.

Tout comme mes collègues, j'ai reçu votre lettre du 12 avril 2013 où il était indiqué à la fin : « je reste à votre disposition pour toute information complémentaire ». J'imagine les difficultés qui auraient été les vôtres s'il y avait eu à l'entrée de votre bureau une file de collègues se succédant pour demander des informations.

J'ai trouvé également, dans votre lettre du 5 avril 2013, un passage qui doit faire consensus entre nous. Dans le dernier alinéa de votre lettre, vous écrivez ceci : « les responsables politiques s'expriment avec mesure, sur la base d'éléments étayés ». J'ai cru bon de m'inspirer de ce passage pour faire ce modeste rappel au règlement en début de séance.

M. François Marc, rapporteur général. - Je souhaite vous donner acte, monsieur le président, des précisions que vous avez bien voulu nous apporter, de la démarche engagée auprès de Bercy et de la volonté qui est la vôtre de communiquer à l'ensemble de la commission les éléments qui ont été obtenus, ou qui vont l'être dans de très brefs délais. Ceci permettra à chacun de se faire une opinion très précise sur la nature de ces informations et sur les démarches engagées par Bercy lorsqu'il s'est agit de mettre au clair cette affaire impliquant Jérôme Cahuzac.

Pour le reste, la question qui s'est posée à nous, et sur laquelle j'ai réagi, est simplement une question de méthode, liée à l'autonomie du travail parlementaire. Chaque chambre a ses prérogatives. Le fait que les deux présidents des commissions des finances se concertent pour aller conjointement à Bercy - dans le « bruit médiatique » du moment - révèle une démarche qui dépasse peut-être le champ de la fonction de contrôle exercée par chacune des chambres. Le fait qu'il s'agisse d'une démarche conjointe et que les médias aient été prévenus le matin de cette visite ont sans doute contribué à la « sur-médiatiser ». Même si j'ai bien compris, monsieur le président, que cette information donnée à la presse ne venait pas de la commission des finances du Sénat, mais de l'Assemblée nationale, c'est certainement cela qui a entraîné l'écho considérable autour de cette visite. Un certain nombre de collègues s'en était ému auprès de moi.

Je pense que les éléments apportés aujourd'hui clarifient la situation et je m'en tiens à cet engagement de communiquer à nos collègues les informations utiles dans les meilleurs délais.

Projet de décret d'avance portant création du programme relatif au Haut Conseil des finances publiques et le dotant en crédits - Communication

La commission entend ensuite une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance portant création du programme relatif au Haut Conseil des finances publiques et le dotant en crédits, transmis pour avis à la commission, en application de l'article 13 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

M. François Marc, rapporteur général. - Je vous propose un avis favorable de notre commission des finances sur ce projet de décret d'avance, notifié le 18 avril 2013, qui porte ouverture et annulation de 782 396 euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Nous devons avoir à l'esprit que nous avons fortement contribué à ce que le Haut Conseil des finances publiques soit mis sur pied, puisque nous avons voté le projet de loi organique prévoyant sa création. Nous devons également noter que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant sur le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat », d'où proviennent les moyens humains et matériels du Haut Conseil des finances publiques. Ces crédits n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année et les annulations prévues n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances pour 2013.

Nous pouvons considérer qu'il y a urgence à ouvrir ces autorisations d'engagement et ces crédits de paiement, dès lors que la création d'un programme dédié respecte la volonté du législateur organique d'inscrire les actions du Haut Conseil dans un cadre qui en garantisse la transparence et la lisibilité.

C'est une procédure inédite depuis l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001. Mais aucune disposition juridique n'interdit la création d'un programme par décret d'avance, dès lors que les seuils mentionnés précédemment sont bien respectés. Cette procédure a toutefois vocation à demeurer exceptionnelle.

Je relève aussi que le Gouvernement a transmis au Parlement, conjointement au projet de décret d'avance, une présentation exhaustive et détaillée du nouveau programme, comportant la présentation stratégique du projet annuel de performance, la présentation des crédits et des dépenses fiscales, et la justification au premier euro, à l'exception toutefois des dispositions relatives aux objectifs et indicateurs de performance, qui devront figurer dans le projet de loi de finances pour 2014.

Sous le bénéfice de ces observations, notre commission pourrait émettre un avis favorable au présent projet de décret d'avance.

M. Philippe Marini, président. - Je vous remercie monsieur le rapporteur général. Je souligne que la création de ce programme dédié au Haut Conseil des finances publiques, résulte d'un amendement du Sénat, proposé à mon initiative.

M. Jean Germain. - Je suis d'accord avec les propos tenus par le rapporteur général. Au vu de ce projet de décret d'avance, j'espère toutefois que les contrôles des chambres régionales des comptes, pour nous autres misérables vermisseaux de province, seront plus compréhensifs. Je constate en effet que 450 000 euros de crédits sont prévus pour les travaux d'aménagement d'une salle de réunion dédiée, des marchés d'expertise - chose que l'on nous reproche souvent ! - et des frais de fonctionnement courant.

Je voterai de façon optimiste et enthousiaste ce projet de décret d'avance, en espérant que ce qui est fait pour le Haut Conseil des finances publiques permettra de mieux considérer ce qui est fait en province pour l'intérêt général.

M. Francis Delattre. - Le courrier du ministre du budget du 16 avril 2013 m'interpelle. Il y est écrit : « la ratification de ce décret sera demandée au Parlement dans le plus prochain projet de loi de finances afférent à l'année 2013 ».

Ne serait-ce qu'en tenant compte du récent avis du Haut Conseil des finances publiques, il est bien évident que, pour l'année en cours, nous sommes plus proches de la récession que des 0,8 % de croissance initialement prévus par le Gouvernement. Normalement, nous devrions donc être saisis d'un projet de loi de finances rectificative, sous peine de ne pas prendre les mesures d'ajustement nécessaires.

Or tout ce débat a lieu en-dehors du Parlement : au Haut Conseil des finances publiques, au Fonds monétaire international, dans la presse ou dans les couloirs des grandes administrations... Nous devrions travailler sur ces nouvelles données, ou alors, cela signifie que le Gouvernement s'oriente, sans le dire, vers une autre politique, où la réduction des déficits n'est plus une priorité. Hormis la question de la croissance, il y a le problème du financement du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et des économies à faire pour passer sous la barre des 3 % de déficit public.

Je souhaiterais donc, monsieur le rapporteur général, que vous nous disiez, au-delà de la formule alambiquée de ce courrier, comment nous allons travailler dans les prochaines semaines.

M. Philippe Marini, président. - Cher collègue, vous posez des questions de fond qui seront sûrement aussi traitées dans le cadre du débat suivant sur le programme de stabilité.

M. Aymeri de Montesquiou. - Quelles sont les obligations morales du Gouvernement lorsqu'il y a une distorsion entre l'évaluation du Haut Conseil des finances publiques et ses propres prévisions de croissance ? S'il n'est tenu aucun compte de l'avis du Haut Conseil, alors il ne sert à rien.

M. Philippe Marini, président. - La loi organique du 17 décembre 2012 prévoit que les avis du Haut Conseil sont publics. Ils peuvent donc, en premier lieu, influencer les opinions que les différents acteurs de l'économie internationale ont de la France. En deuxième lieu, dans le cadre du semestre européen, l'avis du Haut Conseil doit être joint au programme de stabilité. Il appartiendra à la Commission européenne de questionner le Gouvernement français, et le cas échéant, de formuler des observations. En troisième lieu, le Conseil constitutionnel tiendra compte de l'avis du Haut Conseil pour apprécier la sincérité des lois de finances.

M. François Marc, rapporteur général. - Je souhaite apporter quelques éléments de réponse à Jean Germain sur les moyens du Haut Conseil. L'enveloppe de 782 000 euros est répartie en deux composantes : la première pour permettre le démarrage des travaux, la seconde pour la rémunération du personnel et les autres dépenses de fonctionnement. S'agissant des aménagements de salle, il s'agit d'une dépense de 75 000 euros. Il y a aussi 25 000 de frais divers et enfin des frais d'expertise à hauteur de 350 000 euros. Nous avions en effet souhaité que le Haut Conseil puisse s'entourer des avis les plus autorisés.

S'agissant de l'interrogation de notre collègue Francis Delattre sur un éventuel projet de loi de finances rectificative, je peux vous indiquer qu'il y en aura certainement un d'ici la fin de l'année 2013 afin de garantir la bonne information du Parlement et de recueillir son consentement, conformément à la loi organique relative aux lois de finances. C'est ce qui est sous-entendu dans la formulation que vous évoquiez. Concernant le fond de votre question, je pourrai y répondre plus en détail après la présentation du rapport sur le programme de stabilité.

M. Philippe Marini, président. - S'agissant du projet d'avis, y a-t-il des demandes de modification ? Je n'en vois pas. Y a-t-il des oppositions ? Je n'en vois pas non plus. Des abstentions ? Une abstention. Notre commission a donc rendu un avis favorable.

La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.

L'avis est ainsi rédigé :

« La commission des finances,

« Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

« Vu la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques ;

« Vu la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 ;

« Vu le projet de décret d'avance notifié le 18 avril 2013, portant ouverture et annulation de 782 396 euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, au questionnaire du rapporteur général ;

« 1. Souligne que l'unique objet du projet de décret d'avance est de créer et de doter le programme « Haut Conseil des finances publiques » au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat », afin de respecter les dispositions de l'article 22 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, introduites pour garantir l'indépendance matérielle et fonctionnelle du Haut Conseil des finances publiques ;

« 2. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet sont gagées par des annulations de même montant sur le programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'Etat », d'où proviennent les moyens humains et matériels du Haut Conseil des finances publiques ; que, par ailleurs, ces ouvertures n'excèdent pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année et que les annulations prévues n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances pour 2013 ;

« 3. Considère que l'urgence à ouvrir les autorisations d'engagement et les crédits de paiement prévus par le présent projet de décret est avérée ; en effet, si le Haut Conseil des finances publiques a d'ores et déjà engagé ses travaux, la création d'un programme dédié en cours d'exécution respecte la volonté du législateur organique d'inscrire ses actions dans un cadre qui en garantisse la transparence et la lisibilité ;

« 4. Observe qu'aucune disposition juridique n'interdit la création d'un programme par décret d'avance, mais que cette procédure, inédite depuis l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001, a vocation à demeurer exceptionnelle ;

« 5. Relève que, pour la bonne information du Parlement, le Gouvernement a transmis, conjointement au projet de décret d'avance, une présentation exhaustive et détaillée du nouveau programme, comportant la présentation stratégique du projet annuel de performances, la présentation des crédits et des dépenses fiscales et la justification au premier euro, à l'exception toutefois des dispositions relatives aux objectifs et indicateurs de performance, qui devront figurer dans le projet de loi de finances pour 2014 ;

« 6. Emet en conséquence, et sous le bénéfice de ces observations, un avis favorable au présent projet de décret d'avance. »

Projet de programme de stabilité - Communication

Puis la commission entend une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur le projet de programme de stabilité, avant sa transmission à la Commission européenne en application de l'article 121 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

M. François Marc, rapporteur général. - Il faut, tout d'abord, rappeler que nous avons un nouveau cadre européen pour la politique budgétaire. Ce cadre exige de naviguer entre plusieurs notions. Le solde public effectif est un concept que nous utilisons depuis longtemps déjà, dans le cadre de la règle de limitation des déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB). Le solde structurel est, quant à lui, le solde public effectif corrigé des effets de la conjoncture ; ainsi, actuellement, le solde structurel est moins dégradé que le solde effectif car notre PIB est sensiblement inférieur au PIB potentiel. Enfin, l'effort structurel correspond à l'évolution du solde structurel qui dépend de l'action des pouvoirs publics. Dans un instant, nous verrons les mesures mises en oeuvre pour que l'effort structurel soit suffisant au regard des objectifs arrêtés.

Le solde et l'effort structurels sont les deux notions qui sont privilégiées dans le cadre des nouvelles règles européennes, introduites notamment par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et dont la mise en oeuvre, dans le droit national, est détaillée par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

Je ne reviendrai pas, toutefois, sur les nouvelles règles de gouvernance budgétaire européennes, que nous avons pu aborder dans le détail lors de l'audition, le 10 avril dernier, de Ramon Fernandez, directeur général du Trésor, et Julien Dubertret, directeur du budget.

Le contexte du projet de programme de stabilité qui nous est soumis est particulier. En effet, la situation économique de la zone euro est dégradée - les années 2012 et 2013 ont constitué deux années de récession consécutives. Les politiques d'ajustement menées par les Etats ont permis de ramener le déficit de la zone euro à un peu moins de 3 % du PIB cette année, contre un peu plus du double en 2010.

La faiblesse de la croissance conduit de nombreux Etats à rater leur cible d'ajustement ; nous avons pu le constater s'agissant des pays les plus fragiles de la zone euro. Tout cela a conduit à mettre en débat le rythme des ajustements à mener. Les institutions internationales, au premier rang desquelles figure le Fonds monétaire international (FMI), défendent aujourd'hui l'idée d'un assouplissement des trajectoires de consolidation, après avoir souvent été les chantres de la rigueur au cours des dernières années.

Il faut noter que, la semaine dernière, le secrétaire du Trésor américain, Jack Lew, et la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, ont plaidé pour une modération des mesures d'austérité dans certains pays européens afin de ne pas aggraver la crise économique. En réponse, Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires, a indiqué que la zone euro allait étendre ses efforts de consolidation sur une période plus longue pour permettre une relance de la croissance.

Pourquoi privilégier le solde structurel ? Il faut avoir à l'esprit que la définition d'une politique budgétaire en fonction d'une trajectoire de solde effectif, focalisée notamment sur la « règle des 3 % », serait problématique et pourrait nous entraîner dans une spirale récessive.

A cet égard, le FMI a récemment reconnu que les gouvernements avaient largement sous-estimé les multiplicateurs budgétaires, c'est-à-dire l'impact sur la croissance des ajustements conduits. Ainsi, Olivier Blanchard, économiste en chef de cette institution, a indiqué qu'au lieu d'un multiplicateur de 0,5, de récentes recherches ont montré que les multiplicateurs étaient plus proches de 1, voire supérieurs à 1, ce qui signifie que lorsque l'on diminue les dépenses publiques de 1 %, la croissance est, elle-même, réduite d'1 point ou davantage. Ces analyses invitent à se montrer particulièrement vigilant quant aux mesures à prendre.

S'agissant du volet correctif du pacte de stabilité et de croissance (PSC), je souhaiterais rappeler que la « règle des 3 % » ne fixe pas une règle absolue. Concrètement, si un Etat présente un déficit effectif supérieur à 3 %, le Conseil lui fixe une trajectoire de retour vers ce seuil ; pour la France, le Conseil a arrêté une obligation de réduction du déficit structurel d'au moins 1 point par an en moyenne, de 2010 à 2013, et de revenir sous la barre des 3 % de PIB de déficit effectif en 2012. Toutefois, fin 2009, cette exigence a été repoussée à 2013.

Le Gouvernement demande aujourd'hui que cette date de retour sous le seuil des 3 % du PIB soit reportée à 2014. Le commissaire Olli Rehn a indiqué, en février dernier, que ce report pourrait être accepté si la France avait respecté les conditions que je viens de rappeler concernant l'ajustement de son déficit structurel. Néanmoins, si cette décision de report est probable, elle doit encore être confirmée.

J'en viens maintenant aux hypothèses de croissance. J'ai, pour ma part, le sentiment que les prévisions du Gouvernement reposent sur des hypothèses raisonnablement crédibles. Tout d'abord, la hausse de la demande mondiale adressée à la France serait permise par l'amélioration de l'environnement international. Ensuite, une croissance modérée de la demande intérieure pourrait découler de la diminution du taux d'épargne des ménages qui se situe, actuellement, à un niveau élevé.

Il faut également rappeler que ces prévisions de croissance sont en concordance avec celles de la Commission européenne, même si ces dernières ne tenaient pas compte de l'ajustement budgétaire supplémentaire auquel procède le Gouvernement entre 2013 et 2014. Certes, les prévisions retenues peuvent être jugées optimistes, mais elles ne sont pas irréalistes. Je note d'ailleurs que le Président du Haut Conseil des finances publiques, Didier Migaud, a estimé, lors de son audition du 16 avril dernier par la commission des finances de l'Assemblée nationale, que « les hypothèses gouvernementales n'étaient pas irréalistes ».

Depuis un certain nombre d'années, notre commission a développé ses propres outils d'analyse ; aussi apparaît-il que les hypothèses du Gouvernement sont assez proches du scénario « conventionnel » de la commission des finances. Si la démarche retenue par cette dernière ne constitue pas, en tant que telle, une contre-expertise, la « doctrine » qu'elle a définie depuis déjà quelques années plaide en faveur du caractère raisonnable des prévisions gouvernementales.

J'en arrive au point principal de cette intervention : la stratégie de consolidation des finances publiques arrêtée dans le cadre du projet de programme de stabilité ; celle-ci repose sur la notion de solde structurel. Si l'on compare la trajectoire du projet de programme de stabilité à celle définie par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, il apparaît que la reprise économique est décalée d'une année et, que la trajectoire de retour en-dessous du seuil de 3 % du PIB de déficit effectif est également repoussée d'un an. En outre, le début de l'inversion de l'évolution de la dette est retardé d'une année ; celle-ci part aussi, malheureusement, d'un niveau plus élevé. Enfin, la trajectoire de solde structurel est plus exigeante, et ce dès 2014.

La courbe retraçant le ratio de la dette sur le PIB montre une nette rupture, en 2015, dans la tendance à la hausse de long terme. En 2017, la dette publique serait réduite de 6 points de PIB et reviendrait à un niveau inférieur à celui constaté en 2012. Voici la trajectoire vertueuse arrêtée par le Gouvernement, telle qu'elle se dessine aujourd'hui.

Comme je l'ai indiqué, la trajectoire de solde effectif a, quant à elle, été assouplie ; centre de toutes les attentions, le retour du déficit effectif en-deçà de 3 % du PIB a été reporté de 2013 en 2014. L'objectif pour cette dernière année a été fixé à 2,9 % du PIB. Le décalage par rapport à la trajectoire retenue par la loi de programmation des finances publiques est lié, pour l'essentiel, à une croissance plus faible en début de période, s'agissant des années 2012 à 2014. L'écart de -0,7 point entre les prévisions de déficit effectif pour 2013 de la loi de programmation et celles du projet de programme de stabilité - soit 3,7 % du PIB contre les 3 % initialement prévus - ne sera que partiellement résorbé en 2017.

Les précédents programmes de stabilité avaient tous prévu un retour à l'équilibre qui n'a, finalement, jamais été atteint - cela s'explique pour ces dernières années, plongées au coeur de la crise, mais plus difficilement pour les périodes antérieures. Si, en des temps économiquement plus cléments, soit jusqu'à 2008, les trajectoires de retour à l'équilibre avaient été respectées, notre situation actuelle aurait été moins difficile. Ceci, me semble-t-il, paraît inviter à une certaine modestie dans les critiques formulées à l'égard de la stratégie retenue par le Gouvernement actuel.

M. Francis Delattre. - Nous ne serons pas modestes dans la critique !

M. François Marc, rapporteur général. - Si la trajectoire de solde effectif du projet de programme de stabilité est légèrement décalée par rapport à celle de la loi de programmation des finances publiques, elle reste bien sur une tendance similaire. Ce décalage est principalement imputable à un déficit supérieur, en 2012, à ce qui était anticipé - celui-ci a atteint 4,8 % du PIB au lieu des 4,5 % initialement prévus. Je rappelle que ce « dérapage » de 0,3 point de PIB provient d'une situation héritée de la période passée ! Je pense à la recapitalisation de Dexia, mais également à un certain nombre d'autres dépassements...

M. Francis Delattre. - La recapitalisation de Dexia n'était pas un problème de droite ou de gauche...

M. François Marc, rapporteur général. - S'agissant de l'évolution du solde structurel, il faut rappeler que sa réduction constitue l'engagement de la France au regard du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). On constate qu'après un léger dérapage en 2012 et 2013 par rapport aux objectifs définis par la loi de programmation, la trajectoire est ensuite plus exigeante, et ce dès 2014. Les efforts seront donc plus importants. L'ajustement culmine en 2013 et décroît ensuite au cours de la période. Ainsi, la plus grande part des efforts à réaliser est concentrée au début de la législature.

Des efforts supplémentaires sont prévus par le présent programme de stabilité. Le Gouvernement fait reposer l'essentiel des efforts sur les recettes en début de période, puis sur les dépenses.

A cet égard, le bien fondé de cette stratégie est confirmé par les études du FMI qui ont souligné qu'à court terme, faire porter l'ajustement sur les recettes avait un impact récessif moins important. Par ailleurs, cela permet de préparer les réformes structurelles qui doivent permettre de reporter, par la suite, les efforts sur la dépense ; c'est le sens des actions engagées par le Gouvernement, précisées par Bernard Cazeneuve lors de son audition du 17 avril dernier, notamment dans le cadre de la Modernisation de l'action publique (MAP).

A l'attention de ceux qui ont jugé que les efforts du Gouvernement en matière de dépenses n'étaient pas suffisants, je souhaiterais souligner que, pour la période 2012-2017, les dépenses publiques ne croîtront que de 0,5 % par an, alors que ces dernières augmentent, de manière spontanée, de 1,5 % par an ; cette hausse annuelle a été de 2,3 % entre 2002 et 2006 et de 1,7 % entre 2007 et 2011. Ceci montre l'effort considérable réalisé par l'actuel Gouvernement sur les dépenses.

L'effort structurel de 1 point de PIB programmé pour 2014 portera sur les recettes à hauteur de 30 % et sur les dépenses pour 70 %. Concernant les mesures en recettes, elles intègrent la compensation des dispositifs qui, en 2014, ne permettaient pas de dégager les recettes attendues - qu'il s'agisse des mesures présentant un rendement moindre que prévu ou de celles censurées par le Conseil constitutionnel. Cet effort intègre également des mesures nouvelles, à hauteur de 6 milliards d'euros, correspondant notamment à la hausse des cotisations de retraite dans le cadre de l'accord sur les retraites complémentaires, la lutte contre la fraude fiscale - qui devrait procurer près de 2 milliards d'euros de recettes supplémentaires - et la réduction des niches fiscales et sociales - dont le rendement est également évalué à environ 2 milliards d'euros.

Les efforts en dépense devraient porter, en 2014, sur une révision à la baisse de 1,5 milliard d'euros des plafonds arbitrés dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, sur une baisse d'un même montant des dotations aux collectivités territoriales et un effort accru s'agissant de la sécurité sociale - soit la maîtrise de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), les effets de l'accord sur les retraites complémentaires et les mesures relatives à la branche « famille ». Cela montre bien qu'aujourd'hui l'essentiel des efforts porte sur les dépenses.

Les prochaines étapes sont importantes. Au-delà des prévisions macroéconomiques de la Commission européenne qui seront présentées dans quelques jours, et qui permettront de confronter ses hypothèses de croissance avec celles du programme de stabilité, le Conseil nous adressera, au début de l'été, ses recommandations.

Cette dernière étape est essentielle à deux titres. D'abord parce qu'elle permettra de mesurer la crédibilité de la politique engagée et de définir si des ajustements supplémentaires devraient être mis en oeuvre. La nécessité ou non de recourir à une loi de finances rectificative sera considérée à la lumière des analyses fournies par les institutions européennes. Ensuite, parce que c'est un rendez-vous important pour l'ensemble de la zone euro ; encore une fois, il faut rappeler que notre pays n'est pas dans une situation singulière et que la question du rythme des ajustements budgétaires est clairement posée. Les déclarations récentes du commissaire européen Olli Rehn laissent penser que la Commission a conscience de la crédibilité apportée par les ajustements engagés dans la zone euro, ce qui pourrait permettre un certain assouplissement des politiques budgétaires. Le Conseil statuera sur cette question en dernier ressort.

M. Albéric de Montgolfier. - Le débat sur le niveau du taux de croissance est récurrent dans notre commission : il est traditionnel de constater un certain optimisme du côté des prévisions du Gouvernement alors que l'exécution se révèle toujours en deçà. J'observe que la création du Haut Conseil des finances publiques devait permettre, selon le Gouvernement, d'éviter définitivement ce type de débat, cette autorité indépendante devant permettre d'établir des prévisions incontestables. L'année dernière, lors de l'audition du ministre délégué en charge du budget, j'avais souhaité savoir si le Gouvernement s'estimerait lié par les avis du Haut Conseil ; il m'avait alors été répondu que ces avis ne seraient pas contraignants juridiquement mais qu'ils le seraient politiquement. Or, aujourd'hui, le Gouvernement ne tire pas les conséquences du premier avis rendu par cette autorité indépendante, dont les prévisions devaient être incontestables. Par ailleurs, je me demande jusqu'où l'on pourra aller sans adopter un collectif budgétaire.

M. Serge Dassault. - Ces prévisions s'apparentent à des boniments et n'ont rien de réaliste. Nous courrons à la catastrophe : non seulement, il n'y a pas de baisse des dépenses mais on assiste même à leur augmentation ; parallèlement on accroît la fiscalité : tout cela est grave. On nous explique que la règle des 3 % de déficit par rapport au PIB ne constitue pas une interdiction absolue, mais je souligne que notre déficit représente déjà plus de 60 milliards d'euros cette année et que cette somme s'ajoute à notre endettement. Nous n'avons pas d'argent mais nous continuons de faire comme si nous en avions. Ainsi, il nous est proposé de doter l'école de 60 000 fonctionnaires supplémentaires, de même on crée les emplois d'avenir, qui devraient coûter 5 à 10 milliards d'euros. Il semble impossible d'obtenir un point de croissance supplémentaire l'année prochaine - plus personne n'investit dans notre pays - et le Gouvernement ne fait donc que reporter d'année en année le respect de nos engagements européens. Ce programme de stabilité est donc irréaliste et le Gouvernement ne comprend pas les réalités économiques : avec les politiques conduites, la France sera en faillite. Il faudrait baisser les dépenses et les impôts, mais la majorité actuelle n'est pas une bonne gestionnaire, même si je reconnais que les problèmes sont antérieurs à 2012.

M. Vincent Delahaye. - Mes propos seront proches de ce que j'avais déclaré lors de l'audition de Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget, le 17 avril dernier, à savoir que la parole de la France doit être crédible, surtout vis-à-vis des institutions européennes et des autres Etats membres. Je ne comprends toujours pas pourquoi ce programme de stabilité indique que la conjoncture est en voie d'amélioration. Sur quels fondements cette affirmation repose-t-elle ? Cela me semble être une énormité. Je remarque que le Gouvernement n'est pas prudent dans ses hypothèses et qu'il choisit de ne pas suivre l'avis du Haut Conseil des finances publiques. Je note qu'allouer 782 000 euros de crédits à ce Haut Conseil paraît inutile si cet organe ne sert à rien. Peut-être que le Gouvernement est trop ambitieux dans sa trajectoire de réduction du déficit public et qu'il serait plus prudent de « se donner de la marge » en demandant des délais plus longs pour revenir à l'équilibre, et ce afin de renforcer notre crédibilité.

Je m'interroge, de plus, sur l'origine des efforts à fournir, issus à 70 % d'efforts en matière de dépenses, soit 14 milliards d'euros, les 30 % restants résultant d'une hausse des recettes. Cette proposition représente une escroquerie intellectuelle puisqu'il n'y a pas réellement de réduction de la dépense publique mais une simple stabilisation. Seules les collectivités territoriales vont devoir réellement réduire leurs dépenses, ce n'est pas le cas de l'Etat. Pour ma part, j'estime que l'impact sur le PIB est plus important lorsqu'on alourdit les prélèvements obligatoires que lorsqu'on réduit le niveau des dépenses publiques improductives.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je pense qu'à travers ce programme de stabilité, vous cherchez à gagner du temps. Nous avions déjà dit à l'automne de l'année dernière, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2013, que les hypothèses du Gouvernement étaient irréalistes ; l'expérience nous donne raison et, pourtant, le programme que la France s'apprête à adresser à la Commission européenne relève de la même logique. Ce débat n'est pas sincère, comme en témoigne le choix d'ignorer le premier avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques, ce qui augure mal de la suite. Par ailleurs, je regrette que cette communication au Parlement ne soit pas suivie d'un vote formel. Enfin, l'effort structurel nécessaire en 2014 n'est pas de l'ordre de 20 milliards d'euros mais devrait plutôt approcher 30 milliards d'euros. Pourtant, sur ces 20 milliards, 6 milliards d'euros devraient provenir de recettes fiscales et 14 milliards correspondre à des économies de dépenses, dont 7,5 milliards d'euros issus des dépenses de l'Etat : un tel chiffre n'est pas crédible, d'autant que les mesures permettant ces réductions de dépense ne sont pas précisées. Le respect de la norme « zéro volume » pour les dépenses de l'Etat n'est pas documentée ! Comment le Gouvernement va-t-il tenir jusqu'à la fin de l'année avec de telles positions ? L'enjeu n'est pas de jouer le bon élève au sein de l'Union européenne mais il est bien de revenir à l'équilibre budgétaire. Malheureusement nous n'en prenons pas le chemin. Je suis très déçue par la qualité du projet de programme de stabilité.

M. Edmond Hervé. - Nous devons nous mobiliser afin de retrouver un équilibre qui soit non seulement comptable mais aussi économique, social et territorial. C'est à la lumière de ces différents équilibres qu'il faut agir. Le rapporteur général nous a rappelé que les hypothèses des précédents programmes de stabilité ont toujours été démenties par l'expérience et n'ont pas permis le retour à l'équilibre : il s'agit d'une réalité incontestable. L'important est de faire aujourd'hui les bons choix en vue d'atteindre l'objectif d'équilibre et, à cet égard, je souhaite que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) soit un succès, que les emplois d'avenir soient une réussite et que les collectivités territoriales continuent d'investir. Dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales, je plaide pour un pacte républicain. Par ailleurs, l'impôt sur le revenu (IR) et la contribution sociale généralisée (CSG) doivent être fusionnés au nom de la justice et de l'efficacité.

La présentation du rapporteur général montre que l'effort à fournir, réparti entre les recettes et les dépenses, à hauteur respectivement de 30 % et de 70 % en 2014, doit nous mobiliser. La rigueur intellectuelle nous invite à rappeler à chacun que la définition du déficit public par le traité de Maastricht exclut bon nombre de déficits rattachables au secteur public, sans doute pour quelques dizaines de milliards d'euros, issus de certaines de nos grandes entreprises publiques telles que, par exemple RFF ou la SNCF ; et, à l'inverse, je me demande pourquoi la contribution au budget de l'Union européenne, ainsi que nos dépenses de défense sont comptabilisées dans notre solde public. En outre, j'indique ne pas être un fanatique du Haut Conseil des finances publiques. En tant que parlementaire, je ne m'estime pas lié par ses avis. Je réitère donc ici ma demande d'un renforcement des moyens du Parlement en matière d'investigation et d'expertise.

M. Roland du Luart. - La crédibilité du Gouvernement et du Parlement passe par des signaux forts, telle qu'une baisse réelle des dépenses publiques. Or je ne la vois pas se dessiner si je m'en tiens au présent programme de stabilité. Ainsi, la stabilisation de la dépense publique y est assimilée à tort à une réduction de cette dernière. La baisse des dépenses n'est donc pas réaliste, compte-tenu des options politiques retenues. Je demande au rapporteur général qu'il nous fournisse un document récapitulant l'ensemble des dépenses engagées depuis l'arrivée au pouvoir du Gouvernement de M. Jean-Marc Ayrault, qui dégradent le solde. Je relève par exemple que le jour de carence a été supprimé dans la fonction publique et, bien que le coût de cette mesure ne soit pas considérable, il s'agit d'un message délétère adressé à l'opinion publique. Il aurait mieux valu aligner le régime public sur celui de la sphère privée, à savoir trois jours de carence. Comme me l'a récemment indiqué un professeur de médecine se disant « de gauche », l'absentéisme revient chez les aides-soignants de son hôpital, ce qui alourdit la charge de travail des infirmières. Les signaux adressés vont dans le mauvais sens, il n'y a plus de confiance. Aussi des chefs d'entreprise m'informent-ils que leurs carnets de commandes se vident et qu'ils n'ont pas de visibilité au-delà de trois semaines. Notre discussion au sein de la commission aujourd'hui montre que le Haut Conseil des finances publiques coûte de l'argent, mais aussi qu'il ne sert pas à grand-chose. Les membres de la commission des finances devraient avoir le courage de demander la suppression de nombreuses structures du même type dont l'utilité n'est pas démontrée. Notre pays a besoin d'un homme à poigne et d'un Gouvernement restreint, avec par exemple quinze ministres au lieu de quarante. Ces signaux sont nécessaires, il en va de l'avenir de notre économie.

M. Dominique de Legge. - Le fait que les précédents programmes de stabilité n'aient jamais atteint le retour à l'équilibre qu'ils envisageaient nous invite à la modestie et peut faire craindre que le même manque de réalisme se révèle demain. Je souligne que le choix de parler d'« hypothèses de croissance raisonnablement crédibles » constitue un aveu sémantique : soit les hypothèses sont crédibles, soit elles sont raisonnables, mais l'expression retenue révèle un doute certain. Par ailleurs, comparer la croissance de la dépense publique entre les périodes 2007-2012 et 2012-2017, respectivement de 1,7 % et 0,5 %, n'a pas grand sens puisque cela revient à comparer l'exécution avec de simples prévisions. Il faut donc faire preuve de plus de prudence. En ce qui concerne l'effort de réduction des dépenses de l'Etat envisagé, soit 7,5 milliards d'euros, je souligne que la plus grande partie correspond à une simple stabilisation et non à une baisse réelle. Enfin, la conclusion du rapporteur général selon laquelle la balle est dans le camp des institutions européenne reflète un manque de volontarisme. La France semble dire « monsieur le bourreau, encore cinq minutes » !

M. Francis Delattre. - Le programme de stabilité participe de la stratégie générale d'évitement de l'actuel Gouvernement s'agissant des choix que nous devrions faire. Personne ne croit qu'il y aura une augmentation d'un point du taux de croissance en 2014. La nécessité d'un dispositif en faveur de la compétitivité fait l'objet d'un consensus : la France est devenu un pays de consommateurs ; on ne produit presque plus, notre pays n'a plus d'usines, mais on y trouve en revanche beaucoup de centres commerciaux. Nos politiques doivent se tourner plus vers les producteurs et moins vers les consommateurs. Nous sommes dans l'urgence ! Certes, le CICE doit répondre en partie à cette exigence, mais son coût est sous-estimé. Le programme de stabilité anticipe une réduction des dépenses de l'Etat de 7,5 milliards d'euros ; cependant les besoins au titre du CICE devraient être bien plus importants dès 2014. Je remercie le rapporteur général de m'éclairer sur ce point.

M. François Patriat. - Devant tant d'expertise et de savoir de la part de certains de mes collègues, mon tempérament argileux me pousserait à m'incliner. Faisons preuve de sincérité et de rigueur, le Gouvernement est au pouvoir mais il n'est pas responsable de la situation : nous payons le prix de dix ans de laxisme budgétaire. Je rappelle que le précédent gouvernement a laissé déraper le déficit public à 7 % du PIB alors même que le taux de croissance était quatre fois supérieur ! Alors vos recettes imparables, vos leçons de morale...

M. Francis Delattre. - Nous ne donnons aucune leçon de morale !

M. François Patriat. - Dans un premier temps, le Gouvernement a fait porter l'effort de redressement sur les recettes et aujourd'hui, il propose de faire différemment, en réduisant les dépenses publiques. J'entends bien qu'il faut faire des économies. Mais dès que l'on touche au budget des collectivités territoriales, vous êtes les premiers à vous opposer. La question est de savoir où porter l'effort en matière de dépenses. Vous n'avez qu'à nous le dire.

M. Aymeri de Montesquiou. - Mais c'est à vous de nous le dire !

M. François Patriat. - Je voudrais signaler un graphique publié dans « Le Figaro » de ce matin : il établit une corrélation entre, d'une part, la dépense publique et, d'autre part, la croissance et l'emploi. Il y a donc une utilité de la dépense publique. Pourtant, le Gouvernement fait des choix courageux et combat le laxisme qui était précédemment de mise. Il ne faut pas être manichéen.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je ne serai pas manichéen dans mon propos, l'objectif partagé étant bien d'équilibrer le budget. A cet égard, j'observe que les analyses du Gouvernement reposent sur un axiome issu du Fonds monétaire international (FMI) : la réduction de la dépense publique serait plus récessive que l'augmentation des impôts. Mais je ne vois pas en quoi la première serait plus récessive que la seconde. Je me demande pourquoi le FMI affirme de telles contre-vérités alors que réduire les dépenses est un passage absolument obligé. J'en veux pour preuve que les pays ayant assuré un retour à l'équilibre ont réduit leurs dépenses sans accroître la pression fiscale, comme l'illustrent les expériences suédoise, belge ou encore canadienne. La France prend le chemin inverse. Par ailleurs, j'espère que le CICE fonctionnera mais, pour l'heure, le président de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de mon département m'a indiqué n'avoir connaissance d'aucun cas de recours à ce crédit d'impôt. J'ai appelé le préfet de la région Midi-Pyrénées pour avoir confirmation de ces données et, lui, m'a parlé d'une vingtaine de recours au CICE. Je crains qu'à ce rythme, la Commission européenne ne demande à nous mettre sous programme dans un an.

M. Philippe Marini, président. - Si on constate une faible utilisation du CICE, ce dispositif ne coûtera pas aussi cher que prévu !

Je souhaiterais, pour finir, revenir sur la réponse apportée par le Gouvernement à une question d'Albéric de Montgolfier, lors de l'audition du 17 octobre 2012 du ministre délégué chargé du budget par la commission des finances, concernant les conséquences à tirer des avis du Haut Conseil des finances publiques. Notre collègue avait demandé : « Qu'entend faire l'exécutif de l'avis rendu ? Imaginons un budget fondé sur des prévisions de croissance de 0,8 %, quand la croissance réelle serait de 0,2 %. Si le Haut Conseil confirme la tendance, le Gouvernement révisera-t-il son projet de loi de finances, ou l'avis n'aura-t-il aucune conséquence ? » La réponse du ministre avait été la suivante : « L'avis du Haut Conseil ne s'imposera pas, M. de Montgolfier. Nous avons récusé toute injonction au Gouvernement et au Parlement. Mais il sera très délicat pour un gouvernement de s'affranchir de cet avis. Si la politique menée s'écartait de la trajectoire de retour à l'équilibre, la sanction des marchés serait immédiate, sans parler de la sanction politique, qui interviendrait plus tard. Un point de taux d'intérêt en plus équivaut à des milliards supplémentaires pour rembourser la dette ».

M. Albéric de Montgolfier. - L'avis n'est donc pas liant juridiquement !

M. Jean Germain. - Le taux d'intérêt à dix ans sur la dette publique est à 1,7 % !

M. Philippe Marini, président. - C'est vrai ! Je tenais simplement à vous répéter in extenso les propos du Gouvernement quant aux conséquences attachées à l'avis du Haut Conseil.

M. François Marc, rapporteur général. - Je m'appliquerai à apporter des précisions en réponse aux questions qui ont été posées. S'agissant des appréciations qui ont été portées, par certains de nos collègues, sur le projet de programme de stabilité, je ne vois rien à ajouter : il est bien légitime que chacun ait son opinion et l'exprime.

Pour ce qui est du taux de croissance du PIB, j'ai retenu la remarque de Dominique de Legge sur le fait que j'avais qualifié les hypothèses du Gouvernement de « raisonnablement crédibles » ; je tiens à rappeler que des hypothèses constituent des constructions intellectuelles, nécessairement entourées d'incertitude. Je note, à cet égard, que lors de la campagne présidentielle, MM. François Hollande et Nicolas Sarkozy partageaient des hypothèses de croissance très proches et que tous deux se seraient trompés... En effet, la conjoncture a été très évolutive au cours des derniers mois.

En réponse à Albéric de Montgolfier, je souhaiterais m'interroger : est-ce le Haut Conseil qui dit la vérité ? Il ne faut pas négliger le fait que les analyses divergent en son sein ! Le Haut Conseil indique que les prévisions du Gouvernement ne sont pas déraisonnables. Dès lors, nous sommes fondés à retenir les hypothèses gouvernementales...

M. Francis Delattre. - Vous ne disiez pas cela l'année dernière ! Le Haut Conseil devait même constituer un substitut à la révision constitutionnelle instaurant une « règle d'or ».

M. François Marc, rapporteur général. - Certains ont affirmé que les économies prévues par le projet de programme de stabilité n'étaient pas documentées. Pourtant, elles le sont bien ! L'Etat réalisera 7,5 milliards d'euros d'économies, les dotations aux collectivités territoriales seront réduites de 1,5 milliard d'euros et les administrations de sécurité sociale s'attacheront à faire 5 milliards d'euros d'économies. L'on connaît également les secteurs préservés, comme l'éducation et la justice. S'agissant des recettes, il semble également que les informations figurant dans le projet de programme de stabilité sont suffisamment riches.

J'attire l'attention de Francis Delattre sur le fait que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) montera progressivement en charge, coûtant 10 milliards d'euros en 2014 et 20 milliards d'euros en 2016...

Il a été affirmé que mon propos laissait entendre que les institutions européennes avaient désormais la main sur notre politique budgétaire. Je voulais simplement dire que la procédure actuellement en vigueur prévoit une « navette » entre les Etats et les institutions européennes : une fois le programme de stabilité transmis par la France, il revient à la Commission et au Conseil de livrer leurs appréciations sur ce dernier.

Il y a quelques années, d'aucuns affirmaient que le keynésianisme était mort...

M. Francis Delattre. - Il bouge encore !

M. François Marc, rapporteur général. - Il faudrait, en conséquence, s'en référer aux analyses dites « ricardiennes » privilégiant les efforts en dépense afin de stimuler la croissance à long terme, sans considérer les conséquences à court terme. Cette approche semble aujourd'hui dépassée. Les théories keynésiennes sont remises au goût du jour, à tel point que le FMI lui-même semble désormais s'y référer. Les efforts en dépense doivent être mesurés afin de limiter les effets sur la croissance ; tel est le sens de ce que propose le Gouvernement.

M. Albéric de Montgolfier. - Il me semble que l'ordre du jour de la commission aurait dû être inversé. Il aurait fallu procéder à l'examen du rapport sur le projet de programme de stabilité avant de se prononcer sur le projet de décret d'avance. En effet, notre vote aurait été plus éclairé, la communication du rapporteur général ayant montré que le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) était inutile...

M. Philippe Marini, président. - Il n'a pas dit cela...

M. François Marc, rapporteur général. - J'ai dit le contraire.

M. Albéric de Montgolfier. - Je souhaite donc rectifier mon vote et m'abstenir sur le projet de décret d'avance.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Avec quelques autres !

M. Philippe Marini, président. - Je vous propose de donner acte au rapporteur général de la communication qu'il vient de nous faire et d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information. Personne n'y voit d'objections ? Il en est ainsi décidé.

J'ajoute que je regrette, avec une partie des membres de la commission, que le débat ne soit pas conclu par un vote, car ceci place le Sénat dans une position minorée par rapport à l'Assemblée nationale.

La commission donne acte à M. François Marc, rapporteur général, de la communication et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Modernisation de l'action publique et gestion de la fonction publique - Audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique

La commission procède enfin à l'audition de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, sur la modernisation de l'action publique et la gestion de la fonction publique.

M. Philippe Marini, président. - Pour faire la transition avec notre débat précédent, M. de Montesquiou s'interrogeait sur le calcul du multiplicateur...

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. - Il a raison !

M. Philippe Marini, président. - ... et sur le lien entre l'évolution des dépenses ou des recettes, et la croissance. C'est une question permanente. Notre voyage d'étude annuel nous mènera aux États-Unis, où nous étudierons ce sujet avec le FMI.

Madame la ministre, vous êtes très sollicitée par notre assemblée ces temps-ci, en particulier à propos du projet de loi sur l'affirmation des métropoles. Nous allons aborder ici d'autres questions. Je me souviens que c'est au Sénat, en séance publique - j'étais alors rapporteur général, et vous étiez chargée des petites et moyennes entreprises (PME) au Gouvernement - que vous aviez appris votre nomination au ministère de la justice : le Sénat vous porte chance.

Dans le cadre de la séquence européenne que nous vivons en ce moment, nous avons entendu à l'instant une communication de notre rapporteur général sur le programme de stabilité. Pour atteindre notre objectif d'équilibre structurel des finances publiques, il faudra réformer, et respecter l'objectif de progression des dépenses publiques en volume. Vous coordonnez la procédure dite de modernisation de l'action publique (MAP), dont on attend des économies, et dont on nous dit qu'elle est fondamentalement différente de la révision générale des politiques publiques (RGPP) - mais en quoi ? Vous êtes confrontée à la difficile stabilisation des effectifs et de la masse salariale, et à la nécessaire modernisation de la gestion des ressources humaines de l'État. Ce sont des responsabilités considérables.

Mme Marylise Lebranchu. - C'est en effet au Sénat que j'avais appris ma nomination comme garde des Sceaux : vous avez bonne mémoire ! Nous traitions alors de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE), pour la discussion de laquelle je suis revenue le lendemain soir au Sénat, dans mes nouvelles attributions.

Vous connaissez tous le contexte dans lequel s'inscrit mon action. La modernisation de l'action publique, des grandes politiques publiques et des actions de service est la priorité de mon ministère. Les efforts prévus par le programme de stabilité sont lourds : ils s'élèvent à 14 milliards d'euros pour 2014. Les agents, leurs organisations syndicales, sont inquiets : une baisse d'un milliard et demi d'euros pour les collectivités territoriales, de cinq milliards d'euros pour la sécurité sociale, une augmentation des dépenses limitée en volume à 0,5 %... Comment faire face ? La MAP est d'abord une réforme structurelle engageant tous les acteurs publics dans une approche globale nouvelle d'adaptation du service public aux enjeux de la société. La dépense publique est souvent critiquée, mais une forte demande d'action publique s'exprime.

M. Aymeri de Montesquiou. - De la part de qui ?

Mme Marylise Lebranchu. - Des chefs d'entreprise, par exemple, qui ont de vraies demandes auxquelles nous n'avons peut-être pas suffisamment répondu. Nous devons garantir l'efficience des politiques publiques. Relever ce challenge demandera du temps, mais la méthode est désormais éprouvée. Il faut d'abord partager le diagnostic avec les parties prenantes, afin de rendre les décisions acceptables pour les agents comme pour le grand public. Le pilotage doit être délibérément interministériel : c'est une des différences avec la RGPP, qui avait été confiée à la direction générale de la modernisation de l'État (DGME). Cette direction, dont le chef rencontrait chaque semaine le directeur du budget et le directeur général de la fonction publique, portait de manière trop uniforme auprès des ministères l'objectif de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Les difficultés qui en ont résulté ont occulté les réformes structurelles. Il y avait pourtant des projets de réforme dans les cartons : nous ne sommes pas partis de rien. Chaque ministère doit conduire le chantier qui le concerne, en association étroite avec le ministère du budget et le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique, qui est placé sous l'autorité du Premier ministre et sous la mienne.

Nous avons appelé à de vraies évaluations des politiques publiques. On parle souvent d'en faire, mais peu avaient été conduites jusqu'au bout. Le premier cycle a porté sur les nombreuses aides aux entreprises, sur la politique familiale, dont nous voulons ramener les comptes à l'équilibre en 2016, sur la formation professionnelle, qui mobilise des sommes énormes dont le rendement laisse à désirer, et sur le zonage des aides au logement.

Le second cycle examine l'organisation et le pilotage des réseaux à l'étranger et la politique territoriale d'incendie et de secours - faut-il la centraliser, la confier aux unités urbaines ? Nous souhaitons réaliser des économies en garantissant la sincérité de la démarche : pas question de s'en tenir aux mesures les plus faciles. Nous avons obtenu du ministère du budget que des objectifs a priori d'économies ne soient pas affichés. Nous avons conduit parallèlement un programme ministériel de modernisation et de simplification - on y retrouve les éléments préparés par la DGME.

L'objectif énoncé dans la circulaire du Premier ministre du 7 janvier 2013 est d'améliorer le service public et l'organisation de l'administration. Chaque ministère doit nous remettre un programme, dans le cadre du budget triennal, en concertation avec les représentants du personnel. Les ministres en sont directement responsables avec leurs directeurs d'administration centrale. Le ministère du budget porte ses efforts sur les achats et les fonctions financières et immobilières de l'État : nous en attendons de substantielles économies.

En ce qui concerne les opérateurs, notre premier objectif est de limiter la création d'agences ; il est devenu trop systématique de confier les questions difficiles à des opérateurs. Une étude préalable sera obligatoire. Sans doute pourrons-nous fermer quelques agences, soit que leur travail puisse être effectué par d'autres services, soit qu'elles soient devenues sans objet. Les petits opérateurs, de moins de cinquante agents, seront aussi examinés de près. Il y en existe deux cents. Nous nous sommes aussi intéressés à la transcription des directives européennes. Dans tous les ministères les services concernés ont été renforcés : est-ce bien utile ?

M. Roland du Luart. - C'est vrai.

Mme Marylise Lebranchu. - La France a une tendance à transposer avec trop de zèle. Alors, monsieur le Président, nous avons voulu éviter les défauts de la RGPP. Pour cela, nous avons diligenté une mission d'inspection ; nous nous sommes également beaucoup appuyés sur les rapports parlementaires, dont les évaluations sont extrêmement intéressantes - et le travail de la MAP sera mené avec les Assemblées.

Pour stabiliser en valeur les dépenses de l'État, comme le prévoit le budget triennal, nous disposons de deux leviers : stabiliser les emplois et ne pas prendre de mesures de revalorisation catégorielle. La création d'emplois pour les missions prioritaires - 9 300 postes dans l'enseignement s'ajoutant aux 16 789 emplois créés pour les rentrées 2012 et 2013, 1 000 postes supplémentaires pour la sécurité et la justice - est compensée par la diminution du nombre de postes ailleurs : 7 880 emplois supprimés au ministère de la défense en application de la loi de programmation militaire, 6 028 dans les autres ministères. C'est toute la difficulté de ma tâche, en particulier dans les territoires, comme vous le savez.

Depuis le 1er juillet 2010, aucune mesure générale de revalorisation des salaires de la fonction publique n'a été prise. Vous mesurez combien nous avons dû négocier avec les organisations syndicales pour que ces trois années consécutives de gel du point n'aboutissent pas à une paralysie des services. Elles savent que ce gel ne sera remis en cause que par une amélioration de la situation économique, sous réserve que notre trajectoire de redressement des finances publiques soit respectée : une hausse de 0,5 %, représente 890 millions d'euros de dépense publique supplémentaire, dont 390 millions d'euros pour la fonction publique d'État, 310 millions d'euros pour la fonction publique territoriale et 190 millions d'euros pour la fonction publique hospitalière.

Nous avons maintenu la diminution des enveloppes catégorielles attribuées aux ministères, qui représenteront 310 millions d'euros en 2013, 269 millions d'euros en 2014 et 228 millions d'euros en 2015 - alors le précédent gouvernement octroyait entre 500 et 550 millions d'euros par an. Les inégalités entre ministères sur les mesures catégorielles étaient patentes et la situation est tendue, et nous avons changé les modalités d'utilisation de ces enveloppes afin de les consacrer à des mesures collectives.

Nous sommes d'accord avec les organisations syndicales pour ouvrir des négociations sur les carrières et les rémunérations : remplacement de la prime de fonction et de résultat par des mesures plus justes, réforme de l'indemnité de résidence et du supplément familial de traitement... Les discussions seront difficiles, car les réformes se feront à coûts constants. Je souhaite que cela soit l'occasion d'une redistribution au profit des personnels les moins bien rémunérés : à deux reprises déjà en un an nous avons dû revaloriser par arrêté les rémunérations des fonctionnaires de catégorie C pour qu'elles ne se situent pas en deçà du SMIC. Mieux vaudrait donner, en amont, quelques point d'indices supplémentaires pour les plus bas salaires, qui correspondent souvent à des emplois très importants, comme par exemple l'accompagnement des personnes âgées.

Telle est la quadrature du cercle à laquelle je suis confrontée : maîtriser la masse salariale, repenser les trois catégories statutaires, remettre à plat les bases du système de rémunération de la fonction publique, fluidifier les carrières, simplifier la gestion des ressources humaines... Parce que ce chantier est délicat, et que nous avons réduit les moyens des cabinets, nous avons confié cette mission à une personnalité qui pourra y consacrer du temps.

Soyons prudents sur l'allongement des carrières, qui peut poser des problèmes de pénibilité et de retraite. Nous devrons aussi nous efforcer de mieux maîtriser le fameux glissement vieillesse technicité (GVT), comme nous le demandent les employeurs publics que sont les collectivités locales et les hôpitaux. Nous voulons simplifier et réduire les coûts de gestion des agents. Une évolution de l'Ecole nationale d'administration (ENA) et des Instituts régionaux d'administration (IRA) est en cours, afin de mieux adapter les formations dispensées aux enjeux de la fonction publique en France.

M. Philippe Marini, président. - Sous la précédente législature, la réforme de l'ENA avait vu se former un axe improbable entre Jean-Pierre Sueur, Josselin de Rohan et moi-même pour défendre le classement républicain à la sortie de l'ENA.

Par ailleurs, la suppression du jour de carence dans la fonction publique supposant un vote en loi de finances, nous confirmez-vous que cette mesure ne pourra pas s'appliquer avant le 1er janvier 2014 ? D'où proviendront les 60 millions d'euros de crédits nécessaires au financement de la fin du jour de carence ? Y aura-t-il une affectation spécifique ? Enfin, un jour de carence uniforme pour tous les salariés, du public comme du privé, aurait pu constituer une solution d'équité.

Je vous ai écrit il y a deux mois à propos de la situation préoccupante des victimes de la gestion antérieure du Complément de retraite de la fonction publique (CREF). Le procès en appel des anciens dirigeants du CREF, condamnés en première instance, s'ouvrira prochainement devant la Cour d'appel de Paris. Des demandes d'indemnités vont être déposées par les affiliés à ce régime, qui sont souvent de condition modeste. Ils s'inquiètent de l'attitude fermée ou dilatoire de l'administration. Avez-vous des éléments d'information ?

M. François Marc, rapporteur général. - Après le programme de stabilité, qui nous engage dans un plan pluriannuel exigeant et portant sur la dimension et l'organisation de la fonction publique, des perspectives et des réalités chiffrées nous ont été présentées en un exposé très clair. La Cour des comptes avait observé qu'une stabilisation de la masse salariale sans baisse des effectifs impliquerait le gel de la plupart des éléments entrant dans le calcul de la masse salariale et la politique de déroulement de carrière. Pourrait-on mener ces deux chantiers de front ? Vous venez de répondre. Vous avez également évoqué le problème des bas salaires. Pouvez-vous apporter des précisions sur les mesures catégorielles spécifiques pour les agents publics dont les indices sont les plus bas ?

Les bilans de la RGPP ont montré une implication insuffisante des personnels concernés. Avez-vous des premiers éléments sur la manière dont les personnels s'approprient, ou non, la MAP ? Comment le Parlement y sera-t-il associé ?

Mis en place en 2002, le compte épargne-temps (CET) autorise l'accumulation de jours de congé non pris. Ce dispositif est régulièrement réajusté pour limiter son impact potentiel sur les finances publiques. Pouvez-vous nous présenter les effets des réformes réglementaires du CET intervenues fin 2012 et préciser quels sont les projets en cours ?

Enfin, où en sommes-nous de la fusion des corps ? Comment atteindre la diminution annoncée à 230 corps en 2018 pour la fonction publique d'État ? Par ailleurs, quelles sont les mesures envisagées pour favoriser les passerelles entre les trois fonctions publiques ?

Mme Marylise Lebranchu. - Revenir sur le jour de carence a été extrêmement difficile, car la communication du gouvernement précédent l'avait présenté à l'époque comme une mesure d'équité entre les secteurs public et privé. Or 77 % des salariés des grands groupes n'ont aucun jour de carence, grâce à une couverture par les systèmes de prévoyance, et 47 % de ceux des petites entreprises disposent aussi d'un régime de prévoyance. Cent millions d'euros d'économies étaient attendus : nous en avons obtenu soixante millions. Le taux d'absentéisme a été de 3,7 % dans le secteur privé et de 3,9 % dans le secteur public : la différence reste faible. Si le nombre global de journées d'arrêt n'a pas augmenté, on observe toutefois une hausse des arrêts de travail de longue durée. Le salarié va chercher plus tôt le certificat médical et se voit souvent prescrire quelques jours d'arrêt, pour prévenir une contagion par exemple. Le nombre d'accidents a substantiellement augmenté, sans qu'il soit possible d'établir un lien avec l'établissement des jours de carence. La négociation sociale, difficile, compte tenu du gel du point d'indice, aurait débouché sur la demande d'un régime de prévoyance et d'un retour à l'égalité entre secteur privé et secteur public. Des collectivités avaient pris en ce sens des contacts avec des assurances ou des mutuelles : une couverture aurait coûté douze euros par salarié et par mois. Mon objectif n'était donc pas un alignement sur le régime le moins favorable.

Nous avons supprimé le jour de carence, avec des contreparties qui feront l'objet d'une publicité accrue : notre système de vérification des arrêts de travail sera amélioré. Nous avions commis une erreur d'appréciation, en considérant que la stabilité de l'emploi protégeait les salariés, et nous n'avons pas suffisamment agi de manière préventive. Or de nombreux métiers sont difficiles et les charges de travail, importantes : les cadres du public ne travaillent pas 35 heures par semaine.

Les agents de la fonction publique avaient été mis hors jeu en raison du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, ce qui était une mesure de rabot. Or ils sont porteurs d'une demande forte de modernisation. Avec ISAP (innover et simplifier avec les agents publics), nous avons ouvert un site afin qu'ils puissent tout dire et nous nous engageons à prendre en compte leurs réponses. Il y a eu près de 2 500 connexions sur le site ISAP et plus de 1 400 propositions. Certains agents ont même amélioré la manière dont l'État paie les factures, ramenant le délai de paiement à 16 jours pour toutes les petites factures, ce qui est très important pour nos très petites entreprises (TPE). D'autres dénoncent des aberrations.

Les agents sont mobilisés, comme le sont les ministres et les directeurs d'administration centrale lors des réunions trimestrielles du comité interministériel de la MAP (CIMAP), qui donne lieu à un compte rendu.

L'article 92 de la loi de finances pour 2013 prévoit d'associer le Parlement à la MAP. L'ordre du jour du CIMAP est transmis aux commissions compétentes, ainsi que les résultats des évaluations réalisées, et les relevés de décision. Les pièces jointes aux comptes-rendus sont de bonne qualité, et mériteraient de faire l'objet de débats : je suis à votre disposition pour y participer. Pour la politique du logement, la politique de l'eau ou celle du développement agricole, les ministres ont demandé que des parlementaires soient directement associés à l'évaluation et aux propositions qui sont faites. N'hésitez pas à nous faire part de vos réflexions.

Le bilan du CET est complexe à établir. Le nouveau dispositif, qui date de 2009, limite à soixante jours l'accumulation des jours épargnés : ils peuvent être rachetés pour un montant forfaitaire (125 euros en catégorie A, 81 euros en catégorie B et 65 euros en catégorie C) qui n'a pas été revalorisé depuis 2009. Cette solution est bonne et elle a été étendue aux deux autres fonctions publiques. Les praticiens hospitaliers restent la seule exception : le plafond de jours cumulables passera, en 2016, de 300 jours à 208 jours ; néanmoins, beaucoup de médecins devront sans doute renoncer à des jours de RTT ou de congé en raison de la démographie de leur profession : le serment d'Hippocrate l'emportera sur le calcul du CET. Des praticiens hospitaliers auront intérêt à partir vers des postes en maison de santé, plus confortables que certains postes d'hôpital général : l'extension de ces dispositions à la fonction publique hospitalière pose donc un vrai problème.

La question des statuts et des corps est celle que je considère comme la plus difficile, en raison du poids de l'histoire. La politique de fusion des corps a été lancée en 2005. Sur 700 corps qui existaient alors, 519 ont été étudiés, et 358 ont été supprimés.

M. Aymeri de Montesquiou. - Déjà ?

Mme Marylise Lebranchu. - Oui. Il s'agit en majorité de corps de catégorie C. Il n'y a plus que 342 corps. Cela ne va pas sans difficultés : on retrouve des secrétaires administratifs et des vétérinaires dans les mêmes corps... Il faudra revoir précisément ce dossier, et voir sans temporiser comment progresser. Les organisations syndicales sont divisées entre une approche par métier et une approche par fonction. Les réunions avec elles sont très intéressantes, certains comptes rendus pourraient d'ailleurs vous être communiqués. Il y a une grande demande de reconnaissance de la fonction, avant même celle du métier, en particulier dans les corps de contrôle : le classement dans un corps de secrétaire administratif est considéré comme un manque de reconnaissance des fonctions exercées.

Les passerelles sont un sujet primordial de négociation avec les syndicats, qui estiment qu'elles sont plus nombreuses de la fonction publique d'État vers la fonction publique territoriale que dans l'autre sens. Nous devons régler cette question, comme celle de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes et le sujet des seniors.

M. Aymeri de Montesquiou. - Dans votre exposé clair et structuré, vous n'avez pas mentionné l'objectif final. S'agit-il de ramener la dépense publique au niveau moyen de celle des autres pays de l'Union européenne et dans combien d'années ? La diminution des dépenses publiques est la pierre angulaire du retour à l'équilibre budgétaire. Vous avez réalisé une évaluation des politiques publiques : par bon sens, j'imaginais qu'elle existait auparavant. La formation et l'aide au logement peuvent certainement être améliorés. Les organismes utiles doivent être définis. Mon voisin s'interrogeait facétieusement sur l'utilité du Haut Conseil des finances publiques si on ne tient pas compte de ses avis...

Vous comptez augmenter les effectifs des forces de sécurité de 2 300 fonctionnaires. Pendant que j'étais rapporteur spécial du budget de la sécurité, l'audit que j'avais confié à Accenture concluait à la possibilité de baisser le nombre de fonctionnaires. Cela paraissait difficile dans un contexte marqué par nombre élevé de délits, mais le rapport préconisait une amélioration de l'organisation, et constatait que les fonctionnaires français ne travaillaient pas toujours 35 heures. Peut-on imaginer de procéder en France comme en Grèce, en Italie ou en Espagne, qui ont augmenté la durée de travail de leur fonction publique, ou bien les 35 heures constituent-elles une barrière infranchissable ?

M. Edmond Hervé. - J'apprécie votre implication. Je crois à l'application très pragmatique des grands principes. Dans le passé, des erreurs ont été commises, au premier rang desquelles l'opposition des différentes fonctions publiques : Etat, collectivités territoriales et sécurité sociale. Je le dis sans polémique : on a voulu alléger les services déconcentrés de l'Etat. Soit. Cependant, des fonctions doivent être remplies. Relèvent-elles du droit public ou du droit privé ? En termes de comptabilité, cela revient au même la plupart du temps. Quand vous supprimez un service d'instruction de permis de construire au niveau départemental, la mission doit demeurer assurée, par une collectivité publique locale ou par voie de délégation. Méfions-nous de l'arithmétique !

Je ne suis pas surpris d'entendre évoquer les 35 heures. Personnellement, je les ai mises en place en septembre 1983, au nom de la lutte contre le chômage. En outre, n'oublions pas les conditions de rémunération des agents de la fonction publique. Au regard du niveau de traitement d'un professeur des écoles, ce n'est pas dans ce secteur que vous réaliserez des économies.

Si je compare l'organisation actuelle avec celle des années quatre-vingts, un constat s'impose : la transversalité, c'est-à-dire les convergences et la lutte contre les redondances, ne fonctionne plus. Les préfets en ont la charge. Or, ce corps d'excellence n'a pas été le mieux protégé - et c'est un partisan de la décentralisation qui vous parle.

La transversalité concerne aussi les grands exécutifs de ville, de département, de région. J'évoquais la semaine dernière la formation professionnelle : il est vrai qu'elle est marquée par un certain désordre, que le ministre ne peut combattre à lui seul. La transversalité requiert une légitimité technique ou politique et une volonté qu'ont les préfets et exécutifs des plus grandes collectivités territoriales.  

Des règles absurdes subsistent au sein de l'administration. Pour des raisons de comptabilité ou juridiques, on en vient à recruter des intérimaires, qui coûtent plus cher que des contractuels de la fonction publique. C'est tout de même ahurissant ! On voit bien l'intérêt qu'il peut y avoir à manier une comptabilité d'intérimaires : ces personnels n'occupent pas des emplois inscrits dans le tableau budgétaire. Cessons néanmoins ce genre de pratiques.

Est-il compréhensible que dans la fonction publique territoriale, lorsqu'on change de filière, on soit obligé d'entreprendre une nouvelle formation et de passer un concours ? J'ai connu un temps où les instituts de science politique organisaient eux-mêmes de façon individuelle leur propre concours : c'est la négation de l'égalité sociale ! Des rapprochements sont possibles : encourageons-les.

La transversalité n'a rien de neuf : dès 1956, Edgard Pisani, grand préfet, distinguait, dans la Revue française de science politique, les administrations de mission et les administrations de gestion. Ce qui devait arriver est arrivé : les administrations de mission sont devenues des administrations de gestion. La multiplication des agences est une absurdité qui démobilise une administration classique compétente et disponible. En termes de simplification, commençons par balayer devant notre porte. Pourquoi, dans tel ou tel département, est-il nécessaire de créer un syndicat particulier pour construire une caserne de pompiers alors que le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) est parfaitement compétent ?

Je n'ai jamais admis les fantastiques écarts de primes entre les ministères. Stabilisons les dans un premier temps. Vous n'aurez jamais d'inspecteurs des finances en nombre suffisant au ministère de la santé ou de la justice ! Ni les responsabilités exercées, ni les conditions de travail ne légitiment ces écarts.

Vous êtes en charge de la décentralisation. Il serait intéressant de comptabiliser le nombre d'heures passées en audition, devant les différentes commissions des assemblées parlementaires ou de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales. Apprenons à travailler en commun ! Une audition commune n'est pas une affaire de prééminence : les personnes auditionnées sont les mêmes et répètent la même chose depuis une dizaine d'années.

Je déplore également qu'on ne se préoccupe pas davantage de la gestion des temps dans la fonction publique. J'avais établi en 2000 un rapport pour le ministère de la ville. Le Sénat a été très hostile à la création de bureaux chargé des temps de travail dans les collectivités ou au sein de l'Etat. Or, est-il juste que des femmes de ménages, souvent étrangères et en situation précaire, commencent de travailler à 5 h 30 du matin ? Le ministre serait-il choqué qu'on vienne frapper à sa porte à 11 heures pour vider sa poubelle ? Nous devons être exemplaires.

M. Dominique de Legge. - Lorsqu'en 2012, nous avons débattu de la loi de programmation des finances publiques, on nous a expliqué que le projet de refondation et de modernisation de l'action publique reposait sur l'amélioration de la qualité du service et la diminution des coûts, l'exigence pesant sur les comptes publics rendant incontournable un passage en revue des missions de l'Etat. A la virgule près, il s'agissait des objectifs assigné à la RGPP, ce qui m'avait fait dire à l'époque que si nous étions dans le changement, on avait dû omettre de changer les disques durs des ordinateurs...

Ayant rendu un rapport sur la RGPP avec notre collègue François Patriat, j'estime que les différences ne portent pas sur les objectifs mais sur la méthode. C'est pourquoi je m'en tiendrai à trois questions concrètes : quels sont exactement les projets concernant les sous-préfectures dont on entend parler ici ou la ? La carte judiciaire va-t-elle être réformée ? Donnerez-vous au préfet de région les outils qui lui manquent ? Alors qu'il a vocation à coordonner l'action des services de l'Etat dans les territoires, il ne peut déplacer un euro du ministère de l'agriculture vers le ministère de la culture et, pour déplacer d'un ministère à l'autre un agent qui ne change pas toujours de bureau, il doit demander l'autorisation à Paris.

M. François Trucy. - Je veux d'abord donner un coup de chapeau à la modération et au sens humain avec lesquels vous traitez ces questions difficiles. Vous vous heurtez également au paradoxe récurrent selon lequel ceux qui veulent moins de fonctionnaires réclament aussi plus de services publics.

Mme Michèle André. - C'est vrai !

M. François Trucy. - L'Etat prend moins de gants avec les militaires qu'avec les fonctionnaires civils. Sous l'ancien gouvernement, on a réformé leur statut en quatre coups de cuillère à pot, et l'actuel Gouvernement s'apprête, je suppose, à en faire autant dans la nouvelle loi de programmation militaire. Sur ce sujet, personne ne discute. Et les passerelles pour les militaires vers les administrations civiles de l'Etat sont à peu près aussi larges que celle d'un porte-avion...

En tant qu'élus locaux, n'oublions pas les excès dont nos parfaites collectivités territoriales sont capables. Dans les plus modernes, le nombre de fonctionnaires s'est accru bien au-delà des besoins. L'Etat est aujourd'hui dans l'embarras : pour régulariser ces excès, il faudrait qu'il commence par donner l'exemple. Dans le secteur public, un nombre excessif d'agents ne donne lieu à aucun licenciement : on creuse le déficit, on s'endette, et on lève l'impôt. Le secteur privé n'a pas ces moyens : pour ne pas disparaître, l'entreprise licencie. Cette inégalité est une des plus cruelles qui soit sur le marché de l'emploi.

Mme Michèle André. - Je m'associe aux propos de notre collègue François Trucy sur le mérite qui est le vôtre. Quel est votre point de vue sur la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (Réate) ? Que pensez-vous des regroupements de services, encore mal identifiés par les citoyens et les élus ? Dans les préfectures qui ont choisi d'instaurer trois directions, comment jugez-vous l'extrême pauvreté du service de cohésion sociale, qui mêle des personnels aussi disparates que ceux des directions départementales des affaires sociales (DASS), de la jeunesse et sports, du logement social, du droit des femmes...

Comment évaluez-vous les effets de l'externalisation ? Pour faire des économies, on a créé des agences peuplées de contractuels, comme l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), ou externalisé, en particulier les services de nettoyage et d'alimentation. Lors de mes contrôles sur les services des préfectures, j'ai constaté à quel point les agents étaient démunis devant des coûts qu'ils ne maîtrisent pas et quand plus personne ne peut se plaindre faute d'interlocuteur.

Enfin, je m'interroge sur la nouvelle autorité des préfets de région sur les préfets de départements. Le secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) dispose d'un personnel nombreux et imaginatif, mais dont le quotidien s'accorde mal avec celui des agents des sous-préfectures. Le regroupement des personnels dans les mêmes espaces a-t-il dégagé des économies ? Des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) se plaignaient récemment de la promiscuité et d'une faible autonomie d'action. Dans des affaires comme celle des salariés de Spanghero, ils ont besoin d'être percutants... Le regroupement est-il achevé ou les préfets continuent-ils à chercher des mètres carrés ?

Mme Marylise Lebranchu. - Allons-nous atteindre un niveau de dépense conforme à la moyenne européenne ? Avant de répondre, je préfère étudier les méthodes de nos voisins. Premier choc : en Suède, qu'on nous présente comme modèle, 140 personnes sur 1 000 sont rémunérées par de l'argent public, contre 90 en France. En réalité, ce pays a confié des missions publiques à 400 agences indépendantes, qui coûtent de plus en plus cher et que n'épargnent pas les scandales, par exemple à propos des maisons de personnes âgées ou d'enfance en situation de difficulté. Mes collègues suédois estiment que c'est la dévaluation qui les a fait sortir de la crise, et non la transformation de la fonction publique. Cet exemple constitue une bonne leçon sur l'externalisation.

Au Danemark, avec un gouvernement très différent, on a pris soin de ne pas imiter la Suède : tout en conservant l'organisation de la fonction publique, un laboratoire d'innovation publique a été créé. Malgré le laboratoire éphémère que nous avons lancé, nous avons beaucoup de mal à défendre une telle initiative. Pourtant, la France doit arriver à innover en termes de politique publique et à se poser les bonnes questions : pourquoi et dans quel objectif a-t-on décidé telle ou telle politique publique ?

On n'évalue pas des options intéressantes, comme le ticket modérateur pour les services à la personne. Je serais ravie de vous associer à une réflexion de fond, avec le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique.

Comment vous répondre au sujet des 35 heures sans reprendre l'argumentation d'Edmond Hervé ? Le salaire moyen de la fonction publique d'Etat dépasse les 2 400 euros mais celui de la fonction publique territoriale, qui compte plus de fonctionnaires de catégorie C, n'atteint pas 1 900 euros. Dans la fonction publique d'Etat, de nombreux fonctionnaires ne comptent pas leurs heures : ils estiment en effet travailler au forfait, ce qui pose le problème du compte épargne-temps. En cas de retour aux 39 heures, comment échapperions-nous à une inflation de la masse salariale ? Je ne suis pas fière de voir combien sont payées des personnes qui accomplissent un travail indispensable à tous.

L'opposition des fonctions publiques est en effet un sujet majeur. Une infirmière qui sort de la fonction publique hospitalière de Paris pour aller à Rennes doit passer un concours pour devenir infirmière dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et partir six mois en stage. Ces barrières injustifiées doivent tomber. La fonction publique territoriale a l'impression d'être envahie par la fonction publique d'Etat. Travaillons à sortir de cette opposition.

Le choix du recours à des intérimaires ou à des contractuels pour assurer des services nécessaires soulève une vraie question. Considérer que l'intérim est plus souple constitue une erreur de gestion. Les bureaux d'études représentent une source élevée de dépenses. Arrêtons de multiplier les outils, revenons à un service simple et efficace.

Je partage votre analyse sur le salaire moyen et sur les professeurs. Les préfets vivent mal leur situation. Le rôle de ces représentants de l'Etat a perdu, au sens républicain, de sa valeur. Dans la conférence territoriale d'action publique que je propose d'organiser, la présence de l'Etat est indispensable pour favoriser les convergences, éviter les redondances, garantir le droit, évaluer l'efficacité et l'opportunité des délégations. Les exécutifs des plus grandes collectivités territoriales auraient tout à y gagner.

On a évoqué des règles absurdes. Les préfets ont perdu des prérogatives dans la Réate ; ils s'en plaignent et certains demandent qu'on étudie leur situation. La gestion du personnel est un vrai problème, et les élus locaux, perdus, veulent qu'on leur rendre leurs directions départementales de l'agriculture (DDA), leurs directions départementales de l'équipement (DDE) et leur DDASS !

Lors de mon arrivée au ministère, j'ai demandé un état des lieux sur la localisation des fonctionnaires sur le territoire : aussi anormal que cela paraisse, je n'ai pas pu avoir de réponse. La mission Ribière et Weiss devrait apporter des réponses fin 2013. Il serait possible d'aller d'une administration à l'autre, mais cela supposerait de reprendre ce que nous avions voulu faire et que les syndicats avaient mal interprété : mon initiative avait été perçue comme une volonté de supprimer des postes ici ou là. Sans doute avons-nous voulu aller trop vite. En tout état de cause, avant de prendre de nouvelles initiatives, je préfère que la mission aille à son terme.

Tant que certaines primes atteindront jusqu'à 71 % de la rémunération ici et 27 % ou 28 % là, nous n'y arriverons pas. Les surveillants de la pénitentiaire souhaitant travailler au-delà de 57 ans feraient un saut indemnitaire tel qu'ils n'osent l'imaginer. Inversement, un policier ne fera pas le chemin inverse pour des raisons indemnitaires... Je partage l'analyse d'Edmond Hervé : dans un premier temps, il faut bloquer les primes. Ensuite, la convergence ne se fera pas en un an... Il faut aussi penser à revaloriser certaines rémunérations : les primes nous aident à garder les personnels de qualité dont nous avons besoin. Je prends néanmoins acte du constat et m'engage à étudier la question, avec un calendrier - j'essaierai de vous y associer. Quant à la gestion des temps, nous devons la prendre en compte, y compris avec le Sénat.

Vous avez raison, M. de Legge, sur le disque dur de la RGPP : le constat de départ faisait consensus, mais la RGPP a explosé avec le non-emplacement d'un fonctionnaire sur deux, et la DGME n'a pas pu être entendue : quel que soit le service, on supprimait le même nombre de fonctionnaires. Or l'on ne peut rien gérer sur la seule base d'une pyramide des âges. Cela n'avait plus de sens pour personne, à commencer par les agents, qui s'étaient sentis montrés du doigt.

Quant aux sous-préfectures, nous devons suivre la proposition du ministre de l'intérieur : ne pas supprimer les supprimer en milieu rural. Il faut là une maison des services publics de l'Etat, un drapeau et des services. En revanche, dans les sous-préfectures les moins peuplées - certaines n'emploient que 11 personnes -, expérimentons un rassemblement avec d'autres services publics.

Les schémas départementaux de service public, qui présenteraient l'ensemble des services publics sur le territoire, Etat et collectivités territoriales confondus, intéressent beaucoup les préfets. Ne laissons pas des territoires dans l'abandon.

Ce n'est pas la géographie qui doit commander la carte judicaire : il faut revoir le code de l'organisation judicaire, élargir les compétences des tribunaux d'instance pour en faire de véritables tribunaux de proximité, susceptibles de décharger les tribunaux de grande instance (TGI). Nous avons proposé à la garde des Sceaux de travailler sur le code de l'organisation judiciaire. La ligne Saint-Brieuc, Guingamp, Morlaix et Brest, bien desservie par transports en commun, est également bien lotie en tribunaux, mais quand vous pénétrez au centre de la région Bretagne, il n'y a plus rien...

L'enveloppe préfectorale d'adaptation n'est pas pour demain. Mes collègues ont raison sur un point, le ministère du budget considèrera qu'il faut une enveloppe ministérielle mais je ne désespère pas d'aboutir. Attendons que la mission Ribière et Weiss s'achève.

On ne peut pas dire qu'il n'y a aucune passerelle entre le ministère de la défense et les ministères civils. Dans une entreprise privée, le licenciement peut être individuel et sans reconversion prévue. Chaque personne qui sort de l'armée a droit à une prise en charge, que ce soit à Lorient, à Vannes, à Toulon ou à Castelnaudary. Cela ne suffit pas : la question des passerelles se pose, mais les problèmes de formation et de statut ne sont pas négligeables tandis que les corps d'ingénieur sont moins nombreux. J'évoquerai ces questions avec Jean-Yves Le Drian.

Concernant les collectivités territoriales, la première erreur est d'avoir fait des régions des administrations de gestion, avec les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS). Il aurait fallu leur conserver le caractère d'administration de mission.

M. Philippe Marini, président. - Il n'est pas trop tard !

Mme Marylise Lebranchu. - Pourquoi ne pas expérimenter le transfert de quelques TOS aux départements ? Il y a des volontaires. Nous n'avons pas le choix sur la mutualisation des services publics entre les communes et les intercommunalités, que je propose d'accompagner d'un coefficient de mutualisation des services pour la détermination de la dotation globale de fonctionnement. Cependant, je ne pourrai être prête que lors de l'examen du projet de loi de finances de 2015.

Non, je ne suis pas satisfaite de la Réate. Les personnels eux-mêmes sont parfois chahutés : celui qui s'occupe du contrôle des aliments cohabite avec celui qui exerce une fonction éminemment sociale, ainsi qu'avec des secrétaires administratifs... Nous sommes allés trop vite, et le dispositif est mal perçu. Cependant, les choses ont été si difficiles que nous n'aurions pas intérêt à tout remettre en cause.

Les agences servent à éluder les questions. Elles ont constitué un palliatif à la démocratie participative ou directe. La grande défiance envers l'Etat sur les OGM a motivé la création de la première agence. L'agence serait libre, indépendante et transparente : en réalité, elle est devenue un quasi-service, externalisé. Sur les 400 agences existantes, nous en fermerons le maximum, comme cela se fait pour les commissions et instances consultatives. C'est au ministre et aux acteurs publics d'exercer leurs responsabilités : le directeur d'un président d'agence n'est responsable que devant lui-même. Voilà un sujet grave pour la République.

Enfin, les externalisations vers le privé sont un vrai miroir aux alouettes. Les partenariats privé public (PPP) ont occasionné un endettement terrible et nous devrons un jour revenir dessus. La restauration scolaire et celle des personnes âgées donnent lieu à de nombreux incidents. Je ne dis rien des prix garantis, comme par exemple dans le cas d'une piscine privée dont la convention avec la commune laisse les bénéfices à la société et les déficits à la collectivité. Dans ces conditions, je veux bien m'installer dans le privé... Réécrivons les missions d'intérêt général. Nous avons offert des rentes de situation et des bénéfices à des sociétés qui les ont réinvestis à l'étranger, dans des endroits où nous n'irons pas vivre.

M. Philippe Marini, président. - Merci pour ces réponses concrètes et développées.

Mercredi 24 avril 2013

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Modernisation de l'action publique territoriale - Demande de saisine et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission demande tout d'abord à se saisir pour avis du projet de loi n° 495 (2012-2013) de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, et nomme M. Jean Germain rapporteur pour avis sur ce texte.

Nomination d'un rapporteur

Puis la commission désigne MM. Georges Patient et Eric Doligé rapporteurs sur la proposition de résolution européenne, contenue dans le rapport n° 525 (2012-2013) de M. Gérard César, adoptée par la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quinquies du Règlement, sur le renouvellement du régime fiscal applicable au rhum traditionnel des départements d'outre-mer.

Refondation de l'école de la République - Examen du rapport pour avis

La commission procède ensuite à l'examen du rapport pour avis de M. Claude Haut, rapporteur, sur le projet de loi n° 441 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

M. Claude Haut, rapporteur. - Le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République traduit l'engagement du Gouvernement de faire de l'éducation nationale une des priorités du nouveau quinquennat, en consacrant les moyens financiers et humains nécessaires au premier des services publics de la République française.

Au coeur du projet de refondation de l'école de la République, le rétablissement dans l'enseignement de 60 000 postes supprimés par l'ancienne majorité était un engagement de campagne du Président François Hollande : le présent projet de loi traduit cette volonté, le déclinant pour la première fois par catégorie de postes et en ciblant des territoires prioritaires, tout en définissant les objectifs et le cadre d'une ambition nouvelle pour l'école.

Dans un contexte particulièrement contraint pour les finances publiques, les choix opérés au bénéfice de l'éducation nationale résultent d'arbitrages au sein d'une enveloppe budgétaire fermée : la stabilisation, d'une part, des dépenses de l'État sous les doubles normes « zéro volume » et « zéro valeur » et, d'autre part, des effectifs, signifie que l'effort accompli dans le domaine de l'enseignement est compensé par des économies équivalentes au sein du budget de l'État, suivant les principes fixés par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017. Le présent projet de loi constitue ainsi une loi de programmation déclinant une autre loi de programmation.

Avant d'aborder les dispositions relatives aux moyens financiers et humains que le projet de loi propose de mettre à disposition de la politique d'enseignement, il convient de rappeler le cadre budgétaire pluriannuel dans lequel il s'inscrit.

Le présent projet de loi respecte la trajectoire financière fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Pour parvenir au rétablissement de l'équilibre des finances publiques, et permettre à la France de retrouver à l'avenir des marges budgétaires, la LPFP et le programme de stabilité encadrent l'évolution des dépenses publiques, et en particulier des dépenses de l'État.

La dépense publique ne devrait augmenter que de + 0,5 % en volume sur la période 2012-2017. L'effort sera encore plus important, compte tenu notamment de la dynamique des dépenses sociales, pour l'État, dont les dépenses hors dette et pensions devraient baisser de 1,5 milliard d'euros en 2014.

Alors que les crédits de l'ensemble des missions du budget général (hors charges de la dette et pensions) sont stabilisés en valeur dans la LPFP et devraient être révisés à la baisse, la LPFP a prévu une augmentation des crédits de la mission « Enseignement scolaire » de 1,18 milliard d'euros en 2015 par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2012.

La mission « Enseignement scolaire » bénéficie de la deuxième plus importante hausse des crédits d'une mission sur la période du budget triennal 2013-2015, après la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

La priorité accordée par le Gouvernement à l'éducation s'est traduite par la majoration, dès la rentrée 2012, de 25 % du montant de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) versée, sous conditions de ressources, aux familles ayant au moins un enfant scolarisé et âgé de 6 à 18 ans. Cette mesure, dont le coût s'est élevé à 372 millions d'euros, a bénéficié à trois millions de familles.

J'en viens maintenant aux créations d'emplois. Afin de compenser plus de 80 000 suppressions de postes dans l'enseignement entre 2007 et 2012, le Gouvernement accorde la priorité au rétablissement des moyens humains du service public de l'enseignement, en proposant de recréer 60 000 emplois au cours du quinquennat.

Dès l'été 2012, lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2012, le Gouvernement a ouvert des crédits à hauteur de 89,5 millions d'euros pour répondre aux besoins les plus urgents : l'aide aux élèves handicapés, l'accompagnement et l'encadrement des élèves.

Le rapport annexé au projet de loi détaille ainsi la programmation des 60 000 emplois devant être créés dans l'enseignement au cours de la législature, en vue notamment de rétablir une formation initiale pour les enseignants.

Sur ce total de 60 000 postes, 54 000 emplois seront créés au ministère de l'éducation nationale, 5 000 au ministère de l'enseignement supérieur et 1 000 au ministère de l'agriculture au titre de l'enseignement technique agricole.

La réforme de la formation initiale représentera la moitié des créations d'emplois dans l'éducation nationale, soit 27 000 postes sur un total de 54 000, répartis comme suit :

- 26 000 enseignants, à partir de la rentrée 2014, effectueront pendant un an un stage rémunéré de formation initiale, en alternance, dans les futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) et auprès des élèves. Du fait de cette formation en alternance, ces 26 000 postes stagiaires correspondront à 13 000 postes d'enseignants devant les élèves ;

- pour assurer la formation dans les ESPE, il est prévu la création de 1 000 postes d'enseignants titulaire formateurs.

A ces créations de 27 000 postes correspondant au rétablissement d'une formation initiale s'ajoutent 27 000 autres postes, répartis entre :

- 21 000 nouveaux postes d'enseignants titulaires, dans le premier degré (14 000 postes) et le second degré (7 000 postes) ;

- 6 000 postes supplémentaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap, la prévention et la sécurité, le suivi médical et social, l'amélioration du pilotage des établissements et des services académiques.

Je souhaite détailler à présent la création des 21 000 nouveaux postes d'enseignants titulaires, à raison de 14 000 postes dans le premier degré et 7 000 postes dans le second degré.

Les 14 000 postes du premier degré sont répartis de la manière suivante :

- 3 000 postes au titre de la scolarisation des enfants de moins de trois ans ;

- 7 000 postes pour favoriser l'évolution des pratiques pédagogiques, « dans les secteurs les plus fragiles » ;

- 4 000 postes pour diminuer les déséquilibres territoriaux et tenir compte des évolutions démographiques.

Les 7 000 postes créés dans le second degré se répartissent entre :

- 4 000 postes créés « en priorité » dans les « collèges comptant une forte proportion d'élèves en difficulté » et les lycées professionnels, pour lutter contre le décrochage scolaire ;

- 3 000 postes destinés, comme dans le premier degré, à tenir compte des évolutions démographiques et rééquilibrer les moyens.

En dehors des postes figurant dans le plafond d'emplois ministériel de l'éducation nationale, une mention doit être faite des personnels d'assistance éducative, recrutés sur des crédits d'intervention de titre 6. De manière récurrente, la commission des finances a déploré que ces personnels, rémunérés par les établissements scolaires ne relèvent ni du plafond d'emplois ministériel.

Pour finir la présentation de cette première partie consacrée aux aspects du projet de loi ayant un impact direct sur le budget et les emplois de l'État, je souhaite souligner que le renforcement des moyens humains est fléché vers des objectifs précis de politique publique.

Afin de permettre la réussite scolaire de tous les enfants, l'article 5 renforce l'accueil dans les classes et les écoles maternelles dès l'âge de deux ans.

Il faut rappeler que les investissements dans l'éducation en classe maternelle ont l'impact le plus fort sur la réduction des inégalités sociales au sein de l'école. Or, sous l'effet de la politique de suppression de postes d'enseignants, le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans a chuté, en dix ans, de 34,7 % en 2002 à 11,2 % en 2012. Avec 3 000 postes supplémentaires d'enseignants titulaires du premier degré, principalement dans les ZEP, l'objectif est de porter à 19 % d'ici 2017 le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans.

Par ailleurs, le rétablissement d'une formation initiale se fonde sur la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), qui font l'objet des articles 48 à 54 du projet de loi.

La mise en place d'une année de stage donnera lieu à un dispositif transitoire la première année, pour prendre en compte les rythmes de recrutement : aux concours de droit commun s'ajouteront des concours exceptionnels, exercés dans les mêmes conditions, offrant la possibilité, aux candidats admissibles qui le souhaiteront, de disposer d'un contrat à durée déterminée d'enseignement ou d'éducation dès la rentrée 2013, sur la base d'un tiers de service rémunéré à hauteur d'un mi-temps.

En termes d'organisation, les ESPE seront créées sur proposition du conseil d'administration de l'université ou d'un pôle de recherche ou d'enseignement supérieur. Elles seront dirigées par un conseil d'école, disposant d'un budget propre au sein des établissements dont elles relèveront, présenté par le directeur de l'ESPE au conseil d'école, et précisant les apports en personnel de l'établissement universitaire ou de recherche où seront logées les ESPE.

Je vais maintenant aborder les articles du texte ayant un impact sur les finances des collectivités territoriales, partenaires à part entière de la refondation de l'école.

Avant d'entrer dans le détail des articles, je rappelle que les collectivités sont déjà particulièrement sollicitées. Les dotations de l'État vont ainsi diminuer de 1,5 milliard d'euros en 2014 et de 1,5 milliard d'euros supplémentaire en 2015. A cela s'ajoute le coût des normes nouvelles, que le comité des finances locales estime à 1,8 milliard d'euros pour la seule année 2014.

Tout d'abord, les articles 12, 13 et 14 du projet de loi concernent la répartition des compétences entre l'État et les collectivités en ce qui concerne l'acquisition et la maintenance des équipements informatiques dans les collèges et les lycées.

D'un point de vue juridique, cette répartition des compétences est aujourd'hui relativement ambigüe.

Comme vous le savez, les départements assurent « l'équipement et le fonctionnement [des collèges], à l'exception [...] de certaines dépenses pédagogiques à la charge de l'État ». La liste de ces dépenses à la charge de l'État est arrêtée par décret. Les mêmes dispositions sont prévues pour les régions en ce qui concerne les lycées.

Le décret en question dispose que l'Etat supporte les dépenses en matière de « premier équipement » ainsi que les dépenses liées à la maintenance des matériels ainsi acquis. Il s'agit là d'une allusion au « Plan informatique pour tous » de 1985, qui visait à mettre en place plus de 120 000 équipements dans 50 000 établissements scolaires.

Cependant, le Conseil d'Etat a estimé que ce décret « doit être regardé comme ayant une portée purement indicative » et qu'il ne saurait « avoir pour objet ou pour effet de décharger l'État du financement des dépenses pédagogiques et mettre une partie de ces dépenses à la charge des collectivités territoriales ».

On ne peut donc a priori conclure que les dépenses relatives à l'acquisition et à la maintenance du matériel informatique sont à la charge des collectivités territoriales.

Les auditions que j'ai menées ont montré que cette ambiguïté des compétences se reflète dans la pratique : en l'absence de règles claires, ces dépenses ont été prises en charge aussi bien par l'État que par les collectivités.

Dans un souci de clarification, les articles 12, 13 et 14 redéfinissent la répartition de cette compétence entre l'État et les collectivités. Le Gouvernement considère qu'elle relève de la compétence des collectivités et souhaite inscrire cette interprétation dans la loi. Les représentants des départements et des régions contestent cette interprétation. Ils y voient un transfert de compétence, non compensé. Or je rappelle que la Constitution impose que tout transfert de compétence soit compensé. Pour ma part, j'entends interroger le Gouvernement en séance publique afin de disposer des éclaircissements nécessaires sur ces questions.

Je vais maintenant aborder l'article 47, qui crée le fond destiné à aider les collectivités territoriales dans la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires.

Je souligne que cette réforme n'est pas l'objet du projet de loi, dans la mesure où elle est d'ordre réglementaire. Je rappelle en quelques mots ses principes : une demi-journée supplémentaire de cours avec un volume d'heure inchangé, pour réduire la durée de la journée de classe des écoliers français, qui est parmi les plus élevées au monde.

Cette réforme a vocation à s'appliquer dès la rentrée prochaine, mais dans les faits ce serait un petit quart des élèves qui seraient concernés dès 2013, d'après les chiffres que j'ai pu recueillir.

Ce taux est inférieur aux estimations initiales. On ne peut pour autant y voir le résultat d'une opposition des élus à la réforme. Au contraire, au cours des auditions que j'ai menées ou à travers les contributions écrites que j'ai reçues, il est apparu clairement que l'ensemble des associations d'élus ont apporté leur soutien au principe de la réforme, en reconnaissant l'amélioration des conditions d'enseignement qu'elle permet.

Les auditions ont plutôt fait ressortir des obstacles liés à des difficultés pratiques d'organisation, à des contraintes d'un calendrier qui a semblé trop serré à certains élus ou encore, à des raisons financières.

En effet, si le Gouvernement ne prévoit pas pour sa part d'impact financier direct sur les compétences obligatoires des collectivités, celles-ci estiment que la réforme se traduira par des coûts supplémentaires :

- en matière de financement du fonctionnement des écoles, les communes vont devoir ouvrir les écoles un jour en plus par semaine, ce qui pourrait comporter des coûts fixes ;

- en matière de transport scolaire, les départements vont devoir les faire fonctionner un jour en plus par semaine, voire deux jours supplémentaires si certaines écoles choisissaient le samedi matin ;

- en matière de restauration scolaire, les communes pourraient être conduites à prévoir un service de restauration scolaire à l'issue des cours du mercredi ;

- enfin, les communes devront financer un volume plus important d'activités périscolaires.

Il est très difficile de parvenir à chiffrer globalement le coût pour les collectivités de cette réforme, car il dépendra pour une grande part des contextes locaux et des décisions des collectivités et des familles.

L'Association des maires de France (AMF) a avancé le chiffre d'un coût net de 600 millions d'euros au moins et jusqu'à un milliard d'euros. Le président du comité des finances locales (CFL) a avancé le chiffre de 800 millions d'euros. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) estime, à partir d'enquête auprès de ses adhérents, que la réforme se traduira par une hausse de 20 % environ du budget éducation des communes rurales.

L'article 47 du présent projet de loi met donc en place un « fonds d'amorçage » de la réforme des rythmes scolaires.

Il est destiné à fonctionner sur les années scolaires 2013-2014 et 2014-2015. Ayant une vocation temporaire et étant centré sur les collectivités qui mettront en oeuvre la réforme dès la rentrée 2013, ce fonds n'a donc pas vocation à compenser le coût de la réforme pour les collectivités, mais à les inciter à la mettre en oeuvre dès la première année.

Deux aides sont prévues : d'une part, un montant forfaitaire, par élève, sans condition particulière liée à la commune pour celles qui auront appliqué la réforme dès sa première année ; d'autre part, une majoration forfaitaire, par élève, réservée aux communes éligibles à la DSU-cible, DSR-cible et aux communes d'outre mer.

La majoration forfaitaire sera versée la première année, mais également la suivante. Les communes et EPCI qui appliqueront la réforme à compter de la rentrée 2014 percevront cette par la deuxième année.

D'après l'étude d'impact jointe au projet de loi, le montant forfaitaire serait de 50 euros et la majoration forfaitaire de 40 euros la première année et de 45 euros la seconde. Ces montants ne sont cependant pas inscrits dans le texte. Je vous propose donc un amendement tendant à les y inscrire dans le rapport annexé. Ceci permettra de donner aux collectivités concernées une certaine garantie quant aux montants qu'elles percevront, étant entendu que cette aide a pu constituer un facteur important dans leur décision de mettre en oeuvre la réforme dès la rentrée 2013.

Je souligne également que le décret d'application de cet article devra aborder trois questions importantes :

- la question des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dotés de la compétence en matière d'éducation qui percevront la majoration du fait d'une ou plusieurs communes éligibles en leur sein ;

- la question des communes, ou EPCI, qui percevront une aide du fonds au titre des élèves des écoles privées sous contrat ;

- enfin, se pose la question de l'année d'éligibilité à la DSU-cible ou à la DSR-cible prise en compte.

Sur ces différents points, j'interpellerai le Gouvernement en séance, pour qu'il apporte des réponses à nos questions.

Concernant le montant global du fonds, le chiffre de 250 millions d'euros avait été avancé en se basant sur une hypothèse de 50 % d'élèves qui appliqueraient la réforme dès la rentrée prochaine.

Comme je vous le disais précédemment, ce taux sera nettement plus bas, autour de 22 %. Le montant de l'aide effectivement accordée devrait donc s'élever à près de 170 millions d'euros, alors même que les collectivités prendront en charge la majeure part des dépenses.

Le financement du fonds sera arrêté dans le cadre de la plus prochaine loi de finances. Mais j'ai naturellement souhaité obtenir, dès maintenant, des informations sur les modalités de financement du fonds. À ce stade, aucune réponse définitive n'a pu m'être apportée par le Gouvernement. Il a été évoqué qu'une partie du fonds pourrait être financée à partir d'un prélèvement sur les ressources de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Le reste pourrait provenir de redéploiements au sein du budget de l'éducation nationale. J'interpellerai en séance le Gouvernement sur cette question également, pour qu'il nous apporte des éclaircissements.

Enfin, j'ai souhaité saisir l'occasion présentée par ce texte pour traiter du sujet des normes applicables aux collectivités territoriales. Ce sujet est un enjeu financier important pour elles.

Je vous propose ainsi trois amendements, qui s'inspirent d'une proposition du rapport de notre collègue Éric Doligé sur la simplification des normes. Ces amendements visent à simplifier la procédure de mise à disposition des locaux et équipements scolaires pour les activités périscolaires, en prévoyant une consultation annuelle du conseil d'école sur les utilisations envisagées plutôt qu'une consultation ponctuelle.

M. Yves Krattinger- Sur la question des surcoûts pour les départements, la contrainte est la suivante : nous devons transporter les enfants un jour de plus. Selon les dérogations accordées aux communes, il peut s'agir soit du mercredi, soit du samedi. Aujourd'hui, compte tenu des rythmes des collèges, la moitié des bus circulent le mercredi, donc cinq jours par semaine. Avec le samedi, nous ajouterions un sixième jour avec le risque que seulement la moitié des bus circulent le mercredi mais la totalité le samedi.

Or les contraintes européennes en matière de transport impose un repos pour les chauffeurs après cinq jours de travail. Si on veut éviter un surcoût majeur, il faut que toutes les écoles choisissent de travailler le mercredi et non le samedi.

J'ajoute également que les horaires des transports scolaires sont aujourd'hui fixés dans les marchés publics que nous avons contractés. Il importe que la réforme n'entraîne pas un décalage de ces horaires.

Sur la question de l'équipement informatique, nous assistons typiquement à un transfert rampant de compétences. Les départements ayant la responsabilité des collèges et puisque l'État ne les équipait en matériel informatique, nous avons pris en charge ces dépenses, bien qu'elles ne relèvent pas de nos compétences. Maintenant, notre générosité justifie un transfert de compétences non compensé !

En outre, la maintenance informatique est assurée sous la responsabilité des rectorats. Bien souvent, les chefs d'établissement confient cette mission à un enseignant. Que va-t-il advenir avec le transfert de compétences aux départements ? Je doute que nous puissions disposer de cette « main d'oeuvre ».

M. Philippe Marini, président. - Pour la bonne clarté de nos débats, je voudrais m'assurer d'un point. La réforme des rythmes scolaires concerne l'école primaire. De manière indirecte, ses effets se répercutent sur les départements, notamment en ce qui concerne le transport scolaire.

Il me semble néanmoins que les départements n'assurent pas directement le transport des écoliers du primaire, ils accordent une subvention aux communes.

M. Yves Krattinger. - Dans la plupart des départements, les conseils généraux assurent également le transport pour les enfants scolarisés en maternelle et en primaire.

M. Philippe Marini, président. - Je ne crois pas que ce soit le cas dans mon département, il existe donc une variété de situations.

M. François Trucy. - Nous faisons face à un catalogue d'améliorations très opportunes et très générales...

Mais, selon vous, cette réforme est-elle de nature à apporter une réponse aux questions si souvent posées en matière d'éducation, à savoir que les enseignants sont mal rémunérés, en nombre insuffisants et dont les conditions de travail sont difficiles, voire exécrables ?

Ce projet de loi est-il susceptible d'améliorer une situation que tout le monde dénonce ?

Peut-on chiffrer le coût à terme d'une telle réforme ? Je m'interroge également sur les difficultés de recrutement des nouveaux postes. Comment trouver plusieurs milliers d'enseignants supplémentaires avec des qualifications très différentes ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - J'ai beaucoup apprécié le propos du rapporteur pour avis. Malheureusement, je n'en retrouve pas la traduction dans les amendements qu'il va nous présenter.

Lors de sa récente audition par notre commission des finances, André Laignel, président du Comité des finances locales, dont la parole ne serait être remise en doute, nous a indiqué que les collectivités territoriales devront supporter 1,8 milliard d'euros de charges nouvelles, hors réforme des rythmes scolaires, en 2014.

Comme viens de le dire notre collègue Yves Krattinger, il y a un transfert rampant de compétences pour l'ensemble des collectivités : régions, départements, communes et intercommunalités, car toutes interviennent en matière scolaire.

Dans la situation actuelle, les communes assurent le financement d'activités périscolaires mais ce n'est pas obligatoire. Avec ce texte, des dépenses incontestablement pédagogiques sont transférées aux collectivités et ce, sans compensation. Je vous rappelle que la révision constitutionnelle de 2003 interdit les transferts de compétences non compensés.

M. Yann Gaillard. - Je suis un peu étonné de ce que nous avons entendu. Notre collègue Yves Krattinger a montré combien ce texte est catastrophique. Encore une fois, nous énonçons une politique de principes, mais sans lui donner les moyens de sa réalisation.

À ce titre, j'estime que l'avis de notre commission devrait être assez sévère.

Mme Marie-France Beaufils. - Avant toute chose, j'apprécie que l'on confirme la nécessité de créer des postes. En 1981, l'action en faveur de l'éducation prioritaire avait permis une amélioration importante des conditions de scolarité des populations les plus fragiles, notamment celles établies dans les zones urbaines sensibles (ZUS). Puis, peu à peu, nous avons pu observer une baisse des moyens, dont nous constatons aujourd'hui qu'elle a des effets catastrophiques.

La prise en charge des enfants de moins de trois ans - dans ma commune, le taux était de presque 40 % - est bénéfique, notamment pour les enfants issus de l'immigration. Elle influe favorablement sur la capacité d'apprentissage du français et sur la socialisation. Il est vraiment nécessaire que des moyens soient consacrés à cette action. Si j'ai bien compris le rapporteur, l'objectif serait de porter le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans à 19 % en 2017. C'est peu par rapport à l'ampleur de la tâche. Ceci étant, cela emporte des conséquences pour les collectivités qui sont chargés de mettre en place les bâtiments nécessaires pour y faire face. Il y a aussi une question spécifique sur l'encadrement dont nous savons qu'il doit être plus important pour les enfants de moins de trois ans.

J'ai néanmoins plusieurs interrogations vis-à-vis de ce texte. Il faudrait tout d'abord que nous puissions disposer d'une étude d'impact fine pour l'ensemble des collectivités concernées - au-delà des départements et des régions.

La mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires m'inquiète également. Il faut revenir aux cinq jours. J'étais contre la suppression des cours le samedi matin. Il était faux de dire que les écoles étaient désertées le samedi matin. C'était peut-être un phénomène très parisien.

Bien évidemment, il faudra assurer des repas supplémentaires. Surtout, l'organisation du temps modifié et des activités périscolaires auront un impact sur les budgets communaux. Lorsque les familles ne disposeront pas des moyens suffisants pour payer ces activités, les communes devront assumer cette responsabilité.

Je regrette que le fonds prévu par la loi se limite à une incitation financière temporaire alors que les coûts sont réels et pérennes.

Enfin, le financement du fonds n'est pas encore arrêté. On comprend qu'il pourrait être alimenté par un prélèvement sur la CNAF. Nous connaissons le jeu des vases communicants. Le risque est que les caisses d'allocations familiales diminuent leurs versements au titre de l'accueil de la petite enfance.

Vous avez fait état de 1 000 postes dans l'enseignement technique agricole. Mais je n'ai pas retrouvé le nombre global des enseignants affectés à l'enseignement agricole.

J'ai entendu notre collègue Marie-Hélène Des Esgaulx invoquer la Constitution, je soulignerai simplement que, depuis 2003, de nombreux transferts sont intervenus sans que la compensation soit arrêtée à sa juste mesure.

M. Philippe Dallier. - Nous assistons à une rupture d'égalité républicaine supplémentaire !

Dans ma commune, j'ai calculé qu'un budget de 200 euros par enfant ne me permet d'assurer qu'un service « bas de gamme ». Et pourtant, agrégé au niveau national, ce montant par enfant représente une charge supplémentaire pour les communes de plus de 2 milliards d'euros.

Certaines communes ont les moyens et offriront des activités périscolaires de qualité. D'autres seront obligées de se tourner vers les parents. C'est ce que je peux constater en Seine-Saint-Denis pour les communes qui mettent en oeuvre la réforme dès septembre 2013.

Notre collègue Marie-France Beaufils souligne que le fonds n'est qu'incitatif. Heureusement d'ailleurs, autrement nous serions en droit d'exiger de l'État une compensation des coûts à l'euro près. C'est le principe même de cette incitation qui doit être dénoncée.

On demande de plus en plus aux communes en matière d'activités périscolaires : le sport, la musique, la culture, les salles informatiques, les tableaux numériques, etc. Les communes font en fonction de leurs moyens. Or dans certaines communes, elles ne peuvent même plus entretenir les bâtiments scolaires qui sont dans un état déplorable. On va aggraver la situation.

Voilà la rupture d'égalité républicaine ! C'est inacceptable et intolérable.

L'idée initiale était de réduire le temps scolaire chaque jour afin d'éviter de trop longues journées pour les enfants. Or, on pourrait aboutir à un système où certaines communes choisiraient de réduire le temps sur deux jours et non sur quatre. Au total, les élèves travailleraient deux jours avec le rythme actuel et deux jours avec un rythme allégé. Cette configuration permet de faire des économies en matière de recrutement de personnels. Il me semble que l'esprit du texte interdirait une telle pratique. Or j'ai lu que certaines communes pourraient demander - et obtenir - une dérogation.

Ce point devra être clarifié lors de nos débats. En effet, outre la question du coût, il y a le problème du recrutement. Pour mettre en place un allègement sur quatre jours, je dois recruter cent personnes avec un niveau de qualification adapté. Sur deux jours, la charge sera moindre. On peut le comprendre mais ce n'est plus l'esprit de la réforme. Ce point est resté dans le flou.

M. Philippe Marini, président. - Notre commission examine l'ensemble des questions relatives aux dépenses publiques, celles-ci comprenant à la fois la dépense de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales. Par conséquent, au niveau du solde public de la France, la réforme doit s'analyser globalement, peu importe que telle ou telle personne publique supporte la dépense in fine. Ainsi, une dépense supplémentaire de 2 milliards d'euros, comme nous pouvons l'entendre, nécessitera un effort de même ampleur pour tenir la trajectoire de maîtrise du déficit et de la dette.

Pouvons-nous, au niveau global, disposer d'une évaluation plus précise du coût de la réforme ?

M. Jean Arthuis. - Je trouve cette loi curieuse. L'article 5 prévoit que l'accueil sera possible à partir de l'âge de deux ans. Il reste à démontrer que, à cet âge-là, c'est encore d'école qu'il s'agit... Je ne l'ai pas vérifié jusqu'à présent. L'article précise en outre que cet accueil donne lieu « à un dialogue avec les familles ». C'est très important d'inscrire cela dans la loi...

Mais dans quel monde sommes-nous ? Cet après-midi nous aurons un débat - il est vrai non sanctionné par un vote - sur le programme de stabilité. A-t-on conscience de la situation financière dans laquelle nous nous trouvons ? Comment peut-on continuer à légiférer ainsi ?

L'affaire des rythmes scolaires est tout de même stupéfiante. Les enseignants étaient tenus à neuf demi-journées. Puis, vers 1991-1992, on a estimé qu'ils devaient assister à une conférence pédagogique, celle-ci devant se tenir le samedi matin, une fois toutes les trois semaines. Progressivement, on s'est aperçu qu'il n'y avait plus grand monde le samedi matin à l'école. Dans ces conditions, en 2008, Xavier Darcos a décidé de supprimer le samedi matin. On aurait pu demander aux enseignants d'assurer ces neuf demi-journées. Pas du tout ! Désormais trois quart d'heure par jour sont sous la responsabilité des municipalités.

Si l'éducation physique et sportive est assurée par un enseignant de l'éducation nationale, alors il peut encadrer 30 élèves. En revanche, si le professeur est sous la responsabilité du maire, alors il ne peut encadrer que 15 ou 20 élèves.

On est dans un monde absurde. Nous devrions protester, au-delà des clivages politiques, contre de telles démarches, du fait de leur incohérence. Nous prenons vraiment nos concitoyens pour ce qu'ils ne sont pas. Vous avez compris que je voterai contre ce texte, en dépit des améliorations que va sans doute y apporter notre rapporteur.

M. François Marc, rapporteur général. - Nous devons bien aujourd'hui considérer les charges générées par cette évolution et les recettes dont disposent les collectivités pour y faire face. Ces deux questions peuvent être traitées de façon simultanée, ou bien on peut considérer que l'égalité républicaine doit être améliorée en ce qui concerne les ressources des collectivités territoriales. J'ai cru comprendre que ce point est au coeur des réflexions du Gouvernement relatives aux dotations des collectivités en 2014, de sorte que nous puissions préserver les capacités d'action des collectivités les plus modestes.

Je regrette que, lorsque le temps de classe a diminué, on ait totalement ignoré ces questions. Il est plus facile de faire plaisir aux instituteurs et de réduire les charges des collectivités que, aujourd'hui, de faire face à une exigence d'amélioration de l'éducation en France. Or les différents classements internationaux montrent que le niveau de nos élèves est en train de régresser. L'exercice est difficile mais il est nécessaire.

M. Claude Haut , rapporteur. - Pour répondre de manière synthétique aux observations de nos collègues, je rappellerai tout d'abord qu'en ce qui concerne l'acquisition et la maintenance des matériels informatiques, j'ai longuement évoqué l'ambiguïté du droit existant, mais aussi les questions que soulèvent les articles proposés dans le projet de loi. J'entends interroger le Gouvernement en séance publique, pour obtenir des éléments de réponse clairs et précis.

La réforme des rythmes scolaires entraînera, de fait, des dépenses nouvelles pour les départements, quel que soit le jour choisi, qu'il s'agisse du mercredi ou du samedi, puisqu'il faudra modifier les itinéraires de ramassage. En l'état actuel des réponses, c'est le mercredi qui semble très largement choisi.

En réponse à notre collègue François Trucy, le rétablissement des moyens humains du service public de l'éducation est une condition nécessaire à l'amélioration des résultats scolaires, après cinq années de suppressions de postes.

En ce qui concerne les difficultés de recrutement, si elles posent la question de l'attractivité du métier d'enseignant, notamment en termes financiers, deux concours exceptionnels seront organisés, respectivement en 2012-2013 et 2013-2014, afin de pouvoir franchir le cap du rétablissement d'une année de formation initiale.

A notre collègue Marie-Hélène des Esgaulx qui estime que les dépenses informatiques constituent un transfert de charges devant donner lieu à une compensation, elle pourra amender le texte. Pour ma part, j'estime que nous avons d'abord besoin d'éclaircissements.

Notre collègue Marie-France Beaufils a évoqué plusieurs sujets de satisfaction, sur les créations de postes et l'accueil des enfants de moins de trois ans, tout en jugeant insuffisant l'objectif de porter à 19 % d'ici 2017 le taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans. C'est cependant un premier pas, et il faudra tenir compte des demandes effectives quant au nombre de familles souhaitant scolariser leurs enfants âgés de deux ans.

Elle a par ailleurs raison de souligner le besoin de mesurer les incidences financières du texte pour les finances des collectivités territoriales.

Sur le financement de la réforme des rythmes, un prélèvement sur la CNAF constitue l'une des pistes annoncées, mais le Gouvernement devra nous le confirmer en séance publique.

S'agissant des 1 000 postes créés dans l'enseignement technique agricole, ceux-ci figurent parmi les 60 000 créations pour l'ensemble des activités d'enseignement. Ils s'ajoutent aux 54 000 postes de l'éducation nationale et aux 5 000 postes de l'enseignement supérieur, pour obtenir le total de 60 000 emplois équivalent temps plein. L'alinéa 38 du rapport annexé détaille les créations de postes dans l'enseignement technique agricole.

Notre collègue Philippe Dallier a davantage évoqué le décret aménageant les rythmes scolaires que les dispositions du projet de loi. Il sera évidemment fait appel aux ressources des collectivités territoriales, mais dans des proportions différentes selon la situation financière des communes : tel est le principe de la part majorée dont bénéficieront les communes d'outre-mer et celles éligibles à la DSU-cible et à la DSR-cible.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 1er (rapport annexé)

M. Claude Haut, rapporteur. - L'amendement n° 1 est un amendement de précision : il vise à inclure tous les territoires ultra-marins dans les zones prioritaires pour la création de 3 000 postes destinés à améliorer l'accueil des enfants de moins de trois ans.

L'amendement n° 1 est adopté.

M. Claude Haut, rapporteur. - Le rapport annexé au projet de loi prévoit la création de 3 000 postes dans le second degré pour assurer un meilleur équilibre territorial.

En effet, les suppressions de postes pendant cinq ans ont tout particulièrement pesé sur le remplacement. Pourtant, l'objectif d'amélioration du remplacement des professeurs absents figure dans le rapport annexé pour le premier degré, mais pas pour le second degré.

L'amendement n° 2 vise donc à mentionner explicitement cette amélioration du remplacement des professeurs absents parmi les objectifs poursuivis par la création de 3 000 postes supplémentaires dans le second degré pour assurer un meilleur équilibre territorial.

M. Serge Dassault- La création de 3 000 postes serait coûteuse pour les finances publiques !

Mme Marie-France Beaufils. - Il s'agit de préparer l'avenir de nos enfants !

L'amendement n° 2 est adopté.

M. Claude Haut, rapporteur. - L'amendement n° 3 vise à inscrire dans le rapport annexé au projet de loi les montants de l'aide aux collectivités territoriales, prévue à l'article 47 du présent projet de loi, pour favoriser la mise en oeuvre de la réforme des rythmes scolaires. Il est proposé de reprendre les montants annoncés par le Gouvernement et qui ne figurent actuellement que dans l'étude d'impact.

Ainsi, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale qui s'engageront dans la réforme bénéficieront d'une meilleure sécurité et lisibilité des aides qui leur seront versées.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Pour moi, cet amendement est un leurre total ! Il ne permet pas la compensation d'un transfert de charges que nous réclamons.

M. Claude Haut, rapporteur. - Un tel amendement serait irrecevable financièrement, en application de l'article 40 de la Constitution...

M. Philippe Marini, président. - ... et le président de la commission des finances serait effectivement tenu d'opposer l'irrecevabilité financière, même au rapporteur de la commission des finances.

L'amendement n° 3 est adopté.

Article additionnel après l'article 14

M. Claude Haut, rapporteur. - L'évolution des normes engendre des dépenses importantes pour les collectivités territoriales, comme André Laignel, président du comité des finances locales (CFL), l'a observé lors de son audition par la commission des finances le 10 avril dernier.

L'amendement n° 4 propose d'engager le chantier de la simplification des normes, en allégeant la procédure de mise à disposition des locaux et équipements scolaires pour les activités périscolaires. Il prévoit, pour les écoles maternelles et primaires, une consultation annuelle du conseil d'administration ou d'école sur les utilisations envisagées, et non plus des consultations multiples, au cas par cas.

Cet amendement s'inspire ainsi d'une proposition du « rapport Doligé » de 2011.

L'amendement n° 4 est adopté.

Article 14 bis

M. Claude Haut, rapporteur. - L'amendement n° 5 est de même inspiration que le précédent, mais porte les collèges.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article 15

M. Claude Haut, rapporteur. - L'amendement n° 6 concerne, pour sa part, les lycées.

L'amendement n° 6 est adopté.

La commission des finances émet un avis favorable à l'adoption des articles 1er (et du rapport annexé), 5, 12 à 15 et 46 à 54, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Présidence conjointe de M. Philippe Marini, président de la commission des finances et de Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, puis de M. François Trucy, secrétaire de la commission des finances, et enfin, de M. Jean Germain, secrétaire de la commission des finances -

Bilan consolidé des sources de financement des universités - Examen du rapport d'information

Enfin la commission examine le rapport de Mme Dominique Gillot et M. Philippe Adnot, co-rapporteurs, sur le bilan consolidé des sources de financement des universités (réunion conjointe avec la commission de la culture).

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui nos collègues de la commission des finances pour examiner le rapport de nos deux rapporteurs, Mme Dominique Gillot et M. Philippe Adnot.

M. Philippe Marini, président. - Signes d'une coopération fructueuse entre nos deux commissions, je voudrais citer deux autres exemples récents de travaux de contrôle que nous menons ou avons menés en commun : les travaux conduits par Catherine Morin-Desailly et Claude Belot sur les comptes de France Télévisions et ceux de Dominique Bailly et Jean-Marc Todeschini, en cours, sur le financement public de la construction des grands équipements sportifs. Sur le sujet essentiel des sources de financement des universités, nous serons particulièrement attentifs aux enseignements tirés du rapport de nos deux collègues, Philippe Adnot, rapporteur spécial de la commission des finances, et Dominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement supérieur de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Merci monsieur le président, j'ajouterais l'audition commune que vous avez organisée concernant le Centre national du cinéma et de l'image animée, à laquelle les sénateurs de notre commission ont assisté. Nous sommes toujours friands de l'expertise de la commission des finances et nous attendons avec impatience, en particulier, les résultats du contrôle que vous avez commandé à la Cour des comptes sur les aides à la presse.

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Avant de vous présenter les résultats de nos travaux, je rappelle que nous avons, avec mon collègue, beaucoup appris nous-mêmes au travers de ce contrôle qui nous a permis de préciser certaines intuitions ou de répondre à des interrogations que nous avions soulevées dans de précédents rapports.

Le financement des universités est un thème auquel nos deux commissions sont habituées, et au sujet duquel elles ont joué un rôle moteur. Elles lui ont en effet consacré deux rapports d'information :

- l'un, en juin 2008, issu d'un groupe de travail conjoint, proposait les grandes lignes de ce qui est devenu le fameux système de répartition des moyens à l'activité et à la performance (SYMPA), utilisé pour répartir les crédits et les emplois entre les universités ;

- l'autre, en juillet 2009, de nos collègues Philippe Adnot et Jean-Léonce Dupont, faisait un premier bilan et proposait quelques adaptations, pour la plupart mises en oeuvre.

Nous avons débuté notre contrôle il y a un an. Face à la masse d'informations recueillie et aux réponses souvent partielles, parfois déconcertantes, au questionnaire budgétaire que nous avions adressé à chaque université, nos travaux ont connu une période d'hésitation sur l'orientation à donner à notre rapport.

Le sujet demeure plus que jamais d'actualité avec, d'une part, le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche que nous examinerons très prochainement et, d'autre part, la réforme annoncée du système de financement des universités, « SYMPA », prévue pour cette année, avec une application en 2014.

Aujourd'hui se posent deux questions essentielles :

- la première est de savoir si SYMPA a réellement permis de réduire les inégalités entre universités. On va voir que non. Nous serons amenés à faire des propositions et à ouvrir des pistes de réflexion pour que ces inégalités soient effectivement réduites ;

- la seconde question est de savoir comment, en période de forte contrainte budgétaire, développer les ressources propres des universités.

Je vais d'abord rappeler quelques ordres de grandeur. Les ressources des universités, de plus de 10 milliards d'euros, proviennent en quasi-totalité du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les ressources propres (comme la rémunération des prestations ou les droits de scolarité) n'en représentent qu'environ qu'1 milliard.

La question du financement des universités est donc avant tout celle de la répartition des moyens consentis par l'État aux universités.

Sur les 12 milliards d'euros de ressources versées aux universités en 2012 par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche :

- 8 milliards d'euros correspondent à la masse salariale qui a été transférée aux universités lors du passage à l'autonomie ;

- 2 milliards d'euros sont répartis par SYMPA.

J'attire votre attention sur le fait que dans les cas des emplois transférés, SYMPA ne répartit aucune masse salariale. Ce qu'il répartit, ce sont seulement les plafonds d'emplois. La masse salariale a été négociée lors du passage des universités à l'autonomie, et est depuis actualisée chaque année.

M. Philippe Adnot, co-rapporteur. - Nous abordons une étape pas forcément très « sympathique » car nous allons décrire un système complexe qui n'a pas réellement été mis en oeuvre. Le système SYMPA ne concerne que 2 milliards d'euros. Quand on parle des dotations calculées par SYMPA, il faut en réalité distinguer deux choses :

- la « dotation théorique », qui est ce que l'université devrait « normalement » obtenir ;

- et sa dotation effectivement attribuée, qui est aussi calculée par SYMPA, mais après la fixation de divers « curseurs », qui conduisent en pratique à faire en sorte que la dotation attribuée demeure souvent très éloignée de la dotation théorique.

SYMPA gère, d'un côté, un dispositif « de droit commun » qui représente seulement 1,5 milliard d'euros et, de l'autre, d'autres enveloppes additionnelles :

- une « compensation pour sous-dotation d'emplois », qui est l'indemnité que perçoivent les universités ayant un plafond d'emplois inférieur au plafond théorique calculé par SYMPA. L'indemnité est de 25 000 euros par emploi manquant (soit évidemment beaucoup moins que le coût d'un emploi) ;

- une enveloppe destinée à financer l'équivalence entre travaux dirigés et travaux pratiques ;

- le « plan licence », qui a pour objet de favoriser la réussite en licence ;

- l'excédent d'initialisation, qui est le coût de la « garantie de non baisse » par rapport à 2008 des dotations des universités sur-dotées.

Notre ambition, au début de ce contrôle, était d'obtenir une photographie la plus exacte possible des moyens financiers réellement mis à disposition des universités. On a lancé une grande enquête à laquelle tous les établissements n'ont pas répondu et dont les données ont été souvent trop partielles, imprécises, mal agrégées voire, pour certaines, inexactes.

Nous vous présentons une diapositive démontrant qu'en moyenne, les universités ont un nombre d'étudiants par enseignant très différent selon le type auquel elles appartiennent, le taux d'encadrement étant sensiblement plus élevé pour les formations scientifiques.

Dans le cas des crédits, les modalités de répartition retenues pour l'enveloppe de droit commun conduisent à privilégier légèrement l'enseignement et la performance par rapport à la recherche et à l'activité, mais je rappelle que nous discutons de la distribution d'une enveloppe de seulement 2 milliards d'euros sur les 12 milliards d'euros de ressources totales perçues par les universités. Précisons qu'il s'agit d'une dotation globalisée, que l'université est libre de répartir comme elle l'entend entre ses différentes composantes.

Dans un second temps, chacune de ces enveloppes est répartie entre les 76 universités proportionnellement à la part de l'université concernée dans l'indicateur correspondant. Par exemple, dans le cas de l'enveloppe « activité niveau licence », l'indicateur retenu est le nombre d'étudiants de licence présents aux examens, pondéré en fonction de la classe de formations et majoré d'un coefficient pour prendre en compte les boursiers. Dans le cas de la dotation pour 2009, l'université de Lyon I représentait 2,39 % du nombre d'étudiants en licence ainsi mesuré. Les crédits devant lui être alloués au titre de l'enveloppe concernée étaient donc de 2,39 % de 353,5 millions d'euros (montant de l'enveloppe au niveau national), soit 8,4 millions d'euros.

Dans le cas des plafonds d'emplois, le mécanisme est exactement le même, en son principe, que pour les crédits. Dans un premier temps on répartit les emplois entre différentes enveloppes au niveau national puis on les répartit entre universités en fonction d'indicateurs. Je rappelle que nous parlons du volet « emplois », mais que le financement de ces emplois est « hors enveloppe » car il ne relève pas de SYMPA.

J'en viens maintenant à un bilan de SYMPA. Je vous réponds tout de suite que le modèle n'a pas permis de réduire les inégalités entre universités. Pour la raison suivante : dès lors que l'on a annoncé, un peu comme pour les collectivités territoriales, la garantie du maintien du budget existant et qu'en même temps, l'enveloppe globale stagne, il n'existe aucun moyen supplémentaire disponible pour procéder à des rattrapages. Dans le cas des emplois, un redéploiement d'une ampleur très limitée est intervenu en 2009, mais il n'a porté que sur 150 emplois.

Toutes les personnes que nous avons rencontrées nous ont rappelé qu'il n'est pas pertinent de parler d'universités « sur-dotées », en reconnaissant qu'il existait certes des situations plus « confortables » que d'autres. Mais vous comprendrez bien qu'à partir du moment où il n'y a pas de reprise sur des excédents, il n'existe pas de moyens pour effectuer une redistribution. La portée redistributive du modèle SYMPA est d'autant plus limitée qu'elle concerne la répartition de seulement deux milliards d'euros.

On constate également que les universités sous-dotées en crédits et sous-dotées en emplois tendent à être les mêmes. En clair, quand ça va déjà mal au plan des crédits, ça ne va pas mieux en emplois... L'université la moins dotée est à 60 % de son plafond d'emplois théoriques, quand la mieux dotée est à 140 %.

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Je rappelle que certaines des universités qui apparaissent, selon le graphique que nous vous avons présenté, les mieux dotées en emplois, sont aussi celles qui ont intégré un institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) comme composante, cette intégration ayant eu un effet non négligeable sur la progression des emplois au sein des universités.

M. Philippe Adnot, co-rapporteur. - Effectivement, tous les IUFM ont été intégrés aux universités mais toutes les universités n'ont pas un IUFM.

Pour que vous ayez à l'esprit des ordres de grandeur, nous avons estimé qu'un rattrapage complet exigerait le redéploiement de 5 000 emplois et de plus de 300 millions d'euros (y compris la masse salariale des emplois redéployés).

En 2013, le Gouvernement a décidé de créer 1 000 emplois dans l'enseignement supérieur. Ces emplois ont été répartis, en s'appuyant sur SYMPA mais sans l'appliquer strictement, entre les seules universités sous-dotées. Pour rappel, en 2009, 150 emplois avaient été redéployés mais depuis plus aucun.

Je rappelle que, quand on redéploie un emploi, on réduit l'écart entre universités sur-dotées et sous-dotées de deux emplois, alors que, si on se contente d'augmenter d'un emploi ceux des universités sous-dotées (sans réduire à due concurrence ceux des universités sur-dotées), on ne réduit les inégalités que d'un emploi. Autrement dit, pour supprimer les inégalités simplement en créant des emplois concentrés sur les universités sous-dotées, ce n'est pas 5 000 emplois qu'il faut créer (comme en cas de redéploiements), mais 10 000.

Nous allons dans quelques instants vous présenter un certain nombre de pistes de réflexion qui pourront susciter chez vous quelques réactions. Je précise que, de notre côté, nous n'avons pas non plus dégagé de consensus sur chacune des propositions.

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Les 1 000 emplois annoncés pour l'année 2013 ne sont pas forcément tous des emplois nouveaux, vous pourrez parfois entendre dans vos territoires qu'une partie de ces emplois a pu être affectée à des postes longtemps restés non provisionnés et laissés vacants.

Nous nous sommes également penchés sur les autres sources de financement des universités, en relevant l'importance croissante des crédits extrabudgétaires, y compris ceux provenant d'opérateurs de l'État, qui sont venus abonder le plan Campus, les investissements d'avenir, mais aussi un certain nombre de contrats non pérennes...

Nous avons quelques divergences avec mon collègue Philippe Adnot sur les pistes à emprunter pour réduire les inégalités.

M. Philippe Adnot, co-rapporteur. - Les conditions ne sont pas aujourd'hui réunies pour procéder à un rattrapage.

La première solution consiste à élargir l'enveloppe de SYMPA, en y réintroduisant au moins 90 % de la masse salariale. En considérant qu'un emploi coûte en moyenne 60 000 euros, le redéploiement des 5 000 emplois nécessaires au rattrapage représente un coût de 300 millions d'euros, à condition qu'il y ait bien le transfert d'un certain nombre d'emplois des universités les mieux dotées vers les universités les moins bien loties. Si nous maintenons les moyens existants de chaque université, ce seront 600 millions d'euros qui seront nécessaires.

Une des choses essentielles que je propose est d'inscrire les principales caractéristiques du modèle SYMPA dans la loi, afin qu'il ne soit plus contourné.

Il serait également souhaitable de reverser les 200 millions d'euros du plan licence et du financement de l'équivalence entre travaux dirigés et travaux pratiques dans l'enveloppe de droit commun, de prévoir un redéploiement annuel minimum, de laisser au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les indicateurs et, sous réserve de la règle de redéploiement minimum, la progression minimale par université, et, enfin, d'améliorer la transparence par le biais d'un rapport annuel au Parlement indiquant les crédits théoriques et effectifs de chaque université.

La possibilité d'un redéploiement est subordonnée au caractère équitable des critères mis en oeuvre par le système SYMPA, ce qui suppose, entre autres, de mieux prendre en compte la recherche clinique, les implantations sur plusieurs sites, d'augmenter le nombre de classes de formations prises en compte par la pondération ou encore de tirer les conséquences de la disparition des notations des unités de recherche par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES).

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Les propositions de Philippe Adnot présentent une certaine efficacité du point vue financier et comptable mais, compte tenu de l'extrême sensibilité du milieu, pourraient courir le risque d'être mal accueillies en conduisant certaines universités, considérées par SYMPA comme très bien dotées, à se sentir injustement stigmatisées par la seule comparaison avec les moins bien servies par le système. L'intégration de la masse salariale dans le système SYMPA doit constituer, à terme, le meilleur moyen pour les universités d'exercer pleinement leur autonomie. Néanmoins, à l'heure actuelle, trop peu d'universités sont suffisamment armées dans la maîtrise des fonctions support pour exercer pleinement la responsabilité de gestion de la masse salariale. C'est pourquoi certaines propositions me semblent prématurées étant donné l'état d'avancement des universités dans leur degré de maîtrise de l'autonomie en pilotage et en gestion.

Nous avons également exploré d'autres possibilités de développement des ressources des universités, en particulier en ce qui concerne leurs ressources propres.

Les universités n'ont pas encore la culture de la comptabilité analytique, qui est pourtant une obligation légale, amplement déclinée dans les décrets. Elles disposent bien du logiciel SIFAC, mais elles ne sont que très peu à pouvoir établir un bilan consolidé de leurs recettes et de leurs dépenses et donc à pouvoir objectiver le coût de leurs activités. Je me suis longuement étendue sur cet enjeu dans mon rapport d'information avec notre collègue Ambroise Dupont sur le contrôle de la mise en oeuvre de la loi du 10 août 2007, dite « loi LRU » : seulement quatre établissements ont déployé la comptabilité analytique sur l'ensemble de leurs activités et quatre sont en cours de formation-action pour un déploiement prévu en juin 2013.

L'interopérabilité entre les systèmes d'information doit constituer un objectif prioritaire afin de garantir une vision consolidée des moyens de chaque composante et l'obligation réglementaire de transparence des moyens des unités mixtes de recherche doit être enfin appliquée. Il est également indispensable de mettre en place un référentiel d'informations comptables et financières commun aux universités et aux organismes afin de favoriser la circulation de l'information.

Il convient, en outre, de rationaliser le recours aux financements sur projet. Il s'agit de disposer d'une meilleure visibilité sur les projets soutenus par l'Agence nationale de la recherche (ANR), les différents partenaires associés et l'état de leurs engagements respectifs. Nous insistons sur la nécessité d'encourager et d'accompagner les projets de recherche prometteurs non sélectionnés par l'ANR, en les redirigeant en particulier vers les programmes européens ou les appels d'offre des collectivités territoriales.

L'objectif consiste à faire du financement sur projet un levier de progrès et de stimulation et non une charge de gestion a priori, en renforçant l'assistance technique en ingénierie de projet, en allégeant la charge administrative associée aux financements sur projet, en rationalisant la pratique du cofinancement et en généralisant la présentation des projets en coûts complets dans les contrats de recherche.

Les pistes à explorer concernant la diversification des sources de financement portent, en particulier, sur le développement des prestations de formation continue qui doivent être tarifées au coût réel, les recettes de mécénat et la levée de fonds au travers des fondations, l'agrément des universités comme organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage ou encore la prise de participations dans des sociétés.

Mon collègue Philippe Adnot propose d'agir sur les droits de scolarité. En France, les droits de scolarité sont quatre fois plus faibles que dans les autres États européens. Porter les droits de scolarité à la moyenne européenne (soit 600 euros par étudiant) permettrait d'augmenter les ressources des universités de 900 millions d'euros. Je note que d'autres études montrent, pour leur part, que la différenciation des droits de scolarité permettrait de poursuivre une politique de bourses plus attractive et équilibrée. En ce qui me concerne, je réfléchis, dans un autre cadre, à une modulation des droits d'inscription pour les étudiants étrangers en fonction des conventions conclues avec les pays d'origine en vue d'améliorer la qualité de l'accueil et des services proposés à ces étudiants.

Nous avons intérêt à entrer dans ce débat dans une logique d'analyse rigoureuse et équilibrée, et sans dogmatisme, au risque de refermer rapidement un sujet potentiellement « détonant ».

M. Philippe Adnot, co-rapporteur. - Ma proposition sur les droits d'inscription est destinée à faire réagir. Si on n'entend pas remettre en cause ce qu'ont obtenu jusqu'ici les universités, c'est-à-dire en l'absence de redéploiement des dotations des universités mieux dotées vers les universités moins bien dotées, et compte tenu de la conjoncture actuelle qui ne permet pas au Gouvernement de disposer de marge de manoeuvre budgétaire, combien de temps encore faudra-t-il attendre pour espérer améliorer la situation ?

L'augmentation des droits d'inscription permettrait de dégager des moyens en faveur des établissements les moins bien dotés, sans en prendre aux mieux dotés. Je rappelle qu'à l'heure actuelle, les droits de scolarité en licence s'établissent à 180 euros en France. Lequel d'entre nous n'a pas inscrit un de ses enfants à une association sportive pour un montant bien supérieur ?

La faiblesse des droits de scolarité peut conduire à une certaine déresponsabilisation chez quelques étudiants qui cherchent, dans l'inscription à une université, un statut social plutôt qu'autre chose. Il me semble qu'on s'investit d'autant plus dans un projet qu'on y attache de la valeur. Si nous comparons nos universités avec leurs homologues européennes, nous constatons que la seule différence notable porte effectivement sur les droits d'inscription. Je doute de l'argument selon lequel l'augmentation des droits d'inscription porterait atteinte à notre attractivité universitaire, car je rappelle que de nombreux étudiants étrangers sont prêts à s'engager dans des études extrêmement coûteuses parce qu'ils privilégient avant tout la qualité et la valeur des diplômes offerts par certains de nos concurrents.

Naturellement, la contrepartie à cette augmentation devrait être une politique généreuse de bourses et de prêts.

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Pour conclure, j'insisterai, comme mon collègue, sur la nécessité de disposer, plus que jamais, d'une vision consolidée de l'ensemble des ressources disponibles des établissements d'enseignement supérieur. S'il ne fait pas de doute que le rattrapage des moyens consacrés par étudiant par an doit se poursuivre, nous devons connaître précisément chaque source de financement disponible et son dynamisme afin de pouvoir effectuer les ajustements et les rattrapages qui s'imposent dans des conditions d'équité.

Le dynamisme des ressources propres doit certes être encouragé, mais il ne constituera jamais la panacée pour des universités qui doivent assumer des missions de service public plus que jamais prioritaires (réussite en licence, formation tout au long de la vie, culture scientifique...) et accompagner l'effort de redressement de la nation en favorisant l'accès du plus grand nombre à une formation de qualité. La première des priorités demeure le rattrapage des universités sous-dotées dont les effectifs ont augmenté sans que leurs moyens récurrents aient été augmentés à due concurrence.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous voici accablés de chiffres et de déceptions sur le système de péréquation et de non consensus sur les pistes à suivre.

M. Jean-Léonce Dupont. - Nous partons d'un système très inégalitaire. Sous le système SAN REMO, l'inégalité était entretenue par deux critères de financement qui étaient le nombre d'étudiants inscrits le jour de la rentrée et le nombre de mètres carrés par étudiant. Notre ambition, avec Philippe Adnot, modérée, a été de diminuer ces inégalités.

Nous avons le choix entre deux systèmes radicaux : s'aligner sur les établissements les moins favorisés, ce qui est injouable, ou s'aligner sur les plus favorisés, ce qui n'est pas tenable dans le contexte budgétaire actuel. Il existe aussi une solution médiane en s'orientant vers des critères plus objectifs que ceux existants. On voit tout de suite des réactions défensives de la part de ceux qui sont les mieux dotés. On aspire à une démarche qualitative. Mais en réalité, avons-nous réellement la capacité de redistribuer de façon plus volontariste un certain nombre de moyens ?

Une seconde question se pose sur la volonté réelle de notre administration centrale de donner à nos universités la capacité de gérer leur autonomie. Il semble que seules quatre ou cinq universités aient la capacité de développer la comptabilité analytique. Il faut absolument faire émerger une ingénierie territoriale. Nous avons l'obligation de réussir en la matière.

Il reste un point que vous n'avez pas évoqué : la dévolution patrimoniale. C'est un levier puissant d'autonomie et une ressource formidable pour nombre d'universités. Respectons le degré d'envie des uns et des autres.

Enfin, j'évoquerai les droits d'inscription. Je pense qu'il faut adopter une approche pratique dans le contexte financier qui est le nôtre pour rééquilibrer les sources de financement. Nous n'avons pas d'autres solutions. Par contre, il faut affiner l'analyse des situations familiales et donc le système des bourses. C'est la contrepartie nécessaire et indispensable. Cela reste le seul moyen pour tenter de rééquilibrer un système qui est par nature déséquilibré.

Mme Corinne Bouchoux. - Ma remarque concerne les droits d'inscription qui constituent, pour de nombreuses universités, un sujet particulièrement sensible avec une charge émotionnelle forte. Je vous alerte sur ce risque. C'est un sujet ultra-sensible et politiquement clivant.

Ma question porte sur la participation des contribuables au financement des universités, qui n'est pas sue, ni comprise. Attention aux bonnes idées qui génèrent parfois des coûts financiers importants.

M. Jacques Legendre. - Je m'interroge sur la question de la gratuité pour les étudiants étrangers en France. La question de l'attractivité peut être perçue comme un moyen d'influence à l'extérieur. Au nom de la démocratisation de l'enseignement supérieur, ne serions-nous pas fondés à faire payer à prix coûtant ceux que nous recevons chez nous ? Certains étudiants étrangers ont tout à fait la capacité de payer leurs études. Parallèlement, notre capacité à attribuer des bourses est bien insuffisante. Or, nous avons le devoir de donner à nos jeunes les moyens d'accéder aux études supérieures dans les meilleures conditions, et je suis favorable à la possibilité de permettre aux universités de facturer les études au juste prix.

M. Claude Domeizel. - J'ai retenu l'aspect des droits d'inscription : on parle de 900 millions d'euros supplémentaires. Je partage l'avis de certains collègues pour reconnaître qu'il s'agit là d'un sujet explosif. Il y a des précautions à prendre. Cette question que vous abordez dans le rapport ne doit pas être taboue mais doit être assortie d'autres propositions. Il faut envisager une réflexion sur les bourses et sur la péréquation entre les universités.

M. Michel Berson. - Trois éléments m'interpellent :

- dans la présentation par les rapporteurs des différents modes de financement, a peu été évoqué le rôle des collectivités territoriales, si ce n'est une somme de 300 millions d'euros qui me semble, du reste, faible quand on sait que nombre de régions, de départements, de communautés urbaines et d'agglomérations participent fortement au financement de certaines universités. Il serait utile de connaître, par académie et par université, les financements accordés par les collectivités qui, dans certains cas quand ils sont rapportés à une université, sont sans doute substantiels. Les collectivités territoriales, en presque dix ans, ont multiplié par deux leur effort de financement en faveur de la recherche ;

- il est tentant d'envisager d'augmenter les droits d'inscription afin d'en tirer des ressources supplémentaires de 900 millions d'euros, somme qui correspond à peu près au besoin de financement de l'enseignement supérieur et de la recherche, estimé à 1 milliard d'euros (deux fois 500 millions d'euros). Toutefois, je doute qu'il faille examiner le problème sous le seul angle des ressources supplémentaires. Il ne semble certes pas scandaleux d'augmenter des droits de scolarité considérés comme très bas pour les rapprocher de la moyenne européenne, mais cela suppose en contrepartie une forte augmentation des moyens budgétaires en faveur des bourses, voire la mise en place d'une allocation d'autonomie. Une fois le financement de ces garanties sociales assuré, il serait possible de réfléchir à une augmentation des droits d'entrée. Pour autant, je ne suis pas certain que cela permettrait aux universités de dégager des ressources additionnelles très importantes dès lors que l'État serait contraint, dans le même temps, à effectuer des redéploiements budgétaires ;

- en matière de recherche de nouvelles sources de financement, je plaide, pour ma part, depuis un an, pour l'utilisation d'une partie du crédit impôt recherche (CIR). D'un montant de 2,8 milliards d'euros en 2008, le CIR est passé à cinq milliards d'euros en 2011-2012 et devrait atteindre six milliards d'euros en 2013-2014. Je suis très favorable au CIR, j'ai eu l'occasion de répondre à un certain nombre des critiques infondées à son sujet. Mais l'augmentation significative de son enveloppe en l'espace de quatre à cinq ans devrait nous conduire à plafonner le CIR aux alentours de cinq milliards d'euros, afin de disposer de ressources de l'ordre d'un milliard d'euros, à la condition que celles-ci ne soient pas captées par le Trésor public mais soient affectées à l'enseignement supérieur.

M. Michel Le Scouarnec. - Le sujet des droits d'inscription est très sensible. Il ne faut pas perdre de vue la nécessité de poursuivre la démocratisation de l'université. On peut concevoir une réflexion sur cette question en même temps que sur celle des bourses, mais dans le cadre d'une indispensable concertation avec les organisations syndicales, étudiantes et les représentants des familles. Les idées avancées par M. Legendre concernant les étudiants étrangers peuvent également faire l'objet d'une réflexion approfondie.

Il n'en demeure pas moins que l'État ne pourra pas faire l'économie d'une augmentation des moyens en faveur des universités, prioritairement en faveur de celles qui sont les moins bien loties. On ne peut pas effectivement parler d'universités « sur-dotées », et il ne doit pas s'agir de les déshabiller.

Compte tenu de la situation de plus en plus précaire de nombre de familles, l'élaboration d'une politique efficace de bourses apparaît indispensable afin de garantir la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur.

M. François Trucy, vice-président. - J'adresse aux rapporteurs mes très sincères félicitations pour un travail nourri qui s'inscrit dans la lignée d'autres rapports communs qui ont associé membres de la majorité et de l'opposition, issus de plusieurs commissions. Une petite question : qu'est-ce qui justifie le rééquilibrage entre la licence et le master ?

Par ailleurs, je partage l'irritation de Jean-Léonce Dupont sur le fait que seulement quatre universités ont jusqu'ici mis en place la comptabilité analytique, nous devons nous montrer fermes sur ce sujet.

Mme Dominique Gillot, co-rapporteure. - Le système tel qu'il existe aujourd'hui a-t-il une réelle capacité à redistribuer ? Nous voyons bien que les blocages sont nombreux. Il nous faut avancer prudemment, pour que nos propositions soient acceptées, sans négliger l'importance de la volonté politique qui doit les accompagner. Sur les droits d'inscription, l'analyse de Philippe Adnot s'appuie sur des études comparatives très prudentes et ne fait des projections qu'au conditionnel. Moi-même je reste très prudente sur les possibilités d'ouverture en ce qui concerne la modulation des droits d'inscription pour les étudiants étrangers en fonction de l'état des relations conventionnelles avec les pays partenaires. Force est de constater que dès que l'on aborde ce sujet, de nombreuses craintes s'expriment sur une protestation vive de la part des étudiants.

À partir du moment où l'on convient qu'une meilleure connaissance des coûts de fonctionnement et des recettes appelées à les couvrir est incontournable, il ne doit pas y avoir de sujet tabou, il faut être capable de tout examiner. À l'évidence, si les pistes de réflexion du rapport sont mal interprétées et que certaines phrases sont sorties de leur contexte comme un chiffon rouge sous le nez des étudiants, il y a fort à craindre que les esprits vont s'échauffer. Notre rôle de parlementaires est de réfléchir, en nous affranchissant des idées préconçues.

L'administration n'a pas freiné le développement des fonctions support en matière de pilotage budgétaire et financier, mais elle ne l'a pas pour autant soutenu ni accompagné. D'où le désarroi de certaines universités face à la complexité des responsabilités qui leur étaient confiées. Plusieurs ont dû acquérir seules ces compétences techniques, en l'absence d'outils communs opérationnels développés par l'Agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur (AMUE).

Pour répondre à notre collègue Jean-Léonce Dupont, la dévolution du patrimoine peut effectivement constituer un levier puissant, notamment en termes d'économies dans la rationalisation des surfaces utilisées. Mais peu d'universités sont aujourd'hui capables de gérer du foncier. Il convient, en premier lieu, de renforcer en leur sein les fonctions support de gestion immobilière.

M. Philippe Adnot, co-rapporteur. - La dévolution du patrimoine est possible si elle ne concerne qu'un nombre limité d'universités. Si toutes le demandaient, je ne vois pas comment l'État pourrait rassembler toutes les dotations pour amortissement nécessaires. Or, je rappelle que cette dotation avait été calculée par rapport à ce que l'État consentait chaque année pour l'entretien des bâtiments des universités, ce qui était déjà considéré comme très insuffisant.

Aujourd'hui, les collectivités territoriales interviennent en grande partie dans l'immobilier universitaire, beaucoup plus que dans leur fonctionnement. Je préside une collectivité qui est sans doute parmi les seules à attribuer une dotation de fonctionnement non affectée à l'université, car en général les collectivités territoriales consentent à un soutien financier sur une opération bien précise : construire un laboratoire, prendre en charge un doctorat... À travers les contrats de plan, les collectivités territoriales ont beaucoup investi dans l'immobilier. À qui revient-il, dans ces conditions, de transférer aux universités les dotations pour amortissement au titre des bâtiments construits ?

Les moyens pour la licence ne sont pas les mêmes que ceux mis à disposition du master pour la raison suivante : on ne se situe pas sur le même type d'enseignement. En même temps, si les moyens sont moins importants pour le niveau qui nécessite le plus d'encadrement, il serait utile de réfléchir à un rééquilibrage entre les niveaux de formation.

J'ai noté que vous étiez assez nombreux à être favorables à une réflexion sur l'évolution des droits d'inscription pour les étudiants étrangers. À mon sens, peu de gens ont même conscience que les frais d'inscription à l'université en France sont aussi faibles. Les droits d'inscription au Royaume-Uni atteignent, je vous le rappelle, 10 000 euros.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je relève l'unanimité exprimée par nos deux commissions sur la nécessité de généraliser la comptabilité analytique et de développer des outils de gestion communs. En revanche, aux rapporteurs de trouver les mots justes sur les sujets et les propositions qui n'ont pas fait l'objet d'un consensus.

Mes chers collègues, autorisez-vous la publication du rapport qui vient de vous être présenté ?

À l'unanimité, il est décidé d'autoriser la publication du rapport.