Mercredi 3 avril 2013

- Présidence de M. Serge Larcher, président -

Audition de M. Dominique Baudis, Défenseur des droits

M.  Serge Larcher, président.- Monsieur le Défenseur des droits, Cher Dominique Baudis, la Délégation à l'outre-mer du Sénat est heureuse de vous accueillir aujourd'hui, en particulier à la veille d'un débat en séance publique qui engage fondamentalement les droits des personnes.

Mais nous n'allons pas anticiper sur ce débat et nous nous concentrerons aujourd'hui sur la question du respect des droits de nos concitoyens dans les outre-mer mais aussi du respect des droits des ultramarins qui résident dans l'hexagone.

L'autorité indépendante que vous présidez depuis juin 2011 est inscrite dans la Constitution depuis le 23 juillet 2008 et instituée par la loi organique et la loi ordinaire du 29 mars 2011 : elle regroupe les missions précédemment exercées par le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité (HALDE) ainsi que la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS). Autant dire que le champ de votre mission est immense !

En dépit de la diversité de vos champs d'investigation et de l'afflux des demandes qui vous sont adressées, vous avez su porter, depuis votre prise de fonctions, une attention soutenue à la situation de nos concitoyens d'outre-mer : vous avez ainsi, en juin dernier, dénoncé les pratiques discriminatoires à l'égard des habitants des outre-mer en matière de prêts bancaires et de cautions immobilières et, en fin d'année dernière, vous vous êtes rendu à Mayotte où vous avez pu constater l'état d'abandon et de détresse de si nombreux enfants !

Mais je n'empièterai pas davantage sur votre présentation. Avant de dresser votre constat relatif au respect des droits des ressortissants des outre-mer, merci de rappeler très concrètement les axes de votre mission et les moyens dont vous disposez pour en assurer la mise en oeuvre, en particulier dans nos outre-mer.

Nous sommes à votre écoute.

M. Dominique Baudis, Défenseur des droits.- Merci. Je vais commencer par vous présenter les quatre missions du Défenseur des droits :

- les relations entre les citoyens et les administrations (de l'État, des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale et de toute structure dédiée à un service public), qui étaient les missions de l'ancien Médiateur de la République né en 1973 ;

- la défense de l'enfant : il m'appartient de veiller à ce que la Convention internationale des droits de l'enfant soit pleinement appliquée dans notre pays. C'était la mission d'une institution spécifique - le Défenseur des enfants - qui avait été créée en 2000 dans la logique de la mise en oeuvre de cette convention internationale ;

- la déontologie des forces de sécurité (police, gendarmerie, administration pénitentiaire, police municipale, sociétés privées de surveillance), qui relevait auparavant de la commission nationale de déontologique de la sécurité, créée en 2000 également ;

- la lutte contre les discriminations, et la promotion de l'égalité, qui relevaient de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Egalité (HALDE) créée en 2005.

La réforme constitutionnelle de 2008 a introduit dans la Constitution le Défenseur des droits, et la loi organique de 2011 a tracé le périmètre de ses compétences en incluant ces quatre missions et par conséquent en mettant à sa disposition les équipes de ces quatre structures, soit 230 collaborateurs au siège national parisien, pour l'essentiel des juristes, et un réseau de 450 délégués territoriaux, qui rassemble les réseaux de l'ancien Médiateur de la République (300 délégués), de la HALDE (une centaine de délégués) et du Défenseur des enfants (une quarantaine). Je voudrais souligner tout le mérite de ces délégués territoriaux, qui sont bénévoles, mais qui ont aussi une grande compétence. 80 % d'entre eux sont d'anciens fonctionnaires et 20 % viennent du secteur privé et libéral. La plupart (80 %) viennent de prendre leur retraite et s'engagent dans cette mission en la faisant bénéficier de leurs compétences et de leur carnet d'adresses. Ce sont souvent d'anciens responsables d'entreprises, proviseurs de lycée, directeurs d'administration fiscale départementale... qui se mettent, du jour au lendemain, derrière un guichet pour recevoir les réclamations d'administrés souvent exaspérés. Ils jouent un rôle irremplaçable, car les 2/3 des 80 à 90 000 réclamations que nous recevons annuellement sont traitées localement par eux. Les délégués territoriaux expliquent aux citoyens les raisons de la décision administrative. Dans la majorité des cas, il s'agit d'une erreur administrative. Quand un dossier est porté par un délégué du Défenseur des droits, l'administration considère en général qu'il a été sérieusement étudié. Les délégués territoriaux permettent ainsi aux administrés d'être plus facilement entendus par l'administration.

Le réseau des délégués en outre-mer est le suivant : 5 personnes en Guadeloupe, 4 en Martinique, 4 en Guyane plus un permanent à temps plein pour les trois « départements français d'Amérique » (nous envisageons d'avoir deux permanents, l'un pour les Antilles, l'autre pour la Guyane), 6 à La Réunion, 2 à Mayotte, 2 en Polynésie, 2 en Nouvelle-Calédonie et 1 à Saint-Pierre-et-Miquelon. Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont couverts par l'équipe de la Guadeloupe. Nous n'avons pas, pour l'instant, d'implantation à Wallis-et-Futuna.

Au cours de l'année qui vient de s'écouler, nous avons beaucoup travaillé à Mayotte, département certainement le plus déshérité des 101 départements français. De nombreuses missions, dont une sénatoriale, s'y sont rendues. Notre constat converge avec ceux dressés par ces missions, notamment celui établi par la mission conduite par la commission des lois du Sénat.

Nous formulons des recommandations et des propositions, axées tout particulièrement sur la situation des enfants, tragique à Mayotte. Nous proposons aussi de débloquer des financements en priorité à cette fin. Or, l'année prochaine, en 2014, Mayotte bénéficiera en tant que RUP (Région ultra-périphérique) de financements européens importants. Ces financements devront nécessairement être utilisés à Mayotte, sous peine d'être perdus faute de projets structurés, cohérents et suffisamment précis présentés à Bruxelles. L'enveloppe a d'ailleurs déjà été ramenée de 400 à 250 millions d'euros dans les négociations relatives au plan de financement pluriannuel 2014-2020. Il est donc urgent que Mayotte présente des projets, et en premier lieu concernant les enfants, en très grande détresse.

J'en viens au bilan des activités du Défenseur des droits dans l'ensemble de l'outre-mer. Le premier constat est que les populations ultramarines recourent moins que celle de l'hexagone au Défenseur des droits. Un millier de dossiers par an nous viennent des citoyens ultramarins, soit environ 1,5 % du total des dossiers que nous recevons, alors que les ultramarins représentent 4 % de la population française. Or, on trouve en outre-mer des situations d'enfants en péril, de difficultés avec l'administration, de discriminations, et éventuellement des manquements à la déontologie de la sécurité, donc au moins autant de problèmes que dans l'hexagone ! Si les ultramarins saisissent moins le Défenseur, qui est une voie gratuite d'accès au droit, c'est par manque d'information. C'est pourquoi il m'a semblé important de venir m'exprimer devant votre délégation.

Qualitativement, 630 demandes sur les 1 000 relèvent de difficultés avec les pouvoirs publics ; plus de 200 sont relatives à des discriminations ; une cinquantaine au titre de la mission de défense de l'enfant ; une dizaine au titre de la déontologie des services de sécurité avec notamment deux affaires récentes à Mayotte.

Venons-en à la répartition des demandes par département : les difficultés de traitements de demandes sur les droits des étrangers concernent la Guyane, Mayotte, et dans une moindre mesure La Réunion. Certains grands établissements pénitentiaires posent des problèmes en Guyane et Martinique. Les saisines sont prépondérantes dans le domaine de la lutte contre les discriminations à l'embauche (80 % des demandes que nous recevons), particulièrement dans les emplois publics. En Guyane, on déplore un manque de place dans les établissements pour enfants souffrant de handicaps. Et Mayotte concentre tous les problèmes.

S'agissant à présent des ultramarins résidant dans l'hexagone, nous recevons deux types de réclamations : refus d'accès à un bien (le logement) ou à un service (le crédit). Une agence de location immobilière a ainsi refusé de prendre en compte une garantie venant d'une banque antillaise. Nous sommes intervenus auprès de tous les acteurs du secteur immobilier pour les sensibiliser au caractère discriminatoire de ce refus de location, ce qui s'est révélé très efficace. L'accès au crédit est un autre problème. Se dégage de ces discriminations dans les secteurs de l'immobilier, bancaire et du crédit, l'impression que les départements d'outre-mer ne sont pas reconnus comme des départements français à part entière ! Nous allons développer, avec les associations et Mme Sophie Élizéon, déléguée interministérielle pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer, des actions de sensibilisation pour faire savoir aux ultramarins résidant dans l'hexagone qu'ils peuvent faire appel au Défenseur des droits. Nous ne sommes cependant compétents que sur le volet discrimination, et non sur le racisme en général. Je suis convaincu que notre institution peut se déployer davantage, à condition que son existence soit reconnue et que les citoyens sachent dans quelles conditions ils peuvent nous saisir.

M. Serge Larcher, président.- Si les ultra-marins vous saisissent peu, c'est parce qu'ils ont l'habitude de s'adresser à l'élu de leur département. Votre institution soulagerait ses tâches !

M. Dominique Baudis.- Nous traitons tous les dossiers que nous recevons, y compris ceux qui transitent par un élu. Avant la réforme du Défenseur des droits, quand le Médiateur de la République a été créé dans les années 1970, le citoyen ne pouvait d'ailleurs s'adresser à lui que par l'intermédiaire de son parlementaire. La réforme a élargi ses droits. De nombreux parlementaires nous transmettent encore des dossiers, ne serait-ce que parce certains exigent beaucoup de recherches. N'hésitez pas à nous transmettre les dossiers difficiles qui relèvent de notre compétence !

M. Joël Guerriau.- Quelles sont vos prérogatives pour faire appliquer le droit ? La grande majorité de vos interventions est liée à des difficultés avec l'administration ; n'y a-t-il pas un recoupement avec le Médiateur de la République ?

Ensuite, à Mayotte, quelles missions avez-vous remplies ? Quelles ont été vos difficultés ?

M. Dominique Baudis.- Le Médiateur de la République n'existe plus, le Défenseur des droits ayant repris ses compétences et ses équipes. L'éventail de nos modes d'action juridiques est large : de l'accord amiable jusqu'à une intervention dans un contentieux devant une juridiction civile, pénale, administrative, y compris au plus haut niveau judiciaire. Nous sommes habilités à déposer des observations devant un tribunal. Nous ne sommes pas partie au procès, mais nous apportons officiellement notre contribution à l'élaboration de la décision de justice. Nous choisissons le mode d'action en fonction de l'intérêt du réclamant et de la nature du dossier.

Le Défenseur des droits a des moyens d'enquête et d'investigation étendus : il peut procéder à une vérification sur place dans des locaux publics et privés ; aucun secret, à l'exception du secret défense, ne peut lui être opposé ; les personnes ne peuvent se soustraire à ses convocations ; il ne peut pas infliger d'amendes, mais a la faculté de publier, le cas échéant au Journal officiel, un rapport spécial sur une affaire qui ne se serait pas conclue selon ses observations. En général, notre préférence va à la médiation, ce qui est le cas le plus fréquent (80 %). Mais une centaine de fois par an, nous allons au tribunal, représentés par un avocat. 90 % des jugements vont dans le sens de nos observations.

Les problèmes de Mayotte sont indissociables de ceux des Comores, où je me rendrai dans un mois, dans un contexte non gouvernemental, la francophonie. Les Comores viennent de créer une institution de défense des droits de l'homme, qui n'a pas de moyens et qui demande une aide. Je vais essayer d'amorcer avec eux des relations qui permettraient de déboucher sur un dialogue politique, et d'aborder des sujets comme celui des enfants.

À Mayotte, rien ne va... mais des actions peuvent être réalisées rapidement. C'est le département français le plus concerné par l'immigration. Or, l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas d'antenne à Mayotte ! De même, les problèmes concernant les enfants sont innombrables, alors qu'il n'y a pas d'union départementale des associations familiales. Il existe environ 3 000 à 4 000 mineurs isolés étrangers, la plupart des Comoriens, dont les parents ont été reconduits aux Comores et ont abandonné leurs enfants à Mayotte. Pour la France entière, ce chiffre est de 6 000 ! 800 de ces enfants isolés à Mayotte n'ont aucun référent et vivent dans les forêts à la lisière des agglomérations. Ils se nourrissent sur les décharges publiques et sont les auteurs d'une petite délinquance de survie. Ils ont aujourd'hui de 12 à 15 ans ; que se passera-t-il quand ils en auront 20 ? Si ce problème n'est pas traité aujourd'hui dans l'urgence, on se prépare un avenir terrible. Il n'existe aucun foyer d'accueil pour l'enfance en danger. Le seul foyer qui existe à Mayotte relève de la protection judiciaire de la jeunesse et ne comptait en 2012 que sept places... Il faut beaucoup plus de moyens qu'ailleurs, alors qu'il y en a beaucoup moins. Dans la perspective des crédits européens qui seront alloués à Mayotte en 2014, les Mahorais devront présenter très vite des projets structurés : il faut affecter ces crédits au traitement de l'enfance en danger !

Mme Catherine Tasca.- En dehors des problèmes de l'immigration et de l'immobilier, y a-t-il d'autres spécificités relatives à l'état des droits en outre-mer ?

M. Dominique Baudis.- Les dossiers que nous recevons d'outre-mer concernent majoritairement les difficultés avec l'administration ; 200 dossiers ont trait à la lutte contre les discriminations, principalement l'accès à l'emploi. Mais en moyenne, un métropolitain nous saisit plus souvent qu'un ultramarin. Les problèmes des ultramarins résidant dans l'hexagone concernent surtout l'accès au logement et au crédit.

M. Richard Senghor, Secrétaire général du Défenseur des droits.- Une très forte proportion de saisines des ultramarins concernent les discriminations en matière d'emploi public. Nous sommes très souvent saisis par des fonctionnaires qui ont des difficultés avec leur hiérarchie, dans les collectivités territoriales notamment. Beaucoup d'élus ne connaissent pas nécessairement la réglementation en matière de discriminations, d'adaptation des postes aux personnes atteintes d'un handicap... On retrouve ces difficultés partout. Mais compte tenu du fort taux d'emploi public en outre-mer, on a une surreprésentation des discriminations en matière d'emploi public, alors qu'en métropole, les discriminations subies par les ultramarins concernent plutôt le secteur privé. Mais la majorité des dossiers qui nous reviennent concernent surtout le refus de crédit.

M. Serge Larcher, président.- Un problème très important est l'absence de rapprochement entre époux quand l'un des deux réussit un concours de la fonction publique et est contraint de déménager. Une autre revendication est, à compétences égales et diplôme égal, de privilégier les personnes sur place en outre-mer. Le Défenseur des droits gagnerait à être davantage connu en outre-mer !

M. Éric Doligé.- Je reviens aux problèmes de financements à Mayotte. La perte irrévocable d'une partie du montant initial de l'enveloppe est très inquiétante compte tenu des besoins considérables. Les Mahorais ne sont pas en mesure d'établir des dossiers cohérents. La métropole va-t-elle les aider à monter ces dossiers ? Une partie des 250 millions d'euros pourra-t-elle être utilisée en dépenses de fonctionnement ? Le coût, en métropole, d'un mineur étranger isolé est de 60 000 euros par an et par enfant ! A-t-on la capacité de créer rapidement des structures pour accueillir ces mineurs étrangers, et en gérer à la fois le « flux » et le « stock » ? Une fois majeurs, c'est l'État qui devra les gérer.

Par ailleurs, il est vrai que la connaissance locale de l'existence du Défenseur des droits est très insuffisante. Peut-on, là aussi, puiser dans les 250 millions d'euros pour y remédier ?

M. Dominique Baudis.- Oui, une partie des crédits RUP peut être utilisée pour des dépenses de fonctionnement. Localement, les dossiers ne sont pas préparés. On a déjà perdu 100 millions d'euros en un an ! Il serait peut-être envisageable, au moins pour deux ou trois ans, que l'État reprenne à Mayotte la compétence de l'aide sociale à l'enfance, exercée par les conseils généraux... 87 à 88 % du budget du conseil général de Mayotte sont dévorés par les dépenses de personnel ! Il ne reste plus que 4 % pour l'ensemble des actions sociales, dont l'aide sociale à l'enfance. Mayotte compte 3 700 agents départementaux, contre une moyenne de 600 pour un département équivalent en métropole ! Cette situation est connue depuis longtemps. Mais maintenant, avec la perspective des financements européens, on peut enfin y remédier. À condition que les Mahorais sachent hiérarchiser leurs priorités, et jugent la situation des enfants plus urgente à résoudre que l'allongement de la piste de leur aéroport, seul projet à l'heure actuelle présenté pour bénéficier des aides européennes... !

Quant à la préparation des dossiers locaux, le préfet peut y apporter une aide.

M. Serge Larcher, président.- C'est très important. Je vous invite à vous pencher sur le sort des enfants à Rio de Janeiro, que les parents arrachent à l'école, comme récemment à Mayotte. Il y a urgence à intervenir.

M. Dominique Baudis.- Il y a quinze jours, des parents mahorais sont intervenus dans une école de Mamoudzou, la capitale, pour en expulser les petits Comoriens. Dans le même temps, les Mahorais emploient clandestinement, à bas prix, les Comoriens en situation irrégulière sur leur sol. La situation est donc ambiguë. À Mayotte, le revenu par habitant est égal à 10 % du revenu moyen français ; mais le revenu par habitant dans les Comores est égal à 10 % du revenu moyen mahorais ! Et Mayotte est submergée par l'immigration : 230 000 personnes vivent à Mayotte, ce qui en fait le département français où la densité de population est la plus forte après la Seine-Saint-Denis ; 100 000 sont étrangères, dont 80 000 en situation irrégulière. On ne peut pas laisser dériver cette situation. Il faut, pour apporter des solutions à Mayotte, traiter simultanément les problèmes des Comores.

M. Michel Vergoz.- Pourquoi a-t-on mis autant de temps pour réagir aux propos monstrueux du recteur de Mayotte sur les femmes mahoraises ? Ce recteur a été muté en avril 2012 seulement, alors que ses déclarations datent de 2011 ! D'autre part, ne craignez-vous pas une fuite en avant sur la situation de Mayotte ? Les questions d'école, de santé et de sécurité paraissent insolubles ! Quelle coopération responsable et efficace pourrait-on avoir avec l'État comorien ?

M. Christian Cointat.- On parle des conséquences mais pas des causes. À Mayotte, les causes de la situation désastreuse concernent l'immigration. Il faut régler la question des relations économiques avec les Comores, créer un espace de libre circulation maîtrisée et réduire le différentiel des niveaux de vie pour que l'immigration se tarisse.

Par ailleurs, comment répondre à la demande de droit des Mahorais ? Il existe un droit illégal : celui des personnes en situation irrégulière ; et un droit potentiel, à mettre en place pour régler les droits illégaux. Allez-vous produire un rapport au gouvernement pour apporter des réponses ?

M. Serge Larcher, président.- Les Antilles ont connu un phénomène comparable : on a tari l'immigration en provenance des îles anglophones quand celles-ci ont pu se développer. La solution pourrait être une aide européenne aux Comores.

M. Joël Guerriau.- Est-il possible de faire appel, pour répondre à la situation des enfants abandonnés par les Comoriens à Mayotte, au bénévolat, au service civil et aux collectivités territoriales métropolitains ? Les métropolitains n'ont pas conscience de ces problèmes.

M. Dominique Baudis.- Les engagements citoyens sont une possibilité. Il existe une association à Mayotte qui fait un travail remarquable en direction des jeunes en favorisant les regroupements familiaux. Des bénévoles métropolitains ayant le désir de s'engager dans une cause humanitaire peuvent la rejoindre à Mayotte.

S'agissant des relations économiques avec les Comores, tant qu'il existera une dépression économique entre Mayotte et les Comores, il y aura un effet d'aspiration vers Mayotte. Une solution de long terme ne peut être qu'économique, mais elle se heurte à un blocage politique. Il faut passer par un canal moins officiel pour nouer un dialogue, par exemple par le biais humanitaire ou de la francophonie.

M. Vergoz, les propos du recteur de Mayotte étaient en effet insupportables.

Je n'emploierais pas l'expression de « fuite en avant » : les pouvoirs publics ne se désintéressent pas de Mayotte. Les financements sont à portée de la main. Pour les utiliser, il faut dégager des priorités et mener simultanément des actions en direction des Comores pour endiguer les flux migratoires clandestins, avec des mesures sanitaires, et entamer un dialogue avec les Comores. Il n'existe aucun contrôle au départ de Mayotte : on laisse les Comoriens qui retournent chez eux, se noyer...

On peut regretter que la départementalisation de Mayotte ait été mal préparée, depuis 1974, date du premier referendum, jusqu'à mars 2011, date de la départementalisation effective. On n'a pas anticipé ce rendez-vous, qui a été un choc pour la société mahoraise, avec des incidences importantes sur la vie quotidienne : le passage de la polygamie à la monogamie et ses conséquences visant à revendiquer l'allocation parent isolé pour les mères célibataires ; l'absence d'état civil ; la tradition mahoraise de changer de nom plusieurs fois au cours d'une vie...

Mme Catherine Tasca.- Nous avons une conception unitaire de la République qui se heurte à la réalité. Je crois qu'il faut marquer des étapes pour aligner la réalité outre-mer sur notre état juridique. À Mayotte, l'état civil n'existait pas. On ne peut pas passer du jour au lendemain d'un modèle de société à un autre. La République française doit permettre un étalement dans le temps, et des adaptations, sur notre système de lois et règlements. C'est vrai pour beaucoup de départements d'outre-mer, et c'est criant pour Mayotte. Je n'ai pas le sentiment que notre République y soit prête.

M. Serge Larcher, président.- Elle a prévu des possibilités d'adaptation, mais se méfie à l'idée de les mettre en oeuvre...

M. Dominique Baudis.- Je partage votre point de vue. Le jacobinisme a des limites ! L'exemple de la justice civile à Mayotte est éclairant : on est passé trop brutalement des cadis, qui appliquaient le droit coutumier, aux juges de droit commun, sans prendre en compte une série d'incompréhensions culturelles.

M. Félix Desplan.- Votre action a-t-elle contribué à améliorer la situation sur les deux principaux problèmes outre-mer, à savoir les discriminations sur l'accès au logement en métropole et la difficulté pour eux à retourner outre-mer ?

M. Christian Cointat.- Ma question concerne également l'ensemble de l'outre-mer, qui est en retard sur la métropole depuis longtemps. L'expérience prouve que c'est à partir de la vie au quotidien qu'on peut le mieux lire ce dont on a besoin pour améliorer l'avenir. Or, vous vous occupez justement de la vie au quotidien. À la lumière de votre expérience, pouvez-vous décrypter les faiblesses de l'outre-mer pour les corriger, et ses chances, et ainsi dépasser votre rôle de Défenseur des droits pour faire progresser l'outre-mer d'une façon plus générale ?

M. Dominique Baudis.- En réponse à M. Desplan, nous sommes intervenus dans plusieurs affaires de discrimination auprès des organismes concernés par le logement et le crédit. Nous avons alerté tous les opérateurs de ces deux professions dans leur ensemble, dans une démarche préventive. Cela s'est avéré très efficace.

M. Cointat, je ne peux pas vous répondre sur la situation aux Antilles par exemple, où je ne suis pas encore allé. Les situations sont très différentes dans chaque département et collectivité d'outre-mer. Ainsi, La Réunion est exemplaire en matière d'accès aux droits, même si le taux de chômage y est très élevé.

Je vous propose de revenir devant votre délégation quand je serai allé aux Antilles et en Guyane.

M. Serge Larcher, président.- Nous vous accueillerons avec plaisir, car d'autres problèmes s'y posent : le vieillissement de la population, l'insuffisance des structures d'accueil pour les femmes battues, l'héritage de la zone des cinquante pas géométriques...