Mercredi 20 février 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

La gouvernance de la culture scientifique et technique, bilan et perspectives - Table ronde

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission organise une table ronde sur la gouvernance de la culture scientifique et technique, bilan et perspectives. Sont entendus :

Mme Brigitte Coutant, directrice des relations institutionnelles à Universcience ;

- M. Didier Moreau, vice-président de la Réunion des CCSTI (association nationale des centres de culture scientifique, technique et industrielle) ;

M. Jean-Claude Guiraudon, président du Collectif inter-associatif pour la réalisation d'activités scientifiques et techniques à l'international (CIRASTI) ;

- M. François Deroo, directeur de l'association Les petits débrouillards ;

- M. Jean-Pierre Ledey, président de Planète Sciences ;

Mme Astrid Brandt-Grau, chef du département de la recherche, de l'enseignement supérieur et de la technologie, service de la coordination des politiques culturelles et de l'innovation au ministère de la culture et de la communication ;

M. Jean-François Cervel, inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) ;

- M. Philippe Guillet, président de l'Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique technique et industrielle (AMCSTI) ;

- M. Lionel Larqué, fondateur d'Alliance sciences société.

Le compte rendu de cette table ronde sera publié ultérieurement sous la forme d'un rapport d'information.

Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) - Audition de M. André Syrota, candidat désigné aux fonctions de président

Puis la commission entend M. André Syrota, candidat désigné aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), en application des dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Monsieur André Syrota, vous êtes le candidat proposé par le Président de la République pour assurer les fonctions de président-directeur général de l'Inserm. En application de l'article 13 de la Constitution, les commissions compétentes des deux assemblées sont appelées à formuler un avis sur cette nomination. Cet avis est précédé d'une audition publique. A l'issue de cette audition, nous nous prononcerons par un vote à bulletin secret. Le résultat du vote sera connu cet après-midi, après votre audition à l'Assemblée nationale et le dépouillement simultané du scrutin.

M. André Syrota, candidat aux fonctions de président de l'Inserm. - Je suis professeur de médecine à la faculté du Kremlin-Bicêtre, professeur de médecine nucléaire et professeur de biophysique à l'université Paris-Sud. En 1981, ma fonction a été transférée du Kremlin-Bicêtre au service hospitalier Frédéric Joliot du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), service chargé du développement des applications des radio-isotopes à la biologie et à la médecine au sein de l'hôpital d'Orsay. Puis j'ai dirigé le département de recherche en imagerie biomédicale du CEA avant d'y prendre la responsabilité des sciences du vivant pendant quatorze ans. Ma priorité fut le partenariat avec tous les organismes de recherche ainsi que la coordination de nos travaux, question sensible en particulier lors des crises de la vache folle et du chikungunya, où l'on a vu les conséquences d'une absence de coordination. Fin 2007, j'ai donc accepté la direction de l'Inserm sous la condition de coordonner l'ensemble des recherches dans les domaines des sciences du vivant et de la santé. C'est ainsi qu'est née l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).

L'Inserm est devenu le premier organisme de recherche biomédicale européen et j'ai été élu il y a un an vice-président de Science Europe qui regroupe les différents organismes nationaux. Ce rayonnement de l'Inserm tient d'abord aux résultats de la recherche, puisque nos publications dans les cinq premières revues médicales, New England Journal of Medicine, The Lancet ou le British Journal of Medicine et d'autres, ont augmenté sous les cinq années de ma présidence, par rapport aux cinq années précédentes, de 42 % pour la recherche fondamentale mais de 52 % dans certaines disciplines. Nous avons également été honorés par le prix Nobel de Françoise Barré-Sinoussi.

L'Inserm occupe une place appréciable dans l'espace européen de la recherche ; je souhaite la conforter encore. J'ai voulu, au plan international, développer un réseau de laboratoires associés sur tous les continents, ce qui est beaucoup moins coûteux que les laboratoires Inserm implantés à l'étranger qui existaient auparavant.

L'audit mené en 2011 par l'inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche a salué notre important effort d'optimisation des fonctions support et a souligné la qualité du service rendu aux unités de recherche - c'est notre mission.

Si la création de l'Agence nationale de la recherche (ANR) a eu des résultats très positifs sur le nombre et la qualité des publications, elle s'est aussi traduite par un doublement du nombre de contrats de recherche. Nous gérons aujourd'hui 800 contrats... et un gros contingent de personnes en contrat à durée déterminée (CDD). C'est un sujet majeur que j'aurai à régler dans les mois qui viennent et qui sera sans doute discuté à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. La Cour des comptes a récemment déploré l'utilisation des CDD dans de nombreux secteurs de l'administration publique.

Pour le reste, le rapport - rendu public, je m'en réjouis - a décerné un large satisfecit à l'Inserm, saluant notamment la création d'Aviesan, structure informelle, qui ne coûte rien mais a réalisé beaucoup. La Cour estime que « depuis 2005, la place de l'Inserm dans la recherche dans les sciences du vivant s'est renforcée » et que l'Institut a « joué un rôle majeur dans la création de la première Alliance, cadre de discussion et de coordination des principaux acteurs publics de recherche dans les sciences du vivant », auxquels il a donné « plus de cohérence, de visibilité et de réactivité ». Nous avons en cela répondu aux recommandations formulées dans un rapport thématique de la Cour en 2007.

Elle formule aujourd'hui de nouvelles recommandations que je me propose de mettre en oeuvre dans les mois qui viennent. Il s'agira de conforter le rôle de l'Alliance, dans le cadre de l'agenda stratégique voulu par le Premier ministre ; de préserver la dynamique de valorisation des résultats initiée par Inserm Transfert ; et de réexaminer les règles de recrutement et de gestion du personnel. A cette fin, nous avons préparé une charte des bonnes pratiques de recrutement, actuellement en discussion avec les organisations syndicales, pour l'accompagnement et l'insertion professionnelle.

Enfin, aspect auquel je suis très sensible, nous sommes appelés à poursuivre notre ouverture à la société. Nous le faisons, par exemple, au travers des aides à la décision publique et des expertises collectives qui nous sont commandées sur la base de notre compétence, notre fiabilité, notre impartialité, notre confidentialité et de l'absence de conflits d'intérêts. Je voudrais également souligner le rôle des 475 associations de malades partenaires de l'Inserm dans la formation et l'information du public. La présidente de la commission des affaires sociales du Sénat a du reste animé la rencontre que nous avons eue récemment avec elles.

Nous souhaitons mener des actions de sensibilisation des lycéens à la science en partenariat avec les régions, sur le modèle de ce que nous avons expérimenté en Provence-Alpes-Côte d'Azur, à Marseille. En direction du grand public, nous proposons une émission diffusée sur LCI, publions le magazine Science et Santé tiré à 25 000 exemplaires. Notre site Internet enregistre 240 000 connexions par mois. A tout cela s'ajoute une application iPhone.

Mme Dominique Gillot. - Votre contribution à l'agenda pour la recherche a permis de nourrir les réflexions en amont du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche. Votre souci d'ouverture répond à la nécessité de rendre la science accessible, au service de la citoyenneté et du progrès. Quelle est votre appréciation des mécanismes d'évaluation applicables aux chercheurs de l'Inserm ? Comment l'évaluation peut-elle être à la fois transparente, vérifiable, non bureaucratique ?

M. André Syrota. - Il existe deux types d'évaluation : l'évaluation individuelle des chercheurs et l'évaluation des équipes de recherche. L'évaluation des chercheurs, mais aussi des ingénieurs et des techniciens, est réalisée tous les deux ans par les commissions de l'Inserm ou les sections pour le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Les unes comme les autres sont constituées d'experts élus ou nommés et personne n'a jamais remis en cause la qualité de cette évaluation.

Afin de simplifier la procédure pour les chercheurs, souvent candidats à la fois à l'Inserm et au CNRS, j'ai obtenu, dans le cadre de l'Alliance, que le périmètre de nos instances d'évaluation soit sensiblement le même et que nous les réunissions en même temps. En outre, les deux organismes essaient de coordonner leurs recrutements.

Concernant l'évaluation des équipes de recherche, qui a fait l'objet de discussions lors des assises, il faut rappeler que celles-ci ne sont plus évaluées par les organismes mais par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres). Il y a un intérêt à ce qu'une institution indépendante évalue nos équipes de recherche car toutes les unités de recherche de l'INSERM sont mixtes - associées à des laboratoires de recherche d'universités et d'hôpitaux. Il en va de même pour 80 % des unités du CNRS. En outre, 56 % de nos équipes ont un conseil scientifique international qui les évalue aussi - parfois à quinze jours d'intervalle seulement de l'évaluation par le comité de visite de l'Aeres. J'ai donc proposé que, désormais, ce soient les critères d'évaluation et le choix des experts des conseils scientifiques, et non plus les équipes, qui soient soumis au regard de l'Aeres. Le projet de loi devrait ainsi permettre aux organismes de choisir la façon dont ils évaluent leurs unités. Nous sommes sur la bonne voie si j'en juge par le texte actuel du futur projet de loi.

Il faut, de façon générale, limiter la complexité. Mon directeur général délégué et moi-même sommes censés représenter l'Inserm dans plus de 400 instances, ce qui est évidemment impossible. Or notre absence est interprétée comme un manque d'intérêt.

Mme Maryvonne Blondin. - Pourriez-vous engager une équipe de l'Inserm à travailler sur les phages, organismes vivants qui, en « cocktail », peuvent constituer une alternative aux antibiotiques, en particulier dans le traitement des staphylocoques dorés ? Le Centre d'analyse stratégique vient de publier un rapport sur les phages, des colloques ont eu lieu, j'ai pour ma part écrit à la ministre à ce sujet. Les laboratoires, eux, sont bien sûr peu enclins à approfondir cette question... Votre institut est-il capable de lancer une telle étude, dont les enjeux pour la santé publique - et pour la santé financière de l'assurance-maladie - sont évidents ?

Vous avez évoqué les CDD. En dehors de l'Inserm, nombre de chercheurs sont aujourd'hui dans une situation très difficile, devant interrompre leurs travaux faute de financement.

Mme Corinne Bouchoux. - Comment comptez-vous prévenir les conflits d'intérêts, souvent à la source de scandales très préjudiciables à l'image de notre recherche publique ?

M. André Gattolin. - J'ai été le rapporteur, pour la commission des affaires européennes, du budget européen de la recherche et de l'innovation dans le cadre d'Horizon 2020. Celui-ci était initialement ambitieux, il a suscité beaucoup d'espoirs, mais à l'issue du dernier Conseil européen, il a atterri bien bas. Le prochain programme-cadre de recherche et développement (PCRD) devrait, malgré l'intégration du réacteur thermonucléaire expérimental international (Iter) et du Global Monitoring for Environment and Security (GMES) - rester proche du précédent, 57 ou 58 milliards d'euros.

Sur quels programmes-cadres comptez-vous vous appuyer et quelles collaborations bilatérales avez-vous nouées avec des partenaires d'autres États membres ?

M. André Syrota. - L'industrie a délaissé la recherche sur les antibiotiques. Il serait bon de la reprendre. Pour notre part, nous avons lancé une initiative de programmation conjointe sur la résistance aux antibiotiques. Soit dit en passant, la première programmation d'initiative conjointe a été lancée sous présidence française de l'Union européenne, sur Alzheimer et les maladies neuro-dégénératives ; et elle fonctionne bien.

Étant l'un des deux experts européens chargés d'évaluer certains programmes menés dans les anciens pays de l'Est, j'ai constaté qu'ils travaillaient sur les phages et j'ai demandé à quelques groupes français leur avis sur ces recherches. Votre question est tout à fait pertinente.

Je suis extrêmement sensible au sujet des conflits d'intérêts et de l'intégrité scientifique. Cela devient un problème crucial. A chaque numéro de Nature ou de Science, le nombre de rétractations augmente. On s'est aperçu que, dans les grandes revues, la moitié des articles de chimie sur des nouvelles molécules étaient faux, sans doute du fait de la pression mise sur les chercheurs, notamment en Chine. Les industriels du médicament disent qu'ils ne sont pas capables de reproduire entre 30 et 50 % des publications dans les meilleures revues. Selon les comptes rendus de l'académie des sciences américaine, les faux sont effectivement très fréquents. C'est un argument en faveur du modèle français : nos chercheurs statutaires, moins soumis à la pression du contrat pour faire vivre leurs familles, peuvent se montrer plus intègres.

Nous remplissons des déclarations de liens d'intérêts applicables par exemple aux membres des commissions et des jurys ; la mienne est visible sur le site de l'Institut national du cancer (INCa). Mais attention, je suis le destinataire formel de tous les dons faits à l'Institut, mes liens d'intérêt sont donc innombrables !

L'informatisation sera annoncée dans un mois, au prochain conseil d'administration. Cependant tout cela est assez lourd, car à quoi bon une déclaration qui ne serait pas constamment remise à jour ?

Il me semblait que le budget décidé dans le cadre d'Horizon 2020 s'établissait à 65 milliards d'euros, mais sans intégrer Iter...

M. André Gattolin. - Oui, c'est effectivement hors Iter et hors GMES, j'ai parlé un peu vite. Quoi qu'il en soit, le Parlement européen espère que ce chiffre sera revu à la hausse.

M. André Syrota. - Nous aussi. Science Europe intervient auprès du Parlement européen, de même qu'Aviesan rencontre la direction générale de la recherche et les députés au moins une fois par an.

S'il est un pays avec lequel nous pouvons développer des projets, c'est l'Allemagne, qui dispose, comme nous, d'universités et de grands organismes de recherche : Max Planck, Leibnitz, Fraunhofer ou Helmholtz. Nos deux seuls laboratoires à l'étranger y sont installés. L'un d'entre eux travaille à Heidelberg avec l'association Helmholtz qui, symétriquement, vient de créer deux unités en France, l'une au centre Léon Bérard de Lyon, l'autre au centre d'immunologie de Marseille Luminy. En outre, nous menons avec l'University College London des programmes communs sur la santé publique, les maladies infectieuses, les neurosciences et le cancer. Nous travaillons aussi avec nos partenaires britanniques en direction de l'Afrique.

L'intégration de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) au sein de l'Inserm s'est faite dans le respect de sa totale indépendance ; l'agence a eu accès aux recherches menées dans le cadre d'Aviesan.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - La Commission européenne relance les farines animales en indiquant que les produits autorisés ne contiendront pas de prions, puisque l'on ne réduit plus en poudre des carcasses de ruminants mais de volailles ou de cochons. Comment l'Inserm pourrait-il apporter sa contribution à notre réflexion sur cette question ?

M. André Syrota. - Au CEA, nous avions déjà travaillé sur les prions, dans deux laboratoires P3 de haute sécurité, dont celui du professeur Dominique Dormont. Au moment du scandale des farines animales, la recherche menée par le CEA sur les prions était pratiquement la seule source d'information scientifique disponible. Ce qui a été vertueux, puisque nous avons mis sur pied un test diagnostic qui a rapporté 60 millions d'euros que nous avons pu réinvestir dans d'autres projets de recherche. Aujourd'hui, vous souhaitez saisir l'Inserm ? C'est possible grâce à la procédure d'expertise collective mise en place par Philippe Lazar... Une soixantaine d'expertises ont déjà ont été réalisées à la demande des pouvoirs publics comme la ministre ou la caisse nationale d'assurance maladie, sur les phtalates dans les biberons, les tests génétiques, l'autisme, la psychiatrie. Un groupe d'experts analyse toute la littérature existante, fait le point des connaissances et formule des recommandations d'action et de recherche. Nos expertises n'ont jamais été remises en cause. C'est extrêmement simple : adressez-nous une demande et nous y répondrons... dès lors qu'elle s'accompagne du financement nécessaire.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie.

Avis sur une candidature aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) - Vote

La commission examine l'avis et procède au vote, par scrutin secret, sur la candidature de M. André Syrota à la présidence de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Mes chers collègues, nous en avons terminé avec l'audition de M. Syrota.

Nous allons maintenant procéder à l'examen de l'avis ainsi qu'au vote sur le projet de nomination de M. Syrota en qualité de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale.

Des bulletins de vote sont à votre disposition. Vous voudrez bien entourer votre choix (pour, contre, abstention).

Conformément au dernier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 38-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, « il ne peut y avoir de délégation lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis de la commission permanente de chaque assemblée sur une proposition de nomination selon la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ».

Je vous rappelle, par ailleurs, que l'Assemblée nationale auditionnera de M. Syrota cet après-midi et que ce n'est qu'à l'issue de cette audition que nous procéderons au dépouillement simultané de ce scrutin.

Le scrutin est ouvert.

Plus personne ne demande à voter ? Le scrutin est clos.

Nomination de rapporteurs

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission nomme :

- M. Louis Duvernois rapporteur sur la proposition de loi n° 330 (2012-2013) de Mlle Sophie Joissains et plusieurs de ses collègues, visant à ce que tous les élèves et les étudiants suivant des enseignements théoriques généraux scolaires ou universitaires préparent, parallèlement, une formation diplômante type BEP ou CAP ;

- et Mme Claudine Lepage rapporteure sur la proposition de loi n° 348 (2012-2013) de Mme Dominique Gillot et plusieurs de ses collègues, relative à l'attractivité universitaire de la France.

Distribution de la presse - Audition de M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP)

La commission auditionne M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP).

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP), ouvre notre série d'auditions sur ce qu'il est convenu d'appeler le conflit Presstalis.

L'UNDP fédère les diffuseurs de presse, qui constituent le troisième et dernier niveau de la chaîne de la distribution de la presse et demeurent, malgré le développement du postage et du portage, un acteur essentiel de l'accès à l'information sur l'ensemble du territoire national.

La diminution inquiétante de la vente au numéro des quotidiens comme des magazines, - qui a atteint 3,1 % en 2011 - supérieure aux prévisions les plus pessimistes, a eu pour conséquence une dégradation dramatique de la situation économique de nombreux marchands de presse, aggravée par les ruptures de livraison à répétition intervenues dans le cadre du conflit qui oppose depuis plusieurs mois la direction de Presstalis à certains de ses salariés.

Présentez-nous rapidement les enjeux de ce conflit pour les diffuseurs de presse. Notre collègue David Assouline, rapporteur pour avis des crédits de la presse, vous posera ensuite des questions plus ciblées.

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP).Je suis honoré par votre invitation et flatté de pouvoir m'exprimer devant vous au nom des marchands de journaux de France. L'UNDP représente les marchands de journaux indépendants, kiosquiers ou en boutique, c'est-à-dire à l'exclusion des rayons intégrés et des magasins du groupe Relay, qui relèvent d'un tout autre statut.

Davantage que troisième et dernier, nous sommes le premier maillon de la chaîne, car sans les réseaux de vente, il n'y a pas de réforme valable de l'appareil de distribution.

La diffusion de la presse s'est, certes, partiellement déplacée sur le portage et le postage à la suite des États généraux de la presse écrite en 2008-2009. Les aides publiques affectées au portage avaient alors été considérablement augmentées - jusqu'à 70 millions d'euros. Les quotidiens nationaux et surtout régionaux en ont largement profité. Cela étant, la vente au numéro reste majoritaire.

Les chiffres de diffusion des journaux sont accablants. En 2012, la baisse des ventes a atteint 7 % en volume et 5 % en valeur. Ces chiffres proviennent de la filière de distribution elle-même, et non des réseaux de vente - distinction capitale car c'est ce chiffre qui fonde l'analyse de la situation. Or la diffusion de la presse est principalement affectée, non par Internet comme on l'entend souvent, mais par le phénomène inquiétant des fermetures des points de vente, qui éloigne les produits du consommateur. En 2012, année de tous les records - mais ils sont battus chaque année - 1 800 fermetures ont ainsi été recensées. La hausse est significative, tandis que le nombre de créations de points de vente ne cesse de baisser : elles étaient 710 l'an passé. En outre, la moitié de ces créations ont eu lieu dans la grande distribution. Sans en faire une obsession, il faut savoir que si la part de la grande distribution devait dépasser, selon les études réalisées sur ce sujet, les 25 % du marché, notre système perdrait l'originalité qui fait son efficacité : sa capacité à assurer aux éditeurs, en vertu de la loi Bichet, la maîtrise de la distribution de leurs titres jusqu'à l'acte final d'achat.

Les 400 créations restantes se sont essentiellement faites dans des points de vente de dépannage, aussi appelés supplétifs - dans les bars, épiceries, stations services, etc. Autrement dit, la profession remplace des points de vente exclusifs au chiffre d'affaires hebdomadaire moyen de 3 000 euros par des points de vente palliatifs réalisant difficilement, pour la part de leur activité relative à la presse, 420 euros par mois ! Ce changement de nature du réseau explique largement la dégringolade des chiffres de la diffusion. Vous le voyez : le papier n'est guère en cause : même les internautes en consomment, dans une logique de diversification des usages.

Les causes de l'hémorragie sont multiples. D'abord, certains points de vente ont disparu pour des raisons objectives, sociologiques ou urbanistiques, liées à l'appauvrissement de certains quartiers par exemple. D'autres ont pâti de la dégradation de la conjoncture économique. Mais la majorité des fermetures ont été le fait d'un renoncement à l'activité de diffuseur de presse, à une forme de démission. Les diffuseurs - ou pour employer un terme moins logistique, les commerçants de presse - ont pour mission de présenter une offre de presse correspondant le mieux aux besoins de sa clientèle potentielle. Tous les métiers du commerce s'emploient à cette tâche, dans les meilleures conditions possibles.

Or le système actuel de diffusion contraint les commerçants à faire l'inverse : la presse est distribuée « à la fourche » ! Deux indicateurs illustrent ce propos : d'une part, celui des invendus rendus à la filière de distribution. A l'exclusion de la presse féminine, de la presse télévisuelle et d'information, la moitié des exemplaires proposés à la vente ne trouvent pas d'acheteurs. C'est autant d'espace et de temps gâché pour les déballer, les présenter et les remballer. D'autre part, le taux de rupture : un client sur cinq repart sans avoir rien acheté. Ce peut être dû à la confusion de l'offre, en raison de linéaires encombrés par exemple, mais aussi à une distribution de papier aléatoire qui ne prend pas en compte la demande exprimée. J'ai ainsi un confrère qui se plaint de recevoir, au centre d'Aix-en-Provence, onze exemplaires de Tracteur magazine, et un autre, au coeur de la Sarthe, qui en demande en vain un exemplaire depuis des mois ! En vérité, certains éditeurs, trop chanceux d'accéder à un système de distribution efficace et généreux, en ont abusé, et se sont opposés aux réformes que nous soutenions pour continuer à satisfaire les clients.

Certains commerçants de presse démissionnent car ils trouvent plus avantageux de vendre leur emplacement que leur fonds de commerce, dont la valeur est inférieure. Or celle-ci dépend de leur rémunération. Pour un diffuseur de base, hors Paris, Lyon, Marseille et Bordeaux, elle équivaut à 13 % du montant de ses ventes, et peut grimper jusqu'à 15 % en vertu d'accords conclus en 1994, lorsque certains éléments additionnels de qualité de service sont respectés. En cas de prestation de services au public ou aux éditeurs, la rémunération peut dépasser 16 %. Les spécialistes de presse, selon l'expression consacrée, sont rémunérés en moyenne à hauteur de 17,7 % des ventes réalisées. Ce chiffre est bien loin de la moyenne européenne, supérieure à 20 %. Ces éléments de comparaison internationaux ont toutefois peu d'intérêt, puisque c'est aux autres métiers du commerce susceptibles de reprendre l'emplacement qu'il convient de rapporter ces éléments : leur rémunération est également supérieure à 20 %. Amélioration la rémunération moyenne de trois points, c'était déjà un objectif des États généraux de la presse. Il n'a pas été atteint. La crise n'y est pas pour rien, qui a affecté la diffusion autant que le marché publicitaire.

J'en viens à la réforme de Presstalis. Presstalis a été frappé de plein fouet par la crise. Or ni ses coûts fixes, ni son organisation, ni son modèle social n'ont été revus. Malgré les tentatives, aucune réforme n'a abouti, car l'entreprise et la collectivité des éditeurs ont affaire à un syndicat du livre qui détient tout pouvoir. Aujourd'hui, il n'est plus possible de reculer. A avoir trop attendu, les réformes à opérer sont devenues considérables : on parle d'un emploi menacé sur deux. A défaut de les conduire toutefois, Presstalis s'effondrera, et avec lui toute la filière : la majorité des éditeurs, l'autre messagerie de presse, l'ensemble des réseaux de distribution de niveau 2, c'est-à-dire les grossistes dont c'est l'activité quasi exclusive, ainsi que les diffuseurs, qui souffriront de l'interruption prolongée de l'approvisionnement et de la perte de leur coeur de métier.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Il est ici question de la presse et de l'application de la loi Bichet. David Assouline vous interroge donc en sa double qualité de rapporteur pour avis sur la presse et de président de la commission sénatoriale de contrôle de l'application de lois.

M. David Assouline. - Un mot sur le cadre dans lequel ces auditions s'inscrivent : ce sujet n'est pas que conjoncturel ; le Sénat veut aussi être le lieu de la prospective, où des débats dépassionnés et privés d'enjeux de pouvoir peuvent se tenir pour préparer l'avenir avec tous les acteurs concernés. N'ayant pu organiser une table ronde, nous avons mis en place des auditions individuelles.

De nombreux rapports ont été rendus depuis les États généraux de la presse, qui tous ont estimé que vous étiez le maillon sacrifié de la chaîne.

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - Négligé, à tout le moins.

M. David Assouline. - Vous n'avez en tout cas pas bénéficié des efforts publics autant que d'autres acteurs.

Vous avez évoqué la crise des vocations, liée à la faiblesse de la rémunération mensuelle des commerçants de presse. La crise est plus générale : la presse quotidienne a perdu 20 % de ses ventes. En 2012, on parle d'une chute de 8 %. Ne minorons pas l'impact de la révolution numérique, même si, j'en conviens, ce n'est pas le seul facteur explicatif : mais indiscutablement, Internet renforce le besoin de proximité, et la possibilité de lire la presse sur tablette au petit-déjeuner prive la presse papier de tout intérêt si elle n'est pas disponible au point de vente le plus immédiat.

Ce mardi, une partie des kiosquiers parisiens était en grève, à l'appel du syndicat national de la librairie et de la presse, pour protester contre les interruptions de livraisons à répétition qui vous affectent depuis le début du conflit Presstalis. Vous-même avez dénoncé dans le Figaro du 7 février dernier une « prise d'otages » des marchands de journaux, avez adressé une lettre ouverte au syndicat général du livre et lancé une pétition sur votre site Internet. Considérez-vous que Presstalis et, plus précisément, le syndicat du livre nuisent à votre existence ? Ou voyez-vous là une responsabilité plus générale ?

Outre la vente au numéro, les pouvoirs publics encouragent la vente par postage et par portage, sur le fondement de la loi Bichet. La vente par portage est très prisée par les Français, et reçoit des aides publiques massives. Est-ce pour vous une autre source de nuisance ? Peut-on mettre en place un système de livraison indépendant de celui de Presstalis ?

Les aides à la modernisation des points de vente de presse - espace de vente, mobilier, informatique de gestion - accordées depuis 2004 et renforcées à l'issue des États généraux, sont passées de 2 millions d'euros en 2008 à 13,3 millions d'euros en 2009, tandis que le système était réformé pour être rendu plus incitatif. Depuis 2012, le système est censé prendre progressivement fin. L'enveloppe allouée en 2013 a été ramenée à 4 millions d'euros. Ces aides ont-elles permis une modernisation effective, et une diversification des activités ?

La rémunération des diffuseurs de presse s'est-elle améliorée après l'octroi des aides directes exceptionnelles en 2009 ? Appelez-vous de vos voeux le versement régulier d'une telle aide ? Qu'attendez-vous de la saisine annoncée de la Commission des normes et bonnes pratiques professionnelles par le conseil supérieur des messageries de presse en matière de rémunération des diffuseurs ? Quels espoirs placez-vous dans le groupe de travail confié à M. Roch-Olivier Maistre, mis en place au mois de janvier par la ministre de la culture et de la communication ? Quel bilan tirez-vous de la réforme de l'assortiment et du plafonnement mise en oeuvre en 2012 après l'intervention de l'autorité de régulation de la distribution de la presse ?

Notre discussion anticipe les travaux de préparation du budget de l'année prochaine, dans lesquels sera envisagée une remise à plat de tout le système des aides à la presse. Faut-il les orienter davantage vers les kiosques au détriment d'autres modes de diffusion ? Le problème se trouve-t-il ailleurs ?

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - Je comprends que le syndicat du livre défende les intérêts de ses mandants. Il n'est pas seul responsable, mais la réforme inéluctable de l'entreprise sera d'autant plus brutale qu'elle est retardée.

Dans la lettre ouverte que j'ai écrite à la veille de notre congrès, j'ai indiqué que le syndicat du livre bloquait la distribution du papier, ce qui avait pour effets de fragiliser le réseau de vente et d'éloigner le consommateur des produits que nous vendons - peut-être définitivement. Or nous ne vendons pas des produits anodins : ce n'est pas dans cette salle que j'expliquerais en quoi la presse est essentielle à la qualité du débat démocratique. Je me suis donc inquiété des moyens utilisés, qui revenaient pour ainsi dire à prendre notre réseau en otage.

Les fonctions papier et tablette sont, en matière de presse, plus complémentaires qu'exclusives. Monsieur le sénateur Assouline, vous voyez les choses de là où vous êtes. L'usage de la tablette est plus répandu chez ceux qui vivent dans un environnement où l'information circule naturellement et pourvus d'un niveau d'éducation qui leur permet d'y faire le tri. Mais ces personnes savent aussi diversifier les usages, et ne se détournent pas du papier pour autant. Dans ce contexte, aux éditeurs de jouer la carte de l'utilité du papier, puisqu'eux-mêmes avouent ne pas trouver leur modèle économique dans le numérique, et à eux de diversifier leurs contenus papier.

Dans ce domaine, les pouvoirs publics ont une immense responsabilité : entretenir dans l'esprit du jeune public l'idée que l'information peut être instantanée et gratuite, revient à le pervertir. A un colloque de la Documentation française, j'avais fait remarquer à MM. Joffrin et Beuve-Méry que les deux dangers qui menacent la presse imprimée sont la fermeture des points de vente et l'ignorance par la jeunesse de sa fonction particulière, démocratique et culturelle ; la sociologue québécoise (Dominique Payette) me répondit que j'avais raison, et que cette ignorance était le résultat du désinvestissement citoyen de la jeunesse, mesurée au travers du taux d'abstention enregistré aux élections. J'ai rétorqué qu'à mon sens, les choses étaient à l'inverse, le désinvestissement citoyen étant plutôt le résultat de la méconnaissance par la jeunesse des instruments d'une information curieuse et approfondie.

Il est exact que les marchands travaillent douze heures par jour et six jours par semaine. Je vous ai en outre apporté de la documentation relative à la rentabilité du métier. Les chiffres, qui datent des États généraux, mériteraient d'être légèrement actualisés. Ils font apparaître que le résultat d'exploitation moyen d'un marchand de journaux-libraire s'élève à 21 000 euros par an, soit moins de 2 000 euros par mois.

Vous dites que le portage est très prisé des Français. C'est un mythe savamment entretenu. Le cabinet mandaté par la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) pour évaluer les aides au portage avait conclu à un lourd retard français par rapport à ses voisins européens et même par rapport aux États-Unis. C'est faire abstraction des différences culturelles qui nous séparent des autres nations : l'importance du petit-déjeuner, la place que tient la radio à cette occasion, notamment. Historiquement, la France a un réseau de proximité, concentré sur la diffusion de la presse. A cela s'ajoutent d'autres considérations géographiques et urbanistiques, qui font que jamais, j'en prends le pari, le portage n'atteindra les niveaux observés ailleurs. Les chiffres de la DGMIC attestent d'un transfert des ventes au numéro vers le portage ou l'abonnement, mais au profit de la presse quotidienne nationale et locale, qui a profité de l'effet d'aubaine créé par ces aides. Ce n'est pas le signe d'un rattrapage des autres pays.

Heureusement que les aides à la modernisation des kiosques ont existé. Elles ont encouragé la modernisation des espaces de presse, notamment en province. Leur diminution, dans les proportions que vous avez indiquées, ne me choque pas outre mesure : je connais les contraintes budgétaires auxquelles l'État est confronté ; en outre, la modernisation a été engagée, ne reste qu'à prolonger le mouvement pour toucher un maximum d'acteurs.

Faut-il rebasculer une partie des aides à la presse vers le réseau ? A l'évidence oui. Les aides au portage représentent environ 45 millions d'euros en 2013, ce qui est considérable, comparé aux aides à la modernisation. Il faut consolider le réseau de vente. Des subventions ou des allocations peuvent y pourvoir. Faut-il les prolonger ? Contrairement au syndicat qui se dit national et qui se dit des libraires, nous ne l'avons pas demandé, car ce n'est pas ainsi qu'une corporation fonctionne. Il me semble plus intéressant d'ouvrir les aides au portage aux diffuseurs de presse eux-mêmes. Le Figaro mène en ce moment une expérience dans quarante villes de France : une centaine de mes confrères portent 6 millions d'exemplaires du journal chaque année, ce qui leur vaut d'engranger 6,5 millions de commissions et renforce ainsi substantiellement leur modèle économique. Le taux de satisfaction des lecteurs portés est en outre très élevé, sans comparaison avec le taux dont peut se flatter La Poste.

M. David Assouline. - Pouvez-vous nous en dire davantage sur cette expérimentation ?

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - Le Figaro livre des paquets d'exemplaires à des confrères, qui effectuent le portage ou le sous-traitent. Mon rêve serait que nous réussissions, sans allonger la tournée, à densifier les zones de portage déterminée par l'éditeur autour de son point de vente et à diversifier les titres - Les Échos semblent intéressés par l'opération, comme d'autres, information, télévision ou magazines féminins. La rémunération des diffuseurs pourrait en bénéficier. Les aides au portage aux flux et aux stocks pourraient être complétées par des aides aux diffuseurs multi-titres, concentrées sur ces derniers afin d'évincer les sociétés commerciales de portage de papier en tout genre. J'ai d'abord envisagé l'idée de fonder cela sur le statut de travailleur indépendant, avant de réaliser que nombre de mes confrères ne l'étaient pas. Imaginons un autre critère qui remplisse ces objectifs.

M. Jacques Legendre. - Le problème est très préoccupant. La présence de distributeurs de presse fait partie de la qualité de vie à la française, et des éléments d'une bonne information du public.

J'ai consacré du temps, dans le passé, à la situation de Presstalis et des différentes messageries de presse. Les espoirs de stabilisation que je formulais alors ont été déçus par l'état de Presstalis, par les tiraillements entre les acteurs de la profession, par les opérations de blocage conduites par le syndicat du livre. J'ai participé à une émission récente sur le sujet, dans laquelle j'ai souhaité qu'un médiateur soit nommé par le Gouvernement. Cette proposition a été réalisée. Puisque le sort de Presstalis et le vôtre sont mêlés, qu'attendez-vous de ce médiateur ? Le problème n'est-il que financier ? Beaucoup d'argent public a déjà été débloqué. Y a-t-il matière à légiférer pour rendre le système plus efficace ?

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - En matière fiscale et sociale en effet, beaucoup a déjà été fait. Ce qui manque, c'est un complément de rémunération, destiné à permettre aux commerçants de vivre de leur activité. Le portage du Figaro est rémunéré ad valorem, c'est-à-dire en fonction de la valeur faciale du titre. Si d'autres se joignaient à lui, la rémunération serait logistique. Son calcul doit donc être consolidé pour qu'elle soit attractive : il faudrait ajouter aux aides au portage un troisième volet à l'attention des diffuseurs de presse en boutique, ciblés de telle sorte que cela suscite une plus grande adhésion à l'activité.

Mme Françoise Cartron. - Les difficultés des marchands de journaux sont structurelles. Les Messageries jouent ici un rôle, qui contraint les marges de manoeuvre des diffuseurs.

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - Cela rejoint la question de l'assortiment et du plafonnement. A ce propos, merci à ceux qui ont soutenu et permis la réforme de la loi Bichet en 2011. Deux notions clés ont été introduites : assortiment et plafonnement. Elles ne disent rien au grand public, mais permettent de remédier au grand défaut de notre système, qui est une machinerie fantastique à distribuer le papier, mais qui ne l'amène pas au bon endroit.

L'assortiment, cela signifie que le diffuseur est associé au choix des titres qu'il vend. J'ai toujours été opposé à ce que l'éditeur ne soit plus maître de la distribution de son produit : c'est le système du référencement. L'assortiment permet au contraire un dialogue commercial fructueux entre les deux acteurs, au terme duquel se retrouvent en rayon les familles de presse qui correspondent le mieux à la demande locale. Le conseil supérieur des messageries de presse l'a érigé en norme professionnelle en avril 2012. Opérationnel depuis septembre 2012, ce principe n'est appliqué que sur 4 000 points de vente, tous gérés par Presstalis. Pour des raisons partisanes ou politiques, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) n'appliquent cette norme nulle part. Les choses vont dans le bon sens, mais insuffisamment vite pour enrayer le découragement des professionnels.

Le plafonnement vise quant à lui à limiter les quantités servies aux points de vente en fonction des ventes constatées auparavant. Ce système, tout aussi intelligent et pertinent, est aussi battu en brèche par des éditeurs qui profitent de la générosité et du libéralisme du système. Le conseil supérieur vient d'inscrire cette question à son agenda : elle devrait être réglée d'ici un mois ou deux.

M. David Assouline. - Nous sommes bien sûr partisans de la protection des points de vente de proximité.

Vous proposez une évolution du métier, en faisant du kiosquier un porteur. C'est donc que le portage est prisé ! J'ignorais que cette proposition était sur la table, je la trouve tout à fait intéressante.

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP). - Ni le postage ni le portage ne se sont véritablement développés au détriment de la vente au numéro. La demande du public dans ce sens n'est pas considérable. Néanmoins, le postage sera bientôt hors de prix pour les éditeurs. C'est là que nous pouvons jouer la carte très intéressante du portage.

Distribution de la presse - Audition de MM. Marc Norguez, secrétaire général, et Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT)

La commission entend ensuite MM. Marc Norguez, secrétaire général, et Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT).

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Depuis 2010, la société Presstalis est confrontée à des difficultés financières récurrentes, qui l'ont contrainte à mettre en oeuvre deux plans successifs de sauvegarde, dont le dernier, pour la période 2012-2015, suscite l'ire de votre syndicat. Depuis plusieurs mois, les négociations, émaillées d'actions syndicales répétées et dénoncées par les éditeurs comme par les diffuseurs de presse, sont dans l'impasse. Ce blocage a d'ailleurs conduit le Gouvernement à nommer récemment un médiateur en la personne de M. Raymond Redding et à confier une mission sur la distribution de la presse à M. Roch-Olivier Maistre.

Pourriez-vous nous présenter vos positions dans le cadre de ce conflit ?

M. Marc Norguez, secrétaire général du Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Nous nous félicitons de ces auditions. La presse est un sujet suffisamment grave et important pour que les politiques s'en mêlent, d'autant que la distribution de la presse ou le sort réservé à ses salariés n'ont pas toujours bénéficié de pareille attention.

Depuis juillet 2012, notre organisation syndicale, la CGT, est majoritaire au sein de Presstalis : ni hégémonique, ni monopolistique, elle a simplement remporté les élections, grâce notamment à son travail auprès des salariés. Cela dit, il existe d'autres organisations syndicales qui mériteraient tout autant d'être entendues.

Nous sommes opposés au plan de restructuration qui prévoit le licenciement d'un salarié sur deux de 2012 à 2015, soit 1 250 emplois sur le total de 2 400 emplois, filiales comprises, de Presstalis. La brutalité de ce plan suscite l'interrogation et l'opposition des salariés. Certes, les ventes au numéro connaissent une érosion : d'après la direction, elles devraient chuter de 5 % d'ici à 2015, et atteindraient au maximum, selon le nombre d'années prises en compte, 15 à 20 % : mais nous sommes loin d'une diminution de 50 %, celle qui est prévue pour les effectifs. De même, la charge de travail ne va pas diminuer dans de telles proportions.

Ce qui est surprenant, c'est que ce plan social s'appuie sur un accord entre l'Etat, les éditeurs et Presstalis, dont nous ne connaissons même pas la date exacte de signature : pour nous, il s'agit d'un accord secret. Il a permis d'éviter le dépôt de bilan à l'automne 2012, notamment grâce à l'aide de l'État. Il comprenait en outre une participation de la messagerie concurrente, les Messageries lyonnaises de presse (MLP), au fonctionnement et à l'équilibre de la filière, et surtout, le plan social. Or, à aucun moment nous n'avons été avertis ou consultés. Il y a de quoi s'interroger...

Dans la mesure où le travail ne disparaît pas, nous avons l'impression de vivre une délocalisation sur place : des contrats à durée indéterminée de Presstalis, employés dans la filiale de la SAD (Société d'agence et de diffusion), les agences de diffusion de province, ou même dans la filiale Soprocom (Société pour la promotion et la communication), dans les dépôts de l'ensemble du territoire, vont disparaître, au profit de contrats intérimaires pour le compte de compagnies de transport : Géodis pour Presstalis ou DHL pour les MLP. Un système régulé, organisé, où les salariés sont correctement rémunérés, grâce à des années d'activités sociales et syndicales, n'aurait plus droit de cité, et devrait être remplacé par des salariés deux fois moins rémunérés travaillant dans des conditions dégradées.

Presstalis est la colonne vertébrale de la distribution de la presse ; la concurrence avec les MLP est une fausse concurrence. L'essentiel du réseau, tout notre savoir-faire, celui de la maison Hachette, serait abandonné et confié à des sous-traitants qui gèreraient entre eux la distribution de la presse. Ce n'est pas une bonne idée. Presstalis, qui a succédé aux Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), est en effet l'entreprise qui garantit à tous les titres, quels que soient leurs orientations, leurs propriétaires ou leur budget, et à partir du moment où leurs contenus sont légaux, d'être distribués dans les mêmes conditions, sur nos 30 000 points de vente. Abandonner ce système, c'est accepter que la presse soit considérée comme une marchandise comme les autres. Certains s'entendront et concluront des contrats ; d'autres seront laissés de côté.

Autre sujet de préoccupation, plus polémique : la loi Bichet a été modifiée en juillet 2011, au moment où le groupe Hachette-Lagardère a décidé d'abandonner son rôle d'opérateur. Pendant des décennies, de 1947 à 2011, le groupe Hachette a joué le rôle de « tampon » entre les éditeurs, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics. A partir de 2011, les éditeurs sont devenus maître du système de distribution. On a vu le résultat : en dix-huit mois, le marché de la messagerie a été mis en pièces. Nous n'avons pas pour vocation de défendre le groupe Hachette, mais à son départ, les comptes étaient équilibrés. Dix-huit mois plus tard, fin septembre-début octobre 2011, l'entreprise était ruinée, au bord du dépôt de bilan, et le nouveau Gouvernement a dû agir dans l'urgence. Une mission de service public ne doit pas être laissée aux mains d'intérêts privés ! La presse a besoin d'être aidée, le groupe d'études sur les aides à la presse qui vient d'être créé fera un bilan à ce sujet. Il ne s'agit pas d'aider la presse en permanence, mais de l'aider à franchir un cap difficile pour que Presstalis ne soit pas acculé au dépôt de bilan.

Nous demandons que l'ensemble des acteurs attachés au système actuel de diffusion de la presse soient réunis pour trouver des solutions pérennes et permettre à la vente au numéro de garder son rôle essentiel. A la différence du portage et de l'abonnement, qui sont acquis, c'est en effet au kiosque que se gagne le lecteur.

Évidemment, les arrêts de travail sont préjudiciables, tant pour la démocratie que pour les travailleurs en grève, qui, j'insiste, ne sont pas rémunérés, mais nous sommes contraints d'agir ainsi pour que le débat prenne de la hauteur.

Nous avons rencontré hier les kiosquiers parisiens lors de leur journée d'action ; nous comprenons leurs problèmes.

Ce que nous souhaitons, c'est l'arrêt du plan Presstalis et l'ouverture rapide, sous l'autorité des pouvoirs publics, de négociations portant sur les économies, les réformes et l'amélioration du système, pour que l'entreprise poursuive sa mission. L'État a son mot à dire, même si les aides à la presse font l'objet d'un débat, notamment suite à leur évaluation à 1,2 milliard d'euros par la Cour des comptes. Les syndicats d'éditeurs contestent ce chiffre : il n'en demeure pas moins que l'aide de l'État est importante.

M. David Assouline. - Le Sénat s'est toujours intéressé à la presse et à la distribution, et a travaillé sur le sujet, notamment dans le cadre de la réforme de la loi Bichet. Ces auditions sont menées dans l'intérêt général : face à cette crise, il est de notre responsabilité de délivrer des informations précises. Nous aurions préféré que celle-ci émerge de façon contradictoire à partir d'une table ronde ; malheureusement il n'a pas été possible de réunir l'ensemble des acteurs autour de la table.

La crise ne date pas, comme vous semblez l'indiquer, de la modification de la loi Bichet. Un problème de contentieux a empêché le bon fonctionnement des messageries. Quant à l'organisation bicéphale, que nous avions proposée avec M. Legendre, elle n'a pas aggravé la situation, au contraire.

Presstalis est en crise ; cet été, la société était au bord du dépôt de bilan. Après l'alternance, l'État est intervenu en urgence, alors que les nouveaux gouvernants n'étaient guère responsables d'une situation que leurs prédécesseurs avaient laissé dégénérer : 20 millions d'euros de prêts ont été consentis et les apports directs pour 2012 et 2013 ont été augmentés, en contrepartie d'une réforme. En effet, il n'est pas sain, ni pour Presstalis, ni pour la presse en général, de laisser s'accumuler des déficits en comptant sur l'État. Vous avez raison : la presse et le pluralisme sont nécessaires à la démocratie, et le pluralisme consiste également à ce que tout ce qui est écrit soit mis à disposition des citoyens.

Cependant, vous n'abordez qu'en partie les questions qui se posent. Dans la communication sur ce conflit, vous êtes à armes inégales : vous ne rechignez pas, à un moment où la presse est en crise, à employer des méthodes attentatoires à sa liberté de diffusion, ce qui fait de vous des accusés, et cependant, vous ne détenez pas la presse et n'êtes pas maître de son contenu : de ce fait, votre point de vue est peu entendu.

Nous comprenons qu'un syndicat considère inacceptable la suppression d'un emploi sur deux. Mais certains vous reprochent d'avoir négligé, malgré votre grande connaissance de l'entreprise et du marché, d'entreprendre plus tôt une réforme qui aurait pu se faire en douceur. Vous auriez été complice du statu quo qui impose aujourd'hui des mesures drastiques. Je ne porte pas personnellement cette accusation, je me contente de la relayer.

Vous êtes seulement majoritaire, mais exercez un pouvoir de cogestion, notamment à l'embauche. Michel Françaix, rapporteur pour avis à l'Assemblée nationale, souligne dans son rapport « le poids dans ce déficit des surcoûts sociaux liés au statut des ouvriers du livre présents chez Presstalis ». Il ne s'attaque pas directement à la rémunération, mais à tout ce qui vient en sus : ce que vous avez obtenu, au terme de luttes certainement, mais qui, dans ce contexte, constituent des charges extraordinaires : primes de casse-croûte, de pénibilité, de jours fériés... Le salaire d'un ouvrier du livre atteindrait ainsi 3,5 fois le smic brut.

De votre point de vue, qu'est-ce qui pourrait permettre de sortir du blocage ? Vous dites refuser de négocier sans retrait préalable du plan social. Mais si tout le monde scie la branche sur laquelle il est assis, la presse écrite nationale, en situation déjà difficile, va disparaître... Il n'y aurait alors plus de raison de distribuer !

Vous appelez à une réforme, et indiquez qu'avec l'évolution prévisible des ventes, l'activité ne peut être maintenue au même niveau. Comment comptez-vous aborder, de façon constructive, les discussions avec le médiateur ?

Presstalis emploierait 2 400 personnes, dont 500 au siège, 200 à 300 pour le groupage, et 1 600 dans les dépôts de province. Quels postes peuvent être renforcés ou allégés ? A quelles conditions ? Vous savez que le plan social est inévitable, et même contraints, vous avez déjà accompagné des plans sociaux dans le passé. Dès lors, sur quelles autres bases conventionnelles acceptez-vous de rentrer dans une discussion constructive ?

M. Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Le dépôt de bilan n'était souhaitable pour personne, en particulier pour les salariés. Nous ne pouvons ignorer les responsabilités des uns et des autres. Au moment du départ du groupe Lagardère, les éditeurs ont agi sur les barèmes : un certain nombre de charges, liées au transport par exemple, ne sont ainsi pas prises en compte. Il existe d'autres pistes de ressources que celles qui touchent les salariés : ce sont celles que nous souhaitons étudier. En outre, même si le médiateur a été nommé pour faciliter le dialogue, il n'y a pas eu de rupture entre les syndicats et la direction.

M. David Assouline. - Cela n'est pas assumé publiquement.

M. Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Il est faux de nous présenter comme refusant le dialogue social car nous avons fait des propositions.

En 1989, nous étions 10 000 salariés dans le périmètre concerné, contre 2 147 aujourd'hui. Les négociations pour gérer les évolutions du réseau et la baisse des ventes ont déjà eu lieu. Aujourd'hui, la direction veut se séparer d'une partie de ses salariés, alors que l'activité perdure. Pour nous syndicalistes, ce n'est évidemment pas acceptable.

Nous savons gérer la réforme en douceur et des résultats ont été obtenus. Notre organisation syndicale est présentée comme ayant le monopole de l'embauche. Mais depuis 1989, il n'y a pas eu une seule embauche à Presstalis.

Le statut des ouvriers du livre concerne seulement 375 salariés toutes catégories confondues (cadres, employés et ouvriers) sur les centres d'exploitation d'Ile-de-France. Dire qu'il constitue un obstacle est donc faux. Preuve en est que la réforme concerne l'ensemble de la filière : les centres d'exploitation au niveau 1, le siège social, mais aussi les dépôts de province où les salariés sont rémunérés au niveau du smic.

Concernant les réformes possibles, nous constituons une force de proposition pour nos différents niveaux d'exploitation. La direction a accepté le principe de revenir sur l'externalisation de la totalité des activités, en dehors de l'Ile-de-France. De notre côté, nous avons accepté le principe d'une régionalisation et d'une rationalisation des traitements, à condition que les activités soient traitées par des salariés de la SAD. Nous sommes parvenus à un accord pour 80 % du territoire, hors Ile-de-France.

Le médiateur a une mission complexe : depuis plusieurs mois, nous nous heurtons à notre direction qui, sans contester les propositions industrielles, se dit bloquée, d'une part, par le mandat de son conseil d'administration, désormais constitué d'éditeurs, et, d'autre part, par l'accord tripartite signé en octobre entre l'État, la direction de Presstalis et les éditeurs.

Enfin, dans les propositions que nous faisons, figurent un certain nombre d'interventions financières de pouvoirs publics.

Autre difficulté : les éditeurs votent des barèmes à la baisse en tant que client, alors qu'en tant qu'actionnaires ils sont chargés de gérer l'entreprise.

Sur le plan comptable, n'est-il pas choquant que nous ayons à prendre en charge un surcoût de 2,5 millions d'euros pour la distribution d'un quotidien l'après-midi alors que ce dernier reçoit une aide de l'Etat de 17,5 millions d'euros ?

M. David Assouline. - Le Monde ?

M. Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Tout le monde l'aura compris.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Que signifie qu'il vous laisse une charge de 2,5 millions d'euros ?

M. Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Le Monde bénéficie d'une distribution spécifique et à ce titre ne profite pas de la mutualisation. Cela a été souligné dans le rapport Françaix.

Nous proposons également d'étudier le coût du transport, notamment la charge de 5,9 millions d'euros laissée au dépositaire parisien, la SPPS (Société presse Paris services), qui demeure le seul en France à ne traiter qu'une messagerie. Pourquoi ? Le manque à gagner pour Presstalis atteint environ trois millions d'euros. Si on veut l'équilibre, ne regardons pas uniquement du côté des salariés, cherchons des ressources supplémentaires. Elles sont connues et font partie des propositions que nous avons mis sur la table. La direction les refuse, pour des raisons que nous considérons à la limite du conflit d'intérêt, et parce qu'elle n'aurait pas mandat pour les accepter.

M. Jacques Legendre. - Je me réjouis de cette forme un peu particulière de table ronde, puisque nous recevons les représentants de la distribution de la presse les uns après les autres.

Nous abordons un sujet qui préoccupe pareillement la majorité et l'opposition, et ce n'est pas la première fois, puisqu'en 2011, nous avions travaillé en commun dans cette commission pour améliorer la loi Bichet. Cet état d'esprit prouve notre farouche attachement à ce que les Français puissent recevoir la presse de leur choix dans de bonnes conditions.

Une réforme est en cours chez Presstalis. Nous espérions un rééquilibrage plus précoce qui n'a pas eu lieu. Vous avez souligné que Presstalis était la colonne vertébrale de la distribution de la presse : elle semble bien mal en point et les initiatives actuelles ne contribuent peut-être pas à la redresser. Je comprends la position de votre syndicat ; c'est pourquoi j'avais souhaité avec vous, en particulier lors d'une émission de télévision à laquelle nous étions conviés, qu'un médiateur soit nommé.

Avez-vous le sentiment que le médiateur désigné par le Gouvernement puisse formuler des propositions acceptables par tous ? Il faudra bien faire un pas : la situation de blocage n'est pas tenable !

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Comment travaille ce médiateur ? L'avez-vous rencontré ? A-t-il eu la chance de rencontrer toutes les parties ensemble ? Comment instaure-t-il le dialogue ?

M. Marc Norguez, secrétaire général du Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Nous avons rencontré M. Redding lundi dernier. Nous lui avons tenu le même discours qu'aujourd'hui et exprimé la même volonté constructive. Nous avons rappelé notre position sur les licenciements contraints, notamment compte-tenu de la charge de travail, et notre refus de la sous-traitance. Presstalis étant la colonne vertébrale du système de distribution, il ne faut pas l'amputer de ses activités.

Jusqu'à présent, les réformes qui nous étaient proposées étaient toujours accompagnées de plans sociaux : à la dizaine près, grâce aux reclassements, aux départs volontaires et anticipés, nous acceptions les chiffres de la direction. Nous nous battions pour que notre entreprise reste forte, au nom d'un système mis en place dans les années quarante et cinquante. Aujourd'hui, il s'agit de licenciements secs dans les secteurs d'exploitation et il est envisagé de sous-traiter des activités comme l'informatique et la comptabilité. C'est inacceptable !

Nous avons accepté la logique industrielle et logistique sur le plan national : il n'y aura plus de dépôts par département, mais des plateformes régionales accueillant la totalité des publications et à partir desquelles s'effectuera la redistribution. La charge de travail n'est pas sous-traitée ; elle est réorganisée et déplacée.

Nous allons jouer notre rôle d'organisation syndicale pour convaincre les salariés et pour éviter les licenciements. Compte-tenu de la pyramide des âges, nous devrions éviter la « casse sociale ».

Il nous reste un noyau dur : la structure parisienne. Il y a encore dix-huit mois, le travail s'organisait autour de quatre centres de traitement. Il en reste aujourd'hui trois. Nous aurions bien aimé, avoir deux ans devant nous pour traiter de l'avenir de la distribution. Mais depuis dix ans, nous connaissons des restructurations en rafales. Le financement des plans sociaux des années passées met à mal la trésorerie de l'entreprise.

Si des mesures sociales peuvent être envisagées, c'est une bonne chose. Nous ne demandons ni hausses des salaires, ni embauches, mais la simple conservation des emplois.

Il nous est reproché d'être déficitaires, mais nous l'avons toujours été. En 2002, le déficit s'élevait à 32 millions d'euros. Aujourd'hui, il s'élève à 12 millions d'euros : 12 millions de trop, certes, mais la presse a toujours été en déficit : l'aide à la presse via la Poste s'élève à 200 millions d'euros, l'aide au portage - qui ne fait pas gagner de lecteurs, mais de l'argent à certains titres de presse quotidienne régionale -, représente 55 à 60 millions d'euros. Et l'aide au numéro augmente de 23 millions d'euros cette année... Le déficit de 12 millions est donc regrettable, mais doit être relativisé.

J'ai lu dans la presse que le syndicat de la presse quotidienne nationale conteste les travaux de la Cour des comptes. Or, en lisant le rapport du député Michel Françaix, nous nous apercevons que c'est l'aide de l'État qui finance les études commandées à des cabinets privés par la presse quotidienne nationale pour se moderniser. Autant d'anomalies auxquelles nous sommes attentifs...

Nous sommes de bonne volonté et optimistes quant à la mission du médiateur ; nous attendons la reprise des discussions.

Nous avons accepté la logique de la réforme en province. A Paris, nous acceptons la même logique : refus de la sous-traitance, un minimum de centres de traitement pour garantir l'existence de Presstalis. Dans ces conditions, nous pourrions nous mettre d'accord sur une organisation qui permette de sortir du conflit. Tout le monde le souhaite, notamment les salariés qui sont sous pression depuis des mois.

M. David Assouline. - Pourriez-vous nous envoyer la grille salariale de Presstalis ? Vos chiffres sur les ouvriers du livre me surprennent...

M. Marc Norguez, secrétaire général du Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Un ouvrier parisien gagne 2 600 euros nets, sur treize mois. Le même ouvrier à Lyon gagne 1 600 euros nets. Je vous enverrai les chiffres.

M. David Assouline. - Comment se répartissent les départs proposés entre Paris et la province ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous vous remercions de bien vouloir nous communiquer ces informations. Le parlement ne joue pas le rôle de médiateur, mais il doit être sûr de ses diagnostics pour aiguiser ses interventions.

M. Laurent Joseph, délégué syndical de Presstalis au Syndicat général du livre et de la communication écrite (SGLCE-CGT). - Un dernier mot au sujet de la fragilisation du rôle de Presstalis. Un certain nombre de titres ont été transférés vers la messagerie concurrente, les MLP. Cela constitue un élément de fragilisation de Presstalis, à prendre en compte dans le cadre de la réforme. En 2012, 1 700 points de vente ont été fermés par notre direction, sur des critères purement économiques. Devons-nous continuer dans cette logique ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Je vous remercie. Mme Couderc et M. Rey étant dans l'impossibilité d'être présents pour Presstalis, notre réunion de demain à 10 heures est annulée. L'audition de 11 heures est maintenue.

Avis sur une candidature aux fonctions de président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) - Résultat du scrutin

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Nous allons procéder au dépouillement.

Mes chers collègues, les résultats du vote à bulletin secret sur la proposition de nomination de M. André Syrota sont les suivants :

- nombre de votants : 20

- nombre de suffrages exprimés : 20

- pour : 20.

Jeudi 21 février 2013

- Présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente -

Distribution de la presse - Audition de M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN)

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Depuis plusieurs années, et singulièrement ces dernières semaines, les difficultés financières de Presstalis et les plans de sauvegarde successifs édifiés pour y remédier ont engendré un conflit social d'une rare dureté. Les salariés en colère bloquent régulièrement la distribution des quotidiens, ce dont éditeurs et kiosquiers sont victimes. Le Gouvernement a récemment nommé M. Raymond Redding médiateur et il a confié une mission sur les aides à la presse à M. Roch-Olivier Maistre. Quelle est la position de votre syndicat dans le cadre de ce conflit et quelles sont vos propositions en matière de distribution de la presse ?

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Le SPQN représente l'ensemble des quotidiens nationaux. Leur économie repose sur la distribution physique, qui doit être mutualisée, dont il est temps de repenser le système. Cette réforme, indispensable pour la viabilité de la filière, est engagée ; elle implique des efforts considérables de la part des éditeurs.

Presstalis est le seul acteur de distribution des quotidiens nationaux. Le système mutualisé est seul capable, grâce à la massification des volumes, d'amortir les coûts fixes. L'économie de la presse repose encore à 95 % sur le papier. La diffusion physique des journaux est donc vitale. Certes, les éditeurs ont remporté la bataille de l'Internet et développé des audiences nouvelles : 25 millions de personnes consultent la presse sur les sites, 4 millions sur les smartphones, environ 2 millions sur les tablettes. Dans le cadre de leur mission - produire une information de qualité destinée à éclairer le jugement des citoyens - les éditeurs ont toujours su investir massivement quand une innovation technologique l'imposait.

Néanmoins, la distribution est encore économiquement fondée sur la distribution physique des journaux, dont la vente au numéro représente entre 40 % et 60 % des ventes. La réforme de Presstalis est incontournable : si cette entreprise faisait faillite, les effets sur l'ensemble de la filière seraient considérables et toucheraient non seulement les quotidiens et les magazines, mais aussi les kiosques et les rédactions elles-mêmes.

M. David Assouline. - Le conflit autour du plan de sauvegarde qui oppose depuis plusieurs mois la direction de Presstalis à ses salariés a pour conséquence la multiplication des actions de blocage de la diffusion des journaux, notamment à Paris et en région parisienne. Quelle part les éditeurs ont-ils pris aux tentatives de redressement des comptes ? Quelles sont les conséquences du conflit pour eux ? Quels sont les titres les plus touchés ? Qu'attendez-vous de la médiation confiée à M. Redding et du Gouvernement en général ?

Les représentants du syndicat général du livre et de la communication écrite soulignent la responsabilité des éditeurs, qui sont à la fois actionnaires et clients de Presstalis - ce qui est à la limite du conflit d'intérêt -, dans la dégradation des comptes depuis le départ du groupe Lagardère. Ils mettent en cause l'instauration de barèmes sous-évalués, comme l'avait déjà fait M. Mettling dans un rapport de 2010. Michel Françaix, dans son avis budgétaire pour 2013, a critiqué ouvertement l'immobilisme et le manque de solidarité des éditeurs, qu'il estime responsables de la situation économique actuelle de Presstalis. Qu'en pensez-vous ? Le mode de gouvernance de la distribution de la presse, sans instance indépendante de régulation, vous paraît-il efficace ?

Parmi les modes de diffusion de la presse (abonnement, voie postale, portage ou vente au numéro, qu'avait encouragée la loi Bichet du 2 avril 1947), constate-t-on une évolution au profit des abonnements ? Les kiosquiers, semble-t-il, se lancent dans le portage à domicile, aujourd'hui pour Le Figaro, demain pour d'autres titres qui sont intéressés. Le développement de la presse numérique modifie-t-il les habitudes des lecteurs ? Les récentes difficultés de livraison détournent-elles les lecteurs des kiosques ? Estimez-vous envisageable un système de livraison des marchands de journaux qui soit indépendant de Presstalis ?

Faut-il réorienter les aides à la presse vers la diffusion de la presse au numéro ? Que pensez-vous de la proposition du rapport Françaix consistant à lier l'attribution d'aides à l'adoption, par les rédactions, d'une charte déontologique ? Qu'attendez-vous du groupe de travail confié à M. Maistre ?

Une table ronde aurait été bienvenue, afin que les acteurs puissent se parler. Presstalis a refusé, demandé des auditions, puis il a annulé son rendez-vous avec nous ! Cela nous choque. Merci à vous d'être venu.

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Il n'y a pas eu de réorganisation majeure de la filière de distribution depuis des années. Le résultat en est une situation où l'attrition des volumes et l'importance des coûts fixes rendent artificiel le maintien d'une concurrence. Ce constat est partagé par l'Autorité de la concurrence. Il faut une structure commune de moyens, assortie d'une péréquation des coûts. Sur quelques prestations spécifiques, une concurrence est possible, mais, dans les faits, tout le système de la distribution est mutualisé, y compris les dépôts régionaux (le niveau 2) ainsi que le niveau 3, c'est-à-dire les kiosquiers.

Dans les dix prochaines années, les journaux papier continueront à être diffusés : un média ne tue pas l'autre. Sans doute y aura-t-il un arbitrage entre portage et postage. Les consultations sur Internet croîtront en parallèle car ce ne sont pas les mêmes publics, ni les mêmes usages. Sans doute, y aura-t-il un léger effet de substitution, en fonction des jours de la semaine et des habitudes de chacun. La diffusion physique devrait donc diminuer de 4 % ou 5 % par an, peut-être plus pour la vente au numéro et moins pour l'abonnement et le portage. Le système de distribution physique a donc de l'avenir, nous en sommes convaincus.

D'ailleurs, le modèle économique de diffusion par Internet n'est toujours pas au point, et celle-ci ne constitue que 10 % du chiffre d'affaires global des éditeurs. Les Français sont habitués à la gratuité sur Internet et il n'est pas facile de revenir dessus. Nous y parvenons petit à petit, grâce à des formules d'abonnement intelligentes, que complète la publicité. Il faut également mieux redistribuer la valeur entre les producteurs de contenus et les diffuseurs tels que Google ou Apple, que cela passe par des accords ou par une loi.

Les ventes au numéro resteront fortes, si nous parvenons à maintenir les points de vente. Le portage devrait se développer : il correspond à l'habitude d'être livrés à domicile que prennent les Français, et dont témoigne l'essor du commerce électronique. La livraison est faite très tôt : on se connecte avec l'information du monde dès le petit-déjeuner. Le système postal est très efficace, mais il livre après ce premier moment de rencontre avec l'actualité. La diffusion par portage a ainsi crû de 30 % en trois ans pour la presse quotidienne nationale.

Les réflexions en cours devraient se focaliser sur les aides à la diffusion - les aides à Presstalis, les aides au portage et les aides à la Poste - en les ciblant sur les canaux qui ont le plus d'avenir : la vente au numéro et le portage.

M. David Assouline. - Presstalis dégage un déficit considérable, qui frise le dépôt de bilan, ce qui provoque de grandes difficultés pour la presse. Qui est responsable de cette situation ? Que pensez-vous du plan de sauvegarde adopté : est-il juste pour chacune des parties ? Comment sortir du conflit et qu'attendez-vous du médiateur ?

M. Jean-Pierre Chauveau. - Dans la presse, il y a la rédaction, l'impression et la distribution : à quel niveau se situe le problème ?

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Les difficultés ne proviennent pas de l'impression. Les problèmes de l'imprimerie, comparables aux difficultés actuelles de la distribution, ont été réglés il y a dix ans par la presse quotidienne nationale. A l'époque, chaque titre avait son imprimerie. Cela devenait intenable ! L'évolution nécessaire s'est faite grâce à un concours d'initiatives individuelles orientées comme par la main invisible d'Adam Smith, mais aussi un peu par les pouvoirs publics, pour aboutir à un système de quelques imprimeries modernes, mutualisées, proches des systèmes de diffusion au lieu d'être regroupées à Paris et utilisant des méthodes écologiques.

Les économies d'échelle ainsi réalisées ont été complétées par des aménagements sociaux dont nous pensons qu'ils tardent à se produire dans le secteur de la distribution : l'organisation sociale et salariale de Presstalis n'a pas évolué comme l'imposait la situation économique. Les éditeurs ont consenti un effort financier important en augmentant le barème de 1 % et le capital de 0,5 %. L'État a proposé des prêts remboursables. L'argent collecté par le système de distribution a été gelé dans la trésorerie de Presstalis et n'est pas reversé, ou tardivement, aux éditeurs. Certes, 1 200 licenciements ou reclassements, ce n'est pas rien. Mais il faut faire face à cette réalité.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - En tant qu'utilisateur de l'outil qu'est Presstalis, estimez-vous qu'avec la moitié de sa main d'oeuvre, il pourrait exercer ses missions ?

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Oui. Prenez les dépôts régionaux : nous y provoquons des économies d'échelle, en passant de 180 à 80 plateformes. Presstalis pourra diffuser l'ensemble de la presse, toutes les nuits, dans les quelque vingt-huit mille points de vente, en s'organisant différemment.

M. André Gattolin. - La loi Bichet était excellente pour le pluralisme de la presse et de la distribution. A l'époque, il y avait surtout des quotidiens, et quelques magazines d'information. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le secteur de la presse a beaucoup évolué, avec le développement de publications féminines ou thématiques, dont l'objectif n'était plus d'informer : il s'agissait d'opérations commerciales. L'offre de « produit » a explosé, l'importance de la presse quotidienne a diminué, et le système de diffusion en a pâti. La liberté d'accès est exploitée par certains éditeurs qui font de la « cavalerie », lancent un titre et le mènent au dépôt de bilan puis recommencent avec un autre : j'ai à l'esprit le nom d'un de ceux-là, qui encombre les stands ainsi depuis trente ans...

La presse écrite est le seul média qu'il faut aller chercher : la télévision, la radio, Internet sont disponibles à domicile. Le portage s'est développé parce que la Poste n'a pas su répondre à l'urgence des quotidiens : reçus le lendemain ou le surlendemain, ils perdent tout leur intérêt. Les pouvoirs publics ont dépensé beaucoup en aides, hélas en manquant de continuité dans leur stratégie. Or ce stop and go a gravement nui à leur efficacité. Enfin, le système syndical prend tout le monde en otage, mais la presse quotidienne plus que les autres : un retard de deux heures est très préjudiciable aux quotidiens, guère aux mensuels. Enfin, la loi Bichet était encore adaptée à la situation il y a cinq ou dix ans, elle ne l'est plus aujourd'hui. Un « nettoyage » de la presse magazine s'impose. Pour cela, réorientons les aides publiques vers la presse d'information générale, qui exerce une mission de service public, en écartant les publications commerciales, quelque honorables soient-elles.

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Quand un kiosque ne reçoit pas les quotidiens, il ferme pour la journée. Quand il ferme, seuls 70 % des clients se rendent dans un autre point de vente. Et moins le maillage est dense, moins il y a de ventes au numéro. Le taux de fidélisation par le portage est presque de 15 % supérieur à celui des abonnés par la Poste. C'est un service à très forte valeur ajoutée. Notre orientation générale est donc de développer la vente au numéro et le portage.

La loi Bichet, en 1947, a ouvert une vraie liberté pour créer des supports : il n'y a pas de ticket d'entrée : on accède immédiatement à l'un des réseaux de distribution les plus développés et, par lui, à près de 30 000 points de vente. Mais cette loi organisait aussi une distribution mutualisée. Des évolutions juridiques sont souhaitables. L'autorité de régulation de la diffusion de la presse devrait voir ses pouvoirs renforcés afin de protéger ce principe de mutualisation.

Les délais de préavis pour passer d'une messagerie à une autre sont si faibles qu'ils encouragent une logique de « cavalerie » et de profit sur le court terme. Or, le gain ainsi engrangé par l'éditeur constitue une perte pour le secteur. Cette logique va à l'encontre de la solidarité et de la mutualisation des flux, qui sont les piliers du système de distribution de la presse.

Mme Marie-Annick Duchêne. - Pouvez-vous nous en dire plus quant aux dispositions de la loi Bichet ?

Mme Colette Mélot. - Est-il exact, comme me l'a indiqué le responsable d'un point de vente, que les interruptions de distribution, cumulées, aient atteint deux mois au cours de l'année écoulée ? Comment fonctionne la presse dans les autres pays européens ? On a l'impression que la distribution de journaux s'y porte mieux. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, les quotidiens sont plus épais. Nos voisins lisent-ils la presse plus que nous ? La filière est-elle plus florissante ? Avons-nous pris du retard dans la modernisation ?

M. David Assouline. - Je constate que vous ne répondez pas à l'une de mes questions ! Est-ce délibéré ou non ? Dans ce conflit, comment analysez-vous les responsabilités sur le déficit constant de Presstalis ? Hier, le syndicat du livre nous a indiqué qu'il acceptait une réforme en province, la régionalisation et même une sorte de mobilité imposée. La sous-traitance totale pourrait, d'après eux, être évitée dans les dépôts parisiens. Comment justifiez-vous ce recours à la sous-traitance ? Les éditeurs sont-ils responsables de la situation ? Qu'attendez-vous du médiateur ?

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Pourriez-vous rappeler les principes de la loi Bichet ? Dans quel état se trouve la filière de distribution de la presse dans les autres pays européens ? Et nous attendons votre réponse à la question de M. Assouline : qui sont les coupables ?

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Les problèmes de la distribution et de Presstalis en particulier ont trois causes principales : une baisse des volumes, la concurrence artificielle que se livrent les messageries et le problème social (manque de flexibilité et absence de réorganisation des métiers).

Le problème de la concurrence artificielle est en passe d'être réglé, je l'ai dit, puisque l'Autorité de la concurrence a décidé que les coûts spécifiques liés à la mission de service public de distribution des quotidiens devaient être mutualisé. Les MLP participeront aux charges qui ont été supportées jusqu'à maintenant par Presstalis, c'est logique. En outre, l'organisation doit être revue en visant la massification des volumes pour produire des économies d'échelle.

La médiation pourrait utilement se pencher sur le problème social. Je l'ai dit, il faut reconvertir 1 200 personnes... Si le médiateur peut étendre sa réflexion aux modalités de reconversion et à l'accompagnement social, de même qu'à une organisation différente en région et à Paris, c'est très bien.

La loi Bichet de 1947 repose sur un principe simple : soit on assure entièrement seul les ventes au numéro de son titre de presse, soit on en confie la distribution à un système coopératif, mais alors on lui confie l'intégralité de ses volumes. On ne peut panacher.

M. André Gattolin. - Avec l'objectif politique que j'ai rappelé.

M. David Assouline. - Tout éditeur de presse a le droit d'être présenté et distribué dans tous les kiosques de France. Il n'y a pas de censure. Au lendemain de la guerre, on a considéré que le pluralisme de la presse n'allait pas sans le pluralisme de la distribution.

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Il existait une volonté politique de représenter tous les courants d'opinion et ce n'est possible qu'avec des moyens mutualisés.

En France, la presse quotidienne est surtout une presse d'opinion ; l'analyse vient ensuite. C'est le contraire en Grande-Bretagne ou en Allemagne, qui privilégient l'analyse. Nous avons aussi une offre quality paper, par rapport à des pays comme la Grande-Bretagne, qui vend beaucoup de journaux très grand public, un peu moins de magazines. Nous sommes quant à nous de gros consommateurs de magazines, moins de quotidiens. En revanche, notre système de distribution est de loin le plus performant : notre pays est le mieux irrigué par la presse, à l'exception peut-être de l'Italie.

M. André Gattolin. - Où l'État donne beaucoup d'argent !

M. Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). - Quant à l'Allemagne, son système est très régionalisé.

Dans les systèmes étrangers, singulièrement dans les pays du nord et de l'est de l'Europe, tout le monde n'a pas accès à tout : le diffuseur choisit ses titres. Ce n'est pas notre choix, et les objectifs de l'après-guerre demeurent valables.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente. - Tout ceci est fort instructif et nous vous en remercions. Cette audition est notre dernière sur la presse.