Mercredi 8 juin 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Contrôle budgétaire du réseau d'appareillage au service des anciens combattants - Communication

Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission entend tout d'abord une communication de M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial, sur le réseau d'appareillage au service des anciens combattants.

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - L'année passée nous avions, avec ma collègue Janine Rozier, présenté un rapport d'information intitulé : « Réforme de l'administration des anciens combattants : une campagne bien menée ». Celui-ci avait pour objectif d'analyser les conditions de mise en oeuvre de la suppression de la direction des statuts, des pensions et de la réinsertion sociale (DSPRS) qui s'achèvera à la fin de l'année 2011 avec la fermeture des dernières directions interdépartementales des anciens combattants (DIAC) et de sa direction centrale. En conclusion de ce rapport, nous avions pris l'engagement d'exercer une vigilante attention sur le maintien d'un service d'offre d'appareillage de qualité au bénéfice des anciens combattants.

J'ai ainsi effectué une série d'auditions en ce début d'année afin de m'assurer des conditions dans lesquelles les anciens combattants, victimes de guerre mais également victimes civiles d'attentats peuvent continuer de bénéficier d'une juste réparation.

Avant la réforme, le réseau de l'appareillage s'appuyait sur les dix-neuf centres régionaux d'appareillage des directions interdépartementales des anciens combattants (DIAC) :

- des médecins spécialistes de l'appareillage, trente au total, examinaient les personnes handicapées et déterminaient le type d'appareil nécessaire ;

- des techniciens vérifiaient la conformité de l'appareil prescrit sur le plan technique et contrôlaient les factures ;

- enfin, des personnels administratifs saisissaient les données relatives aux prestations effectuées, établissaient les décisions d'accord ou de rejet de prise en charge, liquidaient et mandataient les créances pour le règlement des professionnels de santé.

Les consultations médicales d'appareillage, prévues pour les ressortissants du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG), et également pour ceux des régimes d'assurance maladie, étaient organisées soit au centre régional d'appareillage, soit dans des centres annexes - cent vingt lieux de consultation environ - soit au domicile du patient en cas de nécessité.

Il convient de souligner que l'activité d'appareillage s'exerçait majoritairement, à plus de 80 % de l'activité selon les DIAC, au profit des invalides "civils", ressortissants des régimes d'assurance maladie. Ceci justifiait l'importance du nombre de lieux annexes de consultation.

Dans la nouvelle organisation, une répartition des tâches est opérée entre :

- d'une part, le service de santé des armées (SSA), qui effectue les consultations médicales et les réceptions médico-techniques d'appareillage ;

- d'autre part, la Caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) à Toulon, opérateur pour l'État, qui prend en charge le paiement des factures et les renouvellements d'appareillage et d'aides techniques.

Le service de santé des armées qui, dans un premier temps, a repris la mission d'appareillage au profit des seuls ressortissants du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, s'est appuyé sur les équipes médico-techniques en place, en rattachant les médecins volontaires exerçant au sein des DIAC (vingt-deux sur les trente) et les techniciens (douze sur dix-neuf) soit à un hôpital d'instruction des armées, soit à un autre établissement de soins ou de santé avec lequel a été signée une convention.

Le SSA s'est appuyé sur des centres médicaux des armées pour organiser des lieux de consultation secondaires et a maintenu le principe des visites à domicile en cas de nécessité.

Le service de santé des armées a repris l'ensemble de l'activité au 1er janvier 2011 pour un calendrier initial qui prévoyait novembre 2012 comme date butoir. Parallèlement, on constate que le SSA a réussi à préserver un maillage territorial efficace. Seul le cas de la Corse pose une difficulté avec deux tournées annuelles prévues pour pallier le manque de structures.

La difficulté à laquelle est confronté le service de santé des armées reste celle du départ en retraite des médecins et du déficit de praticiens dans les spécialités requises. En effet, à la date de l'organisation du transfert de la mission appareillage, le tiers de l'effectif des médecins avait entre soixante et soixante-cinq ans.

Il faut rappeler néanmoins que les consultations médicales peuvent toujours être effectuées dans le réseau hors Service de santé des armées. Ainsi, selon les données de la CNMSS, au 1er mars 2011, sur les douze derniers mois, les demandes d'appareillage étaient respectivement de 1 305 traitées par le réseau SSA, soit 35 % des demandes, et 2 408 hors réseau SSA. Cependant, lorsque l'on considère les demandes de gros appareillage, on constate que la tendance s'inverse puisque ces demandes viennent à 50,6 % du SSA (1 040 contre 1 016).

De son côté, la CNMSS a signé une convention de gestion avec la direction des ressources humaines du ministère de la Défense et des anciens combattants (DRH-MD) le 7 janvier 2010 pour déterminer les conditions dans lesquelles elle assure cette mission d'Etat.

Cette convention a été complétée par un premier avenant signé le 6 mai 2010 pour confier également la gestion médico-administrative et financière de l'appareillage à la CNMSS et affecter dix agents à la gestion spécifique de la question de l'appareillage.

Au sein de la CNMSS, le nombre de personnes travaillant spécifiquement sur les dossiers d'appareillage est de quatre au service du contrôle médical dont un médecin spécialiste, et six agents qui traitent et liquident les dossiers.

Comparativement, on constate donc une économie d'échelle réalisée en termes d'effectifs par la centralisation. Jusqu'alors, cette même activité était assurée par vingt-trois agents dans les DIAC, sans compter les agents des services de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONAC) en outre-mer, à l'étranger et en administration centrale.

Cependant, pour l'heure, il n'est pas possible de chiffrer ces économies en raison de la proximité de la réforme.

Pour résumer, les mutations intervenues sur l'appareillage à l'occasion de la fermeture des DIAC n'ont, d'une part, pas remis en cause la qualité des soins et du maillage, la localisation des centres médicaux au sein des hôpitaux militaires ayant été très appréciée.

D'autre part, l'unité de gestion des dossiers au sein de la CNMSS permet une rationalisation des moyens tout en assurant une politique uniformisée du traitement des demandes.

Comment mesurer la réussite de la réforme ? D'une part, par les économies réalisées. Comme nous venons de le dire, les effets ne sont pas encore mesurables et les 8,5 millions d'euros de budget alloués, en diminution en 2011, s'expliquent par une baisse légère du nombre des prestations.

D'autre part, l'autre impératif de la réforme était la satisfaction du monde combattant. Parmi les associations d'anciens combattants auditionnées, sans oublier que la réforme n'est pas totalement terminée, et, sans nier parfois certaines craintes initiales, il a été souligné que la reprise de l'activité par le service de santé des armées s'était faite de façon intelligente puisque les médecins des DIAC ayant été repris, le lien personnel n'a pas été rompu.

Globalement les ressortissants semblent estimer que cette réforme n'a pas perturbé le service rendu. Paradoxalement peut-être, c'est sur la question du petit appareillage que la gestion centralisée de la CNMSS semble poser quelques difficultés en raison du manque de stocks de ces petits appareillages que les ressortissants avaient l'habitude d'obtenir assez facilement auprès des DIAC.

Il faut signaler que la CNMSS a adressé plus de 170 000 courriers aux ressortissants, médecins et fournisseurs, afin de leur expliquer la réforme. L'ONAC, service de proximité, a également joué un rôle pédagogique important.

Ainsi, autant qu'on puisse en juger, la réforme apparaît maitrisée vis-à-vis des populations bénéficiaires.

Au sein des structures relevant de l'appareillage, un organisme a une place à part : le centre d'étude et de recherche sur l'appareillage des handicapés (CERAH), situé à Woippy en Moselle, et dont une antenne est à Créteil. Considéré avant la réforme comme le centre médico technique de la DSPRS, il a été intégré au cours de 2010 à l'institution nationale des invalides (INI). Ceci a permis à l'INI de réaliser pleinement l'une de ses missions : l'étude et la recherche.

Le CERAH, ce sont cinquante-cinq agents qui ont été maintenus dans leur fonction et affectés par arrêté à l'INI, ce qui a permis de ne pas rencontrer de problèmes majeurs liés aux rémunérations.

Le CERAH est un centre proposant de l'information avec une base de données internet CERAHTEC qui permet aux personnes handicapés, médecins et fournisseurs de connaître les matériels compatibles avec les pathologies. Il apporte surtout des aides techniques aux handicapés, civils ou non, en traitant les cas les plus complexes. En 2010, il a délivré huit cent dix-neuf consultations.

Le CERAH agit également comme centre de recherche, d'amélioration et de développement de l'appareillage. Il réalise des essais (cinq cent soixante-quatre en 2010) permettant l'homologation d'appareillages, d'orthèses et de prothèses.

Il faut surtout noter que le changement de statut du CERAH, avec le rattachement à l'INI et son statut d'établissement public administratif, lui a permis de commencer à développer des partenariats sur financements européens et multilatéraux pour la recherche et la formation qui étaient jusqu'alors rendues difficiles par son rattachement à l'administration centrale.

Avec un budget de 3,8 millions d'euros pour 2010 dont 3,37 proviennent de la subvention accordée à l'INI, il faut encourager le CERAH, formidable outil du monde combattant au service de tous, à développer ses recettes propres tout en conservant sa politique d'excellence.

En conclusion, je veux souligner la qualité du suivi de la reprise de l'activité appareillage par les administrations concernées. Je souhaiterais, sans que la publication d'un rapport d'information s'impose, pouvoir communiquer, avec votre accord, nos conclusions au ministre. En marge du prochain rapport spécial annexé à la loi de finances, je pourrai, si la commission le souhaite, faire un nouveau point d'étape, sur la fermeture des services de la DSPRS.

M. Jean Arthuis, président. - Cette communication délivre un message d'apaisement sur les conséquences de cette réforme, la population directement concernée est prise en charge dans des conditions satisfaisantes.

M. François Trucy. - Permettez-moi de remercier le rapporteur pour cette communication fort utile et d'apporter une information complémentaire concernant la CNMSS située à Toulon qui est le seul régime, à ma connaissance, parfaitement en équilibre et est une maison extrêmement bien gérée allant parfois jusqu'à susciter des convoitises. Des tentatives d'intégration au régime général ont d'ailleurs eu lieu.

M. Jean Arthuis, président. - Peut-être une telle intégration propagerait-elle l'excellence...

M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur spécial. - Il est vrai que la CNMSS a agi avec une grande réactivité et même en avance sur ce qui était envisagé pour reprendre cette gestion et qu'elle a dû faire face aux nombreux demandes et appels des anciens combattants.

M. Jean Arthuis, président. - L'intérêt de ces institutions de dimension réduite est également d'avoir une réelle réactivité. Ces observations de notre rapporteur spécial pourraient être utilement transmises à monsieur le ministre de la défense et des anciens combattants maintenant ou à l'occasion de la discussion budgétaire.

Contrôle budgétaire sur l'hébergement des demandeurs d'asile et son financement - Communication

La commission entend ensuite une communication de M M. Pierre Bernard-Reymond et Philippe Dallier, rapporteurs spéciaux, sur l'hébergement des demandeurs d'asile et son financement.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Les deux missions dont nous sommes les rapporteurs spéciaux - « Ville et logement » et « Immigration, asile et intégration » - gèrent des crédits budgétaires destinés à l'hébergement des demandeurs d'asile. Ce sont aussi deux missions abonnées aux abondements budgétaires en cours d'année. Il était donc intéressant de voir comment nous pouvions, sur un sujet commun, faire en sorte que le Gouvernement améliore sa prévision budgétaire.

Le problème de l'hébergement des demandeurs d'asile connaît une acuité particulière en raison de la forte augmentation, ces dernières années, du flux de la demande d'asile en France. Cette progression a mis sous pression les structures d'hébergement chargées de les prendre en charge pendant la durée de l'instruction de leurs dossiers.

Examinons, dans un premier temps, la place de l'hébergement des demandeurs d'asile dans chacune des deux missions concernées.

C'est un des principaux postes de dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration ». Pour l'année 2011, 199 millions d'euros ont été prévus pour financer les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et 40 millions d'euros supplémentaires au titre de l'hébergement d'urgence. En effet, le nombre de places en CADA, bien qu'ayant fortement augmenté, est insuffisant pour accueillir l'ensemble des demandeurs, qui se reportent donc vers les structures classiques d'hébergement d'urgence.

Au total, 239 millions d'euros de crédits figurent au sein de la mission « Immigration, asile et intégration » pour l'hébergement des demandeurs d'asile, soit plus de 45 % du total de ses crédits.

En outre, les crédits liés à l'accueil et à l'hébergement de ces populations font régulièrement l'objet de sous-budgétisations en loi de finances initiale, phénomène qui se reproduit d'ailleurs en 2011 puisque le prochain projet de loi de finances rectificative que nous examinerons propose encore d'ouvrir 50 millions d'euros supplémentaires sur ces actions.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Le parc de places en CADA a connu une forte augmentation entre 2001 et 2005, passant de 5 282 places à 17 470 places, soit une croissance de 231 %. Entre 2006 et 2010, il n'y a eu que 3 940 places supplémentaires, soit une augmentation de 23 %. En 2011, le parc doit se stabiliser sur le chiffre de 21 410 places.

Quelle est, parallèlement, la situation du parc d'hébergement dit généraliste ?

Celui-ci comptait au 31 décembre 2009 : 39 442 places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), 13 487 places en centres d'hébergement d'urgence (CHU), 4 048 places en centres de stabilisation (hors CHRS) et environ 13 025 places dans les hôtels, soit 70 002 places au total (hors places hiver, résidences sociales et maisons-relais). Il a connu, depuis cinq ans, une très forte croissance liée au PARSA, le Plan d'action renforcé pour les sans abri, décidé par le Gouvernement le 8 janvier 2007.

En outre, dans l'hébergement d'urgence généraliste s'applique le principe de l'inconditionnalité de l'accueil, qui prévoit que l'hébergement est offert à toute personne présentant une situation de détresse, quel que soit son statut. En revanche, en CHRS, il n'y a en principe que des personnes en situation régulière.

C'est donc naturellement sur ce parc, en expansion et ouvert à tous, que se reporte la demande d'hébergement de la part des demandeurs d'asile, qui suit un rythme d'augmentation rapide ces dernières années.

Comment mesurer le report des CADA vers le dispositif généraliste ?

Une enquête a été conduite fin 2009 par les services de l'Etat au niveau local dans les centres d'hébergement généralistes. D'après ses résultats, au 1er octobre 2009, les demandeurs d'asile étaient 1 662 dans le dispositif d'hébergement d'urgence généraliste, pris en charge par le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Ville et logement », et occupaient donc 6 % des places disponibles.

Cette prise en charge correspond à une dépense annuelle chiffrée par le Gouvernement à 20 millions d'euros sur le programme 177.

Rapportée à des crédits de 248 millions d'euros en loi de finances initiale pour l'hébergement d'urgence, la prise en charge des demandeurs d'asile stricto sensu représente 8 % de la dotation initiale du programme.

Cela peut paraître modeste mais cette dépense « indue » a aussi comme caractéristique d'être très peu maîtrisable, puisque, comme le souligne un rapport réalisé par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et le Contrôle général économique et financier (CGEFI), elle « joue, au fil des trimestres, le rôle de variable d'ajustement en fonction de l'afflux des demandeurs d'asile et du nombre de dossiers de demande d'asile traités ».

Or, le programme 177 se caractérise, de manière répétée, par une sous-budgétisation et, en conséquence, des réabondements budgétaires en cours d'année.

Sur l'exercice 2010, les crédits de loi de finances initiale du programme 177 ont été complétés par des reports (2,9 millions d'euros), des ouvertures en décret d'avance (110 millions d'euros) et en loi de finances rectificative (83,5 millions d'euros). Au total, 196,4 millions d'euros, sur 1 milliard d'euros, soit près de 20 % supplémentaires, pour l'action 2 « Actions en faveur des plus vulnérables » qui regroupe tous les crédits d'hébergement.

Ces réévaluations faisaient suite à celles des années précédentes : pour 2009, 180 millions complémentaires avaient abondé ce programme à l'occasion de trois décrets d'avances et de la loi de finances rectificative relative au plan de relance.

Quel bilan peut-on dresser de la gestion actuelle du dispositif ?

Le partage de fait de la responsabilité du dispositif d'hébergement entre les deux missions « Ville et logement » et « Immigration, asile et intégration » ne favorise pas une bonne gestion, du fait du cloisonnement des objectifs et des budgets.

Les auditions que nous avons tenues ont mis en évidence des lacunes très importantes s'agissant de la connaissance des parcs comme de leur occupation et une absence quasi-totale de coordination entre les administrations concernées.

Aucun critère ne semble présider à l'imputation des crédits sur le programme 303 plutôt que sur le programme 177, et inversement. Les dotations sont définies par rapport aux consommations des années précédentes et non en fonction de calculs effectués en vue d'une répartition cohérente de la charge de la demande d'asile.

Aucun système d'information fiable ne permet de recenser les effectifs de demandeurs d'asile présents dans les dispositifs d'hébergement d'urgence ou hébergés par leurs propres moyens. Les chiffres dont dispose l'administration sont déclaratifs et sont qualifiés « d'approximations ». Le rapport de l'IGAS et du CGEFI indique qu'un nombre indéterminé de demandeurs d'asile étaient accueillis en structures d'urgence financées sur les programmes 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration » ou 177 et que la répartition des autres demandeurs d'asile, hors CADA, entre les différentes situations en matière d'hébergement n'est pas connue.

Par ailleurs, l'absence d'unité de gestion entre les CADA, d'une part, et l'hébergement d'urgence, d'autre part, nuit à l'efficacité du dispositif global d'hébergement : des places en CADA peuvent être libres sans être rendues disponibles pour les autres publics à héberger tandis que le programme 177 subit des transferts de charge du fait de l'hébergement des demandeurs d'asile.

Les CADA étant traités à part, ils sont en outre exclus de certains dispositifs comme le financement de la rénovation et de l'humanisation des centres d'hébergement gérés par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH).

La seule marque de collaboration entre les deux ministères concernés - intérieur et écologie - s'est manifestée par une circulaire en date du 31 janvier 2011 relative à la coopération entre les services intégrés pour l'accueil et l'orientation (SIAO) et les plates-formes régionales d'accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile.

S'agissant des CADA, nous nous sommes aperçus au cours des entretiens que nous avons menés que leur mode de gestion et de financement ne faisait l'objet d'aucune harmonisation. Ces structures sont gérées par différentes associations (notamment Adoma, l'AFTAM et France Terre d'asile) qui proposent des prestations différentes dans chaque établissement sans qu'aucune analyse des coûts ne permette d'ajuster les subventions accordées par l'Etat aux services effectivement dispensés, au préjudice de la bonne gestion des crédits.

C'est la raison pour laquelle le rapport réalisé par l'IGAS et le CGEFI indique, s'agissant de la répartition des enveloppes financières entre les CADA, qu'en l'absence d'outil d'analyse fonctionnelle et de références comparatives, il n'y a pas de juste allocation des ressources, révélant une dotation limitée pour certains centres, relativement généreuse pour d'autres.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Plusieurs pistes sont ouvertes pour améliorer la situation actuelle en modifiant la gestion du dispositif d'hébergement.

En premier lieu, comme le recommande le rapport de l'IGAS et du CGEFI, il faut compléter le système d'information en liaison avec les préfectures, afin de recenser les effectifs de demandeurs d'asile présents dans d'autres dispositifs à financement public ou hébergés par leurs propres moyens, afin notamment de leur fournir l'assistance juridique adéquate. Il s'agit de se donner les moyens de rétablir une égalité de traitement entre ceux qui ont eu la chance de disposer de places en CADA, avec l'accompagnement social et juridique, et ceux qui sont hébergés en CHU et en hôtels et qui en sont exclus.

Ensuite, il conviendrait d'unifier ou au moins de coordonner la gestion des différents dispositifs d'hébergement des demandeurs d'asile afin de garantir une optimisation des places disponibles, notamment par une territorialisation intelligente des centres. L'Ile-de-France concentre 45 % des demandes d'asile mais seulement 16,5 % des places de CADA.

L'amélioration de la prévision budgétaire doit permettre de remédier aux sous-budgétisations récurrentes du programme 303 et du programme 177.

S'agissant maintenant exclusivement des CADA, il nous semble qu'il convient de continuer la politique, menée ces dernières années, d'accroissement du nombre de places. En effet, en raison de l'importance du flux des demandeurs d'asile, au 31 décembre 2010, seuls 31,4 % de ceux éligibles à une entrée en CADA y sont effectivement hébergés. Or, nous avons vu que le suivi juridique était plus facile et plus efficace en CADA, notamment lorsqu'ils ne sont pas en structure éclatée, que dans des dispositifs d'hébergement d'urgence.

Il faut aussi progresser vers une meilleure gestion des CADA, à travers la définition d'un référentiel de coûts par fonction et utiliser ce référentiel comme outil de détermination des dotations de financement. Nous sommes également favorables à la proposition avancée par la mission de l'IGAS et du CGEFI de signer des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens avec les trois grands opérateurs gérant les CADA.

Autre piste d'amélioration de la gestion des CADA : d'après les informations que nous avons recueillies auprès du Gouvernement, 7,8 % des personnes qui y étaient hébergées au 31 décembre 2010 s'y trouvaient en présence indue, soit parce qu'elles avaient dépassé le délai de six mois autorisé après l'octroi du statut de réfugié, soit parce qu'elles avaient dépassé celui d'un mois laissé aux déboutés de la demande d'asile. Une meilleure gestion des CADA impliquerait de mettre à fin à ces situations, afin de rendre les places de CADA disponibles aux demandeurs d'asile qui constituent le public que les CADA ont vocation à accueillir.

Enfin, il faut poursuivre les actions de plus long terme pour réduire le nombre de personnes en attente d'une décision relative à leur demande d'asile. Pour cela, il faut notamment s'assurer que les efforts supplémentaires déployés en faveur de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), conformément aux conclusions d'un contrôle que j'ai effectué conjointement avec notre collègue Jean-Claude Frécon l'année dernière, fournissent des résultats en matière de réduction des délais de traitement des demandes.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - En conclusion, on peut souligner que les défaillances de gestion que nous avons relevées et la confusion qui existe entre l'hébergement des demandeurs d'asile, d'une part, et l'hébergement généraliste, d'autre part, ne datent pas d'hier mais qu'elles étaient sans doute moins apparentes.

En effet, avant 2007, ces deux politiques étaient réunies au sein de la mission « Solidarité et intégration », qui accueillait les deux programmes : le programme 177, qui s'intitulait « Politiques en faveur de l'inclusion sociale », pour l'hébergement d'urgence généraliste, et le programme 104, « Accueil des étrangers et intégration », pour les CADA. Les transferts de charges s'effectuaient donc au sein d'une même mission. Puis, le programme 104 a été rattaché à la nouvelle mission « Immigration, asile et intégration » au moment de la création du ministère de l'immigration en 2007 et le programme 177 a rejoint, en 2009, la mission « Ville et logement ».

Ces restructurations de la maquette budgétaire ont renforcé la complexité de la gestion des crédits.

Il est regrettable que l'entrée en vigueur de la Lolf n'ait pas été l'occasion d'une optimisation de la gestion des crédits et que ceux-ci continuent à suivre les réorganisations ministérielles, sans cohérence d'ensemble.

M. Jean Arthuis, président. - On constate donc que le ministère de l'intérieur prend en charge les CADA, mais que la variable d'ajustement de l'hébergement des demandeurs d'asile est le programme 177, dont la responsabilité incombe au ministère chargé du logement, ce qui traduit le caractère perfectible du pilotage de cette politique.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration » au nom de la commission des lois. - En effet, la principale piste d'économies pour le budget de l'Etat est la réduction des délais de traitement des demandes d'asile, sans évidemment remettre en cause l'exercice de leurs droits par les demandeurs.

A l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), les délais ont fortement augmenté l'année dernière, tandis que la CNDA continue de faire face à un « stock » de dossiers important. Il y a quelques années, le renforcement des moyens de l'Ofpra avait permis de réduire les délais de manière significative. Le même objectif doit pouvoir être atteint pour la CNDA.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Le délai moyen actuel de traitement des dossiers est aujourd'hui de dix-neuf mois, si l'on inclut l'Ofpra et la CNDA. Or, nous avions estimé qu'il pourrait, sans porter préjudice à la qualité de la procédure, être réduit à dix mois.

M. Jean Arthuis, président. - N'a-t-on pas mis en place des procédures excessivement complexes qui rallongent ces délais ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. - Non, les textes sont équilibrés, le problème est vraiment relatif aux moyens des juridictions.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - A l'initiative de la commission des finances, nous avons déjà inscrit dans la loi de finances pour 2011 un dispositif réduisant le délai pendant lequel un demandeur d'asile peut solliciter l'aide juridictionnelle devant la CNDA. Cela devrait permettre de réduire le nombre de renvois prononcés en audience publique, facteur évident d'allongement des délais de procédure.

Nous avons pointé d'autres lacunes : le faible nombre d'avocats plaidant devant la CNDA, en raison de la faiblesse de leurs rétributions au titre de l'aide juridictionnelle, et la sévérité des décisions de l'Ofpra qui conduit mécaniquement à reporter, en appel, devant la CNDA, un nombre important de demandes.

M. Jean Arthuis, président. - Quelles sont les économies qui peuvent être espérées d'une réduction des délais de traitement des dossiers ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - Nous avons chiffré à environ quinze millions d'euros le coût d'un mois supplémentaire de procédure devant la CNDA.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Je souligne toutefois la nécessité que les déboutés de la demande d'asile soient effectivement reconduits à la frontière et que les réfugiés puissent trouver un logement. Dans le cas contraire, la réduction des délais de traitement des dossiers par la CNDA ne fera que reporter la charge de l'hébergement de ces personnes de la mission « Immigration, asile et intégration » vers la mission « Ville et logement ».

M. François Marc. - Je remercie les rapporteurs spéciaux pour leurs travaux, qui montrent que les besoins en matière d'accueil des demandeurs d'asile ne diminuent pas. Je souhaiterais savoir comment le Gouvernement ajuste l'offre d'hébergement aux besoins. Fait-il des efforts de prévisions ? Est-ce que, par exemple, les conséquences de la situation politique actuelle dans plusieurs pays du Maghreb font l'objet d'une anticipation ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur spécial. - S'agissant du nombre de places en CADA, malgré les efforts conséquents qui ont été fournis ces dix dernières années, force est de constater qu'ils ne sont pas à la hauteur de la progression de la demande d'asile. Malheureusement, les besoins ne font pas l'objet d'une prévision fine par le Gouvernement qui, chaque année, sous-évalue de manière évidente les dotations consacrées à l'hébergement des demandeurs d'asile.

M. Jean Arthuis, président. - Plus de 117 millions d'euros ont ainsi dû être ouverts en cours de gestion, à ce titre, sur l'exercice 2010.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - S'agissant du programme 177, la prévision n'est pas meilleure, l'hébergement d'urgence souffre chaque année des mêmes sous-budgétisations.

Deux phénomènes risquent de résulter de la situation actuelle au Maghreb : une immigration « économique », qui sera prise en charge par la mission « Ville et logement », et un afflux de demandeurs d'asile, dont l'accueil pèsera principalement sur la mission « Immigration, asile et intégration ». La gestion de ces phénomènes pose la question globale du pilotage de notre politique d'immigration.

Prévoir les flux d'immigration est complexe. Néanmoins, il serait déjà très satisfaisant qu'en loi de finances pour 2012 nous ouvrions des crédits à hauteur de ceux consommés en 2011 pour l'hébergement des demandeurs d'asile et l'hébergement d'urgence.

M. François Marc. - Une hausse de 50 % des crédits dans la situation actuelle des finances publiques est pourtant peu probable...

M. Jean Arthuis, président. - En conclusion, si vous connaissez des bailleurs sociaux qui disposent de places libres, ils savent à qui s'adresser.

M. Philippe Dallier, rapporteur spécial. - Il faut toutefois, pour bénéficier des logements sociaux, que les bénéficiaires se trouvent en France en situation régulière.

M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. - Je rappelle que les demandeurs d'asile se voient accorder, du fait de leur demande, un titre de séjour les autorisant à résider provisoirement sur le territoire français.

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de leur communication à MM. Pierre Bernard-Reymond et Philippe Dallier, rapporteurs spéciaux, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Contrôle budgétaire des participations transférées au Fonds stratégique d'investissement - Communication

Puis, la commission entend une communication de M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial, sur les participations transférées au Fonds stratégique d'investissement (FSI).

M. Jean Arthuis, président. - Nous entendons Jean-Pierre Fourcade sur les participations transférées au FSI, qui proviennent de l'Etat et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Après un démarrage un peu difficile, le FSI est aujourd'hui une institution qui fonctionne bien mais qui requiert quelques ajustements. Je formulerai cinq principales observations au gré des transparents qui vous seront projetés.

Le FSI est tout d'abord un outil original et qui a démontré son utilité. Il ne s'est pas transformé en « infirmerie de campagne » en 2009 et 2010 et a joué son rôle de renforcement de la compétitivité des entreprises. Est-il pour autant un fonds souverain ? Les actionnaires et dirigeants du Fonds estiment que c'est le cas, mais pour la commission des finances, il paraît difficile de le considérer comme tel lorsqu'on a un déficit budgétaire de 7 % du PIB et 1 500 milliards d'euros de dette publique ! C'est ma première observation.

Ainsi que le rappelle la nouvelle lettre de mission assignée au directeur général du FSI, adressée le 9 mai dernier et d'ailleurs concomitante avec ma mission de contrôle, le FSI est un investisseur avisé soucieux de l'intérêt collectif, minoritaire et de long terme. Il intervient en fonds propres et quasi-fonds propres auprès d'entreprises de toutes dimensions, pour contribuer à leur développement lorsqu'elles sont en bonne position concurrentielle, accompagner leur transformation dans la mondialisation ou renforcer et arrimer leur actionnariat de long terme.

Ce fonds a été doté de 20 milliards d'euros et est détenu à 51 % par la CDC et à 49 % par l'Etat. De manière originale, cette dotation a été constituée par 14 milliards d'euros d'apports de titres cotés ou non et 6 milliards d'euros d'apports en numéraire, dont une fraction de 3,6 milliards n'est pas encore libérée, ce qui illustre la difficulté de trouver des fonds propres pour ce fonds. L'Etat a apporté trois participations, pour un montant de 6,86 milliards d'euros, dans Aéroports de Paris, France Télécom et STX France Cruise, mais le FSI n'est pour l'heure pas en mesure de les céder. Là réside donc ma deuxième observation : le Fonds a « démarré doucement » et est contraint par un certain manque de liquidité lié aux apports reçus de l'Etat et à la fraction non libérée de l'apport en numéraire. Les apports de la CDC ont été plus variés, avec vingt participations cotées et onze participations dans des structures non cotées, essentiellement des fonds de capital-investissement. Les participations cotées sont plus liquides et le FSI en a d'ailleurs cédé certaines d'entre elles en 2010.

La gouvernance du Fonds est assez sophistiquée mais m'apparaît efficace. Elle comprend un conseil d'administration, auquel participent les deux actionnaires et trois administrateurs indépendants issus du secteur privé, et un comité d'orientation stratégique (COS) auquel sont notamment représentées les organisations syndicales. Le secrétaire général de la CGT m'a d'ailleurs récemment confié qu'il attachait beaucoup d'importance à ce comité, qui est présidé par une personnalité marquante, Jean-François Dehecq. Les rapports élaborés par le COS en 2009 et 2010 m'ont ainsi été très utiles. Le FSI est également une structure assez légère, dont le coût est modéré. Elle emploie cinquante-sept collaborateurs et ses charges d'exploitation s'élèvent à environ 20 millions d'euros, ce qui représente, en incluant les honoraires externes, seulement 0,3 % des actifs sous gestion.

En revanche, les modes d'intervention sont beaucoup plus complexes. Le FSI investit en direct dans des entreprises, mais aussi de manière indirecte, dans des fonds, à travers deux principaux canaux :

- des fonds spécialisés qu'il a contribué à créer et qu'il cofinance avec des partenaires publics ou privés, en particulier dans une logique de filière. Il finance ainsi les fonds de modernisation des équipementiers automobile de rang 1 et 2, Innobio et le Fonds Bois ;

- le programme généraliste FSI France Investissement, hérité de la CDC et géré par CDC Entreprises, dans le cadre duquel il investit aujourd'hui dans 191 fonds nationaux et régionaux. La CDC justifie cette organisation par un principe de subsidiarité, et entre janvier 2009 et mars 2011, ces fonds partenaires sont entrés au capital d'environ 670 entreprises, pour environ un milliard d'euros.

Sur la même période, le FSI a investi au total 3,82 milliards d'euros, dont, outre les fonds que j'ai mentionnés, 2,4 milliards d'euros en direct dans 42 entreprises (en incluant le Fonds de co-investissement direct), et 419 millions d'euros dans 86 entreprises au travers des fonds spécialisés. L'effet a été très important dans le secteur de la sous-traitance automobile, mais plus limité dans la filière bois. L'objectif d'engagements pour 2011 est d'environ deux milliards d'euros, dont un gros investissement de près de 700 millions d'euros dans STMicroélectronics.

La crise a suscité un afflux de demandes et le Fonds a ainsi reçu près de deux mille dossiers en 2009 et 2010, dont peu ont été traités par prospection directe. Le FSI a conclu un partenariat avec le fonds souverain Mubadala, mais qui n'a pour l'instant donné lieu à aucun co-investissement. Ceci conforte mon constat sur la distinction entre le FSI et les fonds souverains tels qu'on les entend habituellement.

La situation financière du FSI est tout à fait convenable. Au 31 décembre 2010, la valeur nette comptable des titres était de 16,4 milliards d'euros, ce qui témoigne d'une bonne valorisation des actifs, le total de bilan de 21,8 milliards d'euros et le résultat net de 646 millions d'euros.

J'en viens ici à ma troisième observation : une fraction de 60 % de ce résultat, soit 387 millions d'euros, a été distribuée aux deux actionnaires, alors qu'au même moment le Gouvernement annonçait un renforcement des moyens du Fonds, au travers d'un prêt du fonds d'épargne de la CDC. Un tel niveau de dividende me paraît incohérent, même s'il vient abonder le budget de l'Etat en recettes non fiscales. Il aurait été préférable, durant les premières années d'existence du Fonds, de conserver une plus grande part de ces profits plutôt que de mobiliser des ressources d'emprunt issues de la collecte de l'épargne réglementée.

L'augmentation des moyens du FSI est en tout cas nécessaire à terme, compte tenu du repositionnement en cours. Les dirigeants du Fonds souhaitent logiquement qu'elle provienne en priorité de la libération du capital non encore versé.

Néanmoins le Fonds fonctionne plutôt bien. La nouvelle lettre de mission précise que le FSI doit être prioritairement orienté vers les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME, sans exclure la consolidation ou la protection du capital de grandes entreprises, et le rapport d'activité pour 2010 - au demeurant excellent - expose clairement les axes d'investissement du FSI.

S'agissant à présent des ajustements, je constate tout d'abord que l'Etat se veut un actionnaire « normal ». Le FSI n'est ni aux ordres du politique, comme on l'a vu avec le dossier Heuliez, ni totalement autonome, car il demeure à la disposition des pouvoirs publics. Une des difficultés, qui tend cependant à s'apaiser, a trait au fait que la Caisse des dépôts, qui aide déjà un grand nombre de PME, joue un jeu un peu compliqué en étant à la fois actionnaire principal du Fonds, co-investisseur et co-gestionnaire.

C'est ma quatrième observation : tout le monde s'occupe des PME ! On trouve ainsi le FSI, la CDC, le Programme d'investissements d'avenir et Oséo, qui intervient en bas de bilan et entretient des rapports parfois conflictuels avec le Fonds. Cet édifice d'une grande complexité témoigne d'une politique industrielle active, mais le FSI reste un outil de taille modeste. Je relève aussi que sa notoriété auprès des chefs d'entreprises est nettement inférieure à celle de CDC Entreprises et d'Oséo. Il importe donc de faire émerger la marque « FSI » et de renforcer sa visibilité en région.

Passée la crise, beaucoup moins de dossiers sont transmis au Fonds. Celui-ci a donc engagé, sur instruction de ses actionnaires, un travail d'étude des filières pour identifier leurs difficultés et les entreprises les plus dynamiques.

Ma dernière observation concerne l'intégration de la démarche d'investissement socialement responsable (ISR), tant par le FSI que par l'Agence des participations de l'Etat (APE). Une grille d'analyse fondée sur plusieurs critères a été mise en place par le Fonds et un conseiller social recruté en 2010, ce qui va dans le bon sens, mais il faut aller plus loin en matière de promotion des bonnes pratiques de gouvernance et de politiques de rémunération responsables dans les entreprises dont le FSI ou l'Etat est un actionnaire de référence. Les représentants des deux instances m'ont assuré que de tels principes étaient bien mis en oeuvre, mais si on considère ce qui se passe dans les entreprises, ces interventions me paraissent encore timides sur le plan social.

Au plan régional, la lettre de mission du 9 mai dernier souligne que le FSI doit jouer un rôle actif « de structuration des filières sectorielles et du tissu économique régional » et qu'il serait « utile de renforcer la coordination entre l'ensemble des acteurs publics du financement des PME en région, notamment entre le FSI et Oséo », ce qui correspond à mes souhaits. Le Fonds a engagé des études de filières, mais le vrai problème est bien que les chefs d'entreprises sachent, au plan local, que le FSI existe, a une vocation stratégique et n'est pas un simple « sous-produit » de la CDC. Après avoir affirmé sa singularité, le FSI doit donc conquérir une visibilité auprès des acteurs économiques.

M. Jean Arthuis, président. - Qualifier le FSI de fonds souverain peut paraître abusif, dans un pays qui se caractérise surtout le poids de ses dettes souveraines... Par ailleurs, je crois que lorsque le concours de la puissance publique est apporté via des prises de participations du FSI, cela doit impliquer que les dirigeants et mandataires sociaux respectent des règles déontologiques strictes, en particulier s'agissant des rémunérations.

Mme Nicole Bricq. - Je remercie le rapporteur de ses travaux, qui constituent un point d'étape utile. Les débats que nous avions eus en séance, à l'initiative notamment de notre collègue Nathalie Goulet, avaient trahi certaines inquiétudes, notamment au niveau local, sur les modes d'intervention du Fonds.

Pour ma part, j'ai assisté à la naissance du FSI, qui a suscité beaucoup de débats, parfois heurtés, entre l'Etat et la Caisse des dépôts. Au demeurant, des difficultés subsistent et la coexistence de ces deux actionnaires n'est pas toujours paisible ! Par ailleurs, je persiste à me demander ce que l'on met derrière le « S » de FSI : en quoi ses prises de participations sont-elles stratégiques ? Dans certains cas concrets, le Fonds n'a-t-il pas subi des pressions politiques ?

M. Jean Arthuis, président. - Le politique serait donc antinomique du stratégique ! Ce serait inquiétant...

Mme Nicole Bricq. - La création du FSI aura néanmoins incité la CDC à opérer une revue de l'ensemble de ses participations et interventions dans les PME et à les rationaliser. Le rapporteur estime que l'articulation des financements demeure complexe, ce qui est exact, mais elle l'est moins qu'auparavant. Le représentant de la CDC en région fait véritablement figure d'interlocuteur unique.

Enfin, à titre personnel, je reproche au FSI de privilégier une intervention par filière un peu classique et colbertiste, et de ne pas s'intéresser suffisamment au développement des réseaux d'entreprises. Plus généralement, s'agissant de la conduite de la politique industrielle, une clarification de l'articulation du FSI et de l'Agence des participations de l'Etat serait bienvenue.

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - L'approche par réseaux peut être complémentaire de l'approche par filières et les actionnaires ont récemment invité le FSI à mieux fédérer les actions à destination du tissu industriel régional.

M. Jean Arthuis, président. - Le versement de 60 % de dividendes s'apparente à une pratique d'actionnaire « glouton » que l'on reproche par ailleurs aux investisseurs privés...

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Ce versement est d'autant moins compréhensible que l'on s'apprête à mettre à disposition du Fonds une ligne de crédit de 1,5 milliard d'euros, et que l'ensemble des apports initiaux n'ont pas encore été libérés.

Mme Nicole Bricq. - Le prêt de 1,5 milliard d'euros n'est pas une affaire réglée ! Les fonds d'épargne ne doivent pas servir à tout et n'importe quoi.

M. Albéric de Montgolfier. - Je partage l'avis du rapporteur selon lequel on ne comprend pas grand-chose à l'articulation des différents fonds et outils. Par ailleurs, je m'interroge sur le caractère stratégique de certaines participations directes, dans les vignobles de champagne par exemple, comme cela a été récemment envisagé.

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Il faut distinguer les participations transférées, qui n'avaient pas nécessairement un caractère stratégique, des prises de participation. Sur ce second point, les actionnaires ont demandé au FSI d'affiner sa doctrine d'investissement dans une optique de sélectivité.

M. Jean Arthuis, président. - Le positionnement respectif de l'APE, du FSI et de la CDC n'apparaît pas toujours clairement.

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - L'articulation de l'APE et du FSI est une vraie question, que j'aborde dans le rapport, et le rôle de l'APE dans la conduite de la politique industrielle est un sujet en soi, qui mériterait un rapport entier !

M. Jean Arthuis, président. - Ce pourrait être l'occasion de s'interroger sur la doctrine de l'Etat actionnaire en ce qui concerne la rémunération des dirigeants des entreprises à participations publiques.

M. Philippe Adnot. - Cet effort de clarification est particulièrement bienvenu. Je siège au conseil d'orientation de France Investissement, qui peine aujourd'hui à exercer son effet de levier sur les financements privés compte tenu du durcissement des normes prudentielles. De fait, France Investissement semble se rabattre sur les fonds régionaux, ce qui ne me semble pas de nature à renforcer la dimension stratégique de son action. France Investissement est-il inclus dans le bilan des prises de participation que vous avez évoqué ?

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Absolument.

M. Philippe Adnot. - Par ailleurs, la lettre de mission adressée par les actionnaires du FSI à son directeur général me paraît brouiller sa doctrine. Est-ce renforcer le caractère stratégique du Fonds que de l'encourager à structurer les filières ? N'est-ce pas, au contraire, un facteur de banalisation et ne risque-t-on pas de passer à côté d'un des objectifs initiaux, qui consistait à renforcer notre tissu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) ?

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Cette lettre était nécessaire. Elle assigne d'ailleurs au FSI un objectif de doublement du volume annuel des investissements en direction des ETI, si les conditions de marché le permettent.

M. Philippe Dallier. - Vous diagnostiquez un échec relatif des partenariats avec les fonds souverains étrangers. Est-ce irrémédiable ?

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - Les gestionnaires de fonds souverains avec lesquels j'ai pu m'entretenir sont clairement à la recherche d'emplois pour leurs fonds. Il n'est cependant pas impossible que le caractère public du FSI et son implication de long terme suscitent une certaine méfiance à l'étranger.

M. Joël Bourdin. - Le FSI est-il endetté ?

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - A ce jour, non.

M. Jean Arthuis, président. - La commission remercie vivement le rapporteur spécial de sa communication, qui prend un relief tout particulier car il s'agit vraisemblablement de la dernière.

M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial. - En effet, Monsieur le Président, j'ai décidé de ne pas me représenter lors du prochain renouvellement sénatorial.

(Applaudissements des commissaires)

A l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.

- Présidence de M. Yann Gaillard, vice-président -

Equilibre des finances publiques - Examen du rapport pour avis

Enfin, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M M. Jean Arthuis et Philippe Marini, rapporteurs pour avis, sur le projet de loi constitutionnelle n° 499 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'équilibre des finances publiques.

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Vous avez confié au rapporteur général et à moi-même la responsabilité d'élaborer le rapport pour avis sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques. Ce choix n'était pas injustifié, compte tenu de nos participations aux travaux de la commission Camdessus mise en place après les conférences sur le déficit du début 2010.

Le président de la République a fait part de son souhait de doter la France d'une règle constitutionnelle d'équilibre des finances publiques, ce qui était rendu nécessaire par la pression des marchés comme par la référence allemande. La loi pluriannuelle des finances publiques 2011-2014 a été l'occasion de mettre en pratique les préconisations du rapport Camdessus - on peut parler de répétition grandeur nature. De ce point de vue, les amendements du Sénat ont été déterminants, qui ont notamment permis que les objectifs soient exprimés en milliards d'euros courants pour chacune des années de la programmation, et non en pourcentages d'évolution sur l'ensemble de la période de programmation.

La réflexion a été nourrie, aussi bien au groupe Camdessus qu'au sein de la commission des finances du Sénat. Dès février 2010, le rapport de notre commission sur le projet de loi de finances rectificative envisageait une règle dont les grands principes sont ceux qui nous sont aujourd'hui proposés.

Pourquoi une révision constitutionnelle ? La France ne manque pas de règles, d'objectifs et d'outils de programmation : le programme de stabilité, désormais au sommet de la hiérarchie des normes financières ; la programmation pluriannuelle annexée aux lois de finances, les lois de programmation des finances publiques ; un objectif constitutionnel, l'équilibre des comptes publics ; une règle européenne, le respect de ratios de solde nominal (3 % du PIB) et de dette publique (60 % du PIB) ; des règles de gouvernance nationales, en dépenses et en recettes, la norme de dépense, la programmation triennale des plafonds de dépense de l'Etat, l'ONDAM, la règle de gage des niches et la règle de gage global des mesures nouvelles, d'ailleurs abandonnées dans la loi pluriannuelle 2011-2014.

Si les règles ne manquent pas, la volonté fait parfois défaut. Les trajectoires de solde n'ont pas été respectées, et les outils existants n'ont pas marché. Il faut par conséquent essayer autre chose. L'écart entre les projections et la réalité de l'exécution invite à fixer les premières avec une relative lucidité et une vraie conviction.

Il y a urgence à rompre avec certaines pratiques. Les plus récentes prévisions de solde public publiées par la Commission européenne font apparaître qu'en 2012, la France serait tout près de monter sur le podium du déficit : elle arriverait juste après la Grèce, l'Irlande et l'Espagne. Elle n'a plus le droit à l'erreur alors que l'Italie se retrouve à un niveau sensiblement inférieur. La récente mise sous perspective négative de la capacité des États-Unis à rembourser leur dette montre qu'aucun État n'est à l'abri d'une dégradation de sa notation financière, avec les conséquences que l'on imagine sur le coût de sa dette - sans parler, s'agissant des Etats européens, des conséquences sur l'euro et sur le mécanisme européen de stabilité dont le Conseil européen va approuver le régime lors de sa réunion du 24 juin prochain.

La France n'est pas la seule à engager une réforme institutionnelle destinée à endiguer la dette publique. Le débat sur le « frein à la dette » est présent dans toute l'Europe. La règle allemande est exprimée en termes de solde structurel, une notion incompréhensible par le commun des citoyens, et très subjective - la commission Camdessus a convenu de la difficulté à en faire un élément pédagogique. Mieux vaut donc retenir chez nous une règle plus rustique et, surtout, juridiquement contraignante. Le type de règles dont la France a choisi de se doter, issu des propositions du groupe Camdessus, consistant à créer un nouveau type de loi à valeur supérieure à la loi ordinaire, et à créer un monopole de certaines lois sur certaines matières, rend nécessaire une révision constitutionnelle.

Nos précédents travaux ont permis de définir les critères d'une bonne règle : qu'elle impose au Gouvernement des contraintes quantitatives claires, qu'elle soit suffisamment souple pour ne pas enfermer l'action politique dans un chemin unique, qu'elle ne suscite pas le risque de polémiques avec un comité d'experts indépendants comme un panel d'économistes ou la Cour des comptes, ce qui ruinerait sa légitimité, qu'elle ne soit pas manipulable par les gouvernements et, enfin, qu'elle soit compréhensible par l'opinion.

Les trois volets du projet de loi constitutionnelle reprennent les principaux éléments des préconisations que nous avions faites, le rapporteur général et moi, et que nous avions largement traduits dans la loi pluriannuelle des finances publiques 2011-2014. Le premier reconnaît la nécessité d'améliorer la légitimité démocratique du programme de stabilité adressé aux autorités de l'Union européenne, qui engage désormais les finances publiques de la France. A cette fin, le texte initial prévoit une transmission de ce programme aux Assemblées avant son envoi aux autorités communautaires. L'Assemblée nationale a rétabli les acquis de la loi pluriannuelle des finances publiques : la transmission au moins quinze jours avant l'envoi à Bruxelles ; un vote du Parlement, à la demande du Gouvernement ou d'un groupe parlementaire. Enfin, un ajout est indispensable : la possibilité pour une Assemblée d'adopter une résolution sur le projet de programme de stabilité, qui permettrait une expression plus nuancée que l'adoption ou le rejet d'une déclaration du Gouvernement.

La règle d'équilibre est nécessaire pour que les engagements pluriannuels ne restent pas lettre morte. Il faut prévoir un dispositif interne assurant la cohérence entre la trajectoire pluriannuelle et les lois financières annuelles. Aujourd'hui, la trajectoire pluriannuelle qui engage la France est celle qui figure dans le programme de stabilité. Cela étant, même en l'absence de programme de stabilité ou de pacte de stabilité européen, la situation de nos finances publiques commanderait que l'on se dote d'une règle favorisant la convergence budgétaire. Qu'on ne dise pas que l'Europe nous y oblige, c'est un impératif absolu !

Le principe est de subordonner les lois financières annuelles à une trajectoire pluriannuelle. Les programmes de stabilité portant sur une période de quatre ans (l'année en cours et les trois suivantes), la question du caractère glissant ou non de la loi-cadre relève de la loi organique. Il importe cependant de préciser dès aujourd'hui dans quel état d'esprit le constituant envisage ces textes. Sur ce point, deux options sont possibles. Ou bien il s'agit de voter la loi-cadre, une fois pour toutes, pour toute la durée de la programmation ; c'est le modèle des actuelles lois de programmation des finances publiques (LPFP), qui présente l'inconvénient de porter en germe une déconnexion entre la trajectoire de la loi-cadre et celle figurant dans le programme de stabilité qui, lui, est actualisé chaque année. Ou bien il s'agit d'actualiser chaque année la loi-cadre, pour tenir compte du contenu du dernier programme de stabilité transmis aux institutions de l'Union européenne. C'est évidemment ce deuxième schéma qui permet le mieux d'éradiquer le double langage et qui est politiquement le plus lisible. Il serait bon d'orienter la loi organique et de dire très clairement que le programme de stabilité et les lois cadres seront parfaitement concordants.

La LPFP 2011-2014 préfigure la règle constitutionnelle. Elle fixe pour chacune des années de la programmation le montant maximal des dépenses de l'État et, dans un article distinct, celui des dépenses de la sécurité sociale. Elle fixe de même le montant minimal des augmentations de prélèvements obligatoires à inscrire dans les lois financières (dans la LPFP 2011- 2014 : 11 milliards en 2011 et 3 milliards pour chacune des années suivantes). Les économistes qualifient d'effort structurel l'action discrétionnaire sur le déficit, c'est-à-dire celle qui résulte du niveau des dépenses et des mesures nouvelles sur les recettes.

La trajectoire de mesures nouvelles en recettes ne distingue pas entre l'État et la sécurité sociale : l'effort global en recettes devra être réparti chaque année entre les deux lois financières. La loi organique organisera la fongibilité entre mesures de recettes et mesures de dépenses, et entre mesures relevant de l'État et de la sécurité sociale : la LPFP 2011-2014 prévoit déjà, à l'initiative du Sénat, une telle fongibilité. Les mesures coûteuses devront être compensées par des mesures nouvelles ou des baisses de dépenses de même montant, de façon à ne pas s'écarter de la trajectoire : la règle a donc pour effet d'obliger le Gouvernement à gager toutes ses mesures coûteuses.

Le contrôle de conformité à la loi-cadre sera nécessairement automatique et conjoint. Le contrôle du Conseil constitutionnel consistera à comparer les montants figurant dans la loi-cadre à ceux figurant dans les lois annuelles. Le texte initial du projet de loi ne précise pas les modalités du contrôle de conformité. L'Assemblée nationale a prévu un contrôle automatique, de façon à assurer que le Conseil se prononcera sur l'impact, sur la trajectoire, de chaque disposition affectant l'équilibre budgétaire. La commission des lois du Sénat propose un contrôle conjoint, avant le 31 décembre, des deux lois financières initiales, de façon à permettre au Conseil constitutionnel d'apprécier effectivement le respect du plafond de dépenses et du plancher de mesures nouvelles en recettes, mis en oeuvre par des dispositions partagées entre les deux textes. Contrôle automatique et conjoint : les deux propositions de la commission des finances du Sénat sont à présent prises en compte.

Qu'advient-il en cas de censure ? Nous vous proposerons un amendement ayant pour objet de prévoir dans la Constitution un renvoi à la loi organique pour la définition des conséquences d'une non-conformité. Quel pourrait-être le contenu de la future disposition organique ? Pour lancer le débat, le rapport écrit évoque plusieurs pistes selon lesquelles, par exemple, en cas de non-conformité à la loi-cadre : le Gouvernement ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés conformément au quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution ; les mesures nouvelles réduisant les recettes sont annulées ; les mesures nouvelles tendant à les accroître sont maintenues ; le solde nécessaire pour compenser l'effort manquant est financé par une augmentation prédéterminée d'un certain prélèvement, par exemple du taux normal de la TVA, sauf si le Gouvernement prend les mesures nécessaires dans un certain délai.

Une condition du succès de la règle, c'est de calculer les objectifs en fonction d'hypothèses économiques prudentes. L'article 4 de la proposition de directive, que doit définitivement adopter le Conseil européen du 24 juin 2011, dispose notamment que la planification budgétaire repose sur le scénario macro-budgétaire le plus probable ou sur un scénario plus prudent qui met en évidence, de manière détaillée, les écarts par rapport au scénario le plus probable. Cet article 4 dispose aussi que les prévisions macroéconomiques et budgétaires établies aux fins de la planification budgétaire incluent des scénarios macroéconomiques alternatifs permettant d'étudier la trajectoire des variables budgétaires dans différentes conditions économiques. On se prend à rêver d'une autorité indépendante, comme le Bureau central de planification que nous avons approché aux Pays-Bas.

La règle n'impose pas aux gouvernements une trajectoire budgétaire plutôt qu'une autre, elle n'impose pas une politique budgétaire plutôt qu'une autre ; la seule chose qu'elle impose est la cohérence entre la trajectoire pluriannuelle annoncée à nos partenaires européens et sa déclinaison annuelle dans les lois financières. La sagesse des prévisions annuelles sera transcrite dans la trajectoire pluriannuelle. Au total, c'est une règle souple et indifférente aux majorités politiques.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Pour assurer la cohérence, un monopole des lois financières est nécessaire en matière de prélèvements obligatoires, comme l'ont recommandé notre commission et le groupe Camdessus. C'est une discipline que le Gouvernement s'impose déjà à lui-même : la circulaire Fillon du 4 juin 2010 a pour but de mettre un terme à la dispersion des mesures relatives à ces prélèvements - une dispersion qui est source de contournement des procédures budgétaires, d'une insuffisante protection des recettes fiscales et sociales et génératrice d'instabilité et de complexité pour les acteurs économiques. C'est aussi une mesure annoncée par le président de la République au président du Conseil européen, dans le cadre de la mise en oeuvre du « Pacte euro + ». Il y va donc de notre crédibilité au plus haut niveau.

Cette disposition a provoqué de nombreux débats à l'Assemblée nationale, les députés craignant une atteinte à l'initiative parlementaire. La solution retenue par l'Assemblée nationale consiste, d'une part, en une nouvelle irrecevabilité permettant non seulement le dépôt de dispositions relatives aux prélèvements obligatoires à tout moment, mais également leur adoption définitive, sous réserve de l'invocation de l'irrecevabilité par le Gouvernement ou le président d'une Assemblée et, d'autre part, en l'obligation pour le Conseil constitutionnel de censurer toute mesure relative à ces prélèvements adoptée en dehors d'une loi financière. Cette compétence liée a choqué nos collègues de la commission des lois. Toutefois, la jurisprudence du Conseil constitutionnel étant assez libérale s'agissant du partage entre le domaine de la loi et celui du règlement, il a paru nécessaire, en quelque sorte, de lui tenir la main. On s'oriente néanmoins vers une suppression par le Sénat du dispositif issu de l'Assemblée nationale parce que les objections juridiques sont assez difficilement surmontables.

Que propose donc notre commission des lois ? Elle a considéré que le monopole aboutissait à une présentation parcellaire des principales réformes. Elle s'est également livrée à un historique sur lequel il est préférable de ne pas revenir - évitons les polémiques entre commissions. Elle a proposé un dispositif selon lequel les dispositions relatives aux prélèvements obligatoires adoptées en cours d'année devraient, pour entrer en vigueur, être approuvées par une loi financière. La technique de la « voiture balai » n'emporte pas notre adhésion pour deux raisons. D'abord, il y aurait déconnexion entre les décisions agréables et les décisions désagréables. Ensuite, il serait très difficile de revenir, plusieurs mois après, sur un avantage accordé : si le Parlement crée un droit, il lui est difficile de se dédire dans le cadre d'une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Or, si les dépenses fiscales ou les diminutions de contributions sociales ne sont pas remises en cause par les lois financières, celles-ci devraient trouver des ressources nouvelles afin de respecter les trajectoires pluriannuelles.

Nous avons recherché un point d'équilibre, parce que les différentes solutions proposées pour assouplir ou, à vrai dire, contourner le monopole ne sont pas pleinement satisfaisantes. La méthode la plus cohérente serait, lorsque le volet relatif aux prélèvements obligatoires d'une réforme sectorielle est véritablement indissociable de l'objet de la réforme elle-même, que le Gouvernement dépose simultanément un projet de loi de finances (ou de financement de la sécurité sociale) rectificative, qui cheminerait parallèlement à l'autre texte, et où figurerait un tableau d'équilibre. Préservant l'initiative parlementaire, cette solution garantit aussi le travail en commun des commissions. En revanche, ni le Gouvernement, ni les parlementaires, ne pourraient plus créer, par voie d'amendement, de nouvelles niches dans des textes sectoriels, à l'exemple de cette loi sur le tourisme à l'occasion de laquelle a été voté le nouveau régime de TVA pour la restauration.

M. Serge Dassault. - C'est une loi nécessaire, mais je ne vois pas comment on pourra l'appliquer.

Mme Nicole Bricq. - C'est bien le problème...

M. Serge Dassault. - D'abord, qu'appelle-t-on équilibre budgétaire, et le situe-t-on à un déficit de zéro ou de 3 % ? Que fait-on de la dette ? Quant à la disparition de l'initiative parlementaire, c'est déjà une réalité avec l'article 40, article que le Gouvernement ne se soucie jamais de s'appliquer à lui-même, sauf pour l'ISF. Je ne vois pas comment on pourra stopper la dérive de la dette. Aujourd'hui égale à 85 % du PIB, elle augmentera encore cette année de 120 milliards, et sans doute d'autant en 2012. Or, nos recettes diminuent - avec la quasi-absence d'impôt sur le revenu, elles ne reposent plus que sur la TVA, l'impôt sur les sociétés, les taxes sur le pétrole ou le tabac, tandis que nos dépenses augmentent. On pourrait diminuer les budgets sociaux (ce serait difficilement acceptable) ou les dépenses administratives, les dépenses de personnel (on y touche peu). Comment bouclera-t-on le budget 2012 ? Non, je ne vois vraiment pas comment un gouvernement quel qu'il soit, et surtout s'il est socialiste, pourra appliquer cette loi excellente et nécessaire.

Mme Nicole Bricq. - Allons, allons, il ne faut pas partir battus.

Nous ne pouvons pas avoir cette réflexion ab abstracto. Nous devrions avoir en main le texte de la Commission européenne sur notre programme de stabilité. J'ai seulement lu dans la Correspondance économique que pour elle, « le programme français est basé sur un scénario macro-économique trop favorable ».

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - On l'a dit...

Mme Nicole Bricq. - L'Allemagne a choisi d'exprimer sa règle en termes de solde structurel. Pour M. Camdessus, « on ne sait pas ce qu'est un solde structurel » ; la France, elle, a choisi la notion d'« effort structurel », et le rapporteur général propose de prendre en compte une hypothèse de croissance potentielle. En outre, les Allemands ont mis en place un compte de contrôle. Pourquoi ne pas adopter le même mécanisme ? Nous sommes vraiment assez loin d'une règle d'or. Nous risquons surtout d'avoir une règle de plomb.

M. Joël Bourdin. - Je loue l'ingéniosité et la capacité d'innovation de nos co-rapporteurs, mais je voudrais bien mesurer la faisabilité de leur proposition, qui confère à la commission des finances une nouvelle charge de travail. A-t-on évalué le nombre de textes supplémentaires qu'aurait cette année imposé d'examiner le double dépôt de projets de loi ?

M. Denis Badré. - Monsieur Dassault, pour moi, l'équilibre, c'est l'équilibre, c'est « zéro » ! N'ouvrons pas ce débat.

Dans le texte de l'Assemblée nationale, il faudrait supprimer, à l'article 12, les mots « A la demande du Gouvernement ou d'un groupe parlementaire ».

Mme Nicole Bricq. - Absolument !

M. Denis Badré. - Cela donnerait plus de crédibilité à ce débat et à ce vote, et nous permettrait de nous concentrer davantage sur le contenu du projet.

M. Philippe Dallier. - Tout en saluant moi aussi l'effort d'imagination de nos rapporteurs, je m'interroge sur ce qui en résulterait pour l'organisation de nos travaux en séance. Cette loi de finances rectificative serait discutée tout de suite après le vote du texte sectoriel. C'est un peu compliqué. Comment cela se passera-t-il en séance ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - Un gouvernement mis en place après une élection a envie de faire une loi de programmation, comme on l'a fait pour la défense, la sécurité ou la justice. Comment s'articulera-t-elle avec la loi-cadre d'équilibre des finances publiques ? D'autre part, il faudrait faire un sort particulier aux prélèvements obligatoires concernant les collectivités territoriales ; le texte présenté est trop général.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Il faut garder à l'esprit la situation de nos finances publiques et s'interroger sur les sanctions encourues par la France. Bien sûr, nous voulons tous exercer nos prérogatives parlementaires ; il faut pourtant se rappeler que nous avons voté un déficit de 92 milliards pour l'État, et de 30 milliards pour la sécurité sociale. La souveraineté d'un État endetté n'est plus grand-chose quand il ne peut plus faire appel au marché, et la notion de frein à la dette s'impose dans toute l'Europe. Au parlement allemand on ne dit plus déficit, mais augmentation de la dette publique, ce qui est plus parlant.

L'équilibre, monsieur Dassault, c'est celui des recettes et des dépenses. Pour la première fois - c'est historique ! - le Gouvernement veut s'imposer un « article 40 », avec un plafond de dépenses et un plancher de mesures nouvelles en recettes. Lorsqu'on fait coïncider loi de programmation pluriannuelle et programme de stabilité, on est sur le bon chemin. On peut diminuer la dette en se fixant une trajectoire. A faire une programmation pluriannuelle avec une prévision optimiste - même le parti socialiste reprend le chiffre de 2,5 % -, on s'interdit de freiner la dette...

Monsieur Bourdin, qu'aurait donné notre proposition en 2010 ? D'abord nous aurions peut-être pu faire moins de lois en 2010... Ensuite, le Gouvernement se serait interdit d'inscrire dans ces lois de nouvelles dépenses, sauf à prévoir de les compenser par ailleurs. C'est vraiment d'une rupture, d'une saine rupture dans les comportements qu'il s'agit. Reconnaissons que la plupart des propositions de lois déposées au Sénat sont irrecevables au regard de l'article 40. On ne peut pas continuer ainsi, avec une pratique qui confine à l'irresponsabilité.

Quant au solde structurel, ce n'est pas une notion plus simple ou plus claire que celles de dépenses et de recettes. Il faut tenir compte du produit intérieur brut potentiel, d'un potentiel proche de la réalité. Et, lorsqu'on retient une estimation très élevée de ce PIB potentiel, quelles conséquences en tire-t-on pour le solde structurel ? C'est pourquoi la commission Camdessus a préféré un indicateur un peu plus robuste.

Mme Nicole Bricq. - Croyez-vous vraiment que l'on va tirer les conséquences de ce projet de loi ?

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Chacun prendra ses responsabilités. Il me paraît plus simple de décider comment on finance les dépenses supplémentaires et à quelles recettes renoncer pour revenir à l'équilibre des finances publiques.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Il y a trois approches possibles : nominale, en termes de solde structurel, ou en termes d'effort structurel. La première peut séduire, elle est la plus simple, mais les chiffres mélangent données conjoncturelles et non conjoncturelles. Et il faut tenir compte de la phase du cycle : ce n'est pas parce que l'on traverse une période de forte croissance que l'on doit oublier la vertu. Cette première solution ne peut donc être retenue. La deuxième, à l'allemande, fonctionne ... en Allemagne, dans un pays où l'on respecte les économistes, où les hypothèses sur lesquelles les lois de finances initiales sont bâties résultent mécaniquement du consensus des économistes - il faut tenir compte des données culturelles !

Mme Nicole Bricq. - C'est vrai...

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Reste la troisième approche, celle qu'ont adoptée le Gouvernement et l'Assemblée nationale, et, avant eux, le groupe de travail Camdessus et nous-mêmes. Elle conserve la possibilité de mesures discrétionnaires, préserve la liberté de décider des recettes ou des dépenses nouvelles. La responsabilité politique demeure.

Ne nous cachons pas qu'une règle, quelle qu'elle soit, n'exonère pas de la prudence - en l'occurrence, elle ne sera utile que si l'on retient des hypothèses macro-économiques prudentes. Les extraits que Mme Bricq a lus coïncident avec nos appréciations.

Mme Nicole Bricq. - Je l'ai dit.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Oui, nous convergeons sur certains sujets.

Nous avons eu un exemple de la méthode préconisée par la commission des lois dans le passé. La loi sur la réforme des retraites a été votée, puis les conséquences financières en ont été tirées en loi de financement et loi de finances. Mais, à nos yeux, il eût été préférable d'examiner l'ensemble dans une même séquence temporelle.

Quant à la procédure, la loi organique et les règlements des Assemblées en préciseront les modalités. Une discussion générale commune s'impose, je crois : du reste, la Conférence des présidents peut toujours la décider, cette organisation est facile à mettre en oeuvre, même si, ne l'oublions jamais, le diable se niche parfois dans les détails...

M. Badré s'interroge sur les conditions de mise en oeuvre de la résolution : si un débat est organisé à la demande d'un groupe ou du Gouvernement, il aura bien lieu, systématiquement ! Je précise à M. Fourcade que, bien sûr, les lois sectorielles devront elles aussi respecter la loi-cadre. Cela se pratique déjà, du reste : la Loppsi II a été rectifiée pour tenir compte de la loi de programmation des finances publiques. La Constitution prévoyant une primauté d'examen pour le Sénat sur les textes concernant l'organisation des collectivités locales, il faudra préciser que le nouveau dispositif respecte cette disposition de l'article 39 de la Constitution. Est-ce une redondance ? Elle me semble utile, elle est une garantie de paix et de sérénité pour les commissions du Sénat.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Auparavant, chaque ministre faisait sa loi de programmation, et l'on se gardait bien de consolider les textes, afin que le total, irréaliste, insoutenable, n'apparaisse pas. Nous marchons donc dans la bonne direction. Certes, le travail parlementaire deviendra moins ludique, plus contraignant pour les ministres, mais c'est que le pays est en quasi-redressement judiciaire ! N'oublions pas que passé un certain stade, les décisions sont prises par le FMI, l'Union européenne et les prêteurs, mais plus par les autorités politiques du pays...

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Sur le compte de contrôle, Mme Bricq trouvera dans le rapport écrit une analyse de ce qui devrait figurer dans la loi organique. Les dérapages, ou les écarts, devront être compensés dans la plus prochaine loi de finances ou de financement qui suit. La correction, a déclaré le ministre du budget, passera par le compte de contrôle, comme en Allemagne. La méthode sera aussi rigoureuse qu'outre-Rhin.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Ce compte retracera les écarts par rapport à la programmation.

M. Serge Dassault. - La règle européenne qui pose une limite (3 % du PIB pour le déficit et 60 % pour la dette) n'est pas respectée...

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Nous affrontons un risque de dette perpétuelle. C'est bien pour cela qu'il nous faut nous imposer une règle. Le couteau, qui peut être l'instrument d'un crime, sert à préparer le repas familial...

M. Pierre Jarlier. - Le système proposé est intéressant. Mais qu'adviendra-t-il si les mesures de financement d'une loi sectorielle ne sont pas votées en loi de finances ou de financement de la sécurité sociale ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Alors celles-ci demeureront virtuelles !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Comme cela se produit déjà aujourd'hui.

Mme Nicole Bricq. - Dans le cas de la Cades, la loi organique n'a pas été respectée.

M. Albéric de Montgolfier. - Mais une loi qui ne reçoit pas le feu vert de la loi financière devient-elle sans objet, tombe-t-elle, est-elle promulguée ou non ?

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Les mesures assorties de financements s'appliquent, les autres resteront en carafe !

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - L'amendement n° 1 tend à lever toute ambiguïté sur la règle d'équilibre : le contrôle du Conseil constitutionnel portera uniquement sur le montant des dépenses et le montant des mesures nouvelles en recettes.

M. Jean-Pierre Fourcade. - La charge de la dette n'est pas comprise dans la notion d'administration publique : modifions l'intitulé.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - L'Etat est une administration publique. La charge de sa dette est bien prise en compte dans ses dépenses.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Il faut le préciser dans le rapport.

Mme Nicole Bricq. - Ce débat a eu lieu à l'Assemblée nationale, nous y reviendrons en séance publique. La durée pose problème...

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - C'est un amendement purement technique.

Mme Nicole Bricq. - Non, c'est un amendement purement politique. Une élection présidentielle interviendra l'an prochain, une nouvelle législature de cinq ans s'ouvrira, peut-être avec un contrat de législature.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Il faudra en trouver les moyens...

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Au sein du groupe de travail Camdessus, il y avait consensus sur cette orientation.

Mme Nicole Bricq. - Avant M. Camdessus, il y a eu M. Pébereau, relisez ce qu'il a écrit. Et que n'avez-vous édicté cette règle en 2007 !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Ne vivez pas en regardant toujours dans le rétroviseur !

Mme Nicole Bricq. - Vous avez le problème inverse : votre mémoire flanche.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article additionnel après l'article 2

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - La concomitance entre un projet de loi qui nécessite pour son application des mesures relatives aux prélèvements obligatoires et un projet de loi de finances ou de financement me paraît souhaitable : tel est l'objet de l'amendement n° 2.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - La concomitance permet une vision globale. Le Gouvernement devra consolider PLF et PLFSS.

Mme Nicole Bricq. - Combien de lois de finances rectificatives prévoyez-vous par an ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Plusieurs. Mais nous sommes déjà à trois ou quatre.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Faisons moins de lois.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 2 bis

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Convergeant avec la commission des lois, nous supprimons l'article par l'amendement n° 3.

L'amendement n° 3 est adopté.

Article 9

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Les conséquences d'une non-conformité prononcée par le Conseil constitutionnel doivent être définies quelque part, notre quatrième amendement tend à prévoir que la loi organique y pourvoit.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Sinon, c'est Standard & Poor's qui s'en chargera.

L'amendement n° 4 est adopté.

Article 9 bis

L'amendement de coordination n° 5 est adopté.

Article 12

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Ce que le projet de loi prévoit pour le vote sur le programme de stabilité est insuffisant, car le Parlement ne pourra pas exprimer une position nuancée. Il doit pouvoir assortir son vote de considérants et de voeux : la résolution est mieux adaptée. C'est le sens de notre amendement n° 6. Comme pour les résolutions de l'article 88-4, les conditions d'élaboration relèvent du Règlement de chaque Assemblée.

Mme Nicole Bricq. - Je n'approuve pas cet amendement de commodité, certes utile pour un groupe politique...

M. Yann Gaillard, président. - Utile pour vous aussi !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Fontaine...

Mme Nicole Bricq. - Si un programme de stabilité est sérieux, il engage la France sur une trajectoire des finances publiques, alors qu'une proposition de résolution n'est pas contraignante. Le vote du Parlement doit exprimer un choix clair : on est pour ou contre la programmation de nos finances publiques.

Pour M. Trichet, l'Union européenne gagnerait à se doter d'un ministre des finances. Un ministre sans budget ! Quoi qu'il en soit, l'envoi du programme et le retour du document dûment tamponné par la Commission appellent un débat au Parlement, sinon, c'est un abandon de souveraineté des parlements nationaux.

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Mais non ! Faculté est donnée aux commissions permanentes de présenter une proposition de résolution !

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. - Mme Bricq exprime une position antiparlementaire !

Mme Nicole Bricq. - Il faut un vote en séance.

L'amendement n° 6 est adopté.

Article 13

L'amendement de coordination n° 7 est adopté.

M. Serge Dassault. - La loi constitutionnelle vise à la disparition du déficit budgétaire. Et la dette : fait-elle partie de l'objectif ?

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Nous avons suffisamment d'indicateurs. Et nous nous fixons un cadre soutenable, un objectif que nous pouvons tenir !

M. Serge Dassault. - La règle communautaire ne s'applique pas à nous, sans doute ?

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - Si, les 3 % et les 60 % s'imposent à nous, mais ils sont dans le traité !

M. Jean-Pierre Fourcade. - Ils font bien sûr partie des objectifs que nous poursuivons !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. - La rédaction de la loi constitutionnelle est une invite à nous projeter dans l'avenir. C'est un instrument de lucidité.

La commission donne un avis favorable au projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques, sous réserve de l'adoption des amendements qu'elle soumet au Sénat, les groupes socialistes et CRC-SPG votant contre.

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010 - Audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé

Au cours d'une deuxième réunion tenue l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010.

M. Jean Arthuis, président. - Nous accueillons monsieur Xavier Bertrand, en sa qualité de ministre du travail, de l'emploi et de la santé, dans le cadre du cycle d'auditions organisé par la commission des finances sur le projet de loi de règlement des comptes de l'année 2010. C'est au titre des deux missions, « Travail et emploi » et « Santé », placées sous votre responsabilité que les rapporteurs spéciaux, puis les membres de la commission qui le souhaitent, vous interrogeront sur l'utilisation des crédits de ces missions pendant l'année qui vient de s'achever.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial de la mission « Travail et emploi ». - A titre liminaire, je souhaite poser une question d'ordre général, que j'ai déjà évoquée avec le Premier ministre, sur la concertation qu'il serait souhaitable d'instaurer entre les ministres et les rapporteurs spéciaux. Il est en effet regrettable de constater, années après années, que les budgets sont très substantiellement augmentés en cours d'exécution, modifiant ainsi le vote intervenu en loi de finances initiale. S'agissant des crédits de la mission « Travail et emploi », je constate que les crédits consommés se sont élevés à 14,7 milliards d'euros, soit un dépassement de crédits de plus de 3,2 milliards d'euros par rapport à la dotation initiale de 11,47 milliards d'euros. Si mon avis avait été sollicité, j'aurai suggéré d'abonder d'autres dispositifs que celui des contrats aidés dont l'efficacité en matière de retour à l'emploi n'est pas satisfaisante. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2011, j'avais notamment proposé de renforcer plusieurs mesures en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes, telles que les missions locales, les écoles de la deuxième chance et les aides pour la formation au permis de conduire.

Au passage, on aurait pu soutenir que ces quelque trois milliards d'euros auraient pu contribuer à compenser la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF).

Enfin pour revenir aux contrats aidés, leur durée pouvant atteindre deux ans, je signale que l'augmentation massive de leur nombre en 2010 risque également d'entraîner à la hausse les crédits votés pour 2011.

M. Jean Arthuis, président. - En d'autres termes, la surconsommation de crédits constatée en 2010 entraînera-t-elle durablement le budget du travail et de l'emploi hors de la trajectoire de la norme de dépense et de la programmation pluriannuelle des finances publiques ?

M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. - Le problème est simple, l'année 2010 a été difficile sur le front de l'emploi. Le Gouvernement a donc été amené à procéder à des reports massifs de crédits. La mission « Travail et emploi » a en effet enregistré 2,8 milliards d'euros de dépassement de crédits du fait des transferts issus de la mission « Plan de relance de l'économie » et de la loi de finances rectificative. Voici des chiffres concernant ces crédits supplémentaires :

- un report de crédits non consommés de 2009 pour un montant de 200 millions d'euros ;

- 1,2 milliard d'euros au titre du plan de relance ;

- 1,4 milliard d'euros en loi de finances rectificative.

Dans ce total, 1,8 milliard d'euros concernent les contrats aidés, ce que j'assume totalement même si nous sommes en désaccord sur ce point. Il y a ensuite les dispositifs de reclassement (400 millions d'euros) et la compensation des exonérations de charges sociales.

En outre, le président de la République a annoncé un abondement de 500 millions d'euros votés dans le cadre de la loi de finances rectificative relative aux investissements d'avenir pour soutenir l'apprentissage.

Mais la vraie question n'est pas de savoir s'il y a des dépassements de crédits, mais plutôt si leur affectation est justifiée. Or, en cette période de sortie de crise, j'assume les divergences et je revendique la nécessité de recourir aux contrats aidés, qu'ils soient conclus dans le secteur marchand ou non marchand. Cet outil est important et indispensable lorsqu'il faut lutter contre le chômage de masse. Il faut rappeler que ce dispositif s'adresse aux personnes qui sont les plus éloignées de l'emploi. On ne retrouve pas facilement un emploi quand on est au chômage depuis trois ans. La lutte contre le chômage de longue durée est ma priorité : 350 millions d'euros y sont consacrés en 2011 et 150 millions le seront en 2012 pour l'emploi des jeunes et l'apprentissage. Une proposition de loi de Gérard Cherpion pour le développement de l'alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée est également en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Le dispositif de cofinancement Etat-département des contrats aidés, auquel je crois « dur comme fer » a dépassé l'objectif fixé à 60 000 contrats pour atteindre le niveau de 90 000. Par rapport au revenu de solidarité active (RSA) dont le coût unitaire pour le département est de 467 euros pour une personne seule, ce cofinancement d'un montant de 411 euros représentera donc à la fois une économie pour les conseils généraux et un meilleur taux de retour à l'emploi.

S'agissant du souhait exprimé par M. Dassault d'être associé aux décisions, ou tout du moins d'être consulté, je précise que si le choix de renforcer les contrats aidés n'est pas forcément le vôtre, même si vous vous situez dans la majorité présidentielle, c'est que ce choix relève de l'exécutif. Ensuite, l'objet des lois de finances rectificatives est précisément de soumettre au Parlement les modifications intervenues en cour d'année. Chacun est donc dans son rôle.

M. Jean Arthuis, président. - Vous avez fait référence au RSA et vous savez que près d'un milliard d'euros relevant du fonds national des solidarités actives serait inutilisé. Il pourrait permettre de compenser les dépenses des départements au titre du RSA. Cette question ne devrait-elle pas relever du périmètre de votre ministère ?

M. Xavier Bertrand. - Le retour du travail et de l'emploi au sein d'un ministère unique représente déjà un défi, auquel s'ajoute la santé ! Je ne voudrais pas empiéter sur les compétences de la ministre des solidarités et de la cohésion sociale en abordant la question du RSA.

M. Claude Belot. - Si l'emploi en entreprise doit être privilégié, il est indéniable que le recours aux contrats aidés permet de surmonter les épisodes de montée du chômage. Or, j'observe que la collaboration entre Pôle emploi et les départements est perfectible en matière d'insertion. Ainsi, dans mon département de la Charente-Maritime, près de 300 personnes sont suivies par les services du conseil général mais nous ne voyons pas, sur le terrain, les crédits budgétaires de l'Etat. L'ancien commissaire aux solidarités a mis en lumière les 997 millions d'euros qui dorment dans les caisses. Je souhaiterais que vous puissiez approfondir cette question.

M. Xavier Bertrand. - Non seulement nous allons approfondir ce point, mais nous allons changer le système. Jusqu'à présent, nous avons trop centralisé. Il faut décentraliser la prise de décision. Je citerai en exemple le cas des emplois dans la logistique. Pour conduire un « Fenwick », il faut obtenir le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité (CACES). Or, comme les lots de formation à cette qualification sont ventilés au niveau national, un demandeur d'emploi qui dispose pourtant d'une promesse d'embauche peut attendre plusieurs mois le droit de suivre cette formation. Il ne s'agit donc pas seulement d'une question de budget mais d'accès à la formation. Même lorsque les crédits existent, il faut plus de six mois pour obtenir une date de passage du permis de conduire !

Dans le même esprit, la nouvelle feuille de route que nous allons donner à Pôle emploi s'appuiera sur une plus grande décentralisation de la structure, au niveau des agences locales, afin de gagner en réactivité et en efficacité ! L'accès à la formation permet de mettre plus vite en relation les demandeurs d'emploi avec les entreprises. Si on ne fait rien, 36,7 % des offres d'emploi mettront du temps à être pourvues. Ainsi, il fallait en moyenne 32 jours pour qu'une offre d'emploi soit satisfaite. La réduction d'une seule journée du résultat de cet indicateur de Pôle emploi correspond à 10 000 chômeurs de moins, c'est-à-dire exactement de la baisse du nombre de demandeurs d'emploi en avril dernier.

Comme modèle de décentralisation, je vais m'appuyer sur les services publics de l'emploi locaux (SPEL). Il s'agit pour l'instant d'une structure institutionnelle qui doit devenir opérationnelle sous l'impulsion des sous-préfets, à l'image d'un ministre du travail local. Ils ont une légitimité et un vrai rôle. Le sur-mesure doit se faire sur le terrain, bassin d'emplois par bassin d'emplois.

Enfin, je vous annonce que la politique de « stop and go » vécue en 2010 pour les contrats aidés ne se reproduira pas. Elle est détestable tant pour les collectivités locales que pour les titulaires de ces contrats, notamment lorsqu'au milieu de l'année 2010, une commune ne savait pas dans quelle mesure elle pouvait renouveler ou non ses contrats d'insertion. Par exemple, dans l'Aisne, 5 950 contrats aidés étaient consommés au mois d'octobre pour une enveloppe de 6 000 contrats. Il faut mieux planifier pour éviter toute perte de droit.

M. Jean Arthuis, président. - S'il faut constater l'effort d'analyse des résultats des indicateurs de performances du rapport annuel de performances de la mission « Travail et emploi », il n'y a toujours aucune évaluation de l'efficacité de la prime pour l'emploi dont le coût actualisé pour 2010 a dépassé la prévision (3,56 milliards d'euros au lieu de 3,2 milliards). On ne connaît toujours pas la part des bénéficiaires de la prime pour l'emploi précédemment au chômage ou inactifs. Cette dépense fiscale, dont l'effet sur le retour à l'emploi n'est semble-t-il pas mesurable, a-t-elle encore vocation à perdurer ? La prime pour l'emploi ne doit-elle pas être supprimée au profit du revenu de solidarité active (RSA) ?

M. Xavier Bertrand. - Sur l'évaluation de la dépense fiscale en tant que telle, cette question relève de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Sur le fond, le débat a déjà eu lieu lors du vote de la loi instituant le RSA. La prime pour l'emploi a été maintenue car il ne faut pas oublier que cette mesure a un effet important sur le pouvoir d'achat et ne se limite donc pas à la politique de l'emploi.

M. Jean Arthuis, président. - Cette dépense fiscale est pourtant rattachée à la mission « Travail et emploi » qui relève de votre compétence.

M. Xavier Bertrand. - Certes, mais la politique fiscale ne relève pas de mon ministère. S'il s'agissait d'attribuer au ministère du travail des crédits supplémentaires, je saurais où les affecter utilement.

M. Jean Arthuis, président. - De manière plus appropriée que pour la prime pour l'emploi ?

M. Xavier Bertrand. - Ce n'était pas le sens de ma réponse.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Je rappelle que ce ne sont pas les contrats aidés du secteur non marchand dans les associations et les communes qui permettent d'orienter les jeunes vers l'emploi durable.

Ensuite, je considère que l'indemnisation du chômage relève davantage de la solidarité que de la politique de l'emploi car ce n'est pas une aide financière qui encourage au retour à l'emploi.

Enfin, je souhaiterais que le modèle des missions locales soit plus largement répandu et notamment que Pôle emploi prenne davantage en charge l'insertion professionnelle des jeunes. Mais, le problème est encore plus vaste puisque le problème du chômage des jeunes résulte aussi de l'échec de l'Education nationale et de l'inadaptation des collèges pour orienter tous les élèves, au moins vers une qualification professionnelle.

M. Xavier Bertrand. - Si vous voulez parler de l'apprentissage, il existera un terrain d'entente entre vos propositions et les mesures que le Gouvernement propose dans le collectif budgétaire que vous allez examiner très prochainement.

S'agissant de votre volonté de rapprocher les acteurs de l'emploi des jeunes, je souscris à la nécessité de revoir l'organisation des missions locales, des maisons de l'emploi et de Pôle emploi. Il y a peut être des doublons à examiner et ce sera la tâche des SPEL.

Quant à elles, les missions locales ont contribué à la régression du chômage des jeunes mais les taux d'insertion dans l'emploi varient encore fortement : entre 18 % et 62 % selon qu'il s'agit d'une zone urbaine sensible ou pas. Sans remettre en cause le fort investissement des missions locales, il faut maintenant introduire une logique d'amélioration des résultats là où les marges de progression existent.

M. Philippe Adnot. - Le « RSA chapeau » intègre-t-il la PPE ?

M. Xavier Bertrand. - Oui, si le total des sommes versées au titre du « RSA chapeau » est supérieur à la PPE, le ménage est gagnant. Si, au contraire, le « RSA chapeau » est inférieur à la PPE, le ménage percevra un complément de PPE pour combler la différence.

M. Serge Dassault, rapporteur spécial. - Pouvez-vous préciser les raisons du dépassement de 3,2 milliards d'euros des crédits de la mission « Travail et emploi » en 2010 ?

M. Xavier Bertrand. - Il s'agissait de ma première réponse. Pour ma part, je retiens le chiffre de 2,8 milliards d'euros supplémentaires, destinés aux programmes 102 et 103, car vous devez intégrer dans votre calcul les 500 millions d'euros ouverts en faveur de l'apprentissage au titre des investissements d'avenir.

M. Jean Arthuis, président. - La parole est maintenant au rapporteur spécial des crédits de la mission « Santé ».

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial de la mission « santé ». - Dans la note d'exécution budgétaire relative à la mission « Santé », la Cour des comptes propose d'assurer, à l'avenir, une meilleure traçabilité des crédits délégués aux agences régionales de santé (ARS) en rattachant ceux-ci à des politiques de santé publique ou des plans de santé publique précis. De même, la Cour propose que soit élaboré un indicateur permettant de mesurer la performance des agences.

Quelles suites entendez-vous donner à ces deux recommandations de la Cour qui rejoignent les observations que j'avais également formulées en ma qualité de rapporteur spécial lors de l'examen des projets de loi de finances pour 2010 et 2011 ?

M. Xavier Bertrand. - La suite la plus immédiate possible. La déclinaison régionale de ce que l'on met en place m'intéresse au plus haut point. Avec Roselyne Bachelot-Narquin, nous avons, dans le cadre du pilotage des ARS, retenu douze indicateurs : l'amélioration du dépistage du cancer, la réduction des écarts d'équipement en établissements d'accueil pour personnes âgées ou handicapées, la diminution des établissements de santé certifiés avec réserves, etc...

Il faut également une vraie traçabilité des crédits s'agissant des dépenses de personnel et de fonctionnement, mais aussi des dépenses d'intervention, afin de pouvoir rendre compte de ce qui est effectivement mis en place. C'est par ce biais notamment que l'on pourra démontrer, contrairement à l'opinion couramment admise, que les crédits en faveur du secteur de la santé sont en augmentation. Je souhaiterais même pouvoir disposer de tableaux de bord infra-annuels. C'est difficile et long à mettre en place compte tenu de la création récente des ARS. Mais je suis très allant sur cette question. Mon souhait est, par ailleurs, d'intégrer dans ces dispositifs d'évaluation et de suivi les programmes régionaux de santé.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Je souhaite soulever une première difficulté s'agissant des ARS. La communication entre certaines agences et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) est parfois difficile. En particulier, rien ne peut être fait dans une ARS tant que la « lettre- réseau » n'est pas signée par le directeur général de l'assurance maladie.

M. Xavier Bertrand. - C'est en train de changer. Je me suis entretenu de ces problèmes avec Frédéric Van Roekeghem. Faites-vous référence à un exemple très récent ?

M. Jean-Pierre Fourcade. - Il s'agit de l'ARS de Franche-Comté.

M. Xavier Bertrand. - Cette difficulté de communication entre les ARS et l'assurance maladie constitue une perte de temps phénoménale.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Ma deuxième question porte sur les Unions régionales des professionnels de santé (URPS). La création de ces structures constitue une avancée : elles permettent enfin aux différentes professions médicales et paramédicales de se rencontrer. Malheureusement, toutes ne sont pas encore complètes et aucun financement ne leur a été accordé. La CNAM refuse de leur verser des crédits tant que le décret sur les modalités d'organisation et de financement de ces structures n'est pas sorti.

M. Xavier Bertrand. - Ce problème est en voie de règlement. Ce n'est qu'une question de délais entre la signature du décret et le versement des sommes. Ce n'est pas une question de crédits insuffisants, ces crédits sont prévus.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. - Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 prévoit la mise en place d'un dispositif spécifique d'indemnisation des victimes du benfluorex. Il prévoit en outre l'ouverture de crédits supplémentaires sur la mission « Santé » à hauteur de 5 millions d'euros afin de couvrir les frais d'expertise des premiers dossiers qui seront examinés par l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Quel est le coût prévisionnel total de ce dispositif d'indemnisation ?

M. Xavier Bertrand. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre car je ne connais pas le nombre de victimes, ni le préjudice subi par chacune d'entre elles. Nous en saurons peut-être davantage, cet été, quand sera mis en place le dispositif que nous proposons dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2011.

Il était de ma responsabilité de proposer au Parlement la définition d'un régime spécifique d'indemnisation car le dispositif proposé par les Laboratoires Servier n'était pas satisfaisant : non seulement il ne prévoyait pas de réparation intégrale du préjudice subi, mais en outre il empêchait les victimes de faire valoir leurs droits devant une juridiction civile.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. - En 2005, j'avais souligné, lors d'une mission de contrôle, les faiblesses des systèmes d'information du secteur de la santé. Quel est l'état d'avancement du dossier médical personnel (DMP) dont le Gouvernement avait annoncé la relance au printemps 2009 ?

M. Xavier Bertrand. - Nous sommes toujours en phase d'amorçage. Selon les chiffres dont je dispose, 10 000 DMP ont été ouverts. Je regrette qu'à l'époque, nous n'ayons pas opté pour un support mobile - une clé USB cryptée - qui aurait permis de démarrer plus vite. En revanche, nous avons été au rendez-vous s'agissant du dossier pharmaceutique.

M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur spécial. - Avez-vous progressé dans vos réflexions sur la délicate question de la gestion de la péremption des produits stockés par l'Etablissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires (EPRUS) ? Lors de ma mission de contrôle sur l'EPRUS, vos services évoquaient la mise en place d'un statut particulier pour ce type de produits ne mentionnant pas de date de validité mais uniquement une date de fabrication en contrepartie d'études de stabilité régulières.

M. Xavier Bertrand. - L'idée de créer l'EPRUS m'est venue en me rendant aux Etats-Unis pour visiter leur centre de gestion de crise. C'était après que j'ai eu à gérer l'épidémie du chikungunya et à élaborer le plan de préparation à une pandémie grippale de type H5N1.

Nous avions indiqué à l'époque qu'à compter de 2011, il conviendrait de mettre en place une planification des renouvellements des stocks sur la base du principe que vous venez d'énoncer. Je vous transmettrai le bilan de ces travaux d'évaluation.

M. Jean Arthuis, président. - Depuis 2008, des efforts ont été menés pour éviter des sous-budgétisations manifestes des dépenses relatives à l'aide médicale de l'Etat (AME). Néanmoins, 98 millions d'euros ont dû être ouverts par la loi de finances rectificative pour 2010, soit près d'un cinquième de la dotation initialement prévue en loi de finances.

La hausse exceptionnelle des dépenses de 2009 qui a eu un effet de base important en 2010 ne pouvait-elle pas être mieux prise en compte lors de l'élaboration du PLF pour 2010 ? Quelle est la tendance de ces dépenses en 2011 ? Quel est l'impact des mesures prises en projet de loi de finances pour 2011 destinées à encadrer le dispositif de l'AME ?

M. Xavier Bertrand. - Au premier trimestre 2011, on constate un taux d'évolution de ce poste de dépenses de 1,1 % en glissement annuel. Nous sommes très loin des taux d'évolution de 13 % observés en 2009 et 2010.

La forte croissance des dépenses d'AME ces deux dernières années tient à trois éléments : une augmentation des tarifs journaliers des prestations des établissements de santé, une amélioration des contrôles effectués par les hôpitaux et un transfert de charges du dispositif « Etranger malade » vers l'AME.

Sur le deuxième point - l'amélioration des contrôles -, je souhaite revenir sur la confusion souvent faite entre, d'une part, la révélation des abus et, d'autre part, leur progression. Il n'y a pas plus de fraude, simplement on en découvre plus. Devant la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) de l'Assemblée nationale, j'ai indiqué qu'en matière sociale, le montant des fraudes détectées s'est élevé en 2010 à 458 millions d'euros. Le montant réel des abus est sans doute beaucoup plus élevé.

J'ajoute enfin que les différentes mesures adoptées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 - mise en place d'un droit de timbre de 30 euros à compter du 1er mars 2011, délimitation du panier de soins, contrôle préalable pour certains actes - permettra d'éviter les dérives budgétaires des années précédentes.

M. François Trucy. - La loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation des jeux d'argent et de hasard en ligne a créé de nouveaux prélèvements sociaux sur les jeux. Une partie du produit de ces prélèvements a été affecté à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) au titre de la prévention. Le produit restant est versé à la Caisse nationale d'assurance maladie. A défaut de pouvoir flécher ces recettes sur la prise en charge des joueurs pathologiques, nous avions insisté lors des débats parlementaires pour qu'un effort supplémentaire soit réalisé en faveur de la lutte contre l'addiction. Aujourd'hui, aucun crédit supplémentaire n'a été versé aux centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie. Cette situation n'est pas acceptable. J'ai besoin de réponses rapides sur ce sujet.

M. Xavier Bertrand. - Je vous transmets les coordonnées de mon collaborateur qui suit ces sujets.

Les engagements pris au moment de l'examen de ce projet de loi étaient sans doute sincères, mais il faut ensuite suivre les choses jusqu'au bout. Je suis convaincu qu'un ministre, lorsqu'il prend des décisions, doit veiller à ce qu'elles soient effectivement appliquées. Nous avons encore des progrès à faire en termes de gouvernance.

M. Jean Arthuis, président. - L'article 90 du projet de loi de finances pour 2011 - devenu l'article 200 de la loi de finances - a supprimé, à compter du 1er janvier 2011, deux exonérations spécifiques de cotisations sociales à la charge de l'employeur, dans le domaine des services à la personne :

- d'une part, l'abattement forfaitaire de quinze points sur les cotisations sociales dues par les particuliers employeurs cotisant sur l'assiette réelle ;

- d'autre part, la franchise de cotisations patronales dont bénéficient les prestataires agréés ou déclarés intervenant auprès de publics dits « non fragiles ».

A l'appui de cet article, sur lequel je vous rappelle que les débats ont été très vifs à l'Assemblée nationale comme au Sénat au sein même de la majorité, le Gouvernement avait annoncé des économies sur le budget de l'Etat de l'ordre de 460 millions d'euros en 2011 et environ 700 millions d'euros les années suivantes. Quant aux dispositifs fiscaux dérogatoires (réduction et crédit d'impôt pour l'emploi des salariés à domicile), ceux-ci n'ont pas été modifiés en loi de finances initiale pour 2011, bien que, à titre personnel, j'avais proposé de les intégrer dans le rabot de 10 % des niches fiscales afin de maintenir autour de dix points l'abattement forfaitaire de cotisations sociales.

Le soutien parlementaire apporté à cette réforme était conditionné par l'absence d'impact de la mesure sur les publics fragiles. Sur ce point, la commission des finances avait obtenu, au cours des débats, une note adressée par les services du Premier ministre précisant la portée dudit article 90 indiquant explicitement que : « Les publics fragiles ne sont pas concernés par l'article 90 ».

Si la commission des finances a soutenu le Gouvernement dans sa démarche générale de réduction des niches sociales, elle a expressément souhaité que soit rapidement évalué l'impact de cette mesure sur le secteur de l'aide à domicile. A l'époque, plusieurs de nos collègues avaient indiqué que les économies escomptées seraient plus faibles que prévues : en effet, les particuliers paieront davantage de charges sociales en 2011 mais obtiendront davantage de réduction d'impôt l'année suivante.

Qu'en est-il ? Quelle est votre évaluation de l'application de ce dispositif sur le volet de l'emploi et celui des économies réalisées ?

M. Xavier Bertrand. - En tant que parlementaire, je me suis posé beaucoup de questions sur ce dispositif. J'ai été convaincu par l'argumentaire du Gouvernement. Nous attendons le rapport d'évaluation de l'Agence central des organismes de sécurité sociale (ACOSS) à la fin du mois de juin.

Jeudi 9 juin 2011

- Présidence de M. Jean Arthuis, président -

Règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010 - Audition de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication

La commission procède tout d'abord à l'audition de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi de règlement des comptes et rapport de gestion pour l'année 2010.

M. Jean Arthuis, président. - Monsieur le ministre, merci de venir nous éclairer sur l'usage fait des crédits mis à votre disposition pour l'année 2010. Je salue la présence de M. Lagauche et de Mme Morin-Desailly, rapporteurs pour avis de la commission de la culture.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. - Je suis très content de me livrer à cet exercice. Le ministère de la culture et de la communication a bénéficié d'un budget en légère augmentation cette année, ce qui lui a permis de faire face à ses nombreuses missions. Je m'appuie sur un cabinet solide et une administration compétente : les choses sont bien tenues.

Toutefois, le monde de la culture ne se quantifie pas exactement, comme des mondes plus rationnels. La demande de pratique culturelle, d'accès à la culture, de création, est extrêmement forte, chargée de symboles et très évolutive, la culture étant d'autant plus nécessaire quand la société traverse une période de crise et d'anxiété.

M. Jean Arthuis, président. - Nous sommes conscients de cette spécificité. Les considérations comptables paraissent en effet incongrues quand il s'agit de permettre toutes les transgressions qu'autorise la culture, et qui nous rassemblent !

M. Frédéric Mitterrand. - Je suis néanmoins conscient de la nécessité de protéger les deniers publics, ne serait-ce que pour permettre au ministère de tenir ses engagements !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Permettez-moi d'abord, en tant que sénateur de l'Aube, de vous remercier, monsieur le Ministre, de la journée extraordinaire que vous avez passée dans mon département, à Nogent, Troyes et Essoyes, qui nous a remplis de fierté.

M. Frédéric Mitterrand. - Et moi, d'enchantement.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Ma première question porte sur le financement de la Philharmonie de Paris. Ce grand investissement était-il nécessaire, compte tenu des salles dont nous disposons déjà ? Comment expliquer les retards accumulés par le chantier, qui occasionnent des reports massifs et répétés de crédits depuis trois ans ? Que penser du fait que les travaux aient commencé, alors même que les modalités de financement de la part de l'État n'étaient pas définitivement arrêtées ? Comment expliquer que l'estimation du coût total du projet soit passée de 203 millions d'euros fin 2007 à 336,6 millions aujourd'hui ?

Par ailleurs, le ministère n'a pas attendu le vote du collectif budgétaire pour engager 145 millions d'euros. Pourquoi ces redéploiements hâtifs, qui s'apparentent à une anticipation de l'autorisation parlementaire ?

M. Frédéric Mitterrand. - J'ai toujours été un ardent défenseur du projet de Philharmonie, qui répond à une vraie nécessité. La France est le seul pays d'Europe à ne pas bénéficier d'un équipement de premier plan pour accueillir les orchestres symphoniques étrangers et mettre en valeur ses propres orchestres. La salle Pleyel ne permet pas les répétitions : l'orchestre n'a que deux heures avant le début du concert ! C'est une situation invraisemblable : nous sommes bien loin de Berlin, de Londres ou de Rome, qui s'est dotée de la Philharmonie de Renzo Piano. Il nous faut d'ailleurs une salle à l'acoustique adaptée aux exigences des enregistrements.

Notre politique de la musique repose sur une pyramide de conservatoires, d'écoles, sur une vraie capacité musicale : il manque un lieu de rassemblement pour les présentations importantes, les répétitions, les ateliers. J'étais hier à l'IRCAM, où j'ai été frappé par la qualité de la gestion et des installations. Grâce à cette institution, nous sommes les premiers en Europe pour les musiques acoustiques nouvelles et le travail sur le son. Il nous fallait une offre de cette valeur pour la musique symphonique.

La Philharmonie sera dotée d'une salle de 2 300 places, aux normes les plus exigeantes, mais sera aussi la clé de voûte de toute la politique musicale en France. Nous avons l'un des meilleurs agents culturels en la personne de Laurent Bayle, fin connaisseur de la musique contemporaine, qui dirige déjà la salle Pleyel et la Cité de la Musique de manière remarquable. L'implantation de la Philharmonie dans le parc de la Villette contribuera au désenclavement d'une partie de Paris, sera une ouverture sur la banlieue Nord et s'inscrira dans le projet du Grand Paris.

L'auditorium que construit actuellement la Maison de la Radio servira pour sa part à ses deux orchestres. La salle Pleyel ne devra pas faire concurrence à la Philharmonie et au Théâtre des Champs-Élysées, qui occupe, remarquablement, un créneau particulier. La demande de musique actuelle, de variétés de qualité, de musiques du monde est telle que la rentabilité de la salle Pleyel est assurée : elle a ainsi récemment accueilli la grande chanteuse libanaise Fairouz.

Le projet de Philharmonie a été lancé en 2003-2004, autour d'une opération à trois : État, Ville de Paris et, dans une moindre mesure, région Île-de-France. Vu l'importance du besoin de financement, il y a eu des hésitations, des résistances, des à-coups, et un arrêt il y a deux ans. Cela fut d'autant plus désolant que les travaux de terrassement avaient commencé. Le monde musical, partisan de la création de la Philharmonie, en a été déstabilisé. Nous avons enfin pu obtenir les arbitrages nécessaires et le chantier a repris. En huit ans, l'estimation de coût a été affinée...

M. Jean Arthuis, président. - Plutôt alourdie !

M. Frédéric Mitterrand. - Disons que les coûts ont été calculés au plus précis, sans quoi nous n'aurions pas obtenu les arbitrages...

La méthode de financement a varié, le partenariat public-privé, initialement envisagé, ayant été repoussé par la Ville de Paris. Des crédits ont été mobilisés par le ministère de la culture pour financer la première partie des travaux. Nous demandons au budget de l'État le financement de l'opération, selon le souhait du Président de la République.

M. Jean Arthuis, président. - Avant d'engager des crédits en anticipant l'autorisation parlementaire, il eût été souhaitable de mieux nous informer.

M. Frédéric Mitterrand. - Les autorisations d'engagement ont été votées en 2009 : la loi de finances prévoyait 140 millions.

M. Jean-Pierre Fourcade. - Cette affaire de Philharmonie ne va-t-elle pas être en concurrence avec la salle Pleyel, la maison de la Radio, qui refait sa grande salle, et le projet de M. Devedjian pour l'île Seguin ?

M. Frédéric Mitterrand. - Je me sens totalement comptable des deniers publics, et n'engagerai pas notre politique culturelle sur la pente de dépenses incontrôlées ! Nous avons besoin d'une Philharmonie pour nous placer au niveau des autres pays européens. La demande de musique est telle que chaque salle pourra fonctionner de façon satisfaisante : la salle Pleyel accueillera ainsi la musique du monde et la variété de qualité, sans empiéter sur le domaine du Théâtre des Champs-Élysées. L'auditorium de la Maison de la Radio est destiné aux deux orchestres maison, dont les concerts ont vocation à être diffusés ou rediffusés. Quant au projet de l'île Seguin, ses contours artistiques ne sont pas encore définis. M. Devedjian a beaucoup fait pour la culture dans son périmètre géographique, par exemple avec les jardins Albert Kahn. Mais les Hauts-de-Seine sont un monde en soi ! La demande y est forte : je ne vois pas en quoi ce projet gênerait la Philharmonie. Celle-ci a vocation d'une part à accueillir les grands orchestres internationaux, d'autre part à être la clé de voute de la politique musicale de notre pays, et, car il ne s'agit pas d'une nouvelle opération centralisée mais d'une occasion d'irradier, à accueillir à Paris nos orchestres régionaux.

M. Jean Arthuis, président. - Notre message est qu'il doit être possible de mieux informer le Parlement : le collectif prévoit un supplément de crédits qui ont déjà été engagés !

M. Frédéric Mitterrand. - Les malentendus, les incompréhensions s'expliquent en partie parce que l'affaire traîne depuis des années. Voyant une fenêtre de tir, j'ai eu tendance à « foncer » !

Le chantier est tenu. Le retard, dû aux intempéries des deux derniers hivers, n'est que de quelques semaines. Le chantier sera terminé, comme prévu, début 2014.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - J'en viens à la question récurrente de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), dont je suis un défenseur depuis des années, mais qui est fort mal vu des collectivités locales. L'INRAP traverse depuis des années d'importantes difficultés financières. Après un nouveau secours budgétaire de 8 millions d'euros en 2010, 12 millions ont été redéployés et reportés à son bénéfice en 2011, et le collectif prévoit une nouvelle ouverture de 8 millions d'euros. Bref, il faut réformer la redevance d'archéologie préventive (RAP) mais comment ? Faut-il élargir l'assiette, abaisser le seuil, augmenter le taux ? Faut-il l'adosser à quelque chose de plus solide, comme la nouvelle taxe d'aménagement ? On ne s'en sortira pas tant qu'on n'aura pas solidifié le système.

M. Jean Arthuis, président. - Quand la RAP touche des contribuables modestes, la main qui tient la sébile devient hésitante...

M. Frédéric Mitterrand. - Comme vous tous, je suis un farouche défenseur de l'idée de l'INRAP. L'opinion est sensible à l'importance de sa mission et à la qualité de son travail. Qui croyait que l'on ferait de telles découvertes à Pontchartrain, par exemple ? C'est grâce à l'INRAP que nous avons trouvé ce merveilleux buste de Jules César, ou la statue d'Aphrodite dans le Rhône, que j'ai fait acheter par des mécènes privés ; ses découvertes enrichissent considérablement les collections nationales. Des entreprises privées se sont développées, souvent animées par des anciens de l'INRAP, et parfois plus performantes en matière de délais.

Des fouilles ne sont effectivement prescrites par l'INRAP que dans 8 % des cas, mais elles représentent indéniablement une contrainte pour les collectivités et les aménageurs. Retards, coûts, chantiers laissés en l'état : mon parapheur contient chaque jour trois ou quatre réponses à des plaintes. Sous-capitalisé, l'INRAP manque cruellement d'argent : sa trésorerie est faible, son fonds de roulement nul, voire négatif. Étant donné l'importance de ses missions, l'INRAP vit à la petite semaine. J'ai reçu son président, M. Jacob, et son directeur, M. Roffignon, qui se disent confiants dans l'avenir, vu l'importance des découvertes archéologiques, et attristés par les retards dus aux délais d'expertise ou de règlement des fournisseurs.

Le ministère arrive encore à combler les trous, à payer les salaires, mais ce n'est pas satisfaisant : il faut en effet régler le problème une fois pour toutes. Une solution serait de revoir la taxe sur laquelle est adossée la redevance. Mais la décision ne dépend pas que de mon ministère...

M. Jean Arthuis, président. - Nous avons voté dans la loi de finances pour 2011 un dispositif qui simplifie les redevances d'aménagement. Pourquoi ne pas y inclure la RAP ? Si nous déposions un tel amendement dans le collectif, le Gouvernement y serait-il favorable ?

M. Frédéric Mitterrand. - En ce qui me concerne, oui. Un rapport de l'Inspection des finances préconise d'ailleurs cette solution, qui devrait convenir aux collectivités locales.

M. Claude Belot, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industrie culturelle ». - Président du conseil général de la Charente-Maritime, j'avais créé un service d'archéologie préventive, avec un système de comptabilité analytique pour en connaître le coût exact : il apparaissait que le prix de revient des fouilles était moins important que celui payé par les communes bénéficiaires... Cela me semblait anormal et j'avais attiré là-dessus l'attention de l'un de vos prédécesseurs. Quel est le prix de revient réel du service rendu par l'INRAP ?

M. Frédéric Mitterrand. - Vous avez de la chance... Je connais Jonzac et nous savons les beautés des Charentes, leur patrimoine, visible et invisible, exceptionnel. Je salue le fait qu'un élu de votre importance ait pris en compte cette donnée essentielle, avec un souci légitime de bonne gestion. Nous ne sortirons pas l'INRAP de ses difficultés sans demander de fortes contreparties en matière de gestion. J'ai indiqué à ses dirigeants que nous allions revoir en profondeur le fonctionnement de l'Institut et ses critères d'évaluation. Autant je souhaite sécuriser le fonctionnement de l'INRAP, autant ses méthodes doivent être clarifiées. Soyez assurés que nous y travaillons. Cependant, l'INRAP étant fortement syndicalisé, il faut sur-expliquer chaque mouvement pour le faire accepter par toute l'institution...

M. Jean Arthuis, président. - Il y a sûrement de bonnes pratiques à développer. L'archéologie préventive peut facilement devenir très populaire. Mais les DRAC tendent à systématiser les fouilles, et les pelleteuses ont vite fait de transformer un terrain en véritable Verdun... Cela donne une très mauvaise image de l'archéologie préventive, et engendre des coûts inutiles. Il faudrait être plus sélectif dans le choix des fouilles.

M. Frédéric Mitterrand. - Ainsi du château de Blérancourt, institution franco-américaine à une vingtaine de kilomètres de Compiègne. Ce site superbe bénéficie d'un important mécénat américain ; lorsque de sa rénovation, il y a quelques années, l'INRAP a entamé des fouilles qui ont mis au jour des soubassements mérovingiens. Mais il a laissé derrière lui un véritable Verdun, au désespoir des mécènes américains... Dès mon arrivée, j'ai porté le fer contre ces pratiques que je réprouve. Elles ne se reproduiront plus.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - Ce n'est pas l'INRAP qui a trouvé le buste de César, mais le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm). J'ai d'ailleurs signé un rapport sur archéologie subaquatique et sous-marine, qui s'interroge notamment sur la méthode de financement de l'André-Malraux...

M. Frédéric Mitterrand. - Le précédent bateau du Drassm était obsolète. Les coûts de fonctionnement de l'André-Malraux seront moindres ; il sera affecté deux cents jours par an à la recherche, et cent jours à des entreprises privées (elles ont déjà présenté leurs demandes). Il n'y aura pas de surprises.

M. Jean Arthuis, président. - Pour encourager le téléchargement légal, le ministère de la culture a lancé en 2010 la Carte musique, qui consiste à subventionner le téléchargement de musique par les jeunes de 12 à 25 ans, dans la limite d'un plafond de 50 euros par personne et par an. Cela est fort sympathique. 18 millions d'euros d'autorisations d'engagement ont été engagées en 2010 et les paiements doivent intervenir en 2011. Pourquoi ces crédits n'ont-ils pas été inscrits en loi de finances initiale ? Comment contrôler effectivement l'âge des bénéficiaires, et n'y a-t-il pas des risques de dérapage ? 

La musique, c'est le Luxembourg ! Non seulement la TVA y est de 15 %, mais le Luxembourg bénéficie d'une dérogation lui permettant de la conserver jusqu'en 2015. Tous les opérateurs de musique se sont donc installés au Luxembourg. Cette Carte musique, c'est un cadeau pour le Grand Duché !

M. Frédéric Mitterrand. - Les grands duchés sont propices à la musique, on le sait bien depuis la Grande duchesse de Gerolstein. Je me bats à Bruxelles pour l'harmonisation de la fiscalité sur l'offre musicale. Et je ne parle pas de Google, installé en Irlande...

M. Jean Arthuis, président. - Et surtout aux Bermudes ! Google est un chef d'oeuvre d'optimisation fiscale !

M. Frédéric Mitterrand. - La Carte musique s'appuie sur l'offre musicale de plateformes françaises comme la Fnac, Orange ou Deezer.

La Carte musique a pâti de son ergonomie trop complexe. Nous avons trouvé le moyen de la simplifier, tout en évitant les fraudes à l'âge. La carte sera également attribuée sous forme physique. Cela va-t-il marcher ? Je l'espère. Faciliter l'accès des jeunes à l'offre légale est une très belle idée. Nous avons le soutien de l'industrie : la plupart des plateformes ont modulé leur offre.

Le financement de la Carte, qui dépend du programme « Création », relèvera désormais de l'action « Industries culturelles », ce qui sera plus clair pour vous.

M. Jean Arthuis, président. - Les 18,87 millions devant être réglés en 2011 ont été pris en charge par redéploiement - nous avons parlé tout à l'heure de la dotation de la Philharmonie... Voilà une démarche perfectible.

M. Frédéric Mitterrand. - C'est pourquoi, désormais, c'est la direction des industries culturelles qui s'en occupera. Je m'y engage.

M. Jean Arthuis, président. - Nous en prenons acte.

Vous verrez que, pour le livre numérique, tout se fera au Luxembourg.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. - La Commission européenne estime qu'il s'agit d'un service...

M. Jean Arthuis, président. - ... mais c'est aussi, accessoirement, un bien culturel.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Dans son rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'Etat au titre de l'exercice 2010, la Cour des Comptes souligne le risque d'insoutenabilité des dépenses auquel sont exposés les programmes « presse » et « action audiovisuelle extérieure » de la mission « Médias ». Cette crainte vous paraît-elle fondée ?

M. Frédéric Mitterrand. - A priori, toutes les observations de la Cour des comptes sont dignes de considération. Il faut bien comprendre que la presse et l'audiovisuel extérieur sont tous deux en pleine révolution.

La réforme de l'audiovisuel extérieur de la France a permis de rassembler Radio France Internationale (RFI), France 24 et TV5 Monde, même si celle-ci est plus difficile à contrôler puisque l'Etat n'en est pas actionnaire majoritaire et qu'il faut donc tenir compte des partenaires francophones. Dans l'ensemble, cette réforme fonctionne. Malgré les contraintes géographiques et la nécessité de gérer un climat social complexe, les réussites sont évidentes. Parmi ces succès, on peut citer la façon dont France 24 a réussi à s'installer et à accompagner les révolutions arabes, au point de se hisser au niveau d'Al-Jazira, la CNN arabe qui dispose depuis dix ans d'une légitimité incontestable - même si elle peut être suspectée sur certains points.... Qui aurait dit cela il y a trois ans ? Avec ses éditions en français, en arabe et en anglais, cette chaîne a fait la preuve de sa capacité de travail.

De même RFI, laissée en déshérence depuis de longues années, n'était plus adaptée à ses missions, notamment à sa diffusion préférentielle vers l'Afrique. Songez qu'il n'y avait pas d'émissions en swahili alors qu'il y en avait en polonais, pour un nombre très faible d'auditeurs dans ce pays. La réforme a donc considérablement amélioré le périmètre et les fonctions de RFI, provoquant un premier plan social, puis un second qui est encore en cours, ce qui a alourdi le climat social. Toutefois, la mutualisation nécessaire des moyens est acceptée par les deux rédactions de RFI et de France 24 sur le plan des principes, et se traduira par le déménagement de RFI dans les locaux de France 24. Cette montée en puissance - je fais ici abstraction des conflits de personnes à la direction de France 24 et des difficultés sociales à RFI - s'est traduite par une demande de financement plus important. Nous serrons les cordons de la bourse autant que possible, et j'ai demandé à l'Inspection générale des finances d'établir un vrai tableau des besoins de France 24 et de notre audiovisuel extérieur en général. En effet, nous n'avons pas encore, pour France 24, de plan stratégique parce que le contrat d'objectifs et de moyens (COM) est encore en cours d'élaboration, faute d'éléments d'information suffisants. Les inquiétudes de la Cour des comptes sont donc légitimes, et mes réponses à vos questions ne peuvent être qu'encore partielles. Il me faudra, pour être complet, disposer des conclusions de l'Inspection générale des finances, que l'on devrait me remettre à la fin du mois.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - France 24 a réalisé l'interview d'une soi-disante ambassadrice démissionnaire...

M. Frédéric Mitterrand. - Sans me faire plus malin que je ne suis, il suffisait pourtant d'entendre l'interview de la fausse ambassadrice de Syrie en France : la véritable ambassadrice, que je connais, parle sans accent et ne roule pas les « r ». Se faire piéger est anormal et prouve qu'il y a encore du travail à faire.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Mais où en est-on avec la direction de France 24 ?

M. Jean Arthuis, président. - L'actionnaire devrait prendre ses responsabilités !

M. Frédéric Mitterrand. - L'actionnaire prendra ses responsabilités, lorsque je disposerai du rapport de l'Inspection générale des finances. Je ne souhaite pas ici m'enferrer dans des conflits de personnes qui ont déjà fait tant de mal à cette chaîne. Nous ne pourrons prendre de décisions crédibles que lorsque nous connaîtrons le véritable état de France 24, c'est-à-dire d'ici une quinzaine de jours.

M. Jean Arthuis, président. - Le spectacle actuel est désolant !

M. Frédéric Mitterrand. - Ce n'est pourtant pas faute d'avoir tenté, pendant des mois, de remettre tout le monde sur les rails. Mais on se serait cru dans une série américaine sur les couples en difficulté. Et cela se passait dans le bureau ministériel ! J'en étais surpris (c'est mon côté romanesque) et désolé (c'est mon côté contribuable), et davantage encore en tant que ministre. Mais tout cela va être réglé !

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Lors de la discussion budgétaire, en décembre dernier en séance publique, je vous avais demandé d'y mettre de l'ordre le plus vite possible. Je constate que cette décision tarde à venir...

M. Frédéric Mitterrand. - On va trancher très vite ! Mais je veux traiter cela comme un problème de gouvernance, et non comme un conflit de personnes.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - La presse écrite est plus tranquille ...

M. Jean Arthuis, président. - Qu'en est-il de la réforme de l'Agence France Presse (AFP) ?

M. Frédéric Mitterrand. - Celle-ci comprend deux axes : la révision de la composition du conseil d'administration ; la possibilité d'avoir accès aux informations de l'Agence sans passer par un grand organisme d'information. Sur ces deux points, il y a une forte résistance de la presse. Emmanuel Hoog a donc décidé de proposer une réforme moins ambitieuse qui permettra tout de même de progresser. Le texte de loi vous sera présenté dans quelques jours par votre commission de la culture.

M. Jean Arthuis, président. - Il n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour !

M. Frédéric Mitterrand. - Le président Legendre a réfléchi au sujet ; lors de notre dernier entretien, nous avons plutôt parlé des manuscrits de Robespierre - j'aimerais que le Sénat fasse un effort... En tout cas, la réforme de l'AFP est, comme on dit familièrement, dans les tuyaux. Personnellement, je souhaitais que le texte soit inscrit à l'ordre du jour avant la fin de cette session. Ce sera donc pour l'automne.

M. Jean Arthuis, président. - Il semble que, sur la gouvernance, la concertation interne n'ait pas été menée au meilleur niveau....

M. Frédéric Mitterrand. - L'AFP est une maison où déménager un ordinateur, même portable, du deuxième au quatrième étage est plus compliqué encore que de refermer le chantier du château de Blérancourt. Emmanuel Hoog est un homme de grand courage...

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Il y a quelques années j'avais effectué sur l'AFP un contrôle sur pièces et sur place dans des pays lointains. L'efficacité des équipes que j'y avais rencontrées contrastait totalement avec la pétaudière qui régnait alors au siège. J'avais compris que c'était une superbe entreprise dès lors que ses membres n'étaient plus dans le marigot du siège. Est-ce toujours la réalité ? En matière de comptes, les centres de profit se situaient à l'extérieur, en Asie ou dans le Pacifique par exemple, alors qu'à Paris, on constatait de nombreuses difficultés.

M. Frédéric Mitterrand. - Je ne voudrais pas m'engager sur ce terrain là, car je ne souhaite pas porter de jugement en tant que ministre. Il est certain que la gouvernance de l'AFP n'est pas chose facile. Il m'est arrivé d'être à Mayotte et d'y avoir donné réponse à un problème particulier. Une heure après, cette réponse, transmise par le correspondant local de l'Agence, était dans tous les médias - son bureau n'est pourtant pas le New-York Herald Tribune ! Quelle perspicacité et quelle formidable efficacité chez les correspondants locaux ! Je ne nourris aucun doute sur la pertinence du travail de l'AFP. Il se pose un problème de gouvernance qu'Emmanuel Hoog est la personne la mieux à même de résoudre. Il mène ce grand combat. Cela dit, si le président Legendre préfère en discuter à l'automne, c'est sans doute à cause des réticences de certains patrons de presse.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Courage !

M. Frédéric Mitterrand. - Cela va aller.

M. Claude Belot, rapporteur spécial. - Et la presse écrite ?

M. Frédéric Mitterrand. - Elle connaît une gigantesque révolution avec le numérique, mais aussi une concurrence accrue avec internet et une profonde modification de ses mécanismes de composition. En même temps, je suis certain que le plan de soutien à la presse papier conserve toute sa pertinence. L'apport, génial, d'internet, ne supprimera jamais totalement le besoin de médiation auquel la presse écrite répond physiquement avec le journal et par sa formule même. La presse régionale fournit des informations sans équivalent et indispensables au lien social. La presse papier, facteur d'éducation républicaine et de vie en communauté, est appelée à subsister et même à progresser.

Le plan de soutien est donc tout à fait justifié. Il est quantitativement important et, lorsque je signe les lettres autorisant les soutiens apportés, il arrive que mon stylo tremble - notamment quand il s'agit de l'installation de la presse en ligne - et alors je me surprends à penser : si nous faisons un tel effort, ils doivent vraiment se réformer, il faut que nous en touchions les fruits.

L'aide au portage, qui a augmenté de 4 % cette année, a donné de très bons résultats. De même, l'opération « Mon journal offert » a remporté un incroyable succès : tous les quotas ont été remplis en une semaine et 20 % à 30 % des jeunes, ce qui est énorme, deviennent des lecteurs réguliers.

Nous menons également une réflexion sur le kiosque numérique et sur la manière de rétribuer la presse lorsqu'elle est sur internet. Tout cela, vous le voyez, va dans le bon sens.

Il faut constater que la presse se réforme, y compris avec les inévitables plans sociaux. Personnellement, j'ai beaucoup de respect pour le personnel des messageries de la presse dont le travail est très pénible. En dépit de leur mauvaise réputation, ils travaillent de nuit, sept jours sur sept, et portent de lourds paquets. En même temps, le coût de l'ajustement des effectifs travaillant sur les nouvelles techniques est important... La presse doit continuer à remplir sa mission républicaine et à répondre aux impératifs de qualité et aux prescriptions fondatrices de la loi Bichet. Tout cela nécessite une surveillance accrue des dépenses affectées à la presse. Le rapport Cardoso, véritable charte de bon comportement, nous fournit les bases d'une telle vérification, car il établit un mécanisme de contrôle de l'affection des sommes allouées. J'en avais présenté les conclusions aux responsables des grands journaux dans une atmosphère qui n'était pas particulièrement chaleureuse. « Aidez-nous », nous dit-on, « mais ne contrôlez pas trop »...

M. Jean Arthuis, président. - Les relations financières entre l'État et l'AFP ne suscitent-elles pas des questions à l'Agence, et les abonnements de l'État ne constituent-ils pas une aide à la presse ?

M. Frédéric Mitterrand. - L'État concourt à hauteur de 40 % au financement de l'AFP, à travers ses abonnements.

M. Jean Arthuis, président. - Cela représente de l'ordre de 113 millions d'euros. Quel est le statut juridique de L'AFP ? Fonctionne-t-elle comme une coopérative ?

M. Frédéric Mitterrand. - C'est une construction sui generis très complexe, qui avait suscité l'interrogation de Bill Gates lors de sa visite en France. En effet, elle n'a pas de fondement juridique et il est très difficile de s'y attaquer. Je risquerai une comparaison avec la Villa Médicis, dont un architecte me disait qu'elle ne tenait « que par la force de l'habitude », lorsque j'y avais pris mes fonctions. Il faut donc revoir toute la structure juridique de l'AFP, mais on ne peut le faire que pas à pas. Toutes les précédentes tentatives de réforme ont échoué. Je fais confiance à Emmanuel Hoog pour réussir. Les abonnements de l'État à l'AFP représentent la contrepartie du service rendu par celle-ci. J'avoue avoir du mal à répondre à la question de savoir s'il s'agit d'une aide directe à la presse.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur pour avis de la mission « Médias, livre et industries culturelles » au nom de la commission de la Culture. - Où en est le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de France Télévisions ? Un dépôt tardif nous priverait de notre mission de contrôle, car nous n'aurions pas le temps de l'examiner avant la fin de la session parlementaire.

M. Frédéric Mitterrand. - Nous devrions en disposer dans les prochains jours, ainsi que celui d'Arte. Lorsque Rémy Pflimlin a pris la présidence de France Télévisions, il s'est trouvé confronté aux difficultés du groupe et à la nécessité de renforcer l'identité de chaque chaîne et d'enrayer la chute d'audience, notamment celle de France 3, due à la concurrence de l'offre des chaînes de la Télévision Numérique Terrestre (TNT). Il fallait mener une réflexion sur la diversité, l'accès à la musique, les programmes culturels. Tout cela a pris du temps, ce qui explique pourquoi l'élaboration du nouveau COM a pris du retard. Il en va de même pour Arte, qui a également changé de présidence.

M. Jean Arthuis, président. - Merci beaucoup, monsieur le Ministre, de nous avoir consacré du temps et d'avoir répondu à nos questions.

M. Frédéric Mitterrand. - Je vous remercie également : cet exercice m'est très utile ; il m'aide à réfléchir à ma mission.

Contrôle budgétaire de la fonction immobilière de l'Etat en Europe - Communication

La commission entend ensuite une communication de Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, sur la fonction immobilière de l'Etat en Europe.

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. J'ai cherché à comparer l'organisation française de la gestion du parc immobilier de l'Etat avec celle de plusieurs autres pays européens. Pour mener cette étude de la « fonction immobilière » de l'Etat, je me suis rendue en Espagne, en Italie et en Suède, où j'ai rencontré les gestionnaires concernés, et j'ai pris l'attache de Detlev Hamman, sous-directeur au ministère fédéral des finances allemand. En outre, l'Inspection générale des finances (IGF) et le conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE) m'ont communiqué leurs rapports respectifs traitant de ce thème. Pour la présentation de ces travaux, j'ai auditionné Philippe Dumas, inspecteur général des finances, et Jean-Pierre Lourdin, alors secrétaire général du CIE.

Ma communication sera l'occasion de dresser un bilan de notre politique en la matière. À cet effet, j'ai également auditionné Daniel Dubost, chef du service France Domaine.

Aujourd'hui, tous les Etats européens, confrontés à la contrainte qui pèse sur les finances publiques, ont mis en place une gestion active de leur patrimoine immobilier. Après avoir, souvent, négligé peu ou prou celui-ci, ils l'ont envisagé comme un actif mobilisable, dans la perspective de réduire les déficits. Bien sûr, le mouvement s'est enclenché plus ou moins tôt, d'un pays à l'autre par exemple, en Suède, dès 1993 et la réorganisation a été plus ou moins poussée.

Suivant une logique d'ordre quantitatif, les Etats ont d'abord procédé à la vente des immeubles recensés comme inutiles, source de recettes et, à la fois, d'économies des coûts d'occupation. L'Italie, en ce domaine, a en outre réalisé des opérations de titrisation : des immeubles de l'Etat ont été cédés à des sociétés « véhicules », lesquelles, à partir de cet actif, ont émis des obligations, à hauteur de 8 milliards d'euros à ce jour. La formule a présenté l'avantage de dégager très rapidement les recettes attendues de la cession des immeubles, mais il s'agit d'une stratégie budgétaire de court terme. Par ailleurs, sur le fondement d'une loi de juillet 2010, la République italienne s'est engagée dans un vaste processus de dévolution aux collectivités territoriales d'une partie du patrimoine immobilier de l'Etat. Près de 19 000 biens, évalués à 3,2 milliards d'euros au total, doivent ainsi être transférés, sous réserve de l'accord des collectivités ; à défaut, ces immeubles seront mis en vente.

Cependant, la politique immobilière d'un Etat ne peut se limiter à un programme de cessions. De fait, les Etats européens ont rapidement ajouté une démarche qualitative à leur approche quantitative initiale : ils ont entrepris de rationaliser et de valoriser leur parc immobilier. Or cette démarche supposait une meilleure connaissance des immeubles en cause ; elle imposait donc de développer les outils de cette connaissance, ainsi que la professionnalisation de la gestion.

À ce point de l'exposé, il est utile de procéder à quelques rappels sur la situation française.

Notre politique immobilière de l'Etat, en tant que telle, est encore récente. Longtemps, cette gestion s'est trouvée dépourvue de stratégie. Ce n'est qu'à partir de 2005, d'ailleurs sous l'impulsion des travaux du Parlement, que le Gouvernement a mis en place, progressivement, les règles et les outils d'une véritable gestion.

Ainsi, en 2005, le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » a été créé pour retracer, en recettes, les produits des cessions immobilières de l'Etat et, en dépenses, la part de ces produits consacrée à des investissements immobiliers et au désendettement de l'Etat. Cette création a été accompagnée d'une politique de cessions dynamique : depuis 2005, plus de 3,6 milliards d'euros de produits ont été encaissés par l'Etat, dont plus de 500 millions en 2010. Sur ce total, plus de 500 millions d'euros ont été affectés au désendettement, soit 13,9 %  contribution modeste...

Les « loyers budgétaires » ont été introduits, de façon expérimentale, dès 2006, puis généralisés peu à peu, de sorte que le dispositif couvre tous les immeubles de l'Etat depuis 2010. Le montant de ces loyers est représentatif du coût d'occupation domaniale des ministères, auxquels il s'agit ainsi d'en faire prendre conscience. Au total, ces loyers correspondent à 1,2 milliard d'euros dans la loi de finances pour 2011.

Les « schémas prévisionnels de stratégie immobilière » (SPSI) ont été mis en place à partir de 2006, afin de décrire l'état du parc immobilier des administrations et de fixer les orientations de sa gestion sur plusieurs années. Ces documents ont été étendus, en 2007, à l'ensemble des administrations centrales soit 11 schémas et, en 2009, à l'ensemble des administrations déconcentrées soit 97 schémas. Ils se trouvent également en cours de finalisation pour les opérateurs de l'Etat, comme j'y reviendrai.

On peut encore mentionner la détermination de normes d'occupation, notamment le ratio rapportant la surface utile nette au poste de travail, fixé par le Gouvernement à 12 mètres carrés par agent. Au 1er janvier 2010, le ratio effectif s'établissait à 17,7 mètres carrés par agent, le prochain calcul devant être effectué au 1er janvier 2012.

Au demeurant, certaines mesures pourtant fondamentales pour la gestion du parc immobilier de l'Etat s'avèrent encore très récentes, voire embryonnaires.

Par exemple, ce n'est qu'en 2009 qu'un programme budgétaire spécifiquement dédié à l'entretien des bâtiments de l'Etat est entré en vigueur. Ce programme, logé au sein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », est géré par le ministère chargé du budget et doté de crédits prélevés sur les différents programmes des autres ministères. Il permet de « sanctuariser », non tous les budgets d'entretien immobilier, mais une partie des dépenses requises : la dotation a été inscrite à hauteur de 215 millions d'euros dans la loi de finances pour 2011. C'est, évidemment, très insuffisant à l'aune des besoins issus du Grenelle de l'environnement...

M. Philippe Dallier. Comme à celle des exigences d'accessibilité !

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. Tout à fait. Les collectivités territoriales, d'ailleurs, sont confrontées aux mêmes obligations à cet égard.

Deuxième exemple : un plan pluriannuel de cessions a été rendu public en juin 2010 par le ministère du budget. Ce plan visait initialement 1 700 immeubles ; il y a eu, depuis, des « entrées » les nouveaux biens à vendre et des « sorties » les biens vendus, pour l'essentiel. La fiche de chaque immeuble ainsi proposé à la vente se trouve mise en ligne sur le site Internet du ministère.

Troisième exemple : des règles encadrant les prises à bail de l'Etat ont été instituées au cours de l'année 2010, pour plafonner les loyers. Cette initiative a été prise à la suite de mon rapport d'information sur « l'Etat locataire », publié en juillet 2009. Ainsi, en Île-de-France, les loyers supportés par l'Etat ne peuvent plus excéder 400 euros du mètre carré, hors taxes et hors charges. Ce plafonnement comporte un double effet vertueux : non seulement il bride la « tentation » des administrations de retenir des loyers excessifs je reste attentive, pour autant, à la nécessité que les services de l'Etat se trouvent convenablement logés mais, en outre, il exerce une pression à la baisse sur les prix du marché, car les bailleurs préfèrent rabattre leurs exigences financières plutôt que de perdre, avec l'Etat, un locataire exempt du risque de défaut de paiement.

M. Jean Arthuis, président. - Malheureusement, cela ne règle pas tout : on a bien vu que, malgré la pression exercée par le Parlement lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative de la fin 2010, les services centraux du ministère de la justice n'ont toujours pas abandonné les locations onéreuses qu'ils occupent !

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. En effet ; cette situation est actuellement « gelée ».

Mais voici un dernier exemple d'avancée, non le moindre : une « révolution culturelle » tend à se mettre en place avec la conclusion des premières conventions d'utilisation, dont un décret du 1er décembre 2008 a imposé la substitution au régime « historique » de l'affectation ; le basculement complet doit être réalisé, au plus tard, à la fin 2013. Ces conventions, passées entre le service France Domaine et chaque administration occupant des immeubles de l'Etat, formalisent les droits et obligations de chaque partie. En 2010, 3 000 conventions ont été signées ; elles sont entrées en vigueur au 1er janvier 2011. Pour 2011, 12 000 nouvelles conventions sont attendues. Au total, l'estimation de conventions à conclure s'élève à 60 000.

Les principes et instruments de gestion du parc immobilier créés, encore faut-il que « l'Etat propriétaire » soit identifié. En effet, le modèle français en la matière, contrairement à celui d'autres pays, repose sur l'idée qu'une gestion cohérente ne peut résulter de plusieurs décideurs. Le rôle d'« incarner » cet Etat engagé dans une gestion active de son patrimoine immobilier est logiquement revenu au service des domaines, réformé à cet effet et transformé, en 2007, en service « France Domaine ».

France Domaine se trouve aujourd'hui rattaché à la direction générale des finances publiques (DGFiP) du ministère chargé du budget. L'administration centrale du service est composée de deux entités. D'une part, la mission de la politique immobilière de l'Etat assure, principalement, l'animation et le suivi des acquisitions et cessions, ainsi que la mise en place des SPSI et des conventions d'utilisation. D'autre part, le bureau des missions domaniales prend en charge, notamment, l'élaboration de la législation et de la réglementation du domaine, le contentieux domanial, la maîtrise d'ouvrage du système interministériel d'information en matière d'immobilier et le pilotage des opérations mobilières. Ces deux entités s'appuient sur les services déconcentrés de France Domaine, placés au sein de chaque direction départementale ou régionale des finances publiques ; ils constituent, pour les questions immobilières, les interlocuteurs des autres services déconcentrés de l'Etat et des collectivités territoriales.

France Domaine, globalement considéré, exerce ainsi trois missions : d'abord, valoriser le patrimoine immobilier de l'Etat et donc, notamment, l'évaluer ; ensuite, apporter une expertise aux collectivités territoriales pour lesquelles 110 000 évaluations ont été effectuées par le service en 2010 ; enfin, gérer certains patrimoines privés, sous le contrôle du juge judiciaire principalement les successions abandonnées, soit 12 000 dossiers en 2010. L'ensemble du service emploie environ 1 900 fonctionnaires, dont près de la moitié sont des agents de cadre A, et environ 70 personnes travaillent dans l'administration centrale. Cette dernière bénéficie également du concours de 12 agents contractuels. La gestion immobilière de l'Etat occupe environ 70 % de ces effectifs.

Cette organisation est complétée, mais aussi rendue plus complexe, par trois séries de dispositifs. Je m'interroge, au demeurant, sur la pleine pertinence d'une organisation aussi lourde.

En premier lieu, au niveau déconcentré, les responsables de la politique immobilière de l'Etat (RPIE) ont été désignés, en 2009, auprès de chaque directeur départemental ou régional des finances publiques. Ils sont chargés d'apporter leur soutien et leur expertise aux préfets, eux-mêmes reconnus comme les représentants locaux de « l'Etat propriétaire ».

En deuxième lieu, au niveau central, chaque ministère a désigné son fonctionnaire « référent » en matière d'immobilier : le secrétaire général ou le directeur du service de l'immobilier, interlocuteur de France Domaine. En outre, depuis 2009, un comité de la politique immobilière a été créé, par ministère, associant France Domaine ; il est chargé d'examiner la cohérence des opérations immobilières envisagées avec le SPSI du ministère, ainsi que leur pertinence au regard de la « performance immobilière » des projets et des ressources budgétaires disponibles.

Par ailleurs, certains ministères disposent, pour leurs opérations les plus importantes, de l'appui d'une entité dédiée. Par exemple, la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI), service du ministère de la défense, procède aux études de reconversion et négocie, en liaison avec France Domaine, la vente du patrimoine dont les armées n'ont plus l'utilité. De même, l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), opérateur du ministère de la justice, se voit confier la conception et la gestion des grands projets immobiliers relevant des services judiciaires ou de l'administration pénitentiaire. Je mentionnerai encore l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC), qui a succédé, en juillet 2010, à l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (EMOC) : ce nouvel établissement, placé sous la tutelle du ministère de la culture, est susceptible d'intervenir, dans son champ de compétence, pour le compte de tout ministère ou établissement public national.

En dernier lieu, au niveau interministériel, plusieurs organes assurent la coordination et la supervision nécessaires. Le comité d'orientation de la politique immobilière de l'Etat (COMO) réunit régulièrement les responsables pour l'immobilier des ministères, la direction du budget et le service France domaine. La commission pour la transparence et la qualité des cessions du domaine immobilier de l'Etat (CTQ) est chargée de veiller aux bonnes conditions de réalisation de ces ventes, et peut formuler des recommandations et des propositions. Pour les immeubles situés à l'étranger, la commission interministérielle chargée d'émettre un avis sur les opérations immobilières de l'Etat à l'étranger (CIM) joue un rôle équivalent.

Enfin, le conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE), installé dès juin 2006, constitue une instance originale : il comprend, outre diverses personnalités qualifiées, deux députés et deux sénateurs désignés par le président de chaque assemblée. En outre, depuis le début, il se trouve présidé, sur la nomination du ministre du budget, par un député.

Le CIE a reçu la mission de suivre et d'évaluer la démarche de modernisation et l'évolution du parc immobilier de l'Etat, et de formuler régulièrement au ministre chargé du domaine, qui est celui du budget, des recommandations opérationnelles pour améliorer la gestion. Saisi par le ministre, voire en se saisissant lui-même, il est également amené à rendre des avis sur les opérations immobilières de l'Etat les plus significatives (restructurations, acquisitions, prises à bail importantes...).

Sur ce dernier point, toutefois, la situation actuelle n'est pas satisfaisante, car les critères de saisine pour avis du CIE ne sont fixés par aucun texte, et l'opportunité de cette saisine se trouve donc laissée à la discrétion du Gouvernement. Je souhaite qu'il y soit remédié, afin de parer au risque d'un soupçon d'instrumentalisation de l'institution, le Gouvernement pouvant lui soumette des projets incontestables et s'abstenir de la saisir sur les autres. La révision du décret de création du conseil, qui devrait intervenir dans les prochains mois, sera sans doute l'occasion d'apporter les clarifications nécessaires.

J'en viens à l'organisation de la fonction immobilière de l'Etat en Europe. À cet égard, une typologie des situations existantes peut être essayée, selon le degré d'externalisation de la fonction par rapport à l'Etat lui-même.

D'un côté, on trouve des cas de régie, dans lesquels l'Etat, directement, assure la gestion de son parc immobilier. Néanmoins, cette fonction peut être centralisée, à la manière française, ou pas.

L'Espagne illustre la première hypothèse, avec une organisation très proche du schéma français. La gestion du parc immobilier de l'Etat y revient, en effet, à une sous-direction du patrimoine de l'Etat, qui dépend de la direction générale du patrimoine rattachée au ministère de l'économie et des finances. Cette sous-direction assume, aux niveaux central et déconcentré, l'inventaire et l'administration du patrimoine de l'Etat, y compris l'optimisation de son usage et l'entretien « lourd ». Cependant, chaque département ministériel et organisme d'Etat dispose d'unités chargées de la gestion courante du parc immobilier.

À l'inverse, le Royaume-Uni pratique une gestion en régie décentralisée. Depuis une réforme intervenue en 1996, chaque ministère britannique est responsable de la gestion des immeubles qu'il occupe, et libre de choisir sa stratégie en la matière cessions, acquisitions, entretien, etc. , sous la réserve de respecter des principes de gestion financière fixés par le Trésor. Il n'existe pas de programmation centrale. Tout au plus, une direction de l'« Office of Government Commerce », autorité indépendante rattachée au Trésor, propose son assistance de conseil pour les cessions et se trouve chargée de vendre les biens dont les ministères décident de se défaire. Ce schéma est évidemment à l'opposé de la conception d'un « Etat propriétaire » clairement identifié, promue en France. Pour autant, la gestion immobilière n'est pas transférée à des entités distinctes de l'Etat.

Du côté opposé, on trouve des situations d'externalisation plus ou moins complète, la gestion du parc immobilier de l'Etat se trouvant assurée par d'autres personnes morales, éventuellement des structures de droit privé.

Dans sa version « maximale », ce modèle, en pratique, est actuellement illustré par la Suède. En effet, depuis 1993, à la suite de la grave crise des finances publiques traversée par le pays, les administrations d'Etat suédoises ne sont plus autorisées à posséder des immeubles : des agences autonomes portent la propriété du parc immobilier occupé par l'Etat, lequel n'est donc qu'un locataire. Ces agences assument la gestion en conséquence, en particulier l'entretien des bâtiments, et décident de leurs arbitrages patrimoniaux.

Il faut souligner que ces agences se trouvent en concurrence avec le secteur privé, l'Etat étant libre de préférer louer à d'autres bailleurs. Symétriquement, si l'Etat, selon ses besoins, s'adresse aux agences en vue d'acheter ou de construire un bâtiment à lui louer ensuite, elles restent libres de refuser, en fonction de leur appréciation économique du projet.

On dénombre, à présent, une dizaine d'agences, spécialisées par catégories d'immeubles. La gestion se trouve donc fortement décentralisée, d'autant que toutes les agences ne sont pas situées à Stockholm. En outre, depuis leur création, certaines ont été transformées en sociétés privées, de sorte que seulement 40 % des immeubles occupés par l'Etat suédois sont aujourd'hui gérés par des foncières publiques.

Les principales agences couvrent respectivement, en ce qui concerne les établissements publics, l'une le patrimoine historique et les immeubles dits « de souveraineté » sièges ministériels, immobilier à l'étranger et l'autre le parc immobilier militaire et, en ce qui concerne les sociétés privées, l'une les immeubles occupés par les universités et organismes d'enseignement supérieur, une autre les établissements pénitentiaires, postes de police et immeubles affectés à un usage judiciaire, une dernière les locaux de bureaux qui n'entrent pas dans les catégories précédentes, ainsi que des sites industriels et commerciaux.

Un tel modèle, bien évidemment, autorise peu de comparaisons directes avec l'organisation française. Du moins ai-je constaté que cette organisation fait l'objet, dans le pays, d'un consensus politique.

L'Italie et l'Allemagne permettent d'observer des cas médians, dans lesquels l'externalisation de la gestion immobilière de l'Etat est moins poussée.

En Italie, depuis une réforme de 2001, la gestion de la plus grande partie du patrimoine immobilier de l'Etat se trouve assurée par une agence autonome, placée sous la tutelle du ministère de l'économie et des finances : l'agence du domaine, établissement public à caractère économique. Cette entité est à la fois propriétaire et gestionnaire du patrimoine immobilier de l'Etat, à l'exception du parc occupé par le ministère de la défense, des immeubles situés à l'étranger, des infrastructures de transport et des biens d'intérêt culturel, ces catégories restant gérées par les départements ministériels concernés. Elle dispose d'une direction générale et de 19 filiales régionales, et emploie plus de 1 000 agents au total. Elle recense, évalue, entretient et, le cas échéant, vend les immeubles qu'elle détient. L'Etat est son locataire.

Cette agence gère également les baux supportés par l'Etat dans le secteur privé et, depuis le 1er janvier 2011, prend à bail en son nom propre les bâtiments occupés en location par l'Etat. En effet, sauf exceptions, les ministères italiens ne peuvent plus, légalement, louer d'une façon directe. Au fur et à mesure du renouvellement des baux, l'agence deviendra donc, en principe, l'unique locataire « étatique » auprès des bailleurs privés, l'Etat constituant son « sous-locataire ».

Par ailleurs, l'agence du territoire, autre agence autonome, chargée du cadastre et de la coordination de la décentralisation, s'est aussi vue attribuer la compétence d'évaluer les biens immobiliers des personnes publiques autres que l'Etat, soit les collectivités territoriales et les établissements publics. Ce rôle est d'importance pour la mise en oeuvre de la politique italienne de dévolution patrimoniale aux collectivités territoriales que j'ai évoquée.

En Allemagne, l'externalisation de la gestion immobilière de l'Etat fédéral est aujourd'hui quasiment complète, mais contrairement au modèle suédois elle est centralisée et reste exclusivement dans le secteur public. Un office autonome unique, l'institut fédéral du patrimoine immobilier allemand, relevant de la tutelle du ministère des finances, a été créé, début 2005, pour la gestion du patrimoine fédéral. La propriété de ce patrimoine lui a progressivement été transférée, entre 2005 et fin 2010, en provenance des différents ministères, qui sont de fait devenus les locataires de l'office. Toutefois, en accord avec le ministère des finances, certains biens, provisoirement, sont restés la propriété des départements ministériels : le transfert intégral sera effectué à compter de 2012.

L'institut fédéral constitue une entité publique, même si sa gestion tend à se rapprocher de celle d'une entreprise privée. Il se compose de 9 directions et 120 antennes locales, qui opèrent sous la direction du bureau central ; l'ensemble emploie environ 6 000 agents. À l'instar de l'agence du domaine italienne, cet établissement est notamment chargé d'entretenir et de procéder aux arbitrages de son patrimoine immobilier, dont l'Etat fédéral est devenu le locataire.

On notera que cette externalisation de la gestion du parc immobilier de l'Etat, en Allemagne et, dans une certaine mesure, en Italie, non seulement n'empêche pas mais, au contraire, contribue à l'identification de « l'Etat propriétaire », puisque la fonction est assumée, dans ces deux pays, par une structure unique ou, au moins, principale.

Je voudrais, maintenant, m'attarder sur un thème particulier : la connaissance de leur parc immobilier par les Etats européens. L'étendue de celle-ci dépend, dans une large mesure, du modèle d'organisation retenu pour la gestion, lequel tend à déterminer le choix du système d'information et les indicateurs de suivi.

Les systèmes d'information visant le parc immobilier occupé par l'Etat sont de deux types différents.

D'un côté, on trouve des systèmes d'information dits « intégrés », un progiciel étant décliné en applications « finances », « comptabilité », « ressources humaines » et, parmi les autres, « immobilier ». C'est l'organisation française : « CHORUS », système d'information financière et comptable de l'ensemble de l'Etat, outil commun à l'administration centrale et aux services déconcentrés de tous les ministères, comporte un module dédié à l'immobilier, « CHORUS RE-FX », qui s'est substitué à l'ancien tableau général des propriétés de l'Etat (TGPE) ; mis en oeuvre par France Domaine, ce module vise à permette une gestion immobilière couplée à la gestion comptable et financière.

Ce type de système doit offrir un état exhaustif et une connaissance centralisée du patrimoine de l'Etat et permettre, in fine, d'établir un bilan de celui-ci qui soit cohérent, fiable et sécurisé. Pour la France, le bilan arrêté au 31 décembre 2010 fait ainsi apparaître un parc immobilier occupé par les services de l'Etat qui couvre 77,6 millions de mètres carrés et est évalué à près de 49,4 milliards d'euros. La Cour des comptes, toutefois, se montre critique sur ce point ; je vais y revenir.

D'un autre côté, on trouve des applications informatiques spécifiquement dédiées à l'immobilier, et par conséquent coupées de toute autre fonction, notamment la comptabilité de l'Etat. Ce sont des outils très précis, mais ils n'assurent pas de consolidation des différentes données, et ne l'autorisent que difficilement du fait de leur hétérogénéité aux autres systèmes d'information. C'est une option retenue, en général, par les organisations externalisées, chaque agence autonome disposant logiquement de son propre système ; j'ai pu l'observer en Italie comme en Suède. Les grands gestionnaires du secteur privé sont dotés de systèmes comparables.

Cependant, le choix d'un système intégré ou non tient aussi aux périmètres de gestion. Ainsi, l'Allemagne, bien qu'elle ait externalisé la gestion du patrimoine fédéral, s'est engagée dans la mise en place d'un système intégré, en vue d'une réalisation d'ici à 2012. Cette solution s'explique dès lors que l'institut fédéral a vocation, à cette date, à gérer l'intégralité du parc étatique, comme je l'ai indiqué.

La connaissance de l'état du parc géré par chaque structure, quant à elle, tient au nombre, à la précision et à la pertinence des indicateurs de suivi mis en place. Cette connaissance paraît d'autant plus précise que la gestion se rapproche des méthodes du secteur concurrentiel. L'exigence d'efficience économique, voire de rentabilité dans le cas des agences privées suédoises, conduit en effet à l'établissement d'une batterie d'indicateurs des performances immobilières, et à leur actualisation constante. À l'inverse, les organisations administratives « classiques » semblent moins avancées sur ce terrain. Je l'ai constaté, par exemple, en Espagne, où le ministère de l'économie et des finances a bien connaissance des travaux réalisés sur les bâtiments de l'Etat, car il autorise leur financement, mais, de son propre aveu, ne connaît pas l'état des bâtiments avant que ces travaux soient demandés par les autres ministères, faute de centralisation des données.

La situation française était très semblable, il y a peu de temps encore. Aujourd'hui, France Domaine, grâce aux descriptifs fournis par les SPSI, dispose d'une meilleure visibilité. En outre, le service s'est doté, en 2010, d'un outil de suivi macro-statistique, « OCAPI », encore en cours de développement, qui doit permettre de collecter, sur un support fiable et simple d'utilisation, les données principales des audits immobiliers réalisés : besoins d'entretien, consommation énergétique, situation en termes d'accessibilité... Néanmoins, comme je l'ai signalé, le programme budgétaire « Entretien des bâtiments de l'Etat », et donc les indicateurs de performance associés, ne couvrent qu'une partie des opérations d'entretien - lesquelles, pour le reste, continuent à être inscrites dans les programmes des différents ministères. Dans ces conditions, la vision de la politique d'entretien, au moins sur le plan budgétaire, demeure fragmentée.

La dernière partie de mon propos sera précisément consacrée aux conclusions que je retire, pour le cas français, de mes travaux de comparaison européenne et, plus largement, de mon expérience de rapporteure spéciale. En synthèse, j'estime que la connaissance même, par l'Etat, du parc immobilier qu'il occupe reste à améliorer, et que la pleine incarnation de « l'Etat propriétaire » suppose des efforts d'optimisation de la gestion.

Pour ce qui est de la connaissance du parc, l'amélioration souhaitable vise, à mon sens, deux aspects.

Il s'agit d'abord de l'inventaire et, par suite, la valorisation. En effet, malgré la sophistication des applications informatiques précitées - le module immobilier de CHORUS et OCAPI -, je n'ai pas acquis la conviction que ces outils permettent un accès aisé, et rapide, à des informations simples mais fiables et cohérentes. Sans doute faut-il attendre une période de « rodage » ? Le point, en tout cas, est essentiel : France Domaine doit se trouver dans une position indépendante, en matière d'information sur l'état du parc immobilier de l'Etat, par rapport aux administrations qui l'occupent ; c'est au service chargé d'incarner « l'Etat propriétaire » de valider cette information, selon des critères objectifs et homogènes, et non aux ministères utilisateurs d'en détenir la clé.

M. Jean Arthuis, président. - France Domaine doit en effet détenir un fichier exhaustif, détaillé et actualisé en permanence retraçant l'état du patrimoine immobilier de l'Etat !

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. À cet effet, il convient de fiabiliser les données collectées. L'administration centrale de France Domaine, de fait, s'y emploie : le service a renforcé, en 2009, ses procédures de contrôle interne, en mettant en place une cellule, constituée de trois personnes, chargée de vérifier la qualité et la cohérence des informations saisies dans CHORUS RE-FX. Entre 2006 et fin 2010, suivant l'estimation de France Domaine, 90 % des immeubles du parc de l'Etat ont ainsi fait l'objet d'un contrôle de fiabilité des données.

Néanmoins, la Cour des comptes, dans son rapport de certification des comptes de l'Etat pour 2010, n'a pas levé la réserve substantielle, qu'elle formule chaque année, sur la valorisation de ce patrimoine dans le bilan de l'Etat. En effet, elle estime que les informations qui servent de base au calcul devraient être intégralement fiables, sans compter les difficultés inhérentes au système CHORUS lui-même.

En vue d'une fiabilisation complète, un marché d'assistance a été lancé par France Domaine ; il vient d'être attribué à la société Thalès. Celle-ci, d'ici à mai 2012, devra avoir analysé la situation, identifié les anomalies et déterminé une stratégie, puis suivre les corrections apportées.

Le second enjeu de l'amélioration de la connaissance du parc immobilier de l'Etat tient aux outils de suivi en la matière.

En ce qui concerne les propriétés de l'Etat, les indicateurs de la performance immobilière existants gagneraient à être étoffés, et mis en situation d'une actualisation permanente, sur le modèle des gestionnaires privés. Un instrument comme OCAPI, lorsqu'il sera parvenu à maturité, pourra sans doute y contribuer. En outre, la campagne d'audits lancée, en 2009, sur le patrimoine immobilier de l'Etat - visant les besoins d'entretien et la consommation énergétique notamment - se trouve encore en cours de réalisation ; ce n'est qu'à son achèvement, qu'on peut espérer d'ici la fin de cette année, que le Gouvernement devrait se trouver en état de présenter au Parlement la récapitulation, pour chaque ministère, de la surface utile nette, des ratios d'occupation par poste de travail et du coût global d'occupation des bâtiments - en annexe à chaque projet de loi de règlement, par exemple, comme je l'avais proposé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011.

En ce qui concerne les baux supportés par l'Etat, je rappelle que l'une des préconisations majeures de mon rapport d'information précité sur « l'Etat locataire », en 2009, tenait à la constitution d'un « tableau de bord », pour rendre possible le pilotage par France Domaine. Cette préconisation a été suivie d'effets : après une première expérimentation en 2010, aujourd'hui chaque chef-lieu de région fait l'objet d'un tableau recensant les baux que l'Etat y a souscrit, et qui en fait apparaître les caractéristiques - durée du contrat, montant du loyer et des charges -, ce qui permet aux services locaux du domaine d'en assurer la gestion, en appui aux administrations locataires. Néanmoins, ce n'est pas encore un « tableau général des locations de l'Etat », exhaustif ; le travail est donc à poursuivre.

J'observe que le ministère de l'économie et des finances espagnol, pour sa part, s'est engagé dans la réalisation d'un inventaire « en temps réel » des baux assumés par l'Etat, de manière à en mesurer le coût global. Par ailleurs, la règle italienne, que j'ai mentionnée, interdisant aux ministères de recourir directement aux locations, que seul peut souscrire l'agence du domaine, donne à réfléchir... Certes, pour ce qui concerne notre pays, les baux ne peuvent être conclus qu'avec l'accord de France Domaine, qui doit viser les contrats ; et les loyers que peut supporter l'Etat, comme que je l'ai dit, sont désormais plafonnés. Mais peut-être y a-t-il là une piste à prospecter, en vue de renforcer la maîtrise de l'Etat sur son parc immobilier ?

J'en viens aux progrès d'affirmation que pourrait encore réaliser, parallèlement aux améliorations visant les outils de sa gestion, l'entité « Etat propriétaire ». Sur ce plan, deux directions devraient, selon moi, être suivies.

En premier lieu, il s'agit de conforter l'autorité - et, pour ce faire, la dimension « unique » - de « l'Etat propriétaire ».

Il conviendrait d'abord de mettre le service France Domaine à même d'achever sa montée en puissance.

D'une part, la professionnalisation des agents de France Domaine doit être poursuivie.

Certes, l'effort, en la matière, est constant : l'administration centrale se tient informée de l'état du marché immobilier et des méthodes des professionnels du secteur privé ; elle a recruté des agents contractuels issus de ce secteur ; elle nourrit des échanges importants avec son réseau déconcentré et, notamment, organise des formations... Néanmoins, les conditions de la cession de l'hippodrome de Compiègne, telles que nous avons longuement analysées, ici, en février dernier, ont bien montré que les évaluations de France Domaine peuvent prêter à la critique, et que le savoir-faire du service n'est sans doute pas optimal.

L'une des voies du progrès paraît s'offrir dans le recours, aussi souvent que nécessaire, à des expertises et des compétences du secteur privé, comme France Domaine en a toujours la faculté. C'est ce qui a été fait, par exemple, afin de concourir à renégocier, entre la fin 2009 et le début 2010, les locations supportées par l'Etat à Paris et en Île-de-France : un marché avait été attribué à cet effet, en cinq lots, à cinq prestataires différents ; à l'issue du processus, toutes opérations de renégociations confondues, le ministère du budget, fin 2010, a mis en avant une économie globale de 36,5 millions d'euros par an. De même, pour étayer les plus complexes de ses évaluations, France Domaine a tout intérêt à solliciter des expertises ou contre-expertises privées.

Par ailleurs, à l'initiative de l'Italie, il existe depuis quelques années un réseau ? essentiellement présent sur Internet, « PuREnet », qui associe quelques grandes administrations gestionnaires d'immobilier public en Europe, ou leur autorité de tutelle, parmi lesquels France Domaine. Le site Internet offre une somme d'informations encore embryonnaire, mais une plateforme de rencontres « physiques », sous la forme de journées d'études, a été créée ; ce réseau se veut expressément un « laboratoire d'idées » pour ses membres. On ne peut donc qu'encourager France Domaine à se rapprocher davantage, par ce canal, de ses homologues européens, afin d'échanger les bonnes pratiques pouvant contribuer à accroître son efficacité.

D'autre part, et plus largement, c'est l'autorité du service qui doit se trouver affermie.

Bien sûr, cette autorité a été peu à peu consolidée, depuis la réforme de 2007, en particulier envers les structures de chaque ministère dédiées à l'immobilier. La mise en place des conventions d'utilisation que j'ai évoquées contribuera grandement, d'ici à 2013, à achever de consacrer France Domaine comme « l'incarnation » de « l'Etat propriétaire », pour l'ensemble des ministères. Au demeurant, si l'on en juge à partir de dossiers comme celui du relogement des services centraux du ministère de la justice, c'est très largement une affaire de mentalités.

D'aucuns, pour accélérer ce mouvement, ont préconisé la transformation de France Domaine en agence autonome, un établissement public bâti sur le modèle d'une société foncière - en somme, une externalisation, à l'exemple de ce qu'ont réalisé l'Italie ou l'Allemagne. La position extérieure du service, par rapport au reste de l'administration d'Etat, lui permettrait de mieux asseoir son autorité. Mais je dois dire que je ne partage pas cette analyse, car France Domaine, en se trouvant rattaché au ministère du budget, dispose, de fait, d'un poids potentiel qu'aucune autre structure ne pourra atteindre dans l'organisation administrative et, en étant intégré à la DGFiP, fait partie d'un réseau territorial qui reste dense et qu'il serait impossible d'offrir à une entité nouvellement constituée. Encore faut-il que le service sache en tirer profit.

Toutefois, une aporie de l'organisation actuelle tient peut-être à la compétence qui a été reconnue aux préfets pour représenter « l'Etat propriétaire » au plan local. Sans doute aurait-il été plus expédient, souvent, de confier ce rôle aux directeurs régionaux et départementaux des finances publiques, car les préfets, d'après les renseignements dont je dispose, n'ont pas toujours dans leurs priorités l'optimisation du parc immobilier de l'Etat... Mais il est vrai que cette gestion exige un pilotage interministériel, que les préfets - supposés représenter l'Etat dans les départements, et non seulement le ministère de l'intérieur - se trouvent les mieux placés, localement, pour exercer. Ce rôle, aujourd'hui, est particulièrement sensible dans le cadre de la réforme territoriale de l'Etat (« RéATE »), destinée à rationaliser l'implantation des services déconcentrés par la mise en place de directions régionales et départementales interministérielles.

L'affirmation de l'autorité de « l'Etat propriétaire », ensuite, suppose d'épargner à ce dernier la concurrence de ministères qui, peu ou prou, se trouvent encore entretenus dans leurs anciens réflexes de « quasi-propriétaires », du fait d'un intéressement aux cessions immobilières dont ils ont l'initiative.

La suppression de ce « droit de retour » des ministères sur les recettes patrimoniales de l'Etat constitue déjà un vieux « cheval de bataille » ! Selon moi, l'intéressement des ministères, en la matière, ne se justifiait véritablement que dans les premières années de la rationalisation du parc immobilier, à titre de « prime » incitant à vendre. À présent, la consécration de « l'Etat propriétaire » passe par la mutualisation complète des recettes patrimoniales. Cette mesure permettrait à France Domaine de piloter les opérations immobilières de ministères qui, aujourd'hui, au-delà des contrôles de conformité aux critères de performance auxquels ils sont assujettis, se révèlent pratiquement souverains sur des budgets d'investissement établis à partir des produits de « leurs » cessions.

Des progrès, ces dernières années, ont été accomplis en ce sens. En effet, depuis 2009 sauf le cas des immeubles militaires et de ceux qui sont situés à l'étranger, pour lesquels le « droit de retour » est intégral , une mutualisation interministérielle des produits de cession se trouve pratiquée, à hauteur de 20 %, tandis que 65 % reviennent au ministère cédant, 15 % étant affectés au désendettement de l'Etat comme je l'ai indiqué. En outre, dans les années à venir, le niveau du « retour » aux ministères sera de plus en plus faible, car la loi de finances pour 2011, en partie à l'initiative de notre commission, prévoit un rehaussement progressif de la contribution des produits de cession au désendettement  laquelle s'élèvera à 20 % en 2012, à 25 % en 2013 et à 30 % en 2014.

À cet horizon, il serait opportun que les 70 % de produits restant soient entièrement mutualisés, pour être affectés aux différents ministères en fonction des besoins constatés. Du reste, la mesure serait d'équité : aujourd'hui, en effet, seuls les ministères qui ont à leur disposition un important patrimoine immobilier se trouvent à même d'engager des investissements immobiliers conséquents, par « autofinancement ».

M. Jean Arthuis, président. - Une telle situation, dans le contexte budgétaire actuel, n'est pas tenable ! Mais il faut une volonté politique...

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. Absolument. J'observe qu'en Italie le ministère de la défense, après une querelle avec le ministère des finances, a réussi à faire voter une loi permettant que l'intégralité des produits issus des ventes de son parc immobilier lui soit retournée, pour ses investissements immobiliers. Néanmoins, en ce qui concerne les cessions d'immeubles appartenant à l'agence du domaine, la totalité des produits doit être affectée au désendettement de l'Etat.

Le renforcement de « l'Etat propriétaire », outre le renforcement de son autorité, passe, en second lieu, par une meilleure maîtrise de la gestion du parc. Il ne s'agit pas seulement de mieux connaître ce patrimoine, en améliorant les procédures d'inventaire et les outils de suivi, mais de dépasser, à certains égards, le modèle existant.

Ce dépassement a été entrepris, en ce qui concerne les immeubles mis à la disposition des ministères, avec la mise en place des conventions d'utilisation, d'ici à la fin 2013, comme je l'ai exposé. Mais trois autres situations exigent, aujourd'hui, une attention particulière.

Premier sujet : les immeubles situés à l'étranger, soit un patrimoine évalué à environ 5 milliards d'euros.

M. Jean Arthuis, président. - Dispose-t-on d'un tableau détaillant ces biens et indiquant leur valeur ? France Domaine devrait en tenir un...

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. Ce que m'a transmis le service n'est guère aisé à manier ! Les implantations immobilières de l'Etat à l'étranger sont nombreuses, et mal décrites dans les documents ; leur évaluation me paraît incertaine.

Au vrai, le sujet ressemble à un « serpent de mer » : voilà des années que l'on réfléchit à un moyen d'améliorer la gestion de ce parc, qui dans la pratique s'avère très largement « abandonné » aux ambassades. Un rappel chronologique s'impose.

En avril 2008, au titre de la « révision générale des politiques publiques » (RGPP), le comité de modernisation des politiques publiques a décidé la création d'une « agence de gestion des immeubles publics à l'étranger » (AGIME), destinée à rationaliser cette gestion, pour l'ensemble des ministères utilisateurs, le ministère des affaires étrangères et celui de l'économie principalement. Au cours de l'année 2009, un groupe de travail « préfigurateur », associant le ministère des affaires étrangères et le ministère du budget, a proposé une expérimentation sur quelques pays. Il a également retenu le principe d'une mise à disposition des biens de l'Etat à la future agence, sur le fondement d'un bail emphytéotique.

Cette agence aurait dû relever de la catégorie des établissements publics concourant à l'action extérieure de l'Etat, créée par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat. Elle devait être instituée par un décret. Mais, fin 2010, ce projet a été abandonné, le ministère des affaires étrangères et celui du budget ne parvenant pas à s'entendre sur le régime de propriété des immeubles en cause.

Au premier trimestre 2011, on a appris que le ministère des affaires étrangères avait décidé de faire appel à la Société de valorisation foncière et immobilière de l'Etat (SOVAFIM) pour l'appuyer dans sa stratégie de cessions et la rationalisation du parc immobilier qu'il occupe à l'étranger. Il ne s'agirait donc plus d'externaliser la gestion, comme dans le projet de l'AGIME, mais de fonder les décisions sur une expertise spécialisée. Une expérimentation de cette organisation doit être menée, à présent, dans trois pays : l'Espagne, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud.

Cette information, du reste, est intervenue alors que la Cour des comptes, dans son rapport public de l'année, venait de formuler de fortes critiques envers la SOVAFIM, décrite comme « un intervenant sans utilité réelle » depuis que la cession des biens immobiliers de Réseau ferré de France, qui lui avait été confiée en 2006, a été menée à bien. Il s'agissait sans soute de donner à cette entité une nouvelle raison d'être...

En tout cas, il faut souhaiter que « l'Etat propriétaire » prenne enfin corps pour les immeubles situés en dehors des frontières nationales. Il est vrai que la situation devrait s'améliorer d'elle-même en 2015, lorsque, conformément aux dispositions que nous avons introduites dans la loi de finances pour 2011, les produits de cessions à l'étranger ne seront plus intégralement retournés aux ministères cédants. Les « crispations » administratives autour de la maîtrise de ce patrimoine seront dès lors, sans doute, moins vives surtout si, entre temps, l'intéressement des ministères aux cessions est enfin supprimé, au bénéfice d'un système d'affection des recettes intégralement interministériel.

L'année 2015 sera d'ailleurs le bon moment pour établir le bilan d'une politique de l'immobilier d'Etat lancée, alors, depuis dix ans.

Deuxième sujet : les immeubles de l'Etat présentant des enjeux patrimoniaux spécifiques, dont la situation comme l'a clairement fait apparaître le cas de l'Hôtel de la Marine appelle la détermination de nouveaux principes de valorisation. C'est un chantier pour France Domaine en lien, notamment, avec le conseil de l'immobilier de l'Etat et le ministère de la culture.

En ce qui concerne l'Hôtel de la Marine, la procédure d'appel à projets lancée au début de l'année dans la perspective d'un bail emphytéotique a été abandonnée début mai, dans l'attente du rapport que doit rendre au Président de la République, avant l'été, la commission ad hoc mise en place sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Néanmoins, je dois répéter, ici, un étonnement dont j'ai déjà fait part au ministre du budget, lorsque nous l'avons auditionné en janvier dernier : pour le dossier qui a été mis à la disposition des candidats à l'appel à projets, malgré la référence à un « cahier des charges », l'Etat n'avait pas établi de document de ce type, où auraient figuré, notamment, les conditions d'occupation et d'exploitation du bâtiment ; une description succincte en tenait lieu ! Eu égard aux enjeux patrimoniaux en cause, cette lacune était difficilement justifiable.

Des procédures appropriées à de telles situations doivent donc être mises en pratique, si l'on veut éviter de nouveaux échos médiatiques sur le thème : « On vend une part du patrimoine historique de la Nation... » Car des bâtiments d'intérêt patrimonial seront encore cédés, dans les prochaines années : il en ira ainsi, par exemple, de plusieurs hôtels particuliers du VIIe arrondissement parisien, s'ils se trouvent libérés par les services du Premier ministre qui pourraient être regroupés, avec certaines autorités administratives indépendantes dont la liste n'est pas arrêtée , au sein d'un « Centre de Gouvernement » dont l'implantation avenue de Ségur, dans les anciens locaux de ministère de la santé, est actuellement à l'étude.

Troisième et dernier sujet : les immeubles de l'Etat mis à la disposition des opérateurs.

À cet égard, d'importants efforts ont d'ores et déjà été entrepris, d'ailleurs en partie en réaction à l'affaire dite « de l'Imprimerie nationale ». En effet, en décembre 2008, le ministre du budget a rappelé l'ensemble des opérateurs à leur devoir de procéder au recensement du patrimoine immobilier de l'Etat qu'ils occupent, en vue de produire, d'abord, un inventaire physique de ce parc et, ensuite, un SPSI.

L'achèvement de l'inventaire est annoncé pour septembre 2011. Un premier bilan, établi au 31 décembre 2010, vise 350 opérateurs ; il en restera une centaine à intégrer. On a ainsi décompté environ 18 millions de mètres carrés de bâtiments et 21 500 hectares de terrains, appartenant à l'Etat, dont disposent les opérateurs. Ces biens sont estimés, à leur valeur d'usage, à hauteur de 24 milliards d'euros globalement, dont 17 milliards pour le bâti.

En ce qui concerne les SPSI, au total, quelque 568 documents sont attendus mais, à ce jour, seuls 364 schémas ont été réalisés. Du moins, on s'avance, de la sorte, vers la « normalisation » de la gestion de cette partie du patrimoine immobilier de l'Etat, jusque là laissé à la diligence plus ou moins effective des opérateurs eux-mêmes.

Néanmoins, pour l'heure, une « anomalie » persiste : les opérateurs disposent de ce parc immobilier considérable de façon entièrement gratuite, sans être tenus de verser à l'Etat la moindre redevance d'utilisation. Le Gouvernement a certes envisagé l'introduction de loyers, mais il a prudemment reporté sa décision à 2012, selon des modalités à définir... L'affirmation de « l'Etat propriétaire » gagnerait à la mise en oeuvre d'un tel système, qui transformerait les opérateurs, d'occupants, en locataires.

Pour conclure, je tiens à insister sur le caractère déterminant du volontarisme politique pour l'ensemble des aspects que je viens d'évoquer. C'est peut-être là, en effet, la principale des « leçons » à retenir de l'observation des autres expériences européennes de gestion de l'immobilier d'Etat. La France, depuis 2005, progresse en ce domaine mais notre politique immobilière de l'Etat se trouve encore, comme j'ai tenté d'en rendre compte, au « milieu du gué ».

M. Jean Arthuis, président. - Les expériences étrangères que vous avez présentées s'avèrent très intéressantes. Les Etats ont finalement pris conscience de l'enjeu que représentait leur patrimoine immobilier au moment où ils commençaient à rencontrer des difficultés financières importantes ; ils se sont alors souvent rendu compte de l'absence d'une vraie gestion en la matière...

Il me semble évident que, si la notation de la France sur les marchés financiers devait se trouver dégradée, on assisterait à un regain du volontarisme politique sur ce terrain ; l'évènement favoriserait sans doute des mesures fortes ! Cependant, la temporalité politique est le court terme, tandis que la gestion immobilière suppose des décisions sur le long terme.

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. - Sur certains aspects du sujet, des échéances sont néanmoins fixées, comme je l'ai indiqué.

M. Philippe Dallier. - Je remercie la rapporteure spéciale pour sa communication très détaillée. En six ans, la tentative de rationalisation du parc immobilier de l'Etat n'a donné, en somme, que des résultats assez médiocres. Il est choquant, en particulier, alors même que notre pays se montre plutôt performant dans le secteur informatique, que l'Etat ne dispose pas d'un système d'information satisfaisant sur ce plan.

Par ailleurs, les agences de notation tiennent-elles compte du patrimoine immobilier d'un Etat et de la gestion de celui-ci ? À cet égard, le fait que la Suède ait cédé une grande partie de son patrimoine lui a-t-il porté préjudice ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale. - La Suède constitue un exemple très intéressant. Le choix qu'elle a opéré lui a permis de transférer les moyens qu'elle consacrait auparavant à la gestion de son patrimoine vers d'autres postes de dépenses stratégiques, en particulier l'éducation et la recherche.

M. Jean Arthuis, président. - Un débat sur le thème de cette communication pourrait opportunément être inscrit pour une séance publique du Sénat.

À l'issue de ce débat, la commission, à l'unanimité, donne acte de sa communication à Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale.

Nomination d'un rapporteur

M. Philippe Marini est ensuite nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 580 (2010-2011), présentée par M. Pierre Bernard-Reymond au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) (E 6136).

Article 88-4 de la Constitution - Saisine de la commission et Nomination d'un rapporteur

Enfin, la commission décide de se saisir, sur le fondement de l'article 73 quinquies, deuxième alinéa, du Règlement du Sénat, de la recommandation de recommandation du Conseil concernant le programme national de réforme de la France pour 2011 et portant avis du Conseil sur le programme de stabilité actualisé de la France pour la période 2011-2014, soumise au Sénat en application de l'article 88-4, premier alinéa, de la Constitution (E 6315).

Elle désigne M. Philippe Marini comme rapporteur.