Mardi 8 mars 2011

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Bilan du service civique - Audition de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État à la jeunesse et à la vie associative

La commission procède à l'audition de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'État à la jeunesse et à la vie associative.

Mme Jeannette Bougrab. - Permettez-moi, avant de répondre à vos questions, de vous exprimer ma grande satisfaction à être devant vous aujourd'hui pour faire - près d'un an jour pour jour après son vote - un premier bilan d'étape de la mise en oeuvre de la loi relative au service civique.

Je tiens, Monsieur le président Legendre, à vous remercier pour votre invitation qui permet au Gouvernement, par mon intermédiaire, de venir rendre compte de l'état d'avancée d'un texte voulu, porté, construit et amélioré par le Parlement.

Si la loi pour laquelle je viens faire un bilan d'étape aujourd'hui devant vous est celle issue de l'initiative du groupe du rassemblement démocratique et social européen et de son président Yvon Collin, l'idée même de ce « service civique » est née à la suite à de nombreux travaux.

Je pense en particulier au rapport de Luc Ferry et de l'Amiral Béreau du Conseil d'analyse de la société mais aussi, monsieur le rapporteur Demuynck, au rapport rendu en 2008 par la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes.

Je tiens, par ailleurs, à exprimer ma profonde reconnaissance à l'égard du travail accompli par votre commission tout au long des travaux préparatoires et des débats en séance publique. Je tiens à saluer, tout particulièrement, votre implication personnelle sur ce sujet, monsieur le sénateur Demuynck, implication qui d'ailleurs se poursuit activement.

C'est donc avec beaucoup d'humilité que je viens devant vous aujourd'hui pour vous dire comment votre texte s'est concrétisé, comment il se traduit dans les faits.

Il y a donc presqu'un an jour pour jour, aux termes de débats extrêmement constructifs, la représentation nationale adoptait un dispositif innovant pour donner à notre jeunesse un véritable espace d'engagement au service de la Nation, au service des grandes causes qui nous concernent tous.

Ce texte, adopté à la quasi-unanimité, je vous le dis solennellement, constitue aujourd'hui une contribution majeure à la politique du Président de la République et du Gouvernement en faveur de notre jeunesse. Politique qui vise, je le rappelle, à accompagner chaque jeune dans sa réalisation personnelle afin qu'il puisse acquérir son autonomie et qu'il soit en mesure de prendre toute sa place dans notre société.

Grâce à cette loi, notre pays est désormais doté d'un dispositif simple et attractif qui offre aux jeunes de 16 à 25 ans l'opportunité de s'engager dans un parcours de la citoyenneté, au service des autres, au service de notre vivre ensemble.

Avec le service civique notre pays s'est doté d'un outil résolument moderne pour accompagner et soutenir la volonté d'engagement de ces jeunes qui mettent toute leur énergie au service de la Nation.

Le service civique, c'est également un témoignage fort de la confiance que la France accorde à sa jeunesse. Avec ce dispositif, l'État encourage, accompagne et valorise une étape décisive dans le parcours citoyen et personnel des jeunes engagés.

Alors, un an, c'est un délai relativement court à l'aune de la vie politique, à l'aune de la mise en oeuvre des grandes réformes. Mais d'ores et déjà, bien du chemin a été parcouru !

Sachez que c'est avec le même volontarisme et la même implication qui ont été les vôtres pour débattre et faire naître le service civique, que le Gouvernement s'est mobilisé et a pris l'ensemble des mesures pour garantir son démarrage effectif et rapide. Cette mobilisation de l'État, mais également de tous les acteurs impliqués, a permis un accueil des tout premiers jeunes volontaires dès le mois de juin 2010. Soit à peine trois mois après le vote de la loi !

Nous avons fait preuve de réactivité pour prendre les textes d'application : comme vous le savez, la loi renvoyait largement au pouvoir règlementaire pour préciser les modalités du service civique. A ce jour, la quasi-totalité des textes - ceux relatifs à l'Agence du service, à la protection sociale des volontaires, à la majoration de leur indemnité sur critères sociaux ou encore celui relatif à l'application du service civique dans les DOM et les COM ont été pris.

Trois textes restent encore à publier dont, notamment, le décret relatif à la valorisation du service civique dans les cursus des établissements d'enseignement supérieur. Ce texte est actuellement en discussion interministérielle et je peux vous assurer que je mets tout en oeuvre pour que nous aboutissions dans les prochaines semaines.

Nous avons aussi fait preuve de réactivité pour mettre en place le pilotage et la gouvernance de ce nouveau dispositif ; gouvernance incombant à l'État mais également ouverte et partenariale, à laquelle je sais que vous vous étiez montrés très attachés lors des débats.

La montée en charge rapide du service civique supposait en effet :

- une grande disponibilité de la structure en charge de la gouvernance ;

- une organisation visible, souple et spécifiquement dédiée à cette tâche ;

- une structure bénéficiant de l'expérience acquise par les différents opérateurs chargés de gérer les volontariats antérieurs et en particulier l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé).

- cette montée en charge impliquait également un dialogue entre tous les acteurs de terrain. L'examen de la proposition de loi s'était accompagné d'une large concertation avec l'ensemble des acteurs associatifs ou institutionnels mobilisés. Il n'y avait pas de raison pour que cette concertation si bénéfique ne se poursuive pas au sein de l'Agence du service civique.

C'est ce constat qui a présidé à la création du groupement d'intérêt public (GIP) « Agence du service civique », aujourd'hui présidé par Martin Hirsch. Cette Agence a été opérationnelle dès la fin du mois de mai 2010 pour être en mesure de tendre vers l'objectif ambitieux de 10 000 jeunes en service civique la première année, objectif fixé dans la loi de finances pour 2010.

Comme il fallait avancer en marchant, les travaux de son conseil d'administration ont permis de doter l'Agence d'un budget de fonctionnement, de fixer le cadre stratégique de délivrance des agréments, d'adopter les textes généraux sur son organisation (fonctionnement national et déconcentré, convention avec l'Agence de service et de paiements) et de fixer la composition du comité stratégique de l'Agence.

Ce comité stratégique, composé des représentants associatifs et institutionnels des organismes d'accueil, de parlementaires - je tiens d'ailleurs à saluer et à remercier MM. Collin et Demuynck, à nouveau, pour leur participation active - s'est exprimé sur les priorités d'actions de l'Agence et a adopté un programme d'action de l'agence autour de thèmes variés (gouvernance, partenariats, formation citoyenne...).

A l'échelon déconcentré les choses se sont également organisées rapidement, pour faire en sorte que le service civique irrigue immédiatement nos territoires.

Dès le 24 juin 2010, une instruction a été adressée aux préfets de régions, aux délégués territoriaux de l'Agence ainsi qu'aux préfets de départements pour assurer la mise en oeuvre territoriale du service civique. Les premiers agréments ont ainsi pu être délivrés au niveau local dès le mois de juillet.

Cette instruction prévoyait également la mise en place de comités de coordination régionale du service civique chargés d'impulser des actions de promotion du service civique au niveau local en direction des jeunes et des organismes d'accueil. Ces comités, composés de représentants institutionnels, associatifs et publics ainsi que de personnalités qualifiées et de représentants de volontaires se sont mis en place progressivement à partir du mois d'octobre 2010. A ce jour, 18 régions sur 22 ont mis en place un tel comité.

Nous avons enfin fait preuve de réactivité pour faire connaître le service civique.

La communication constituait un véritable enjeu à la fois pour recruter des jeunes en service civique, pour développer sa notoriété et le faire connaître auprès du grand public, des leaders d'opinion, des décideurs des collectivités territoriales, des associations, et des publics moteurs.

Il fallait en effet que tous les jeunes, je dis bien tous les jeunes, sachent que le service civique existe.

Il fallait également qu'il y ait une vraie reconnaissance de la part de tous les acteurs qui accueillent aujourd'hui des jeunes en service civique et plus généralement de tous ceux qui contribuent à son rayonnement.

Il fallait enfin que les valeurs intrinsèques au service civique, valeurs de citoyenneté et de cohésion nationale, soient connues par tous et que le service civique permette plus largement de valoriser au sein de notre société le civisme et l'engagement.

Ce sont ces objectifs qui ont structuré la communication autour :

- d'un portail Internet dédié, animé quotidiennement avec la mise en ligne de missions et d'agréments, une plateforme d'échange entre les jeunes et les structures proposant des missions de service civique, des supports didactiques et pédagogiques et près de 60 témoignages vidéo de jeunes et de personnalités ;

- de la création et la diffusion à plus de 5 000 structures d'accueil (associations, réseau jeunesse, collectivités, services déconcentrés,...) d'une affiche et de flyers qui sont d'ailleurs toujours diffusés à ce jour ;

- du lancement d'une campagne publicitaire de recrutement radio et web qui mettait en avant la parole de jeunes en mission témoignant de leur propre expérience du service civique ;

- et enfin d'un dispositif d'annonces presse pour faire connaitre le service civique au grand public.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, cette mobilisation du Gouvernement et de tous les acteurs impliqués - notamment des structures associatives - a porté ses fruits.

Les premiers volontaires ont pu commencer leur mission dès l'été 2010 et depuis septembre la montée en puissance a été réelle, rapide et ininterrompue.

Où en sommes-nous aujourd'hui de cette montée en charge du service civique ?

Concernant d'abord les agréments : en 2010, ce sont plus de 1 000 structures qui ont été agréées par l'Agence et ses délégués territoriaux. J'entends parfois que le poids pris par le service civique serait nuisible au dynamisme et à la vitalité de la vie associative locale. Il n'en est rien.

Les agréments ont été délivrés en 2010 pour 84 % à des associations. 87 % des agréments concernent des structures locales. Vous le voyez, dès cette année, le service civique est devenu un véritable instrument au service du dynamisme de la vie citoyenne locale, au service du rajeunissement de la vie associative lorsqu'on sait que la majeure partie des bénévoles ont entre 40 et 59 ans.

Concernant maintenant le nombre de missions de service civique, je veux être claire : au 31 décembre 2010 selon les chiffres fournis par l'Agence de services et de paiements (ASP), 5 195 jeunes ont signés un contrat d'engagement de service.

Si l'on ajoute ceux ayant effectué une mission dans le cadre de l'ancien dispositif - service civil volontaire - et les volontaires en mission à l'étranger dans le cadre du service volontaire européen et du volontariat de solidarité internationale, ce sont 10 070 jeunes qui ont effectué une mission de service civique l'année dernière.

Il faut noter que le nombre de contrats d'engagement de service civique signés augmente significativement depuis septembre 2010.

Je tiens d'ailleurs à souligner la forte implication dans les départements d'outre-mer : plus de 300 jeunes ont été notamment mobilisés, à la fin de l'été 2010, dans le cadre d'un programme de lutte contre l'épidémie de dengue en Guadeloupe et en Martinique. Je voulais également saluer le courage des jeunes en service civique en Haïti. Ces jeunes incarnent pour nous tous le beau visage de la solidarité nationale.

La qualité des missions proposées aux jeunes qui désirent s'engager est une composante majeure de l'attrait du service civique. Je tiens à rappeler qu'au cours de l'instruction de chaque dossier d'agrément, l'Agence veille à ce que la qualité soit au rendez-vous des missions proposées. Ces missions doivent toutes répondre à un objectif d'intérêt général et ne pas se substituer à un emploi.

Je voudrais le rappeler devant vous avec force, le service civique n'est en aucun cas un dispositif d'emploi aidé ou d'emploi « au rabais », comme je l'ai parfois entendu. C'est pourquoi d'ailleurs, le Parlement avait explicitement exclu le service civique des dispositifs d'emplois régis par le code du travail.

Au cours de cette montée en puissance, nous avons donc été particulièrement attentifs à ce que l'engagement de service civique ne soit pas, ne soit jamais transformé en un emploi. Les missions administratives et techniques dévolues à un salarié du secteur privé ou du secteur public ont été naturellement exclues.

Il en résulte que les volontaires interviennent principalement dans le champ de la solidarité, qui recouvre des missions aussi variées que l'aide aux personnes âgées, handicapées, le soutien aux jeunes défavorisés, ou l'accueil des personnes sans abri ou mal-logées, etc. Ces jeunes, je peux en témoigner, je les ai rencontrés à de nombreuses reprises, et j'ai été à chaque fois frappé par leur sens des responsabilités, leur grande maturité et leur implication personnelle dans leurs missions.

Concernant enfin les profils des jeunes, le Parlement avait souhaité que le service civique soit accessible à tous les jeunes, quels que soient leurs parcours : qu'ils soient jeunes diplômés, en rupture de parcours, habitants de zones rurales ou urbaines, issus de milieux favorisés ou non. La montée en puissance du service civique est conforme à cet objectif.

La moyenne d'âge des volontaires ayant signé un contrat d'engagement de service civique en 2010 est de 21 ans et 5 mois.

57 % des volontaires en engagement de service civique sont des jeunes femmes.

Par ailleurs, le service civique n'est pas destiné aux seuls jeunes diplômés puisque plus d'un quart des volontaires ont un niveau de diplôme inférieur au bac. Dès l'année dernière, nous avons dépassé l'objectif de 20 % de jeunes peu ou pas diplômés fixé pour cette année dans le projet annuel de performance.

Mesdames et messieurs les sénateurs, ce premier tour d'horizon, bien évidemment non-exhaustif, de la mise en oeuvre du service civique atteste que celle-ci est, à bien des égards, très prometteuse.

La montée en puissance du service civique prouve en effet que ce dispositif initié par le Parlement et souhaité par le Gouvernement est de nature à faire émerger une génération de jeunes engagés.

Après quelques mois seulement d'existence du service civique, en réalité 4 à 6 mois tout au plus, cette montée en puissance révèle qu'il s'agit d'un dispositif particulièrement bien adapté qui répond à une vraie aspiration, pour ne pas dire à un engouement de notre jeunesse.

Là où entre 2007 et 2010, en 3 ans, 15 000 jeunes ont été en mesure de faire leur service civil, ce sont 15 000 jeunes qui pourront, en 2011, en l'espace d'une seule année s'engager dans un service civique. Nous avons définitivement changé de braquet.

Je tiens d'ailleurs à rappeler que l'effort de l'État pour accompagner cette montée puissance du service civique est considérable.

Dans un contexte budgétaire contraint, le budget de la jeunesse, contrairement aux autres budgets, augmente de +10 % en 2011.

L'année dernière nous avons mobilisé 40 millions d'euros pour permettre aux jeunes de faire leur service civique. Cette année, nous nous sommes donné les moyens de financer 15 000 contrats signés avec une progression des crédits dédiés au service civique de +140 % au sein du programme 163 (près de 50 % de mon budget). En 2012, nous financerons 20 000 missions. C'est un objectif ambitieux.

Cette année, et les années suivantes, nous allons bien sûr poursuivre le développement quantitatif du Service civique avec l'objectif de toucher, à terme, 10 % d'une classe d'âge soit 75 000 jeunes.

Mais il ne faut en rien négliger la dimension qualitative. Avec l'Agence du service civique, nous allons continuer à approfondir cette année des sujets essentiels.

Je pense à la poursuite du développement de missions pertinentes et attractives y compris à l'étranger. Sur ce dernier point, à la suite d'une réunion de travail notamment avec France Volontaires, un télégramme diplomatique a été transmis aux ambassades pour les consulter. Le service civique à l'international constitue une vraie attente chez les jeunes. C'est aussi une opportunité pour les jeunes les moins favorisés de pouvoir faire l'expérience d'une mobilité internationale.

Plus globalement, je serai également vigilante pour faire en sorte que les missions offertes couvrent l'ensemble des domaines d'intervention prévus par le législateur.

Je pense également à la question de la mixité sociale, objectif également fixé au service civique par le législateur.

Je pense à la question de la formation citoyenne dont un premier volet commence à être mis en oeuvre à travers les formations au secourisme. Je vous le concède, nous avons pris du retard, nous mettrons tout en oeuvre pour le rattraper.

Il faut également réfléchir dès à présent à l'accompagnement de la sortie du service civique. Aujourd'hui, seuls 10 jeunes ont achevé leurs missions de service civique. Mais dans les mois à venir, ils seront quelques milliers. Il fallait prendre les devants sur un sujet crucial, sur lequel dès ma nomination, je me suis personnellement impliquée.

En effet, l'expérience du service civique ne doit pas être une simple parenthèse, mais elle doit être une véritable étape pleinement reconnue dans le parcours du jeune engagé. Le service civique au cours duquel un jeune s'engage volontairement, prend des initiatives et des responsabilités, doit être une expérience fondamentalement profitable et bénéfique. Cette expérience est un plus, elle doit être reconnue comme un plus.

C'est pourquoi je travaille à la signature de chartes de valorisation du service civique avec les grands groupes français. Une première charte a été signée avec le groupe Casino la semaine dernière pour faire du service civique un vrai plus dans un CV. Aujourd'hui le bénévolat et le volontariat ne sont pas valorisés. Pire, ces expériences peuvent nuire au candidat. Ce n'est pas acceptable, nous devons faire changer les mentalités. Parallèlement, nous travaillons avec Valérie Pécresse à la publication, que je souhaite la plus rapide possible, du décret valorisant le service civique dans les parcours universitaires.

Enfin, nous nous attacherons à mettre en oeuvre le programme d'évaluation du service civique. Je me tiens à l'entière disposition du comité de suivi prévu à l'article 22 de la loi dont les membres Catherine Morin-Desailly et Sophie Joissains pour le Sénat, Claude Greff et Bernard Lesterlin pour l'Assemblée nationale, ont été désignés par les présidents des Assemblées.

Cette évaluation que nous réaliserons avant la fin de l'année nous permettra, si nécessaire, de réajuster le dispositif pour en accroître encore la performance et l'utilité.

Le démarrage du service civique est d'ores et déjà un réel succès, il nous faut maintenant l'approfondir et le consolider. C'est le sens des chantiers nombreux et enthousiasmants que je viens d'évoquer.

S'agissant de sa jeunesse, le Gouvernement a un devoir d'avenir. Le service civique y contribue pleinement. Je vous remercie sincèrement pour votre précieux concours à la réalisation de celui-ci.

M. Christian Demuynck. - Quasiment un an jour pour jour après la promulgation de la loi sur le service civique, je me félicite que nous puissions en faire un premier bilan. Comme vous l'avez noté, cette loi était d'initiative sénatoriale et faisait suite à plusieurs rapports préconisant la création du service civique, notamment celui rendu le 26 mai 2009 par la mission commune sénatoriale d'information sur la politique en faveur des jeunes. Tous les témoignages que j'ai pu recueillir jusqu'à présent ont été très favorables au service civique, tant à Cambrai, lors du « Rendez-vous jeunes » organisé par la présidence du Sénat que récemment, à Bobigny, lors du lancement de l'Année européenne du bénévolat et du volontariat.

Les questions que je vous poserai sont les suivantes.

Les collectivités territoriales se sont-elles engagées dans le dispositif ? En effet, en réalisant un tour de France pour promouvoir le service civique, je me suis aperçu que les informations avaient plus ou moins bien été délivrées par les préfectures et que cela avait un impact sur son succès selon les départements.

Avez-vous connaissance de cas où des organismes d'accueil auraient substitué des engagés de service civique à des salariés, dans la mesure où il s'agissait d'un risque envisageable ?

Constatant que l'objectif de 10 % d'une classe d'âge du service civique est repoussé année après année, je souhaiterais savoir quand il pourrait être atteint ? Je souligne à cet égard que je vous soutiens tout à fait dans votre souhait d'exigence sur la nature des missions de service civique.

Nous n'avons pas encore de vision claire sur la reconnaissance qu'aura la société de l'engagement des jeunes dans un service civique. Néanmoins, notamment au vu de la convention signée avec Casino, pensez-vous que les entreprises pourraient davantage valoriser ce type d'expérience à l'avenir ?

Dans une interview au Journal du Dimanche, Martin Hirsch a considéré que les candidats au service civique étaient bien plus nombreux que ceux qui pourraient effectivement y entrer. Trouver un budget complémentaire en cours d'année, si cela se confirmait, est-il envisageable et ces déclarations sont-elles fondées ?

Je souhaite enfin rendre hommage à votre prédécesseur Marc-Philippe Daubresse, avec lequel j'avais eu des difficultés de communication, qui a eu le courage de revenir sur sa décision initiale de supprimer le programme « Envie d'agir ». S'agissant de son idée de mettre en place des laboratoires territoriaux, quel budget et quel avenir sont réservés à de dispositif ?

M. Jean-Jacques Lozach. - La question essentielle du service civique est celle des moyens qui lui sont consacrés. L'objectif initial de 75 000 engagés par an semble déjà avoir été abandonné, Martin Hirsch ayant souligné qu'au rythme actuel de l'augmentation du financement, on atteindrait ce chiffre en 2026. Si l'on souhaitait mettre en place un service civique obligatoire, je rappelle que ce sont 5 milliards d'euros qui devraient être dégagés.

Par ailleurs, les associations ont perdu un nombre important de financements en raison de la baisse importante des crédits au sein du programme « Jeunesse et vie associative » de la mission budgétaire « Sport, jeunesse et vie associative ». Comment vont-elles dès lors s'investir dans la définition de missions de service civique et la gestion des engagés ?

L'Année européenne du bénévolat et du volontariat vient d'être lancée : souhaitez-vous à cet égard créer un statut du bénévole ?

Enfin, où en est-on sur le programme « Envie d'agir » ?

Mme Jeannette Bougrab. - Certaines collectivités, comme Neuilly-Plaisance qui est agréée pour 10 jeunes, se sont investies dans le service civique, mais elles ne sont que 72, à comparer aux 1 000 agréments délivrés. Elles participent néanmoins souvent, via des aides ciblées, au développement de projets associatifs ou au transport des engagés.

J'ai rencontré récemment l'Association des maires de France afin de présenter le dispositif et l'intérêt pour les collectivités de s'y engager : je crois en effet que l'engagement des associations de collectivités et d'élus est essentiel pour améliorer l'information sur le service civique, notamment dans les milieux ruraux.

Si 37 000 jeunes se sont inscrits sur le site Internet du service civique, ils n'ont néanmoins pas vraiment exprimé la volonté immédiate de s'engager. En 2010, 174 contrats de service civique ont été rompus. Nous n'avons encore qu'un faible recul sur le dispositif puisque 10 jeunes seulement sont allés au bout. Budgétairement, l'année 2011 constituera une année de référence, puisque 2010 n'a pas été une année pleine, et je considère que l'engagement de 15 000 jeunes, grâce à l'attribution de crédits en projet de loi de finances et au report des crédits de l'année précédente non consommés, constitue un effort important.

Les missions agréées ont fait l'objet d'une attention réelle afin que les effets de substitution avec l'emploi soient inexistants : je vous signale à cet égard que les jeunes du service civique ne peuvent pas être comptabilisés comme des effectifs d'encadrement dans les centres de vacances. Si les associations ne respectent pas leurs engagements, l'agrément leur sera retiré. Les services déconcentrés veillent à éviter ces dérapages, je serai là-dessus d'une sévérité consistante.

Le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse, financé pour la moitié par des fonds privé, notamment l'entreprise Total, ne peut pas servir à financer d'autres politiques, je tiens à le souligner. S'agissant du laboratoire territorial de Lille, aujourd'hui aucune mise en oeuvre concrète n'a été proposée.

S'agissant du programme 163 « Jeunesse et vie associative », je tiens à souligner que la part de plus en plus importante prise par le service civique en son sein sera financée par une augmentation globale du financement du programme.

Sur les chartes de valorisation du service civique, je considère que l'insertion professionnelle des jeunes est une question essentielle et que les entreprises françaises devraient prendre davantage en compte leur engagement associatif. Si je suis attachée au modèle méritocratique, et je rappelle à cet égard que 91 % des jeunes avec un bac+5 ont un emploi au bout de 30 mois, je ne considère pas moins que ce type d'expérience pourrait être bien plus valorisé. Sur ce sujet, l'engagement de la Société générale et de BNP Paribas qui vont prochainement recruter 3 000 jeunes, de prendre en compte le service civique, a valeur d'exemplarité.

Sur l'information relative au service civique, j'ai bien insisté sur le fait qu'elle devait se faire dans les lieux de passage de la jeunesse.

Les carences françaises en matière de « culture du métier » sont connues et l'information des entreprises auprès des jeunes sur la nature et l'existence des professions mériterait d'être renforcée.

Je crois enfin qu'il doit être possible pour un engagé de service civique de reprendre ses études après son engagement, notamment dans la mesure où 20 % d'entre eux ont un niveau inférieur au baccalauréat.

M. Bernard Fournier. - Pouvez-vous nous donner des informations complémentaires sur la charte de valorisation du service civique signée à Saint-Etienne avec le groupe Casino ?

M. René-Pierre Signé. - Je suis dubitatif sur la finalité du service civique. J'ai l'impression que vous n'êtes pas convaincue vous-même. Comment la jeunesse peut-elle devenir ambitieuse si on lui propose des tâches subalternes et sous-payées ? Vu que le jeune ne doit pas occuper un emploi ni être formé, que lui reste-t-il ? Le sport et les loisirs ? Alors que c'est dans le champ social que l'on a une forte demande, notamment de qualification ! D'ailleurs, le succès du service civique n'est pas au rendez-vous car il n'est valorisant ni pour les associations ni pour les jeunes.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Les débats sur la pertinence du service civique ont déjà eu lieu dans l'hémicycle. On aurait voulu, au demeurant, être plus ambitieux et le rendre obligatoire. Mais c'est cependant une avancée. Le service civique c'est une autre dimension qu'un stage, au vu des missions proposées ! Quand le rapport sur le congé du service civique sera-t-il rendu ? Où en est-on en matière de dimension européenne du service civique ? Nous pourrions envisager des projets d'échange avec des engagés allemands et italiens. Dans le cadre de l'Année européenne du bénévolat, souhaitez-vous donner plus de possibilités aux jeunes de partir à l'étranger alors que moins de 2 % d'entre eux le font actuellement ?

M. Jean-Pierre Leleux. - Les procédures d'agrément sont-elles différentes pour les associations et les collectivités territoriales et quel est le délai moyen de traitement des dossiers ?

M. Daniel Percheron. - Le groupe Casino veut privilégier le service civique. C'est aussi le premier employé privé au Brésil. Pensez-vous que dans le cadre d'un accord de coopération entre la région Nord-Pas-de-Calais et l'État du Minas Gerais, le ministère et le groupe pourraient intervenir de manière intéressante ?

Mme Jeannette Bougrab. - Ce que je peux vous dire c'est je serais ravie de vous retrouver au-delà du débat idéologique au service des jeunes et que l'association de régions peut constituer une opportunité intéressante.

Je ferai par ailleurs parvenir aux commissaires une copie de la convention signée avec le groupe Casino, qui s'est engagé à présenter le service civique au sein de l'entreprise, à promouvoir les campagnes de l'Agence du service civique et à relayer la charte.

Sur l'international, un effort doit être réalisé. Le programme Erasmus est encore trop souvent réservé aux privilégiés et le service civique doit échapper à cet écueil. Une réunion de mobilisation du réseau diplomatique a été organisée, et un texte relatif à la prise en charge du coût induit par l'international est en préparation.

En matière de soutien aux populations défavorisées, je souhaite rappeler que le groupe Auchan a engagé au moins 500 jeunes originaires de la Seine-Saint-Denis dans le cadre du service civique.

On peut être effectivement très fiers de la réussite du service civique, les jeunes sortant souvent du dispositif avec une maturité très importante.

En matière d'agrément, la seule spécificité des collectivités est qu'elles prennent une délibération. Je suis heureuse de pouvoir dire que l'agrément pour la ville de Grasse a été délivré aujourd'hui ; le délai moyen d'instruction est d'un mois environ.

Mercredi 9 mars 2011

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Prix du livre numérique - Examen du rapport et du texte de la commission en deuxième lecture

La commission examine le rapport en deuxième lecture et élabore le texte de la commission pour la proposition de loi n° 309 (2010-2011), modifiée par l'Assemblée nationale, relative au prix du livre numérique.

M. Jacques Legendre, président. - Nous allons examiner le rapport, en deuxième lecture, sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - La navette législative se poursuit donc sur cette importante proposition de loi, qu'avaient déposée notre président, Jacques Legendre, et notre collègue Catherine Dumas. Il s'agit d'accompagner la mutation du secteur du livre, caractérisée par l'émergence du livre numérique. La régulation proposée par le texte a plusieurs objectifs : la promotion de la diversité culturelle et linguistique, notamment en application de la convention de l'Unesco, ce qui suppose le maintien de la richesse de l'offre éditoriale et de sa mise en valeur à l'égard des lecteurs. Deuxième objectif : le respect d'une concurrence loyale non susceptible de conduire à une concentration excessive du marché de la librairie numérique. A cette fin, les libraires physiques, qui contribuent au maillage culturel de notre territoire, doivent pouvoir aussi exister dans des conditions viables sur ce nouveau marché. Dernier objectif : le respect du droit d'auteur.

La propriété intellectuelle devant demeurer la clé de voûte de l'édition, les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix, comme le prévoit le texte qui applique ce principe au livre numérique dit « homothétique ». D'autres types d'oeuvres numériques fleuriront; mais les règles de concurrence ne semblent pas permettre, à ce stade, de les viser.

Après notre adoption du texte en première lecture le 26 octobre 2010, l'Assemblée nationale l'a examiné le 15 février. Elle a adopté des modifications de portée rédactionnelle à l'article premier qui définit le livre numérique et le champ d'application de la loi et à l'article 5 qui régit les relations commerciales entre éditeurs et détaillants. Elle a adopté conformes l'article 4 relatif aux ventes à primes, l'article 6 sur les sanctions et l'article 8 qui prévoit les modalités d'application du texte outre-mer. A l'article 2 relatif au principe de fixation du prix de vente par l'éditeur, elle est revenue à la rédaction initiale du premier alinéa, c'est-à-dire à l'application du texte aux seuls éditeurs établis en France. Au même article, elle a introduit un dispositif consensuel, qui n'avait pas pu être trouvé avec les professionnels à l'occasion de notre première lecture, afin d'instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l'éditeur, applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres composites spécifiques destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d'enseignement supérieur. Nous soutenons cette disposition qui concerne notamment les éditeurs scientifiques.

A l'article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l'éditeur, les députés sont revenus au texte de la proposition initiale, en ne traitant que des libraires établis en France. L'extraterritorialité n'est donc plus visée. Ils ont complété l'article 7 qui prévoit un rapport annuel au Parlement, en prévoyant un comité de suivi et un développement spécifique dudit rapport sur le droit d'auteur. Il s'agit là d'une faible contrepartie à leur suppression de l'article 5 bis, que nous avions adopté, à l'unanimité, à l'initiative de notre collègue David Assouline en vue de garantir une rémunération des auteurs tenant compte de l'économie résultant du recours à l'édition numérique.

Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article 9, en adoptant deux amendements identiques de son rapporteur, M. Hervé Gaymard, et du groupe socialiste. Il s'agit d'une validation législative en faveur du mécénat culturel. Cette disposition concerne un permis de construire dans l'enceinte du Jardin d'acclimatation, à Paris, afin de permettre la poursuite de la construction du musée d'art contemporain édifié par une fondation d'entreprise. En effet, le motif d'annulation de ce permis de construire tient exclusivement à ce qu'une simple allée intérieure du jardin a été, bien que n'étant ni routière ni circulante, considérée comme une « voie », ce qu'elle n'est pas au sens des règlements d'urbanisme. Enfin, outre son caractère d'intérêt général, cet article est conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de validations législatives, pour des raisons que j'explicite dans mon rapport.

Depuis notre examen du texte, deux évènements sont intervenus : les avis circonstanciés de la Commission européenne, suite aux notifications par le Gouvernement, de la proposition de loi votée par le Sénat puis l'opération conduite chez certains éditeurs par les autorités européenne et française de la concurrence pour vérifier que leurs pratiques ne sont pas susceptibles de relever d'une entente. Cette démarche illustre la brutalité des rapports de force en présence sur le marché des oeuvres culturelles numériques, en particulier au sein de l'oligopole américain constitué d'Amazon, d'Apple et de Google, avec des méthodes trop souvent prédatrices. La Commission européenne a émis des réserves dans ses deux avis. Elle conclut de ses analyses que la proposition de loi pourrait restreindre la liberté d'établissement et la libre prestation de services et être également incompatible avec certaines dispositions de la directive services et de la directive e-commerce. Elle ajoute que, dans la mesure où un objectif de diversité culturelle pourrait justifier l'une des restrictions de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services potentiellement imposées par la proposition de loi, ces restrictions ne semblent pas appropriées pour atteindre des objectifs de diversité culturelle et ne sont pas proportionnelles à ces objectifs. Votre rapporteur relève cependant que la Commission européenne n'a pas « fermé la porte ». Elle a émis des réserves, certes fortes, mais a aussi posé au Gouvernement français une série de questions, certaines d'ordre général, d'autres relatives au droit de la concurrence, qui devraient permettre de les lever. Ceci suppose un volontarisme politique fort du Gouvernement, complémentaire de celui de notre Haute assemblée et une présentation complète et claire des objectifs du texte ainsi que l'apport des preuves et éclaircissements attendus par la Commission sur les différents points relevés, en particulier pour justifier le respect des principe de l'adéquation, de la nécessité et de la proportionnalité entre les objectifs de la proposition de loi et les moyens choisis pour les atteindre.

Comme nous l'avons encore constaté à l'occasion de la table ronde que nous avons organisée mercredi dernier avec différents acteurs de la filière, ce texte est très attendu par les professionnels. Les points de divergence avec nos collègues députés concernent les articles 2 et 3, et recouvrent deux questions : celle de l'adoption ou non d'une clause d'extraterritorialité concernant les éditeurs de livres numériques, à l'article 2, et les libraires, à l'article 3. Je vous proposerai, sur ces deux articles, des amendements tendant à revenir à la rédaction que nous avions adoptée à l'unanimité en première lecture sur la proposition de notre collègue Jean-Pierre Leleux. La seconde question concerne le droit d'auteur, en raison de la suppression de l'article 5 bis que nous avions introduit sur la proposition de notre collègue David Assouline. Nous aurons aussi un débat sur ce sujet car il me semble nécessaire de rétablir une rédaction de nature à mieux encadrer les négociations entre éditeurs et auteurs, ces derniers étant, souvent, dans un rapport de force défavorable pour obtenir une rémunération équitable en cas d'exploitation numérique de leur oeuvre.

M. Jean-Pierre Leleux. - Je suis en total accord avec cette présentation. Aucune guerre ne peut être gagnée si elle n'est pas livrée. Si la guerre économique avec les États-Unis est déjà bien amorcée, il va falloir aussi livrer bataille dans le domaine culturel. Si nous ne le faisions pas, nous nous en voudrions par la suite. Certes, nous sommes à la pointe du combat, mais il va falloir mobiliser nos partenaires européens car nous ne sommes pas les seuls à être concernés. J'approuve bien évidemment le retour au texte que nous avons voté en première lecture.

M. Ambroise Dupont. - Je voudrais en savoir plus sur l'amendement relatif à la fondation d'entreprise que je ne comprends pas trop.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Il s'agit d'un article qui a été ajouté par l'Assemblée nationale et qui concerne le mécénat culturel : un recours a suspendu les travaux en cours ce qui a mis 1 000 personnes au chômage. Il y avait urgence à trouver un véhicule législatif pour que les travaux reprennent.

M. David Assouline. - Ce n'est pas la seule raison !

M. Jacques Legendre, président. - Comme vous, j'ai été surpris de voir surgir un amendement traitant d'un permis de construire dans cette proposition de loi relative au livre numérique. Cette validation législative a peu de rapport avec le texte qui nous occupe, je vous l'accorde. Je doute que le Conseil constitutionnel soit saisi : majorité et opposition sont en effet d'accord pour voter cet amendement qui permettra de doter Paris d'une très belle fondation culturelle.

J'ai vraiment regretté qu'une autre fondation, prévue dans l'île Seguin, n'ait pu être réalisée et qu'elle fasse aujourd'hui le bonheur des Vénitiens à la pointe de la Douane. De grâce, ne recommençons pas avec cette fondation ! Paris doit rester la capitale des arts. Il faut donc que nous acceptions que notre texte serve de support, même si cela peut apparaître un peu bizarre. Il serait d'ailleurs préférable que nous votions tous cet amendement.

M. David Assouline. - Il s'agit d'un très beau projet culturel et artistique qui fait consensus, mais nous devons réagir rapidement car cette fondation risque d'échapper à Paris. Il n'y a que deux solutions : soit voter une loi spécifique sur cette question, ce qui serait incongru surtout en raison de l'embouteillage législatif actuel, soit accepter un amendement dans un texte culturel. Bien sûr, la proposition de loi qui nous occupe n'est pas en lien direct avec cette question, mais elle a le mérite d'être examinée en ce moment même. Quand il n'y a pas de consensus politique, quand il n'y a pas d'urgence au service de l'intérêt général, je suis bien évidemment hostile aux cavaliers. Mais tel n'est pas le cas : le groupe socialiste votera donc l'article proposé par l'Assemblée nationale.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Mon groupe ne s'est pas encore prononcé sur cette question. Je ne puis donc parler en son nom. Nous avons bien sûr été démarchés par des représentants de la fondation : nous sommes d'accord sur l'objectif et le bien fondé du projet. Pourtant, la procédure est pour le moins étonnante et je ne suis pas favorable au « deux poids, deux mesures ». Je ressors d'une commission mixte paritaire sur la transposition d'une directive : je portais un amendement de notre commission sur l'éducation à l'image et à l'Internet et mes collègues députés m'ont dit qu'il s'agissait d'un cavalier !

M. Serge Lagauche. - Je parlerai comme citoyen de l'Île-de-France. Divers projets et équipements culturels ou sportifs auraient pu être implantés en périphérie de la capitale, et il n'en a rien été. Je pense en particulier à un certain orchestre ou à Roland Garros, qui aurait pu s'installer en Seine-et-Marne sans déchoir.

Le Grand Paris ne doit-il concerner que Paris ou bien toute l'Île-de-France ? Pour la recherche, la banlieue s'inquiète de la concentration des moyens dans la capitale. On ne pourra accepter sans cesse des dérogations sous le prétexte qu'il s'agit de Paris. A vrai dire, la question se pose aussi à Lyon, notamment en ce qui concerne le futur stade.

De façon plus large, nous devrons réfléchir à la répartition des équipements sur tout le territoire national. La centralisation excessive des évènements à Paris provoque des embarras de la circulation : voyez le salon de l'agriculture ! Ceci dit, je soutiens la position de M. David Assouline.

M. Jacques Legendre, président. - Les choses sont claires : des validations législatives à répétition ne sauraient être acceptées par notre commission. Dans le cas présent, la situation est particulière et si j'ai d'abord été réticent, je vous propose en définitive d'accepter l'amendement qui nous vient de l'Assemblée nationale.

Mme Catherine Dumas. - Quand j'ai appris l'existence de cet amendement, j'ai été d'autant plus surprise que ce texte porte mon nom. Pour autant, il faut savoir que cette fondation va revenir à la Ville de Paris dans quelques décennies : tout le monde en profitera.

Je remercie tous mes collègues pour cette unanimité qui grandit le Sénat.

J'approuve les remarques de M. Lagauche sur le Grand Paris : Vous savez que je travaille dans le secteur des métiers d'art et je milite pour implanter un pôle en Seine-Saint-Denis afin de sortir enfin de Paris intra-muros.

M. Ivan Renar. - Le 24 février s'est tenue une réunion des ministres de la culture pour réviser la directive sur le commerce électronique. En avez-vous eu écho ?

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Non, mais nous allons interroger le ministère.

M. Jack Ralite. - Je suis d'accord avec la solution préconisée pour cette fondation. Ceci dit, le texte que nous allons voter est très important et l'unanimité est plus que souhaitable. Je regrette donc un peu l'apparition de ce cavalier et je note d'ailleurs une certaine réticence des uns et des autres même si nous allons tous le voter : pourquoi ne pas l'avoir placé dans un texte financier ? J'aurais préféré que cette loi fondamentale ne soit pas entachée de ce véhicule législatif.

J'en arrive au fond du texte : les instances européennes n'y vont pas de main morte ! J'ai reçu ce matin une lettre de la société des auteurs audiovisuels : ces derniers s'estiment en danger. Et puis, sur les droits d'auteur, il est quand même regrettable que ceux qui devraient s'entendre se divisent ! J'ai l'impression que le commissaire européen en charge de ces questions, M. Barnier, est d'accord avec nous, mais qu'il n'agit pas. Notre commission n'aurait-elle pas intérêt à entreprendre une démarche auprès de Bruxelles ? En définitive, c'est la fiscalité culturelle qui est en cause : avec notre TVA, nous allons prendre des coups alors que nos concurrents se trouvent dans des pays à fiscalité très faible. Cette question est loin d'être anodine.

Je comprends l'émotion des auteurs : ils veulent un minimum de garanties, mais cela va se retourner contre eux !

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Vous trouverez plus de détail dans le rapport, notamment sur la fiscalité culturelle. La Commission européenne a formulé des réserves : nous allons donc revenir sur ces questions. En outre, comme l'a dit M. Leleux, le combat ne fait que commencer et il va falloir nous trouver des alliés.

Je vous propose, dans un premier temps, de rétablir le texte que nous avions adopté en première lecture.

M. Jack Ralite. - Ne pourrions-nous pas prendre rendez-vous avec M. Barnier ? La personne qui, à Bruxelles, s'occupe des droits d'auteur est certes fort polie, elle nous écoute, mais ne démord pas de sa position.

M. Jacques Legendre, président. - Le problème qui nous occupe ne sera pas réglé par la seule adoption de ce texte. En revanche, nous avons intérêt à ce que la loi qui va être votée soit musclée pour montrer au Gouvernement, aux autres pays et à la Commission européenne la détermination du Parlement français. Nous devons donc être unanimes et parvenir à un accord avec nos collègues de l'Assemblée nationale qui, eux, sont divisés, certains prônant la prudence. Nous allons faire en sorte que la position française soit aussi forte et claire que possible. Ceci dit, lorsque nous aurons adopté ce texte, nous n'en aurons pas terminé pour autant.

J'ai déjà rencontré M. Barnier et je lui ai rappelé notre engagement. J'ai participé à Québec à un colloque sur l'application de la convention de l'Unesco relative à la diversité culturelle. Pour l'instant, nous avons un magnifique texte adopté à la quasi-unanimité - hormis les États-Unis - mais sans portée.

Pourquoi le Parlement n'adopterait-il pas une résolution pour demander solennellement au Gouvernement de se battre sur ce point. Nous devrions également alerter les parlementaires français du Parlement européen car ils doivent expliquer à la Commission européenne qu'elle n'est pas seule à décider sur ces questions. Nous allons donc rétablir le texte initial du Sénat et nous verrons ce que nous pouvons faire en commission mixte paritaire. Ensuite, nous proposerons le vote d'une résolution : nous avons en effet désormais le pouvoir de nous adresser directement à la Commission européenne.

M. Jack Ralite. - Pourrions-nous en parler à Mme Yade demain ?

M. Jacques Legendre, président. - Si je l'ai fait venir, c'est justement pour la sensibiliser à toutes ces questions. Il est assez inusité que notre commission convoque un ambassadeur de l'Unesco, ne pensez-vous pas ? Il va y avoir une conférence des parties sur l'application de la convention de l'Unesco. Comme il faut que le Gouvernement français prenne cette affaire au sérieux, nous allons en parler à notre ambassadeur.

Mme Catherine Dumas. - Le vote d'une résolution serait très important. M. Leleux a parlé de guerre : l'important, c'est de la gagner. Il faut que le Gouvernement nous soutienne.

M. Jacques Legendre, président. - Je ne voudrais pas que notre combat fût à l'image de la charge de la brigade légère à Balaklava ; nous voulons agir de façon efficace pour que les mentalités évoluent.

M. David Assouline. - J'en viens à l'extraterritorialité. Nous ne voulons pas de cheval de Troie qui détruise notre édifice, car les mastodontes du numérique rêvent d'une liberté totale puisqu'avec le numérique, il n'y a plus de frontières. Convaincus par des lobbies puissants, les députés ont estimé que ce texte était contraire au droit européen et qu'il fallait supprimer tout ce qui avait trait à l'extraterritorialité. N'oublions pas que des inspecteurs de Bruxelles ont saisi des ordinateurs dans certaines maisons d'édition françaises !

En raison de la convention de l'Unesco et de l'exception culturelle, nous estimons que le droit est avec nous : notre dossier est plaidable. Quand l'économie de la culture sera dominée par le numérique, on ne pourra plus mener une quelconque bataille sur l'exception culturelle. Avec ce texte, nous n'en sommes qu'aux prémices : les combats majeurs sont encore à venir. Autant commencer dès maintenant à nous défendre. En outre, nous ne sommes pas les seuls concernés : beaucoup de pays le seront qui voudront préserver leurs livres, leurs musiques, leur cinéma, leurs musées, leur patrimoine.

Aujourd'hui, la fabrication des livres entre pour 15 % dans le prix total. Le stockage et le transport représentent 53 % et il reste 20 % pour l'éditeur et 10 % pour l'auteur. Si l'on enlève toute la partie qui revient au stockage, au transport et à l'imprimeur, il ne reste que ce qui revient aux maisons d'édition et aux auteurs : il y aura de la marge, même s'il n'y en a pas beaucoup au début. Il est donc indispensable de fixer un cadre pour protéger les auteurs. On me dit qu'il n'est pas possible d'entrer dans la comptabilité des entreprises pour savoir quel est leur bénéfice. Ce n'est pas ce que nous voulons : les négociations entre auteurs et éditeurs se poursuivront. Mais lorsqu'on passera du papier au numérique, avec les économies que l'on constate aux États-Unis, au Canada ou au Japon, il faudra quand même fixer un cadre, non pas pour les grands auteurs qui peuvent se défendre, mais pour les petits qui n'ont pas les moyens de négocier : il n'y a pas de livre sans auteur. Revenons-en donc au texte que nous avons adopté en première lecture et voyons si une autre proposition émerge en cours de navette.

Un regroupement de bibliothécaires et d'archivistes nous a saisis car ils se sentent menacés par la rédaction de l'Assemblée nationale. Nous avons intérêt à protéger ces personnes car certaines collectivités territoriales innovent et les contrats qu'elles signent ne sont peut être pas légalement garantis par le texte actuel. Nous déposerons peut être un amendement en séance, en accord avec la commission.

M. Jacques Legendre, président. - Nous avons également été alertés sur cette question très tardivement. Nous pourrions reconsidérer cette question à l'occasion de l'examen des amendements extérieurs le 29 mars.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Ce texte est très important car il pose la base d'une véritable révolution culturelle. On ne parle ici que du livre numérique mais, à terme, tous les secteurs de la culture seront concernés.

J'en viens à l'usage collectif des oeuvres culturelles numériques. Mme Mélot a évoqué l'usage des livres numériques dans le cadre de l'enseignement supérieur. Qu'en est-il en milieu scolaire ? J'ai en effet été saisie de cette question dans mon département.

Mme Catherine Morin-Desailly. - La définition du livre numérique dans ce texte me semble assez restrictive. J'ai interrogé le collectif qui est venu nous voir la semaine dernière sur ce point mais il ne m'a pas répondu. J'ai peur que ce texte ne traite que d'un domaine restreint alors que le numérique va concerner de plus en plus d'oeuvres.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Le numérique n'en est qu'à ses balbutiements et il va prendre une grande ampleur dans les années à venir. Les auteurs de la proposition de loi ont décidé de se saisir rapidement de la question du livre homothétique, mais sans traiter du multimédia. La loi de 1981 traitait du prix du livre papier et ce texte ne concerne que ce qui est réversible.

L'article 2 ne vise que l'enseignement supérieur. Le livre scolaire pourrait être rattaché à la notion d'usage collectif.

J'ai entendu les représentants des éditions pédagogiques. On peut penser qu'il y aura une suite à cette proposition de loi. Pour l'heure, nous en restons au livre homothétique et à l'édition scientifique, où existait une tradition.

Mme Sylvie Goy-Chavent. - Quid de la diffusion homothétique de livres pédagogiques ?

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Rien de différent. La chose existe déjà.

Mme Maryvonne Blondin. - Certains départements permettent de télécharger un ouvrage pour une durée limitée de trois semaines, depuis la médiathèque centrale, afin de satisfaire ceux qui en sont éloignés. Ce cas est-il prévu ?

M. David Assouline. - Les demandes que nous avons reçues des associations pourraient raisonnablement être intégrées. Ce qui était possible dans le silence de la loi ne le sera plus : attention à ne pas empêcher la poursuite de ce que nous avons mis en place dans nos collectivités. La séance publique devrait nous permettre d'avancer.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - L'article 2 permet déjà de prendre en compte les offres alternatives proposées par les médiathèques.

M. Jacques Legendre, président. - Et n'oublions pas qu'il y aura, sur d'autres points, les amendements extérieurs.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - On ne peut pas non plus aller trop loin, au risque de déborder du cadre du livre homothétique.

Examen des articles

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Mon amendement n° 3 tend à rétablir la rédaction du premier alinéa adoptée par le Sénat en première lecture. Il s'agit d'étendre le principe de fixation du prix du livre numérique par l'éditeur à ceux qui, étant établis hors de France, exercent néanmoins leur activité en vue d'une commercialisation sur le territoire national. Le groupe socialiste a déposé, à l'initiative de MM. Assouline et Lagauche, un amendement n° 1 identique.

L'amendement n° 3 est adopté, ainsi que l'amendement identique n° 1.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Mon amendement n° 4 tend à rétablir la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture. Il vise à étendre le champ d'application du texte à toute personne, y compris établie hors de France, qui exerce une activité de commercialisation de livres numériques à destination d'acheteurs situés sur le territoire national. Il s'agit, en clair, de protéger les libraires - et les distributeurs en général.

L'amendement n° 4 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

L'article 5 est adopté sans modification.

Article 5 bis

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Mon amendement n° 5, identique à l'amendement n° 2 du groupe socialiste, tend à rétablir l'article 5 bis adopté par le Sénat en première lecture, afin de garantir aux auteurs d'oeuvres de l'esprit le bénéfice d'une rémunération juste et équitable lors de la commercialisation de leurs oeuvres sur support numérique.

M. David Assouline. - Une remarque sous forme de boutade : j'observe que vos propos oraux nous rendent mieux justice que vos exposés des motifs écrits, où vous ne manquez pas d'indiquer qu'un amendement est repris d'une initiative de M. Leleux, tandis que vous ne signalez jamais qu'il est repris du groupe socialiste.

Mme Colette Mélot, rapporteur. - Vous aurez également observé, en bonne comptabilité, que je vous ai cité deux fois dans mon intervention liminaire, quand je n'ai mentionné M. Leleux qu'une fois... (sourires)

Les amendements identiques n° 5 et n° 2 sont adoptés et l'article 5 bis est rétabli.

Article 7

Mme Colette Mélot, rapporteur. - L'Assemblée nationale, en supprimant l'article 5 bis, avait adopté une position de repli en ajoutant un alinéa à l'article 7, devenu superflu. D'autant que le rapport prévoit en tout état de cause que l'étude d'impact couvre tous les acteurs de la filière. Mon amendement n° 6 supprime ce dernier alinéa.

M. David Assouline. - Cela étant, je ne vois aucune objection à préciser que le rapport examinera la question de la juste rémunération des auteurs...

M. Jacques Legendre, président. - Gardons quelques munitions pour la CMP.

Mme Catherine Dumas. - Ainsi que l'a fait observer notre rapporteur, l'étude d'impact couvre tous les aspects du problème.

M. David Assouline. - Si le président Legendre veut dire que nous pourrions, en CMP, demander la réintroduction de cet alinéa en échange de la suppression de l'article 5 bis, je lui objecte que c'est précisément ce que nous entendons éviter.

L'amendement n° 6 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

L'article 9 (nouveau) est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Jeudi 10 mars 2011

- Présidence de M. Jacques Legendre, président -

Convention sur la diversité culturelle de l'Unesco - Audition de Mme Rama Yade, ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco

La commission entend Mme Rama Yade, ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco sur la Convention sur la diversité culturelle de l'Unesco.

M. Jacques Legendre, président. - Il est rare que nous entendions l'ambassadeur délégué permanent de la France auprès de l'Unesco, et c'est un plaisir de recevoir à ce titre Mme Rama Yade.

La diversité culturelle est au coeur des préoccupations de notre commission. Nous avons participé il y a cinq ans à la bataille que la France a menée, aux côtés du Canada, pour la diversité des expressions culturelles et qui a conduit à la Convention de 2005, votée par l'Unesco à l'unanimité moins deux voix, celles des États-Unis et d'Israël. J'ai récemment participé à Québec à un colloque de l'Assemblée parlementaire francophone consacré à cette Convention et les parties signataires doivent prochainement se réunir : il est donc bien naturel que nous vous interrogions, madame l'Ambassadeur, sur le bilan que vous faites de cette Convention et sur la stratégie poursuivie par l'Unesco pour promouvoir et protéger la diversité des expressions culturelles. Ne nous y trompons pas, nous sommes en pleine actualité, puisque nous avons à propos du prix unique du livre numérique quelques petits problèmes avec la Commission européenne, alors que nous mettons en avant la Convention que tous les États membres, exception faite de la Belgique, ont ratifiée. Comment comptez-vous conférer toute sa portée à cette Convention ?

Mme Rama Yade, ambassadrice, déléguée permanente de la France auprès de l'Unesco. - En 2005, penchés sur le berceau de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, les sceptiques ne lui donnaient aucun avenir : elle ne pèserait jamais au niveau international ; d'essence anti-américaine, elle serait vite marginalisée ; ses principes ne seraient pas reconnus et, dépourvue de moyens, elle n'aurait aucun résultat tangible. Un tel scepticisme n'est pas de mauvais augure : il accompagne souvent de grandes initiatives diplomatiques ! De fait, les partisans de l'immobilisme sont toujours les plus nombreux...

Or cette Convention est en soi un succès. Elle représente en effet une avancée majeure sur les principes : elle a renouvelé la conception de la culture dans le champ international. Jusqu'alors, la culture était partagée entre une conception patrimoniale - sites naturels et architecturaux, avec la Convention sur le patrimoine mondial de 1972, patrimoine culturel immatériel dans le cadre de la Convention de 2003 - et une acception anthropologique, avec l'idée de valoriser les cultures du monde et l'égale dignité entre les cultures. Désormais, plus personne ne conteste le fait de parler de biens et de services culturels, ni d'appréhender la culture à travers eux. Le temps est passé, où l'on s'interrogeait sur la légitimité de la notion « d'économie de la culture ».

Les apports de cette Convention sont cependant plus profonds, et ils sont à ce point passés dans le sens commun que l'on en oublie que c'est elle qui les a gravés sur les tables de la loi internationale. Les biens et services culturels ne peuvent être considérés comme de simples marchandises - c'est ce à quoi renvoie maladroitement la formule d'exception culturelle. Les États ont donc le droit de conduire des politiques culturelles publiques, le marché ne garantissant pas l'allocation optimale des ressources dans le secteur de la culture.

La Convention, et c'est la clef de son succès, établit ensuite un lien entre la diversité des expressions culturelles et le développement, ce qui a créé un cadre de solidarité, un partenariat Nord-Sud. Aujourd'hui, l'approche de la culture dans le champ international porte la marque indélébile de ce texte : il y a un « avant » et un « après » Convention.

Plusieurs États, les États-Unis en particulier, craignaient qu'elle ne serve de prétexte pour relativiser la portée universelle des droits de l'homme. Sacraliser la diversité culturelle dans un texte international aurait, selon eux, pu conduire à légitimer l'excision des jeunes filles ou les interdits au nom de coutumes locales ou de religions. Il n'en a rien été. Les prétextes fallacieux pour relativiser la portée des droits de l'homme ont été trouvés ailleurs. Le péril était mince, du reste, car toutes les précautions avaient été prises : son objet n'est pas la diversité des cultures, mais bien la diversité des expressions culturelles, et la précision n'est pas anodine, qui établit une référence non aux cultures en tant que telles, mais aux produits de la culture.

L'article 2 de la Convention est clair : « nul ne peut invoquer les dispositions de la présente Convention pour porter atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales tels que consacrés par la Déclaration universelle des droits de l'homme ou garantis par le droit international, ou pour en limiter la portée ».

Je n'évoquerai pas le rôle de la francophonie dans la genèse du texte, M. Legendre le ferait mieux que moi. Je me bornerai à rappeler que tous les amendements, projets de décision, avis examinés par le comité intergouvernemental de la Convention, auquel la France a été réélue en 2009 pour un mandat de quatre ans, émanent du groupe francophone. La voix francophone prédomine et donne le ton aux débats. Les États non-membres de la famille francophone réagissent à nos propositions, nous « faisons » l'agenda.

Cas unique et remarquable, les grands pays émergents n'ont qu'une marge de manoeuvre minime, contrainte par la mécanique de la coordination francophone. Cela n'est pas, parfois, sans créer des tiraillements, y compris avec les pays membres de l'Union européenne non membres du groupe francophone, puisque la coordination francophone dépasse en précision et en qualité la coordination européenne. Il nous revient ainsi de faire le pont, d'assurer le lien.

Enfin, la francophonie est le moyen de dépasser les clivages Nord-Sud car elle brise les schémas géopolitiques préétablis, qui présentent comme irréconciliables les intérêts des pays développés et ceux des pays en développement.

Nous voulons parachever le mouvement de ratification de la Convention. L'adhésion internationale est particulièrement rapide, puisqu'en six ans, 116 États ont ratifié, et que ce mouvement sans guère d'équivalent se poursuit. Au sein de l'Union européenne, depuis la ratification de la République tchèque en 2010, seule la Belgique n'a pas ratifié la Convention, mais il n'y a plus de difficulté de principe. Les États-Unis sont toujours opposés à la ratification. Le Japon, en revanche, y réfléchit. Vous pouvez nous aider à convaincre nos partenaires : la diplomatie parlementaire est aussi un vecteur majeur d'influence.

La Convention de 2005 commence à se traduire par des actions sur le terrain, au bénéfice des pays en développement, qui déplorent de voir leurs créateurs émigrer vers les pays les plus riches, d'où le fruit de leurs créations leur revient cher et taxé. La Convention favorise la création d'industries et de réseaux culturels plus variés, face à une logique de concentration toujours plus grande.

Comment faire ? Entre 2005 et 2010, les États parties se sont livrés à un exercice long et nécessaire consistant à rédiger des directives opérationnelles, c'est-à-dire des décrets d'application de la Convention. Ce travail de bénédictin a laissé croire à une éclipse passagère de la Convention. Il n'en est rien. Ses mécanismes opérationnels en faveur des pays en développement sont maintenant en place et commencent à fonctionner. Les renforcer est prioritaire.

Grâce au Fonds international pour la diversité culturelle, 31 projets ont été sélectionnés lors de la dernière session du comité de la Convention, en décembre dernier, pour un montant de 1,55 million de dollars. Ils concernent des projets aussi divers que la constitution d'un pôle de formation aux métiers de la musique et des arts au Sénégal, la création d'une banque d'images au Cameroun, le soutien à un festival de théâtre à Niamey... Le Fonds bénéficie de financements encore modestes, mais il est attractif : la Norvège a annoncé en décembre 1,4 million de dollars, l'Union européenne 1 million d'euros. A titre bilatéral, nous y apportons 150 000 euros : c'est encore trop peu, je suis favorable à une augmentation de notre contribution volontaire comme à sa pérennisation, et votre aide sera précieuse à l'heure des choix budgétaires.

L'article 20 de la Convention a posé des principes clairs : « le soutien mutuel, la complémentarité et la non-subordination », cela en relation avec les autres instruments internationaux dont l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Je crois qu'il serait prématuré d'aller au-delà car les interprétations juridiques sont incertaines : nous ne savons pas comment serait arbitré un différend entre les règles de l'OMC et celles de la Convention. Certains pays sont parfois tentés, sous des pressions amicales, de renoncer à des droits qu'ils tiennent de la Convention sur la diversité des expressions culturelles lors de la conclusion d'accords bilatéraux de libre échange. Les enjeux ne se limitent pas à l'interprétation du droit, ils concernent aussi l'économie, en particulier dans le domaine des biens audiovisuels, et la Convention peut être contournée, c'est le risque majeur.

Pour y faire face, l'Union européenne et la France ont adopté leur propre stratégie. Dans nos accords de coopération ou d'échanges culturels, partout où cela est possible, nous faisons référence à la Convention de 2005 et déclinons ses principes et normes. Ce sont dans ces accords bilatéraux, plus ponctuels, que la Convention prend son sens.

La Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles continue de creuser son sillon. Elle s'est installée dans le paysage des grandes conventions internationales, le nombre de ratifications a atteint un niveau élevé et croît régulièrement, ses mécanismes en faveur du développement des industries culturelles dans les pays en développement entrent en application, les normes qu'elle véhicule font leur chemin. Encore jeune, elle n'a pas porté tous ses fruits, et elle est encore riche de potentialités importantes. Soyons patients, laissons le temps au temps. Mais restons très actifs, à travers la francophonie notamment, tant pour veiller à la bonne mise en oeuvre de la Convention que pour la renforcer face à d'autres instruments internationaux.

M. Serge Lagauche. - Je trouve votre propos bien pondéré, madame l'Ambassadeur, je déplore pour ma part que les choses n'avancent pas de façon satisfaisante. Pour obtenir la signature de la Convention de 2005, nous sommes allés chercher des voix, nous avons fait des promesses qu'avec notre très faible participation financière, nous ne paraissons pas tenir aujourd'hui.

Dans les conventions bilatérales, ensuite, les négociations sont difficiles, y compris avec le Canada, et l'on constate un « grignotage » du dispositif. Nous ne disposons pas, pour le défendre, des contreparties qu'autorise un marchandage global tel qu'il existe dans des enceintes comme l'OMC : nous sommes ici dans le cadre plus restreint de la culture. Je conviens parfaitement que nous avons notre rôle à jouer, comme parlementaires, nous devons être vigilants à toute remise en cause par des accords bilatéraux.

Il nous faut tenir nos engagements, pour promouvoir la diversité des expressions culturelles. La culture est partout en danger, nous le constatons régulièrement : le combat n'est pas terminé, en Europe même. De voir le ministère des affaires étrangères confié à M. Juppé nous met du baume au coeur, car il s'était montré très vigilant sur le sujet, de même que M. Toubon, mais nous savons aussi que le sujet requiert notre attention de tous les instants : comment comptez-vous honorer nos promesses ?

Mme Rama Yade. - La Convention commence à avoir des effets concrets, le Fonds international pour la diversité culturelle vient de sélectionner 31 projets, sur 254, et il a vocation à monter en puissance. Les projets vont de 5 000 à plusieurs dizaines de milliers d'euros. La France y contribue pour 150 000 euros, les deux tiers proviennent des affaires étrangères et un tiers de la culture. Je suis favorable à un effort plus important. La promotion de la diversité des expressions culturelles passe aussi par la Coalition française pour la diversité culturelle, présidée par M. Pascal Rogard.

Assiste-t-on à un « grignotage » de la Convention de 2005 par les accords bilatéraux ? Je crois que cela se fait dans les deux sens, puisque, autant que faire se peut, nous introduisons ses principes dans les instruments touchant à la culture, d'où un mouvement de balancier. Nous restons vigilants, tandis que se diffusent les principes que concrétiseront les actions soutenues par le Fonds international.

M. Jack Ralite. - Je suis membre du bureau de la Coalition. Depuis le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et jusqu'à la conférence de Seattle, j'ai participé à la longue bataille pour faire reconnaître que la culture n'est pas une marchandise comme les autres. Je ne partage pas votre réticence envers l'exception culturelle, je crois même que l'idée n'a rien à envier à celle de diversité culturelle : je me souviens de Mme Trautmann entrée dans les négociations sous le drapeau de l'exception culturelle, pour en ressortir avec celui de la diversité culturelle, qui flotte moins haut. L'exception culturelle est plus efficace contre la marchandisation galopante de la culture, on s'en aperçoit partout en Afrique, en Asie et en Europe. En France, nous avions l'avantage que tous les politiques, de François Mitterrand à M. Toubon et à M. Juppé, tiraient dans le même sens ; je crois que ce n'est plus tout à fait le cas aujourd'hui.

J'ai avec moi un document relatif aux droits et rémunérations des auteurs audiovisuels en Europe, la situation est grave : les auteurs de dix-sept pays nous alertent, le copyright à l'américaine prend le dessus, on ne mentionne plus même le droit d'auteur à la française ! Ce n'est du reste pas une surprise, tant on sait que les Américains n'ont accepté de signer la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, mais sans appliquer l'article 6 bis sur le droit moral de l'auteur !

Vous nous dites, madame l'Ambassadeur, que la France ne participe que pour 150 000 euros au Fonds international pour la diversité culturelle : ce chiffre même me fait honte ! La Convention de 2005 serait un succès en soi, alors qu'elle n'entraîne aucune obligation, qu'elle n'est assortie d'aucune sanction : la période est bien molle ! Et les États-Unis ne se privent pas de grignoter partout cette Convention déjà bien maigre... Un grand patron du cinéma américain l'avait dit au festival international du film policier de Beaune : une réglementation a minima sur le cinéma « traditionnel », et aucune pour les nouvelles technologies de l'information et de la communication, il a même qualifié le droit d'auteur de « bacille », avant de modérer, un peu, son propos.

L'Europe elle-même refuse notre conception du droit d'auteur, notre tentative raisonnable pour donner un prix unique au livre numérique. Elle paraît résolue à accepter que des entreprises comme Google ou Apple vendent les livres numériques au prix qu'elles veulent, alors que ces entreprises implantées de l'autre côté de nos frontières, échappent quasiment à tout impôt, à toute contrainte.

Nous avons fêté le cinquième anniversaire de la Convention de 2005, dans les anciens bâtiments de l'Imprimerie nationale, sous les auspices du ministère des Affaires étrangères. Nous n'y étions pas nombreux, 150 tout au plus, et je ne peux exprimer le contraste entre la tribune toute acquise au bilatéralisme, ne parlant que commerce et concurrence, et la salle, protestant avec véhémence : triste anniversaire ! Autre anniversaire, autre climat : celui de l'Administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), où la salle, nombreuse, était vent debout contre les accords bilatéraux qui rognent toujours plus le droit d'auteur ! Il y a eu celui passé avec les Caraïbes, pour lesquelles la France a pensé faire un geste. Mais les enjeux sont bien plus importants pour la renégociation de l'accord avec la Corée du Sud, où les États-Unis sont parvenus à imposer un quota plancher pour la diffusion de films américains. Et cette renégociation importante est confiée au commissaire européen du commerce et de la concurrence ! Il en sera de même demain, pour négocier avec l'Inde, première puissance cinématographique mondiale !

Vous vous félicitez de l'article 20 de la Convention ? « Les Parties reconnaissent qu'elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente Convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traités : (a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et (b) lorsqu'elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu'elles souscrivent à d'autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention. Rien dans la présente Convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d'autres traités auxquels elles sont parties ». C'est un modèle d'ambiguïté ! Je peux le dire pour avoir participé à la négociation (les ONG étaient admises), nous n'en voulions pas. Le travail sera immense, nous devons nous aussi mobiliser toutes nos forces, et rencontrer M. Barnier, sinon la Convention de 2005 risque bien de n'être qu'un emplâtre sur la jambe de bois de la marchandisation triomphante !

Cet article 20 m'évoque la réponse de Robert Musil quand on lui demanda comment il définissait un quadrupède : « La chaise, l'équation du quatrième degré, la table et le chien ». Je vous citerai encore la poétesse russe Marina Tsvetaieva : « Le matériau des chaussures, le cuir peut être estimé, il est fini ; le matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit ne peut être estimé, il est infini. Il n'existe pas de chaussure pour toujours ; chaque vers de Sapho est donné une fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas. Tandis que des vers, ô combien ! ». Voilà la nourriture spirituelle de la Convention, qui n'est pas suffisamment prise en compte dans la pratique !

Nous attendons donc beaucoup de vous, d'autant que vous connaissez les continents où la situation est pire que la nôtre. L'on doit réguler le bilatéralisme car un petit contre un gros, c'est toujours un danger ! Je rends hommage au travail réalisé par M. Toubon, mais il faut aujourd'hui aller plus loin et nous comptons sur votre engagement dynamique !

M. Bernard Fournier. - Je note avec satisfaction le poids et l'influence du groupe francophone mais comment expliquez-vous cet engouement ?

Mme Rama Yade. - En tant que vice-présidente du groupe francophone à l'Unesco, je suis bien sûr très sensible aux atouts de la francophonie. Celle-ci repose sur une solidarité, une communauté de culture, une approche spécifique et le souci de continuer à faire entendre cette voix singulière. Voilà un bien précieux à préserver, y compris en France, pour que les Français s'appuient sur la francophonie. L'on peut d'ailleurs s'enorgueillir d'une telle dynamique, ce qui n'exclut la vigilance.

L'article 20 est-il ambigu, monsieur Ralite ? Mais cela est volontaire, c'est le lot de la diplomatie, et je crois que chercher à modifier l'article, ce serait ouvrir la boîte de Pandore, au risque d'encourager les véritables opposants à l'expression de la diversité culturelle à revenir à la charge. Personne ne sait comment serait tranché un conflit entre les règles de l'OMC et la Convention de 2005. Il est vrai que des accords bilatéraux peuvent chercher à contourner celle-ci, c'est un défi à relever et c'est bien pourquoi l'Union européenne et la France poursuivent cette stratégie consistant à intégrer ses principes chaque fois que c'est possible. Nous sommes dans un rapport de forces géopolitique, mais nous ne sommes pas seuls, et nous pouvons compter, au-delà de l'Europe, sur les pays de la francophonie pour équilibrer le débat.

La période serait-elle molle ? Le temps a été mis à profit pour préciser l'application de la Convention. La période ne semble pas atone aux pays en voie de développement, qui sont les plus mobilisés. Quant à la participation budgétaire de la France, on peut en effet souhaiter une augmentation de notre contribution, à proportion du leadership auquel nous prétendons.

M. Claude Bérit-Débat. - Madame l'ambassadeur, quelles sont vos priorités, et quelle est la stratégie de la France pour défendre cette vision ?

M. David Assouline. - La grande avancée de la Convention est l'idée que la culture n'est pas une marchandise comme les autres. Sauf que l'on ne sait pas comment faire dans une économie numérique, sans frontière ni possibilité de construire des digues artificielles, et alors que les propriétaires de quasiment tous les réseaux se trouvent dans un seul pays, les États-Unis. Comment parvenir à un prix unique pour le livre numérique ? Nous saluons tous l'utilité du prix unique du livre, mis en place depuis 1985 et nous voulons suivre la même méthode pour le livre numérique. Cependant, la Commission européenne paraît disposée à accorder à Google ou à Amazon le droit de vendre les livres numériques au prix qu'elles veulent, ce qui casserait tout notre dispositif. Pour justifier le prix unique, nous nous référons à la Convention de 2005 pour exiger l'extraterritorialité. Donnez-nous votre point de vue : nous pourrons en faire état dans le débat parlementaire.

Mme Colette Mélot. - Notre proposition de loi sur le livre numérique vise effectivement à réguler le marché numérique tout en garantissant le maintien de la richesse éditoriale. La Commission européenne risque de contester la clause d'extraterritorialité, ce qui ruinerait nos espoirs de régulation. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps d'alléguer la clause d'exception culturelle ?

M. Yannick Bodin. - Nous parlons entre sachants. Or, si l'opinion publique connaît l'Unesco de nom, nos compatriotes seraient bien en peine pour dire quelles en sont les actions, alors même que les sujets dont nous parlons aujourd'hui sont très importants : par quelle communication comptez-vous faire mieux connaître votre institution ?

M. Jacques Legendre, président. - Lorsque nous nous étions saisis pour avis du projet de loi ratifiant la Convention de 2005, M. Musitelli nous avait dit combien le texte en avait été négocié, comment il avait fallu tenir compte des réticences pour parvenir à un compromis, pourquoi, en un mot, il avait fallu accepter d'affaiblir la Convention, plutôt que de devoir y renoncer. Si donc je regrette l'ambiguïté de l'article 20, je sais aussi que cette Convention a le mérite d'exister. Nous devons rester vigilants, et nous souvenir que les États-Unis avaient quitté l'Unesco, parce qu'ils refusaient de financer le quart du budget d'une organisation qu'ils ont réintégrée avec l'objectif d'empêcher la Convention de 2005 de voir le jour : les choses étaient donc loin d'être acquises.

Si l'on a, alors, beaucoup parlé d'exception culturelle, c'était par référence à une clause que le Canada avait obtenue dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain ALENA : en Amérique du nord, les biens culturels échappaient par exception à la libre circulation des marchandises, et c'était là une victoire obtenue de haute lutte par les Canadiens pour leur cinéma menacé par Hollywood. Nous voulions reprendre ce mécanisme dans le cadre du GATT, mais l'expression s'est alors révélée malheureuse, en accréditant l'idée que la France défendait sa « culture exceptionnelle »,...

M. Jack Ralite. - Jean-Marie Messier ?

M. Jacques Legendre, président. - Restait la question de savoir si l'on devait faire vivre ce principe par la voie de l'OMC ou de l'Unesco, qui a semblé plus favorable à nos thèses. Ce combat a été mené en liaison étroite avec le Canada - donc le Québec. Ce groupe francophone fort a eu un effet d'entraînement sur les autres pays européens, qui ont signé. M. Ralite était alors intervenu, comme je l'avais fait dans l'enceinte de l'Unesco.

Ce qui me préoccupe, et cela rejoint notre débat sur le livre numérique, c'est que bien que tous les pays européens - sauf la Belgique, pour les raisons internes que l'on connaît - aient ratifié la Convention, la Commission européenne n'a pas intégré cette volonté des États membres. Vous paraît-il envisageable, madame l'Ambassadrice, de s'appuyer sur la Convention pour pousser à une renégociation de la directive services ? Car aujourd'hui, la Commission européenne nous objecte que le livre numérique n'étant pas un bien concret, elle relève de la directive services. D'où nos difficultés à imposer le prix unique à des éditeurs hors territoire national. Moyennant quoi, Amazon a les mains libres... Allons-nous agir ? Nous sommes au coeur du débat : les États membres ont marqué leur souci de préserver la diversité culturelle, mais la Commission européenne, qui reste obnubilée par le principe de libre circulation des biens et des services, n'applique pas l'esprit de la Convention.

Mme Rama Yade. - Les priorités de notre action, monsieur Bérit-Débat, sont définies par les ministères. Elles vont à la poursuite du mouvement de ratification, en encourageant les États non signataires, comme le Japon ou la Belgique ; au renforcement des mécanismes en place dans les pays en développement, d'où l'importance du Fonds international et de la question du traitement préférentiel. Cela témoigne bien de l'intérêt concret du texte, qui ne porte pas seulement des principes mais des actions. Autre priorité, faire du grignotage à rebours, en militant pour que les principes de la Convention soient intégrés dans nos accords bilatéraux, afin d'éviter que l'esprit, voire la lettre du texte ne soient détournés. Tout en travaillant à inspirer l'agenda culturel de l'Unesco, nous appelons l'Union européenne et les États à décliner les principes de la Convention : c'est un combat permanent, qui vise à faire essaimer l'esprit du texte en Europe, et à éveiller la vigilance.

Quoique fondamentale, la question du livre numérique, monsieur Assouline, madame Mélot, n'est pas abordée dans le cadre de la Convention. Elle relève de la problématique des langues et du patrimoine. L'Unesco fonctionne, en ce dernier domaine, de manière empirique, au cas par cas. La numérisation des contenus culturels est cependant pour elle un enjeu, sur lequel elle agit, conformément à l'objectif qui lui est assigné de contribuer à la paix, y compris par les moyens de l'information et de la communication. De cette question, la directrice générale, Mme Irina Bokova, entend faire une priorité de son mandat. C'est ainsi qu'elle a souhaité conforter la coopération entre l'Unesco et la France dans le cadre de la présidence du G20, afin que ce souci y rencontre un écho. Le ministre de la culture l'a invitée à participer cet automne, au forum d'Avignon pour le G8 élargi. Reste que les décisions de l'Unesco se prennent par consensus et requièrent l'accord de 193 États, d'où une certaine lenteur. Pour aller de l'avant, la directrice générale entend organiser en 2012 une conférence sur le sujet.

La politique de communication, monsieur Bodin ? L'Unesco, qui existe depuis l'après-guerre, se consacre pour beaucoup à la prospective et à la rédaction des normes internationales dans le champ de son activité. La directrice générale souhaite mettre en place un important travail de communication afin de faire mieux connaître l'institution. Son siège étant établi en France, elle mériterait d'être mieux connue de nos compatriotes. Nous avons un rôle particulier à jouer. Les commissions nationales sont adossées aux délégations, et les experts qui s'y impliquent représentent la société civile.

Reste que l'activité de l'Unesco est technique, et le fruit d'un long travail de dialogue, ce qui ne facilite pas la vulgarisation, même si la grande qualité de ses travaux justifie qu'ils soient mieux connus du grand public. Outre une bonne coopération avec le G20, une visite du Président de la République serait un bon moyen de faire connaître l'Unesco.

Mettre en cause la directive « Services » en s'appuyant sur la Convention, monsieur le Président ? Encore une fois, l'Unesco fonctionne beaucoup au cas par cas. Le chantier que vous appelez de vos voeux n'est pas ouvert aujourd'hui. Aux ministères d'y réfléchir.

M. Jacques Legendre, président. - Nous souhaitons que le Gouvernement français engage une réflexion sur les moyens de s'appuyer sur la Convention afin de reposer le problème de la directive « Services » qui, en l'état, nuit à l'objectif de préservation de la diversité culturelle. Tel est le message que nous aimerions vous voir relayer. Je suis sûr que notre ministre des affaires étrangères peut y être sensible, comme le ministre délégué aux affaires européennes. Le Président de la République lui-même, qui a récemment réuni les acteurs de l'Internet, ne devrait pas y être indifférent.

M. Bodin a fait preuve d'optimisme en nous qualifiant de « sachants » : nous aurions bien besoin de connaître de plus près l'institution de l'Unesco, et c'est pourquoi je reprends ici la suggestion de Mme Malovry de vous rendre visite.

Mme Rama Yade. - Excellente idée. Mais vous savez la situation de l'édifice : vous ne manquerez pas de recevoir, à ce sujet, un message des délégations. Au vrai, l'Unesco est établie sur deux sites, celui de la place Fontenoy, dans le VIIe arrondissement, qui accueille les grandes conférences et, à proximité, l'immeuble du XVe qui abrite la plupart des délégations, sauf celles des États-Unis, du Japon et des Pays-Bas.

M. André Reichardt. - Je m'interroge sur la question des coopérations décentralisées. Il n'en est aucune qui n'intègre peu ou prou la culture. Et la diversité culturelle est toujours la règle. L'Unesco suit-elle ces actions ? Bien des collectivités territoriales y sont engagées, des plus importantes aux plus modestes - je puis citer le cas, dans ma région, d'une commune de 300 habitants qui mène une coopération exemplaire avec le Sénégal en faveur de la lecture publique. Alors que l'action de l'État n'est pas toujours à la hauteur, la coopération décentralisée fonctionne fort bien. Les petits ruisseaux, madame l'Ambassadrice, font les grandes rivières...

Mme Rama Yade. - L'Unesco est une organisation intergouvernementale, mais ce peut en effet être un objectif que de s'ouvrir vers d'autres partenaires que les États : collectivités territoriales ou partenaires privés, avec leurs fondations. La directrice générale souhaite développer de tels partenariats. Quant aux collectivités, nous travaillons beaucoup avec elles, pour l'essentiel dans le cadre du classement au patrimoine mondial, pour lequel elles présentent des dossiers.

M. Jacques Legendre, président. - Je vous remercie, madame l'Ambassadrice, d'avoir aimablement répondu à notre invitation. Nous ne manquerons pas de vous rendre visite.