Mercredi 26 septembre 2007

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Sports - Associations de supporters - Examen du rapport d'information

La commission a tout d'abord entendu MM. Bernard Murat et Pierre Martin, co-rapporteurs, sur le rapport du groupe de travail sur les associations de supporters.

M. Bernard Murat, rapporteur, a rappelé en introduction qu'à la suite des évènements du 23 novembre 2006 ayant conduit à la mort d'un supporter du Paris Saint-germain (PSG), la commission avait mis en place un groupe de travail sur les associations de supporters, mais qu'entre ce drame et la constitution réelle du groupe de travail en mars 2007, de nombreux actes de violence avaient été constatés à Nancy le 30 novembre, à Lille, le 20 février en Coupe d'Europe, et le 3 mars à Sedan et à Saint-Etienne.

S'interrogeant ensuite sur le fait de savoir pourquoi le football est le seul sport concerné, il a expliqué que le spectacle sportif était potentiellement plus violent que le théâtre ou un concert parce que les spectateurs étaient très nombreux, que le public prenait une part active à l'animation par les chants et les sifflets, que la compétition inhérente au spectacle était créatrice de conflits et que les spectacles violents entraînaient souvent des comportements violents chez les spectateurs.

M. Bernard Murat, rapporteur, a observé que cela n'expliquait toutefois pas pourquoi au rugby, les tribunes étaient relativement paisibles. Il a donc identifié des facteurs complémentaires :

- l'âge des spectateurs est un élément central de l'explication. Au football, 80 % des spectateurs ont moins de 40 ans et les supporters ont en général entre 15 et 25 ans. Ils ont un comportement lié à leur classe d'âge. Au rugby, les spectateurs, plus âgés, exercent un contrôle social fort sur leurs pairs. Par ailleurs, l'avènement du football dans les années 1970 s'est fait à un moment où la jeunesse prenait son autonomie et une culture spécifique des supporters de football s'est développée, non pas forcément violente, mais caractérisée par une animation « musclée » : chants puissants, insultes pour déstabiliser l'adversaire et l'arbitre et utilisation de fumigènes...

- les qualités dramaturgiques du football, en raison du faible nombre de buts et de l'incertitude qui pèse tout au long des matchs, ont une influence sur le comportement des supporters ;

- mais surtout, la médiatisation extrême des enjeux liés au football donne un caractère public aux actions menées par les supporters, ce qui les pousse à adopter des comportements leur permettant d'être encore plus connus et médiatisés.

Après s'être demandé si la violence était le fait d'un grand nombre ou d'une poignée de supporters, M. Bernard Murat, rapporteur, a distingué quatre types de supporters :

- les spectateurs, qui constituent probablement la majorité du public dans les stades, venant seuls au stade ou en petits groupes, et manifestant éventuellement leurs sentiments de manière isolée par des applaudissements ou des huées. Ils s'opposent aux insultes collectives et à la violence physique ;

- les supporters adhérents d'associations traditionnelles de supporters, loyales et intégrées au club. Ils organisent leur présence au stade collectivement et manifestent leur soutien par des chants et des animations (drapeaux, ballons gonflables, banderoles). Leurs associations s'opposent à la violence physique, voire verbale, et adhérent à la Fédération des associations de supporters (FAS), qui préconise une attitude fair-play. Elles sont les interlocuteurs privilégiés des clubs, ainsi que de la Ligue de football professionnel (LFP), qui admet un membre de la FAS au sein de sa commission nationale sur la sécurité et l'animation dans les stades. Ces supporters sont en général plus âgés et viennent aux matchs en famille ;

- les membres des associations dites « ultras ». Ils passent beaucoup de temps à soutenir l'équipe, par leur présence régulière au stade et aux déplacements de l'équipe et par la préparation de nombreuses animations pendant la semaine, notamment les « tifos » déployés pendant le match et longuement préparés. Les supporters « ultras » se retrouvent pendant le match dans les kops et restent debout la plupart du temps ; leur action est très démonstrative, avec notamment l'utilisation de mégaphones, d'insultes, et de chants qui se moquent de l'adversaire. Ces manifestations ne dégénèrent que très occasionnellement en actes brutaux, le plus souvent liés au contexte spécifique du match, ou à la provocation de supporters adverses. M. Bernard Murat, rapporteur, a estimé que cet aspect imprévisible des ultras entraînait des difficultés de communication avec les instances du football ;

- enfin, les « hooligans » constituent la dernière catégorie de supporters, dont l'attachement au club, probablement réel au début, a dévié vers un soutien violent qui est devenu l'objet de leur venue au stade. Comme le stade est un territoire où le contrôle est relativement aisé, ils ont tendance à exercer leurs violences sur d'autres terrains comme les gares ou les parkings de supermarché.

M. Bernard Murat, rapporteur, est enfin intervenu plus largement sur le problème de la violence dans et aux abords des stades.

Soulignant que la prévention était un aspect majeur et que le dialogue avec les associations ultras était une nécessité, il s'est félicité que ces groupes aient récemment réussi à mettre en place une coordination nationale avec laquelle les autorités peuvent discuter.

Il a noté que les associations de supporters traditionnelles mettaient en place des actions très intéressantes, comme le programme « Jeunes supporters citoyens» qui promeut auprès des plus jeunes une nouvelle forme, plus positive, de manifestations de soutien. Il a valorisé ces actions qui ont pour objectif de changer la culture du supporter de football par le soutien des bonnes pratiques de supporters.

M. Bernard Murat, rapporteur, a ajouté que la mise en place de la vidéosurveillance, par les clubs pour l'entrée du stade, et par les collectivités territoriales aux abords des enceintes sportives, était également une solution qui permettrait aux riverains des stades d'être moins touchés par le phénomène et au football d'améliorer sa réputation.

Il a jugé que la répression devait également être utilisée. Les insultes racistes et les fumigènes, même lorsqu'ils relèvent plus de la provocation que de la volonté de nuire, doivent faire l'objet de condamnations. A ce titre, il a insisté sur l'importance de la fourniture des preuves pour que des peines d'interdiction de stade soient prises par les juges.

Il a observé que la répression ne devait pas concerner uniquement les supporters dans la mesure où les insultes proférées par les joueurs et les entraîneurs, notamment envers l'arbitre, et les provocations des présidents de club via les médias, avaient un impact sur le comportement des supporters.

Il appartient à la Ligue de football professionnel et aux collectivités territoriales de faire pression sur les dirigeants, respectivement à travers des sanctions sportives et financières, afin qu'ils ne jettent pas inutilement de l'huile sur le feu, prenant exemple sur le rugby, où ce ne sont pas seulement les supporters, mais bien l'ensemble des acteurs qui tentent d'adopter des comportements fair-play.

Abordant le dernier point de son exposé sur la nécessité de promouvoir les associations de supporters, M. Bernard Murat, rapporteur, a expliqué que, dès les premières auditions, il était rapidement apparu au groupe de travail que les associations de supporters ne devaient pas être envisagées uniquement sous l'angle de la violence. En effet, le ciment d'identification locale que constitue un club sportif est un élément essentiel pour les collectivités territoriales, qui doivent par conséquent s'investir sur la question des supporters. Les associations de supporters jouent également un rôle important d'intégration sociale pour leurs membres et de consolidation des identités individuelles et collectives pour les plus jeunes, et peuvent également constituer des espaces d'apprentissage de la vie associative et militante.

Soutenant également que les associations de supporters pouvaient être régulatrices de violence, ce qui en fait des acteurs sociaux incontournables, M. Bernard Murat, rapporteur, a souhaité que les autorités publiques et les collectivités territoriales engagent le dialogue avec les associations de supporters, même ultras afin de promouvoir leur structuration.

Il a jugé, enfin, que le droit de dissoudre des associations de supporters instauré en 2006 devait rester une arme purement dissuasive, permettant de fixer un cadre de discussion.

En préambule de son intervention, M. Pierre Martin, rapporteur, a déclaré que l'idée selon laquelle les stades étaient de plus en plus violents était une idée reçue. En effet, à Constantinople, dès l'an 532, l'armée a sauvé de justesse le règne de Justinien, menacé par des supporters violents. Il a remarqué ironiquement que les événements actuels n'étaient pas de cette ampleur et ne nécessitaient pas le recours à l'armée.

Il a annoncé qu'il allait procéder à un bilan des violences actuelles avant de présenter les propositions du groupe de travail.

S'agissant de la situation en France, il a observé que 95 % des matchs avaient lieu sans incident, mais que le bilan des exactions commises à l'occasion des matchs de football professionnel de la saison 2006-2007 avait cependant permis de recenser 400 incidents, ce qui constitue une stabilisation par rapport à la saison précédente.

A titre de comparaison, il a relevé que 3.462 arrestations pour des infractions concernant le football avaient été comptabilisées en Angleterre pendant la saison 2005/2006. Il a néanmoins remarqué que, depuis l'année 2000, les incidents liés au football étaient en constante augmentation.

Il a commenté, ensuite, l'évolution des incidents les plus généralement relevés :

- les actes de violence, bien qu'en léger recul, restent assez élevés ;

- l'usage des fumigènes et des autres moyens pyrotechniques, progresse, quant à lui, de 15 % : l'utilisation des fumigènes semble en effet être un point de crispation pour les supporters, notamment les ultras, qui considèrent qu'ils participent utilement à l'animation sportive. Le rapporteur a rappelé que ces fumigènes font régulièrement des blessés et a insisté sur le maintien de leur interdiction.

- les attitudes ostensibles de racisme, qui sont en baisse en 2006/2007, avec 9 faits recensés d'agressions ou tentatives d'agressions physiques et 11 faits de provocations verbales ou de comportements gestuels injurieux.

M. Pierre Martin, rapporteur, a par ailleurs noté, pour s'en inquiéter, que l'efficacité de la lutte contre les violences dans les stades a entraîné des phénomènes de violence, plus ou moins liés au football, à l'extérieur des stades, notamment des batailles rangées entre hooligans rivaux, lors de rendez-vous fixés dans le but de s'affronter physiquement. Alors qu'aucun événement de ce type n'a été enregistré pendant la saison 2005/2006, 16 de ces confrontations violentes ont eu lieu la saison dernière ; elles ont impliqué des supporters de 15 clubs différents.

Faisant un panorama des mesures mises en oeuvre au Royaume-Uni pour lutter contre la violence dans les stades, il a estimé que certaines de ces solutions pouvaient être préconisées en France.

Concernant l'accueil des supporters, il a souligné que le recrutement de stadiers dans les clubs anglais, qui ont un rôle majeur de prévention des conflits grâce à leur connaissance des supporters et de leurs manières de fonctionner, était une telle réussite que de nombreux matchs se jouaient aujourd'hui sans aucune présence policière, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur des stades.

M. Pierre Martin, rapporteur, a rappelé, à cet égard, qu'en France, l'organisateur d'un spectacle sportif était responsable de la sécurité des personnes dans l'enceinte de la manifestation, et devait également surveiller ses accès. Dans le cas du football, les clubs sont donc responsables des rencontres qui se déroulent dans le stade qu'ils occupent et l'embauche de stadiers correspond ainsi à une obligation légale. Or de nombreux clubs ne sont pas conscients de ces obligations et ne mettent pas en place suffisamment de stadiers dans l'enceinte sportive. Il est donc nécessaire de les alerter sur la formation des stadiers, d'autant plus importante qu'un récent décret les a autorisés à procéder aux palpations de sécurité, qui permettent d'empêcher l'entrée de fumigènes dans le stade.

Evoquant l'encadrement préventif des supporters, M. Pierre Martin, rapporteur, a décrit le programme mis en place en Belgique, appelé « fan coaching », organisant notamment l'accompagnement physique du noyau dur de supporters par les éducateurs à l'occasion de tous les matchs. Cet encadrement permet, par une position privilégiée au coeur des événements, de désamorcer certains incidents dès leur genèse et d'induire un contrôle social informel qui engendre un comportement positif du groupe. Il a indiqué ensuite qu'en Angleterre, les supporters des 96 clubs professionnels étaient suivis par un policier référent toute la semaine, son rôle étant de prévenir les conflits, de collecter des informations sur les groupes, et éventuellement de réunir les preuves (grâce à un équipement vidéo) du comportement délictueux de certains supporters.

Notant que la Ligue de football professionnel (LFP) préconise que les clubs français assurent l'encadrement de leurs supporters en déplacement dès que le nombre dépasse la cinquantaine, il a recommandé que la police nationale envoie des policiers en permanence dans les clubs à risque, ces policiers devant être connus des groupes de supporters afin de jouer un rôle préventif. Il a ajouté que cette politique préventive permettrait de diminuer les effectifs des forces de l'ordre aux abords des stades, et donc de diminuer les dépenses pour certaines rencontres de football.

Abordant la question de la sécurité dans les stades, M. Pierre Martin, rapporteur, a relevé que les grilles séparant les tribunes du terrain avaient causé plus de morts chez les supporters que la violence des hooligans.

Il a donc préconisé une mesure réglementaire visant à les interdire, notant que l'Union des associations européennes de football (UEFA) y était favorable.

Il a souhaité rappeler qu'en France les stades appartenaient aux collectivités territoriales, qui étaient dès lors responsables des aspects de sécurité matérielle, même pendant les matchs.

S'agissant de l'information et de la coordination, le rapporteur a expliqué qu'en France, les renseignements généraux avaient une tâche difficile de prévention des conflits, grâce à la collecte d'informations. Il a suggéré l'utilisation d'informateurs membres des groupes de supporters, éventuellement rémunérés, pour améliorer la situation.

Abordant le sujet des mesures à caractère répressif, il a remarqué que les différents délits comme le jet de projectiles sur le stade étaient déjà passibles d'une peine complémentaire d'interdiction de stade et de ses abords, pour une durée maximale de 5 ans. Il a relevé que depuis 2006, cette peine pouvait, en outre, être assortie d'une astreinte obligeant l'intéressé à pointer au commissariat pendant le match.

Mais il a regretté que seulement une centaine d'interdictions judiciaires de stade, aient été prononcées, eu égard au nombre d'incidents relevés. Il a observé que les 3.500 interdictions prises en Angleterre avaient fait fléchir la violence dans les stades de 22 % en 3 ans.

Il a indiqué également que, depuis 2006, le préfet pouvait prendre une mesure administrative d'interdiction de stade à l'encontre d'individus dont le comportement d'ensemble avait constitué une menace à l'ordre public à l'occasion de manifestations sportives et que, selon les informations recueillies auprès des services du ministère de l'intérieur, 200 de ces mesures avaient été prises l'année dernière.

En Angleterre, ces interdictions peuvent aller de 3 à 10 ans et un effort très important a été fait en matière de réunion des preuves grâce à l'utilisation intensive de la vidéo-surveillance dans les stades, mais aussi aux abords. L'interdiction de stade peut, en outre, être accompagnée d'une interdiction de se déplacer dans certains lieux (bars habituels, gares à proximité des stades), voire à l'étranger (dépôt du passeport au commissariat quelques jours avant les rencontres internationales...), ce qui permet aussi de faire diminuer les violences en dehors des stades.

M. Pierre Martin, rapporteur, a donc proposé d'ouvrir la possibilité de porter l'interdiction administrative à une année entière, afin que les éléments violents puissent être écartés du stade en attente de la décision judiciaire, et de prévoir que les interdictions judiciaires de stade aient une durée minimale de 3 ans, ce qui serait un élément extrêmement dissuasif.

Un débat a suivi l'exposé des rapporteurs.

Reconnaissant le travail à caractère quasiment ethnologique accompli par les rapporteurs, notamment dans leur appréhension des modes de fonctionnement des supporters, M. Jacques Legendre a insisté sur l'importance de la réaffirmation du caractère intangible de la loi dans les stades et sur la condamnation sévère des insultes racistes et des jets de fumigènes, qui dénaturent le sport.

Interrogé par M. Serge Lagauche sur les raisons de la spécificité footballistique en matière de violence des supporters, M. Bernard Murat, rapporteur, a indiqué que la sociologie particulière des stades de football, le nombre très élevé de spectateurs, et la médiatisation dont ce sport faisait l'objet étaient les principaux facteurs explicatifs. M. Pierre Martin, rapporteur, a ajouté que la marchandisation du football et la perte des liens unissant les supporters aux acteurs du monde du football, joueurs et dirigeants, jouaient également un rôle.

M. Ivan Renar a observé que la violence des supporters posait le problème plus général de l'augmentation de la violence dans les sociétés contemporaines et a estimé que la perte des valeurs en était le point commun évident.

En réponse à M. Jean-Paul Emin sur l'intérêt de légiférer à nouveau en la matière, M. Pierre Martin, rapporteur, a précisé que les principales préconisations du rapport relevaient de la politique publique de la lutte contre la violence dans les stades, mais que certaines propositions, notamment concernant les interdictions de stade, supposaient clairement des modifications législatives.

Reprenant la distinction entre les traditions britannique et italienne de supportérisme, M. Jean-François Picheral a estimé que le dialogue avec les supporters avait fait la preuve de son efficacité dans les clubs du sud de la France, où les associations de supporters sont davantage organisées.

M. Jean-Pierre Chauveau a rappelé que dans la majorité des clubs professionnels, les problèmes de violence étaient réglés et qu'une attention particulière devait être portée lors des déplacements des équipes et des supporters.

Complétant cette analyse, M. Jacques Valade, président, a noté que le public de l'équipe de football bordelaise n'avait pas quitté le stade, ni provoqué de violence lorsque le club était descendu en deuxième division. Il a également souligné l'importance du contrôle des déplacements des supporters. Il a enfin remarqué que la configuration des stades et l'utilisation des caméras de vidéo-surveillance étaient des éléments essentiels de la sécurité des spectateurs.

La commission a enfin approuvé à l'unanimité les conclusions du groupe de travail et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Culture - Secteur de l'édition - Examen du rapport d'information

La commission a ensuite entendu le rapport de M. Jacques Valade, président, sur l'avenir du secteur de l'édition.

M. Jacques Valade, président, a rappelé que les travaux préparatoires de la loi du 1er août 2006 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information (dite DADVSI) avaient montré que les bouleversements entraînés par les technologies numériques allaient s'étendre à l'ensemble des formes d'expression culturelle et que le livre et l'écrit seraient aussi, et de plus en plus, affectés.

Ces considérations ont conduit la commission à mettre à profit la suspension des travaux législatifs imposée par la double campagne électorale, pour engager une réflexion sur les problématiques du livre et de l'édition face à des mutations qui ont déjà commencé. Dans cette perspective, elle a rencontré quelques-uns des principaux acteurs de la « chaîne du livre » pour recueillir leur point de vue sur leurs difficultés, sur les atouts dont ils disposent pour les surmonter, et sur l'appui que peuvent leur apporter les pouvoirs publics.

M. Jacques Valade, président, s'est réjoui que la Direction du livre et de l'écrit et le Centre national du livre aient, au même moment, lancé une grande enquête sur l'avenir du livre avec les acteurs concernés, et a rendu hommage à Sophie Barluet, qui a eu le courage de conduire à son terme cette mission « Livre 2010 » quelques jours avant sa disparition. Il a relevé que la commission partageait largement les constats et les propositions qu'elle a formulées.

Abordant pour commencer le diagnostic des forces et des faiblesses du livre, il a dressé quatre constats.

Il a d'abord rappelé que l'avenir du livre dépendait de l'intérêt du public pour la lecture, et s'est alarmé du recul de cette dernière, dont témoignent plusieurs enquêtes statistiques. Après avoir relevé que très peu de nos compatriotes vivaient dans un foyer sans livre et que 63 % en avaient acheté dans l'année, il a regretté que ni ces facilités d'accès au livre, ni les progrès de la scolarisation n'aient enrayé un fléchissement de la lecture dû à la réduction du nombre de « gros » lecteurs.

En second lieu, il a remarqué que le déclin de la lecture ne s'accompagnait, paradoxalement, ni d'un recul de la production écrite, ni d'une contraction de l'offre éditoriale.

Il a souligné le caractère particulier du métier d'écrivain, qui tient à ce que ces dernier, à de rares exceptions, ne peuvent vivre de leur plume et sont contraints de cumuler leur activité d'écriture avec un second métier plus rémunérateur.

Il a jugé nécessaire de consolider leur statut social fragile, comme s'y est efforcé le Parlement avec la loi du 10 juin 2003 relative à la rémunération au titre du prêt en bibliothèque et la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

Il a estimé que le numérique était, pour eux, à la fois une menace, car il permettait le contournement de leurs droits, et une formidable opportunité, comme en témoignait la floraison des « blogs » qui favorisent aujourd'hui l'émergence d'une nouvelle forme de production écrite immédiate et foisonnante. A cet égard, il a noté qu'ils contournaient les circuits traditionnels de la diffusion de l'écrit et de son exploitation économique, puisqu'ils relevaient soit de la gratuité, soit du financement publicitaire.

Il a ensuite insisté sur le rôle des traductions dans l'échange des idées, et l'élargissement de l'audience d'une oeuvre, se réjouissant que la France soit en ce domaine l'un des pays les mieux dotés : la littérature étrangère y représente 40 % du marché du livre littéraire, alors que la traduction ne représente que 2,8 % du marché américain.

L'équilibre économique du livre traduit étant difficile à atteindre, il a jugé indispensable la poursuite du soutien apporté par le Centre national du livre.

Il a ensuite décrit le poids du secteur de l'édition, qui constitue le premier secteur culturel en France, avec un chiffre d'affaires double de celui du cinéma, estimant que la production éditoriale était aujourd'hui marquée par deux tendances :

- une augmentation exponentielle du nombre de titres publiés, aussi bien pour les nouveautés, qui sont passées de 20.000 de 1990 à 35.000 en 2005, que pour les réimpressions, passées de 18.000 à 33.000 sur la même période ;

- une diminution concomitante des tirages moyens : 8.400 en 1990, tombés par étapes à 6.000 en 2005, qui s'accompagne d'une réduction de la durée d'exposition du livre en librairie, ramenée aujourd'hui à une dizaine de semaines.

Il a observé que cette apparente diversité s'accompagnait d'un rétrécissement de la demande autour de quelques grands succès, amplifiés par les médias.

Il a ensuite estimé que les différents segments de l'édition n'étaient pas également concernés par l'arrivée des technologies numériques : alors qu'un consensus assez général se dégageait pour considérer que « la littérature » resterait longtemps encore attachée au « livre papier », les technologies numériques présentaient, dans le secteur des sciences, dans celui des encyclopédies et des dictionnaires, des atouts indéniables, et de grands acteurs de l'édition spécialisée avaient d'ailleurs su en tirer profit, au prix de lourds investissements.

Relevant l'intérêt pédagogique des technologies numériques pour l'enseignement scolaire, il a jugé que l'école ne pourrait plus rester longtemps à l'écart d'un monde dans lequel les élèves sont déjà pleinement immergés.

Le troisième constat du rapporteur porte sur la librairie, dont il a estimé qu'elle constituait aujourd'hui le secteur le plus fragile et le plus menacé de la chaîne du livre. Comme l'a récemment confirmé une étude diligentée par le syndicat de la librairie française, le syndicat national de l'édition et le ministère de la culture : sa rentabilité est faible ; sa marge nette est absorbée en grande partie par les frais de personnels ; et son équilibre financier est compromis aujourd'hui par l'alourdissement du poste « loyer », dû à la hausse de l'immobilier, et du poste « transports », dû à la hausse des carburants.

Soulignant que les librairies n'étaient pas seulement des instruments irremplaçables de la diffusion du livre et de la lecture, mais qu'elles jouaient un rôle d'animation en centre-ville, il a approuvé le principe d'un soutien à la librairie, pour lui permettre de surmonter ses difficultés actuelles, et de mieux résister à la concurrence des ventes en ligne.

Toutefois, il a estimé que, compte tenu de leurs avantages intrinsèques -étendue du catalogue disponible, facilité de commande, gratuité du port- les ventes en ligne ne pouvaient que progresser : ce développement était d'ailleurs, en soi, positif, car il permettait à des clients éloignés des centres urbains d'avoir eux aussi accès à une offre large et contribuait en outre à l'allongement du cycle économique du livre en proposant des titres déjà anciens.

Il a donc jugé complémentaires le soutien à la librairie indépendante et le développement de la vente en ligne et conclu qu'il fallait encourager les librairies à se doter à leur tour de plate-formes de vente en ligne pour leur permettre d'élargir leur zone de chalandise.

Abordant en quatrième lieu la situation des bibliothèques, il a noté qu'elles jouissaient d'un succès croissant, notamment auprès des écoliers et des étudiants, qui les considèrent de plus en plus comme des lieux d'emprunt, des lieux de ressources, et des lieux de travail.

Il a cependant déploré un certain nombre d'insuffisances : persistance d'inégalités territoriales, pauvreté des catalogues des bibliothèques universitaires, enfin horaires d'ouverture trop contraints, souvent en décalage avec les moments où les jeunes sortent de l'école, et où le public dispose de temps libre.

Puis M. Jacques Valade, président, a exposé les propositions formulées par les professionnels du secteur que la commission pourrait soutenir.

Tout d'abord, s'agissant de l'amont de la filière, c'est-à-dire des créateurs -auteurs et illustrateurs- et des traducteurs, deux points lui ont paru essentiels : la nécessité de favoriser l'élaboration d'un nouveau code des usages entre auteurs et éditeurs, et celle de conforter leur situation sociale.

Pour ce qui concerne le maillon de l'édition, il a jugé pertinentes un certain nombre de propositions du rapport de la mission « Livre 2010 », et notamment celles destinées à soutenir les petits éditeurs, en encourageant leur mutualisation et en accompagnant leur professionnalisation.

Il a également évoqué les 15 propositions concernant différents volets et aspects de la chaîne du livre présentées par le Syndicat national de l'édition dans son Livre Blanc, paru en avril 2007.

Il a proposé de porter une attention particulière :

- aux textes d'application de la loi DADVSI, « pour éviter une dissémination anarchique des contenus » ;

- aux petits éditeurs ;

- et à la défense de la diversité culturelle.

Sur ce dernier point, après avoir rappelé que la loi du 5 juillet 2006 avait autorisé la France à adhérer à la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, il a émis le voeu qu'à un an de la présidence française de l'Union européenne, le volet culturel de l'agenda européen soit ambitieux et se fonde sur les avancées permises par cette convention. La politique dans le domaine du livre devrait y occuper une place de choix. Nos partenaires européens pourraient ainsi notamment être sensibilisés aux effets vertueux de la loi du 10 août 1981 sur le prix unique du livre et être incités à s'en inspirer.

Puis il a indiqué que l'aval de la filière, avec la diffusion du livre, méritait une attention particulièrement soutenue et qu'il était urgent de lancer un plan de « sauvetage » des librairies indépendantes.

A cet égard, il s'est réjoui du consensus qui semble se former autour de la création d'un label permettant d'identifier, selon des critères pertinents, les librairies indépendantes devant être soutenues.

Il s'est déclaré très favorable à la mise en oeuvre rapide des propositions d'Antoine Gallimard d'un label « librairie indépendante de référence » (LIR). Les librairies les plus fragiles, et dans le même temps les plus essentielles pour le territoire, pourraient ainsi bénéficier :

- d'aides à l'acquisition d'ouvrages de fonds, tant par le biais des conditions commerciales des éditeurs que grâce au soutien du Centre national du livre (CNL) ;

- d'une réduction des charges salariales, sous réserve que les économies ainsi réalisées bénéficient, au moins pour moitié, à l'augmentation des rémunérations des salariés ;

- d'exonérations ou allègements fiscaux.

Il a également souligné la nécessité de faciliter les transmissions de librairies.

Par ailleurs, M. Jacques Valade, président, a estimé essentiel de dynamiser les bibliothèques :

- l'accès des étudiants aux ouvrages doit être facilité : pour ce faire, les bibliothèques municipales devraient être encouragées à confier une activité salariée à des étudiants, notamment pour conforter les équipes en place dans le cadre d'une extension des horaires d'ouverture ;

- les projets liés à la Bibliothèque numérique européenne doivent être soutenus. Il a rappelé que la commission attachait une grande importance à ce projet qui vise à apporter une réponse européenne à la hauteur des enjeux de la diffusion du savoir sur Internet et à la nécessité de ne pas laisser cette mission aux seules mains d'entreprises privées, souvent marquées par une influence anglo-saxonne dominante.

Il conviendra donc de veiller à ce que la Bibliothèque nationale de France ait les moyens de la mission qui lui a été confiée et qu'elle exerce avec brio.

Enfin, il a estimé que des mesures « transversales » semblaient incontournables.

Il s'agit, en premier lieu, de créer un « Médiateur du livre », qui serait une instance souple de conciliation entre les principes de régulation définis par la loi de 1981 sur le prix du livre et leur sanction par les tribunaux.

Il s'agit, en second lieu, de développer le lectorat, à la fois en France et à l'étranger.

Il a insisté, à cet égard, sur la nécessité de favoriser le goût et l'appétence des jeunes pour la lecture et pour l'écrit. Cette forme de « reconquête » du jeune lectorat passe par la mobilisation du système éducatif. A cette fin, il a insisté sur :

- l'utilité des listes de livres conseillés aux élèves en début d'année scolaire en fin d'année ;

- la remise à l'honneur de la « distribution des prix » à l'école, tradition qui s'est perdue alors qu'elle permettait aux livres de pénétrer dans les familles et qu'elle constituait souvent pour les jeunes l'amorce d'une bibliothèque ;

- la nécessaire sensibilisation des enseignants aux effets pervers de l'usage parfois excessif de photocopies et polycopiés, au détriment des oeuvres ou des ouvrages eux-mêmes.

Il a, en outre, souhaité que soit revue la politique conduite en matière de livres scolaires.

Il s'avère, en effet, que la fourniture gratuite de livres scolaires, instituée à partir de 2004 par de nombreuses régions, a un impact variable sur le secteur de la librairie, suivant ses modalités : les achats directs et centralisés le pénalisent, alors que le système des cartes à puces ou des crédits attribués aux parents pour effectuer eux-mêmes l'achat des ouvrages est neutre. Dans ces conditions, les collectivités territoriales devraient être plutôt incitées à opter pour ces dernières modalités, qui entraînent la fréquentation des librairies par les élèves et leurs familles.

Par ailleurs, il a estimé souhaitable que le ministère de l'éducation nationale informe mieux les municipalités des modifications des programmes et adapte davantage encore le rythme de ces dernières aux besoins réels. En effet, 400 000 écoliers n'utilisent pas de manuels et un million d'entre eux disposent, dans certaines matières, de manuels qui ne sont plus conformes aux programmes...

A cet égard, il a indiqué que la commission veillerait, dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances et de règlement, à ce que la globalisation des crédits opérée par la LOLF n'ôte rien au caractère prioritaire des subventions destinées à l'achat des livres.

Enfin, priorité devrait également être donnée au développement des technologies numériques à l'école et à la formation des enseignants dans ce domaine.

M. Jacques Valade, président, a insisté, en outre, sur la nécessaire mobilisation des chaînes publiques de télévision et de radio.

Le rôle prescripteur des critiques, animateurs et participants aux émissions littéraires est essentiel, que ce soit à la télévision ou à la radio. Tel est également le cas des articles que les critiques littéraires signent dans la presse écrite. C'est pourquoi il a souhaité le renforcement de ce type d'émission, au titre des missions de service public de France Télévisions et de Radio France.

La multiplication des « évènements » autour du livre mérite également d'être encouragée. Il a salué à ce titre la nouvelle opération : « L'été des libraires ».

Par ailleurs, M. Jacques Valade, président, s'est déclaré préoccupé de l'état critique de nombreuses librairies françaises à l'étranger. Outre d'éventuels soutiens financiers pour l'achat de livres, il a jugé indispensable que les centres culturels français à l'étranger prennent encore davantage en compte le secteur du livre dans leurs priorités.

De même, la crise du secteur de la traduction doit trouver des réponses, ce qui implique des actions de long terme. Enfin, la participation aux salons professionnels à l'étranger doit être aussi encouragée.

Un débat a suivi l'exposé du président.

M. Jacques Legendre s'est inquiété de l'érosion du goût pour la lecture, et s'est demandé dans quelle mesure une revalorisation des filières d'enseignement littéraire ne pourrait pas contribuer à entretenir l'attachement au livre et à la littérature.

Il a indiqué que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe menait actuellement une étude sur un thème très voisin, avec le souci de favoriser chez les jeunes européens la connaissance des chefs d'oeuvre de la littérature européenne. Il a annoncé qu'un colloque sur ce thème aurait lieu au Palais du Luxembourg le 11 décembre prochain.

M. Ivan Renar a estimé que le monde du livre et de l'édition était, au même titre que celui du cinéma, un des secteurs où création et industries culturelles étaient étroitement imbriquées. Il s'est dit convaincu que le livre n'était pas un objet périmé, et qu'il resterait longtemps un compagnon de route précieux, même si le recul de la lecture publique constituait un facteur préoccupant. Il s'est également interrogé sur les conséquences pour le monde de l'édition des éventuelles difficultés rencontrées il y a quelques années par le groupe Vivendi-Universal.

M. Louis Duvernois a estimé que la politique du livre sur le territoire national ne pouvait être dissociée de sa diffusion à l'étranger, où il est confronté à la position dominante du livre anglo-saxon.

Il a insisté sur le levier exceptionnel que peut constituer à ce titre le réseau culturel français à l'étranger, qui, avec notamment 450 établissements d'enseignement hors du territoire national, forme le plus étoffé de tous nos secteurs académiques. Il a estimé qu'il était indispensable de s'appuyer sur ce remarquable outil pour développer la diffusion du livre français, notamment à l'occasion de cérémonies de distribution des prix et a souhaité que la plus grande attention soit prêtée aux propositions formulées par M. Bertrand Cousin dans son récent rapport, et qu'il avait résumées au cours de son audition devant la commission.

Revenant sur deux des constats opérés par le rapport, et qui tiennent respectivement à la faible visibilité du livre à la télévision d'une part, et à l'augmentation du temps passé devant les écrans d'autre part, M. Jean-Paul Emin a estimé qu'ils étaient complémentaires, et que, d'une certaine façon, l'écran « tuait » le livre. Il s'est demandé, en conséquence, s'il ne conviendrait pas d'encourager des campagnes en faveur de la lecture, notant qu'il y avait déjà sur France 3 un « spot » quotidien consacré au livre.

En réponse aux différents intervenants, M. Jacques Valade, président, a formulé les remarques suivantes :

- la revalorisation des filières littéraires devrait constituer l'un des aspects de la réflexion engagée par le ministre de l'éducation nationale ; cette question se rattache à celle, plus générale, de la nature réelle du baccalauréat, tantôt considéré comme un diplôme de fin d'études secondaires, et tantôt comme le premier grade de l'université, comme l'ont relevé MM. Jacques Legendre et Yannick Bodin dans leur rapport sur « La diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles » ;

- l'organisation au Sénat d'un colloque consacré à la diffusion des chefs d'oeuvre de la littérature européenne est une excellente initiative, car la connaissance de la littérature de notre continent et de celle de notre pays sont complémentaires ;

- le temps passé par les jeunes enfants devant la télévision n'est guère bénéfique, et il conviendrait d'inciter des chaînes de télévision à diffuser aussi en direction de la jeunesse des incitations à la lecture.

A l'issue de ces interventions, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication des comptes rendus des auditions et de ses conclusions sous la forme d'un rapport d'information.

Brevets européens - Demande de renvoi pour avis

Puis la commission a demandé à être saisie pour avis du projet de loi n° 474 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens et a désigné M. Jean-Léonce Dupont comme rapporteur pour avis sur ce texte.

Organismes extraparlementaires - Haut conseil des musées de France - Désignation d'un candidat

Enfin, la commission a décidé de proposer à la nomination du Sénat M. Philippe Richert pour siéger au sein du conseil d'administration du Haut conseil des musées de France.