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Mercredi 25 avril 2001

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Presse - Audition de M. Bertrand Eveno, président-directeur général de l'Agence France-Presse

La commission a procédé à l'audition de M. Bertrand Eveno, président-directeur général de l'Agence France-Presse.

M. Adrien Gouteyron, président, a rappelé que la commission, préoccupée par l'avenir de l'AFP, avait en 2000 adopté une proposition de loi tendant à favoriser la modernisation de l'Agence et en particulier à faciliter son financement par l'emprunt. Il a indiqué que la commission souhaitait savoir à quelle échéance les premières initiatives prises par le président Eveno déboucheraient sur une stratégie de développement précise et ambitieuse, et dans quel délai seraient lancés les " moteurs de croissance " identifiés par lui lors de la réunion du conseil d'administration du 7 avril dernier.

M. Bertrand Eveno a tout d'abord évoqué la nécessité dans laquelle il s'est immédiatement trouvé, lors de sa nomination à la tête de l'Agence France-Presse, de mettre fin à la crise morale et financière en cours. Etaient posées des questions fondamentales intéressant la création d'un capital et son ouverture, l'exécutif de l'Agence, la politique rédactionnelle et la gestion de l'information, révélant une incompréhension croissante entre le personnel et les pouvoirs publics.

Le personnel se demandait en effet quelle était la portée réelle des projets élaborés pour l'avenir de l'Agence, et si ceux-ci manifestaient une volonté de rupture avec les traditions. La première tâche du nouveau président a alors été de démontrer sa volonté d'écarter toute stratégie de rupture.

A cette crise morale s'ajoutait une crise financière, de caractère transitoire, dans la mesure où elle apparaissait comme la conséquence, d'une part de la forte consommation de trésorerie effectuée depuis deux ans, d'autre part de l'effet de report sur 2001 des importantes charges de personnels créées en 2000. Celles-ci représentaient quelque 80 millions de francs en exploitation.

L'AFP a en effet connu ces dernières années une " embardée gestionnaire sur les effectifs ", marquée par l'augmentation de 10 % de la masse salariale en deux ans, du fait d'une politique dynamique de recrutement, des évolutions de carrières et des conséquences de la réduction du temps de travail. Si l'augmentation de la masse salariale avait été étalée sur une période plus longue, l'Agence n'aurait pas connu de problèmes financiers en 2001. Le rattrapage aura lieu sur les exercices 2002 et 2003.

Plusieurs choix stratégiques pouvaient être faits face à cette situation. Le conseil d'administration, après avoir discuté des différentes possibilités, a décidé d'augmenter de 2 % les tarifs d'abonnements de la presse et de l'Etat, avec l'accord de celui-ci. Cette mesure, associée à un effort accru de rigueur sur la gestion, a permis la présentation d'un budget en équilibre.

La commission financière de l'Agence rendra prochainement un avis sur les prévisions budgétaires de 2001 et sur la provision de 70 millions de francs constituée en 2000 afin de financer un plan de rajeunissement des effectifs.

Par ailleurs, le conseil d'administration a décidé de lancer un audit financier sur l'évolution des postes et des effectifs, la composition et l'évolution de la masse salariale, la situation des filiales et des engagements ainsi que la situation et les perspectives de trésorerie.

Un conseil d'administration prévu en juin prochain adoptera au vu de cet audit les comptes 2000.

M. Bertrand Eveno a indiqué sa volonté de sortir de la crise sans renoncer aux investissements porteurs de croissance et de rentabilité. Il a indiqué à titre d'exemple que le coût de création de certains postes d'attachés commerciaux était remboursé en six mois et que la création d'un " desk multi-media " était immédiatement amortie.

M. Bertrand Eveno a ensuite évoqué les axes de développement de l'Agence dans les prochaines années.

Il a insisté sur la nécessité de respecter deux exigences fondamentales. Il s'agit d'abord de l'indépendance rédactionnelle de l'Agence, objectif majeur inscrit dans son statut. Il a indiqué à cet égard que la qualité du travail journalistique devait être le seul critère des nominations. Il s'agit d'autre part du rayonnement mondial de l'AFP, qui n'a de sens que si elle demeure, avec Reuters et Associated Press, au nombre des trois grandes agences mondiales. Le risque qui guette une AFP en panne de réforme n'est pas la disparition, mais la réduction au rang d'agence régionale, à l'image du sort de l'agence de presse italienne.

M. Bertrand Eveno a estimé que l'AFP avait les moyens de maintenir son rayonnement mondial, et a cité, pour illustrer son propos, plusieurs exemples de " scoops " réalisés récemment par l'Agence.

Il a aussi évoqué deux autres exigences : développer le chiffre d'affaires à la cadence de la croissance du marché et respecter le pacte fondamental entre l'Agence et les médias français.

Sur le premier point, il convient d'expliquer le fait que l'AFP n'ait pas pris, par le passé, position sur certains marchés porteurs. Si l'AFP ne peut envisager des taux de croissance de l'ordre de 25 % par an à l'image de ce que réalise telle firme américaine sur le créneau des cours de bourse, elle progresse néanmoins très vite, de l'ordre de 17 à 19 % par an, sur certains marchés régionaux qui apparaissent comme autant de moteurs de croissance pour l'entreprise. Il est indispensable d'identifier ces marchés.

En ce qui concerne le pacte fondamental de l'AFP avec la presse française, il est indispensable et possible d'établir des partenariats sur certains services. Dans la mesure où la presse quotidienne régionale diffuse une information de proximité alors que l'information mondiale diffusée en temps réel est le créneau de l'AFP, leurs relations sont plus de complémentarité que de concurrence.

M. Bertrand Eveno a aussi insisté sur la nécessité d'effectuer les bons choix dans quatre domaines particuliers :

- l'histoire de l'AFP a été marquée par des épisodes de gestion relâchée, ce risque doit être évité à l'avenir ;

- il faut veiller à ce que les bons choix techniques soient faits, notamment en ce qui concerne la technologie Internet. Si, dans le passé, les systèmes de communication de l'AFP ont été très opportunément appuyés sur la technologie des satellites, le passage à Internet présente actuellement des difficultés. La direction technique de l'Agence est vacante. Il sera porté remède à cette situation afin que l'Agence ait la capacité de définir les bons choix techniques d'avenir ;

- il faut aussi déterminer les marchés porteurs de croissance. L'AFP a raté certains créneaux dans le domaine de l'information économique. Ce secteur reste pourtant porteur de croissance, de même que le sport, la photo, le multi-media et l'infographie. Le marché du sport est notamment en croissance très rapide, et l'AFP doit se fixer des objectifs très ambitieux dans ce domaine ;

- il faut développer des services en langue étrangère afin de prévenir le recul du chiffre d'affaires du " service général " en Europe. En effet, les jeunes journalistes capables de lire le français sont de moins en moins nombreux dans les rédactions étrangères. Il convient de suivre à cet égard l'exemple de l'agence allemande DPA, qui a créé des services en langue étrangère.

M. Bertrand Eveno a cité quelques objectifs chiffrés associés à sa stratégie de développement. Le chiffre d'affaires de l'Agence devrait augmenter de 400 millions de francs d'ici 2004, ce qui représente quelque 25 % de croissance sur la période. Si le taux de croissance peut être limité à 2 % pour les services financés par l'Etat et par la presse, il doit atteindre 35 %, soit environ 15 % par an, sur les produits spécialisés.

L'information économique rédigée peut jouer un rôle essentiel, à cet égard, en particulier grâce à la filiale AFX, dont l'Agence est depuis peu actionnaire majoritaire. Le créneau de la photo offre aussi des marges de développement intéressantes.

La réalisation de ces perspectives nécessite la création d'emplois - 40 postes nouveaux pourraient être créés chaque année - et un redéploiement des effectifs existants vers les services et les départements créateurs de produits nouveaux.

M. Bertrand Eveno a estimé qu'il était possible de créer ces emplois en respectant les équilibres financiers de l'Agence. Le conseil d'administration n'a pas encore approuvé ces propositions et doit en délibérer dans le courant du mois de juin.

Il a conclu son exposé en indiquant que les nombreux points forts de l'AFP n'étaient guère mis en évidence par les médias, qui la présentent trop fréquemment comme un " corps malade ", en dépit de ses formidables atouts. Pour valoriser ceux-ci, des efforts sont à faire sur les effectifs, les investissements techniques, le choix de stratégies de développement. Le soutien à moyen terme des pouvoirs publics est nécessaire pour assurer le développement de l'AFP.

Un débat s'est ensuite engagé.

Mme Danièle Pourtaud, saluant la présentation optimiste de l'avenir de l'AFP faite par M. Bertrand Eveno, a demandé s'il était véritablement envisageable de financer le développement prévu avec l'augmentation du chiffre d'affaires, alors que le plan stratégique précédent considérait l'obtention d'apports extérieurs importants comme un préalable. Elle a souhaité savoir quel était le degré de fiabilité des prévisions d'augmentation du chiffre d'affaires. Elle a aussi demandé si l'adaptation des statuts de l'Agence était envisagée.

M. Louis de Broissia a noté l'intérêt d'une vision à long terme de l'avenir de l'Agence. Il a aussi remarqué que celle-ci avait seulement obtenu 100 millions de francs de prêt participatif de l'Etat sur les 200 millions jugés nécessaires par le président pour équilibrer ses comptes et lancer sa stratégie de développement.

Il a relevé le caractère inquiétant de l'évolution récente de la trésorerie et de la situation nette, estimant improbable que la commission financière de l'Agence approuve des comptes présentant un tel déséquilibre.

Il a demandé si l'AFP renonçait à se porter sur le marché de la vidéo et sur celui de l'audiovisuel, et où en était la compétition entre les grandes agences mondiales sur ce créneau. Il a observé que l'objectif d'un ratio de 65 % de masse salariale par rapport aux recettes totales semblait difficile à atteindre compte tenu des effets de la réduction du temps de travail, de l'évolution récente des charges et de l'effet report des exercices antérieurs.

Il s'est enfin déclaré disposé à étudier à nouveau, s'il en était besoin, l'opportunité de modifier le statut de 1957.

M. Ivan Renar a souhaité à son tour savoir où en était la réflexion sur l'évolution éventuelle du statut. Il a noté que la crise de la nouvelle économie mettait en évidence la fragilité des projets de développement précédemment élaborés. Il a souhaité avoir des précisions sur l'alternance des phases de rigueur et de laxisme dans la gestion passée de l'Agence.

Il a estimé que le personnel de celle-ci restait son premier atout et a souhaité être informé de l'état des relations sociales dans l'entreprise ainsi que de la façon dont le personnel accueille les projets de rajeunissement et de redéploiement des effectifs.

M. André Maman a demandé ce qui permettait de juger la crise de confiance entre les pouvoirs publics et le personnel terminée. Il a souhaité avoir des précisions sur les différences de positionnement commercial entre la firme Bloomberg et l'AFP.

M. Adrien Gouteyron, président, a enfin demandé de quelle façon était envisagé le développement soutenu de l'information économique alors que l'AFP a déjà été devancée par ses principaux concurrents sur ce marché.

En réponse aux intervenants, M. Bertrand Eveno a fourni les précisions suivantes :

- le prêt participatif de 100 millions de francs consenti par l'Etat va permettre de corriger l'évolution inquiétante de la trésorerie et de la situation nette de l'Agence. Il aurait été préférable que l'Etat lui accorde la dotation en capital de 250 millions de francs demandée au départ, dont tout analyste financier aurait admis la nécessité. D'autres solutions étaient envisageables, telles que la mise en place d'un mécanisme liant pour une durée de trois ans l'augmentation des recettes commerciales de l'Agence et celle de la subvention de l'Etat. Le ministère des finances n'a pas souhaité s'engager dans cette voie. L'Agence suivra donc un chemin de croissance plus étroit et plus incertain. Si l'augmentation prévue du chiffre d'affaires n'était pas réalisée à la fin de 2001 ou de 2002, il serait nécessaire de revoir les objectifs définis par le conseil d'administration. On sait cependant d'ores et déjà que les résultats du secteur photo sont satisfaisants. Il n'en demeure pas moins qu'un geste de l'Etat plus généreux et plus " structurel " aurait été souhaitable. Le prêt participatif de 100 millions de francs, qui sera finalisé d'ici la fin de l'été, ne sera cependant pas remboursé dans l'immédiat ;

- le ratio de 65  % de masse salariale par rapport aux recettes totales peut être atteint par le jeu de mécanismes tels que le rajeunissement des effectifs, pour lequel une provision de 70 millions de francs a été adoptée par le conseil d'administration. Le redéploiement des postes vers les services et départements prioritaires agira dans le même sens. L'AFP connaît manifestement un problème de pyramide des âges. Si l'augmentation prévue du chiffre d'affaires est réalisée, le ratio de 65 % sera plus facilement atteint ;

- certaines dérives gestionnaires de l'Agence ont été liées à la difficulté de gérer les nombreux contrats locaux passés à l'étranger et libellés en devises. Certaines remises en ordre sont nécessaires dans ce domaine. Il convient aussi de revoir certaines dépenses immobilières. L'AFP est au demeurant une entreprise qui ne pratique pas volontiers le gaspillage ;

- le plan stratégique élaboré par le précédent président prévoyait un investissement de 200 millions de francs dans le domaine de la vidéo. La création d'un service vidéo susciterait cependant, selon toutes les analyses, un déficit récurrent de 200 à 300 millions de francs, que l'Agence n'a pas les moyens de supporter. Le choix de cet axe de développement ne pourrait donc résulter que d'une décision à très haut niveau. La compatibilité d'un tel investissement avec la stratégie de France Télévision devrait aussi être prise en compte ;

- l'éclatement de la " bulle " internet a mis à mal l'idée que l'information était gratuite et que chacun pouvait s'improviser journaliste. Par ailleurs, les titres de la presse écrite qui ont investi dans des sites internet ont désormais une meilleure appréhension de la réalité économique de ce type d'investissement. L'AFP se trouve ainsi consolidée dans sa vocation de grossiste de l'information ;

- les contrats passés avec les sociétés de la nouvelle économie constituent un secteur à risque à l'évolution duquel il convient d'être attentif ;

- la société Bloomberg, qui s'est développée sur le créneau des statistiques boursières, ne peut être comparée à l'AFP, qui diffuse de l'analyse économique et de l'information vérifiée. Il s'agit de deux métiers différents ;

- plus que la modification du statut de l'Agence, la façon de faire fonctionner celui-ci importe. Il convient que les équilibres fondamentaux de l'Agence soient respectés par la pratique. Si cette condition est satisfaite, le statut permet, dans sa rédaction actuelle, de mettre en oeuvre les axes de développement proposés au conseil d'administration. Au demeurant, l'engagement a été pris devant le personnel que la modification du statut ne serait pas un objectif du nouveau président. Le lancement éventuel d'une réflexion appartient donc au Gouvernement et au Parlement. Elle pourrait porter en particulier sur les modalités de participation de l'Agence au capital d'autres entreprises. Il resterait, en tout état de cause, indispensable que les médias clients de l'Agence restent associés à son fonctionnement ;

- la crise liée au sentiment de non-reconnaissance éprouvé par le personnel est terminée. La composition du comité directeur de l'Agence a été modifiée afin de renforcer la présence des journalistes. Le climat social est actuellement satisfaisant. Par ailleurs, les élections professionnelles de février dernier ont rééquilibré le poids relatif des différents syndicats. La société des journalistes, qui a reçu un nombre significatif de nouvelles adhésions et a renouvelé son bureau, est désormais bien représentative des expatriés et du personnel jeune. La consultation prochaine du personnel sur le plan de rajeunissement des effectifs sera l'occasion de connaître son état d'esprit.

Nomination de rapporteurs

Au cours de la même réunion, la commission a nommé Mme Danièle Pourtaud rapporteur des propositions de lois, présentées par Mme Danièle Pourtaud et les membres du groupe socialiste et apparentés, n° 244 (2000-2001), tendant à prévoir un barème de rémunération équitable applicable aux discothèques et activités similaires, et n° 245 (2000-2001), modifiant le code de la propriété intellectuelle et tendant à prévoir une rémunération pour la copie privée numérique.

Elle a en outre désigné M. Pierre Laffitte rapporteur de la proposition de loi n° 246 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la protection du patrimoine.

Organisme extraparlementaire - Comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs - Désignation d'un candidat

Elle a également décidé de proposer à la nomination du Sénat M. Ambroise Dupont pour siéger au Comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs.