Travaux de la commission des affaires culturelles



Mercredi 26 janvier 2005

- Présidence de M. Ambroise Dupont, vice-président. -

Culture - Propriété intellectuelle - Droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information - Audition des représentants du bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC) et du bureau de liaison des organisations cinématographiques (BLOC)

La commission a procédé à l'audition des représentants du bureau de liaison des industries cinématographiques (BLIC) et du bureau de liaison des organisations cinématographiques (BLOC) sur le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

M. Idzard van der Puyl, secrétaire général de la société des producteurs de cinéma et de télévision (PROCIREP), a rappelé que le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information avait pour objet, en particulier, d'assurer la transposition en droit français de la directive européenne n° 2001/29 du 22 mai 2001 et, le cas échéant, les dispositions de la directive n° 2004/48 du 29 avril 2004 sur la contrefaçon. Il comporte en outre d'autres dispositions n'appelant pas de remarque particulière de la part des organisations du cinéma. Il a cependant souligné que celles-ci étaient favorables aux dispositions du titre III applicables aux sociétés de perception et de répartition des droits, comme elles le sont, d'une façon générale, à toute disposition permettant aux administrateurs de tutelle de mieux asseoir leur contrôle sur ces sociétés.

Après avoir indiqué qu'il centrerait son intervention sur les dispositions figurant actuellement au titre Ier du projet de loi et sur celles qui pourraient venir les compléter pour assurer la transposition de la directive contrefaçon, il a formulé trois remarques préliminaires.

Il a tout d'abord affirmé que les deux directives en question résultaient d'un consensus et assuraient un équilibre entre des intérêts opposés. Il a souhaité que l'équilibre ainsi atteint ne soit pas remis en question au cours de leur transposition en droit français. Ainsi, il a recommandé une transcription aussi fidèle et aussi littérale que possible des termes de ces directives dans le code de la propriété intellectuelle.

Il a ensuite rappelé que ces deux textes européens avaient, l'un comme l'autre, pour objectif global de renforcer le droit des créateurs et d'assurer aux auteurs un ensemble de garanties minimales, et qu'ils ne devaient donc pas avoir pour effet de remettre en cause les dispositions éventuellement plus protectrices contenues dans le droit national. A ce titre, ces directives ne devaient pas être interprétées comme ouvrant la possibilité d'introduire en droit français de nouvelles exceptions ou limitations au droit d'auteur et aux droits voisins.

Enfin, il a estimé que la loi devait être adaptée aux caractéristiques d'un univers numérique en constante évolution, et a cité en exemple la loi du 3 juillet 1985 dont les dispositions, conçues pour apporter des solutions dans le contexte d'une reproduction analogique, ont cependant pu s'appliquer au monde numérique grâce à la souplesse d'interprétation dont a su faire preuve la commission de la copie privée.

Résumant son propos, il s'est réjoui que le projet de loi proposé par le Gouvernement respecte les trois objectifs d'une transposition fidèle, a minima, et rédigée dans des termes assez généraux pour s'adapter à l'évolution d'un contexte mouvant.

Il a plus particulièrement insisté sur trois séries de dispositions.

Evoquant les articles 1er et 2 du projet de loi qui introduisent deux nouvelles exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins, il a indiqué que l'exception relative aux copies techniques transitoires ne soulevait pas d'objection de sa part, et que tout en regrettant la création d'une exception en faveur des personnes handicapées, le BLIC et le BLOC ne s'y étaient cependant pas opposés. Il s'est en revanche déclaré vivement hostile à la création de toute exception supplémentaire portant, par exemple, sur les usages à des fins d'éducation et de recherche, rappelant qu'en ce domaine, les ministères de la culture et de la communication, d'une part, et celui de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de l'autre, étaient convenus de privilégier en ce domaine la recherche de solutions contractuelles avec les ayants droit.

Il a ensuite souligné le caractère fondamental des dispositions des articles 6 et 7, qui apportent une protection juridique aux mesures techniques de protection et d'information, estimant qu'elles constituaient une des conditions de la mise en place d'une offre légale sur Internet. Il a également approuvé le dispositif du dernier alinéa de l'article 7 qui a pour objet de garantir l'interopérabilité des dispositifs de protection.

Enfin, il a jugé que les dispositions des articles 8 et 9 destinées à assurer la conciliation des mesures techniques de protection avec la mise en oeuvre des exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins reflétaient fidèlement le compromis dégagé par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique au cours de sa réunion du 12 février 2003. Il a rappelé qu'il reviendrait à un collège de médiateurs, institué par l'article 9, de trancher les éventuels différends portant sur les mesures techniques. Notant que l'article 8 introduisait en droit français les trois conditions posées par la Convention de Berne et connues sous le nom de test des trois étapes, il a estimé que le dispositif d'ensemble était de nature à assurer un bon équilibre entre les titulaires de droits et les consommateurs.

Il a rappelé que le monde du cinéma souhaitait le maintien de la possibilité de réaliser des copies privées à partir d'une source télévisée, mais était hostile à toute copie de support à support, dans l'univers numérique, comme dans l'univers analogique.

Evoquant pour finir la transposition de la directive « contrefaçon », il a estimé que celle-ci devait être effectuée « a minima », dans la mesure où le régime protecteur institué par le droit français était déjà favorable. Il s'est plus particulièrement déclaré opposé à la transposition en droit français de la notion « d'échelle commerciale ».

En résumé, il a indiqué que les représentants des industries et des organisations du cinéma n'étaient pas opposés au dispositif actuel du projet de loi, qui reflète un bon compromis, mais qu'ils étaient inquiets des mesures qui pourraient être introduites dans le texte à l'occasion de sa discussion, soit pour ajouter de nouvelles exceptions, soit pour étendre le champ de la copie privée, soit pour introduire un régime de licence légale comme réponse au problème des échanges illicites sur Internet.

Un débat s'est engagé.

M. Michel Thiollière, rapporteur du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, a souhaité connaître les conséquences du développement des échanges de fichiers illégaux sur les réseaux « peer to peer » pour l'industrie cinématographique.

Il s'est interrogé sur l'opportunité d'instituer un collège de médiateurs pour régler les différends entre titulaires de droits et utilisateurs au cas où ces derniers estimeraient qu'une mesure technique de protection les empêche de bénéficier de l'exception pour copie privée.

Après avoir fait remarquer que, contrairement aux CD, les DVD vendus dans le commerce utilisaient depuis l'origine des mesures techniques de protection, il s'est enquis des résultats obtenus par les plates-formes légales de téléchargement d'oeuvres cinématographiques existantes.

Il s'est enfin intéressé aux effets du piratage sur les différentes industries cinématographiques européennes.

M. Ambroise Dupont, président, a souhaité savoir le prix auquel les oeuvres cinématographiques pourraient être proposées sur les plates-formes légales de téléchargement.

M. Jack Ralite a dénoncé la rédaction actuelle de la directive sur les  services proposée par la Commission européenne et a appelé tous les professionnels de l'audiovisuel à se mobiliser contre un texte susceptible de porter atteinte à la diversité culturelle.

Répondant aux intervenants, MM. Idzard van der Puyl, Jean Cottin, délégué général de la Chambre syndicale des producteurs et exportateurs de films français (CSPEFF), Erwan Escoubet, directeur juridique de la fédération nationale des cinémas (FNCF), et Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale de l'association des producteurs indépendants (API), ont apporté les précisions suivantes :

- en dépit des bons résultats enregistrés par l'industrie cinématographique en 2004 tant au niveau de l'exploitation en salles qu'au niveau des ventes de vidéogrammes, le développement du téléchargement illégal de films sur les réseaux « peer to peer » demeure une préoccupation de premier ordre pour les représentants du secteur.

Si la taille importante des fichiers audiovisuels a permis jusqu'à présent de limiter l'impact des pratiques illégales sur les résultats du secteur, le lancement de l'Internet à très haut débit pourrait rapidement changer la donne et précipiter la filière dans la crise. Les experts estimant que la filière audiovisuelle bénéficie de deux ans de répit avant d'affronter les difficultés rencontrées par l'industrie musicale, l'ensemble des acteurs du secteur a décidé de se mobiliser pour préserver les grands équilibres de l'exploitation traditionnelle.

Ils prônent une riposte multidimensionnelle à l'égard des personnes pratiquant le téléchargement illégal comprenant des campagnes de communication à l'égard du public, des actions de sensibilisation des internautes aux problématiques de la propriété intellectuelle, ainsi qu'un volet répressif : ce dernier est fondé sur le principe de la riposte graduée consistant à adresser un message d'avertissement aux internautes, voire à diminuer le débit qui leur est alloué par leur fournisseur d'accès avant d'entreprendre toute action en justice ;

- la création d'un collège des médiateurs proposée par le projet de loi et visant à régler les éventuels différends pouvant exister entre titulaires de droits et utilisateurs, au cas où ces derniers estimeraient qu'une mesure technique de protection les empêche de bénéficier de l'exception pour copie privée, est une idée intéressante. Il est normal que repose sur les ayants droit la responsabilité de concilier les mesures de protection utilisées et les exceptions légales et que soit institué un organe de règlement des litiges souple, dont les décisions pourront faire l'objet d'un appel ;

- le DVD continuera à être protégé contre la copie. A cet égard, alors que de nombreux logiciels permettent d'ores et déjà de contourner les mesures de protection utilisées, les dispositions du projet de loi relatives à la protection juridique des mesures techniques sont particulièrement bienvenues ;

- le modèle économique de la filière cinématographique est relativement différent de celui de la filière musicale. Il se caractérise par une succession ordonnée de fenêtres d'exploitation des oeuvres que les professionnels de l'audiovisuel sont soucieux de préserver. Il convient par conséquent d'intégrer dans la chronologie des médias actuelle une fenêtre supplémentaire pour la vidéo à la demande (VOD) sur Internet. Certains proposent à cet égard que les films soient diffusés à la demande sur Internet entre 9 et 12 mois après leur sortie en salle, les délais étant fonction du succès rencontré auprès du public.

Les producteurs de films, qui ont la charge de répartir les recettes entre les différents ayants droits, souhaitent par ailleurs que l'arrivée éventuelle de nouveaux intervenants dans la chaîne de diffusion des oeuvres cinématographiques ne bouleverse pas le système de rémunération en place. En tout état de cause, le système de la licence légale, qui répond peut-être aux besoins de la filière musicale, est totalement inadapté à l'industrie cinématographique ;

- l'existence d'une exception pour copie privée des oeuvres audiovisuelles à partir d'une source télévisuelle doit être maintenue dans l'univers numérique. Elle peut être assortie de la mise en place de mesures techniques de protection afin d'empêcher la mise à disposition de ces copies privées sur les réseaux numériques ;

- le nombre limité de références proposées aux internautes est un problème pour les plates-formes légales de téléchargement de films. L'existence d'échanges illégaux et les débats relatifs à la mise en place d'une nouvelle fenêtre d'exploitation des oeuvres sur Internet limitent pour l'instant l'accès de ces plates-formes aux catalogues des différents distributeurs. Deux modes de rémunération adaptés aux attentes du spectateur sont envisageables concernant la mise à disposition d'oeuvres cinématographiques sur Internet : l'abonnement, formule comparable à celle utilisée par les services télévisés payants et le paiement à l'acte, proche du système utilisé dans le domaine de la vidéo. Les tarifs devront toutefois être fixés intelligemment afin d'éviter que, comme sur le marché des vidéogrammes, la multiplication des offres à bas prix ne pénalise l'ensemble du secteur ;

- la France possède un cadre juridique extrêmement protecteur pour les industries culturelles. De ce fait, beaucoup de dispositions contenues dans les directives communautaires ayant pour objet de fixer des règles minimales sont déjà satisfaites par notre législation et n'ont pas à être transposées. A cet égard, la transposition de textes européens ne doit pas servir de prétexte à la diminution du niveau de protection existant ;

- concernant la sensibilisation des industries cinématographiques au problème du piratage, la France est en avance sur la plupart de ses voisins européens. Ceci peut s'expliquer par l'existence d'une industrie nationale développée pouvant s'appuyer sur la vigilance d'un Gouvernement sensible aux enjeux de la diversité culturelle. De nombreux pays sont d'ailleurs séduits par notre cadre réglementaire, qui allie protection des industries et ouverture sur l'Europe, notamment en matière de coproduction ;

- le Gouvernement et les médias sont d'ores et déjà conscients des problèmes posés par certaines dispositions contenues dans la nouvelle directive sur les services proposée par la Commission européenne. Une mobilisation aussi importante que celle provoquée par l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI) n'est pas à exclure dans les mois à venir.