Travaux de la commission des affaires culturelles



Mercredi 19 janvier 2005

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Schéma d'indemnisation du chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel - Audition de M. Jean-Paul Guillot

La commission a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Guillot sur son rapport de mission d'expertise établi à la demande du Gouvernement, chargée de proposer un schéma d'indemnisation du chômage des artistes et techniciens du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel.

M. Jean-Paul Guillot a tout d'abord salué le travail réalisé par la commission et les avancées qu'a permises son rapport d'information sur la création culturelle en France, publié en juillet dernier ; il a souligné, en particulier, le mérite de celui-ci, au-delà de la question du régime d'indemnisation du chômage des intermittents, de mettre l'accent sur la question plus large de l'emploi culturel ; il a indiqué que son propre rapport reprenait plusieurs des propositions du groupe de réflexion.

Puis il a rappelé le contexte et le contour de sa mission, avant d'exposer son analyse du secteur du spectacle vivant ainsi que les conclusions et axes d'action avancés dans son rapport.

Il a indiqué avoir consacré ses six premières semaines à rencontrer de nombreux acteurs du secteur afin de préciser sa mission, dont l'objectif était de construire un système pérenne de l'emploi dans le secteur culturel. La désignation d'un expert indépendant a sans doute été de nature à contribuer à l'évolution du secteur et à sa compréhension, tant par les acteurs eux-mêmes que par l'ensemble de la société.

Il a précisé qu'un groupe de suivi, composé de représentants des principales organisations, de parlementaires et de personnalités qualifiées, l'avait accompagné dans sa démarche.

Analysant ensuite le poids du secteur culturel, il a insisté sur son importance en termes d'activité économique et de forte contribution à l'emploi dans notre pays : 300.000 personnes occupées, soit autant par exemple que l'industrie automobile (constructeurs et équipementiers). Il a considéré que le secteur devrait théoriquement poursuivre sa croissance tendancielle de l'ordre de 5  % par an en moyenne en euros courants, soit une hausse de 2 à 3 % par an en volume, ce qui devrait induire un léger effet positif sur l'emploi.

M. Jean-Paul Guillot a ensuite insisté sur le caractère disparate et varié des activités culturelles ; il a précisé que le tiers des effectifs globaux du secteur, correspondant aux deux tiers des artistes et techniciens employés, relevait du régime d'indemnisation chômage de l'intermittence et que l'activité des professionnels concernés était caractérisée par une forte mobilité (en moyenne 10 contrats par an dans trois secteurs différents).

Il a constaté l'existence d'un large consensus des acteurs concernant le diagnostic sur l'évolution du secteur, l'union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) étant devenue un mode de régulation intégré dans les comportements, mais dont le déficit s'était accru (890 millions d'euros en 2003). Il a relevé que le caractère structurellement déficitaire du régime de l'intermittence résultait de la nature des activités concernées et que l'UNEDIC s'était montrée plus « sourcilleuse » sur l'évolution de ces dépenses à une période où elle connaissait des difficultés, ceci d'autant plus que les partenaires sociaux du secteur s'avèrent peu représentés en son sein.

Il a estimé que la société française avait désormais pris conscience de la nécessité de réviser les modes de financement de la politique culturelle et que, parallèlement, il n'existait plus de réelle contestation sur le maintien dans un régime spécifique d'indemnisation du chômage et donc des annexes au protocole de l'UNEDIC.

M. Jean-Paul Guillot a ensuite tracé deux grandes lignes de force en vue de construire un système pérenne de financement de l'emploi dans les secteurs du spectacle vivant, du cinéma et de l'audiovisuel :

- la nécessaire existence d'un volume d'activité culturelle et donc d'une politique de soutien, ce qui suppose une mobilisation de l'Etat et des collectivités territoriales ;

- l'indispensable besoin de remédier à l'émiettement alarmant des acteurs du secteur : il conviendrait notamment que ceux-ci s'organisent pour accroître leurs activités et, par conséquent, le volume de travail ainsi que les rémunérations ; en effet, 80 % des intermittents perçoivent moins de 1,1 salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) par an et, en 15 ans, leur pouvoir d'achat a diminué de 12 %, tandis que celui des salariés français progressait, en moyenne, de 12 % ; leurs revenus globaux (cumul de la rémunération et de l'indemnisation chômage) sont cependant restés stables, mais en contrepartie d'une hausse corrélative du déficit de l'UNEDIC.

S'agissant de l'organisation des acteurs du secteur, M. Jean-Paul Guillot a, par ailleurs, souligné la nécessité de soutenir le système de formation, tout en évitant l'écueil des formations sans débouchés professionnels, et d'informer les jeunes et leurs parents sur la réalité de ces derniers.

Il a relevé qu'un effort d'organisation des acteurs s'imposait compte tenu également des coûts de transactions liés à la multiplicité des contrats, à laquelle des démarches de regroupement et de mutualisation -tant des artistes et techniciens que des employeurs- devraient contribuer à remédier.

S'agissant du financement de l'emploi culturel, il a prôné l'augmentation de la durée moyenne des emplois et la prolongation de celle des contrats. A cette fin, il a estimé que les employeurs ne devaient pas être trop « gaulois » et qu'il convenait d'aider les plus petites structures à se fédérer pour développer l'emploi.

Constatant que le protocole du printemps 2003 n'avait ni entraîné les effets redoutés, ni remédié aux problèmes -et notamment contribué à la résorption du déficit- il a estimé que l'ensemble des acteurs (UNEDIC, employés, employeurs, Etat, collectivités territoriales) devaient bâtir ensemble un système correspondant à ces lignes de force.

Il a relevé que cette évolution prendrait nécessairement du temps et qu'il n'existait pas, à l'heure actuelle, de structure juridique permettant à l'ensemble de ces acteurs de dialoguer sur l'emploi culturel.

M. Jean-Pierre Guillot a insisté sur la nécessité d'une importante mobilisation et du rétablissement d'un fonctionnement sain du secteur, avant que puisse être mis en oeuvre un régime pérenne d'indemnisation.

Après avoir souligné l'importance des débats organisés en décembre à l'Assemblée nationale et prochainement au Sénat, il a évoqué le plan d'action très ambitieux présenté par le ministre de la culture et de la communication devant le Conseil national des professions du spectacle (CNPS), le 17 décembre dernier, qui comporte quatre axes tendant à :

- construire un véritable système d'information sur l'emploi culturel et renforcer l'efficacité des contrôles (tous les deux mois, des réunions conjointes des ministères de la culture et du travail seront organisées à cet effet) ;

- orienter les financements publics vers l'emploi : M. Alain Bauclaire, inspecteur général, a été chargé d'élaborer des propositions d'outils et d'indicateurs permettant aux prestataires publics de mieux exercer leurs responsabilités, en liant les subventions au respect d'un certain nombre de critères (tels que la nature et la durée des contrats, le respect des conventions collectives...) ;

- accélérer et systématiser la conclusion de conventions collectives ;

- renforcer la professionnalisation des acteurs (employeurs et salariés) du secteur.

M. Jean-Paul Guillot a insisté sur le rôle important que devaient jouer les collectivités territoriales dans la dynamique positive qu'engage ce plan d'action.

Il a indiqué que les partenaires sociaux devraient s'appuyer sur les conventions collectives en cours de négociation pour réviser le protocole ; en outre, il a jugé souhaitable que l'UNEDIC conserve les annexes 8 et 10 et qu'elle l'annonce rapidement.

Un large débat a suivi l'exposé de l'intervenant.

M. Jacques Valade, président, l'a félicité pour l'excellence de son travail et ses qualités d'écoute et de dialogue avec ses nombreux interlocuteurs. Il s'est réjoui du caractère constructif des propositions de son rapport et du suivi que le ministre de la culture et de la communication entend leur donner.

Après avoir salué l'honnêteté intellectuelle de l'intervenant, M. Ivan Renar a souhaité que ses conclusions et propositions permettent de sortir de l'impasse. Il a relevé avec satisfaction que son rapport évoque la question fondamentale du statut social de l'artiste dans la société.

Il a ensuite demandé comment remédier à l'insuffisante fiabilité des données concernant les intermittents. S'agissant de la lutte entre le recours abusif des employeurs à l'intermittence, il a demandé que soient précisées les possibles modalités des interventions des collectivités territoriales, dans le cadre de la décentralisation. Puis il a évoqué les pistes permettant aux artistes de bénéficier d'emplois permanents plutôt que d'être des « chômeurs intermittents », sans pour autant les fonctionnariser, et de vivre de leur art tout en répondant aux besoins de la société (en termes d'éducation par exemple).

Il a enfin exprimé le souhait que l'éducation nationale apporte sa pierre à l'édifice car elle use, elle aussi, du système de l'intermittence.

M. David Assouline a souligné le caractère complet et parfois audacieux des réponses avancées par l'intervenant. Evoquant le diagnostic de la situation et la révolte des artistes face à l'image empreinte de paresse ou de fraude que certains leur renvoient, il s'est étonné que la question des abus des employeurs soit peu étudiée,alors qu'elle s'avère cruciale, en particulier dans le domaine de l'audiovisuel. A cet égard, il a demandé si l'on pouvait évaluer le volume d'emplois ainsi détourné et si une relation pouvait être établie entre la hausse du déficit de l'UNEDIC et le développement du secteur audiovisuel. Il s'est enfin interrogé sur les modalités du contrôle et des sanctions à l'encontre des employeurs qui bénéficient du système de l'intermittence.

Mme Catherine Morin-Desailly a insisté sur l'ampleur de l'effort de concertation, de partage et de mutualisation requis, ainsi que sur la nécessité d'un changement des modalités d'octroi des subventions publiques, celles-ci étant jusqu'à présent accordées en fonction des projets plutôt que des modalités d'organisation des structures.

M. Jean-Paul Guillot a apporté les éléments de réponse suivants :

- l'UNEDIC n'est pas en charge de la politique de l'emploi culturel, mais elle est un prestataire de service « peu ergonomique », ce qui crée des tensions inutiles en entretenant des confusions entre les mesures prises et leur imparfaite application. Les informations dont elle dispose ne sont pas archivées, ce qui ne lui permet pas d'établir des statistiques complètes et constitue une source de frustration. La commission « emploi » du CNPS a repris ses travaux, sous la direction de M. Claude Seibel, afin d'étudier la situation de l'emploi culturel, à la fois au plan régional et national ;

- le contrôle aujourd'hui exercé par les donneurs d'ordres publics s'avère inefficace ; ceux-ci doivent engager de véritables vérifications auprès des prestataires de spectacle et, le cas échéant, mettre en oeuvre des sanctions économiques, sans attendre une sanction judiciaire nécessairement tardive. A cet égard, le secteur audiovisuel public travaille à l'adoption d'une charte et il serait souhaitable que le secteur privé retienne des dispositions similaires ;

- il paraît possible d'accroître le nombre de salariés permanents du secteur (100.000 aujourd'hui, soit le tiers des effectifs globaux), en incitant les employeurs à prolonger la durée des contrats ou à prendre le risque de créer des emplois permanents. Les modalités d'attribution des subventions doivent permettre aux acteurs d'améliorer la visibilité de leurs activités et il serait souhaitable qu'elles soient harmonisées, quelles que soient les collectivités publiques à l'origine du financement. Les donneurs d'ordres publics disposent par là même d'un fort pouvoir d'orientation, qui devrait avoir un impact en termes de structuration de l'emploi culturel.

En conclusion, M. Jacques Valade, président, a rappelé que la séance publique consacrée au spectacle vivant se déroulerait le mardi 1er février prochain et il a incité les membres de la commission à apporter leur contribution à ce débat souhaité par le gouvernement.

Organismes extraparlementaires - Désignation de candidats proposés à la nomination du Sénat

La commission a ensuite procédé à la désignation de candidats proposés à la nomination du Sénat pour siéger dans deux organismes extraparlementaires :

- MM. Ambroise Dupont et Marcel Vidal, comme membres de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages ;

M. Jacques Valade, comme membre du conseil d'administration de l'Etablissement public du musée du Quai Branly.

A cette occasion, M. Ivan Renar a rappelé son désaccord sur le mode de désignation retenu pour les sénateurs appelés à siéger dans ces organismes extraparlementaires, qui ne permet pas une visibilité suffisante sur la représentation de l'ensemble des groupes politiques.

M. Jacques Valade, président, a indiqué que la commission ne maîtrisait pas le calendrier de ces désignations.