Travaux de la commission des affaires culturelles



MERCREDI 1ER DÉCEMBRE 2004

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

CULTURE - ACTION CULTURELLE DE LA FRANCE À L'ÉTRANGER - PRÉSENTATION DU RAPPORT D'INFORMATION

La commission a tout d'abord examiné le rapport d'information de M. Louis Duvernoissur la stratégie d'action culturelle de la France à l'étranger.

M. Louis Duvernois, rapporteur, a tout d'abord indiqué que les travaux qu'il avait menés depuis un an s'inscrivaient dans la continuité des différents rapports sur le même sujet, saluant notamment la très grande qualité de celui de son collègue Yves Dauge sur les centres culturels à l'étranger, publié en 2001, alors qu'il était député.

Il a justifié cette nouvelle étude par le constat que, malheureusement, les réformes alors proposées étaient restées lettre morte.

Il a insisté sur l'idée qu'il n'y aurait pas de réforme de la politique culturelle de la France à l'étranger sans véritable volonté politique d'agir, portée par une ambition nationale qu'il a souhaité inscrire dans la tradition française d'humanisme et d'universalité.

Soulignant que le statu quo dans un monde concurrentiel conduisait inévitablement à la régression, il a estimé indispensable un sursaut national et appelé de ses voeux l'apprentissage obligatoire à l'école d'au moins deux langues vivantes, conformément aux préconisations du rapport sur l'enseignement des langues étrangères en France, rédigé par son collègue Jacques Legendre.

Il a jugé que, dans cette bataille, la France, véritable grande puissance, sous-estimait ses atouts. Il en a donné pour preuve tant la réalité du « désir de France » à l'étranger, dont il a été à de nombreuses reprises le témoin, que la demande de produits français. Evoquant un numéro spécial du magazine « l'Expansion » consacré au commerce international, paru peu après les événements du 11 septembre 2001, il a relevé que sur 24 grands secteurs d'activité examinés, 16 mettaient en compétition les produits français et américains.

Il a regretté que le dénigrement de la langue et de la culture françaises soit d'abord le fruit de nos élites, retranchées derrière l'alibi de « l'exception culturelle française », doctrine dont il a appelé de ses voeux l'abandon au profit de la mise en place d'une véritable « stratégie d'influence », en faveur de la défense des intérêts nationaux de la France à l'étranger.

Il a indiqué que les 27 propositions formulées dans le rapport étaient l'aboutissement d'un an de réflexions, d'avis et de commentaires, recueillis auprès de plus d'une cinquantaine de personnalités qualifiées du secteur tant public que privé, dont il a tenu à souligner la grande diversité d'origine et de points de vue.

Assuré par l'ensemble de ses interlocuteurs dans la conviction qu'il manquait inexorablement un pilote à l'action culturelle extérieure de la France, M. Louis Duvernois, rapporteur, a estimé qu'il était par conséquent indispensable d'adapter le mode d'organisation administratif français (hérité de la diplomatie culturelle mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale) à une demande extérieure diversifiée et fragmentée, en privilégiant notamment une plus grande complémentarité interministérielle des différents acteurs.

Considérant que la mise en oeuvre progressive de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) jouerait un rôle de moteur dans le décloisonnement des structures administratives, il a néanmoins souligné que, sans impulsion politique forte, la réorganisation de l'administration, bien que nécessaire, ne serait pas suffisante pour donner un nouvel élan à la politique culturelle extérieure de la France.

Le rapporteur s'est donc prononcé pour la mise en place d'une véritable tête de réseau, à travers la création d'un ministère ad hoc, délégué aux relations culturelles extérieures et à la francophonie, à qui incomberaient la coordination et l'impulsion du projet culturel de la France à l'étranger.

Il a souligné l'urgence de dissocier la coopération et l'aide au développement de la francophonie, périmètre ministériel dont il a souligné l'incohérence et le caractère nuisible pour la visibilité de la politique française en faveur de la francophonie  : les sphères géographiques de l'aide au développement et de la francophonie, d'une part, n'ont cessé, depuis 1997, de se disjoindre, la « zone de solidarité prioritaire » de la politique de coopération, d'autre part, s'est ouverte à de nombreux pays non francophones.

Il a particulièrement insisté sur la nécessité d'élaborer enfin une véritable stratégie d'industrie culturelle, concept traditionnellement dénigré en France au nom d'un certain snobisme intellectuel, mais auquel un certain nombre de décideurs semblent s'être ralliés face au succès du modèle américain.

Il a souhaité, par conséquent, que la France assume une nouvelle définition, déculpabilisée, de l'action culturelle extérieure, qui se fixerait pour objectif de créer, façonner, conditionner et finalement déterminer des attitudes de consommation, en un mot préparer le terrain de l'action économique.

A cet égard, M. Louis Duvernois, rapporteur, a réclamé que le modèle anglo-saxon serve d'exemple pour l'élaboration d'une nouvelle stratégie d'influence, notamment pour briser un certain nombre de tabous, tenant par exemple à la diabolisation de la pratique du « lobbying », largement institutionnalisée par les Anglais, en particulièrement auprès de la Commission européenne, mais très peu structurée en France. Il a déploré que l'influence linguistique, culturelle et, corollairement, politique de notre pays, se réduise à Bruxelles, alors que nous sommes un des membres fondateurs du Marché commun.

Insistant sur l'uniformisation linguistique en marche, qui tend à faire d'un idiome anglo-américain, souvent approximatif et en rupture avec toute culture, la langue de communication internationale, il a incité ses collègues à refuser la fatalité du recul de l'usage du français sur la scène mondiale.

Prenant pour exemple la généralisation des termes « TGV » ou « Airbus », il a souligné que la bataille du français était d'abord celle de l'innovation, du progrès technologique et de la capacité de la diplomatie à exporter le génie français.

Après avoir indiqué que sur 5.000 langues parlées dans le monde, seules 500 à 1.000 subsisteraient à moyen terme, il a fondé ses espoirs sur le succès du concept de diversité culturelle, dont il a rappelé qu'il faisait l'objet d'un débat à l'UNESCO devant aboutir à la signature d'une convention internationale, à l'automne 2005.

Considérant que cette conception devrait servir de base aux relations entre les pays et les peuples au XXIe siècle, il a souhaité que l'Organisation internationale de la Francophonie, formidable rassemblement de 56 Etats et gouvernements ayant le français en partage autour de valeurs communes, serve de modèle  : souvent dénigrée, et par ceux-là même qui l'ont fondée, son action repose en effet sur la conviction que la diffusion du français passe par l'intensification des échanges entre les Français et les cultures venues de l'étranger.

Il a reconnu que la réhabilitation de la Francophonie dépendait de la modernisation de ses institutions, qu'il a qualifiées de pléthoriques, souvent inefficaces et, finalement, coûteuses eu égard aux résultats escomptés.

Il a pointé du doigt la responsabilité de la France, premier bailleur de fonds, et pourtant trop souvent impuissante à faire entendre sa voix, alors même qu'elle dispose de puissants relais à l'étranger, comme il a pu le constater au cours de ses déplacements.

N'ayant d'autre ambition que de tirer un signal d'alarme auprès des hommes politiques et des décideurs de toutes tendances, le rapporteur a conclu son propos liminaire en faisant remarquer qu'il était grand temps de s'interroger sur la destination et l'efficacité des crédits interministériels concourant au développement de la langue française et à la francophonie, dont il a rappelé qu'ils atteignaient au total près de 900 millions d'euros.

Le rapporteur a ensuite précisé que les pistes de réforme esquissées dans le rapport étaient respectueuses des contraintes budgétaires, afin d'emporter l'adhésion des gestionnaires publics. Il a cité, à titre d'exemple :

- la création d'une Agence pour la culture française à l'étranger chargée de gérer l'ensemble des établissements culturels à travers le monde ;

- la mise en place d'une structure de coordination interministérielle afin de définir la stratégie d'ensemble de l'audiovisuel extérieur et de repenser le projet de chaîne d'information internationale, en impliquant davantage les opérateurs nationaux les plus concernés ;

- l'ouverture du système éducatif français sur l'international, notamment en consacrant un chapitre du projet de loi d'orientation sur l'école au réseau d'établissements scolaires à l'étranger et en favorisant l'apprentissage des langues vivantes étrangères dès le primaire ;

- l'élaboration d'un document annuel retraçant la consommation, l'utilisation et la gestion des fonds de la francophonie, confiée à l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF).

En concluant, il a estimé que ses propositions apportaient des réponses, aussi réalistes que possible, au « désir de France » ressenti à l'extérieur, dont il a estimé qu'il fallait entretenir la vivacité par des ambitions renouvelées.

Un débat a suivi la présentation du rapporteur.

M. Yves Dauge a considéré que les propositions s'inscrivaient pleinement dans les préconisations du rapport d'information sur les centres culturels à l'étranger qu'il avait publié en 2001, mais a mis en garde le rapporteur contre l'immobilisme de l'administration, auquel il avait déjà été confronté à l'époque.

Il a insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'emporter l'adhésion des décideurs ministériels, déjà convaincus par la nécessité de la réforme, mais de lutter contre la tentation de toujours remettre à plus tard le moment de sa mise en oeuvre.

Il a estimé, à cet égard, que les médias pouvaient apporter une aide précieuse, rappelant qu'en 2001, l'opportunité qui lui avait été donnée de discuter des conclusions de son rapport dans l'émission de Bernard Pivot avait permis de conférer à celui-ci une certaine notoriété.

Il a ensuite déploré les conséquences catastrophiques de la régulation budgétaire sur le terrain, privant les acteurs du réseau de moyens essentiels, avec tous les effets démobilisateurs qui s'ensuivent.

Il a affirmé que le cloisonnement des structures, tant ministérielles qu'au sein d'un même ministère, aboutissait à un pilotage aveugle aux réelles évolutions de terrain. Soulignant en particulier la vivacité du réseau scolaire et universitaire à l'étranger, il a regretté que le foisonnement des initiatives se développe sans le soutien ni du ministère de l'éducation nationale ni de ceux des affaires étrangères et de la culture, dont il a souligné l'hermétisme des circuits.

Il a ensuite jugé que la création d'une Agence pour la culture française à l'étranger chargée de gérer l'ensemble des établissements culturels à travers le monde allait dans le bon sens : sur le modèle de l'Agence française de développement (AFD), dont il a souligné l'efficacité, en dépit d'une certaine tendance à l'autonomie, il a souhaité que cette nouvelle structure permette de trouver un juste équilibre entre les préoccupations des opérateurs sur le terrain d'une part, et des diplomates, d'autre part.

M. Jacques Legendre s'est réjoui que les propositions du rapport répondent à un certain nombre de préoccupations exprimées notamment dans son rapport pour avis sur les crédits de la francophonie, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2005.

Il a souligné, en particulier, l'urgence de la mise en place d'une véritable tête de réseau politique pour la Francophonie, noyée à l'heure actuelle au sein d'une structure ministérielle aux compétences trop lourdes et pilotée, en réalité, par la toute puissante direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), totalement autonome au sein du ministère des affaires étrangères.

Il a observé, enfin, que la critique des institutions de la francophonie se devait d'être constructive, fondant toute tentative de réforme sur la volonté de faire avancer la cause francophone.

A l'issue de cet échange de vues, la commission a adopté les conclusions du rapporteur à l'unanimité et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

FRANCOPHONIE - CONFÉRENCE DES CHEFS D'ETAT ET DE GOUVERNEMENT AYANT LE FRANÇAIS EN PARTAGE (26 ET 27 NOVEMBRE 2004) - COMPTE RENDU

M. Jacques Legendre a ensuite présenté un compte rendu de la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage qui s'est tenue les 26 et 27 novembre 2004 à Ouagadougou et à laquelle il assistait en qualité de secrétaire général parlementaire de la francophonie.

Il a rappelé que la francophonie avait longtemps résulté d'initiatives non gouvernementales qui contribuaient à lui conférer un aspect relativement informel et qu'elle s'était institutionnalisée, à l'initiative du président François Mitterrand, avec l'organisation en 1986, à Versailles, du premier sommet. Il a ajouté qu'un second sommet s'était tenu en 1987 au Québec et que les suivants s'étaient succédé sur un rythme bisannuel, le sommet de Ouagadougou en constituant la dixième édition.

Ces rencontres qui constituent un temps fort de la vie institutionnelle de la francophonie témoignent de son attractivité croissante qui se manifeste par l'augmentation continue du nombre de ses membres. Celles-ci se rangent en trois catégories :

- les observateurs qui ne sont pas nécessairement des pays où la langue française est largement parlée, mais qui portent un intérêt particulier à la problématique de la francophonie (tel est le cas de pays comme la Lituanie, la Macédoine, l'Albanie, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie, rejoints, lors du dernier sommet, par l'Autriche et la Hongrie) ; l'afflux de ces nouveaux membres est le signe de l'attrait qu'exerce la francophonie, mais comporte également un risque de dilution et de brouillage de son image ;

- les membres associés, qui doivent répondre à des conditions plus exigeantes en termes de pratique effective et de promotion de la langue française ; cette exigence a conduit le dernier sommet à ne pas donner suite aux demandes déposées par l'Albanie et la Macédoine, qui souhaitaient passer du statut d'observateur à celui de membre associé ;

- les membres à part entière qui proviennent de tous les continents et regroupent la quasi-totalité des pays pratiquant le français, à l'exception de l'Algérie.

M. Jacques Legendre a indiqué que le président Bouteflika, qui avait assisté au sommet de Beyrouth, avait également participé au sommet de Ouagadougou à travers une déclaration écrite, mais que, décevant certaines attentes, il n'avait pas annoncé l'intention de son pays d'adhérer à la Francophonie. Rappelant l'importance du débat qui a lieu dans ce pays sur le choix de la langue d'alphabétisation, il a jugé compréhensible le souci exprimé par le président algérien de se montrer attentif à la place réservée en France à l'enseignement de la langue arabe, pour décider de celle qui serait faite au français dans le système éducatif algérien. Il s'est réjoui, toutefois, que l'Algérie soit de plus en plus présente dans les manifestations de la Francophonie, rappelant, en particulier, que les députés algériens avaient assisté à la 30e session de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie qui s'est tenue en juillet 2004 à Charlottetown au Canada.

Il a rappelé que le sommet de Ouagadougou avait pour thème principal le développement durable, et que cette préoccupation d'ordre écologique rendait légitime le choix d'un pays confronté, comme ses voisins, le Mali et le Niger, au problème de la sécheresse aggravé par l'état du fleuve Niger.

Evoquant ensuite le projet de Convention sur la diversité culturelle, il a indiqué qu'il avait été largement débattu, et que le Président de la République avait, dans une déclaration forte, incité les pays membres à apporter leur plein soutien à l'adoption de ce texte dans le cadre de l'UNESCO. Il a rappelé que les Etats-Unis avaient réintégré cette instance pour limiter la portée d'un projet auquel ils sont opposés, et s'est réjoui que celui-ci bénéficie, en contrepartie, de l'appui de très nombreux pays européens et africains, de celui de la Commission européenne, et depuis peu, de celui de la Chine, qui constitue un soutien de poids. Tout en estimant que l'adoption finale d'une convention internationale semblait maintenant acquise, il a précisé que tout l'enjeu de la négociation se concentrait désormais sur la portée juridique de ce texte, et en particulier sur son articulation avec les conventions existantes de l'Organisation mondiale du commerce.

Compte tenu de l'importance de la négociation de cette convention pour la défense de la diversité culturelle, il a souhaité que la commission y consacre une attention permanente au cours des prochains mois.

Il a également indiqué que le Président de la République s'était fermement engagé en faveur du développement des micro-crédits et qu'il avait défendu son projet d'instaurer une taxation internationale, dont le produit, d'une cinquantaine de milliards d'euros, serait consacré au financement d'actions de développement.

En conclusion, M. Jacques Legendre a estimé que le sommet d'Ouagadougou avait marqué une étape dans l'évolution de la Francophonie institutionnelle. Alors que celle-ci constituait, au départ, une réunion de pays francophones privilégiant les questions linguistiques et culturelles, elle tend à se transformer en un forum politique aux préoccupations élargies, réunissant des pays non engagés, à la recherche d'un certain contrepoids à l'unilatéralisme des Etats-Unis. Tout en jugeant intéressante et importante cette évolution, il a toutefois souhaité que la Francophonie ne perde pas de vue les fondements de son utilité.

M. Yannick Bodin s'est réjoui de l'extension prise par la Francophonie, estimant qu'elle contribuait de façon positive à une certaine structuration de l'influence française dans le monde. Rappelant qu'Alger était, en quelque sorte, la seconde ville francophone du monde en termes de population, il a estimé que le rapprochement opéré par l'Algérie, qui procède à petits pas, invitait raisonnablement à un certain optimisme, même si la réintroduction de la langue française dans l'enseignement primaire algérien se heurtait encore à de grandes difficultés.

NOMINATION DE RAPPORTEURS

Au cours de la même réunion, la commission a désigné comme rapporteurs :

- Mme Catherine Troendle sur les propositions de loi n° 1757 (AN) visant à améliorer les retraites des maîtres de l'enseignement privé sous contrat (sous réserve de sa transmission par l'Assemblée nationale) et n° 68 (2004-2005) de M. Hubert Haenel, tendant à améliorer les retraites des maîtres de l'enseignement privé sous contrat ;

et M. Jacques Legendre sur la proposition de loi n° 59 (2004-2005) de M. Philippe Marini, complétant la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française.