Travaux de la commission des affaires culturelles




Mardi 3 février 2004

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Union européenne - Habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire - Examen du rapport pour avis

La commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Léonce Dupont sur le projet de loi n° 164 (2003-2004) portant habilitation du Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a indiqué que la saisine de la commission concernait la transposition, pour certaines professions, de la directive 2001/19/CE du 14 mai 2001 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.

Il a tout d'abord évoqué le retard pris par la France en matière de transposition des directives européennes et les raisons ayant conduit le Gouvernement à recourir à cette procédure d'habilitation par ordonnances.

Il a précisé, à cet égard, que le Gouvernement avait mis en oeuvre, depuis novembre 2002, un plan d'action destiné à accélérer la transposition des directives en droit national, qui avait permis des progrès notables dans le domaine réglementaire, mais plus modestes s'agissant des mesures de transposition de nature législative, que requièrent cependant près de 40 % des directives. Il a relevé que l'ordre du jour chargé du Parlement n'avait pas permis au Gouvernement de lui soumettre en temps utile tous les projets de loi de transposition qui auraient permis à la France de respecter ses obligations communautaires.

Il a indiqué qu'en 2002, les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne étaient convenus de réduire la part des directives non transposées à moins de 1,5 %. Il a précisé que la France se situait, en novembre dernier, au dernier rang de l'Union en ce domaine, avec 3,8 % de directives non transposées, mais qu'à la faveur de ce plan d'action, ce taux avait été récemment réduit à 3 %, taux cependant encore deux fois supérieur à l'objectif communautaire.

Après avoir regretté que la France se soit ainsi exposée à de nombreux contentieux sur le plan communautaire, il a précisé que la directive 2001/19/CE avait fait l'objet d'un avis motivé de la Commission européenne le 17 octobre 2003, la transposition de cette directive ayant dû, en effet, être effectuée avant le 1er janvier 2003.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a ensuite rappelé que dans le cadre de la procédure d'habilitation, les pouvoirs du Parlement étaient contraints, les assemblées ne pouvant qu'accepter la délégation du pouvoir législatif ou la contester, en la refusant ou en en limitant le champ. Il a estimé que rien ne saurait justifier, en l'espèce, un tel refus ou une telle limitation du champ d'intervention prévu par le présent projet de loi d'habilitation.

Il a ensuite présenté les principales modifications introduites par la directive 2001/19/CE du 14 mai 2001, que le 5° du II de l'article 1er du projet de loi propose de transposer par ordonnance.

Il a indiqué que cette directive s'inscrivait dans le cadre d'un programme européen tendant à supprimer les obstacles à l'achèvement et au bon fonctionnement du marché intérieur, qui vise à donner aux citoyens de l'Union une plus grande liberté pour circuler, travailler, étudier et s'établir dans d'autres Etats membres. Il a indiqué que, dans cette perspective, l'Europe avait engagé une politique visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles, et que la directive de 2001 tendait à modifier certaines dispositions des directives existantes en la matière, afin d'en simplifier et d'en clarifier le dispositif.

Il a précisé que ces directives étaient de deux types, certaines dites « sectorielles » concernant un certain nombre de professions réglementées (médecins, infirmiers, dentistes, vétérinaires, sages-femmes), d'autres dites « horizontales » tendant à organiser un système général de reconnaissance des diplômes et des formations professionnelles.

Le rapporteur pour avis a ensuite exposé que la directive 2001/19/CE tendait à modifier certaines dispositions de ces deux types de directives, sans changer en profondeur les dispositifs de reconnaissance de diplômes et de qualifications professionnelles existants, et que l'essentiel des innovations qu'elle introduit visait à une meilleure prise en compte de l'expérience professionnelle des migrants. Les Etats membres doivent ainsi examiner si l'expérience professionnelle acquise par le demandeur après l'obtention du ou des titres dont il fait état couvre les matières qui manquent à sa formation par rapport à celles couvertes par le diplôme requis dans l'Etat membre d'accueil. Pour les professions couvertes par une directive sectorielle, la directive 2001/19/CE impose également la prise en compte, sur la base d'un examen au cas par cas, des diplômes obtenus dans un Etat tiers dès lors que leur titulaire est lui-même ressortissant de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) et que son diplôme a déjà fait l'objet d'une reconnaissance dans un autre Etat membre de l'Union ou de l'EEE.

Puis M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a indiqué que le projet de loi prévoit de transposer par ordonnance certaines des dispositions de cette directive, pour ce qui concerne les professions médicales et para-médicales précitées, cette ordonnance devant introduire des modifications dans le code de l'éducation, de façon à ce qu'il soit désormais tenu compte, pour les spécialistes en médecine et en art dentaire, de la formation spécialisée du demandeur, de son expérience professionnelle, de sa formation complémentaire et de sa formation médicale continue, ceci dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il a ajouté que d'autres modifications devraient être apportées aux codes de la santé publique et de l'action sociale.

Il a précisé que, pour les autres professions concernées par la directive, la transposition avait déjà été réalisée, ou devrait l'être par voie réglementaire. Tel est le cas des professions para-médicales (hors infirmiers), des psychologues, des vétérinaires, des experts comptables, des avocats, des éducateurs sportifs ou des guides touristiques...

S'agissant des architectes et des géomètres-experts, il a relevé qu'on aurait pu concevoir que les dispositions d'ordre législatif soient adoptées par ordonnance sur la base de la présente habilitation. Il a précisé que, d'après ses informations et en l'état actuel des discussions interministérielles, le Gouvernement souhaiterait plutôt, par souci de cohérence, inclure lesdites dispositions dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, s'est ensuite félicité que le Gouvernement ait, conformément aux engagements pris auprès des présidents des assemblées parlementaires, communiqué le projet d'ordonnance.

Il a relevé par ailleurs avec satisfaction que l'habilitation sollicitée par le Gouvernement était définie de manière circonscrite et respectait les strictes exigences imposées par le droit communautaire, afin que soient prises l'ensemble des mesures permettant de garantir le respect des objectifs de la directive concernée.

Compte tenu de l'ordre du jour prévisible des assemblées parlementaires, il s'est toutefois interrogé sur le délai dans lequel le Gouvernement sera en mesure de présenter les dispositions concernant les professions d'architecte et de géomètre-expert, dans un prochain projet de loi comportant d'autres dispositions relatives à ces deux professions. Sur le fond, il a estimé que si une telle solution ne pouvait évidemment que retenir sa préférence, le risque contentieux lié au retard de transposition des dispositions concernées devrait inciter à la prudence.

Le rapporteur pou avis a enfin soutenu la démarche du Gouvernement tendant à combler le retard de la France en matière de transposition des directives européennes dans le droit national et il a formulé, par conséquent, le voeu que soit respecté le délai fixé par l'article 10 du projet de loi pour cette transposition par ordonnance, à huit mois suivant la promulgation de celui-ci.

Sous réserve de ces observations, M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a proposé à la commission de donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi pour les mesures relevant de sa compétence.

Un large débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Philippe Richert a félicité le rapporteur pour la clarté de son exposé et lui a demandé quelle serait la part des directives non transposées après l'adoption des ordonnances telle que prévue par le Gouvernement.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a indiqué que le taux de 3,5 %, établi au 30 novembre 2003, correspondait à un retard de transposition de 54 directives. Dans la mesure où ce taux s'élève aujourd'hui à 3 % et où le présent projet de loi devrait autoriser le Gouvernement à adopter environ 22 de ces directives, on peut considérer qu'une bonne partie de l'objectif serait ainsi atteint.

MM. Jacques Legendre et Jacques Valade, président, se sont interrogés sur la réelle capacité des assemblées parlementaires à modifier les projets de directives avant leur adoption définitive par les institutions européennes.

M. Ivan Renar, s'est, quant à lui, inquiété des conséquences de la législation européenne sur la législation nationale et il a souhaité que soit débattue au sein de l'Europe la question de l'avenir du cinéma et de l'audiovisuel, afin que la France puisse défendre l'exception culturelle.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a rappelé que l'article 88-4 de la Constitution permettait aux assemblées parlementaires de se prononcer en amont sur les projets de directives et que tel avait été le cas de la directive du 14 mai 2001, qui avait fait l'objet d'une proposition de résolution dont la commission avait été saisie en 1998, mais qui ne concernait que l'accès aux formations menant aux professions d'encadrement sportif, non concernées par le présent projet de loi.

Le rapporteur pour avis a ensuite précisé à M. René-Pierre Signé que les dispositions concernant la reconnaissance mutuelle des diplômes avaient été déjà largement transposées, mais que l'ordonnance du Gouvernement devrait concerner essentiellement l'expérience professionnelle.

M. René-Pierre Signé a trouvé paradoxale la difficulté rencontrée aujourd'hui par les étudiants pour s'orienter vers la profession de médecin ou de vétérinaire, compte tenu du numerus clausus, alors que le processus de validation des diplômes et acquis professionnels devrait amener la France à accueillir de plus en plus de médecins étrangers.

M. Jacques Valade, président, a souligné tout l'intérêt de cette remarque et relevé la difficulté d'exercer ce type de profession en l'absence d'expertise scientifique suffisante.

M. René-Pierre Signé a estimé, par ailleurs, que l'évolution des études de médecine, qui privilégient à l'excès les matières strictement scientifiques au détriment d'un esprit humaniste, contribuait probablement au retard enregistré par la France dans le domaine des soins palliatifs et du traitement de la douleur.

M. Ivan Renar a partagé ce point de vue et il a regretté que certaines matières telle que la philosophie, ne soient pas enseignées aux médecins, pourtant confrontés plus que par le passé aux problèmes de société.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur pour avis, a partagé ces propos. Il a toutefois rappelé que le texte concerné ne visait que la validation de diplômes ayant fait l'objet d'une reconnaissance par un autre Etat membre.

La commission a ensuite, à l'unanimité, donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi pour les mesures relevant de sa compétence.

Mercredi 4 février 2004

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Recherche - Audition de M. François Ailleret, membre de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord procédé à l'audition de M.  François Ailleret, membre de la section des activités productives, de la recherche et de la technologie du Conseil économique et social, sur son rapport sur la recherche publique et les entreprises.

M.  François Ailleret a indiqué que le Premier ministre avait saisi le Conseil économique et social (CES) d'une demande d'avis sur « l'économie de la connaissance : la recherche publique française et les entreprises », à lui faire parvenir avant la fin de l'année 2003. Il a précisé que cette saisine portait sur trois grands sujets : les relations entre la recherche publique et les entreprises, l'efficacité de la dépense nationale de recherche et l'emploi scientifique, et que si elle concernait d'abord la France, dans son contexte européen, il convenait cependant de l'aborder avec un éclairage mondial, compte tenu notamment de la mondialisation de l'économie et de la mobilité des cerveaux.

Il a souligné que le système complexe qui va de la recherche fondamentale jusqu'à l'industrialisation, en associant recherche appliquée, innovation, développement et enseignement supérieur, conditionnait très largement la croissance, la création d'emplois et le rayonnement d'un pays.

M. François Ailleret a estimé que le bilan de la situation de la recherche en France devait être nuancé et qu'il convenait d'écarter tout jugement à l'emporte-pièce.

Au titre des points forts, il a cité la qualité de l'enseignement supérieur, la tradition solide d'une recherche de haut niveau, l'existence de domaines d'excellence, une évolution positive de l'attitude culturelle -traditionnellement réservée- de la recherche publique envers l'entreprise, et un niveau élevé de dépenses publiques. Il a estimé que certains de ces points forts étaient menacés et qu'il était nécessaire, voire urgent dans certains cas, de les renforcer.

S'agissant des points faibles, il a évoqué la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques, un retard préoccupant dans de nouveaux domaines (biotechnologies, micro et nanotechnologies), le faible niveau du financement privé de la recherche, l'insuffisance des liens concrets entre recherche publique et entreprises, ainsi que les problèmes posés par les structures, les modes de décision ou de fonctionnement de la recherche publique qui, non seulement s'avèrent trop administratifs, lourds et complexes mais, de plus, évoluent trop lentement en comparaison avec les autres pays.

Il a estimé que la France devrait et pourrait mieux utiliser ses atouts, à la fois en renonçant à des pratiques inadaptées, trop complexes ou dispersées, et en consacrant davantage de moyens à la recherche, à l'innovation et à l'enseignement supérieur.

Il a considéré que la comparaison avec d'autres pays mettait clairement en évidence des voies de progrès pour la France : liens à renforcer entre enseignement supérieur et recherche, plus forte implication du secteur privé et dans certains cas du secteur public, simplification et restructuration en vue de mieux valoriser la recherche, renforcement des incitations à la qualité et à l'efficacité par le recours à des évaluations menées par des experts indépendants (par une attribution des financements moins administrative et par un intéressement financier des chercheurs aux résultats de leurs travaux), et mobilité renforcée à la fois entre secteurs public et privé et au sein du secteur public.

M.  François Ailleret a ensuite exposé les recommandations formulées par le projet d'avis, dont certaines s'appliquent à l'Etat : définition d'une véritable stratégie de la recherche, appuyée sur une réflexion prospective, mise en place d'un grand ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur, renforcement de l'effort public de recherche et révision des modalités d'attribution des crédits, évolution de la coopération européenne et croissance des financements européens.

D'autres propositions concernent l'organisation et la gouvernance de la recherche publique : amélioration de la productivité et de la performance, autonomie accrue des organismes, développement d'une culture de véritable évaluation, renforcement et restructuration de la recherche technologique, nouvelles sources de financement, meilleure communication avec le public et la société civile, et priorité donnée à la valorisation de la recherche.

Enfin, des recommandations portent sur l'emploi scientifique et concernent l'attractivité des métiers, une meilleure adaptation de l'enseignement supérieur aux besoins, une véritable gestion des ressources humaines (facteur tant d'amélioration des carrières que d'efficacité), un assouplissement des règles d'embauche ou de pourvoi des postes, l'encouragement et l'appui aux jeunes.

Puis M.  François Ailleret a souligné que la recherche constituait une clef de l'avenir et que son succès passait nécessairement par un renforcement des liens entre recherche publique, universités et entreprises. Il a souhaité qu'il soit procédé à des changements d'organisation, de méthodes de gouvernance, de répartition des responsabilités, et que soient poursuivies les évolutions culturelles sur l'évaluation et pour la mobilisation de nouvelles synergies, en donnant sa juste place à la négociation. Il a jugé que dépenser autrement permettrait de dépenser mieux l'argent public.

Il a estimé que des incitations appropriées devraient encourager le développement de la recherche privée et il a souhaité que le système de valorisation de la recherche, d'appui à l'innovation et d'aide à la création d'entreprise soit simplifié et restructuré.

La première force de la recherche publique tenant à la compétence et à la motivation de ses personnels, il a jugé indispensable de préparer ces derniers aux nécessaires évolutions, par la négociation sociale. Il a enfin insisté sur le besoin d'actions fortes et rapides de nature à redonner aux jeunes le goût de s'engager dans une carrière scientifique.

M.  François Ailleret a conclu que l'écart se creusait avec les pays étrangers et que le temps jouait contre la France.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Jacques Valade, président, a remercié l'orateur et a déclaré qu'il adhérait à nombre de ses conclusions.

M. Jean-Léonce Dupont a soutenu en particulier les recommandations du CES concernant le nécessaire rapprochement entre l'enseignement supérieur et la recherche, ainsi que la création d'un ministère unique. Il a demandé comment pourraient évoluer les structures actuelles de la recherche publique ainsi que sa gestion des ressources humaines, en particulier en début et en fin de carrière. Il s'est enquis des moyens de mieux utiliser les réserves de certains laboratoires.

M. François Autain a demandé si la politique actuelle du Gouvernement, caractérisée en particulier par une transformation de 550 emplois statutaires en contrats à durée déterminée, était susceptible de permettre à la France de rattraper son retard en matière de recherche. Il a estimé que cette politique n'était pas de nature à encourager les jeunes chercheurs à rester en France.

Alors que la recherche demande du temps, M. Ivan Renar s'est inquiété du recours à des contrats à durée déterminée ainsi qu'au concept de recherche par projet. Il a rappelé que la plupart des grandes découvertes avaient résulté d'une longue période de recherche et il a craint que la composante intellectuelle de la recherche française ne soit plus à même d'exercer son rôle.

M. Jacques Valade, président, a estimé que la création de deux ministères -chargés respectivement de la recherche et de l'enseignement supérieur- s'était avérée très dommageable à la cohérence et à la cohésion, et il a soutenu la proposition relative à la création d'un ministère unique. Il a par ailleurs estimé souhaitable qu'une lucidité suffisante, au travers des évaluations, puisse conduire à renoncer à un axe de recherche pour s'investir sur un autre, ce que facilitent la définition et l'évaluation d'objectifs de recherche.

M. François Ailleret a jugé que les liens entre enseignement supérieur et recherche étaient supérieurs à ceux qui rapprochent enseignement supérieur et enseignement primaire et secondaire. Il a estimé nécessaire que les moyens de la recherche contribuent à l'enseignement supérieur et accélèrent ainsi la vitesse de circulation des connaissances. Il a indiqué, à cet égard, que la place de la recherche dans l'enseignement supérieur était plus importante à l'étranger qu'en France et il a estimé qu'un ministère unique permettrait de renforcer le pilotage de la recherche publique. Il a ajouté qu'une meilleure articulation entre ces deux domaines permettrait, aux chercheurs qui le souhaitent, de consacrer les dix dernières années de leur carrière à l'enseignement.

Partageant le point de vue de M. Jacques Valade, président, il a estimé qu'une recherche vivante devait être capable à la fois d'ouvrir et de fermer des laboratoires et que cette évolution naturelle se trouvait, en France, le plus souvent empêchée, en raison de problèmes liés à la réaffectation des personnels. Il a ensuite évoqué les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les chercheurs ou post-doctorants français qui travaillent à l'étranger et souhaitent retrouver un poste en France, en raison de conditions de travail beaucoup moins attractives et de délais de réponse très longs des laboratoires. Trois points lui ont donc semblé mériter une réflexion : le recrutement, le suivi des chercheurs français à l'étranger et la fin de carrière. Il a relevé que la recherche américaine se trouvait subventionnée par la France, à travers la présence de 5.000 chercheurs français aux Etats-Unis.

Après avoir estimé possible une amélioration de la gestion des laboratoires de recherche publique, il a jugé toutefois insuffisants -sauf exception- leurs moyens de fonctionnement alors même que leurs effectifs sont « relativement larges ». Le directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a déclaré, à l'occasion de son audition par le CES, que s'il en avait la possibilité, il choisirait de réduire les effectifs de son établissement au bénéfice d'un accroissement des investissements.

M. François Ailleret a par ailleurs regretté qu'en l'absence de cartographie précise de la recherche publique, des redondances entraînent un certain gaspillage de ressources. Il a donc jugé nécessaire de réduire ces redondances et de développer le travail en réseau.

Il a considéré que le retard de la France tenait surtout à l'insuffisante évolution des structures et des modes de financement : alors que le budget de tout laboratoire de recherche publique comporte d'une part, une composante budgétaire et, d'autre part, des crédits sur projet après mise en compétition, la première s'avère prépondérante en France, contrairement aux autres pays. Il a jugé souhaitable que soit développé le travail par projet, même si celui-ci ne constitue pas une panacée. Evoquant les financements européens prévus par le programme communautaire de recherche et développement, il a jugé paradoxal qu'une part non négligeable de l'argent destiné à la recherche européenne serve à financer la recherche d'argent européen. Il a jugé favorables, mais insuffisantes, les évolutions engagées en France.

Il a indiqué que notre pays était le seul à proposer des « emplois à vie » dès la fin des études. Il a néanmoins jugé que les post-doctorants devaient se voir proposer de meilleures conditions de travail. Il a, par ailleurs, estimé insuffisante la mobilité des chercheurs, tant au sein de la recherche publique qu'entre secteurs public et privé. Il a regretté que les entreprises privées recrutent systématiquement des ingénieurs issus des grandes écoles, au détriment des universitaires, et il a fait état d'une recommandation du CES tendant à prévoir un allègement de charges sociales, pendant trois ans, au bénéfice des entreprises recrutant des chercheurs issus du secteur public.

S'étonnant de la diffusion du concept d'évaluation dans tous les secteurs, M. Jack Ralite s'est inquiété des éventuelles conséquences d'un renforcement de la coopération entre recherche publique et recherche privée, au détriment de la première. Il a, par ailleurs, demandé comment rendre plus populaire la recherche et la création.

M. François Ailleret a soutenu que le développement de l'évaluation au sein du secteur public favorisait le passage d'une culture de moyens à une culture de résultats. Il a jugé que l'évaluation était un élément du contrôle mais ne devait pas se substituer à lui, et qu'elle devait être réalisée par les pairs, y compris par des chercheurs étrangers indépendants. Il a souhaité que ce concept soit promu, relevant que l'évaluation n'était pas seulement source de critiques mais pouvait également fortement valoriser des équipes de recherche. Regrettant les modalités mises en place dans ce domaine par le CNRS, il a estimé qu'il ne fallait pas confondre évaluation des travaux scientifiques et défense des intérêts individuels par les syndicats.

Il a jugé qu'on ne pouvait dissocier recherche fondamentale et recherche appliquée, comme l'illustre même un pays libéral comme les Etats-Unis, et il a souhaité que les industriels posent davantage de questions aux laboratoires de recherche fondamentale.

Il a enfin émis le voeu que les scientifiques disposant d'un fort pouvoir de conviction s'expriment dans les médias pour valoriser la science dans l'esprit du public.

Audition de M. Axel Kahn, directeur de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

La commission a ensuite entendu M. Axel Kahn, directeur de recherches à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

M. Jacques Valade, président
, a fait part à M. Axel Kahn du souhait de la commission de l'entendre, en tant qu'acteur important de la recherche fondamentale en France, sur les moyens d'améliorer le fonctionnement de la recherche dans notre pays.

Après avoir indiqué qu'il dirigeait un institut de recherche biomédicale de 550 personnes, M. Axel Kahn a relevé la singularité de la situation actuelle, caractérisée par un mouvement historique de chercheurs, alors même que le Gouvernement défend la permanence de ses efforts en faveur de la recherche. Il a estimé que cette situation résultait de trois facteurs principaux :

- la difficulté réelle des laboratoires à maintenir leur compétitivité ;

- outre les tensions budgétaires, un retard cumulatif de la recherche française et sa moindre attractivité pour les jeunes chercheurs, dans un contexte de vieillissement des équipes ;

- un important retard en matière de moyens matériels, par rapport aux concurrents, ainsi que la difficulté de recruter un nombre suffisant d'ingénieurs et de techniciens dans les nouveaux métiers, avec le risque de perte de mémoire et donc de transmission de savoir-faire que cela entraîne.

M. Axel Kahn a fait état du traumatisme budgétaire considérable qu'a entraîné la mise en oeuvre du budget pour 2003. Il a précisé que le budget de son propre laboratoire ayant diminué de 35 %, il s'était trouvé en situation de ne plus pouvoir faire face à ses engagements. Il a insisté sur le fait que les chercheurs avaient vécu comme une forme de mépris le discours du Gouvernement, en décalage avec les difficultés réelles auxquelles ils sont confrontés, alors même qu'ils ne peuvent justifier leur profession que par la reconnaissance de leurs pairs mais aussi de la Nation.

Il a indiqué que les chercheurs, désemparés, s'étaient trouvés interpellés par l'angoisse et la révolte exprimées par leurs jeunes collègues, qui ont vécu comme une injustice la transformation de 550 postes statutaires en contrats à durée indéterminée, alors même qu'ils se préparaient, depuis 11 ans, à passer des concours afin d'accéder à ces postes.

Il a souligné que les emplois proposés en France dans ce cadre étaient beaucoup moins attractifs qu'à l'étranger (avec une rémunération mensuelle de 1.850 euros seulement) et qu'ils s'exerçaient dans des conditions techniques et matérielles dégradées.

Exerçant la profession de chercheur depuis 35 ans, M. Axel Kahn a précisé qu'il n'avait jamais été partisan de la fonctionnarisation des chercheurs mise en place au début des années 80, mais que ce nouveau statut n'avait en réalité rien changé à la stabilité de l'emploi, déjà réelle dans ce secteur. Il a toutefois regretté que les règles qui s'imposent aux fonctionnaires (en termes de disponibilité, par exemple) n'aient pas été suffisamment appliquées.

Il a estimé que le problème majeur tenait non pas à la permanence des emplois, mais à la permanence des fonctions. Il a jugé nécessaire une concertation dans un cadre élargi, afin que soient discutées avec les chercheurs l'évolution de leur métier et la mobilité des positions. Il a précisé qu'en milieu de carrière, les chercheurs pourraient soit être destinés à l'encadrement, soit se voir ouvrir un éventail d'autres fonctions (enseignement supérieur ou secondaire, muséographie...). Il a également souligné l'intérêt d'un partenariat entre secteurs public et privé, afin que des chercheurs puissent être mis à disposition du tissu économique et social, en particulier des petites et moyennes entreprises.

M. Axel Kahn a jugé qu'on ne pouvait dissocier l'enseignement supérieur de la recherche, et que si l'harmonisation du statut lui paraissait discutable, aucun sujet ne devait être tabou. De même, il a souhaité que soit rejeté tout a priori idéologique, dont il a estimé que relevait cependant la décision brutale du Gouvernement de remplacer des postes statutaires par des emplois contractuels à durée déterminée peu attractifs.

La chaîne qui va de la recherche à la valorisation, non linéaire, relève selon lui de trois grands blocs :

- en aval, la recherche et développement (R & D) qui permet de donner une valeur marchande à une innovation, et qui, aux Etats-Unis -contrairement à la France et à l'Europe- relève totalement du secteur privé ;

- la recherche finalisée, qui comporte un but précis ;

- la recherche de concept, ou recherche fondamentale, dont la seule finalité est de connaître le fonctionnement de la nature.

M. Axel Kahn a ensuite indiqué que les conditions de financement de la recherche par les grandes entreprises avaient beaucoup évolué depuis 15 ans. Alors qu'elles investissaient avant dans la recherche finalisée à risque, voire fondamentale, aujourd'hui la logique financière et boursière dans laquelle elles s'inscrivent ne leur permet plus de poursuivre dans cette voie. Il a relevé que le Gouvernement américain avait pris en compte cette évolution et décidé d'investir massivement dans la recherche fondamentale, en particulier par le biais des laboratoires universitaires. Il a insisté sur le fait que seuls les contribuables et les fondations caritatives pouvaient désormais financer la recherche fondamentale.

Un débat a suivi l'exposé de M. Axel Kahn.

Remerciant M. Axel Kahn pour la sincérité de sa présentation, M. Jacques Valade, président, a déclaré partager sa conviction que la conduite de la politique de recherche ne peut se faire dans une optique exclusivement financière.

Saluant la passion et l'engagement de M. Axel Kahn, M. Ivan Renar a estimé que son intervention apportait des réponses aux interrogations qui avaient été formulées lors de la discussion du projet de budget de la recherche, et que ses propositions constitueraient une excellente « feuille de route ».

Après avoir rappelé que nombre d'universités créées dans le cadre de la décentralisation ne disposaient pas d'unités de recherche et que la région Nord-Pas-de-Calais n'accueillait que 1,5 % de l'effectif national, il a souhaité savoir comment pouvait être amélioré l'aménagement du territoire en matière de recherche scientifique.

Soulignant que les chercheurs n'étaient pas hostiles par principe à la mobilité, comme en témoignait la fréquence des départs aux Etats-Unis, il a estimé qu'il était nécessaire de créer en France les conditions de cette mobilité, et a souhaité connaître les évolutions statutaires que l'on pouvait envisager pour l'encourager.

Il a jugé nécessaire de faire de la recherche une priorité nationale, pour éviter que la France ne soit distancée par des pays comme les Etats-Unis et le Japon, et bientôt peut-être par la Chine ou l'Inde.

M. Jean-Léonce Dupont a interrogé M. Axel Kahn sur l'organisation structurelle de la recherche en France, sur ses spécificités et sur sa compétitivité analysées dans une approche comparative. Il a demandé si la difficulté de beaucoup d'entreprises françaises à développer une activité de recherche et développement ne s'expliquait pas, outre leur approche culturelle, par leur dimension.

M. Jack Ralite a estimé que la culture de l'évaluation s'élevait aujourd'hui à la dimension d'un véritable mythe, et que la volonté d'en généraliser l'application à tous les domaines, y compris à la psychothérapie, à la création artistique et aux problèmes juridiques, laissait craindre une régression de la place et de la condition de la pensée, et posait le problème du statut et de l'esprit dans notre pays et notre civilisation.

Il a déploré une tendance idéologique qui conduit aujourd'hui à ne plus envisager les grands problèmes que sous une approche étroitement comptable.

M. Serge Lagauche a demandé des précisions sur la coopération européenne en matière de recherche, et les moyens qui lui sont consacrés.

En réponse aux différents intervenants, M. Axel Kahn a apporté les indications suivantes :

- la crise économique que traverse notre pays peut, à la rigueur, justifier une stabilisation des effectifs de la recherche, mais la nécessité d'anticiper les recrutements que rendront nécessaires les importants départs à la retraite attendus au cours des prochaines années devrait inviter à ne pas interrompre aujourd'hui les créations d'emplois ; la diminution de l'emploi scientifique à laquelle on assiste actuellement ne peut être justifiée, même dans une simple approche de bonne gestion comptable ;

- si la création d'universités dépourvues d'activités de recherche est une dérive regrettable, il est évident, en sens inverse, que chaque université ne peut être présente sur tout l'éventail de la recherche, mais doit au contraire se spécialiser sur un domaine, si possible lié à l'économie de sa région, dans la perspective de créer des pôles d'excellence ;

- l'expatriation des jeunes chercheurs témoigne d'un état d'esprit propice à la mobilité, et il est regrettable que, faute de leur fournir des perspectives, nous laissions les meilleurs d'entre eux, qui sont aussi souvent les plus mobiles, partir pour l'étranger ;

- il est très fructueux, pour un chercheur, de parachever à l'étranger, et notamment aux Etats-Unis, sa formation ; c'est le caractère définitif de ce départ qui est préoccupant ; il s'agit d'un phénomène assez récent ; pendant longtemps, la qualité de la vie en France a constitué un frein à la fuite des cerveaux ; mais elle ne suffit plus à retenir les jeunes chercheurs qui ont le sentiment que seule l'expatriation leur permettra d'aller jusqu'au bout de leur passion pour la découverte ;

- ériger la recherche en « priorité nationale » est souhaitable à condition que cet objectif ne reste pas à l'état de simple formule, mais débouche sur une véritable ambition française et européenne ; sa poursuite appelle une vision partagée, de telle sorte que les alternances ne remettent pas en cause une politique qui, par nature, a besoin d'une continuité dans la durée ;

- l'optimisation de l'organisation structurelle de la recherche est un objectif à atteindre, sans tabou ; il conviendrait notamment de réorganiser et de simplifier un dispositif de recherche marqué par une accumulation des structures et un fractionnement des activités ;

- les industriels n'attendent pas de l'Etat qu'il apporte des solutions à des problèmes techniques, mais plutôt qu'il ouvre des pistes vers lesquelles orienter leurs activités de recherche et développement ;

- la politique de recherche publique étant financée par l'impôt, il est indispensable de procéder à une évaluation qui permette de rendre compte de l'utilisation des moyens que la Nation lui a consacrés ; cette évaluation ne doit pas se limiter à une approche administrative, mais être adaptée à chacun des segments d'une recherche qui est par nature plurielle ; il s'agirait ainsi, pour la recherche-développement, d'apprécier la pertinence d'un projet en fonction de son aptitude à créer de la valeur ; pour la recherche finalisée, d'évaluer la pertinence d'une stratégie par rapport au but qui lui est fixé ; enfin, l'évaluation de la recherche fondamentale, la plus délicate à mener, devrait reposer sur une appréciation de la créativité des équipes, de l'originalité de leurs travaux, et des résultats déjà atteints ;

- la politique de recherche européenne souffre de deux handicaps : elle est à la fois trop bureaucratique, comme en témoigne la lourdeur des procédures nécessaires pour l'obtention de subventions ; elle est trop finalisée en aval alors que seule une politique de recherche équilibrée entre la recherche fondamentale, la recherche finalisée et la recherche-développement, permet de bien préparer l'avenir.

Recherche - Audition de M. Alain Trautmann, codirecteur du département de biologie cellulaire à l'Institut Cochin (INSERM-CNRS)

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Alain Trautmann, codirecteur du département de biologie cellulaire à l'Institut Cochin (INSERM-CNRS), porte-parole du collectif « Sauvons la recherche ! », accompagné d'une délégation du collectif.

Accueillant M. Alain Trautmann et les membres du collectif « Sauvons la recherche ! », M. Jacques Valade, président, les a invités à présenter devant la commission leur analyse de la politique actuelle de recherche et les initiatives qu'ils ont prises pour attirer l'attention de l'opinion et des pouvoirs publics.

M. Alain Trautmann a rappelé que l'appel lancé par le collectif, le 7 janvier dernier, avait été signé par plus de 38.000 personnes travaillant dans des équipes de recherche et ne visait pas à la défense corporatiste d'un secteur d'activité, mais tendait à alerter l'opinion et la société civile sur un enjeu vital pour l'avenir du pays.

Il a estimé que la recherche était en danger, car contrairement aux affirmations du Gouvernement qui prétend que la recherche est bien traitée en France, et fait l'objet d'une priorité, le pourcentage du PIB qui lui est consacré ne cesse de diminuer depuis 1993.

Il a noté que cette diminution avait été entamée alors que la gauche était au pouvoir, et que le Gouvernement actuel l'avait considérablement aggravée, alors même que le Président de la République affirmait, depuis 2000, que l'effort de recherche devait atteindre 3 % du PIB d'ici 2010. La disparité de traitement entre un organisme comme le CNRS, dont les ressources globales n'ont quasiment pas augmenté depuis 15 ans, et de grands organismes américains, dont le budget a doublé en 5 ans, montrait la difficulté de rester compétitifs.

Évoquant la vigueur de la recherche privée américaine qui représente 70 % de l'effort de recherche des Etats-Unis, il a estimé qu'elle amplifiait un investissement public majeur qui restait au coeur du dispositif, et restait sans commune mesure avec le nôtre. Après avoir rappelé que la recherche publique était seule à même d'assurer une recherche fondamentale sans rentabilité immédiate, il a souligné que son asphyxie bloquerait tout développement de la recherche privée en France, et inciterait de grands groupes pharmaceutiques à fermer leurs centres de recherche en France pour en ouvrir aux Etats-Unis.

Il a contesté l'argument suivant lequel l'objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche devait être atteint principalement par un développement de la recherche privée, la part de la recherche publique restant à 1 % -ou plutôt 0,9 % actuellement- pour la France.

Il a en outre relevé qu'un tiers de l'effort public de recherche provenait de ministères autres que celui de la recherche, et qu'un autre tiers de cet effort public était absorbé par trois grands programmes technologiques : recherche spatiale, recherche astronomique et recherche civile, qui occupent dans la recherche publique française une place hors de proportion avec ce que l'on trouve dans tous les autres pays.

Le maintien de ces programmes stratégiquement importants devrait plaider pour que l'effort de recherche publique atteigne entre 1,1 % et 1,3 % du PIB, afin de ne pas léser le reste de la recherche fondamentale, dont dépendent l'indépendance du pays et sa capacité d'autonomie.

Estimant que le problème des jeunes constituait l'aspect le plus brûlant de la crise actuelle, il a rappelé que ceux qui sont actuellement en thèse ou en post-doctorat dans les laboratoires s'étaient engagés dans cette voie par goût de la recherche, et avec l'espoir d'en faire leur métier, compte tenu de perspectives démographiques qui laissaient présager d'importants recrutements au début du XXIe siècle, pour compenser les départs en retraite. Ces recrutements étaient d'ailleurs confirmés dans le plan pluriannuel pour l'emploi dans la recherche, adopté en 2000 par le précédent Gouvernement, et qui prenait en compte le temps nécessaire à la formation d'un chercheur. M. Alain Trautmann a estimé que l'abandon de ce plan par le Gouvernement actuel, et la baisse des recrutements qui l'avait accompagné, constituaient une rupture de contrat.

Il a ajouté que les jeunes chercheurs avaient été plongés dans le désarroi par les déclarations du Gouvernement, affirmant que l'emploi scientifique était préservé alors même que 550 emplois étaient supprimés, et que, par exemple, le nombre de postes mis au concours de l'INSERM était ramené à 30 contre 95 en 2002. Indiquant que de nombreux thésards talentueux envisageaient, dans son laboratoire, d'arrêter la recherche après leur thèse, faute de débouchés, il a craint que les dégâts causés par la démobilisation de la présente génération ne soient très dommageables pour l'avenir.

Il a indiqué que les contrats à durée déterminée, assortis d'une rémunération de 1.900 euros mensuels, et dépourvus de perspectives d'embauche ultérieure, ne pouvaient en aucun cas, contrairement à ce que l'on prétendait, constituer une proposition attrayante pour des jeunes à bac + 12.

Il a insisté sur le fait que ses propos reflétaient le sentiment partagé par les signataires de l'appel, qui constituent le tiers des personnes travaillant dans les équipes de recherche, et parmi lesquelles on compte plusieurs médailles d'or du CNRS, de nombreux académiciens, la majorité des directeurs de génopoles ainsi que des directeurs d'unités qui ont pris l'engagement solennel de démissionner de leurs fonctions administratives, ce qui entraînerait la fermeture de leur laboratoire.

Il a revendiqué le caractère politique de ce mouvement, estimant qu'il était constitué d'hommes et de femmes préoccupés du sort de leur cité, qui savent que leur devoir de citoyen ne s'arrête pas au bulletin de vote, mais inclut un engagement dans la vie du pays, aux côtés des représentants élus par le peuple. Il a souligné qu'il était le fait de personnalités dont les sensibilités politiques sont diverses, et a cité la tribune publiée par M. Claude Huriet, ancien sénateur, administrateur de l'Institut Curie.

Considérant que la place de la recherche en France était une question politique au sens noble du terme, il a indiqué que le collectif travaillait à la préparation d'Etats généraux de la recherche, destinés à permettre aux chercheurs et enseignants-chercheurs, mais également aux industriels, hommes politiques, associations de malades et autres acteurs de la société civile, de débattre de toutes les questions relatives à la recherche, à son organisation, à son fonctionnement. Estimant que les nécessaires améliorations du système actuel devaient faire l'objet d'un débat de fond, il a demandé qu'un moratoire soit apporté à la discussion du projet de loi d'orientation pour la recherche prévue pour cet automne, souhaitant qu'elle n'intervienne qu'une fois rendues les conclusions des Etats généraux.

Convaincu du caractère historique et décisif du moment présent pour l'avenir de la recherche en France, menacée d'extinction si elle se restreignait à quelques thématiques, il a appelé à un plan ministériel pour la recherche ouvrant de nouvelles perspectives. Il a jugé fondamental que les élus du peuple entendent l'appel lancé par les équipes de recherche et prennent leurs responsabilités.

Un débat a suivi l'exposé de M. Alain Trautmann.

M. Jack Ralite s'est alarmé de la place prise par la culture de l'évaluation, érigée aujourd'hui en véritable mythe, et qui favorise souvent une approche réductrice et comptable. Il s'est interrogé sur le statut actuel de la pensée et a souhaité que, si leur tenue se confirmait, les Etats généraux de la recherche s'ouvrent à d'autres secteurs de réflexion que la science.

Estimant que le mouvement lancé par le collectif « Sauvons la recherche ! » était sans précédent, M. Bernard Frimat a interrogé M. Alain Trautmann sur les réponses que lui avaient apportées le Gouvernement et la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

Mme Marie-Christine Blandin a demandé à M. Alain Trautmann de lui préciser les échéances que le collectif s'était fixées dans la conduite de son action ; insistant sur l'intérêt que le Parlement conduise une démarche parallèle, elle a rappelé que, lors d'une précédente séance de questions au Gouvernement, ce n'était pas moins de quatre orateurs qui avaient interrogé la ministre déléguée sur la politique de recherche et a souhaité connaître l'appréciation portée par le collectif sur les réponses qui ont été apportées à cette occasion. Estimant que la recherche avait traversé une année noire en 2003, elle a demandé des exemples des impasses dans lesquelles les gels de crédits ont pu placer certains laboratoires.

M. Ivan Renar a souhaité des précisions sur l'état des discussions du collectif avec le Gouvernement, et sur le sens du moratoire qu'il a demandé pour la loi d'orientation pour la recherche. Il a évoqué la préparation d'assises de la recherche qui, à l'image de celles qui s'étaient tenues à Caen, avaient donné l'impulsion de la politique de recherche dans les premières années de la Cinquième République.

M. François Autain s'est étonné du communiqué de presse diffusé par le directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dont le contenu optimiste paraît en contradiction avec le constat opéré par le collectif.

M. Jean-Léonce Dupont a demandé à M. Alain Trautmann de lui préciser comment pouvait être améliorée l'organisation actuelle de la recherche, tant en termes de structures que par l'introduction d'une plus grande flexibilité. Il a souhaité savoir s'il était hostile à une organisation qui comporterait à la fois des emplois permanents et des emplois à durée déterminée, différents dans leur définition des contrats à durée déterminée actuels.

M. Jacques Valade, président, a estimé que les auditions auxquelles venait de procéder la commission montraient clairement l'absolue nécessité, pour l'exécutif, de procéder d'urgence à une concertation avec les représentants de la communauté scientifique.

M. Alain Trautmann a apporté les précisions suivantes en réponse aux commissaires :

- le terme d'Etats généraux de la recherche est au coeur des demandes formulées par le collectif, qui souhaite réunir le plus grand nombre d'acteurs de la recherche, sur l'invitation d'un comité d'initiative qui pourrait bénéficier de l'appui du ministère délégué pour se tenir à Paris et en province ;

- une évaluation du système français de recherche est nécessaire, mais celle-ci ne peut se limiter à une évaluation effectuée sur le modèle de celle dont un hebdomadaire s'est récemment fait l'écho ; la recherche publique est un bien commun, aussi les chercheurs doivent-ils être exigeants avec eux-mêmes ; si ceux-ci sont dans l'ensemble très motivés, une évaluation adéquate doit, cependant, récompenser les plus talentueux et orienter les autres vers des métiers différents au sein de la fonction publique, sans pour autant déboucher sur la précarité ;

- l'alternative actuelle qui ne laisse le choix qu'entre la fonction publique et la précarité n'est pas tenable ; les contrats à durée déterminée que l'on propose actuellement aux jeunes chercheurs sont assortis d'une rémunération insuffisante et sont dépourvus de perspectives ; ils ne seraient acceptables que si, comme aux Etats-Unis, ils étaient convenablement rémunérés et offraient des débouchés dans le secteur public ou l'industrie ; dans le système actuel, la solution consiste sans doute en l'introduction d'une plus grande flexibilité au sein de la fonction publique ;

- plus de 50 % des directeurs d'unités de l'INSERM et du CNRS ont déjà signé l'appel et démissionneront le 9 mars si le Gouvernement n'apporte pas de réponses satisfaisantes d'ici là ; ces démissions entraîneraient un chaos dont le Gouvernement aurait la responsabilité ;

- la position prise par le directeur général de l'INSERM témoigne de la liberté limitée de parole des responsables d'établissements publics de recherche.

M. Jacques Valade, président, a souhaité savoir si, comme on le lui avait indiqué, l'INSERM avait fait l'objet d'une réorganisation, une partie des crédits continuant d'être ventilée entre les différents laboratoires, alors qu'une autre partie est consacrée à une recherche par objectif.

M. Christian Bonnerot, directeur de recherche à l'Institut Curie, a indiqué que l'enveloppe budgétaire de l'INSERM restait stable, et que le directeur général, M. Christian Brechot, avait lancé une réforme dynamique mais discutée qui a eu des effets directs sur le fonctionnement des unités ; celles-ci ont besoin des crédits affectés directement aux laboratoires pour effectuer les recherches préliminaires qui permettent, par la suite, de présenter un projet ; une remise en question de ce mode de fonctionnement peut certes être envisagée, et devra être discutée dans le cadre des assises de la recherche ; il a estimé qu'en l'état actuel des choses, la marge de manoeuvre dont pouvait disposer le directeur d'un organisme de recherche comme l'INSERM dans la définition d'une politique scientifique restait très limitée.

M. Alain Trautmann a noté que depuis plusieurs années les capacités d'initiative avaient été très largement transférées des directeurs d'établissements publics vers le ministère lui-même, et que le dernier rapport de la Cour des comptes se montrait très critique sur la façon dont celui-ci s'était acquitté de ses responsabilités.

Il a en outre indiqué que :

- les gels de crédits subis par l'INSERM et le CNRS ont entraîné une dégradation dramatique de l'entretien des infrastructures de ces organismes ; l'arrêt, pour des raisons financières, de programmes déjà élaborés représente en outre une importante perte de temps et d'énergie ;

- le collectif portera la plus grande attention aux réponses apportées par la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies aux questions posées lors de la séance des questions d'actualité du Sénat, le 15 janvier dernier.

M. Jacques Valade, président, a remercié M. Alain Trautmann et les membres du collectif « Sauvons la recherche » pour leur contribution positive. Il a réitéré son souhait que le ministère délégué à la recherche et aux nouvelles technologies lance rapidement une concertation avec tous les acteurs du secteur pour que chacun participe à une réflexion sur l'avenir de la recherche dans notre pays.

Laïcité - Application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - Audition de Mme Lucille Rabiller, secrétaire générale de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP)

Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a entendu Mme Lucille Rabiller, secrétaire générale de la Fédération des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP).

M. Jacques Valade, président,
après avoir souligné l'importance de ces auditions que la commission a organisées dans le cadre de l'examen du projet de loi sur l'application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics, a souhaité connaître la position de la PEEP sur ce texte.

Mme Lucille Rabiller a rappelé que, depuis les années 80, la question du respect du principe de laïcité se posait à nouveau dans les établissements scolaires et se cristallisait autour de la présence des signes religieux, principalement le port du foulard et du voile islamique par les jeunes filles musulmanes.

Après avoir souligné qu'il convenait de ne pas banaliser cette question et de se méfier de la médiatisation excessive qui pouvait en être faite, elle a noté que le port des signes religieux perturbait le fonctionnement de certains établissements et que la jurisprudence s'appuyant sur l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989 ne permettait pas de régler les nombreux problèmes liés à la montée des communautarismes.

Précisant que la Fédération avait été auditionnée par les différentes commissions mises en place sur ce thème, elle a affirmé que la position de la PEEP reposait sur deux principes fondamentaux.

La PEEP entend d'abord défendre l'application du principe de laïcité dans les établissements scolaires. L'école doit s'interdire d'enfermer les élèves dans des catégories résultant de leurs appartenances religieuses, politiques et idéologiques et faire respecter un principe qui implique l'acceptation des valeurs républicaines et le rejet d'un repli identitaire et communautariste.

La PEEP est en outre attachée au respect de l'égalité entre les sexes : c'est la raison pour laquelle les symboles marquant une discrimination envers les filles doivent être bannis des établissements scolaires.

Mme Lucille Rabiller a ensuite regretté que le débat se soit focalisé sur le voile et ne se soit pas étendu à l'ensemble des signes : la PEEP estime en effet qu'à l'intérieur des établissements scolaires, l'obligation de neutralité doit s'appliquer à tous, personnel du service public bien sûr, mais aussi élèves, et concerner tous les aspects de la question de la laïcité, aspects religieux mais aussi politiques. Le port de signes visibles, religieux et politiques ne doit donc pas être admis dans les écoles et établissements scolaires.

Elle a souligné que la Fédération avait demandé à ce que le terme « visible » soit préféré à celui d'« ostensible », ce dernier pouvant être sujet à interprétations. Toutefois, elle a précisé que le risque de refus de cette rédaction avait été pris en compte et avait conduit la PEEP à faire évoluer sa position.

Elle a ensuite évoqué un certain nombre de positions prises par la Fédération sur des sujets ne concernant pas directement le port de signes et de tenues manifestant l'appartenance religieuse des élèves.

Concernant l'absentéisme scolaire lié aux fêtes religieuses, elle a rappelé que le calendrier officiel de l'Education nationale identifiait déjà un certain nombre de jours pendant lesquels les absences étaient autorisées pour ce motif. Dans ces conditions, la PEEP estime qu'il serait opportun, tout en assurant normalement les cours ces jours là, de ne pas organiser de contrôles.

Elle a également affirmé qu'il ne fallait pas revenir sur la mixité dans les établissements scolaires. Elle a souligné que renoncer à ce principe ne règlerait aucun des problèmes de violence faite aux filles et qu'une telle décision serait contre-productive en laissant croire aux « agresseurs » qu'ils ont obtenu gain de cause. Elle a estimé que si certaines exceptions à ce principe pouvaient être faites, il appartenait néanmoins aux équipes éducatives, en s'appuyant sur le projet d'établissement, de trouver les moyens permettant aux filles et aux garçons de cohabiter en milieu scolaire.

Après avoir rappelé que l'enseignement des religions était au programme des différents niveaux d'enseignement, elle a regretté que celui-ci soit parfois escamoté en raison de l'attitude de certains élèves ayant tendance à reproduire des comportements communautaristes à l'intérieur des établissements. Elle a indiqué que cet enseignement, qui permet de comprendre l'apport des différentes religions à chacune des cultures, devait être conservé à condition toutefois que la formation des maîtres en ce domaine, trop souvent insuffisante, soit améliorée et leur permette de faire face aux difficultés qu'ils peuvent rencontrer dans leur classe.

Evoquant la question des repas différenciés selon les religions, elle a souligné que, sans entrer plus avant dans les différentes prescriptions religieuses, le fait de proposer un choix de deux plats à chaque élève représentait une bonne solution.

Ayant noté qu'il conviendrait d'être très attentif à la rédaction des circulaires d'application de la loi et des règlements intérieurs des établissements scolaires, Mme Lucille Rabiller a indiqué que la proposition faite par la commission Stasi, visant à mettre en place une Charte scolaire rappelant les fondements de notre République, méritait une attention particulière. Une telle charte pourrait en effet servir d'ancrage au règlement intérieur de chaque établissement et permettre de rappeler utilement aux élèves et à leurs parents que la loi républicaine s'impose à tous.

Elle a enfin affirmé que la réflexion sur la laïcité, véritable problème de société, dépassait largement le cadre de l'école et qu'une approche uniquement juridique ne paraissait pas en mesure de régler l'ensemble des difficultés. Dans ces conditions, les parents, premiers éducateurs de leurs enfants, ont également une responsabilité fondamentale dans l'évolution de la situation.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Jacques Valade, président, après s'être intéressé aux modalités de prise de décision de la PEEP, s'est demandé si les différentes fédérations de parents d'élèves s'étaient concertées pour établir une position commune sur le sujet. Il a voulu connaître la position de la PEEP quant à l'éventuelle mise en place d'une instance de concertation dans chaque établissement permettant de dialoguer avec l'élève et sa famille avant de le sanctionner.

Il a souligné que cette loi était le rappel d'un principe républicain essentiel, dont l'application concrète, sous l'autorité du proviseur, est fonction de la situation propre à chaque établissement. Rappelant que chaque élève devait avoir une tenue correcte pour se rendre dans un établissement scolaire, il a estimé que les familles devaient contribuer à faire respecter le règlement intérieur de chaque établissement.

M. Serge Lagauche s'est demandé si le fait de ne pas mentionner, dans le projet de loi, l'interdiction de porter des signes politiques dans les établissements scolaires publics, était un problème pour la PEEP. Il a estimé que, si une instance de concertation devait être créée au sein de chaque établissement, ses modalités de fonctionnement devaient être précisées par circulaire ministérielle, afin d'éviter les manoeuvres dilatoires réalisées par les élèves les plus récalcitrants. Il a souligné que le conseil d'administration de chaque établissement scolaire votait chaque année un règlement intérieur que les élèves et leurs parents s'engageaient à respecter, sous peine de sanctions.

M. Gérard Longuet s'est intéressé à la position des adhérents de la PEEP de confession musulmane vis-à-vis du texte proposé par le Gouvernement. Il a voulu savoir si la condamnation du port du voile au sein des établissements scolaires par la Fédération était avant tout motivée par le fait que cette pratique traduise une conception de la femme éloignée de notre conception de l'égalité entre les sexes, ou par le fait qu'elle soit la traduction d'un prosélytisme religieux.

M. Ivan Renar a précisé que la circulaire de Jean Zay avait été prise dans un contexte historique particulier caractérisé par l'agitation des Ligues factieuses et la faiblesse du nombre d'élèves scolarisés dans les lycées. Après avoir regretté que l'on n'ait pas laissé plus de place à la concertation pour l'élaboration du texte, il a affirmé qu'il était cependant nécessaire de réaffirmer la règle du jeu. Il a rappelé que ce projet de loi était attendu par le corps enseignant et par la population de confession musulmane qui consent à d'importants efforts pour s'intégrer à notre société et demeure la première victime de la situation actuelle.

M. Alain Dufaut a souligné que l'exclusion d'un élève refusant de renoncer à porter un signe religieux au sein d'un établissement scolaire public pouvait poser problème au regard de l'obligation de scolarisation en vigueur dans notre pays. Il s'est demandé comment cette contradiction entre deux principes républicains pouvait être surmontée.

En réponse aux différents intervenants, Mme Lucille Rabiller a apporté les précisions suivantes :

- la PEEP souhaitait à l'origine que le sujet du port de signes politiques soit évoqué dans le projet de loi. Toutefois, le ministre de l'éducation nationale a fait savoir que le port de signes politiques dans les établissements scolaires était déjà proscrit par la circulaire prise par Jean Zay et datée du 15 mai 1937. Par conséquent, faire mention des signes politiques dans le projet de loi actuel affaiblirait cette interdiction totale et absolue en limitant cette dernière aux signes politiques les moins discrets ;

- bien que des contacts aient été engagés avec les autres fédérations de parents d'élèves, aucune position commune n'a pu être établie compte tenu de l'existence d'un certain nombre de divergences sur ce sujet ;

- la PEEP ne connaît ni la religion ni l'appartenance politique de ses adhérents, ces questions ne devant pas être abordées lors des réunions de travail. Au vu des messages électroniques envoyés par les adhérents, la position prise par la Fédération sur le projet de loi n'a pas suscité un grand nombre de protestations ;

- il convient de favoriser le dialogue entre les familles et la direction des établissements avant de sanctionner un élève. Toutefois, il faut veiller à ne pas retomber dans les errements passés : la mise en place éventuelle d'un système de médiation ne doit pas encourager les discussions inutiles ;

- la PEEP attache une égale importance au respect du principe de l'égalité entre les sexes et à la lutte contre le prosélytisme religieux dans les établissements scolaires. Ces deux principes sont d'ailleurs le centre de la réflexion menée par la PEEP ;

- la PEEP a réuni dès septembre 2003 son comité fédéral, qui rassemble l'ensemble des représentants des régions et des départements, pour définir, avec le conseil d'administration, la position du mouvement sur la question du principe de laïcité. Ces mêmes instances se sont réunies le lendemain de la publication du rapport Stasi pour confirmer cette position, à savoir la nécessaire réaffirmation du principe de laïcité au sein des établissements scolaires publics.

Laïcité - Application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - Audition de M. Rémy Schwartz, rapporteur général de la commission de réflexion

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Rémy Schwartz, rapporteur général de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République.

M. Jacques Valade, président
, a souhaité connaître les principales conclusions de la commission présidée par M. Bernard Stasi afin que ces dernières puissent enrichir la réflexion du Sénat sur le projet de loi déposé par le Gouvernement.

A titre liminaire, M. Rémy Schwartz a souligné qu'en dépit des origines religieuses et des opinions politiques très diverses de ses membres, la commission avait adopté son rapport à l'unanimité.

Il a rappelé que la commission avait procédé, comme l'avait souhaité le Président de la République, à de très larges auditions, dont plusieurs s'étaient déroulées à huis clos compte tenu des menaces qui pouvaient peser sur la sécurité de certaines personnes venues témoigner devant elle, notamment des jeunes femmes.

Il a indiqué que le travail de la commission s'était déroulé en trois temps : d'une part, l'analyse de la conception française de la laïcité ; d'autre part, l'appréciation des menaces de remise en cause de ce principe ; et, enfin, l'élaboration de propositions susceptibles d'en favoriser une mise en oeuvre apaisée.

La laïcité française s'est construite par opposition à la religion catholique. Ce combat violent et difficile a été couronné de succès, car l'Eglise catholique défend aujourd'hui le principe de la laïcité.

M. Rémy Schwartz a relevé que la laïcité reposait, d'une part, sur la séparation des influences respectives de l'Etat et des religions, d'autre part, sur le respect de la liberté de tous de croire ou de ne pas croire dans le cadre d'une égalité de droits et, enfin, sur la garantie apportée par l'Etat à l'expression de la liberté religieuse, qui trouve toutefois ses limites dans l'interdiction de subventionner les cultes.

Si ces principes demeurent aujourd'hui inchangés, ils doivent désormais être mis en oeuvre dans une société marquée par une diversité religieuse que peu de pays européens connaissent, à l'exception de la Belgique et des Pays-Bas. La République doit faire vivre ensemble des gens de confessions et de cultures différentes. Il a relevé à ce titre qu'à l'occasion d'une mission aux Pays-Bas, la commission avait constaté une remise en cause des convictions multiculturelles traditionnelles de ce pays face aux risques de repli identitaire de certaines communautés.

La commission a été marquée par le décalage existant entre le discours des élites et la perception des citoyens confrontés aux réalités du terrain, qui, à la différence des premières, ressentent profondément la dégradation de la situation et la nécessité de réaffirmer le principe de laïcité. Au terme de ses auditions, elle a eu le sentiment qu'au cours des dernières années, la volonté de « vivre ensemble » s'était profondément altérée dans beaucoup de territoires de la République. Si, en 1989, on pouvait faire le pari du dialogue, la violence et la dureté des relations sociales actuelles imposent d'adopter une autre position. Cette analyse s'appuie sur plusieurs constats : l'existence de discriminations conduisant à remettre en cause le modèle républicain d'intégration ; la forte montée de l'antisémitisme ; une régression de la situation des jeunes femmes qui, pour partie voulue mais plus souvent imposée par l'environnement social et familial, tend à remettre en cause la liberté individuelle et fait de l'interdiction de signes religieux tels que le voile le seul moyen de la préserver.

M. Rémy Schwartz a indiqué que les propositions de la commission s'orientaient autour de deux axes.

En premier lieu, il lui a semblé nécessaire de proposer des mesures destinées à promouvoir une meilleure prise en compte du pluralisme de la société, afin que chacun puisse vivre sa foi, qu'il s'agisse par exemple de l'organisation des cimetières, des rites funéraires, du respect de certaines obligations alimentaires ou encore de l'enseignement du fait religieux à l'école. A cet égard, il a indiqué que, contrairement à ce qu'avait pu affirmer la presse, la commission n'avait pas proposé d'instituer de nouveaux jours fériés mais de permettre aux citoyens de les déterminer en conformité avec leurs convictions religieuses.

En second lieu, les propositions de la commission visent à restaurer des conditions de fonctionnement sereines des services publics, qu'il s'agisse de l'école ou des hôpitaux.

M. Ivan Renar, après avoir évoqué des situations dramatiques auxquelles avait pu conduire l'extrémisme religieux, a souhaité savoir si la commission avait apprécié quelle était la position de la majorité silencieuse de la communauté musulmane sur la question de l'interdiction des signes religieux.

M. Serge Lagauche a exprimé le sentiment que cette majorité pouvait s'exprimer et voir ses positions prises en compte dans la vie publique, à l'image de ce qui prévaut au demeurant pour les autres religions. Il s'est ensuite demandé si la rédaction du projet de loi en cours de discussion, qui ne répond qu'à un des aspects des problèmes qu'elle avait analysés, aurait été susceptible de recueillir une majorité au sein de la commission.

M. Rémy Schwartz a indiqué que la commission avait eu le sentiment que la majorité silencieuse, qui souhaitait pouvoir vivre dans la République, tout en bénéficiant de la liberté d'expression de ses convictions religieuses, demandait à être protégée. Il a constaté que la parole était trop souvent donnée aux partisans de positions politico-religieuses extrémistes dont cette majorité était la première victime.

Tout en s'étonnant de l'interprétation faite par la presse des déclarations de certains de ses membres, il a fait état d'un regret unanime de la commission de ne pas voir proposer une loi globale.

Mme Marie-Christine Blandin s'est enquise de l'existence d'études statistiques permettant de mesurer les comportements de prosélytisme religieux. Elle s'est ensuite inquiétée de la réaction des familles à l'interdiction du port de signes religieux et du risque de voir ces dernières retirer leurs filles de l'école. Enfin, elle s'est demandé comment, dans le cadre de la nouvelle loi, le Conseil d'Etat apprécierait les décisions d'exclusion qui actuellement sont souvent annulées.

M. Jacques Legendre a fait état d'une réticence de la classe politique à se mêler des expressions de la foi, tout en reconnaissant la nécessité de légiférer. Il a souhaité savoir si la commission avait envisagé les conditions d'application du principe de l'interdiction du port de signes religieux à certaines communautés, à l'image de la communauté sikh. Il s'est demandé comment les obligations découlant du respect du principe de laïcité seraient présentées aux étrangers désireux de vivre en France.

M. Jean-François Picheral a souhaité savoir quelle était la part des jeunes filles qui venaient à l'école voilées car elles y étaient contraintes par leur entourage.

M. Rémy Schwartz a indiqué que la commission n'avait pas pu disposer d'études statistiques précises mais s'était appuyée, pour affirmer la nécessité de légiférer sur le principe de laïcité, sur le sentiment général d'une atmosphère pesante et d'une dégradation des conditions de vie, notamment de ceux qui se trouvent dans une position sociale délicate. La commission a considéré que la majorité des familles choisirait de mettre leurs enfants à l'école en dépit de l'interdiction des signes religieux. On constate d'ores et déjà une diminution importante de la scolarisation des filles après l'âge de 16 ans. Pour cette population, la commission n'a pas eu de propositions à formuler.

En ce qui concerne l'application du principe de laïcité à la communauté sikh, M. Rémy Schwartz a considéré que l'Etat ne pouvait entrer dans l'interprétation des religions. La jurisprudence européenne s'appuie sur la notion d'origine québécoise d' « accommodement raisonnable », qui pourrait être adaptée en France.

M. Michel Guerry a, à cet égard, indiqué qu'en Inde, les sikhs avaient accepté des aménagements à leurs traditions religieuses pour l'exercice de certains métiers.

M. Rémy Schwartz a indiqué que les décisions prises par le Conseil d'Etat pour annuler des mesures d'exclusion avaient souvent été fondées sur des vices de forme ou de procédure. Ce contrôle demeurera dans le cadre de la nouvelle loi. Cependant, par rapport à ce qui prévalait depuis 1989, où des mesures de portée générale n'étaient pas légales, le principe applicable sera désormais l'interdiction du port de signes religieux, des exceptions étant tolérées pour des manifestations relevant de la sphère intime. Il y a donc un changement de logique qui conduit les chefs d'établissement à considérer qu'ils seront mieux armés grâce à la nouvelle loi.

Il a rappelé que le résultat d'un débat lancé dans des lycées de Seine-et-Marne et des lycées français à l'étranger avait conforté la position de la commission ; en effet, à l'exception de l'expression de positions isolées, la très grande majorité des lycéens avait souhaité que soit interdit tout signe religieux ostensible afin de prévenir les conflits et d'éviter la constitution de clans.

Laïcité-  Application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - Audition de M. Philippe Guittet, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Philippe Guittet, secrétaire général du syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN).

M. Philippe Guittet
s'est d'abord félicité des conclusions du rapport de la commission Stasi, dont les travaux ont permis de faire avancer la compréhension des problèmes intervenus à l'école depuis 15 ans. Il a indiqué que le SNPDEN approuvait le projet de loi proposé par le Gouvernement à la suite du discours du Président de la République, qui avait estimé nécessaire une loi interdisant les signes religieux ostensibles à l'école.

Il a en effet souligné que la situation des personnels de direction, premiers représentants de l'Etat dans les collèges et les lycées, était difficile depuis l'avis du Conseil d'Etat rendu le 27 novembre 1989, à la demande de M. Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation nationale. Le Conseil avait alors indiqué que les signes religieux sont autorisés dans les établissements scolaires, mais que sont prohibés les actes de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande.

M. Philippe Guittet a expliqué que cette doctrine, confirmée par la jurisprudence, était très difficile à appliquer, car même s'il est possible de sanctionner, voire d'exclure, un élève qui refuserait d'aller en cours pour un motif religieux, force est de constater que de nombreux certificats de complaisance sont donnés par des médecins indélicats. De même, il est possible d'interdire le port d'insignes religieux, parce que ce n'est pas compatible avec certaines activités, comme la technologie, les travaux pratiques de physique-chimie ou l'éducation physique. Face à une réalité quotidienne souvent complexe, il est difficile pour les chefs d'établissement de démontrer les actes de pression, de provocation ou de prosélytisme, voire d'apprécier si cela correspond au caractère « ostentatoire » mentionné dans la circulaire Bayrou de 1994.

M. Philippe Guittet a ainsi constaté qu'il incombait, en réalité, aux chefs d'établissement de déterminer les conditions de la laïcité en France par une négociation permanente.

Il a considéré que si l'école n'était pas un sanctuaire, elle devait cependant permettre une mise à distance du monde extérieur pour mieux le comprendre et l'analyser de manière critique. Or telle n'est pas la conception portée par le Conseil d'Etat, qui a défini la neutralité comme un effacement devant le pluralisme des confessions, alors que l'école devrait rester extérieure au champ des options spirituelles.

M. Philippe Guittet a observé qu'il s'agissait d'un profond retournement de jurisprudence par rapport à la circulaire Jean Zay, ministre de l'Education nationale en 1936-1937, qui interdisait toute proclamation d'appartenance politique ou religieuse. Il a précisé que cette circulaire s'appliquant toujours, il n'était pas nécessaire de viser, dans la loi, l'interdiction des signes politiques, comme le souhaitait notamment la mission d'information de l'Assemblée nationale.

Il a observé que l'interdiction des signes religieux ostensibles était conforme à la Convention européenne de protection et de sauvegarde des droits de l'homme, comme l'a affirmé M. Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l'homme devant la commission Stasi. Pour la Cour européenne en effet, contrairement au Conseil d'Etat, le port d'un attribut vestimentaire distinctif trahit, et traduit, bien souvent, une volonté de prosélytisme.

Il a rappelé, qu'au départ, les chefs d'établissement avaient souhaité une loi interdisant les signes religieux « visibles » à l'école mais qu'ils s'étaient volontiers ralliés au texte proposé qui vise l'interdiction des « signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse ».

Il a estimé que ce projet de loi constituait un renversement du droit face à la jurisprudence du Conseil d'Etat : alors que les signes religieux étaient autorisés, sauf prosélytisme, ils sont aujourd'hui interdits, sauf s'ils relèvent de la conviction intime et à ce titre sont discrets. Tout en admettant qu'il y aurait toujours une marge d'appréciation, il a considéré qu'elle serait très nettement réduite, ce qui faciliterait la tâche des chefs d'établissement.

Il s'est félicité de l'application de cette loi sur l'ensemble du territoire national et a approuvé la référence, dans l'exposé des motifs, à « un important travail d'explication, d'échange et de médiation » pour sa mise en oeuvre.

Il a en outre précisé que l'amendement adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, prévoyant une procédure de dialogue et de médiation préalablement à toute sanction, n'était pas choquant. Il a cependant annoncé que les chefs d'établissement ne se lanceraient pas dans des négociations sans fin et ne laisseraient pas les groupes théologico-politiques intégristes dénaturer le sens de la loi.

Il a en effet observé que légiférer de la sorte n'était pas exclure, mais réaffirmer les valeurs de la République et refuser d'entériner toute contrainte religieuse dans l'espace scolaire. Il s'agit notamment de refuser toute tenue ou tout signe qui remette en cause l'égalité de la femme dans l'espace scolaire et de donner des recours à celles qui ne veulent pas se voir imposer cet assujettissement. Il a affirmé que face à l'avancée des intégrismes qui peut prendre des formes violentes, y compris à l'école, il fallait réagir et non faire preuve de naïveté.

Il a regretté que, depuis plusieurs années, les pouvoirs publics aient abandonné au prosélytisme intégriste le terrain culturel et identitaire dans les quartiers populaires et appelé à une prise de conscience urgente des hommes politiques pour que celui-ci ne gagne pas l'école publique.

Soulignant enfin la nécessité d'une loi laïque pour l'école confortant la loi de 1905, afin de combattre les expressions de la xénophobie, du racisme, de l'antisémitisme et du sexisme, il a réaffirmé son approbation d'un texte qui redonnera du sens à la formation citoyenne dans notre société.

En concluant, M. Philippe Guittet a observé que cette approbation du projet de loi n'excluait pas la mise en oeuvre d'une grande majorité des prescriptions de la commission Stasi.

Un débat s'est alors instauré.

M. Ivan Renar, après avoir rendu hommage aux chefs d'établissement qui sont en première ligne sur le terrain, a indiqué que la loi était attendue par l'ensemble du corps enseignant et par la majorité silencieuse de la communauté musulmane. Evoquant l'aggravation des problèmes dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, il a insisté sur la nécessité de fixer clairement les règles du jeu pour éviter les dérives.

MJack Ralite a félicité M. Philippe Guittet pour la clarté de son exposé, qui s'explique par les responsabilités d'application sur le terrain qui sont les siennes. Il s'est ensuite interrogé sur les réserves émises par certaines fédérations syndicales d'enseignants sur la nécessité de légiférer dans ce domaine.

Mme Marie-Christine Blandin s'est déclarée rassurée par la conformité du terme « ostensible » avec la Convention européenne des droits de l'homme. Elle a souhaité savoir quelles étaient les procédures applicables pour scolariser un élève exclu d'un établissement d'enseignement, compte tenu de l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans.

En réponse aux intervenants, M. Philippe Guittet a apporté les précisions suivantes :

- les prises de position de certaines organisations syndicales d'enseignants contre le projet de loi sont surprenantes, dans la mesure où la majorité des professeurs soutiennent la position exprimée par le SNPDEN ;

- en cas d'exclusion d'un élève par le conseil de discipline, ce dernier peut faire appel auprès du rectorat, et il n'est pas rare qu'il se fasse accompagner par un avocat ;

- si l'élève est âgé de moins de seize ans, il appartient à l'inspection académique de l'affecter dans un autre établissement ; en cas de refus peuvent être envisagés l'inscription dans un établissement privé sous contrat ou le recours au Centre national d'enseignement à distance (CNED).

Laïcité - Application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - Audition de M. Patrick Gonthier, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats autonomes de l'éducation (UNSA Education)

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Patrick Gonthier, secrétaire général de l'Union nationale des syndicats autonomes de l'éducation (UNSA Education), accompagné de Mme Francine Grosbras, secrétaire générale adjointe du Syndicat des inspecteurs de l'éducation nationale, de M. Jean-Louis Biot, secrétaire national du Syndicat des enseignants et de M. Eddy Khaldi, conseiller fédéral.

Rappelant que la laïcité était une valeur forte, inscrite dans les statuts du syndicat, M. Patrick Gonthier a indiqué que l'UNSA s'était prononcée, depuis l'affaire des jeunes filles voilées de Creil en 1989, en faveur d'un texte réglementaire qui clarifie la situation juridique telle qu'issue de l'avis du Conseil d'Etat et de sa jurisprudence, laquelle a conduit à une application au cas par cas très difficile, voire périlleuse, dans la mesure où l'exercice d'une liberté fondamentale ne saurait relever du domaine du contractuel.

Il a reconnu que le principe même d'une loi d'interdiction générale du port des signes religieux dans les établissements d'enseignement avait donné lieu à débat dans l'ensemble des organisations, les positions ayant évolué sous l'influence des témoignages et des rencontres, notamment avec des organisations syndicales du Maghreb, qui ont incité à ne pas céder, au risque de voir les problèmes s'amplifier dans leurs propres pays.

M. Patrick Gonthier a néanmoins relevé un certain nombre de limites et lacunes dans le projet de loi déposé au Parlement, la première d'entre elles concernant la référence, dans l'exposé des motifs, à « un important travail d'explication, d'échange et de médiation, notamment avec les autorités religieuses de notre pays », craignant que l'implication de ces dernières dans le dialogue ne crée un précédent, qu'il a jugé peu souhaitable d'étendre à d'autres domaines.

Rappelant ensuite que le service public de l'éducation ne pouvait pas être considéré sur le même plan qu'un autre service public, et que l'école devait être préservée comme lieu où l'on prépare le futur, il s'est prononcé en faveur d'un renforcement de l'enseignement du fait religieux.

Estimant de surcroît que la loi devait être pédagogique et traduire les choses de la façon la plus simple et intelligible qui soit, M. Patrick Gonthier a affirmé sa préférence pour le terme « visible », craignant que le choix de l'adverbe « ostensiblement » ne donne lieu à des interprétations contradictoires par le juge et ne soit propice au contentieux.

A ce titre, il n'a pas considéré infaillible l'argument selon lequel l'interdiction de tout signe visible porterait une atteinte aux libertés telles qu'elles sont garanties par la Constitution et la Convention européenne de protection et de sauvegarde des droits de l'homme, dans la mesure où, d'une part, cette règle est celle qui s'impose aux agents publics, et où, d'autre part, M. Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l'homme, avait indiqué lors de son intervention, déterminante, devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, que la Cour accordait une certaine latitude aux Etats pour organiser leurs relations avec les religions et qu'elle admettait que des restrictions, prévues par la loi, soient apportées à la liberté d'expression religieuse. La Cour distingue, par ailleurs, ce qui relève du for intérieur de la manifestation de ses croyances et convictions.

Ajoutant enfin regretter que le texte du projet de loi ne vise pas les signes politiques, M. Patrick Gonthier a indiqué que l'ensemble de ces remarques avaient justifié la décision de son syndicat de s'abstenir lors de l'examen du projet de loi devant le Conseil supérieur de l'éducation, tout en étant favorable au principe même d'une loi, destinée à éviter, par une réaffirmation claire et ferme de la laïcité, que d'autres brèches ne s'ouvrent dans les établissements scolaires.

A l'issue de cette intervention, un large débat s'est engagé.

M. Serge Lagauche a fait remarquer, pour sa part, que la proposition de loi déposée par le groupe socialiste concernait les signes visibles, non seulement religieux, mais aussi politiques et philosophiques.

Soulignant la singularité de l'espace scolaire, M. Daniel Eckenspieller a estimé nécessaire l'adoption d'une loi brève et claire, spécifique à l'école, ajoutant par ailleurs que dans sa région d'Alsace, malgré le régime « concordataire » qui s'y applique, aucune distinction n'a lieu d'être entre les enfants selon leur religion.

Il a ensuite insisté sur la pertinence et la subtilité de l'emploi du verbe « manifester » dans la rédaction du projet de loi, faisant en outre observer que le recours au terme « visible » serait source de contentieux.

Tout en exprimant le souhait que les signes politiques entrent également dans le champ d'application de la loi, M. Jacques Legendre a néanmoins mentionné l'existence de la circulaire de Jean Zay interdisant le port de tout insigne politique.

Après avoir relevé les difficultés d'appréciation par les enseignants et les chefs d'établissement qui résulteraient de l'emploi du qualificatif « visible », selon que le signe en question peut, ou non, selon les circonstances, se dissimuler sous le vêtement, M. Robert Badinter s'est réjoui que la rédaction du projet de loi, en interdisant les « signes et tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse », traduise ainsi une volonté d'affichage.

M. Michel Guerry a demandé des précisions supplémentaires sur les différents types de manifestations de caractère intégriste qui se développent au sein des établissements scolaires.

Relatant que, lors d'une conférence animée par M. Robert Badinter dans un lycée d'Aubervilliers, il avait constaté avec désolation que la grande majorité des élèves de terminale présents ignoraient l'existence même de lois relatives au principe d'égalité, ou y étaient indifférents, M. Jack Ralite a souligné la grande responsabilité reposant sur les enseignants, afin de faire prendre conscience aux plus jeunes que la laïcité n'est pas neutre, qu'elle a un contenu. A ce titre, il s'est interrogé sur les raisons qui avaient pu conduire d'autres syndicats d'enseignants à s'opposer au principe même d'une loi.

En réponse à ces intervenants, M. Patrick Gonthier a apporté les précisions suivantes :

- si le choix du terme « visible », par sa clarté, aurait présenté l'avantage d'éviter toute possibilité d'interprétation et tout risque que la loi ne se retourne finalement contre les personnels de l'éducation, la rédaction retenue par le projet de loi traduit mieux l'intention de l'élève ;

- les circulaires de Jean Zay conservent certes une actualité, mais elles s'inscrivaient dans un contexte particulier, qui a aujourd'hui évolué ; la frontière est par ailleurs devenue ténue entre les pressions politiques et religieuses que subissent les jeunes ;

- il existe deux niveaux d'analyse face aux manifestations de caractère intégriste, le premier étant celui du déni, l'autre celui du vécu, lequel permet de prendre en compte le refus d'élèves d'assister à certains cours ou enseignements, ou d'autres comportements plus difficiles à décrypter, qui constituent autant de brèches dans la laïcité, notamment par l'organisation, au sein de l'école, de groupes communautarisés désireux de se soustraire à la « communauté de citoyens » qu'évoque la sociologue Dominique Schnapper ;

- parmi les organisations syndicales qui s'opposent au projet de loi, certaines préfèrent privilégier l'aspect social du problème, afin de traiter le mal par la racine, alors que la situation appelle au contraire une réponse urgente ; d'autres, estimant que des problèmes tels que le chômage sont bien plus importants, sont hostiles au principe même d'une loi servant d'écran afin d'éviter d'aborder ces sujets de front ; certaines organisations, comme la Ligue des droits de l'homme, allant même jusqu'à suspecter de xénophobie des enseignants souffrant pourtant de désarroi et d'isolement ; enfin, d'autres avancent des craintes quant au caractère stigmatisant d'une telle loi ou quant à son applicabilité.

Complétant ces propos, M. Jean-Louis Biot a insisté sur le rôle que les sénateurs auront à jouer, lors des débats en séance publique, afin de sensibiliser le ministère sur l'accompagnement qui devra être apporté aux enseignants, notamment afin de renforcer leur formation à l'histoire et à la philosophie de la laïcité, actuellement insuffisante.

Il a fait observer combien cette mesure était nécessaire, en complément de la loi, mais aussi urgente, dans le contexte actuel de renouvellement du corps enseignant.

Il a enfin souhaité que le présent projet de loi serve de base à une prise de conscience plus large et plus globale de la nécessité de faire vivre le principe de laïcité dans l'ensemble de la société, en luttant contre les ségrégations urbaines et les discriminations sociales.