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Mercredi 25 juin 2003

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de MM. Jean-Claude Dassier, directeur général de LCI et Didier Sapaut, directeur délégué à la présidence de TF1

M. Jacques Valade, président, a rappelé que, dans le cadre du projet de création d'une chaîne française d'information à vocation internationale, la commission des affaires culturelles avait décidé d'organiser une série d'auditions des candidats pressentis d'une part, et des différents acteurs susceptibles d'apporter un éclairage sur ce sujet, d'autre part.

La commission a tout d'abord entendu M. Jean-Claude Dassier, directeur général de LCI, et M. Didier Sapaut, directeur délégué à la présidence de TF1.

En premier lieu, M. Jean-Claude Dassier a précisé que le projet de création d'une chaîne française d'information internationale avait pour origine le souhait formulé par le Président de la République que voie le jour, dans des délais raisonnables, une « CNN à la française », aux ambitions autres et plus larges que TV5.

Tout en indiquant qu'une première réflexion avait dès lors été engagée par MM. Patrick Lelay et Etienne Mougeotte sur les objectifs précis à atteindre, il a estimé qu'une telle chaîne devait contribuer à renforcer le poids de notre pays dans le monde sans être, pour autant, la « voix de la France ». Quant au public ciblé, il est apparu que les francophones, désireux d'avoir une meilleure connaissance de la vie et de la vision de la France, devaient constituer les relais naturels de la chaîne.

Il a ainsi précisé que le projet présenté par LCI avait fait le choix raisonnable et pragmatique d'adopter une approche progressive, puisqu'il s'agit dans un premier temps de mettre en place une chaîne francophone d'abord tournée vers l'actualité de l'hexagone (pour 60 à 70 % maximum de ses programmes), tout en faisant une place à l'international, l'ambition de créer une véritable chaîne d'information internationale, sur le modèle de BBC World, étant apparue dans l'immédiat irréaliste.

Il a ensuite souligné que l'axe fondamental du projet consistait à bâtir la nouvelle chaîne à partir d'une charpente existante, LCI, qu'il s'agira de faire évoluer, notamment en remaniant certains programmes, afin qu'ils intègrent plus qu'à présent l'actualité internationale.

Dès lors, à partir des capacités déjà non négligeables de LCI, qui se verraient renforcées, le projet serait en mesure d'être parachevé avant la fin de l'année 2004. Dotée de 40 à 45 collaborateurs, la nouvelle chaîne aurait un coût global de 35 à 40 millions d'euros.

M. Jean-Claude Dassier a ensuite insisté sur sa volonté d'associer à parité le service public dans la future chaîne d'information. Dans cette perspective, des propositions sur les modalités de mise en oeuvre de ce partenariat ont été émises pour servir de base à une négociation.

Il a souligné à ce titre les nombreux avantages en termes de performance d'une telle synergie entre les forces du public et du privé.

Si LCI dispose d'une équipe de rédaction opérationnelle, le service public bénéficie des compétences des journalistes de l'Agence France Presse (AFP) et de France Télévisions, pour assurer une couverture internationale large, mais aussi, avec Radio France internationale (RFI), d'un réseau mondial de correspondants nationaux, lesquels pourraient apporter leur contribution à la chaîne soit en tant que prestataires de services, soit en étant placés à la tête des bureaux à l'étranger.

Enfin, tout en affirmant qu'un tel projet, ambitieux mais pragmatique, n'était en rien hors de portée, il a fait observer que sa difficulté principale résidait dans la commercialisation de la chaîne, pour laquelle il est nécessaire de prévoir des négociations individuelles avec les grandes chaînes d'hôtels internationales, par exemple, voire le paiement de droits de diffusion... Le savoir-faire développé par les diffuseurs d'Eurosport, ainsi que les prémices d'implantation internationale de LCI seront mobilisées pour assurer la plus large diffusion possible.

En complément à ces propos, M. Didier Sapaut a tenu à souligner les raisons pour lesquelles le défi était difficile à relever, sur le plan de la concurrence tout d'abord, un certain nombre de chaînes internationales ayant été créées au cours des deux dernières décennies, puis sur le plan financier, afin de rassembler les ressources publiques nécessaires au lancement de la chaîne, et enfin sur le plan de la diffusion, laquelle implique une approche individuelle et le versement de « droits d'entrée ».

Il a ensuite fait remarquer que l'objectif poursuivi était suffisamment important en lui-même pour ne pas être confondu avec d'autres enjeux, comme ceux de la reconfiguration générale du paysage audiovisuel, du problème de la place du service public ou encore du sens que l'on entend redonner à la redevance télévisuelle.

M. Jacques Valade, président, a remercié les intervenants d'avoir présenté les intérêts et les limites d'un tel projet de création d'une chaîne française d'information internationale.

Un large débat s'est ensuite engagé.

M. Pierre Laffitte, en sa qualité de président de la mission d'information pour la diffusion de la culture scientifique, a déploré l'absence de valorisation et de diffusion, sur LCI, des questions relatives aux technologies et à l'industrie, secteurs dans lesquels la France occupe une position d'excellence trop peu reconnue. Il a manifesté son souhait que les programmes de la nouvelle chaîne leur fassent la place qu'il convient. Il a également regretté la faible diffusion de LCI à l'international.

Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis des crédits consacrés aux relations culturelles extérieures, a soulevé plusieurs interrogations. Rappelant que la chaîne française internationale d'information avait vocation à contribuer à asseoir la « diplomatie d'influence » de la France, concept défini par M. Hubert Védrine, elle a fait remarquer que la cible visée, à savoir le public francophone, n'était pas, dans cette perspective, une cible suffisante.

Elle a ainsi estimé qu'en dépit de ses implications budgétaires, une diffusion dans d'autres langues s'imposait pour toucher un public ne maîtrisant pas ou peu le français, notre langue ne pouvant se prévaloir de la même audience que l'anglais. Si le fait qu'elles utilisent la langue la plus répandue est en effet un des facteurs indéniables du succès de CNN et de la BBC, celles-ci diffusent également des programmes dans d'autres langues, comme l'espagnol.

Puis elle a rappelé qu'il était nécessaire de prendre en compte les apports et l'expérience de la chaîne TV5, par exemple en vue de proposer des formules de programmes plus diverses, au-delà de l'information au sens strict.

Quant à la volonté de nouer un partenariat avec le service public, elle s'est montrée sceptique sur les modalités de sa mise en oeuvre, citant les tentatives infructueuses menées depuis cinq ans entre TV5 et RFI. Elle s'est à ce titre interrogée sur les intentions réelles du service public de s'engager dans une entreprise dont le succès restait subordonné à l'existence d'une ferme résolution de coopération.

Enfin, elle a souhaité obtenir des informations sur la situation actuelle de la chaîne LCI.

En sa qualité d'élu représentant les Français vivant à l'étranger, M. Louis Duvernois s'est exprimé en ardent défenseur d'un tel projet. Il a toutefois regretté que des objectifs comme celui de la reconfiguration du paysage audiovisuel soient délibérément mis à l'écart, avant de s'inquiéter du contexte budgétaire difficile dans lequel serait lancée la nouvelle chaîne. A cet égard, il s'est demandé si la France pourrait continuer à investir dans TV5, pour laquelle elle participe à hauteur des deux tiers du budget, tout en s'engageant dans la création d'une nouvelle chaîne dont l'indépendance, source de crédibilité, constitue un atout par rapport au caractère multilatéral de TV5. Il a enfin souligné l'intérêt du sous-titrage que favorise la diffusion de la langue française dans le monde.

M. Victor Reux a ensuite estimé qu'une telle chaîne serait accueillie favorablement par la France d'outre-mer qui reçoit déjà RFO, faisant toutefois observer que LCI n'est pas diffusée à Saint-Pierre-et-Miquelon, alors que cela n'apparaît pas techniquement impossible. Soulignant la difficulté de pénétration en Amérique du Nord, il a évoqué la reprise par la chaîne canadienne Cancom des programmes de RFO-Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Michel Guerry a souhaité que la nouvelle chaîne fasse une part à des évènements qui restent actuellement dans l'ombre comme la vie des Français de l'étranger, et s'est également prononcé pour un sous-titrage en français des programmes.

Enfin, M. Jack Ralite a exprimé son inquiétude de voir ce projet conséquent et ambitieux lancé avec des moyens financiers limités par le contexte de rigueur budgétaire.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Claude Dassier a apporté les précisions suivantes :

- le contenu des programmes de la nouvelle chaîne tentera de pallier la défaillance de LCI en matière de diffusion des activités techniques et scientifiques de la France. Un grand magazine hebdomadaire d'information économique et industrielle fait en effet partie des suggestions de création d'émissions ;

- s'agissant de la diffusion dans différentes langues, sa mise en oeuvre se heurte à des obstacles techniques et financiers majeurs, en impliquant notamment la création de plusieurs équipes de rédaction différentes ;

Le souci de réalisme conduit plutôt à proposer dans un premier temps un système de sous-titrage qui présente le double avantage d'être performant, comme l'a prouvé le sous-titrage en arabe quasi instantané du discours de George W. Bush et de Tony Blair aux Irakiens, et compatible avec un cadrage budgétaire raisonnable ;

- quant aux moyens financiers dont disposera la chaîne compte tenu des impératifs de rigueur budgétaire, ils ne lui permettront certes pas de rivaliser avec ceux de CNN, mais cela n'a jamais été l'ambition poursuivie ;

- la participation de TV5 au projet serait bénéfique, mais elle suppose des négociations commerciales ;

- la collaboration avec les correspondants de RFI et de l'AFP ne devrait pas poser des difficultés, puisqu'un tel travail de coopération, devenu aujourd'hui nécessaire pour le traitement de l'actualité internationale, est mis en place avec succès par la BBC ;

La décision de rassembler les synergies du public et du privé n'est qu'un problème de volonté politique, qui peut aisément être surmonté, comme le prouve le succès du canal TPS, né de l'initiative conjointe de MM. Patrick Lelay et Jean-Pierre Elkabach ;

- concernant la situation actuelle de LCI, la chaîne compte 207 collaborateurs, dont la moitié sont des journalistes ; son budget, d'un montant de 45 millions d'euros, est stable depuis 3 ans ; après avoir réalisé un léger excédent en 2000, la chaîne, qui subit les difficultés du secteur de l'audiovisuel, est déficitaire depuis 3 ans, mais ses pertes sont assumées par le groupe TF1, en raison de l'intérêt porté au concept de LCI.

M. Didier Saupaut a enfin donné les éléments de réponse suivants :

- sur la question du financement, le point commun des trois projets qui ont été déposés est de ne pas compter sur des ressources propres, mais de recourir intégralement à des fonds publics, en tenant compte du contexte de rigueur budgétaire. Toutefois, le budget du projet porté par LCI inclut l'hypothèse optimiste d'une montée lente des recettes publicitaires à partir de la 3e année d'existence de la chaîne ;

- la question de la refonte du paysage audiovisuel dépasse le cadre de cette audition, et n'entre pas dans les réflexions menées autour de la préparation du projet, dès lors que le lancement de la chaîne a vocation à se faire dans des délais raisonnables.

Audiovisuel - Création d'une chaîne française d'information internationale - Audition de M. Bertrand Méheut, président du directoire du Groupe Canal +, président-directeur général de Canal + S.A. et de MM. Olivier Courson, secrétaire général du Groupe Canal +, en charge de la direction juridique du groupe et des affaires réglementaires et extérieures et Rodolphe Belmer, directeur marketing et stratégie du Groupe Canal +

La commission a ensuite entendu M. Bertrand Méheut, président du directoire du Groupe Canal +, président-directeur général de Canal + S.A., accompagné de MM. Olivier Courson, secrétaire général du Groupe Canal +, en charge de la direction juridique du groupe et des affaires réglementaires et extérieures et Rodolphe Belmer, directeur marketing et stratégie du Groupe Canal +.

M. Bertrand Méheut a d'abord souligné que la participation du Groupe Canal + à l'élaboration d'un projet visant à créer une chaîne française internationale participait d'une stratégie globale destinée à lui permettre de devenir, quatre ans après la création d'I-Télévision, un acteur significatif dans le domaine de l'information.

Il a indiqué que ce projet consistait à mettre en place une chaîne entièrement nouvelle, destinée aux jeunes et aux leaders d'opinion, proposant une couverture de l'actualité politique et économique mondiale et portant un regard français sur les événements. La programmation de cette chaîne sera essentiellement constituée de reportages en temps réel et de magazines attractifs issus du Groupe Canal + se rapportant au cinéma ou à l'actualité musicale. Il ne s'agit donc pas d'une I-télévision « relookée ».

Après avoir affirmé que cette chaîne serait dans un premier temps diffusée exclusivement en français, il a néanmoins précisé qu'une diffusion en d'autres langues telles que l'anglais, l'espagnol et l'arabe était envisagée à horizon de trois ans. Dans ce cas, chacune des versions aura une ligne éditoriale propre, comptant environ 30 journalistes, tout en utilisant des programmes d'information identiques.

Il a rappelé que pour la création d'une telle chaîne, le Groupe Canal + disposait d'un certain nombre d'atouts. En termes de distribution, il peut ainsi s'appuyer immédiatement sur les bouquets de Média Overseas, qui comptent 600.000 abonnés dans 47 pays et couvrent près de 97 % des pays francophones. De plus, la mutualisation des coûts avec les autres chaînes du groupe devrait permettre de limiter le coût d'exploitation à 35 millions d'euros lors du lancement de la chaîne en français et à 90 millions d'euros lorsque celle-ci sera diffusée en quatre langues.

Il a ajouté que le Groupe Canal + envisageait par ailleurs, pour rendre ce projet attractif, d'y intégrer une chaîne de cinéma exploitant le catalogue de Studio Canal, qui comprend 5.500 films de patrimoine français et européen.

Il a enfin indiqué que ce projet modulaire, séparant les fonctions de fabrication, d'édition et de distribution des programmes, pouvait faire l'objet de partenariats, tant avec les opérateurs privés que publics de l'audiovisuel français.

Un débat s'est alors engagé.

Mme Danièle Pourtaud, rapporteur pour avis des crédits des relations culturelles extérieures a fait part de son intérêt pour l'offre globale présentée par le Groupe Canal + qui a le mérite d'associer, au sein d'un bouquet de chaînes, un canal dédié à l'information et un autre diffusant des films francophones.

Néanmoins, elle a souhaité obtenir des précisions complémentaires tant sur le contenu de chacune des chaînes proposées par le bouquet, notamment sur le nombre de films dont Studio Canal possède les droits exclusifs de distribution, et sur les modalités financières du projet.

M. Louis Duvernois s'est demandé si le Groupe Canal + avait, à l'heure actuelle, les moyens financiers de devenir un acteur majeur dans le domaine de l'information à l'échelle internationale.

Après avoir souligné qu'une chaîne d'information internationale française se devait de proposer un ton et des images originales pour être crédible et suffisamment attractive, il s'est interrogé sur l'identité des partenaires audiovisuels envisagés pour mener à bien ce projet.

M. Michel Guerry a estimé qu'il pouvait être périlleux de combiner actualité internationale, cinéma et émissions destinées aux jeunes sur une même chaîne, et qu'il fallait, par conséquent, veiller à trouver un équilibre ne pesant pas sur la crédibilité globale du projet. Il s'est également demandé quelle serait l'organisation fonctionnelle de cette future chaîne.

M. Jack Ralite s'est intéressé à la santé économique et financière du groupe Vivendi Universal. Soulignant qu'en dépit des propos rassurants de M. Bertrand Méheut, chacun pouvait constater que la société Vivendi Universal cédait progressivement la plupart de ses activités, il a souhaité savoir quel était le projet industriel de la nouvelle direction.

En réponse aux intervenants, M. Bertrand Méheut a apporté les éléments d'information suivants :

- le Groupe Canal + a souhaité créer une chaîne de référence proposant un regard français sur l'actualité économique et politique internationale par le biais de reportages en direct et de magazines enregistrés. L'objectif principal de cette chaîne, caractérisée par un ton et un habillage facilement identifiables par les téléspectateurs, sera d'obtenir une audience forte et régulière ;

- Studio Canal dispose des droits exclusifs de près de 1.500 films français et européens, ce qui constitue un réservoir suffisant pour alimenter provisoirement la future chaîne de cinéma proposée en complément de la chaîne internationale ;

- la question du financement de ce projet doit être discutée avec les pouvoirs publics. Il est cependant certain que le Groupe Canal + ne financera pas l'intégralité des investissements nécessaires à la concrétisation de ce projet et que des financements extérieurs devront être mobilisés ;

- il est nécessaire d'adapter le contenu éditorial de chacune des chaînes du projet en fonction du public visé. A terme, chacune des déclinaisons en langue anglaise, espagnole et arabe de la chaîne internationale devra proposer, en plus des magazines communs, un certain nombre de programmes spécifiques ;

- la chaîne I-Télévision souffre encore d'un déficit de notoriété lié à son absence provisoire de l'offre de base proposée par le principal câblo-opérateur d'Ile-de-France, Noos. La part d'audience de I-Télévision est de 0,3 % contre 1 % pour sa principale concurrente, LCI ;

- tous les partenariats sont à ce stade du projet envisageables, notamment avec des sociétés audiovisuelles publiques, la modularité du projet devant permettre de donner suite à toutes les propositions jugées intéressantes ;

- le Groupe Canal + a entamé son redressement financier : alors que la société est en déficit depuis 1996, le résultat d'exploitation devrait être ramené à l'équilibre cette année. A cet égard, les résultats du premier semestre, obtenus grâce à une diminution des coûts de structure, sont très encourageants. Par ailleurs, une reconfiguration de l'offre éditoriale, proposée par la chaîne Canal +, véritable « navire amiral » du groupe, devrait permettre de relancer la chaîne, alors même que pour l'ensemble des chaînes du groupe, le nombre d'abonnés est en augmentation et dépasse désormais les 8 millions ;

- la situation financière de Vivendi Universal s'améliore. Le désendettement du groupe sera quasiment achevé lorsque la vente de Vivendi Universal Entertainment, qui rassemble les activités américaines de Vivendi Universal en matière de cinéma et d'audiovisuel, sera finalisée.