Table des matières




Mardi 16 juillet 2002

- Présidence de M. Jacques Valade, président. -

Audition de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication

La commission a tout d'abord entendu M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

M.
Jacques Valade, président, a souhaité que le ministre puisse en premier lieu présenter à la commission les grands thèmes qu'il avait abordés lors de sa conférence de presse du 4 juillet puis lui faire part de l'état de ses réflexions sur la télévision numérique terrestre après l'achèvement des auditions des candidats par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

M. Jean-Jacques Aillagon a indiqué que la conférence de presse du 4 juillet avait été l'occasion de définir les priorités assignées au ministère et de présenter la méthodologie de son action.

Cette méthodologie consiste dans la définition claire de ses missions prioritaires.

Le ministère doit demeurer fidèle à ses trois missions fondatrices : la préservation et la mise en valeur du patrimoine, l'action en faveur des différentes formes de la création et la diffusion de la culture au plus grand nombre. Il a rappelé, prenant l'exemple des musées et des bibliothèques, que la République s'était très rapidement dotée de compétences en matière culturelle afin de permettre à tous d'accéder à la création.

M. Jean-Jacques Aillagon a indiqué que le ministère avait vu se développer ces missions, auxquelles d'autres étaient par ailleurs venues s'ajouter. A cet égard, il y a notamment lieu de réfléchir à la signification de la réunion, désormais historique, de la culture et de la communication sous une autorité ministérielle unique. Ce choix implique en effet que le service public de la télévision a vocation à participer aux missions du ministère, en particulier en matière de diffusion culturelle.

Il a rappelé que le ministère de la culture assumait la charge d'actions importantes de l'État avec d'autres administrations. Ainsi, il partage avec le ministère de l'éducation nationale la responsabilité de l'éducation artistique afin de faire de l'école un lieu possible de rencontre authentique avec la culture. De même, l'action culturelle internationale de la France constitue un champ de compétences partagé avec le ministère des affaires étrangères, qui recouvre la francophonie, l'image internationale de la France et le rayonnement de ses créateurs. En ce domaine, il appartient au ministère d'affirmer son attachement à la défense du concept d'exception culturelle et du principe de diversité des cultures, qui en est le corollaire. Il ne peut y avoir de politique culturelle sans affirmation de ce concept, souvent mal compris, qui implique que l'ensemble des biens culturels soient dotés d'un statut d'exception, conformément à une préoccupation qui a inspiré dans le passé la législation sur les monuments historiques ou plus récemment celle relative au prix unique du livre.

Le ministre a souligné la diversité des modalités d'intervention du ministère.

En premier lieu, le ministère peut intervenir directement ou par le biais de ses établissements publics. A cet égard, M. Jean-Jacques Aillagon a estimé nécessaire d'opérer au profit de ces derniers une plus large délégation de responsabilité, tout en exerçant la plus grande vigilance sur leur adhésion aux priorités de la politique culturelle de l'État. Ainsi, une réforme du statut des musées nationaux sera lancée afin de transformer de grandes institutions, tel le musée d'Orsay, en établissements publics mais aussi de modifier le statut d'établissements existants afin d'en renforcer l'autonomie. Il a déploré, ainsi, que le statut du Louvre ne confère à son président aucune compétence en matière de prêts, de dépôts ou d'acquisitions, responsabilités qui sont exercées par les chefs de départements en relation directe avec la direction des musées de France.

Le ministre a estimé indispensable qu'à l'image du centre d'art et de culture Georges Pompidou, les grands établissements, concentrés pour des raisons historiques à Paris, soient les agents de l'action territoriale du ministère. Le Louvre procédera ainsi dès l'automne prochain à des dépôts d'oeuvres majeures dans les musées de province.

En second lieu, le ministère de la culture intervient en partenariat avec les collectivités territoriales qui ont considérablement développé leurs interventions en matière culturelle. Après avoir rappelé que la vie culturelle était largement tributaire de l'action des différents niveaux de collectivités territoriales, le ministre s'est déclaré favorable à de larges délégations à leur profit à condition que l'État soit en mesure d'affirmer l'existence d'une politique culturelle nationale, et notamment capable de garantir l'égalité d'accès à la culture.

Il a indiqué que, dans cette perspective, sera réalisé avec les régions Lorraine et Midi-Pyrénées le bilan des actions engagées en partenariat avec le ministère. Au regard de ce bilan, sera proposé à l'ensemble des collectivités territoriales un nouveau plan d'actions conjointes. Cet exercice amènera également à s'interroger sur la répartition des compétences culturelles entre l'État et les collectivités territoriales. Des clarifications sémantiques s'imposent : ainsi les conservatoires nationaux de région ne sont que faiblement subventionnés par les régions et l'Etat. Évoquant la politique de soutien au réseau de la décentralisation théâtrale, caractérisé par une grande diversité de labels et de situations administratives, le ministre a constaté pour le regretter que le niveau de contribution de l'État était très variable d'une structure à l'autre et qu'il importait de réaffirmer des règles du jeu très claires.

M. Jean-Jacques Aillagon a estimé nécessaire que les services du ministère appliquent dans leurs relations avec les collectivités territoriales des procédures, inspirées par le bon sens, permettant de réduire les délais de décision et de faire prévaloir des normes invariables et impartiales.

Il a manifesté son souhait que le ministère de la culture prenne une part significative à l'élaboration des nouvelles lois de décentralisation annoncées par le président de la République et le Premier ministre. La décentralisation culturelle ne doit pas se faire par accident.

Le ministre a souligné la nécessité d'accroître le champ ouvert à l'initiative privée en matière culturelle, en assouplissant le régime des fondations et en instituant de nouveaux dispositifs incitatifs en faveur du mécénat.

Il a indiqué que les résultats de l'audit du budget du ministère par un cabinet privé avaient mis en évidence l'existence d'un effet de ciseau. Si le 1 % a été atteint, notamment à la faveur d'artifices comme le rattachement de la cité des sciences et de l'industrie, l'accroissement des charges de fonctionnement du ministère et de ses établissements, supérieur à celui du budget, se traduit mécaniquement par une diminution de ses marges de manoeuvre. Cette situation exige des moyens supplémentaires doublés d'un engagement du ministère de mieux gérer son budget, ce qui nécessitera un réexamen de certains projets dont le coût excessif pèserait trop lourdement sur les moyens d'intervention du ministère. La crédibilité du ministère se mesurera à sa capacité à reconquérir des marges d'action en régions pour répondre aux attentes des collectivités territoriales.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Jacques Legendre s'est interrogé sur les mesures qui seraient prises pour garantir l'usage de la langue française en France, estimant ces mesures indissociables de l'effort accompli pour maintenir sa place au niveau international. Par ailleurs, il a souligné la nécessité de remédier à la sous-consommation des crédits du patrimoine.

M. Ivan Renar a souhaité avoir des précisions sur le résultat des arbitrages budgétaires. Il a fait part de ses inquiétudes sur l'avenir du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Enfin, il a souhaité savoir quels moyens seraient mis en oeuvre pour remédier aux inégalités culturelles entre les régions.

M. Marcel Vidal a interrogé le ministre sur les délais dont disposeront les industries du cinéma pour s'adapter au défi de la projection numérique et sur l'opportunité d'accompagner leurs efforts par des mécanismes d'aide. Par ailleurs, il a souhaité avoir des indications sur la date de publication des décrets d'application du dispositif d'encadrement des cartes d'abonnement illimité. Enfin, rappelant que le ministre avait exprimé le souhait de réexaminer le projet du « 51, rue de Bercy », il s'est demandé s'il était question de remettre en cause le projet immobilier lui-même ou le programme de regroupement des institutions patrimoniales concernées.

Mme Danièle Pourtaud a souhaité savoir si le Gouvernement agréerait l'accord conclu au sein de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC) concernant le régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Elle s'est inquiétée des conséquences d'une entrée en vigueur immédiate de cet accord, susceptible notamment de mettre en péril nombre de manifestations culturelles et de petites entreprises du secteur de l'audiovisuel. Enfin, elle a souhaité obtenir des précisions sur le projet annoncé de réduction de la taxe sur la valeur ajoutée sur les disques.

M. Yves Dauge a souligné la nécessité de renforcer au sein du ministère la place accordée à l'architecture, compétence récemment transférée mais encore négligée. A cet égard, il s'est interrogé sur l'avenir de l'Institut français d'architecture. Enfin, il s'est demandé comment renforcer le réseau des instituts culturels français à l'étranger.

M. Jack Ralite a félicité le ministre pour la fermeté de ses positions en faveur de la défense de l'exception culturelle. Il s'est inquiété des conséquences de la situation de Vivendi Universal dans le secteur de l'édition, du cinéma et de la musique. Il a souligné que la « sanctuarisation » du budget de la culture, si elle avait le mérite d'éviter sa diminution, ne devait pas conduire à empêcher sa progression. Il a par ailleurs contesté l'opportunité d'établir des règles uniformes pour définir le montant des subventions de l'État, estimant nécessaire de définir des critères nouveaux permettant de corriger les inégalités de moyens entre les collectivités locales.

M. Jean-Marc Todeschini s'est inquiété de l'avenir de Canal Plus et des moyens dont disposait le Gouvernement pour assurer la pérennité de sa participation au financement de la production cinématographique.

Il s'est interrogé sur les intentions du Gouvernement concernant France 2 et France 3.

Il a souhaité connaître les dates d'échéance des plans d'action conjointe engagés entre le ministère et les régions Lorraine et Midi-Pyrénées, les instances qui établiront le bilan de ces plans et l'identité de celles qui se prononcent sur leur généralisation.

M. Michel Thiollière a demandé au ministre quelle forme prendrait l'expérimentation préalable à la décentralisation culturelle.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Jacques Aillagon a apporté les précisions suivantes :

- la défense de la langue française est une compétence du ministère de la culture partagée avec le ministère des affaires étrangères, en ce qui concerne son usage international. Le ministère doit veiller à travers la délégation à la langue de France et aux langues de France à une application vigilante des dispositions de la loi Toubon  -parfois jugées par certains comme trop contraignantes mais encore imparfaitement respectées ;

- la sous-consommation chronique des crédits du patrimoine, si elle s'explique par la complexité des procédures administratives et les conditions matérielles d'exécution des opérations de restauration, constitue une situation anormale à laquelle il convient de remédier en priorité ;

- la mission confiée à M. Jean-Pierre Bady déterminera les conditions d'évolution de la répartition des compétences et des charges entre l'État et les collectivités territoriales en matière de restauration du patrimoine ;

- les arbitrages budgétaires ne remettent pas en cause l'intégrité des crédits du ministère, conformément à l'engagement de « sanctuarisation » pris par le Président de la République. Ce concept doit être entendu de manière dynamique afin de permettre au ministère de reconquérir des capacités d'action ;

- le régime spécifique d'assurance chômage des intermittents du spectacle a permis de faire bénéficier les salariés comme les employeurs du secteur du spectacle vivant et de l'audiovisuel de conditions favorables à la création. L'accord intervenu le 19 juin au sein de l'UNEDIC ne remet pas en cause ce régime mais vise à compenser le considérable déficit de ce régime, en doublant le taux des cotisations des employeurs et des salariés. Cet accord aurait notamment pour conséquence un accroissement des charges pesant sur les structures et manifestations culturelles. Les premières analyses font apparaître que le Gouvernement ne pourrait agréer cet accord, qui n'est pas conforme à la loi. Dans cette hypothèse, un texte législatif pourrait intervenir pour confirmer la pérennité de ce régime et permettre aux partenaires sociaux de procéder aux ajustements nécessaires afin d'assurer l'équilibre de ce régime. Ce dossier a été soumis à l'arbitrage du Premier ministre ;

- en dépit de leur engagement massif en faveur de la culture, subsistent, entre les régions, des inégalités culturelles, que le ministère doit veiller à corriger ;

- le décret d'application du dispositif législatif d'encadrement des cartes d'abonnement illimité sera publié dès que les termes de la circulaire précisant le détail des modalités de collaboration entre les exploitants prévue par la loi auront fait l'objet d'un accord des différents partenaires concernés soit, vraisemblablement, d'ici le mois d'octobre ;

- le projet du « 51, rue de Bercy » doit être réexaminé ; en effet, le bâtiment, comme le cadre juridique retenu, ne conviennent pas à un projet qui, au demeurant, ne réglait pas le statut de la cinémathèque ; au mois de septembre, une décision sera prise soit pour confirmer l'installation à Bercy, soit pour maintenir la cinémathèque dans son site actuel à Chaillot, soit encore pour vendre le bâtiment, largement inadapté à l'usage auquel on le destine mais à l'acquisition et à l'aménagement duquel des crédits considérables ont d'ores et déjà été consacrés ;

- la baisse de la TVA sur le disque exige l'unanimité des États membres de l'Union européenne ; il existe de bons espoirs d'y parvenir. Il serait souhaitable de faire bénéficier l'ensemble des biens culturels d'un taux de TVA réduit ;

- l'État doit s'attacher à définir, de manière claire et acceptable par les collectivités territoriales, les conditions de sa participation aux projets conduits en partenariat ;

- l'État est attentif aux conditions de dévolution du capital de Vivendi Universal même si cette question relève d'intérêts privés. Dès lors que la loi prévoit des exigences légales relatives à la structure du capital des entreprises qui le composent, le Gouvernement veillera à leur respect ;

- l'architecture constitue une des missions du ministère ; son regroupement avec le patrimoine au sein d'une direction unique, s'il n'est pas convaincant, ne devrait pas être remis en cause. Le projet hasardeux d'intégration de l'Institut français d'architecture au sein d'une cité de l'Architecture et du patrimoine à Chaillot qui engloberait également le musée des monuments français doit être réexaminé. La suppression du centre de création industrielle a été une décision regrettable ;

- les ministères de la culture et des affaires étrangères qui exercent une responsabilité partagée sur l'association française d'action artistique, doivent s'interroger sur les moyens d'améliorer le rayonnement culturel international de la France ;

- l'expérimentation en matière de décentralisation culturelle est préférable à des interventions législatives et réglementaires intempestives. A l'issue du bilan réalisé avec les régions Lorraine et Midi-Pyrénées en concertation avec l'ensemble des élus, des schémas directeurs seront proposés aux autres régions ;

- les chaînes publiques de télévision doivent se conformer aux missions de service public qui sont les leurs. La mission confiée à Mme Catherine Clément sur le service public et la culture, ainsi que celle confiée à Mme Blandine Kriegel sur le problème de la violence à la télévision, qui concerne aussi bien les chaînes publiques que les chaînes privées, pourront contribuer à aider les chaînes publiques à assumer leur mission de service public.

M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, a ensuite abordé la question de la mise en oeuvre de la télévision numérique terrestre (TNT).

Il a estimé qu'il lui revenait, sur un dossier ayant suscité de nombreuses controverses, de faire prévaloir l'intérêt général.

Il a souligné qu'il était favorable à la télévision numérique terrestre dont la loi du 1er août 2000 a fixé le cadre juridique et les conditions de mise en oeuvre.

Rappelant les avantages de la TNT, qui permettra d'offrir au téléspectateur un plus grand nombre de chaînes, en particulier de chaînes gratuites, le ministre a estimé qu'il importait d'encourager et d'accompagner cette innovation, et de s'assurer que toutes les conditions étaient réunies pour que son lancement soit réussi et pérenne, en évitant les désagréments de certaines expériences étrangères. Il a à cet égard constaté l'apparition d'un certain nombre de difficultés qu'il convenait de résoudre pour éviter que le lancement de la TNT ne déstabilise l'ensemble du secteur audiovisuel.

Il a tout d'abord souligné que le calendrier de lancement de la TNT initialement prévu apparaissait aujourd'hui intenable, notamment pour des raisons techniques : l'ampleur et le coût du réaménagement des fréquences imposé par la cohabitation pendant plusieurs années de l'analogique et du numérique ont ainsi été sous-estimés ; en outre, la mise en place des équipements de diffusion numérique nécessitera un délai de 12 mois après la signature des conventions entre les chaînes sélectionnées et le CSA.

Le ministre a ensuite passé en revue les difficultés juridiques et techniques qu'il convient de régler pour éviter de nouveaux retards.

Il a rappelé qu'un décret devait déterminer le cadre réglementaire des télévisions locales sur la TNT, ce qui nécessite au préalable de résoudre la question des secteurs interdits de publicité télévisée. Le ministre a indiqué à cet égard qu'à la suite de la mise en demeure de la Commission européenne, il allait organiser une concertation avec les professionnels concernés. La publication du décret « télévisions locales » pourrait ainsi être envisagée pour la fin de l'année et l'appel à candidatures être lancé par le CSA au début de 2003.

Il a ensuite abordé la question du réaménagement des fréquences, opération complexe dont le coût est évalué par le CSA à 150 millions d'euros et dont les modalités de financement n'ont pas encore été arrêtées. M. Jean-Jacques Aillagon a estimé qu'il serait souhaitable que ce coût soit supporté par les bénéficiaires des attributions de canaux de diffusion, et il a noté qu'il apparaissait nécessaire de vérifier la base juridique des travaux engagés, rappelant que TF1 avait ouvert un contentieux sur les premiers réaménagements de fréquences. Il a également évoqué le problème des zones frontalières, où le réaménagement des fréquences exigera une coordination avec les pays voisins.

Le ministre a également rappelé la réalité économique du secteur de l'audiovisuel, actuellement caractérisée par la conjoncture défavorable du marché publicitaire, par la fragilité de certains opérateurs et par l'inquiétude du secteur de la production, pour lequel la situation de Canal Plus, qui entretient avec le cinéma français une relation privilégiée, est une cause de préoccupation.

Dans ces conditions, il a considéré qu'il était de la responsabilité du gouvernement de veiller à ce que la mise en oeuvre de la TNT n'expose pas l'Etat, le contribuable et l'ensemble du secteur à des coûts et à des risques qui n'auraient été ni anticipés ni évalués. Il a rappelé à cet égard qu'en Grande-Bretagne le sauvetage de la TNT avait été confié à la télévision publique, l'échec d'une initiative privée s'étant ainsi soldé par une discrète « nationalisation ».

M. Jean-Jacques Aillagon a enfin évoqué la question de la place du service public dans la TNT. Notant l'intérêt du projet élaboré par le gouvernement précédent, qui réservait au service public huit canaux sur la TNT, dont trois dévolus à des chaînes nouvelles, il a néanmoins estimé qu'il convenait de s'assurer que ce projet ne nécessiterait pas l'utilisation de moyens supplémentaires massifs, et ne justifierait pas non plus un désengagement des « chaînes mères » de leurs missions de service public.

Soulignant en conclusion la nécessité d'une meilleure concertation, M. Jean-Jacques Aillagon a observé que le report par le CSA de l'attribution des chaînes, justifié par le grand nombre de candidatures, offrait le délai nécessaire à cette concertation. Il a en outre annoncé que le Premier ministre avait confié une mission de réflexion sur la TNT à M. Michel Boyon, ancien président de Radio France. Son rapport, qui sera remis avant le 15 octobre 2002, c'est-à-dire avant que le CSA ne rende public le choix des opérateurs pour le numérique, permettra de clarifier et de dépassionner le débat sur une affaire importante, qu'il importe de prendre le temps de traiter afin d'être assuré de faire les meilleurs choix pour l'avenir.

Audition de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies

La commission a ensuite entendu Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

Accueillant Mme Claudie Haigneré, M. Jacques Valade, président, s'est félicité de sa nomination à la tête du ministère de la recherche et des nouvelles technologies, rendant hommage à ses mérites personnels et rappelant qu'elle était aussi, aux yeux de l'opinion publique, un « personnage » qui suscitait l'intérêt et l'admiration.

Remerciant le président de ses propos de bienvenue, Mme Claudie Haigneré a souligné à titre liminaire que la science et la technologie représentent un enjeu essentiel pour l'avenir de la démocratie, qu'elles sont au coeur du développement culturel et économique national et qu'elles détermineront pour les décennies à venir le mode et le niveau de vie des Français ainsi que la place et le rayonnement de la France et de l'Europe dans le monde.

Elle a estimé que le nouvel élan que le Gouvernement souhaitait donner à la recherche constituait un pari sur l'intelligence et traduisait l'ambition de construire une France de la connaissance qui soit aussi une France de la croissance et du progrès.

Se faisant l'écho des attentes de la communauté scientifique, elle a observé que, si la France occupait en matière de recherche une place éminente dans plusieurs domaines, plusieurs indicateurs témoignaient cependant d'un relatif déclin : recul du poids de la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) qui ne représentait plus en 2001 que 2 % du produit intérieur brut (PIB), diminution du nombre des brevets déposés et exploités, crise de vocation des jeunes pour les métiers scientifiques, recul des implantations en France d'entreprises technologiques étrangères...

Rappelant l'objectif fixé par le Président de la République et le Premier ministre d'amener la DIRD à 3 % du PIB à l'horizon 2010, elle a estimé que cet effort considérable nécessitait que l'impulsion donnée à la recherche publique et à l'innovation serve de levier à l'ensemble de la recherche nationale, qu'il supposait une organisation rénovée, plus réactive, des structures publiques et une mobilisation accrue de l'effort de recherche des entreprises, notant que la mise en oeuvre d'une culture de l'évaluation et de la prospective devrait permettre de libérer la créativité, d'encourager l'excellence et de favoriser l'innovation.

La ministre a ensuite exposé les six orientations emblématiques d'une politique qui se propose de placer la science et la connaissance au coeur de la société.

Mme Claudie Haigneré a présenté comme la première de ses priorités le soutien résolu à la recherche fondamentale. Considérant celle-ci comme le socle de tout l'édifice de recherche et développement, elle a indiqué que les universités, les grandes écoles, les organismes de recherche et les entreprises seraient invités à développer des collaborations et à élaborer ensemble des politiques de recherche à long terme.

Soulignant les atouts de la proximité, elle a estimé que la signature de conventions-cadre entre établissements géographiquement voisins serait de nature à faciliter le portage de stratégies et de ressources et la mobilité des chercheurs.

La deuxième orientation doit être la mobilisation du potentiel des chercheurs et des enseignants-chercheurs. La ministre a affirmé à cet égard son intention de permettre aux plus créatifs de participer pleinement à la compétition internationale, d'attirer et de retenir les scientifiques les plus brillants et de favoriser les vocations scientifiques des jeunes, particulièrement dans le contexte actuel d'un renouvellement important des effectifs des établissements publics de recherche, et elle a indiqué que son ministère étudiait la possibilité de revaloriser l'allocation de recherche.

Se fixant pour troisième ambition de redonner à la France un rôle moteur dans la construction effective de l'espace européen de recherche, elle a indiqué qu'elle encouragerait les collaborations particulières au sein des grandes agences européennes, et inciterait les laboratoires et centres de recherche à participer pleinement au sixième Programme cadre de recherche et de développement (PCRD).

Elle a également exprimé sa volonté de renforcer les mesures en faveur de l'innovation et des transferts de technologies, ainsi que le soutien à la recherche dans les entreprises. Mentionnant le bilan en cours de la loi de 1999 sur l'innovation et la recherche, elle a indiqué qu'un certain nombre d'aménagements pourraient, le cas échéant, lui être apportés et que, en concertation avec d'autres départements ministériels, seraient examinées un certain nombre de propositions visant à modifier l'environnement fiscal des jeunes entreprises innovantes, à renforcer les capacités des incubateurs, des fonds d'amorçage et des sociétés de capital-risque. Elle a également signalé que le ministère étudiait le dossier des fondations à finalité de recherche.

Mme Claudie Haigneré a ensuite tout particulièrement insisté sur sa volonté de replacer la recherche au centre des débats de société, de façon à aider la population à prendre conscience des enjeux de la science, ainsi qu'à redonner aux jeunes le goût d'apprendre et la joie de la découverte. Elle a préconisé une pédagogie de la science touchant tous les âges et tous les acteurs, capable de faire appel à la part de rêve et d'émerveillement consubstantielle à la curiosité scientifique.

Elle a souhaité qu'une meilleure compréhension des enjeux scientifiques permette une meilleure participation des citoyens, jugeant cependant nécessaire le recours à la médiation politique pour la prise de décision.

Rappelant enfin que son ministère était responsable de la coordination des politiques gouvernementales en matière de promotion de la diffusion des nouvelles technologies et de leur appropriation par l'ensemble de la société, Mme Claudie Haigneré a insisté sur l'importance des avancées scientifiques enregistrées au cours des quinze dernières années et sur leurs conséquences sur le fonctionnement des sociétés modernes.

Elle a relevé que les progrès induits par le développement des moyens informatiques de traitement des données quittaient désormais rapidement le stade de la démonstration de laboratoire pour être incorporés dans des produits disponibles sur le marché, suscitant parfois l'appréhension de l'opinion.

Estimant que l'enjeu des nouvelles technologies -qui ne se limitent pas aux technologies de l'information et de la communication- résidait autant dans leur diffusion que dans leur appropriation par le public, elle a souhaité conduire une réflexion éthique, respectueuse des libertés individuelles, qui prenne en compte les impacts sociaux et environnementaux de l'innovation.

Elle a plaidé, en conclusion, pour que l'ambition de promouvoir la recherche scientifique soit effectivement considérée comme une ambition nationale, et elle a indiqué qu'elle serait à l'écoute des propositions du Parlement.

Un débat a suivi.

M. Jacques Valade, président, a souligné le caractère à la fois précis et passionné de l'exposé de la ministre, et a affirmé que la commission la soutiendrait dans sa volonté de faire partager cette passion et de faire progresser la prise de conscience des enjeux de la recherche scientifique.

M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis des crédits de la recherche, s'est félicité de ce que la ministre ait mis l'accent sur des points qui lui paraissent essentiels comme la nécessité d'encourager l'innovation et le transfert de technologies, domaine dans lequel l'Europe pâtit encore d'un handicap, ou la diffusion de la culture scientifique, qui fait actuellement l'objet d'une mission d'information de la commission. S'appuyant sur les premières observations formulées par la mission d'information, il a jugé nécessaire de développer sur l'ensemble du territoire les moyens de diffusion de la culture scientifique, estimant que les grands établissements parisiens ne devaient pas se borner à accueillir le public dans leurs locaux, mais devaient considérer qu'il entrait dans leur mission de réaliser des expositions ou des produits susceptibles d'être utilisés par des structures locales de diffusion de plus petite taille. Il a demandé à la ministre si elle appuierait cette recommandation, en particulier à l'occasion de la rédaction de la lettre de mission qui sera adressée, lors de sa nomination prochaine, au futur président de la Cité des sciences et de l'industrie.

Estimant que le contexte budgétaire ne permettrait malheureusement sans doute pas de porter très rapidement le niveau de la dépense intérieure de recherche et de développement à 3 % du PIB, il a souhaité que l'on tire tout le profit possible de l'association du secteur public et du secteur privé.

Il a également préconisé une amélioration du fonctionnement du VIe programme cadre de recherche et de développement, souhaitant en particulier que la procédure d'obtention de ses crédits soit allégée, et rapprochée de celle qui préside au programme Eurêka, comme l'ont d'ailleurs souhaité les participants à la conférence interparlementaire qui s'est tenue à Athènes en mai 2002.

Il a espéré que cet objectif serait soutenu par les prochaines présidences de l'Union européenne, car il pourrait contribuer à l'amélioration de la part du PIB européen consacrée à la recherche.

Il a souhaité que le ministère de la recherche procède à une évaluation des dépenses d'aide à la recherche des différentes collectivités territoriales, régions, départements et villes.

Convaincu de la nécessité d'améliorer les ressources des fonds d'amorçage, il a proposé que les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) et les fonds communs de placements à risque (FCPR) qui bénéficient d'un régime fiscal favorable, puissent abonder ces fonds.

Soulignant que la nomination de la ministre déléguée avait reçu un accueil unanimement favorable et suscitait beaucoup d'attentes dans la communauté scientifique, M. Ivan Renar lui a demandé si la progression annoncée du budget de la recherche pourrait être au moins amorcée en 2003 et a souhaité avoir des précisions sur la politique qu'elle envisageait de mener en matière d'emplois scientifiques, pour faire face à l'accroissement du nombre des départs en retraite dans les prochaines années. Après avoir déclaré qu'il partageait les analyses formulées par M. Pierre Laffitte en matière de diffusion de la culture scientifique, il a interrogé la ministre sur son intention de défendre une meilleure égalité des territoires en matière d'équipements scientifiques, estimant pour sa part que la région Ile-de-France paraissait, en ce domaine, surdotée, alors que les nouvelles technologies de l'information permettent aujourd'hui de favoriser une décentralisation des infrastructures. Il a également souhaité connaître le sentiment de la ministre sur les programmes pluriannuels dont le Président de la République avait annoncé le lancement.

M. Jack Ralite a approuvé la ministre d'avoir abordé la question du sens de la recherche, en insistant sur l'insertion de la science dans la société.

Citant en exemple le projet « Savantes banlieues » mené en Seine-St-Denis avec l'université Paris XIII, il a jugé que les rapports qu'entretient le citoyen -cet expert du quotidien- avec la science, devaient faire l'objet d'une attention privilégiée, car ils constituent un facteur important de diffusion de l'innovation dans la société.

Il a également approuvé l'intention exprimée par la ministre de prendre en compte le long terme dans la définition de son action, jugeant indispensable, particulièrement dans le cas de collaborations entre le secteur public et le secteur privé, de contrebalancer la tyrannie du court terme, à laquelle conduit généralement la logique de l'argent. Il a par ailleurs estimé que la volonté de diffuser la culture scientifique et la pédagogie de la science que souhaitait mettre en oeuvre la ministre devaient s'appuyer sur l'histoire des sciences.

Insistant également sur l'importance du lien qui unit l'art et la science, malheureusement sous-estimé en France, il a souhaité que la Cité des sciences et de l'industrie s'attache dorénavant à le mettre davantage en valeur.

Évoquant enfin la crise traversée par Vivendi-Universal, il en a vu l'origine dans une utopie « techniciste » faussement présentée comme scientifique et dont les conséquences gravissimes démontrent qu'on ne saurait impunément faire l'économie de « l'utopie de l'homme ».

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche, a apporté aux différents intervenants les éléments de réponse suivants :

- notre culture scientifique et technique, étant résolument tournée vers l'avenir, ne peut pas ne pas s'adosser à l'histoire scientifique ;

- si la recherche privée et la recherche publique n'ont pas toujours la même perception de la nécessité d'une approche à long terme, le développement d'un partenariat mutuel devra s'attacher à mettre en cohérence leurs objectifs respectifs ;

- il est important, si l'on veut que la science soit un facteur de cohésion et non de fracture sociale, que personne ne se sente exclu de la compréhension des enjeux de la recherche scientifique ;

- il doit entrer dans les missions des grands organismes de diffusion de la culture scientifique implantés à Paris de chercher à toucher les populations à l'échelon local, en développant des politiques d'accompagnement régionales, mais la dimension européenne de leur rayonnement ne doit pas non plus être oubliée : ces deux aspects devraient être rappelés dans la lettre de mission adressée au futur président de la Cité des sciences et de l'industrie ;

- il serait, en effet, utile de disposer d'informations sur le niveau des dépenses effectuées par les différentes collectivités territoriales en matière de soutien à la recherche, sans se limiter aux seuls crédits inscrits dans les contrats de plan Etat-région ;

- la répartition des infrastructures de recherche sur le territoire devrait prendre en compte les compétences respectives des différentes régions, en s'appuyant sur les pôles d'excellence existants, et en valorisant leur potentiel industriel et universitaire ;

- les approches et les procédures respectives du programme Eurêka et du VIe PCRD présentent chacune leur intérêt, même si celles du VIe PCRD paraissent, du fait de leur lourdeur, beaucoup moins adaptées que celles d'Euréka pour les petites et moyennes entreprises ; il conviendrait toutefois de rapprocher ces deux systèmes de façon à assurer leur cohérence d'ensemble ;

- le montant des ressources financières consacrées au soutien des entreprises innovantes constitue un paramètre essentiel pour la politique de soutien aux jeunes entreprises innovantes, et l'abondement des fonds d'amorçage par les FCPI et les FCPR pourrait faire l'objet d'une réflexion conjointe avec le ministère de l'économie et avec le ministère délégué à l'industrie.

Organismes extra-parlementaires - Désignation de candidats

Au cours de la même réunion, la commission a décidé de proposer à la nomination du Sénat :

- M. Pierre Martin, comme membre de la commission nationale pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ;

- M. Philippe Nogrix, comme membre du conseil d'administration de Réseau France Outre-mer (RFO).