AFFAIRES CULTURELLES

Table des matières


Mercredi 17 mars 1999

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Enseignement - Sécurité civile - Lutte contre la violence en milieu scolaire - Audition de M. Jean-Claude Fortier, recteur de l'académie de Lille, M. Jacques Franquet, préfet délégué pour la sécurité et la défense, et M. Roger Tacheau, procureur général près la cour d'appel de Douai

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Claude Fortier, recteur de l'académie de Lille, M. Jacques Franquet, préfet délégué pour la sécurité et la défense, et M. Roger Tacheau, procureur général près la cour d'appel de Douai.

M. Jean-Claude Fortier, recteur de l'académie de Lille
, a tout d'abord évoqué les transformations qui ont touché le système éducatif depuis quarante ans et qui ont contribué à modifier profondément la nature des relations existant entre les enseignants et les élèves.

Il a souligné que l'accueil sans discrimination de tous les enfants dans le second degré constituait, certes, un succès quantitatif du service public, mais que l'hétérogénéité des élèves qui en a résulté était aussi à l'origine des difficultés actuelles et appelait désormais une politique qualitative, " l'école pour tous " ayant du mal à devenir " l'école de chacun ".

Il a rappelé qu'un élève sur six était en situation d'échec scolaire ou professionnel et que près de 100.000 élèves sortaient du système éducatif sans qualification. Il a également constaté l'inadéquation de certaines formations aux besoins de l'économie, l'école ne pouvant orienter autoritairement ses élèves en raison de la pression des familles, qui privilégient notamment les diplômes menant aux professions tertiaires.

M. Jean-Claude Fortier a ensuite estimé qu'une part de la violence constatée dans les établissements résultait de l'échec scolaire et que la scolarisation des enfants issus de milieux défavorisés avait introduit des comportements violents nouveaux. Rappelant que la violence était " la pire offense " que pouvait connaître l'école, il a souligné la nécessité de développer de nouvelles collaborations avec les autorités de police et la justice. Il s'est félicité qu'une véritable collaboration se soit établie entre les acteurs concernés et que celle-ci se développe dans un registre mêlant des actions de prévention et de répression, mais aussi des pratiques de proximité.

M. Jacques Franquet, préfet délégué pour la sécurité et la défense, a rappelé que des préfets délégués pour la sécurité et la défense avaient été mis en place dans les cinq zones de défense les plus importantes, et qu'ils bénéficient d'attributions déléguées pour contrôler les services de police et coordonner les missions de la gendarmerie et des agents des douanes.

Il a ensuite analysé les caractéristiques de la délinquance de la région du Nord-Pas-de-Calais, où 183.978 crimes ou délits ont été commis en 1998 dont 90 % en zone urbanisée, les délits de voie publique représentant 60 % de cette délinquance. Il a souligné que 22 % des auteurs identifiés des crimes et délits étaient des mineurs, soit une augmentation de 11 % par rapport à 1997, lesquels représentaient aussi 35 % des auteurs identifiés des délits de voie publique. Il a également indiqué que 962 faits de violence scolaire commis dans les établissements, aux abords de ceux-ci et dans les transports scolaires avaient été signalés aux forces de l'ordre, dont 388 ont été pris en considération par les services de police.

M. Jacques Franquet a ensuite constaté une amélioration des relations entre l'éducation nationale et les forces de l'ordre. Il a considéré que cette amélioration était due à la clarté du discours désormais tenu par les responsables éducatifs et à la forte demande de sécurité des enseignants.

Il a ensuite présenté les différents dispositifs et acteurs de la lutte contre la violence en milieu scolaire.

Il a souligné que les brigades des mineurs ne s'occupaient plus seulement des mineurs victimes mais aussi des mineurs auteurs de violences scolaires. Il a ensuite précisé que la circulaire du 6 novembre 1998 instituait des " correspondants locaux jeunes ", chargés de la coordination des actions, notamment dans les quartiers difficiles.

M. Jacques Franquet a fait observer que les contrats locaux de sécurité étaient élaborés et signés par les autorités judiciaire et préfectorale, ainsi que par les maires et les inspecteurs d'académie. Il a par ailleurs indiqué que des expériences avaient été engagées dans certains quartiers de Lille en matière d'îlotage en concertation avec la police néerlandaise.

Enfin, il a précisé que les relations entre l'éducation nationale et la police étaient satisfaisantes, les forces de l'ordre intervenant aux abords des établissements et à l'occasion des transports scolaires.

Il a appelé de ses voeux une meilleure coordination de la politique de prévention et de répression et a indiqué qu'une convention départementale contre la violence scolaire était en préparation dans le département du Nord.

M. Roger Tacheau, procureur général près la cour d'appel de Douai, a estimé souhaitable de développer un véritable partenariat entre la justice, les acteurs responsables de la sécurité et l'éducation nationale.

Il a indiqué que la région du Nord-Pas-de-Calais était au premier rang pour la délinquance, notamment du fait de sa situation économique et de la proximité de frontières facilitant les trafics de drogue. Il a noté que la violence en milieu scolaire restait relativement limitée mais était de plus en plus médiatisée, et que les familles portaient désormais systématiquement plainte pour des actes anodins qui se réglaient auparavant dans le cadre familial. Mais la violence scolaire recouvre aussi des agissements graves, tels que le racket, le vol avec violence, l'usage d'armes et l'incendie volontaire de bâtiments.

Il a rappelé qu'une nouvelle politique pénale avait été définie récemment par le conseil de sécurité intérieure afin de répondre notamment à la violence en milieu scolaire. Cette pratique consiste à traiter de manière systématique les plaintes et à renforcer les partenariats entre les acteurs concernés. Il a ainsi expliqué qu'une meilleure coopération entre le parquet et les services enquêteurs permettrait de réduire le nombre de classements sans suite et de traiter en temps réel les infractions commises par des mineurs.

M. Roger Tacheau a souligné les efforts du parquet pour apporter une réponse systématique aux plaintes, que ce soit par une saisine rapide du juge, une convocation des mineurs non récidivistes, mais aussi par des actions plus coercitives, telles des mesures de réparation au profit de la victime ou de la collectivité, ordonnées directement par le Parquet, ou des mesures de médiation de nature éducative. Il a rappelé que la détention provisoire pouvait être appliquée aux mineurs pour une durée d'un mois, renouvelable une fois, en cas de crime commis par un mineur de 13 ans ou de délit pour un mineur de 16 ans. Il s'est inquiété de l'augmentation du nombre de mineurs incarcérés dans des conditions de détention souvent préoccupantes. Il a estimé que ces situations devaient rester exceptionnelles et qu'il convenait de ne pas dissocier la répression de l'aspect éducatif.

M. Roger Tacheau a ensuite abordé les modalités de la collaboration avec l'éducation nationale. Il a indiqué que cette coopération avait été engagée dès 1995 à Roubaix afin de prendre en compte tout acte de violence scolaire contraire au règlement intérieur des établissements. Dans cette perspective, les inspecteurs d'académie et les procureurs de la République ont élaboré une convention portant sur la prévention, la prise en compte des situations difficiles, l'information réciproque des acteurs concernés et le suivi du dispositif. Il a noté qu'un partenariat entre services ministériels devait être mis en place dans le cadre des conventions départementales prévues par la circulaire du 2 octobre 1998, afin de faciliter les signalements d'infractions.

Il a enfin indiqué que les contrats locaux de sécurité constituaient un bon exemple de démarche partenariale avec les communes, et que les élus locaux étaient particulièrement concernés. Il a précisé que vingt contrats étaient en cours d'élaboration et a estimé que leur efficacité était subordonnée à la volonté des partenaires intéressés et à la mise en place d'une évaluation régulière. Il a conclu son propos en rappelant qu'une justice pour tous se devait d'apporter des réponses personnelles à chacun.

Un large débat s'est ensuite instauré.

Relevant la tonalité humaniste des propos tenus par les intervenants, M. Ivan Renar a demandé si un partenariat institutionnel avait été engagé avec le ministère de la ville et s'est interrogé sur les réactions du corps enseignant à l'égard d'une collaboration organisée avec les services de police et la justice.

En sa qualité d'ancien rapporteur à l'Assemblée nationale de la loi Haby de 1975, M. Jacques Legendre a estimé que le regroupement des filières au collège avait été opportun, mais que la diversité des élèves appelait, en revanche, des réponses pédagogiques personnalisées.

Il a rappelé qu'il avait été, au début des années 1980, en charge de la formation professionnelle et qu'il avait proposé un plan quinquennal visant à ce qu'aucun jeune ne quitte le système éducatif sans qualification. Il a fait observer que l'échec scolaire et professionnel n'était pas nouveau et n'expliquait pas à lui seul le développement de la violence en milieu scolaire, et il a noté que certaines causes de cette violence existaient depuis longtemps dans la région du Nord-Pas-de-Calais : le développement de la toxicomanie s'ajoute ainsi à une consommation d'alcool traditionnelle dans le Nord, aux problèmes d'inceste, au chômage et à l'effondrement des valeurs parentales. Il a également remarqué que certains indices annonçaient l'aggravation des phénomènes de violence, notamment le fait que des comportements violents s'étendaient désormais aux zones rurales.

Il a regretté que l'organisation de la carte judiciaire ne permette pas d'assurer une justice de proximité, s'agissant notamment des juges pour enfants.

Constatant enfin que les relations entre administrations concernées s'étaient améliorées, il a regretté que ce rapprochement résulte de l'augmentation de la violence en milieu scolaire et d'un besoin de protection des enseignants.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a rappelé que la violence en milieu scolaire se développait sur l'ensemble du territoire national et qu'elle concernait tous les pays. Il s'est demandé si, au-delà des causes habituellement avancées, il ne fallait pas rechercher des explications d'ordre psychologique à ce phénomène. Il a souhaité savoir si les moyens mis en oeuvre pour lutter contre la violence étaient suffisants et si le nombre important de classements sans suite ne résultait pas d'une insuffisance de ces moyens. Il a estimé que la rapidité de la sanction était certes nécessaire, mais qu'elle ne devait pas céder la place à une trop grande précipitation. Enfin, il s'est interrogé sur le rôle des media dans la banalisation et la propagation de la violence et s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable d'entendre la voix des " sauvageons " afin de mieux cerner leur psychologie.

M. André Diligent a également souligné le rôle joué par les media dans le développement de la violence et a fait observer que l'École nationale de police et des gardiens de la paix de Roubaix n'accueillait aucun jeune issu de l'immigration.

Evoquant un récent sondage, Mme Hélène Luc a rappelé que la violence en milieu scolaire résultait plus de la crise économique et sociale que de la démission des familles. Elle a souligné que l'intervention rapide des forces de l'ordre permettait souvent d'améliorer la situation dans les établissements difficiles et a également insisté sur les effets bénéfiques du dialogue pour résoudre les conflits. Elle a estimé que les instituts universitaires de formation des maîtres devraient davantage préparer les futurs enseignants à affronter les situations difficiles dans les établissements.

M. Ivan Renar a souligné le rôle des actions culturelles dans la réduction des violences en milieu scolaire.

M. Adrien Gouteyron, président, a rappelé que l'appréciation des moyens destinés à lutter contre la violence scolaire devait prendre en compte, certes, le nombre de postes, mais aussi la qualité, l'âge et les capacités d'adaptation des personnels aux situations difficiles.

Répondant à ces interventions, M. Jean-Claude Fortier a indiqué que tous les personnels du système éducatif se sentaient concernés par la violence, en souffraient et la craignaient, ce qui pouvait dans certains cas être à l'origine d'une certaine incompréhension à l'égard du phénomène et de son aggravation. Il a indiqué que la communauté éducative aspirait avant tout à une protection de l'institution scolaire. Il a rappelé que le discours de l'éducation nationale était désormais très ferme en matière de répression et qu'elle y participait lorsque cela s'avérait nécessaire.

Il a également souligné que les représentants de la police étaient désormais fréquemment associés aux cours d'éducation civique et que les chefs d'établissement et conseillers d'éducation suivaient des formations spécifiques. Enfin, il a observé que le signalement des actes de violence pouvait encore poser des difficultés d'appréciation qui devraient être réduites lorsque la convention départementale aura défini des axes d'orientation en ce domaine.

Complétant ces propos, M. Jacques Franquet s'est félicité du discours clair des autorités rectorales sur la nécessité de la répression et de la relation de confiance qui s'est instaurée entre les chefs d'établissement et les forces de police. Il a indiqué, à ce titre, que les chefs d'établissement avaient signalé 1.375 cas de violence en 1998 dans le département du Nord, dont 160 faits de violence à l'encontre des enseignants, 645 actes de violence entre élèves et 113 cas de racket.

Constatant l'importance des crédits alloués à la politique de la ville,M. Jean-Claude Fortier a regretté que celle-ci soit mal organisée et ne définisse pas une véritable politique de prévention que l'école ne saurait mener de façon exclusive.

M. Roger Tacheau a estimé également qu'il convenait de clarifier et de réorganiser la politique de la ville.

M. Jacques Franquet a regretté que les forces de l'ordre restent cantonnées aux tâches de répression et ne soient pas davantage associées aux actions de prévention. Il a émis des doutes sur la possibilité d'instaurer une réelle complémentarité entre la politique de la ville et les actions de prévention ou de répression menées par les forces de police. Il a ensuite estimé souhaitable de développer une police de proximité.

Il a par ailleurs rappelé que les fonctionnaires de police étaient recrutés par concours et a indiqué que les adjoints de sécurité recrutés au titre des emplois jeunes étaient sélectionnés selon des critères incompatibles avec toute idée de discrimination positive au profit de jeunes issus de l'immigration.

S'agissant de la carte judiciaire, M. Roger Tacheau a indiqué qu'un juge pour enfants n'était en principe jamais nommé seul de sa catégorie dans une juridiction. Il a cependant estimé nécessaire de répartir les juges compétents pour les mineurs en privilégiant les juridictions de proximité. Il a estimé en outre que la création d'un poste de juge pour enfants devait nécessairement s'accompagner de la création d'un poste de substitut des mineurs.

Il a noté qu'en dépit des efforts budgétaires récents, l'autorité judiciaire n'avait pas les moyens de remplir les objectifs qu'elle se fixait, l'augmentation du nombre de magistrats ne compensant pas la progression de la délinquance.

Il a souligné que de nombreuses décisions prononcées par les tribunaux ne pouvaient être appliquées correctement, faute de personnel. Il a indiqué qu'en 1996, une procédure de comparution à délai rapproché avait été mise en place, qui pouvait être notifiée par le juge même : dans la réalité, la loi a été interprétée de telle manière que l'obligation de faire citer le mineur par un huissier de justice a été maintenue. La procédure du rendez-vous judiciaire permet en revanche au juge de statuer immédiatement, mais il ne peut alors prononcer que certaines mesures.

M. Jean-Claude Fortier a également regretté le manque de moyens affectés à la lutte contre la violence en milieu scolaire et a déploré le saupoudrage des crédits. Il a indiqué qu'un plan expérimental de prévention de la violence avait été engagé par le ministre de l'éducation nationale dans six zones difficiles et avait conduit notamment à doubler le nombre de personnels sociaux et de santé dans chacun des vingt-quatre établissements concernés, et à affecter douze aides éducateurs par collège. Il a constaté que cette augmentation importante du nombre des jeunes adultes dans les établissements avait contribué à ramener un certain calme.

S'agissant du rôle joué par les media dans le développement de la violence, M. Jacques Franquet a noté pour sa part qu'un dialogue avec la presse permettait de réduire la médiatisation de certains actes, comme les incendies de véhicules automobiles, et de prévenir ainsi la propagation de ce type de violence.

M. Roger Tacheau a expliqué que le taux de classements sans suite, qui concerne 81 % des plaintes de la région Nord-Pas-de-Calais, devait être rapproché du défaut d'élucidation des plaintes qui s'élève à 65 %. Il a indiqué que la part des infractions qui pouvaient être poursuivies représentait 30 % des plaintes, et que 29 % de ces infractions étaient classées sans suite pour des motifs d'opportunité. Il a souligné que le " taux de réponse judiciaire " était donc de 70 % en moyenne, mais qu'il variait en fonction de la taille des juridictions.

En conclusion, M. Jean-Claude Fortier a rappelé que l'école de la République, contrairement à la situation observée dans les pays anglo-saxons, avait choisi d'accueillir tous les enfants sans discrimination et devait assumer ce choix. Il a estimé que notre système éducatif ne pouvait guère s'inspirer des institutions scolaires étrangères et assurait somme toute plutôt moins mal qu'ailleurs la gestion de ses difficultés.

Il a souligné que le délitement complet de la relation au travail des parents constituait une des causes essentielles du développement de la violence en milieu scolaire. Il a indiqué qu'un enfant sur cinq n'était plus préparé à l'école du fait de cette évolution et que cette situation était à l'origine d'un véritable " désarroi " institutionnel. Il a estimé indispensable de rétablir l'attractivité de l'école et d'intégrer son discours éducatif dans le dispositif médiatique.

Propriété intellectuelle - Nouvelles technologies - Droit d'auteur et numérique - Audition de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a entendu Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur le droit d'auteur dans la société de l'information.

Accueillant le ministre, M. Adrien Gouteyron, président, a rappelé que les conséquences des nouvelles technologies de l'information sur le régime de la propriété littéraire et artistique avaient suscité de nombreuses interrogations.

Certaines ont été rapidement écartées -nul ne prétend plus qu'Internet soit une zone de non-droit, ni que les techniques numériques remettent en cause les concepts du droit d'auteur- mais d'autres demeurent. Elles portent par exemple sur le devenir de la conception personnaliste du droit d'auteur, sur le statut de l'oeuvre multimédia, sur les droits des auteurs salariés, sur l'impact des nouvelles technologies sur le mode de gestion des droits. D'autres sont liées à l'internationalisation de l'exploitation des oeuvres en réseau, qui pose avec une nouvelle acuité le problème de la détermination du droit applicable. Evoquant l'opinion d'un juriste pour qui " la nature du droit d'auteur constitue l'expression juridique de la représentation qu'une société se fait de sa propre culture ", le président a souligné que la commission se devait de réfléchir sur l'avenir du droit de la propriété littéraire et artistique, à la définition duquel la France a largement contribué, et a remercié Mme Catherine Trautmann d'avoir accepté de participer à sa réflexion.

Mme Catherine Trautmann a introduit son propos en notant que la mondialisation des échanges, facilitée par les nouvelles technologies des réseaux, représentait un formidable défi en offrant de nouvelles potentialités de développement culturel individuel et collectif et de démocratisation de l'expression créative.

Soulignant l'importance de cet enjeu, elle a, en premier lieu, présenté les orientations de la politique gouvernementale. Dans le domaine du multimédia et du numérique, ces orientations sont définies par le programme d'action pour l'entrée de la France dans la société de l'information. Afin de permettre un développement de la société de l'information conforme à nos intérêts culturels, il convient d'offrir des contenus de qualité assurant la présence française sur le " web " en soutenant la création française et en veillant à ce que les titulaires de droits soient efficacement protégés.

Rappelant que, dans la conception française et européenne, les oeuvres ne sont pas des marchandises et que la création ne se réduit pas à l'acte économique de production d'un bien, le ministre a souligné qu'il importait de démontrer que la conception française des droits des créateurs est celle qui produit le plus de richesse économique, et que le développement de la société de l'information, qui ne pourra être effectif sans contenus de qualité, suppose que les titulaires de droits y trouvent leur compte. Le développement des réseaux et des services est certes très important, mais les contenus et leurs créateurs ne doivent pas lui être sacrifiés, et il convient de rechercher des solutions équilibrées conciliant les intérêts des industries de contenus et ceux des industries des réseaux.

Cela exige une réflexion prospective permettant d'anticiper les évolutions et de faire prévaloir nos conceptions aux plans national, communautaire et international.

Au niveau communautaire, Mme Catherine Trautmann s'est félicitée des initiatives tendant à favoriser le développement du marché intérieur et de la société de l'information dans un cadre juridique harmonisé et stabilisé, telles les propositions de directive relatives au droit d'auteur dans la société de l'information, au commerce électronique, à la signature électronique, ou le livre vert sur la lutte contre la piraterie récemment publié par la Commission des Communautés.

Elle a souligné que le Gouvernement soutenait la proposition de directive sur les droits d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information et noté que le Parlement européen en avait " globalement amélioré ", en première lecture, le dispositif.

Elle a ensuite analysé les principales questions soulevées par ce texte :

- sur la copie privée, dont elle a noté que le régime juridique ne pouvait demeurer celui valable au temps " du copiste isolé la plume à la main ", elle s'est déclarée en faveur d'un retour au droit exclusif pour la copie privée numérique, relevant que l'on pouvait envisager le principe d'un droit à rémunération tant que les techniques de protection ne permettraient pas aux titulaires de droit de faire respecter leur droit exclusif. A cet égard, la solution préconisée par le Parlement européen va dans le bon sens ;

- sur les copies dites techniques permettant la transmission des oeuvres dans les réseaux, elle a estimé que seules les copies volatiles pouvaient faire l'objet d'une exception au droit de reproduction. En ce qui concerne les copies assurant une fonction de stockage intermédiaire des oeuvres, le titulaire de droits doit pouvoir les autoriser, quitte à ce qu'elles ne donnent pas lieu au paiement de droits si elles n'ont pas de signification économique indépendante et si la diffusion de l'oeuvre a été autorisée.

Mme Catherine Trautmann a observé que la question des copies techniques était liée à celle de la responsabilité des opérateurs de télécommunications, qui sera traitée dans le cadre de la directive en préparation sur le commerce électronique : si cette responsabilité devait être limitée, il importe de ne pas prévoir d'exceptions trop largement définies au droit de reproduction, dans l'intérêt des titulaires de droits et des équilibres entre partenaires.

- la proposition de directive reconnaît aux artistes interprètes et aux producteurs un droit exclusif de mise à disposition du public qui ne concerne que les services interactifs à la demande, laissant de côté la question -qui ne va pas de soi- de savoir s'il faut aussi envisager un régime de droit exclusif pour les nouveaux services de diffusion de musique en continu sur les réseaux. Mme Catherine Trautmann a indiqué que cette question serait mise à l'ordre du jour des Etats généraux du disque qui seront organisés à la fin du mois de mai.

Le ministre a également évoqué deux autres catégories de dispositions importantes de la directive, relatives respectivement à l'établissement d'une liste limitative des exceptions au droit d'auteur en vigueur dans les États membres et à la répression de la commercialisation de produits permettant de contourner les dispositifs de protection. Elle a enfin affirmé que le ministère de la culture serait vigilant sur deux questions traitées par la proposition de directive sur le commerce électronique : celle de la responsabilité des opérateurs de réseaux et celle du régime de la loi applicable, notant sur ce dernier point que l'application de la loi du pays d'émission ne pourrait que favoriser les délocalisations vers les pays de moindre protection.

Au plan national, Mme Catherine Trautmann a annoncé la prochaine création d'un Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Conformément aux recommandations du rapport de mission de M. Patrick Bloche, député, sur la présence internationale de la France et de la francophonie dans la société de l'information, cette instance associera des représentants de l'Etat, des professionnels, des utilisateurs et des personnalités qualifiées. Investie d'un pouvoir de proposition, elle sera notamment saisie de la question de la création salariée, qui ne devrait pas être résolue par une présomption de cession des droits à l'employeur inspirée du copyright.

Au plan international, le ministre a affirmé sa conviction que le Gouvernement français devait privilégier, en matière de propriété intellectuelle, le rôle de l'instance internationale spécialisée, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), face à la multiplicité des initiatives de libéralisation des échanges qui peuvent avoir des conséquences directes et néfastes sur les conceptions de la culture, de la création et du droit des créateurs auxquelles la France est attachée.

Un débat a suivi l'exposé du ministre.

M. Pierre Laffitte, félicitant le ministre pour la clarté de son exposé et soulignant les dangers que représentaient, pour la protection des intérêts de la culture et des créateurs, les attaques des tenants du " libéralisme " culturel et économique, a soulevé le problème de la protection des créateurs de logiciels. Alors qu'en France et en Europe les logiciels sont protégés par le régime de la propriété littéraire et artistique, ils bénéficient aux États-Unis d'une conception très étendue du droit des brevets, qui permet de protéger jusqu'à des formules mathématiques. Cette disparité de régime permet aux entreprises américaines de poursuivre en justice pour contrefaçon les créateurs français ou européens de logiciels, ne leur laissant que le choix d'accepter le piratage de leur création ou des transactions peu avantageuses.

Il a également interrogé le ministre sur le soutien que pourrait apporter à la défense des conceptions françaises les entreprises culturelles et les États membres de l'Union européenne.

Mme Danièle Pourtaud, auteur et rapporteur de la proposition de résolution sur la proposition de directive relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, a également souligné la clarté de l'exposé du ministre.

Elle a approuvé la position prise par Mme Catherine Trautmann sur le régime de la copie privée numérique et a demandé si le gouvernement entendait encourager le développement de dispositifs techniques de protection des oeuvres numérisées.

Elle a également approuvé la position du Gouvernement sur l'exception au droit de reproduction prévu par la proposition de directive pour les copies techniques, et elle a remarqué que le texte de la directive manquait de précision en ne permettant pas de distinguer entre les différentes catégories de " reproductions provisoires " dont certaines, tels les sites miroirs, doivent indiscutablement faire l'objet d'une autorisation et d'une rémunération. Ce manque de précision, s'il demeurait dans le texte définitivement adopté, risquerait d'être à l'origine de nombreux contentieux.

Elle s'est enfin interrogée sur les dispositions de la proposition de directive relative à l'épuisement du droit de distribution, qui sont elles aussi imprécises et qui pourraient notamment s'avérer incompatibles avec les dispositions de la nouvelle directive " télévision sans frontières " permettant de respecter la chronologie des médias.

M. Jack Ralite a demandé des précisions sur le rôle de proposition du futur Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Il s'est étonné que le rapport de M. Patrick Bloche préconise de " refuser le faux débat du copyright contre le droit d'auteur ", débat qu'il qualifie de symbolique. Remarquant que " le symbole n'est rien mais qu'il change tout ", il s'est dit opposé à ce que l'évolution technique soit le prétexte d'une remise en oeuvre de la philosophie du droit d'auteur, et s'est inquiété du devenir des droits des auteurs salariés.

Approuvant le ministre de vouloir défendre la compétence de l'OMPI en matière de droit de la propriété intellectuelle, il a souligné que cette question était constamment évoquée dans d'autres enceintes, et a notamment craint que les prochaines négociations au sein de l'organisation mondiale du commerce (OMC) ne remettent en cause les acquis de l'abandon de la négociation de l'accord multilatéral sur l'investissement (AMI).

M. Adrien Gouteyron, président, a demandé des précisions sur le calendrier de négociation de la proposition de directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information.

En réponse à ces questions, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, a notamment apporté les précisions suivantes :

- à la suite de la première lecture au Parlement européen de la proposition de directive, la Commission des communautés européennes devrait faire connaître au mois d'avril sa proposition modifiée, qui pourrait être soumise au Conseil du marché intérieur du 21 juin prochain, la deuxième lecture au Parlement européen pouvant intervenir au plus tôt à l'automne 1999 : on ne peut exclure que l'adoption définitive de la directive n'intervienne qu'au cours de la prochaine présidence française, au second semestre 2000. La rencontre, prévue à la fin de ce semestre, des ministres européens de la culture pourra être l'occasion de rapprocher les positions de vue des États membres en vue de parvenir, ce qui est l'objectif prioritaire du ministère de la culture, à un texte conforme à notre conception du droit d'auteur. Les dispositions de la proposition de directive relatives aux " reproductions provisoires " font partie de celles qui doivent encore être clarifiées, d'autant qu'il faut tenir compte des évolutions techniques futures et de leurs conséquences sur la définition de ces reproductions. Il convient cependant d'avancer dans la recherche de solutions protectrices de la création ;

- il paraît possible, comme l'a montré le débat sur l'AMI, de trouver au niveau européen une position commune sur la défense du droit de la propriété littéraire et artistique et la protection des artistes, plus facilement sans doute que sur le terrain de " l'exception culturelle ". La directive devrait donc permettre de mettre en place, à partir d'un patrimoine juridique commun, des règles cohérentes et favorables au développement de l'usage du " Net ", au bénéfice aussi bien des créateurs que des utilisateurs ;

- par rapport au débat entre copyright et droit d'auteur, la directive peut aussi montrer que le développement d'une structure commune aux deux régimes pour l'adaptation au numérique est possible. On doit en tout cas rejeter l'argument selon lequel le copyright serait mieux adapté au développement du numérique et des réseaux ;

- l'exemple cité par M. Pierre Laffitte illustre bien l'attitude américaine, favorable au libéralisme mais aussi portée à la protection des intérêts des entreprises nationales. La lutte contre le piratage constitue cependant un intérêt commun à l'Europe et aux États-Unis : plusieurs entreprises, de part et d'autre de l'Atlantique, sont engagées dans la recherche de protections techniques contre le piratage ;

- la recherche indispensable d'une approche européenne du droit d'auteur cohérente et rénovée sera sans doute facilitée par l'évolution de la Commission, qui paraît désormais convaincue que l'enjeu essentiel est celui des contenus, et par le rapprochement des positions des États membres ;

- dans la perspective des prochaines négociations internationales, notamment au sein de l'OMC, la France doit approfondir sa réflexion sur la diversité et le pluralisme culturel : les pays du Sud, en particulier africains, partagent nos positions sur ce sujet mais d'autres pays, comme le Canada, en sont également très proches. Il paraît souhaitable, pour éviter des affrontements préjudiciables aux intérêts nationaux et européens, de chercher à définir une " culture commune " du droit d'auteur ;

- les États généraux du disque devraient offrir l'occasion de recueillir les positions de l'ensemble des professionnels et de faire le point sur les techniques de protection contre le piratage. Le travail sur la base du Livre vert communautaire devrait aussi permettre de progresser dans la recherche de ces techniques, mais il est également possible d'envisager l'interdiction à la vente ou la taxation de certains appareils utilisés pour la réalisation de copies ;

- la copie d'oeuvres sur un " site miroir " doit incontestablement donner lieu à autorisation et à rémunération. Pour ce qui est des " copies caches ", la question de leur usage et de leur finalité est plus complexe ;

- la question du statut des créateurs salariés, qui ne se pose d'ailleurs pas de la même façon pour les salariés du public et du privé, est très complexe. On peut par exemple noter que la notion d'oeuvre de collaboration n'est pas toujours très claire. Il faut donc avancer dans la recherche d'accords équilibrés.