AFFAIRES CULTURELLES

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Mardi 25 avril 2000

- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président. -

Audiovisuel - Exploitation secondaire des programmes audiovisuels - Audition de M. Francis Beck, président de l'Institut national de l'audiovisuel

La commission a procédé à l'audition de M. Francis Beck, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), sur les droits des titulaires de droits d'auteur et de droits voisins en cas d'exploitation secondaire des programmes audiovisuels. M. Francis Beck était accompagné de MM. Serge Lafont, directeur général délégué chargé du patrimoine audiovisuel, et Jean-François Debarnot, directeur juridique.

Remerciant le président de l'INA d'avoir répondu à l'invitation de la commission, M. Adrien Gouteyron, président, a rappelé que le Sénat s'était inquiété, lors de la première lecture du projet de loi modifiant la loi relative à la liberté de communication, du respect des droits des auteurs et des titulaires de droits voisins lors de l'exploitation secondaire des programmes audiovisuels. Il a souligné que les règles posées par la loi de 1985 pour résoudre les problèmes posés par les modes d'utilisation non prévus par les contrats de production ne semblaient pas avoir toujours été suivies, et il a insisté sur le souci de la commission de rechercher les moyens de mieux concilier le respect des droits de propriété intellectuelle et la valorisation du patrimoine audiovisuel.

Dans un exposé introductif, M. Francis Beck a indiqué qu'il existait deux catégories d'ayants droit : les auteurs titulaires de droits de propriété intellectuelle, et les salariés titulaires des droits voisins définis par la loi du 3 juillet 1985.

En ce qui concerne les droits d'auteur, une solution de gestion collective a été instituée à la fin de 1996 par un protocole passé entre l'INA et les sociétés de gestion collective de droits qui définit les conditions d'exploitation des archives détenues par l'INA. Ce protocole est parvenu à expiration à la fin de 1999. Sa renégociation a conduit à améliorer les rémunérations versées aux auteurs ayants droit grâce à la revalorisation des tarifs perçus par les sociétés. En contrepartie de cet effort, l'INA a obtenu à titre expérimental et pour un an l'autorisation, pour elle et pour ses clients, d'exploiter son fonds sur les services en ligne. Cette autorisation est limitée aux territoires français et francophones.

Le nouveau protocole devrait être signé sur ces bases dans les prochaines semaines.

Une difficulté subsiste cependant avec certains réalisateurs d'émissions de variétés qui cherchent à négocier directement avec l'INA les modalités d'utilisation de leurs droits. Ces réalisateurs utilisent leur droit moral pour appuyer leurs revendications. L'INA leur a consenti une revalorisation des reversements afin d'éviter l'extension de ce problème.

En ce qui concerne les ayants droit salariés, plusieurs problèmes sont à résoudre. Il convient de distinguer d'une part les réalisateurs, qui ont à la fois la qualité de salarié et celle d'auteur, d'autre part les artistes-interprètes. Le protocole passé avec les sociétés d'auteurs est applicable aux réalisateurs, à l'exception des cas où les conventions collectives dont ceux-ci relèvent fixent des règles spécifiques en matière d'exploitation secondaire des programmes audiovisuels.

Les artistes-interprètes sont quant à eux régis par des conventions collectives qui définissent les conditions de leur participation à des émissions de télévision mais ne prévoient pas toujours les modalités de l'utilisation secondaire de leur prestation et notamment, compte tenu de leur ancienneté, les modalités d'exploitation des programmes sur le câble, le satellite et sur Internet. Quand les conventions collectives ne prévoient rien, il est nécessaire de demander une autorisation d'exploitation à chaque artiste-interprète concerné.

Par ailleurs, il est parfois difficile, compte tenu de l'état de certains dossiers de production, d'identifier les artistes-interprètes ayant participé à une émission, de même qu'il est parfois difficile de localiser certains ayants droit.

L'INA effectue chaque année 5.000 à 6.000 reversements au bénéfice des artistes-interprètes. Le montant moyen d'un reversement est de 280 francs, pour un coût administratif qui s'élève à 500 francs en moyenne.

L'informatisation des archives de l'INA va permettre une amélioration progressive de ce ratio. Pour autant, la simplification du régime de rémunération des droits voisins et de la procédure d'autorisation d'exploitation secondaire reste pour l'INA un objectif majeur. Une tentative a été faite en 1997 afin de mettre en place un mécanisme de gestion collective. Cette voie a été abandonnée au profit de la solution de la négociation collective. L'INA souhaite négocier avec les représentants des titulaires de droits voisins une convention collective unique applicable à l'ensemble des titulaires, y compris ceux qui ne sont pas couverts par une convention collective antérieure.

L'INA souhaite que le ministère de la culture s'associe à cette démarche et étudie en particulier la possibilité juridique d'appliquer le système de la convention collective aux artistes-interprètes qui ne sont pas membres d'une société de gestion collective de droits.

Un débat a suivi.

M. Adrien Gouteyron, président, s'est étonné de la modicité du montant moyen des droits versés aux artistes et s'est enquis de leur mode de calcul.

M. Francis Beck a indiqué que ces montants étaient calculés en application des contrats, M. Serge Lafont précisant que les prix de vente des programmes étaient également très modiques : le prix moyen de la vente d'une heure de programme à une chaîne du câble ou du satellite, qui sont désormais les principaux clients de l'INA pour l'achat des émissions intégrales, se situe entre 10 et 12.000 francs. Quant aux extraits acquis pour la réalisation de nouveaux programmes par les chaînes ou les producteurs, leur prix est de 4 à 5.000 francs la minute. Si les artistes interprètes touchent, par exemple, 20 % du prix de vente d'une émission, cela ne représente donc que 2.000 francs, qu'il faut ensuite répartir entre les intéressés. Le montant total annuel des ventes de l'INA est de l'ordre de 50 MF, pour 4.000 minutes de programmes, et le montant unitaire des contrats est généralement très faible.

S'associant aux interrogations de M. Adrien Gouteyron, président, M. Jean-Paul Hugot a remarqué que, d'après les chiffres donnés par MM. Francis Beck et Serge Lafont, le montant total des droits perçus par les artistes représentait aussi une proportion très faible du chiffre d'affaires des ventes.

M. Francis Beck en est convenu, mais a rappelé que la moitié de ce chiffre d'affaires provenait de la vente de documents d'actualité, qui ne donnent pas lieu au versement de droits.

M. Serge Lafont a ajouté que le mode de calcul des droits, fondé sur le cachet initial, contribuait aussi à expliquer le faible niveau de certaines rémunérations.

M. André Maman a posé une question sur la répartition des droits entre les différents ayants droit.

M. Francis Beck a indiqué que la répartition des droits d'auteur était effectuée, en application des accords qu'elles ont conclus avec l'INA, par les sociétés d'auteurs. Quant aux titulaires de droits salariés, artistes-interprètes et réalisateurs, leurs droits sont calculés en application des contrats, généralement sur la base de leurs cachets initiaux, M. Serge Lafont précisant que, dans le cas de la vente d'extraits, seuls les artistes figurant dans ces extraits avaient vocation à percevoir une rémunération. En réponse à une question de M. Adrien Gouteyron, président, il a indiqué que le versement des droits donnait lieu à peu de contentieux. Parfois l'INA a commis des erreurs, par exemple en vendant un programme alors qu'il ne disposait pas de tous les droits, mais les contestations sur le mode de calcul et la répartition des droits en application des contrats n'ont jamais abouti. La répartition des droits entre réalisateurs et artistes, jugée trop favorable aux premiers, soulève aussi des critiques, mais elle n'est pas juridiquement contestable, car fondée sur les conventions collectives, qui ne rémunèrent pas les artistes à leur juste valeur.

M. René-Pierre Signé s'est étonné que le prix de vente des programmes et extraits soit fonction de leur durée et non de la notoriété des artistes qui y figurent, dont dépend pourtant l'audience qu'ils peuvent réaliser.

M. Serge Lafont a exposé que l'INA n'était pas actuellement en mesure de moduler ses tarifs selon la notoriété des artistes, ce qui supposerait des évaluations très difficiles. L'économie des cessions de droits obéit généralement à deux modèles : dans le cas du livre, la différence de rémunération entre les auteurs ne tient pas au prix de vente unitaire de leurs livres, mais à l'importance de leurs tirages. Dans le cas du cinéma, en revanche, la notoriété influe directement sur le montant de la cession des droits d'exploitation. La nature du fonds exploité de l'INA se rattache évidemment au second de ces modèles, mais son mode d'exploitation reste inscrit dans une logique de prix unitaire, toutes les images étant actuellement cédées au même prix. Les nouveaux tarifs que l'institut appliquera à compter du mois de mai amorceront cependant une évolution à cet égard, avec une augmentation de 75 % du prix de vente des émissions de variétés.

M. André Maman a demandé à quoi tenait l'importance des frais de gestion des droits.

M. Serge Lafont a expliqué qu'elle résultait de la complexité des opérations qu'elle mettait en oeuvre : recherche et manutention des dossiers de production -qui sont au nombre de 50.000 et représentent 10 millions de pages, calcul des droits, établissement des bulletins de salaires, recherche des destinataires... Il a indiqué que l'INA avait entrepris la numérisation des dossiers, qui coûtera 10 millions de francs mais permettra leur consultation directe sur écran, et pratiquait depuis quatre ans un " fichage " systématique de chaque dossier utilisé, qui permet grâce à un logiciel spécifique de ne pas recommencer le travail d'analyse à chaque utilisation du dossier. Ces améliorations permettront de progresser dans la réduction des coûts de traitement, qui ont déjà été ramenés en 5 ans de 1.200 à 500 francs, la gestion des droits occupant 50 personnes à temps plein.

M. Adrien Gouteyron, président, s'est déclaré surpris que la numérisation et le traitement informatique des dossiers n'aient pas été entrepris plus tôt, et que l'INA s'en soit si longtemps tenu à des méthodes qui paraissent quelque peu archaïques.

M. Francis Beck a observé que cela tenait pour partie à l'importance du fonds exploité par l'INA, qui représente 500.000 heures de programmes.

M. Jean-Paul Hugot a ensuite posé des questions sur la composition de la clientèle de l'INA, sur l'exploitation en ligne de son fonds et sur les raisons pour lesquelles les sociétés d'auteurs n'avaient autorisé cette exploitation qu'à titre expérimental.

En réponse à ces questions, MM. Francis Beck et Serge Lafont ont apporté les précisions suivantes :

- les clients de l'INA sont les chaînes de télévisions, les producteurs, et, dans une moindre mesure, les secteurs du multimédia on-line ou off-line et de l'édition vidéo ;

- la position prise par les sociétés d'auteurs sur les droits d'exploitation en ligne tient à l'incertitude actuelle quant à l'évolution du marché et de l'économie de ce type d'exploitation ;

- l'INA a entamé un programme ambitieux de numérisation de son fonds, qui devrait porter sur 160.000 heures de programmes d'ici 2003. Elle permettra, dans les rapports entre l'INA et ses clients, de substituer le téléchargement des programmes à leur livraison sous forme de cassettes. En revanche, la diffusion en ligne en direction du public dépendra, d'une part, du développement des réseaux à haut débit et, d'autre part et surtout, de la levée des obstacles juridiques à cette forme d'exploitation. Actuellement, en effet, la mise en ligne d'une fiction requerrait une autorisation individuelle du réalisateur et de tous les artistes-interprètes, ce qui est évidemment impossible. C'est notamment pour cette raison que l'INA souhaite une renégociation des conventions collectives régissant l'exploitation de son fonds historique.

M. André Maman a demandé des précisions sur l'objet d'une telle renégociation, les conditions dans lesquelles elle pourrait se dérouler et les résultats que l'on pourrait en attendre.

M. Francis Beck a indiqué que la démarche que l'INA souhaitait suivre était celle de la négociation avec tous les syndicats d'artistes et de réalisateurs d'une convention collective unique se substituant à toutes les conventions antérieures.

M. Jean-François Debarnot a précisé que certains syndicats d'artistes s'étaient déjà montrés ouverts à cette démarche. Il a évoqué le problème que pourrait poser l'application de cette convention collective unique aux artistes non affiliés à une société de perception et de répartition des droits, qui pourrait être résolu par un régime de gestion collective obligatoire.

M. Serge Lafont a pour sa part évoqué un autre problème, celui de la définition de critères de répartition des droits entre les ayants droit.

M. Francis Beck a souligné que le recours à la gestion collective obligatoire, qui ne faisait pas l'unanimité, requerrait l'intervention du législateur et que d'autres solutions juridiques pouvaient être également envisagées, le ministère de la culture devant naturellement intervenir dans le choix de la formule qui serait retenue.

M. Jean-Paul Hugot a demandé si les droits des artistes interprètes étaient transmissibles.

M. Jean-François Debarnot a répondu que dans la plupart des cas ils avaient la nature de salaires et étaient transmissibles, mais que les conventions collectives ne leur donnaient pas dans certains cas la qualification de salaires.

Il a ensuite récapitulé les principales difficultés auxquelles était confronté l'INA en matière de droits : le mode de calcul de ces droits, liés à des cachets initiaux qui ne sont pas toujours connus ; le fait que les contrats, notamment les plus anciens, ne prévoient pas tous les modes d'exploitation des oeuvres audiovisuelles ; la difficulté, dans de trop nombreux cas, d'avoir la certitude qu'un ayant droit a " signé son cachet " et donc cédé ses droits.

M. André Maman a relevé que le fait que les droits soient fonction du cachet initial semblait contredire l'affirmation selon laquelle le montant de ces droits était indépendant de la notoriété des artistes.

M. Serge Lafont a rappelé à ce propos que l'INA n'était pas en mesure d'ajuster ses prix de vente en fonction de la notoriété des artistes figurant sur les images cédées et estimé que l'institut s'engagerait sans doute dans cette voie, qui présente toutefois de grandes difficultés, en raison de l'importance du fonds, de la nécessité de ne pas limiter cette démarche à seulement quelques artistes, du travail de marketing et d'édition qu'elle suppose et qui n'a jamais été fait par l'INA. Pour l'instant, l'INA a conclu ou négocié des accords particuliers avec les ayants droit de quelques artistes qui n'avaient jamais ou très rarement signé leur cachet. M. Serge Lafont a en outre souligné que la politique de valorisation du fonds de l'INA se heurtait à un obstacle tenant à sa mission de service public. Un exploitant privé aurait pu se consacrer uniquement à un objectif de revalorisation commerciale et n'exploiter que la partie de son fonds correspondant à cet objectif. L'INA a d'autres impératifs, il est tenu de répondre à toutes les demandes, de satisfaire aussi aux besoins des secteurs éducatifs et culturels et d'exploiter l'ensemble de ses archives, quelle que soit leur valeur commerciale.

En réponse à des questions de M. Jean-Paul Hugot, M. Francis Beck a ensuite précisé que l'INA n'avait pas conclu d'accord avec les sociétés gérant les droits voisins, et gérait donc directement les rémunérations des titulaires de ces droits, et M. Serge Lafont a indiqué que dès qu'il y avait des ayants droit, l'INA, dans le meilleur des cas, vendait à marge nulle. La cession des fonds permet de dégager une marge positive pour les extraits mais s'effectue à perte pour les émissions qui sont cédées dans la plupart des cas à des chaînes câblées ou par satellite, dont le développement aurait été au demeurant entravé par des tarifs de cession trop élevés.

M. André Maman a souhaité obtenir des précisions sur le budget de l'INA.

M. Francis Beck a rappelé que le budget de l'INA, qui s'élevait à 650 millions de francs, était financé aux deux tiers par des ressources publiques, provenant pour 400 millions de francs du produit de la redevance.

M. Adrien Gouteyron, président, a souhaité savoir si l'exploitation secondaire des programmes audiovisuels posait des problèmes de droit moral et si la responsabilité de l'INA pouvait être mise en jeu en cas d'atteinte au droit moral des artistes.

M. Jean-François Debarnot a indiqué que les contrats de cession prévoyaient une clause de respect du droit moral de l'ensemble des ayants droit.

M. Serge Lafont a indiqué que si un titulaire de droits estime qu'il a été porté atteinte à son droit moral, il peut mettre en cause l'INA aussi bien que la personne qui a acquis des droits d'exploitation, l'INA pouvant alors se retourner contre cette dernière, et il a rappelé qu'en matière de droit moral ou de droit à l'image l'INA était soumis aux mêmes règles que les autres détenteurs de droits publics ou privés.

M. Francis Beck a observé que l'exercice du droit moral était parfois dévoyé, certains titulaires de droits cherchant à le " monnayer ".