Mardi 21 mars 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Adaptation des centrales nucléaires aux conséquences du changement climatique - Audition de Mme Annie Podeur, présidente de la 2ème chambre de la Cour des comptes, M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction production nucléaire et thermique à Électricité de France (EDF)

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique.

L'impact environnemental du nucléaire et son rôle dans la lutte contre le changement climatique font l'objet de nombreux débats, à l'inverse de la question relative aux conséquences du changement climatique sur la production d'électricité et sur la sûreté nucléaire.

La canicule de l'été dernier, qui a failli conduire à l'arrêt de plusieurs centrales sur notre territoire, montre qu'il s'agit là d'un enjeu majeur. C'est pourquoi nous débattons aujourd'hui des modalités d'adaptation du parc nucléaire français et des coûts d'investissement que celles-ci représentent.

Nous recevons Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions de l'enquête réalisée par les magistrats de la Cour.

Pour nous éclairer sur le sujet et répondre aux observations de la Cour et du rapporteur spécial, sont également présents M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ainsi que Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction production nucléaire et thermique à EDF.

Après avoir entendu Mme Podeur, notre collègue Christine Lavarde, en sa qualité de rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'elle tire de cette enquête. À l'issue des débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.

Mme Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Vous nous avez saisis, par lettre en date du 18 janvier 2022, d'une demande d'enquête sur l'adaptation au changement climatique du parc des réacteurs nucléaires.

Ce rapport s'inscrit à la suite de plusieurs travaux de la Cour des comptes relatifs au nucléaire civil, le rapport public thématique L'aval du cycle du combustible nucléaire, le rapport 58-2° L'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat, et le rapport public thématique sur la filière EPR (European Pressurized Reactors).

L'instruction s'est déroulée entre février et octobre 2022, au cours de laquelle nous avons visité la centrale de Nogent-sur-Seine et le centre de recherche du groupe EDF à Chatou. La liste des personnes rencontrées est indiquée à l'annexe n° 1 de notre rapport. La contradiction s'est déroulée entre novembre et décembre 2022. Le projet de communication a été délibéré le 18 janvier dernier, au sein de la deuxième chambre, puis validé le 31 janvier par le comité du rapport public et des programmes.

Cette enquête s'inscrit dans un contexte particulier, marqué, premièrement, par la prise de conscience accélérée du changement climatique, sans doute à la suite du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) publié au début de l'année 2022, mais surtout à la suite des épisodes caniculaires de l'été dernier.

Le deuxième élément de contexte est l'annonce du Président de la République en février 2022 d'un plan de relance du nucléaire.

Le troisième élément, c'est la baisse historique de la production du nucléaire en 2022, compte tenu des arrêts pour contrôle de la sûreté, en raison du défaut de corrosion sous contrainte - une nouvelle fissure a été récemment découverte dans les réacteurs de Penly, qui nécessite un examen par l'ASN et qui en reporte l'exploitation.

Il y a également des éléments liés à l'actualité législative. Votre assemblée a adopté en première lecture, le 24 janvier dernier, le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. De plus, nous nous préparons, dans le cadre de la future stratégie française sur l'énergie et le climat (Sfec), à ce que vous examiniez un projet de loi relatif à la programmation sur l'énergie et le climat, qui sera suivi de la nouvelle stratégie nationale bas-carbone (SNBC), du nouveau plan d'adaptation au changement climatique et de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Les conséquences du changement climatique vont affecter de façon croissante les réacteurs du parc national actuel et affecteront - je le dis de façon solennelle - encore plus les projets de construction de nouveaux réacteurs susceptibles d'entrer en service à partir de 2035.

Nous avons distingué trois cercles concentriques des effets du changement climatique sur les réacteurs.

Le premier cercle concerne la capacité des installations à fonctionner de façon sûre, puisque sont affectés la résistance des matériels, les équipements, mais également la compatibilité avec des conditions de travail acceptables pour le personnel sur site.

Le deuxième cercle est relatif à l'environnement extérieur proche, en lien avec l'exploitation et la sûreté - le débit et la température des cours d'eau ainsi que le niveau marin.

Le troisième cercle a pour objet des conséquences plus périphériques, telles que le risque accru d'incendies de forêt ou de végétation, ou encore le risque de submersion d'axes routiers à proximité des centrales. Nous ne traitons pas des risques affectant la périphérie des centrales dans cette enquête, mais nous les aborderons dans de futurs rapports.

Nous insistons sur la nécessité d'avoir une approche intégrée et territorialisée pour faire face à l'ensemble des conséquences du changement climatique.

Le rapport concerne exclusivement le parc de production nucléaire actuel, à l'exclusion des réacteurs de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des installations militaires et des installations nucléaires relatives à la fabrication du combustible, à son retraitement ou au stockage des matières et des déchets radioactifs.

Le parc nucléaire actuel est composé de dix-huit centrales qui regroupent cinquante-six réacteurs à eau pressurisée en exploitation, d'une puissance comprise entre 900 mégawatts et 1 400 mégawatts, selon les paliers, pour une puissance totale installée de 61,4 gigawatts. Concrètement, treize centrales sont situées en bord de rivière, quatre en bord de mer et une en bord d'estuaire.

Le parc est très dépendant de la ressource en eau, parce que c'est le seul moyen de refroidir les réacteurs. Il existe d'ailleurs deux types de systèmes de refroidissement, en circuit ouvert et en circuit fermé.

En circuit ouvert, l'eau prélevée est utilisée pour refroidir le réacteur puis rejetée dans son milieu naturel. Les prélèvements sont importants, mais la consommation nette en eau est très faible. En revanche, les rejets augmentent la température des cours d'eau.

En circuit fermé - cela concerne exclusivement les trente réacteurs situés en bord de fleuve -, la quantité d'eau prélevée circule dans l'aéroréfrigérant. La quantité d'eau prélevée est donc beaucoup plus faible, mais il y a une évaporation, que nous avons évaluée, en 2001, à 24 %.

Le Président de la République a annoncé la construction d'une première tranche, ferme, de six EPR2 d'une capacité de 1 650 mégawatts, puis d'une seconde tranche, optionnelle, de huit EPR2, en sus de l'EPR de Flamanville, dont nous attendons toujours la mise en service.

Le présent rapport est structuré en deux chapitres. Le premier présente les enjeux climatiques auxquels doit faire face le parc nucléaire actuel et l'organisation mise en place par EDF. Le second examine concrètement comment les dispositifs de sûreté nucléaire prennent en compte le changement climatique, analyse les contraintes que fait peser la disponibilité de la ressource en eau sur l'exploitation du parc, et identifie les risques qui affectent les projets de construction des futurs réacteurs.

Comment appréhender le changement climatique ? La perspective de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels jusqu'à soixante ans fera fonctionner le parc jusqu'à 2045, ce qui l'expose non seulement aux aléas climatiques d'aujourd'hui, mais également à leur accentuation au cours des vingt à trente prochaines années.

Par comparaison, les futurs réacteurs, dont la durée d'exploitation pourrait aller jusqu'en 2100, voire au-delà, seront confrontés à des conséquences plus lourdes du changement climatique.

Compte tenu de ces éléments, le premier constat que nous faisons est qu'EDF - le seul exploitant - s'appuie fortement sur les rapports du GIEC, à l'instar de l'ensemble des acteurs du nucléaire en France, ainsi que sur les modèles de Météo-France et les travaux de l'Institut Pierre-Simon Laplace, que nous avons mentionnés dans la première partie du rapport. EDF exclut le scénario le plus optimiste du GIEC, analyse les scénarios les plus pessimistes, ce qui est cohérent pour des installations à très longue durée de vie, et mentionne le scénario médian, qui est considéré comme le plus probable.

Ces études et ces projections climatiques, faites sur la longue durée, sont peu adaptées aux échéances plus proches - entre dix et quinze ans -, lesquelles sont pourtant utilisées par l'exploitant pour décider et calibrer de nouveaux investissements, lors de chacune des visites décennales des réacteurs. La Cour des comptes pointe que c'est l'une des difficultés rencontrées par EDF pour adapter le parc actuel dans une logique économique optimale.

Deuxième constat, la disponibilité de la ressource en eau représente le principal enjeu pour le parc nucléaire. Le volume d'eau douce prélevé pour satisfaire les différents usages de la population s'élève chaque année à 33,5 milliards de mètres cubes ; un peu plus de la moitié de ce volume prélevé est destiné au refroidissement des centrales électronucléaires. Ce n'est pas de la consommation nette, puisqu'elles restituent 98 % de ces prélèvements aux milieux naturels, à proximité du point de prélèvement, mais à une température plus élevée. Dès lors, les enjeux liés à la ressource en eau prennent des formes différentes, selon qu'il s'agisse des cours d'eau ou des littoraux.

Pour les centrales en bord des cours d'eau, la moindre disponibilité de la ressource en eau va accentuer les conflits d'usage - agricole, touristique, industriel ou lié à la navigation. Le réchauffement des fleuves, en amont et en aval des centrales, va représenter une contrainte d'exploitation supplémentaire. Les niveaux d'étiage vont réduire la capacité de dilution des rejets en aval des centrales. Ce sont des contraintes lourdes.

Pour les centrales en bord de mer, l'enjeu est de faire face à la montée du niveau de la mer et au risque de submersion qui en découle. Il s'agit d'un phénomène plus lent, qui concernera surtout les futures centrales situées en littoral, dans la seconde moitié du XXIe siècle.

Troisième constat, les politiques et les organisations mises en place par l'État et par EDF abordent bien la question de l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique, ce qui n'est pas le cas dans l'ensemble des secteurs publics. De la prise de conscience à la traduction opérationnelle, il faut du temps, et nous en sommes encore aux balbutiements.

En ce qui concerne l'État, le premier plan national d'adaptation au changement climatique 2011-2015 comporte 200 recommandations - plusieurs portaient sur l'énergie et l'industrie et incluaient les centrales nucléaires. Pourtant, les travaux de Jean Jouzel avaient permis de mettre à disposition des données climatiques détaillées, propres à la France, et déclinées à l'échelle régionale.

En ce qui concerne EDF, la direction de la recherche et du développement s'est engagée dès 1990 dans plusieurs travaux relatifs au changement climatique. Mais ce n'est que plus récemment, en 2014, qu'EDF a créé un service climatique, en appui des principales directions concernées du groupe. Depuis l'an dernier, EDF met en oeuvre un plan d'adaptation au changement climatique, modifiable tous les cinq ans. Concrètement, la direction de la production nucléaire et thermique a élaboré le projet Adapt, qui doit être décliné dans chaque centrale nucléaire et la direction ingénierie et projets du nouveau nucléaire intègre également dans la conception, une analyse de l'impact potentiel du changement climatique. Il y a donc des progrès, une prise de conscience, des moyens et des méthodes mis en oeuvre. Il manque une approche de l'adaptation plus intégrée, plus adaptée, plus territorialisée qui soit partagée par l'ensemble des acteurs - l'État, l'ASN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l'exploitant EDF - nous y reviendrons ultérieurement.

Quatrième constat, les effets du changement climatique sont pris en compte au titre de la sûreté. C'est un point important. En fait, la conception initiale des centrales aujourd'hui en fonctionnement est antérieure à l'émergence de la notion de changement climatique, mais les aléas climatiques étaient alors appréhendés à travers la notion d'agressions externes naturelles, comme les températures de l'air et de l'eau, les inondations et les étiages. D'ailleurs les importantes marges retenues à la conception de ces centrales pour la résistance à ces phénomènes ont de fait permis d'intégrer les évolutions climatiques. Progressivement, néanmoins nous avons pris en compte l'évolution climatique comme un élément clé de la sûreté. Elle est désormais intégrée dans les référentiels imposés par l'ASN, qu'il s'agisse des intégrations dans le cadre du grand froid au cours des années 1980, des inondations après l'accident du Blayais en 1999 ou encore du référentiel grand chaud après la canicule de 2003.

L'accident de Fukushima en 2011 et les évaluations de sûreté complémentaires ont conduit à renforcer davantage ces référentiels et à les mettre à jour à chaque visite décennale. Ainsi intégrés dans les démonstrations de sûreté et régulièrement évalués, on peut considérer que les risques que comporte le changement climatique ne doivent pas affecter le niveau de sûreté du parc nucléaire.

D'ailleurs, cinquième constat, le coût estimé de cette adaptation au changement climatique demeure extrêmement modeste en termes d'investissements. Du reste, EDF ne l'a pas évalué complètement et précisément parce que, à leur décharge, un même investissement peut concomitamment relever de la sûreté et de l'adaptation au changement climatique, je viens d'en faire la démonstration en vous exposant la prise en compte de la sûreté.

Pour autant, l'entreprise a tout de même réussi, après moult recherches à nous indiquer que les investissements relatifs au climat et à la météo, comme la rénovation d'aéroréfrigérant ou la construction et le rehaussement de digues représentent un montant d'investissements déjà réalisés de 960 millions d'euros, sur la période 2006-2021, donc à peine un milliard en quinze ans.

Les dépenses programmées en lien avec l'adaptation au changement climatique sur la période 2022-2038 s'élèveraient à environ 612 millions d'euros en fonctionnement - c'est l'épaisseur du trait. Lorsque l'on ajoute les budgets de fonctionnement du service climatique, le programme Adapt, les actions de recherche et développement dédiées à l'adaptation, on arrive à moins de 5 millions d'euros par an. Ce ne sont donc pas de lourds enjeux financiers.

Pour autant - nous y insistons -, il nous semble nécessaire qu'EDF puisse justifier dans l'avenir des coûts d'adaptation au changement climatique et de sa performance sur ce point, à la fois au titre de de sa responsabilité sociale et environnementale (RSE) et de ses obligations de communication financière et extrafinancière, c'est le sens de notre recommandation n° 1.

Sixième constat, il faut convenir que le changement climatique et notamment les épisodes plus fréquents de sécheresse et de canicule peuvent altérer la disponibilité du parc nucléaire. Ces effets sont aujourd'hui limités, mais augmentent. Ils résultent de deux contraintes de production : d'une part, l'application des normes environnementales pour protéger les milieux aquatiques, d'autre part, l'application des accords transfrontaliers qui limitent dans certains cas la capacité de prélèvement.

Les pertes de production qui résultent des normes environnementales demeurent à ce jour limitées, elles sont en moyenne annuelle de l'ordre de 1 % avec un pic à 1,4 % au cours de l'année 2003. Les sites concernés par ces pertes de production sont, dans le jargon d'EDF, des sites thermosensibles, c'est-à-dire des sites sensibles aux limites de température en bord de rivière ou d'estuaire. Il s'agit de Saint-Alban, de Tricastin, du Bugey, de Blayais et de Golfech. Les pertes de production liées aux contraintes de prélèvements, notamment par les accords transfrontaliers, sont concentrées sur la centrale de Chooz, très sensible au débit de la Meuse et soumise à l'application du fameux accord transfrontalier avec la Belgique.

Dès lors, les pertes d'opportunités économiques, qui résultent de ces pertes de production sont également limitées. Ces indisponibilités sont concentrées certes sur des périodes brèves et estivales, mais de plus en plus longues, et elles peuvent s'avérer critiques, en accroissant les risques de tension sur le réseau, alors exposé à une demande accrue d'électricité, surtout dans un contexte d'électrification majeure des usages. En outre, au cours de ces dernières années, une augmentation significative des arrêts pour cause climatique a été constatée sur certains sites avec des pertes s'élevant à plusieurs térawattheures par an. Les études prospectives mettent en évidence une multiplication par un facteur de trois à quatre des indisponibilités liées au réchauffement climatique à échéance de 2050.

Ainsi, pour gérer au mieux ces risques d'une production moindre, il faut d'abord mieux connaître l'évolution du débit des fleuves à échéance de quelques années, ce que les projections climatiques actuelles ne permettent pas de bien appréhender. De plus, il faut que, en période de faible débit, l'exploitant puisse disposer d'une plus forte capacité d'entreposage des effluents liquides, dans l'attente de pouvoir les rejeter sans risque pour l'environnement. Ces constats conduisent à la recommandation n° 2 du rapport.

Il s'agit ensuite - c'est la recommandation n° 3 - de consolider et de mettre à jour les fondements scientifiques qui justifient les limites réglementaires des rejets thermiques, dont la fixation sera d'autant plus sensible que les épisodes chauds se multiplieront - voilà longtemps que ces limites réglementaires n'ont pas été actualisées, cela doit être fait de manière concertée.

Enfin, il s'agit, pour EDF, de renforcer son effort de recherche sur les systèmes de refroidissement, afin de limiter la consommation en eau et l'emploi de réactifs chimiques qui sont ensuite rejetés dans le milieu naturel. Cette invitation à la sobriété en tous genres est l'objet de la recommandation n° 4.

En matière de recherche, on observe qu'il y a beaucoup d'innovations émergentes, mais aucune innovation technique notable n'a été mise en oeuvre sur le parc existant pour limiter la consommation en eau. Ainsi, EDF nous a simplement indiqué avoir réalisé en 2022 une analyse préliminaire d'un procédé de récupération d'eau des panaches d'aéroréfrigérant et nous a assuré qu'un démonstrateur de ce procédé interviendrait à partir de 2023 sur le site du Bugey.

Septième constat, les futurs réacteurs seront soumis à des exigences beaucoup plus fortes au regard du changement climatique et il faut considérer que cette dernière partie est une forme d'alerte adressée à l'ensemble des acteurs du nucléaire.

Il existe à travers le monde des réacteurs qui fonctionnent sous des climats très chauds, comparables sans doute aux épisodes que notre pays pourrait connaître dans la seconde moitié du XXIe siècle. Ces centrales fonctionnent avec des dispositifs adaptés, comme celle de Palo Verde, et il nous semble que ces expériences pourraient être utilement examinées attentivement.

Par ailleurs, on parle d'installer des SMR - Small Modular Reactors -, c'est-à-dire des petits réacteurs modulaires, en complément du programme d'EPR2. Il conviendrait sans attendre de prendre en compte justement les contraintes du changement climatique, dès la conception de ce type d'équipements, sachant que la mise au point d'un premier démonstrateur serait envisageable d'après les indications dont nous disposons à horizon de dix ans.

Nous soulignons dans le rapport que la conception des EPR2 intègre bien des marges de sécurité face au changement climatique et que cette conception s'appuie sur une analyse précise des référentiels de sûreté en vigueur, qui seraient donc incrémentés tant de la part d'EDF que de l'ASN. C'est positif. Pour autant, la Cour a constaté, premièrement, que les EPR2 ne comportent pas d'évolution technologique marquée, en particulier sur les systèmes de refroidissement sobre en eau, deuxièmement que l'hypothèse certes estimée peu probable par le GIEC d'une fonte des calottes glaciaires ne soit pas prise en compte, alors que cela provoquerait une hausse plus élevée du niveau de la mer. Cette hypothèse extrême pourrait peser sur le choix des sites littoraux et sur la façon surtout d'engager de futurs chantiers. Troisièmement, il manque sur ces questions d'adaptation une approche qui soit réellement intégrée et commune à l'ensemble des acteurs directement concernés, d'où la recommandation n° 5, par laquelle nous appelons de nos voeux cette approche intégrée et commune, qui soit surtout territorialisée et concrète. Chaque site a, sur ce point, ses particularités et on ne peut pas rester à un niveau exclusivement conceptuel et à une échelle nationale.

Enfin le rapport constate que pour les huit EPR2 en option, EDF n'envisage pas de site nouveau, mais n'exclut non plus à ce stade aucun des sites en exploitation. S'il est normal que le choix des sites découle d'une analyse multicritères et notamment de la prise en compte de préoccupations d'aménagement du territoire, il nous semble que les incidences du changement climatique pour des réacteurs qui fonctionneront pour l'essentiel lors de la seconde moitié du XXIe siècle justifient de produire rapidement des études de préfaisabilité qui prennent en compte le changement climatique. C'est l'objet de la sixième et dernière recommandation adressée à la fois à EDF et au ministère chargé de la transition écologique.

L'adaptation au changement climatique des réacteurs nucléaires est non pas un enjeu financier, mais un défi d'anticipation, surtout à l'heure où notre pays s'engage dans le projet ambitieux du nouveau nucléaire, qui nécessite une coordination renforcée des principaux acteurs, à l'échelon national, dans chaque site de production, et dans les chantiers à venir pour définir des réponses communes.

Nous espérons que ce travail pourra utilement éclairer vos propres réflexions. Ce travail a conduit la Cour à un exercice inhabituel. Nous ne nous sommes pas limités à une approche financière, mais nous avons tenté une synthèse scientifique et nous avons essayé d'appréhender au mieux, avec le concours des principaux acteurs, les enjeux techniques qui définissent cette appréhension du changement climatique.

Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Ce rapport sort des sentiers habituellement battus par la Cour, puisqu'il a pour objet des enjeux moins financiers que technologiques et prospectifs.

La question des événements exceptionnels a été prise en compte dès l'origine de la construction des centrales nucléaires - je pense aux normes de résistance au vent et au seuil de construction des réacteurs au-dessus du niveau de la mer. Nos centrales sont déjà prêtes à résister à des événements extrêmes, dont la probabilité de survenance est très faible - elles sont capables de résister à un tsunami du même type que celui qui s'est produit à Fukushima, alors que la probabilité d'un tel tsunami est très faible en France. Aussi, nous pouvons considérer que nous sommes prêts sur les aspects liés à la sûreté.

En revanche, nous serions moins prêts pour les événements qui s'inscrivent dans le temps long. Les centrales sont en effet concernées par l'élévation des températures, ce qui soulève le problème de la disponibilité de la ressource en eau nécessaire pour faire fonctionner le cycle du combustible nucléaire.

Ainsi, EDF pourrait être amenée à arbitrer entre produire de l'hydroélectricité ou garder l'eau pour assurer la production nucléaire, sachant que dans les deux cas la production est décarbonée - l'une répond à la taxonomie européenne, l'autre reste à ce stade dans les marges de cette taxonomie -, même si le coût de l'électricité ne sera pas le même. Ce choix relève non pas seulement de l'exploitant, mais également d'une décision politique.

La gestion de la ressource en eau soulève également le problème de la réutilisation des eaux usées. À ce titre, l'exemple de la centrale de Palo Verde, dont le fonctionnement est bien décrit dans le rapport de la Cour, ouvre des perspectives sur une utilisation possible des eaux usées, puisque cette centrale, située dans le désert, se refroidit en réutilisant les eaux usées.

Il faut également se demander comment diminuer, à l'avenir, l'empreinte environnementale du nucléaire, au-delà de la question du retraitement des déchets qui n'entrait pas dans le périmètre du rapport, ce qui nécessite d'augmenter les moyens publics dédiés à la recherche. Par exemple dans le but de diminuer l'utilisation de biocides dans les tours aéroréfrigérantes ou d'optimiser le rendement de ces tours, notamment en utilisant une partie de la chaleur qui s'échappe de celles-ci sous forme d'évaporation.

Par ailleurs, la question des capacités de recherche de l'IRSN n'avait pas été abordée dans l'amendement du Gouvernement portant sur la fusion entre l'IRSN et l'ASN déposé dans le cadre du projet de loi d'accélération du nucléaire ; or ce sujet est au coeur de notre discussion du jour.

Pour finir, je souscris pleinement au constat de la Cour selon lequel ce sujet doit être envisagé de manière systémique. Au-delà de la prise en compte de l'environnement proche des centrales, de la préemption des terrains voisins de la centrale et de la construction de digues, c'est l'ensemble de la chaîne du nucléaire qui doit être appréhendée. En effet, il faut pouvoir construire les installations et extraire du combustible, ce qui a des conséquences sur l'environnement, et doit répondre aux exigences des directives européennes, notamment sur le devoir de vigilance.

Notre travail sur ce pan de l'économie pourra s'appliquer à d'autres conflits d'usage entre des ressources environnementales finies et les besoins des consommateurs et des industriels.

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président -

M. Rémy Catteau, directeur des centrales nucléaires à l'Autorité de sûreté nucléaire. - Je vous prie de bien vouloir excuser MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'ASN, qui sont à Vienne pour assister à la réunion d'examen des parties contractantes à la Convention sur la sûreté nucléaire, dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Je suis accompagné par Cyril Bernardet, qui dirige, au sein de l'ASN, l'équipe des spécialistes de l'impact du fonctionnement des centrales nucléaires sur l'environnement.

L'ASN partage les conclusions de la Cour des comptes. Premièrement, le changement climatique a des conséquences sur la sûreté des centrales et sur l'impact de leur fonctionnement sur l'environnement.

Par sûreté, on entend le risque d'accident nucléaire. Les agressions climatiques - canicules, tornades, submersions, périodes d'étiage sévère - sont susceptibles de créer un accident, mais les centrales sont dimensionnées pour cela. Ces agressions sont réévaluées pour chaque site selon le réexamen périodique décennal : rehaussement de digues, renforcement de la climatisation, protection contre les tornades. Ce processus itératif est adapté à un risque en évolution, mais le réchauffement climatique complique les projections. Certains risques sont plus simples, comme les séismes. Lorsqu'il y a trop d'incertitudes, on retient des valeurs pénalisantes.

Les agressions climatiques sont un des sujets du quatrième réexamen périodique décennal, souvent soulevé par les associations. L'ASN, dans ce cadre, consulte le public au début et à la fin de chaque réexamen, site par site. Elle participe aux concertations, notamment celles du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). L'ASN tient compte des enquêtes publiques. C'est donc un enjeu fort de transparence, de pédagogie et d'écoute pour nous.

Hors échéances décennales, l'ASN demande la prise en compte de tout évènement exceptionnel, comme l'inondation du Blayais en 1999 et les canicules de 2003 et de 2006.

Le changement climatique influence aussi les effets de la centrale sur l'environnement, surtout celles refroidies par cours d'eau et non par la mer. Certaines centrales restituent toute l'eau à une température de deux ou trois degrés plus élevée, d'où un effet sur la faune et la flore aquatiques. D'autres n'en restituent qu'une partie, refroidie en tour aéroréfrigérante, pour un réchauffement de quelques dixièmes de degré, et donc un impact plus faible. L'ASN fixe des valeurs maximales d'échauffement du milieu naturel pour chaque centrale. Le réchauffement climatique rend plus critique l'impact des centrales sur le volume et la température de l'eau. EDF réduit ou arrête donc les réacteurs en cas de besoin, même si l'ASN peut augmenter temporairement les températures autorisées, en cas de besoin, à la suite d'un retour d'expérience issu des canicules de 2003 et de 2006.

La Cour recommande de consolider les fondements scientifiques de ces limites. Or, elles résultent déjà de travaux scientifiques, avec une étude d'impact d'EDF pour chaque site. Mettre à jour ces limites - à la hausse, si je comprends le rapport - suppose une nouvelle étude d'impact le justifiant. En outre, les difficultés d'étiage limitent les possibilités de rejet des effluents liquides nécessaires à l'exploitation. L'ASN fixe en effet un débit minimal du cours d'eau où ils sont rejetés pour permettre leur dispersion, en deçà duquel les effluents doivent être entreposés. Nous souscrivons à la recommandation n° 2 de la Cour sur l'adaptation de ces capacités d'entreposage : l'été dernier a montré la sous-estimation des capacités d'EDF.

Enfin, la température élevée a un effet sur la colonisation des tours par des microorganismes pathogènes : légionelles, amibes. Des biocides pourraient être plus souvent requis, avec un plafond de rejet décidé par l'ASN. Nous partageons toutefois la recommandation n° 5 sur le renforcement de la recherche et développement pour des traitements biocides plus sobres en réactifs chimiques rejetés.

Deuxièmement, l'ASN partage le besoin d'une approche systémique de l'adaptation des centrales au changement climatique. L'approche critère par critère n'est pas transparente pour le public, et l'adaptation au changement climatique ne peut être pensée sans approche territoriale intégratrice et multisectorielle, ce qui dépasse les prérogatives restreintes de l'ASN. C'est particulièrement nécessaire pour les cinq centrales du bassin de la Loire et les quatre du bassin du Rhône. Il en va de même pour le choix du site d'un nouveau réacteur, qui dépend aussi d'autres paramètres comme la sismicité. Quoiqu'il en soit, tout nouveau site passe par l'ASN, avec une procédure de demande d'autorisation.

Troisièmement, à la suite du rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE), le Gouvernement semble privilégier des scénarios de poursuite de l'exploitation des réacteurs actuels au-delà de 60 ans. Selon l'ASN, il faut sans tarder engager une réflexion avec EDF et l'IRSN sur la durée maximale de fonctionnement dans des conditions acceptables, au-delà du cadre formel des réexamens décennaux. En effet, ces derniers ne sont pas adaptés aux besoins d'anticipation, notamment pour les composants irremplaçables ou difficilement remplaçables.

L'ASN a demandé à EDF d'inclure, en vue de la prochaine politique pluriannuelle de l'énergie, d'ici à la fin 2026, la liste des réacteurs pouvant fonctionner après 2050, en prenant en compte les nouveaux réacteurs à construire en bord de fleuve.

Il ne faut pas écarter l'accélération des phénomènes climatiques pour un parc en extension pour les prochaines années, s'il en est décidé ainsi. L'ASN doit donc instruire ces sujets pour anticiper et que le Gouvernement et le Parlement les prennent en compte. Nous prévoyons une démarche renforcée d'association du public, comme nous l'avons fait pour le passage à 40 ans des réacteurs.

Mme Catherine Halbwachs, directrice du projet Adapt à la direction Production nucléaire et thermique d'EDF. - M. Cédric Lewandowski, directeur exécutif du groupe, est mobilisé par diverses problématiques, comme vous le savez. Je vous prie de bien vouloir l'excuser.

La Cour nous a demandé un travail important. EDF en partage la majorité des recommandations et conclusions. Cet excellent travail alimente nos réflexions.

Le dérèglement climatique et l'adaptation concernent tout le monde, pas le seul parc nucléaire. L'approche systémique mise en exergue de la Cour est majeure, parce qu'elle comprend la totalité des infrastructures nécessaires au nucléaire : entre autres, réseaux de transports d'électricité, de télécommunications, d'eau potable. Un tel travail devrait être conduit sur toutes les infrastructures publiques.

Nous travaillons sur la préservation de l'habitabilité des territoires. Toutes les centrales de la direction du parc nucléaire et thermique (DPNT), nucléaires comme émettrices de gaz à effet de serre, sont concernées. Ainsi, la disponibilité de l'eau touche une centrale nucléaire comme une centrale à gaz, charbon ou fioul. Toute production pilotable a besoin d'une source froide, essentiellement pour le refroidissement de la partie électrique. Le développement des énergies renouvelables impose cette réflexion autour de ces énergies pilotables, enjeu national.

Les incertitudes sont fortes. EDF travaille sur un scénario médian, dont nous rêvons tous eu égard aux recommandations d'atténuation et d'adaptation du GIEC. Si l'on veut éviter un monde à quatre degrés de plus, quasi invivable - la France serait à six degrés supplémentaires -, nous devons réduire nos gaz à effet de serre. Le nucléaire est une réponse parmi d'autres. Nous retrouvons cette incertitude dans nos travaux avec l'ASN, mais il n'y a pas de retour possible à la normale. Nous sommes, non dans une crise, mais dans une dérive climatique. À EDF, les prémices du service climatique remontent aux années 1990.

Comme le dit Jean Pisani-Ferry, la stabilité du climat, qui est à la base de notre économie, n'existe plus, il faut consentir à des dépenses d'investissement. Nous jouons la transparence, mais, malheureusement, des dépenses importantes doivent arriver, surtout si l'on attend du nucléaire qu'il assure la sécurité du réseau. Une centrale qui, comme aux États-Unis, replie ses tranches parce qu'elle ne peut plus produire, ne remplit pas ses obligations vis-à-vis du réseau. Nous n'avons pas cette approche en France. Nous avons beaucoup de relations avec les centrales de Palo Verde et de Barakah, mais elles diffèrent d'une centrale classique qui met sa production sur les marchés.

Madame la sénatrice, il y a bien une réalité politique à intégrer pour le rôle du nucléaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je remercie la Cour pour la qualité de son rapport, et partage l'avis du rapporteur spécial. Au-delà des seuls éléments comptables, il enrichit le débat. Je remercie aussi l'ASN et EDF, ainsi que Christine Lavarde, qui est à l'initiative de ces travaux. Au lendemain d'un nouveau rapport du GIEC, cela met l'accent sur le choix hasardeux, mais qui a été dans l'air du temps, celui de la condamnation du nucléaire. J'espère que nous revenons vers plus d'objectivité. Ce rapport y concourt.

La Cour a établi ce rapport avant l'introduction par le Gouvernement, dans la navette parlementaire du texte relatif à la construction de nouvelles centrales nucléaires, d'un projet de fusion entre l'ASN et l'IRSN. Quelles en seraient les conséquences sur l'adaptation du parc nucléaire au changement climatique ?

Ensuite, il est difficile d'isoler les dépenses d'adaptation au changement climatique du parc. Quels obstacles faut-il lever pour progresser sur ce sujet ?

Madame la présidente, votre rapport souligne le besoin d'une démarche commune aux acteurs concernés pour adapter le parc au changement climatique. Comment mieux coordonner l'action ? Faut-il une structure spécifique, existante ou nouvelle, même si je me méfie des strates supplémentaires ?

Enfin, en 2019, l'IRSN abordait les risques d'étiage. Les récentes sécheresses y font écho. Avez-vous identifié des éléments nouveaux ? Reste-t-il des recherches à mener ?

M. Michel Canévet. - Le nucléaire est certes moins vertueux que les énergies renouvelables, mais il reste indispensable à la stratégie de production énergétique de notre pays. À l'instar des déchets, y a-t-il une valorisation du rejet de chaleur en milieu naturel ?

Monsieur Catteau, l'ASN a-t-elle les compétences pour analyser la situation ? Je pose cette question dans la perspective d'un regroupement avec l'IRSN.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je remercie la Cour pour son important rapport, ainsi que les intervenants.

Vous avez parlé des arbitrages d'EDF sur la production hydraulique ou nucléaire, mais la Cour a aussi mentionné d'autres enjeux, dont la préservation de sites environnementaux, de la production agricole et du tourisme. Irait-on jusqu'à menacer ces enjeux ?

M. Daniel Breuiller. - Une fois n'est pas coutume, je ne partage pas le point de vue du rapporteur général : le nucléaire est décarboné, mais il a d'autres inconvénients.

Je remercie la Cour d'avoir dépassé les enjeux comptables. Le futur est difficile à prévoir : quels scénarios sont en préparation, en plus de la prolongation - en dépit des avis de leurs constructeurs - des centrales à, par exemple, 64 ans ? En particulier, quelles sont les hypothèses en termes d'étiage ? J'avais déposé un amendement, considéré comme satisfait, à ce sujet. Maintenant que le ministre Béchu parle d'une France à quatre degrés de hausse, quelles sont vos hypothèses ?

Ensuite, le risque de submersion - un amendement d'une collègue députée n'a pas été retenu - serait maîtrisé, mais c'était aussi le cas à Fukushima. En 1999, nous sommes passés très près d'une catastrophe en France. Quand on observe les trajectoires du GIEC, quels niveaux garantissent la sécurité ? En matière de sûreté, le risque de submersion me paraît plus grave que celui qui est lié à l'étiage.

Enfin, selon moi, il faut garder la double expertise de l'IRSN et de l'ASN. Monsieur Catteau, combien de fois cet été avons-nous dérogé aux règles de préservation de l'environnement ? Dans les étés qui viennent, privilégiera-t-on la production d'électricité ou la biodiversité ?

M. Christian Bilhac. - Je vous remercie pour ces informations.

Tout d'abord, on ne peut se passer du nucléaire, pour des raisons d'indépendance et de décarbonation, alors que la consommation électrique augmentera inéluctablement. La table ronde que nous avons récemment consacrée aux cryptoactifs en atteste.

Toutefois, le tout nucléaire serait une erreur. Le mix est la solution : ne mettons pas tous les oeufs dans le même panier. Madame la présidente, vous parliez de complémentarité entre hydraulique et nucléaire. Est-ce bien judicieux ? C'est l'été qu'on souffre des problèmes d'étiage, qui concernent les centrales et les barrages. Mais la nature fait bien les choses : l'été, on consomme moins d'électricité, et on a du soleil. Une complémentarité entre les énergies solaire et nucléaire est-elle possible ? Le photovoltaïque peut-il compenser les pertes de production ? Il est dangereux de déroger sans cesse à la température des cours d'eau. Le solaire n'est-il pas la réponse ?

Mme Catherine Halbwachs. - Sur la valorisation de l'ensemble de l'énergie produite, il n'y a pas d'incitation spécifique, même si des exemples existent, comme la production de bars et de soles à Gravelines. Nous y travaillons, mais il faut des productions capables de supporter des arrêts de tranches.

Sur les arbitrages de la ressource en eau, notre démarche environnementale est forte. Nous ne vous avons pas présenté les 7 millions d'euros consacrés chaque année à la recherche et au développement autour de la biodiversité. Autour de nos centrales, le programme thermie-hydrobiologie, sur les populations de poissons, est la plus grande séquence de suivi biologique en France. Les travaux, publics, montrent que les centrales nucléaires n'ont pas d'impact majeur, et en tout cas, pour les populations de poissons, bien inférieur à celui du réchauffement climatique. Il faut un projet global pour préserver la production d'électricité et l'agriculture.

En effet, la production varie entre été et hiver, et le mètre cube d'eau n'a pas la même valeur selon les saisons. Gérer cela passe par la protection de l'environnement et du cycle de l'eau. Nous serons heureux de vous présenter notre travail autour des barrages et des centrales pour protéger les zones humides.

Nous travaillons sur plusieurs scénarios. Il faut différencier les scénarios du GIEC des modèles climatiques. Ces derniers sont une quarantaine : nous en testons une vingtaine, les plus applicables aux climats français, à chaque nouveau scénario du GIEC, dont nous retenons les hypothèses les plus pénalisantes.

En revanche, si les trajectoires de températures sont assez bien cernées, chaque modèle est différent quant aux prévisions en matière de précipitations. Cela rend difficile la simulation des étiages pour demain.

C'est une vraie question : une série de verrous scientifiques doivent encore être levés. Globalement, depuis plusieurs années, et particulièrement cet hiver, on observe une tendance de l'anticyclone des Açores à remonter vers le Nord. Le sud de la Loire s'oriente vers un climat ressemblant à celui de l'Espagne, avec des précipitations plutôt hivernales, et très peu de précipitations estivales. Cette tendance météorologique correspond avec ce qu'on vit depuis 2015, mais elle ne peut pas être totalement certifiée par la science, et on ne peut pas affirmer qu'elle est due au dérèglement climatique.

Je laisse M. Catteau se positionner sur la dualité entre l'ASN et l'IRSN, et indiquer combien de fois nous avons dérogé aux règles environnementales cet été.

En pensant ensemble l'hydraulique et les centrales nucléaires dès l'origine, nos grands anciens ont fait le choix qui nous a permis de bénéficier du système électrique le plus résilient, et pendant longtemps de l'électricité la moins chère d'Europe. Le modèle électrique français a consisté à imaginer ensemble l'hydraulique et le nucléaire. On peut évidemment faire évoluer le mix énergétique, mais les équipes de Marcel Boiteux et des grands ministres ayant mis en place notre parc nucléaire ont raisonné en ces termes. Dans la plupart des pays qui connaissent un très fort développement du nucléaire dans leur mix énergétique, cette démarche est aujourd'hui reprise. Il y a donc une cohérence, qui n'exclut pas un travail sur le photovoltaïque - même si, sans chercher à taquiner le solaire, on ne peut pas produire la nuit. Une démarche autour du solaire doit absolument être développée : le maintien du nucléaire n'exclut évidemment pas le développement des énergies renouvelables.

M. Rémy Catteau. - Concernant les compétences, l'ASN souffre de la sectorisation. Nous avons évidemment des spécialistes des agressions climatiques, tout comme des spécialistes de la protection de l'environnement, mais une vision intégratrice nous manque peut-être. Je ne saurais vous dire s'il s'agit d'un problème de compétences ou d'organisation, mais le sujet, bien identifié, a été largement mis en lumière par le rapport de la Cour des comptes.

Lors de la démonstration de sûreté des réacteurs, nous prenons en compte diverses hypothèses pour définir les niveaux d'étiage. Le retour d'expérience établit que les étiages actuels n'ont pas un impact direct sur la sûreté des réacteurs. Nous sommes très loin des niveaux minimaux à prendre en compte, qui sont définis sur la base du retour d'expérience, auquel nous rajoutons des marges assez importantes. Les étiages ont un impact non sur le risque accidentel, mais plutôt sur l'environnement.

Concernant le risque de submersion, l'ASN a publié un guide concernant les risques d'inondation des sites nucléaires, en prenant en compte la probabilité de chaque type d'inondation. Les périodes de retour d'expérience s'étendent sur 1 000 ans, et nous y rajoutons des marges, pour prendre en compte les marées les plus importantes ou les grands vents. En empilant des marges sur des marges, cela peut conduire au renforcement de digues : des travaux sont en cours, notamment à Gravelines et au Blayais.

Par ailleurs, il est toujours possible qu'un événement exceptionnel dépasse les valeurs retenues. Dans ce cas, les moyens ajoutés sur l'ensemble des sites nucléaires à la suite de l'accident de Fukushima apportent une réponse. C'est l'idée de ce que nous avons appelé le « noyau dur », c'est-à-dire de dispositifs permettant d'aller au-delà des niveaux de dimensionnement de la centrale, pour apporter de la résilience et fournir de l'eau et de l'électricité, éléments essentiels pour gérer une crise nucléaire. Ces niveaux sont réévalués tous les dix ans, pour que nous les adaptions à l'évolution des connaissances.

Permettez-moi de ne pas répondre précisément sur la réforme du contrôle. Évidemment, une telle réforme doit prendre en compte l'ensemble des missions de l'instance de contrôle, qui doivent être assurées dans la durée. Il n'y a pas d'ambiguïté, ni dans la situation actuelle ni dans le projet mis sur la table par le Gouvernement.

Mme Annie Podeur. - Je répondrai brièvement, en trois points, sur la méthode, sur les arbitrages, et sur les dérogations. Je commencerai par ce dernier point.

Il y a eu cinq dérogations, pour autant de centrales, entre la mi-juillet et le 11 septembre ; elles ont concerné les centrales thermosensibles du Bugey, du Blayais, de Saint-Alban, de Golfech et du Tricastin, que j'ai citées dans mon diaporama. Je rassure tout le monde : l'utilisation effective a duré très peu longtemps. Il n'y a pas lieu d'affoler sur les dérogations consenties à l'application des normes environnementales.

Sur la méthode, et pour répondre aux interrogations du rapporteur général, comment identifier les investissements relevant du changement climatique ? La comptabilité repose sur un ensemble de conventions ; la comptabilité analytique permet d'identifier certaines dépenses. Aujourd'hui, compte tenu des préoccupations environnementales, toute grande entreprise, publique ou privée, se doit d'identifier les investissements, dans l'exercice de sa responsabilité environnementale et sociale. J'ai été rassurée, car la représentante d'EDF indiquait que les investissements sont à venir. Pour l'instant, ils ont été un peu infimes, mais il faut du volontarisme, compte tenu de l'ambition portée par l'exploitant sur le parc tant existant qu'à venir.

Sur la question des structures, la Cour des comptes a produit en 2018 un rapport sur l'ASN, en 2021 un autre sur l'IRSN ; ces rapports, qui ne sont pas publics, ont été communiqués au Sénat. L'affaire nous semble relever non des structures, mais plutôt, dans une approche systémique, de la capacité des acteurs à se parler, à utiliser le même vocabulaire, à définir des méthodes communes, que cela soit pour les grands principes à l'échelle nationale, ou dans leur déclinaison à l'échelon local. M. Catteau a illustré, lors de son exposé, des raisons d'être confiants en nos capacités. C'est souvent la difficulté : on préconise toujours de nouvelles structures, mais cela tient souvent à l'art de se parler et d'échanger en toute franchise. Aujourd'hui, les rôles sont clairs : l'IRSN a un rôle d'expertise et rend des avis publics, de manière totalement transparente, tandis que l'ASN, sur la base de ces avis, prend des décisions. La Cour ne peut en dire davantage.

Sur les arbitrages entre l'hydraulique et le nucléaire sur un même cours d'eau, notre Premier président a annoncé un rapport public annuel sur l'adaptation au changement climatique à partir de 2024, et cette problématique y sera abordée. Sur les arbitrages avec les autres usages, nous venons également de publier une insertion dans le rapport public annuel sur la politique de l'eau, annonçant un rapport approfondi sur la gestion quantitative de l'eau, qui sortira les prochains mois, et qui abordera directement ces sujets.

M. Bernard Delcros, vice-président. - Je vous remercie.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information du rapporteur spécial Christine Lavarde.

La réunion est close à 16 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 22 mars 2023

- Présidence conjointe de M. Claude Raynal, président de la commission des finances, et de Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de Mme Sandrine Duchêne, préalable à sa nomination au Haut Conseil des finances publiques par le président de la commission des finances du Sénat

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. - Nous auditionnons Mme Sandrine Duchêne, que j'envisage de nommer au Haut Conseil des finances publiques (HCFP) afin de succéder à M. Éric Heyer dont le mandat de cinq ans non renouvelable vient à expiration ce mois de mars.

M. Heyer avait été nommé par mon prédécesseur, Vincent Éblé. Dans le cadre de cette audition publique, je veux en préambule le remercier de la manière dont il a exercé son mandat dans un contexte particulièrement intense pour le HCFP, marqué par la succession des textes financiers et des avis remis pendant la crise sanitaire, économique et énergétique. Il est également intervenu à plusieurs reprises devant notre commission pour apporter un éclairage précieux à nos travaux.

Je me permets, Madame Sandrine Duchêne, de vous remercier également pour votre présence parmi nous. Aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi du 6 décembre 2021 portant diverses dispositions relatives au Haut Conseil des finances publiques et à l'information du Parlement sur les finances publiques, votre nomination ne peut en effet intervenir qu'après une audition publique et conjointe de nos commissions des finances et des affaires sociales. Cette audition ne donne pas lieu à un vote.

Comme vous le savez, le Haut Conseil des finances publiques est un organisme indépendant chargé d'apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques du Gouvernement et de se prononcer sur la cohérence de la trajectoire budgétaire gouvernementale avec les objectifs pluriannuels de finances publiques et les engagements européens de la France.

Composé de onze membres, dont deux sont nommés respectivement par le président du Sénat et le président de la commission des finances du Sénat, en raison de leurs compétences dans le domaine des prévisions macroéconomiques et des finances publiques, il est placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier président de cette dernière.

Je vous propose donc de commencer cette audition par un exposé liminaire
- relativement concis puisque nous disposons au total d'une heure pour cette audition - exposé par lequel vous pourrez nous exposer votre parcours et votre conception du rôle du Haut Conseil des finances publiques. Mais auparavant je cède la parole à ma collègue présidente de la commission des affaires sociales.

Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. -Merci pour votre présence. La commission des affaires sociales est toujours très attentive aux avis rendus par le Haut Conseil des finances publiques, au moment de l'examen du PLFSS et plus récemment lors de l'examen du PLFRSS qui a porté la réforme des retraites. Le HCFP a d'ailleurs souligné le peu d'informations dont il disposait pour étayer son avis.

Je souhaite donc simplement, Madame Duchêne, que vous précisiez dans votre propos liminaire, si vous avez une certaine familiarité avec les finances sociales et, le cas échéant, le regard que vous portez sur ce sous-secteur des finances publiques.

Mme Sandrine Duchêne. - J'ai une formation de statisticienne, étant entrée dans le corps des administrateurs de l'INSEE en 1993, j'ai exercé pendant vingt ans des fonctions opérationnelles de prévision économique et financière à Bercy. Je peux dire que je suis tombée dans les finances publiques, au sens large, à l'occasion d'un changement de poste, à l'automne 2002, dans un contexte où il devenait plus probable que le seuil dit de Maastricht, de 3 % de déficit public, serait franchi, et où nous avons également franchi le critère de dette. Je n'ai plus vraiment quitté ce chaudron des finances publiques et sociales, dans mes postes successifs, j'ai aussi travaillé auprès du président François Hollande entre 2012 et 2013, puis j'ai été directrice générale adjointe à la direction du Trésor, où j'ai été auditionnée par le HCFP, qui venait d'être créé.

Je peux donc dire que je suis du métier, ce métier spécifique qui assemble de la technique statistique, des schémas de prévision et de l'analyse économique des finances publiques - l'objectif étant de donner à voir le sous-jacent des politiques économiques, au-delà des chiffres, ceci en articulant les aspects de gouvernance européenne et nationale. J'ai aussi beaucoup oeuvré dans la sphère européenne, depuis la définition, en 2005, du pacte de stabilité et de croissance, jusqu'à ses réformes successives qui ont fait l'empilement de règles que l'on déplore aujourd'hui - cette matière est très riche et je peux dire que ce métier m'a passionnée. Je m'en suis éloignée et je suis actuellement directrice des risques, de la conformité et du contrôle permanent de Crédit Mutuel Alliance Fédérale, ce qui me donne un autre point de vue qui peut éclairer les débats du HCFP, surtout dans la turbulence financière que nous connaissons. J'ajoute qu'en 2015, j'ai aussi rejoint le comité budgétaire européen, l'instance indépendante chargée de donner son avis à la Commission européenne sur les politiques budgétaires de la zone euro et ce qu'on appelle la politique budgétaire agrégée
- pour décider s'il faut relancer, ou bien consolider les finances publiques -, et chargée également de formuler un avis de conformité sur le contrôle des budgets nationaux par la Commission européenne, - ce qui n'est pas la partie la plus facile -, et de faire des propositions de réformes des règles budgétaires européennes. J'ai exercé ce mandat pendant trois ans, jusqu'en 2019, ce qui m'a permis d'examiner de près les mécanismes budgétaires européens.

Pourquoi candidater au HCFP ? Ma première motivation est citoyenne, je cherche d'abord à être utile. Nous connaissons la situation des finances publiques après la crise sanitaire, les incertitudes actuelles : il n'y a rien de simple, il va falloir combiner la soutenabilité des finances publiques, la trajectoire de notre endettement, et la satisfaction des besoins cruciaux de notre société, en matière d'investissement, de transition économique, de santé, de sécurité, ou encore de souveraineté. L'équation n'a jamais été si complexe, et je souhaite, avec mon bagage et mes convictions, me placer au service du HCFP et du Parlement.

Nous avons besoin de clarté et de transparence. J'ai suivi le long chemin vers la transparence, j'espère que l'information transmise au Parlement s'est enrichie au fil des ans, c'est l'une des missions de Bercy. La création du HCFP en 2012 a été un pas important dont nous n'avons pas, au départ, mesuré la portée. Il était innovant de faire intervenir une institution indépendante en amont de la transmission des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale au Parlement - cela a permis un échange, des questions et des réponses, une exigence de cohérence sur les chiffres et sur leur articulation, donc sur la pertinence des mesures pour atteindre les objectifs définis. Je l'ai vécu au cours de mon expérience, je suis particulièrement sensible à l'enjeu démocratique du contrôle sur le budget de la Nation. Le HCFP a trouvé sa place, comme institution indépendante, ses avis sont mieux relayés, il fait entendre sa voix.

Que puis-je lui apporter, au-delà de la technicité ? Je crois que le rôle d'un membre du HCFP, c'est de se poser des questions, de les poser, et d'expliciter ce qui fait sens dans ce qu'il observe. Vous pouvez compter sur moi : j'essaierai de vous donner le maximum d'éclairage pour exercer vos fonctions dans les meilleures conditions.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. - Ce que vous constatez du HCFP correspond-il à la vision que vous en avez et pensez-vous que ses avis devraient avoir plus de collégialité ? Nous avons déploré le défaut d'adoption de la loi de programmation des finances publiques : quelle est votre position sur le sujet ? N'apporterait-elle pas des éléments de clarté, de transparence et de réalisme ? Même sans loi de programmation, la loi de financement de la sécurité sociale a une portée pluriannuelle puisque son annexe, obligatoire, doit donner une trajectoire pluriannuelle : le HCFP ne pourrait-il pas utiliser cette trajectoire pour évaluer la maitrise des dépenses ? Ne pourrait-il pas émettre un avis sur la trajectoire quadriennale ?

Je retiens votre motivation pour ce poste, je sais que les finances publiques font peur, pour leur aridité, alors qu'elles sont déterminantes, on l'a encore vu avec la réforme des retraites. Comment, à votre avis, mieux expliciter les enjeux des finances publiques et sociales ? Parce qu'il y a des choix à faire, il faut les expliquer : j'aimerais trouver un chemin, non pas de vulgarisation des finances publiques, mais de pédagogie, qui aide chacun à bien se positionner en toute connaissance de cause.

M. Claude Raynal, président. - Je vous prie d'excuser le rapporteur général Jean-François Husson, qui est en réunion avec le Président du Sénat. Quel regard portez-vous sur le pacte stabilité et de croissance tel qu'il existe et sur les propositions d'un nouveau cadre, qui, en particulier, prendrait mieux en compte les investissements nécessaires à la transition écologique et les trajectoires budgétaires définies par les États membres ?

Mme Sandrine Duchêne. - Le budget de la Nation exprime des choix et plus on est clair, plus on est audible : il ne faut pas laisser croire que tout est dans le tout, il y a bien une responsabilité financière et les lois de finances et de financement de la sécurité sociale sont un outil majeur des choix politiques. Mon rôle, c'est de remettre les mots auprès des chiffres, et je vous rejoins, Madame la rapporteure générale, il faut expliciter les choses, plutôt que de se cacher derrière la technique.

Je vous rejoins aussi sur la collégialité : il me semble très important que dans une institution indépendante, il y ait une forme de collégialité et une recherche du consensus, qui sera d'autant plus riche qu'il y aura eu débat et que celui-ci aura entrainé un accord, j'y serai attentive.

Le défaut de loi de programmation des finances publiques crée un vide juridique, ce qui n'empêche pas le HCFP de dire ce qu'il a à dire. Il serait souhaitable qu'une nouvelle loi de programmation soit débattue et votée, c'est un échelon essentiel pour s'inscrire dans le cadre européen, ce lien est une avancée. Je ne suis pas assez juriste pour dire si l'avis sur l'annexe de la trajectoire de la loi de financement serait suffisant. La mission du HCFP a été élargie, le mandat inclut la prévision, les dépenses, les recettes, la compatibilité avec la trajectoire pluriannuelle, mais le HCFP ne peut s'autosaisir de questions dépassant son mandat.

M. Jérôme Bascher. - Le HCFP nous a régulièrement dit qu'il était saisi dans un délai très court, voire trop court pour fonder un avis véritable : qu'en pensez-vous ? Si ce délai est trop court, estimez-vous que le HCFP pourrait ne pas émettre d'avis, pour contester cette situation ? Ensuite, si l'on n'a pas de loi de programmation, dans quelle mesure le pacte de stabilité et de croissance s'applique-t-il ? Enfin, ne pensez-vous pas qu'avec l'inflation, la dette soit devenue la menace principale sur les finances publiques ?

M. Laurent Burgoa. - Le Sénat vient de publier un excellent rapport sur les cabinets de conseil, à l'issue de sa commission d'enquête sur le sujet : est-ce que, selon vous, le HCFP doit recourir à des cabinets de conseil ?

M. Patrice Joly. - Pensez-vous que les analyses financières soient neutres politiquement ? La logique d'organisation territoriale autour des métropoles, par exemple, a conduit à sous-estimer les territoires ruraux, et quand on a changé la façon de classer la population française, au 1er janvier 2021, la population rurale est passée de 18 % à 30 %, c'est bien le signe qu'on fait dire un peu ce qu'on veut aux chiffres... Le cadre budgétaire européen, ensuite, vous parait-il adapté aux défis qui sont devant nous, en particulier en matière d'investissement ?

M. Sébastien Meurant. - Que pensez-vous des monnaies numériques ? Que pensez-vous, également, des différentiels de taux d'intérêt entre pays de la zone euro ?

Mme Sandrine Duchêne. - Le délai pour donner l'avis est toujours un sujet, je n'ai jamais vu un membre du HCFP dire qu'il avait disposé d'un délai satisfaisant pour examiner des textes. Cependant, c'est compliqué, je connais les contraintes d'élaboration des textes financiers, et refuser de rendre l'avis, cela ne me parait pas une solution, ce serait une forme de renoncement. Mieux vaut faire pression sur les ministères pour que le délai soit allongé, et vous avez votre rôle à jouer en la matière ; ensuite il faut compter sur l'intelligence et la célérité du HCFP, qui fait toujours au mieux, avec son équipe. Je ne vois pas l'intérêt de recourir aux cabinets de conseil, le HCFP a des moyens, il peut auditionner en tant que de besoin et il a toute latitude pour conduire ses travaux.

La loi de programmation et le pacte de stabilité sont liés, effectivement. L'idée, c'est de raccorder les lois de finances et de financement au pacte de stabilité, via la loi de programmation et c'est un progrès en cela. Cependant, les textes n'ont pas le même statut, puisque le pacte de stabilité est un engagement de la France à l'égard de ses partenaires européens, tandis que les lois de finances et la loi de programmation relèvent de la procédure budgétaire nationale. Je crois que la connexion est intéressante, et qu'il ne faut pas y renoncer.

La dette engage la soutenabilité des finances publiques, il faut regarder le sujet, notre endettement, public et privé, a effectivement augmenté, la remontée des taux entraine des risques sur les finances publiques - il faut éviter un emballement, nous n'y sommes pas et il faut regarder ce qu'on peut faire à moyen terme, pour prendre les mesures propres à rendre l'environnement financier lisible par les acteurs économiques et sociaux.

Les chiffres ne sont pas neutres, effectivement, la statistique publique doit répondre à la demande sociale d'information, il y a un dialogue avec la société civile : l'enjeu démocratique est important.

En 1997, le cadre budgétaire européen était simple, mais pas adapté à l'économie ; il a été modifié, mais au prix d'un empilement de règles, de négociations, et nous en sommes arrivés à un cadre complexe qui ne répond plus aux objectifs assignés. Les propositions de la Commission européenne pour le changer me semblent aller dans le bon sens, il faut faire plus simple, prendre en compte la situation de chaque État membre, allonger les calendriers, mieux considérer l'endettement à moyen terme - tout ceci pour revenir à l'essentiel : la dépense publique et les prélèvements obligatoires, en prenant en compte les investissements jugés nécessaires. Nous savons depuis le départ que la prise en compte du déficit courant biaisait l'appréciation et qu'il fallait inclure les investissements, le sujet revient dans l'actualité et c'est une bonne chose.

Les données numériques changent-elles la vision des finances publiques ? Elles donnent un accès à de l'information plus précise, améliorent la prévision économique et financière, on l'a vu pendant la crise sanitaire. Sur l'euro, je dirais qu'actuellement, on mesure bien l'apport de la monnaie intégrée, une monnaie de puissance à puissance - et je crois qu'on mesure qu'il vaut mieux être dedans, que dehors.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour cette audition. Je précise à chacun que Sandrine Duchêne m'a parue avoir au moins deux qualités essentielles pour ce poste : la technicité, c'est très important pour une telle institution, il y a des prérequis pour comprendre ce dont on parle ; et un parcours diversifié, en particulier son poste actuel, plus économique, où elle a pu mesurer les conséquences des décisions publiques. Je pense - et j'espère - qu'avec elle, nos très bonnes relations de travail avec le HCFP pourront se poursuivre.

La réunion est close à 9 h 20.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Mesures budgétaires et fiscales mises en oeuvre pour répondre à la crise des prix de l'énergie - Audition de MM. Matthieu Deconinck, sous-directeur chargé de la fiscalité des transactions, fiscalité énergétique et environnementale à la direction de la législation fiscale, et Timothée Furois, sous-directeur des marchés de l'énergie à la direction générale de l'énergie et du climat

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à notre audition destinée à faire le point sur les mesures budgétaires et fiscales mises en oeuvre pour répondre à la hausse des prix de l'énergie.

Après la crise sanitaire et ses répercussions sur l'économie, les ménages et les entreprises ont en effet dû affronter un nouveau péril, celui de la crise des prix de l'énergie. Dans la foulée de la flambée des prix du gaz, et en raison des modalités de formation des prix sur le marché européen, les prix de l'électricité se sont envolés pour atteindre des niveaux sans précédent. En France, cette situation a été aggravée par des productions d'électricité nucléaire et hydraulique historiquement faibles. Ainsi, et pour la première fois depuis quatre décennies, sur le marché européen de l'énergie, la France a été importatrice nette d'électricité en 2022.

Face à cette situation, l'État ne pouvait rester sans réaction et, une nouvelle forme de « quoi qu'il en coûte », non plus sanitaire mais cette fois-ci énergétique, a été déployée à travers une série de mesures budgétaires, dont les premières ont été votées dès la fin de l'année 2021 : boucliers tarifaires 2022 puis 2023 sur les prix du gaz et de l'électricité, « amortisseur » et même désormais « sur-amortisseur » relatifs aux contrats de fourniture d'électricité des TPE/PME, remise puis indemnité carburant, chèques énergies exceptionnels, chèques fioul domestique, chauffage au bois, etc.

Le coût total de ces mesures se chiffre en dizaines de milliards d'euros. Pour 2023, le coût des boucliers tarifaires à eux seuls a été évalué à environ 50 milliards d'euros en fin d'année dernière.

La taxation des « superprofits » a également suscité de nombreux débats. Si les mesures votées en loi de finances pour 2023 ne vont pas aussi loin que ce que certains d'entre nous auraient souhaité, cette année doit cependant voir se déployer deux contributions temporaires destinées à capter les bénéfices exceptionnels engrangés, du fait d'effets d'aubaine liés à la crise, par certains acteurs du secteur énergétique.

La contribution sur la rente inframarginale d'électricité (CRI) ainsi que la contribution temporaire de solidarité (CTS), parfois appelée « taxe Total », sont ainsi les déclinaisons nationales des dispositifs fiscaux européens prévus par un règlement d'octobre 2022.

Au regard des enjeux, avec le Rapporteur général et au nom de la commission des finances, nous avons souhaité conduire un suivi et un contrôle détaillé de la mise en oeuvre de ces mesures fiscales et budgétaires. Les ministères économiques et financiers nous ont promis un compte-rendu mensuel sur ces dispositifs. Nous sommes toujours dans l'attente de ces éléments.

Dans l'immédiat et pour répondre à nos interrogations, je remercie vivement Messieurs Matthieu Deconinck, sous-directeur chargé de la fiscalité des transactions, de la fiscalité énergétique et environnementale à la direction de la législation fiscale (DLF) et Timothée Furois, sous-directeur des marchés de l'énergie de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) de s'être rendus disponibles pour cette audition.

Sans plus attendre, je vous cède la parole, Monsieur Timothée Furois, pour que vous puissiez nous présenter les dernières évolutions et perspectives relatives aux prix de l'énergie ainsi qu'un premier bilan et une actualisation des coûts des mesures budgétaires mises en oeuvre pour soutenir les ménages et les entreprises. Certains dispositifs ont en effet été récemment renforcés pour mieux protéger les TPE grosses consommatrices d'électricité, en particulier dans le secteur de la boulangerie.

M. Timothée Furois, sous-directeur de l'énergie à la direction générale de l'énergie et du climat- À partir de l'été 2021, les prix du gaz ont commencé à augmenter, entraînant une hausse des prix de l'électricité, ce qui a conduit le Gouvernement à prendre plusieurs mesures exceptionnelles. Un chèque énergie exceptionnel a été mis en place en septembre 2021. Mais la hausse des prix s'est accentuée au fil des mois, en raison notamment de la guerre en Ukraine.

Plusieurs mesures successives ont été prises. En novembre 2021, le gel des tarifs réglementés d'Engie a été décidé par décret. Le projet de loi de finances 2022 a instauré un bouclier tarifaire sur l'électricité et le gaz : le gel des tarifs réglementés d'Engie à leur niveau d'octobre 2021 a été inscrit dans la loi. Ce mécanisme est toujours en place aujourd'hui : une compensation est versée aux fournisseurs qui est égale à l'écart entre le niveau du tarif réglementé qui aurait été atteint sans gel tarifaire, en fonction de l'évolution du prix du gaz sur les marchés, et le niveau du tarif gelé. Ce dispositif est en place depuis novembre 2021 pour le gaz et le 1er février 2022 pour l'électricité.

Ces dispositifs ont évolué. Pour le gaz, les seules offres éligibles à l'origine étaient les offres indexées sur les tarifs réglementés de vente (TRV), car on pensait qu'après un pic pendant l'hiver, les prix allaient baisser ensuite, mais la guerre en Ukraine a changé la donne et les prix ne sont pas redescendus. Le dispositif a alors été prolongé et élargi aux offres à prix fixe.

Ainsi, pour le gaz, le bouclier tarifaire a été prolongé par la loi de finances rectificative pour 2022 et par la loi de finances pour 2023 jusqu'au 30 juin 2023. Au second semestre, le mécanisme ne reposera plus sur les tarifs réglementés de vente du gaz, qui vont disparaître, mais sur une autre référence d'approvisionnement, sur laquelle la Commission de régulation de l'énergie (CRE) s'est prononcée au début de l'année. Le principe restera le même et repose aussi sur une compensation versée aux fournisseurs entre le prix théorique du marché et un prix bloqué. La différence est que le nouveau dispositif est un plafond, les fournisseurs ayant obligation de répercuter l'aide si le prix de marché dépasse le prix bloqué de référence.

Les prix du gaz et de l'électricité qui ont atteint un sommet à l'été 2022 ont baissé, si bien que le niveau du tarif réglementé du gaz non gelé se rapproche du niveau du tarif réglementé gelé. Les dépenses pour le gaz s'avèrent finalement plus faibles qu'escompté à l'automne, lorsque le projet de loi de finances a été adopté.

Des dispositifs similaires ont été mis en place pour l'électricité. Un bouclier tarifaire a été conçu dès l'origine pour couvrir toutes les offres de marché pour les clients éligibles aux TRV : les particuliers, les entreprises qui emploient moins de 10 personnes avec un chiffre d'affaires inférieur à 2 millions d'euros, les collectivités, etc. Il consiste, comme pour le gaz, en une compensation entre le tarif réglementé non gelé et le prix du tarif réglementé gelé, dont la hausse a été bloquée à 4 % à partir du 1er février 2022 et à 15 % en 2023.

Les ménages vivant en habitat collectif n'ont pas toujours de contrat direct avec un fournisseur de gaz ou d'électricité, celui-ci étant souscrit par la copropriété ou le bailleur. Leur facture d'énergie est incluse dans leurs charges ; ils n'étaient donc pas éligibles directement au bouclier tarifaire. Il a été donc mis en place des boucliers tarifaires pour l'habitat collectif pour le gaz et l'électricité au profit des opérateurs qui doivent répercuter les aides en baissant les charges des résidents. Ces dispositifs collectifs ont pour particularité, à la différence de ceux institués en loi de finances qui ont un effet direct sur la facture d'énergie des ménages, d'être des aides ex-post, gérées par l'agence de services et de paiement (ASP) : l'aide est versée pour le semestre écoulé sur demande des fournisseurs. Ces derniers font les démarches, répercutent les aides sur la facture des bailleurs ou des copropriétés, qui les déduisent ensuite des charges payées par les ménages.

Outre les différents boucliers tarifaires, plusieurs chèques énergie exceptionnels ont été mis en place : un en 2021, puis plusieurs en 2022 : un chèque énergie exceptionnel pour 12 millions de ménages en 2022, un chèque pour les ménages qui se chauffent au bois, un autre pour ceux qui se chauffent au fioul.

Pour les entreprises, un amortisseur électricité a été prévu par l'article 181 de la loi de finances pour 2023. Il consiste en une réduction de prix pour certains clients professionnels : les PME, les TPE, les structures de taille équivalente à celle des TPE, les structures dont les recettes sont majoritairement publiques, et les collectivités locales. L'État prend en charge, pour 50 % des volumes d'électricité consommée, l'écart entre le prix de l'énergie du contrat et le tarif de 180 euros par mégawattheure ; pour les TPE, le prix moyen de l'électricité est ainsi plafonné à 230 euros par mégawattheure hors tarif d'utilisation du réseau public d'électricité Turpe et hors taxe, ce qui fait l'équivalent d'un prix maximum de 280 euros par mégawattheure dont on entend communément parler. Ce dispositif sera valable durant toute l'année 2023. Les clients doivent se signaler, en attestant qu'ils appartiennent à l'une des catégories éligibles, auprès de leurs fournisseurs, qui appliquent alors la réduction directement sur leur facture. Le nombre d'attestations collectées est supérieur à 850 000 et les fournisseurs ont déjà commencé à répercuter les baisses sur les factures.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous des données budgétaires ? Ces dispositifs coûtent-ils plus ou moins cher que prévu ? Nous n'avons pas eu la chance de bénéficier d'estimations officielles de la part du Gouvernement et je pense que notre rapporteur général et notre rapporteur spécial souhaiteront en savoir un petit peu plus.

En attendant, je cède la parole à M. Deconinck, pour qu'il nous renseigne sur les dispositifs fiscaux, la contribution sur la rente inframarginale de production d'électricité (CRI) et la contribution temporaire de solidarité (CTS), votés en loi de finances pour 2023 dans le contexte du règlement européen d'octobre 2022 et de la crise des prix de l'énergie.

M. Matthieu Deconinck, sous-directeur chargé de la fiscalité des transactions, de la fiscalité énergétique et environnementale à la direction de la législation fiscale. - La fiscalité a fait partie des outils utilisés pour gérer la crise de l'énergie.

Les taux de l'accise sur l'électricité ont ainsi été baissés à leur niveau minimal possible, tant pour les particuliers, que pour les professionnels et une grande partie de l'industrie.

Deux dispositifs ont été pris en application du règlement européen adopté dans l'urgence en octobre 2022.

Le premier est la contribution de solidarité sur les opérateurs pétroliers. Mais les raffineries situées en France ont enregistré des pertes les années précédentes et le rendement du dispositif est donc faible, d'autant plus que Total réalise la majeure partie de ses bénéfices en dehors de France.

Le second dispositif, plus massif, est un dispositif de régulation des revenus tirés de la vente d'électricité, que nous avons transcrit en un dispositif fiscal, la CRI, qui consiste en un plafonnement des recettes issues du marché à 180 euros par mégawattheure pour les producteurs d'électricité ; les règles européennes interdisaient de plafonner les prix, mais le règlement d'octobre 2022 autorisait un plafonnement des revenus perçus au-delà de ce seuil.

Le dispositif français a été plus étendu et plus fort que celui prévu au niveau européen : il s'applique non pas sur une période de 7 mois, de décembre 2022 à l'été 2023, mais sur une période plus longue de 18 mois, à partir de juillet 2022, pour répondre au problème de la résiliation en masse de contrats d'achat d'électricité, phénomène sur lequel la Commission de régulation de l'énergie (CRE) avait alerté le Gouvernement et qui avait des conséquences sur les finances publiques.

Le droit européen prévoyait un seuil uniforme de 180 euros par mégawattheure. Nous avons retenu des seuils inférieurs, différenciés en fonction des technologies, autour de 100 euros par mégawattheure en moyenne. Nous avons aussi choisi de taxer les énergies fossiles, car, en France, le prix de l'électricité fabriquée à partir du gaz fait l'objet d'une certaine décorrélation par rapport au coût du gaz, comme l'a montré la CRE. Or, en raison d'effets de marché et de la baisse de la production du parc nucléaire, on a observé des effets de rente inframarginale pour les producteurs d'électricité à partir de gaz naturel. C'est pourquoi ces producteurs ont été inclus dans le champ de la contribution.

Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial. - Nous attendions des éléments chiffrés. Nous avons été surpris des chiffrages fournis par le Gouvernement sur certains de nos amendements et sous-amendements relatifs à la CRI lors de l'examen du projet de loi de finances. J'espère que vous pourrez nous transmettre des chiffres sur les recettes escomptées. Nous aimerions aussi connaître le nombre d'installations qui sont sorties du dispositif d'obligation d'achat d'électricité avant la fin de leur contrat ? Ce mouvement s'est-il accéléré au moment de la mise en place de la CRI ?

Lors des discussions du projet de loi de finances, nous avions signalé des lacunes dans le dispositif, concernant par exemple les habitats collectifs, les boulangers, etc. Avez-vous connaissance d'autres secteurs qui auraient été oubliés ? Quels mécanismes correctifs seraient possibles ?

Les dispositifs d'aide sont-ils bien connus des bénéficiaires ? Le taux de recours au chèque énergie, pourtant ancien, est de 87 % les meilleures années. Les chèques se sont multipliés : pour le chauffage au bois, au fioul, etc. Quel est le taux de recours à ces chèques ?

Les consommateurs n'ont plus intérêt à avoir un tarif « vertueux » de l'électricité, avec des prix différents en fonction des heures pleines et des heures creuses, puisque ceux qui ont ce type de contrats ont subi en 2022 une hausse des prix de 11 %, quand la hausse pour les titulaires d'un contrat classique a été limitée à 4 %. Dans le cadre de l'application du bouclier tarifaire 2023 cette question devait être corrigée. Est-ce bien le cas ?

Enfin, s'agissant des aides aux collectivités, une circulaire précise que le seul compte retenu sera le compte énergie ; mais toutes les structures qui consomment beaucoup d'électricité, comme les piscines par exemple, ne sont pas gérées en régie et leurs dépenses transitent non pas alors par le compte énergie, mais par des comptes de subvention. Dans ce cas, les surcoûts ne seront pas pris en charge par l'amortisseur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Gouvernement n'a pas été à la hauteur de nos attentes. Il nous a demandé de légiférer dans l'urgence sur ces différents points, et en particulier le 2 décembre. Nous lui avons fait confiance. Il s'était engagé à faire des points de suivi mensuels des dispositifs, mais il n'y en a pas eu ! Nous manquons de données pour évaluer l'efficacité des dispositions votées, notamment de la remise et de l'indemnité carburant. Combien de personnes ont pu bénéficier de cette dernière aujourd'hui ? Quel est le taux de non-recours ? Il n'est pas normal que la presse soit mieux informée que la représentation nationale !

Beaucoup de petites entreprises - boulangers restaurateurs, etc. - sont en grande difficulté, car elles ne sont pas éligibles aux tarifs réglementés et subissent l'envolée des prix de l'énergie. Les fournisseurs d'électricité leur ont parfois fait des offres les liant pour trois ans, mais à des prix inabordables. Certaines entreprises risquent de déposer le bilan uniquement pour cette raison. Lorsque ces propositions émanent de fournisseurs contrôlés en partie par l'État, cela me surprend... Dans quelles conditions les entreprises peuvent-elles sortir de ces contrats ? Comment les aider ?

Comment se passe la mise en oeuvre de la CRI ? Le dispositif a-t-il trouvé sa vitesse de croisière ?

Le rendement prévisionnel de la contribution temporaire de solidarité (CTS) a donné lieu à de nombreux débats entre Bercy et l'Institut des politiques publiques (IPP). L'écart entre les prévisions, 200 millions d'euros d'un côté et 7 milliards d'euros de l'autre, est important. De même, l'évaluation par le Gouvernement du coût d'un sous-amendement de Mme Lavarde sur le dispositif de la contribution sur la rente inframarginale lors du projet de loi de finances était passée d'1 milliard d'euros à 6 milliards d'euros du jour au lendemain, sans explication. Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons qui expliquent de tels écarts, nous préciser le rendement attendu actualisé de cette contribution, le détail des secteurs qu'elle va cibler et dans quelle proportion, ainsi que sa répartition entre les principaux contributeurs, notamment entre Total Énergies et les autres raffineurs actifs sur le territoire national ?

M. Matthieu Deconinck. - Je répondrai sur le volet recettes. La CRI a été créée au débotté, sous la pression européenne. Nous devions mettre en oeuvre un dispositif opérationnel rapidement. Les modalités de déclaration et d'acquittement de la taxe par les producteurs d'électricité sont simples : elles consistent en une annexe à la déclaration de TVA. Les textes réglementaires sont en voie d'élaboration. Une concertation avec les professionnels est en cours. Une première déclaration suivie d'un paiement pourrait intervenir en juillet 2023, un acompte pourrait être versé à la fin de l'année 2023, tandis que le règlement final interviendrait en juillet 2024. C'est après ces échéances que nous disposerons des chiffres sur le rendement effectif de la CRI. Le Sénat qui souhaitait disposer d'un détail par filière a été entendu. Nous menons des concertations avec les professionnels à ce sujet. Cela suppose des ajustements informatiques pour pouvoir faire apparaître les différentes filières technologiques sur la déclaration.

En ce qui concerne la mise en oeuvre, la DGEC réfléchit avec la CRE et Réseau de transport d'électricité (RTE) pour savoir comment traiter les revenus de RTE. La question est complexe. Il s'agit de ne pas mettre en danger la sécurité du réseau. La loi prévoit que le Gouvernement peut prendre un arrêté sur ce sujet. Mais il semble que la loi a été bien rédigée et que des ajustements ne seront pas nécessaires.

Un autre volet qui a donné lieu à des réflexions intenses est celui de la taxation de l'électricité produite à partir des déchets. Le droit européen nous impose de l'inclure dans le dispositif, mais nous devons faire en sorte que l'État ne prélève pas une rente captée par les collectivités pour financer les services de gestion des déchets. Je note que le dispositif a été nettement amélioré lors de la discussion au Sénat. Les échanges avec les collectivités locales ont été nombreux sur ce point et se poursuivent.

Nous avons ainsi donné la priorité à la sécurité du réseau et à la clarification du cadre en vigueur pour les collectivités territoriales. Quant au volet relatif à la déclaration, à la collecte et au paiement de la taxe, tout n'est pas encore finalisé.

Depuis que la loi a été votée, le marché s'est retourné. L'impact de ce mouvement sur le rendement de la CRI est difficile à apprécier. La contribution est assise sur toutes les ventes d'électricité livrée en 2023, ce qui inclut des ventes conclues en 2022 et une partie de celles qui auront lieu en 2023. Le retournement du marché concerne cette dernière part. Pour l'évaluer, il faut faire des simulations pointues en fonction des stratégies des acteurs, apprécier dans quelle mesure les acteurs ont choisi de vendre leur électricité par anticipation, etc. C'est d'autant plus difficile à estimer que nous manquons de recul, les acteurs confrontés à une situation inédite ont dû prendre des décisions exceptionnelles. Nous ne pouvons pas vous donner de chiffres précis à ce stade. Nos estimations, qui impliquent de définir des scénarios économiques pointus sur le comportement des acteurs, ne sont pas finalisées. Je pense que nous disposerons de plus d'éléments lors de la prochaine réunion du Haut Conseil des finances publiques.

M. Claude Raynal, président. - Si je comprends bien, l'engagement du Gouvernement de nous fournir des chiffres mois par mois a été un peu rapide !

M. Matthieu Deconinck. - Il ne concernait pas la fiscalité. Les deux taxes sont perçues en une seule fois sur une base annuelle. Nous n'avons donc pas de chiffres mensuels.

M. Timothée Furois. - La CRE a examiné ces dispositifs dans le cadre de ses dernières délibérations. Dans le projet de loi de finances initiale, le coût du bouclier tarifaire était estimé à 45 milliards d'euros, pour 36 milliards d'euros de recettes liées au mécanisme de compensation des charges de service public de l'énergie (CSPE) relatif aux producteurs d'énergies renouvelables. En ajoutant les 3 milliards d'euros permettant de tenir compte des dépenses résiduelles de la CSPE dues au titre de l'année 2022, on obtient le solde initial de 12 milliards d'euros du programme 345 « Service public de l'énergie ». Lors de l'examen parlementaire, l'amortisseur électricité a été ajouté, pour un coût estimé à 3 milliards d'euros. Parallèlement, la CRE a révisé à 32 milliards d'euros ses estimations de recettes de CSPE pour 2023. Il a fallu aussi prendre en compte l'élargissement des boucliers à l'habitat collectif. Si l'on ajoute le coût - 2 milliards -, des amendements adoptés, on obtient ainsi environ 50 milliards de dépenses, pour un solde du programme 345 de 21 milliards d'euros environ.

Les estimations de la CRE sont provisoires. Elles reposent sur des projections de prix et de portefeuilles, qui peuvent évoluer : les fournisseurs ont dû déclarer à la CRE leurs charges estimatives pour 2023 en janvier avant que leurs clients n'aient pu leur déclarer s'ils étaient éligibles à l'amortisseur. Un fournisseur n'a pas les moyens de savoir avec certitude si un client est éligible ou non à l'amortisseur. Leurs estimations sont donc indicatives.

Dans les dépenses pour 2023, figure un reliquat de dépenses au titre de 2022, car cette année-là les dépenses au titre des boucliers ont été faibles : des acomptes sur le bouclier électricité pour 122 millions d'euros, et sur le bouclier gaz pour 580 millions, et le paiement, pour la période de novembre 2021 à juin 2022, du bouclier collectif sur le gaz à hauteur de 590 millions d'euros. Les montants du bouclier gaz pour l'année 2022 ont été estimés par la CRE en novembre dernier à 3,5 milliards d'euros : si l'on retranche l'acompte déjà versé, il reste donc 3 milliards d'euros à payer.

L'évaluation du bouclier pour l'habitat collectif est délicate, car ce mécanisme est applicable ex post : le montant pour le premier semestre, entre novembre 2021 et juin 2022, s'élève à 590 millions d'euros. Le montant pour le second semestre 2022 n'est pas encore connu ; les dépôts de dossiers sont possibles jusqu'au 1er juillet dans certains cas : c'est à ce moment que l'on connaîtra le montant des boucliers collectifs pour 2022. On estime que le coût serait de 3 milliards d'euros pour le second semestre.

J'en viens aux dispositifs pour 2023, qui ont fait l'objet d'une délibération de la CRE au début de l'année. Les chiffres sont inférieurs aux estimations initiales. Le montant du bouclier électricité individuel s'établit selon la CRE autour de 24 milliards d'euros, un petit peu moins que l'estimation contenue dans le projet de loi de finances. L'écart est nettement plus élevé pour le bouclier gaz individuel, dont le coût est estimé par la CRE à 1,8 milliard d'euros pour le premier semestre, là où le projet de loi de finances comportait une prévision de 18 milliards d'euros pour 2023.

Le mécanisme de l'amortisseur a évolué depuis le projet de loi de finances initiale, car l'amortisseur spécifique aux TPE a été ajouté en février. La CRE estime que le dispositif coûtera 3,67 milliards d'euros en 2023, dont 600 millions pour les TPE. C'est assez proche de l'estimation fournie lors de la présentation du projet de loi de finances.

Tels sont les chiffres fournis par la CRE en février. Ils sont évidemment susceptibles d'évoluer en fonction des prix et des volumes consommés.

En contrepartie, les recettes tirées de la CSPE seront moins fortes que le montant de 32 milliards d'euros évalué par la délibération de la CRE en novembre dernier, en raison des prix plus faibles de l'électricité. Il est plus difficile d'estimer les recettes réelles liées à la CSPE en 2023, sachant que l'évaluation de leur montant fera de nouveau l'objet d'une délibération de la CRE en juillet prochain.

Après avoir répondu aux questions relatives aux dépenses, j'en viens à celles que vous m'avez adressées sur les « trous dans la raquette » et les évolutions de ces dispositifs.

Tout d'abord, les habitats collectifs chauffés à l'électricité n'étaient initialement pris en charge par aucun dispositif. C'est désormais le cas, à la suite de la publication de décrets le 30 décembre dernier, qui s'appliquent au second semestre 2022 pour l'habitat collectif qui utilise de l'électricité et pour l'année 2023. Les structures juridiques éligibles à ce dispositif sont les mêmes que celles qui sont éligibles au dispositif relatif à l'habitat collectif qui se chauffe au gaz.

D'ailleurs, la liste des types d'habitats collectifs chauffés au gaz éligibles à un tel dispositif a été progressivement élargie. À partir du 1er juillet 2022, ont été ajoutés à cette liste les casernes de gendarmerie, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les logements en intermédiation locative. D'autres organismes ont été ajoutés en janvier 2023, notamment des structures de l'aide sociale à l'enfance et des établissements de protection judiciaire de la jeunesse, car ils avaient été omis dans les premiers dispositifs. Ainsi, le périmètre du bouclier collectif gaz a été ajusté et complété au fil du temps. Le dispositif électricité, qui a été mis en oeuvre à sa suite, reprend ce périmètre.

De plus, les boucliers tarifaires pour les particuliers, qui s'appliquent automatiquement, fonctionnent assez bien. L'amortisseur électricité a été mis en oeuvre dans des délais très contraints - il a pris effet le 1er janvier dernier alors qu'il a été voté dans la loi de finances pour 2023. Les fournisseurs ont dû réaliser un travail informatique considérable pour que le dispositif soit mis en oeuvre dans les premières facturations de l'année 2023. À mon sens, c'est une belle réussite. Selon les projections des fournisseurs, il resterait néanmoins des entreprises éligibles à ce dispositif qui n'y ont pas encore eu recours..

Enfin, le taux d'usage du chèque énergie est évalué à la fin de la campagne, qui dure un an. Aussi, le taux d'usage des chèques qui ont été attribués en toute fin d'année dernière, voire au début de cette année, en ce qui concerne le chèque énergie exceptionnel, ne peut pas être comparé à celui d'une campagne arrivée à son terme. Pour autant, à l'heure actuelle, il est d'un peu plus de 57 %. En ce qui concerne les chèques énergie fioul et bois, le ratio entre le nombre de personnes ayant effectivement bénéficié des chèques et le nombre de personnes éligibles est plus faible. L'enjeu serait de maintenir le portail ouvert plus longtemps et de renforcer la communication auprès des ménages.

M. Arnaud Bazin. - Alors que le bouclier tarifaire a pour objet d'aligner le prix pratiqué pour la fourniture de gaz vers le prix réglementé, j'ai constaté que la facture de gaz d'un ensemble de mille logements sociaux a augmenté de 1 million d'euros, mais que le montant de l'aide s'élèverait à 250 000 euros, selon les prévisions du gestionnaire. Comment comprendre cette situation ?

M. Sébastien Meurant. - Nous en sommes arrivés à nous demander combien coûtent et rapportent de tels dispositifs, car le fonctionnement du marché de l'électricité, qui était très bien - EDF fixait les prix -, est devenu ubuesque, à cause des règles européennes adoptées. Or vous nous dites qu'il n'est même pas possible d'avoir la réponse à une telle question !

Le dispositif du tarif réglementé sur le gaz pour les particuliers va prendre fin à partir du mois de juin. Par ailleurs, les factures d'énergie des entreprises ont explosé, ce qui leur pose un véritable problème de compétitivité.

Aujourd'hui, on exporte de l'électricité et on importe de l'électricité fabriquée au charbon depuis l'Allemagne, car elle est moins chère. Le système est ubuesque !

M. Charles Guené. - L'application des textes dans les communes n'est pas aussi simple qu'on ne l'aurait espéré : certaines communes sont en dessous des seuils, d'autres doivent prendre des options avant certaines dates, etc.

Est-ce qu'une cellule dédiée s'occupe, au sein de vos services, des difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales au regard de l'application de ces textes ?

M. Vincent Segouin. - Total a fait des recettes exceptionnelles - quelque 37 milliards d'euros - après avoir, d'abord, acheté de l'électricité à des prix relativement bas à EDF et l'avoir, ensuite, vendue à EDF à des prix relativement haut, tandis qu'EDF a revendu cette électricité à des particuliers à des prix plafonnés, ce qui a entraîné pour EDF un déficit de quelque 7 milliards d'euros, une entreprise qui est désormais rachetée par l'État et donc par de l'argent public.

Comment une telle situation est-elle possible ? Quels sont les paramètres pour ne jamais la revivre ?

Par ailleurs, est-ce que le personnel d'EDF a les mêmes compétences que celui de Total ?

M. Claude Raynal, président. - Cette question pourrait davantage être adressée au ministre chargé de l'énergie qu'aux représentants de l'administration que nous entendons ce matin.

M. Christian Bilhac. - Nous avons évoqué à plusieurs reprises la complexité de ces sujets. Il y a des « trous dans la raquette » : par exemple, les problèmes rencontrés par les boulangers ont été abordés à plusieurs reprises.

Aussi, j'espère que nous pourrons rétablir la lumière et voir plus clair sur ces sujets - c'est le cas de le dire -, car je suis toujours dans le noir. Pour l'instant, nous n'avons guère plus de lisibilité sur le solde de ces dispositifs qu'au moment où nous les avons votés.

M. Claude Raynal, président. - Si l'on regarde les points positifs - les économies réalisées par l'État en raison de la baisse du prix du gaz - et les points négatifs - la baisse du rendement prévisionnel de la rente inframarginale -, on pourrait se demander quelle est la nature du risque pour le budget. La dépense a-t-elle été surévaluée ? Ou, au contraire, pourrait-il être nécessaire de procéder à une rallonge budgétaire ?

M. Matthieu Deconinck. - Sur cette question, le bilan global n'a pas été réalisé. Pour autant, on peut garder à l'esprit que les recettes sont davantage assises sur les prix spot, c'est-à-dire les prix de l'année 2023, afin de limiter les surmarges. Les dépenses, qui sont en grande partie liées à la vente en avance de l'électricité, ont moins supporté les effets de marché. Le volet recettes est ainsi plus volatile que le volet dépenses. Voilà ce que je peux vous dire, en l'état des calculs.

M. Timothée Furois. - La corrélation entre les dépenses de gaz et les recettes d'électricité de CSPE est très bonne, car elles sont liées aux évolutions du marché à court terme. Les factures de gaz des clients sont structurellement plus dynamiques, alors que celles d'électricité, en raison de l'inertie du tarif de l'électricité, dans la mesure où les tarifs réglementés de vente d'électricité sont construits sur un approvisionnement qui s'échelonne sur vingt-quatre mois, sont beaucoup moins sensibles aux évolutions du prix à court terme.

Monsieur Bazin, nous pourrons examiner votre exemple précis, mais à première vue, si le prix antérieur résultait d'un contrat signé en 2020, il devrait y avoir une hausse entre le tarif réglementé gelé et le prix de 2021, puisque, entre ces deux moments, il y avait déjà eu une hausse importante du prix sur les marchés.

Par ailleurs, le dispositif ne tend pas à aligner tous les contrats au niveau du tarif réglementé gelé. Mais chacun bénéficie de la même aide, qui consiste à soustraire le tarif réglementé gelé au tarif réglementé non gelé. Ainsi, le prix in fine n'équivaut pas nécessairement à celui du tarif réglementé gelé. Mais ceux qui ont signé des contrats au second semestre 2022 à prix fixe peuvent être confrontés à des niveaux de prix élevés. Par rapport à sa conception initiale, le dispositif a été complété pour les contrats signés au second semestre 2022 d'une aide complémentaire, qui permet de réduire un peu plus leur facture - au-delà d'un certain montant, l'État prend en charge 75 % du surcoût.

Sur la question de la révision des conditions contractuelles, je rappelle que les particuliers ont le droit de résilier un contrat à tout moment, mais pour les autres s'applique le droit contractuel classique, si je puis dire, c'est-à-dire que les parties sont liées par leur contrat. Si le cadre légal permettait de résilier tous les contrats - il serait déjà compliqué d'intervenir sur des contrats en cours -, le fournisseur ne pourrait lui non plus s'engager sur des prix ; tout le monde serait libre de partir à tout instant : si les prix montent, c'est un inconvénient pour le client et s'ils baissent, c'est un inconvénient pour le fournisseur. Aucune solution ne permet à la fois de garantir le prix et de résilier le contrat quand on le souhaite, à moins de payer très cher la garantie de prix !

M. Matthieu Deconinck. - Sur la question relative aux marges réalisées à la suite de l'achat et de la revente d'électricité par Total et sur les moins-values d'EDF, je rappelle que la contribution sur la rente inframarginale vise tous les producteurs et prend en compte tous les achats et ventes qu'ils réalisent, y compris l'achat d'électricité que l'entreprise n'a pas produite, mais qu'elle revend.

Ainsi, les moins-values très importantes réalisées par EDF, parce qu'elle a acheté de l'électricité à un prix élevé à Total et à beaucoup d'autres entreprises, et qu'elle l'a revendue très peu cher, sont prises en compte de façon négative dans la liquidation de la CRI et contribuent à diminuer considérablement le prélèvement dû par l'opérateur.

À l'inverse, les marges très importantes réalisées par un producteur qui revend très cher de l'électricité qu'il a achetée peu cher, sont prises en compte dans les revenus soumis à la CRI. Ce dispositif, même s'il reste fruste, est plutôt adapté aux effets liés à l'achat et à la revente d'électricité - je ne parle pas des revenus pétroliers réalisés hors de France.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et de nous avoir livré vos analyses sur un sujet complexe et technique.

Nous comprenons qu'il est difficile de faire le bilan de tels dispositifs et, par là même, de ne pas disposer d'informations mensuelles sur l'évolution de ces dispositifs. Nous poursuivrons, tout de même, nos demandes !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 heures.