Mardi 24 janvier 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de Dominique Estrosi Sassone sur la proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis de l'intégralité du texte de cette proposition de loi, qui a été déposée par le député Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Se saisir pour avis de l'intégralité d'un texte - sans qu'aucune disposition soit déléguée au fond à notre commission - est une situation assez inhabituelle. Cela s'explique par l'enchevêtrement des dispositifs concernant le logement avec les questions de droit pénal et de procédure civile d'exécution, qui toutefois prédominent, d'où le renvoi au fond à la commission des lois.

Je remercie chaleureusement André Reichardt, rapporteur au fond pour la commission des lois : nous avons pu croiser nos regards et nos expériences, tout en menant la quasi-totalité des auditions en commun, et, in fine, être d'accord sur tout. Certains de nos amendements sont identiques ; d'autres, différents, relèvent de nos compétences respectives, mais tous ont été déposés dans une entente parfaite.

Dans un souci de rééquilibrage face à des procédures inextricables et afin de garantir que « force reste à la loi » devant la violence des squatteurs et des occupations illicites, la proposition de loi opère parfois un rapprochement trop rapide entre les squatteurs et les locataires en difficulté qui ont besoin d'un accompagnement précoce et adapté.

Nous avons accompli un travail de démêlage avec André Reichardt. Pour résumer les choses avec une formule à succès : nous avons voulu être gentils avec les gentils et méchants avec les méchants. Nous souhaitons ainsi être plus stricts contre les squatteurs et les locataires de mauvaise foi abusant des procédures, mais aussi préserver les droits des locataires victimes d'accidents de la vie et leur assurer un meilleur accompagnement social sans en faire porter le poids aux propriétaires.

Il convient d'établir une distinction claire entre squatteurs et locataires en difficulté. Le squat de domicile est un véritable viol de l'intimité. Il doit être réprimé sans faiblesse, mais sans adopter une vision étriquée : un accédant à la propriété ou un attributaire de logement social peut se voir priver de la jouissance de son futur logement, alors qu'il doit en supporter la charge. Ces personnes méritent elles aussi d'être protégées, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Aujourd'hui, le phénomène de squat est rare. Depuis l'adoption de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), il est prévu une procédure accélérée permettant le recours à la force publique sous quarante-huit heures en vue d'exécuter une décision d'expulsion. Selon les chiffres qui nous ont été communiqués, il y aurait eu, en 2021, environ 160 saisines des préfets. Pas moins de 70 % des demandes sont acceptées. Pour les autres, le refus s'explique ainsi : soit il ne s'agit pas d'un domicile, soit il est impossible de reloger aussi rapidement des publics fragiles comme des familles avec enfants. Dans la très grande majorité des cas, l'évacuation est acceptée, une fois que le préfet a pris la décision d'expulsion. Il n'y aurait eu qu'environ quarante cas d'intervention effective de la force publique.

Il arrive que les squatteurs soient victimes de réseaux, mais certains activistes, qui proposent de véritables modes d'emploi et encouragent ces pratiques illégales, restent impunis.

Si, heureusement, les squats sont rares, les impayés de loyer représentent un phénomène de masse. Le récent rapport de la Cour des comptes, qui se fonde sur les chiffres des années 2018 et 2019 - avant la crise sanitaire -, constate environ 500 000 impayés par commandements de payer chaque année, dont environ 140 000 dans le parc social, soit 3,1 % des locataires, et 350 000 dans le parc privé, soit 4,9 % des locataires. Plus d'un tiers de ces impayés débouchent sur 130 000 assignations devant le juge et 120 000 décisions, ce qui signifie que la dette a été acquittée ou qu'une solution amiable a été trouvée dans les autres cas. Sur les 120 000 décisions, on recense 70 000 expulsions fermes et 50 000 expulsions conditionnelles, lorsqu'elles sont assorties d'un échéancier strict de paiement.

Ces décisions d'expulsion se traduisent par 66 000 commandements de quitter les lieux et 33 000 demandes de concours de la force publique, dont seulement 15 000 sont effectivement appliquées.

Cette simple énumération montre, heureusement, que beaucoup de situations se résolvent sans finalement recourir à la force publique. En outre, la procédure est complexe : elle nécessite de nombreux actes, tant du propriétaire que des juges. Enfin, elle est susceptible d'être particulièrement longue : on évoque souvent une durée de vingt-quatre à trente-six mois, mais ce n'est pas toujours le cas.

Il convient de bien distinguer les deux parties de la procédure. Le premier volet, d'une durée maximale de trois ans, offre au locataire un délai suspensif, qui s'arrête au premier incident de paiement, afin que celui-ci puisse apurer sa dette. Il y va de l'intérêt réciproque des parties : le locataire se met en règle et garde son logement tandis que le propriétaire recouvre l'intégralité des sommes qui lui sont dues. Le second volet intervient après la décision d'expulsion : le juge peut de nouveau accorder des délais jusqu'à trois ans. Quant à lui, le préfet peut atermoyer ou refuser le concours de la force publique. La situation est alors bloquée : le locataire n'a plus vraiment intérêt à payer et c'est le propriétaire qui supporte indûment l'incapacité de l'État à reloger le ménage en difficulté ou à faire respecter la loi.

Le squat et les impayés de loyer sont des situations très différentes. Ce texte vise à définir des sanctions pénales lorsqu'un logement est occupé de manière illicite ou lorsque l'occupation illicite d'un logement ou lorsqu'une décision de justice définitive et exécutoire a été rendue. Il tend à sanctionner plus fortement le squat, la propagande en faveur du squat et le fait de se dire faussement propriétaire d'un bien pour le louer à des personnes qui se retrouvent involontairement en situation de squat. Il étend la procédure d'expulsion administrative sous quarante-huit heures à tous les logements, que ceux-ci soient meublés ou non : sont ainsi concernés les futurs domiciles, afin de prendre en compte les cas de squat d'un bien dans lequel le locataire ou le propriétaire n'a pas encore emménagé. À Paris, environ un quart des demandes d'expulsion émanent de locataires.

En outre, la proposition de loi précise et étend la notion de domicile, qui, pour l'essentiel, sert de base à cette procédure.

Elle instaure une exonération de la responsabilité civile du propriétaire et de son obligation d'entretien du bien en cas d'occupation illicite.

En dehors du squat, le texte tend à pérenniser le dispositif expérimental d'occupation temporaire des logements créé par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite loi Molle. Celui-ci a été prolongé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). C'est un dispositif gagnant-gagnant : celui-ci protège du squat des locaux professionnels ou d'habitation grâce à l'occupation temporaire accordée à des personnes en mobilité professionnelle, géographique ou familiale et à des personnes en difficulté. La durée de l'hébergement s'élève à dix-huit mois au maximum. Cette activité est soit assurée par des entreprises privées - deux d'entre elles sont agréées actuellement - soit par des associations d'insertion, comme Emmaüs.

Enfin, la proposition de loi vise à réduire les délais des procédures en cas d'impayé en généralisant la clause résolutoire dans les baux, en supprimant certains pouvoirs d'intervention d'office des juges et en diminuant certains délais minimaux dans la première phase visant à la résorption de la dette locative. Elle tend également à réduire les délais pouvant être accordés après la décision d'expulsion, en les faisant passer de trois ans à un an au maximum, voire de les supprimer lorsque le locataire est jugé de mauvaise foi.

Avec André Reichardt, nous estimons que la proposition de loi comporte des dispositions utiles. D'autres méritent toutefois d'être corrigées ou complétées.

Nous approuvons sans réserve les mesures contre le squat. Celles-ci sont d'ailleurs partiellement issues de la proposition de loi que j'avais déposée et qui a été votée par le Sénat le 19 janvier 2021. Mais que de temps perdu ! Si le Gouvernement avait inscrit mon texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale, la loi serait déjà appliquée.

Nous approuvons également l'objectif général d'accélération des procédures du contentieux de l'impayé et de l'expulsion. Ce contentieux décourage les propriétaires d'investir et de proposer des logements à la location de longue durée pour lui préférer des meublés de tourisme par exemple. Or les locations de longue durée sont nécessaires pour répondre à la crise du logement. Cette protection exagérée se retourne donc contre les locataires et se traduit par une pénurie de logements à louer.

J'en viens aux modifications importantes que nous proposons pour ce texte.

Comme je l'avais fait dans le cadre de ma proposition de loi, nous opérons une distinction stricte entre les squatteurs et les locataires en difficulté, alors que les formulations retenues par l'Assemblée nationale pouvaient faire craindre un amalgame.

Outre les précisions juridiques qu'il convient d'apporter à l'article 2, ce dernier devrait inclure les apports du texte voté par le Sénat, notamment les possibilités d'action des ayants droit et l'aide de l'État à la victime du squat pour prouver qu'il s'agit de son domicile. Très souvent, le propriétaire n'est pas en capacité de le prouver : cette tâche devrait incomber à l'État.

À l'article 2 bis, nous approuvons le principe de l'exonération de responsabilité du propriétaire en cas d'occupation illicite, mais nous voulons la réserver aux propriétaires de bonne foi et éviter absolument que des marchands de sommeil ne cherchent à utiliser ce dispositif.

À l'article 2 ter, nous approuvons le principe de la pérennisation du dispositif de logement intérimaire, mais nous voulons protéger son développement en empêchant toute requalification en bail classique, ce qui retirerait alors tout intérêt à cette solution bénéfique pour tous.

En matière de procédure d'impayé et d'expulsion, nous pensons qu'il est contraire au droit à un procès équitable de soumettre un certain nombre de décisions à des demandes des locataires, car ceux-ci sont peu conscients de leurs droits, sont peu présents à l'audience et bénéficient peu de l'aide juridictionnelle. Dès lors, soumettre l'établissement d'un échéancier d'apurement de la dette à la demande du locataire alors que celui-ci pourrait figurer dans le diagnostic social et financier (DSF) ou être proposé par le propriétaire lui-même est contreproductif. De même, il n'est guère concevable d'empêcher le juge de vérifier le montant de la dette locative. Celui-ci doit aussi pouvoir s'assurer que le logement respecte bien les conditions de décence. Certes, je comprends la volonté de responsabiliser le locataire, mais cette amélioration passera davantage par un accompagnement social adéquat que par une réduction de ses droits.

Nous souhaitons également sécuriser pour le propriétaire les exigences de la période pendant laquelle la poursuite du bail est suspendue au respect de l'échéancier fixé par le juge et qui pourrait, en l'état du droit, faire l'objet d'une cassation selon les informations que nous avons recueillies.

Si nous approuvons la réduction des délais une fois la décision d'expulsion prise contre les locataires de mauvaise foi, nous pensons qu'il est contreproductif de réduire trop drastiquement la période durant laquelle la majeure partie des impayés se résolvent, c'est-à-dire entre le commandement de payer et l'assignation. Les acteurs du secteur considèrent qu'un délai de six semaines - plutôt que quatre, comme l'a voté l'Assemblée nationale, et au lieu de deux, comme la loi le prévoit actuellement - semble être la durée minimale à respecter.

Je souhaite également que l'on puisse progresser en matière d'indemnisation des bailleurs privés lorsque le concours de la force publique pour recouvrer leur bien leur est refusé. Aujourd'hui, seulement 50 % d'entre eux seraient indemnisés - et encore partiellement. L'article 40 de la Constitution m'empêche d'aller aussi loin que je le souhaiterais : j'estime que cette indemnisation devrait être intégrale et automatique. Je vous propose cependant de confier à un décret le soin d'en définir les modalités, ce qui permettra de sortir du maquis de la jurisprudence et des pratiques variant selon les préfectures.

Enfin, et c'est pour moi un point très important, j'ai voulu améliorer la prévention des expulsions. Le rapport de Nicolas Démoulin, alors député, et celui de la Cour des comptes montrent que la prévention n'est pas assez précoce, que les services sociaux n'ont pas assez de temps pour réaliser les diagnostics sociaux et financiers et que les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) ne disposent pas de moyens suffisants pour mener à bien leur action. Après mes échanges avec l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil) et son réseau départemental des agences départementales d'information sur le logement (Adil), avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), ainsi qu'avec les commissaires de justice et d'autres acteurs du secteur, je propose d'avancer d'un à trois mois, selon le département, le seuil à partir duquel un commandement de payer est transmis aux Ccapex, soit à partir de deux mois d'impayé.

En outre, je suggère d'avancer d'autant le moment à partir duquel un DSF doit être mené : sa durée sera ainsi augmentée de 50 %, et passerait de deux à trois mois. Aujourd'hui, le DSF n'est réalisé que pour un tiers des audiences. Pourtant, sans cet outil, comment accompagner sérieusement les locataires en difficulté ?

Je propose également de renforcer les moyens des Ccapex, via un nouveau chapitre consacré à l'amélioration de l'accompagnement social des locataires en difficulté. Les métropoles, qui gèrent les Fonds de solidarité pour le logement (FSL) doivent s'impliquer davantage. Les Ccapex doivent être en mesure de mobiliser les aides, de déclencher des mesures d'accompagnement social personnalisé (Masp) de niveau 3 et de pouvoir s'assurer du versement des aides personnelles au logement (APL) si les ménages en ont besoin. Plus largement, les informations doivent leur être transmises tout au long de la procédure, afin qu'elles puissent mener à bien leur action préventive et éviter qu'un ménage ne se retrouve à la rue. Ainsi, lors de la transmission du commandement de payer, les commissaires de justice pourront désormais transmettre aux Ccapex les coordonnées des locataires dont ils disposent. Cela leur est aujourd'hui interdit en raison du secret professionnel : bien souvent, les services sociaux ne disposent pas de l'information et ne peuvent pas joindre facilement les locataires en difficulté. Cela représente une avancée réelle.

Tout en renforçant le volet contre le squat et en luttant contre l'usage dilatoire des procédures par des locataires de mauvaise foi, j'entends établir une distinction nette entre squatteurs et locataires en difficulté en reprenant le contenu du texte déjà voté par le Sénat. De plus, je souhaite favoriser le développement du dispositif de logement intérimaire ou intercalaire, qui constitue aujourd'hui une possibilité légale d'occuper des locaux vacants ou sans destination immédiate au bénéfice des personnes en difficulté ou de celles qui sont en mobilité géographique. Enfin, je veux débloquer la prévention précoce des impayés de loyer et améliorer les outils d'accompagnement social sans allonger les procédures au détriment des propriétaires.

J'espère que la commission des lois adoptera ce texte, dont l'équilibre diffère de celui qui a été transmis par l'Assemblée nationale. Nos principes de justice, d'humanisme et de respect de la propriété privée et des fruits du travail sont respectés.

M. Bernard Buis. - Je salue cette proposition de loi, qui s'inscrit dans le prolongement de la loi Asap de 2020 et dont notre groupe a souhaité l'inscription à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée. Le squat et les impayés à répétition ne sont plus un phénomène marginal ; leurs conséquences sont désastreuses pour les petits propriétaires. Certaines dispositions font écho à la proposition de loi déposée par notre rapporteur.

Avec ce texte empreint de bon sens, on cherche à rééquilibrer les forces, en renforçant l'arsenal juridique et en réduisant certains délais de procédure judiciaire. Dans un contexte de crise locative, on sécurise la vie des petits propriétaires, qu'il convient de rassurer.

À l'issue des débats à l'AN, marqués par un esprit de compromis entre groupes politiques, nous souhaitons apporter quelques modifications pour gagner en équilibre et ne pas tomber dans des travers idéologiques entre riches propriétaires et locataires mal logés. Ainsi, nous souhaitons un geste envers les locataires de bonne foi, qui doivent être effectivement informés par le préfet de leur droit à demander au juge de leur accorder des délais de paiement. Le juge pourra aussi suspendre la résiliation du bail si le locataire est de bonne foi. Ne stigmatisons pas les locataires en grande difficulté économique en les assimilant à des squatteurs.

M. Daniel Salmon. - Je salue le travail du rapporteur. Il est difficile de trouver un équilibre entre propriétaires et locataires. On se focalise sur des faits divers. Or environ 120 à 170 squats ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. Il faut donc séparer le problème des squats et celui des loyers impayés.

Madame la rapporteur, vous avez parlé d'humanisme : le droit de la propriété ne doit pas supplanter tous les autres droits sociaux. Le juge doit conserver sa liberté d'interprétation.

Le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale ne nous convient pas, car il rompt les équilibres institués au fil du temps. Nous examinerons avec attention les amendements qui nous semblent aller dans le bon sens. Ne criminalisons pas les squats, car le nombre de sans-abri et de logements insalubres va croissant. Soyons également vigilants contre les marchands de sommeil.

M. Fabien Gay. - Je salue moi aussi le travail du rapporteur, même si j'estime que ce texte confond les courgettes avec les tomates. Il existe des problèmes liés aux squats et d'autres aux impayés ; or ce sont des choses très différentes. Certains faits très médiatisés sont certes insupportables, mais ils sont limités : madame la rapporteur, vous avez évoqué quarante-deux situations de ce type, qu'il convient de rapporter aux 500 000 cas d'impayés.

Cela étant, pourquoi assimiler les locaux non meublés et non habités à des domiciles ? Dans notre pays, qui compte 300 000 sans domicile fixe (SDF), certains locaux d'entreprise sont inutilisés depuis des années. Le télétravail va encore accentuer le phénomène, alors même qu'à rebours de l'histoire l'on continue de construire des immeubles de bureaux. Sur ce point, nous ne sommes pas d'accord avec Mme la rapporteur pour avis.

Au sujet des marchands de sommeil, nous sommes également en désaccord avec ce qui nous est proposé : aujourd'hui, les intéressés encourent cinq ans d'emprisonnement, contre trois ans dans le texte qui nous a été transmis.

Les loyers impayés sont une problématique difficile. La précarité liée au logement est révélatrice d'une précarité beaucoup plus large, qu'il s'agisse de l'énergie ou du travail. Si l'on ne paye plus son loyer, c'est bien souvent parce que l'on a atteint la dernière extrémité.

Il faut s'interroger sur notre projet de société : s'agit-il de jeter toujours plus de personnes à la rue ? Bien sûr que non.

Nous nous opposerons à cette proposition de loi, malgré les quelques mesures de bon sens défendues par Mme la rapporteur pour avis. En effet, nous sommes radicalement contre la philosophie de ce texte, qui mélange trop de sujets et finit par rater sa cible. Les associations de locataires le disent elles-mêmes et nous devrions les écouter davantage.

M. Denis Bouad. - Mme la rapporteur pour avis l'a dit clairement : il faut distinguer le squat, qui exige des mesures spécifiques, et les problèmes de précarité.

Je suis moi aussi soucieux de la situation des bailleurs privés, qui investissent notamment pour préparer leur retraite, lorsqu'ils sont victimes de locataires indélicats.

Parmi les locataires, il faut faire la part des mauvais payeurs et celle des personnes en difficulté financière. Pour ce qui concerne ces dernières, il faut que les services sociaux puissent travailler dans de bonnes conditions, ce qui suppose de ne pas réduire excessivement leurs délais d'intervention.

La principale difficulté, aujourd'hui, c'est bien la politique du Gouvernement en matière de logement social ; c'est le manque général de logements que subit notre pays. Comme M. Gay, je pourrai soutenir certains amendements, mais je m'opposerai à plusieurs autres.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Monsieur Buis, je vous invite à examiner attentivement nos amendements : leurs dispositions vont encore plus loin que ce que vous envisagez.

Monsieur Salmon, il y a certes peu de squats en France, mais il faut avoir conscience du traumatisme que ces derniers provoquent. Force doit rester à la loi. On se souvient de l'affaire de Théoule-sur-Mer, à l'été 2020, qui avait été extrêmement médiatisée et à la suite de laquelle j'avais présenté ma propre proposition de loi. Face à de telles situations, nous devons nous montrer intraitables. Certes, la construction de logements n'a jamais été si faible dans notre pays ; mais ce n'est pas aux propriétaires de supporter à la place de l'État la charge du mal-logement, que notre assemblée dénonce à une grande majorité.

Monsieur Gay, ce n'est pas parce qu'un bureau est vide que l'on peut y entrer impunément. Le logement intérimaire-intercalaire, expérimenté en vertu de la loi Élan, me semble bon, et je me réjouis que nos collègues députés aient décidé de le pérenniser. C'est un dispositif gagnant-gagnant, permettant de recourir à des sociétés privées agréées par l'État, ou à des associations, pour des logements qui ne sont pas tout de suite destinés à un usage précis. Emmaüs développe ainsi des partenariats très féconds avec la ville de Nantes, pour installer des personnes dans des locaux vides en toute légalité et pour une durée clairement définie. Désormais, les promoteurs viennent même voir Emmaüs directement. C'est aussi une solution de logement pour des personnes devant accomplir une mobilité professionnelle de courte durée. Ces conventions d'occupation, qui ne sauraient être transformées en baux classiques, méritent d'être développées.

Monsieur Bouad, à la différence de l'Assemblée nationale, nous faisons clairement la différence entre squatteurs et locataires défaillants. D'ailleurs, ma proposition de loi établissait elle aussi cette distinction. Aujourd'hui, les services sociaux ne travaillent pas dans de bonnes conditions : c'est précisément pourquoi, par mes amendements, j'entends prévenir de manière plus précoce les impayés de loyers. Cette solution, qui est la plus efficace, va dans l'intérêt de tout le monde. Il faut mieux accompagner socialement les locataires qui font face à un accident de la vie tout en donnant davantage de moyens d'action aux Ccapex.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er A (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Présenté avec André Reichardt, l'amendement  COM-52 s'inspire des dispositions de ma proposition de loi, adoptée par le Sénat en janvier 2021. Il faut éviter que la sanction pénale proposée ne puisse s'appliquer à des locataires défaillants. Il s'agit aussi de sanctionner pénalement le squat de locaux qui ne constituent pas un domicile, au nom du respect du droit à la propriété privée.

L'amendement COM-52 est adopté.

Article 2

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-53 est lui aussi présenté de concert avec André Reichardt.

L'article 2 revient sur la procédure d'évacuation forcée sous l'égide du préfet, prévue à l'article 38 de la loi de 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (Dalo).

À mon sens, la rédaction transmise par l'Assemblée nationale pose problème : elle pourrait être interprétée comme autorisant le recours à cette procédure pour obtenir l'évacuation d'un locataire défaillant. Cet amendement vise donc à substituer au dispositif adopté par l'Assemblée nationale les mesures adoptées par le Sénat en janvier 2021 au titre de ma proposition de loi.

Tout d'abord, le champ d'application de l'article 38 serait étendu au squat d'un local d'habitation, alors qu'il ne s'applique actuellement qu'au squat d'un domicile. Deviendraient ainsi éligibles à la procédure d'évacuation forcée les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou aussitôt après l'achèvement de la construction, avant que le propriétaire n'ait eu le temps d'emménager. Cette question peut sembler anecdotique ; mais, aujourd'hui, il y a bien un trou dans la raquette. Un logement peut être squatté sitôt construit, avant même que le propriétaire ou le locataire n'ait emménagé.

Ensuite, lorsque le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison du squat, il reviendrait au préfet de s'adresser à l'administration fiscale pour établir ce droit.

Enfin, le délai laissé au préfet pour mettre en demeure le squatteur de quitter les lieux serait réduit de quarante-huit à vingt-quatre heures : ce serait le moyen d'apporter une réponse plus rapide à des situations qui plongent certaines familles dans de graves difficultés.

L'amendement COM-53 est adopté.

Article 2 bis (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-54 a pour objet d'exclure du dispositif de l'article 2 bis les propriétaires bailleurs hébergeant dans un logement indigne des personnes dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou leur sont connus, et ce en vue d'empêcher les marchands de sommeil de profiter indûment d'une exonération destinée à protéger les propriétaires de bonne foi.

Cette mesure conforterait les dispositions votées par le Sénat à l'article 190 de la loi Élan, qui sont un acquis important pour renforcer la lutte contre le logement indigne.

L'amendement COM-54 est adopté.

Article 2 ter (nouveau)

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-55 a pour objet de sécuriser le dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants. Il permettrait de lever le risque de requalification des contrats de résidence temporaire, conclus en conformité avec les dispositions de l'article 29 de la loi Élan, en baux d'habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989 qui régit les rapports entre bailleurs et locataires.

Il s'agit d'une précision qui ne change ni le droit existant ni la nature des conventions d'occupation, mais qui est de nature à inciter les propriétaires de logements temporairement vacants à les affecter au logement temporaire plutôt qu'à les laisser vides, sans risquer que le contrat de résidence temporaire ne soit requalifié en bail classique.

L'amendement COM-55 est adopté.

Article 4

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'article 4 subordonne à une demande expresse du locataire l'octroi par le juge d'une expulsion conditionnelle et la vérification des éléments constitutifs de la dette locative et du caractère décent du logement. Il est pourtant dans l'intérêt aussi bien du locataire que du bailleur que les rapports locatifs soient maintenus lorsque le locataire peut acquitter sa dette locative.

Selon les chiffres fournis par l'Anil, seuls 38 % des audiences pour impayé de loyers ont lieu en présence des locataires défaillants, ces publics ne maîtrisant souvent pas le vocabulaire juridique et l'échéancier des procédures judiciaires. Par conséquent, le fait de conditionner l'octroi de délais de paiement à une demande du locataire pourrait être contreproductif par rapport à l'objectif affiché d'une « responsabilisation du locataire ».

L'article 4, dans sa rédaction actuelle, aurait pour conséquence d'empêcher le juge de se saisir d'office d'un DSF mentionnant un échéancier viable d'apurement de la dette ou d'un échéancier proposé par le propriétaire lorsqu'aucune demande du locataire n'est formalisée, ce qui va à l'encontre des intérêts du bailleur si ce dernier souhaite obtenir le remboursement des loyers impayés.

C'est pourquoi l'amendement  COM-56 tend à maintenir la possibilité pour le juge d'accorder d'office un délai de paiement au locataire « en situation de régler sa dette locative », et à préserver la faculté dont il dispose de vérifier d'office « tout élément constitutif de la dette locative ».

En outre, afin de lutter contre l'habitat insalubre, les marchands de sommeil et l'indécence énergétique, cet amendement maintient la faculté pour le juge de vérifier d'office le respect du caractère décent du logement.

L'amendement COM-56 est adopté.

Article 5

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'article 5 réduit de deux à un mois le délai légal minimal entre la délivrance d'un commandement de payer et la possibilité d'assigner en justice un locataire défaillant.

Or, aujourd'hui, deux tiers environ des situations litigieuses sont réglées de façon amiable avant que ne soit ouverte une procédure judiciaire. Un raccourcissement trop important du délai légal minimal entre la délivrance du commandement de payer et l'assignation en justice risquerait donc de judiciariser et, partant, de complexifier des situations pour lesquelles des solutions amiables peuvent être aisément trouvées.

Par conséquent, l'amendement  COM-57 tend à diminuer l'ampleur de la réduction de ce délai minimal légal, le faisant passer à six semaines contre un mois dans le texte transmis au Sénat et deux mois dans le droit en vigueur. Je rappelle à cet égard que l'Anil évalue à cinq semaines le délai minimal de traitement d'un commandement de payer par les agences départementales d'information sur le logement.

L'amendement COM-57 est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'Assemblée nationale a souhaité favoriser le signalement et le traitement précoce des situations d'impayés. Cependant, il n'est ni réaliste, ni financièrement soutenable, ni très utile d'envisager la transmission de près de 500 000 commandements de payer aux Ccapex, et de réaliser autant de DSF, même simplifiés, en un mois - pour un coût évalué à environ 250 euros l'unité -, puis de recommencer cette procédure entre l'assignation et l'audience, alors même qu'aujourd'hui de tels diagnostics n'existent que pour 30 % des audiences.

C'est pourquoi l'amendement  COM-58 rect. vise à fixer le seuil de transmission des commandements de payer à deux mois d'ancienneté d'impayé ou du montant de la dette locative - contre trois à six mois aujourd'hui -, seuil estimé pertinent tant par l'Anil que par la Dihal pour caractériser une situation justifiant une prise en charge, et à permettre la réalisation des DSF dès ce stade.

Ainsi, les situations d'impayés seront traitées plus précocement - entre un et quatre mois plus tôt -, et les services sociaux disposeront de trois mois, au lieu de deux aujourd'hui, pour réaliser le DSF, ce qui devrait conduire à ce qu'un beaucoup plus grand nombre de ces diagnostics soit réalisé en vue de l'audience.

Enfin, l'amendement prévoit que les commissaires de justice devront transmettre à ce stade de la procédure les coordonnées et les informations socioéconomiques sur le locataire qu'ils auront pu recueillir.

L'amendement COM-58 rect. est adopté.

Après l'article 5

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-59, qui vise à créer un chapitre III consacré au renforcement de l'accompagnement des locataires en difficulté, a pour objet d'améliorer les capacités des bailleurs à obtenir une reprise rapide du paiement de leur loyer et un apurement de leur créance locative, en renforçant les moyens des Ccapex et en leur permettant d'agir le plus en amont possible tout au long de la procédure.

Il prévoit une réécriture complète de l'article 7-2 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, en incluant les métropoles dans la coprésidence des Ccapex, et ce afin d'améliorer les possibilités d'apurement des dettes locatives à travers la mobilisation du fonds de solidarité pour le logement dont elles assurent désormais la gestion sur leur territoire, en rendant ces Ccapex décisionnaires en matière de maintien ou de suspension des allocations logement en cas d'impayés locatifs, après avis consultatif de la caisse d'allocations familiales compétente, en optimisant l'orientation des situations d'impayés locatifs auprès des différents dispositifs d'apurement de la dette, d'accompagnement budgétaire des locataires et de relogement, en assurant l'information complète des Ccapex, notamment à travers le logiciel « EXPLOC », lors des différentes étapes clés de la procédure et, enfin, en diminuant les risques en matière de protection des données personnelles liés à la transmission d'informations des Ccapex aux opérateurs réalisant les DSF au stade de l'assignation.

L'amendement COM-59 portant article additionnel est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - L'amendement  COM-60 a pour objet d'améliorer la capacité des bailleurs à obtenir une reprise rapide du paiement de leur loyer et un apurement de leur créance locative, en permettant aux Ccapex de déclencher une procédure de placement en quasi-tutelle du locataire lorsque les impayés de loyers résultent de difficultés de gestion. Le représentant de l'État et les Ccapex disposeraient de la possibilité de demander au juge la mise en place d'une Masp de niveau 3 afin, notamment, de procéder au versement direct des prestations sociales du locataire sur le compte du bailleur.

L'amendement COM-60 portant article additionnel est adopté.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis. - Aujourd'hui, en cas de refus du concours de la force publique par le préfet pour exécuter une mesure d'expulsion contre un locataire, le propriétaire a théoriquement droit à une indemnisation par l'État.

Mais cette procédure supplémentaire est complexe et aléatoire si bien que de nombreux propriétaires renoncent à y recourir. Les règles sont en effet appliquées différemment selon les préfectures, en vertu d'une importante jurisprudence portant notamment sur la période éligible et le montant de l'indemnité.

Le rapport de notre collègue député Nicolas Démoulin sur la prévention des expulsions indiquait que « par ignorance, ou pour ne pas avoir à engager une ultime requête auprès des services préfectoraux, ou par voie judiciaire, seuls 53,8 % des propriétaires [faisaient] une demande d'indemnisation ». Il proposait donc de la systématiser en appelant à mettre fin aux pratiques de négociation des indemnités dues aux bailleurs par les préfets.

À défaut de pouvoir instaurer une forme d'automaticité, du fait de l'article 40 de la Constitution, l'amendement  COM-61 prévoit une clarification des règles d'indemnisation des propriétaires par un décret en Conseil d'État.

L'amendement COM-61 portant article additionnel est adopté.

La réunion est close à 10 h 40.

Mercredi 25 janvier 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi visant à régulariser le PLUi de la Communauté de communes du Bas Chablais - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de Martine Berthet sur la proposition de loi visant à régulariser le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté de communes du Bas-Chablais, déposée il y quelques mois par nos collègues Cyril Pellevat et Sylviane Noël, que je salue.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - Au risque d'anticiper peut être les échanges que nous aurons dans quelques instants, je souhaiterais dire, tout d'abord, que je comprends les interrogations que la démarche de ce texte peut susciter chez nous, parlementaires. D'abord, parce qu'il traite d'un cas bien délimité, celui d'un projet précis et de collectivités identifiées. D'autre part, car son intitulé, qui parle de « régularisation » d'un plan local d'urbanisme, peut prêter à confusion sur l'objectif réel poursuivi par le texte.

Je souhaite répondre d'emblée à ces deux remarques, avant de rentrer dans les détails. D'une part, je rappelle qu'il est fréquent que nous traitions de mesures qui visent à régler des cas spécifiques, dans tous les domaines de la loi : je pense par exemple à une proposition de loi que nous avions examinée en 2019, qui traitait spécifiquement de la Clairette de Die ; aux règles spécifiques pour les aménagements des jeux Olympiques ou du Grand Paris ; aux délais supplémentaires accordés pour l'élaboration des PLUi métropolitains ou parisiens ; ou encore à des dérogations individuelles à la loi Littoral pour des projets précis d'équipements publics... Il est rare, mais pas inédit, que la loi traite parfois de cas spécifiques.

D'autre part, ce texte ne vise pas à « corriger » un document d'urbanisme, en ce qu'il serait fautif ou illégal, ni à imposer un projet d'État à une collectivité. Il vise en fait à résoudre une difficulté de coordination dans le temps des procédures d'urbanisme, qui a abouti à une situation de blocage, tout cela résultant en premier lieu de la complexité du droit de l'urbanisme.

Je pense que tous ici, en tant qu'élus, nous mesurons bien cette complexité : nous savons les contraintes et le degré de précision qui s'appliquent à l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU), sans parler d'un PLUi. Nous savons aussi que les documents d'urbanisme s'inscrivent dans le temps long, alors que les projets naissent et évoluent bien plus vite. En se cachant derrière ces complexités, faut-il laisser péricliter un projet d'intérêt général, par ailleurs validé à tous les niveaux ? C'est la question qui se pose à nous aujourd'hui.

En 2015, des études ont été lancées en Haute-Savoie pour concrétiser un projet discuté de longue date : la réalisation du dernier tronçon d'une liaison routière 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, sur le tracé de l'axe entre Annemasse et Thonon-les-Bains. Après étude d'impact, autorisation environnementale, enquête publique et décret en Conseil d'État, ce projet a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Cette DUP de décembre 2019, qui a définitivement autorisé le projet, est aujourd'hui purgée de tout recours. Comme le permet le droit, et avec l'accord des communes concernées, la DUP a prévu la mise en compatibilité de dix PLU, afin qu'ils intègrent le projet routier.

Mais en parallèle, la communauté de communes concernée par le projet avait prescrit l'élaboration d'un PLUi, finalement adopté en février 2020. Il n'avait pas pu être inclus dans la DUP portant mise en compatibilité, puisqu'il n'existait pas encore... Or, son adoption a « écrasé » les PLU précédents, qui avaient, eux, bien été modifiés. Vous voyez que je vous ai dit la vérité sur la complexité des procédures...

En l'état, le projet routier, malgré sa validation par le public, par l'État, par l'autorité environnementale et par les collectivités, se retrouve donc contraire au nouveau PLUi, ce qui bloque sa réalisation.

Le texte qui nous est soumis vise à réparer cet oubli de coordination, en appliquant la DUP, prise en 2019 pour modifier les anciens PLU, au nouveau PLUi. J'insiste : il n'y a aucune modification du projet autoroutier sur le fond, c'est une simple application de la DUP au nouveau document d'urbanisme.

J'en viens à ma position sur ce texte, et à la démarche d'examen qui a été la mienne.

Je l'ai dit, ce texte est inhabituel, et concerne un cas spécifique. Il me semble qu'un procédé dérogatoire comme celui-ci doit rester rare et être bien justifié. J'ai donc voulu passer le projet de loi au « filtre » de plusieurs critères, inspirés de la jurisprudence constitutionnelle sur les validations législatives.

Premièrement, j'ai vérifié que ce texte ne visait pas à faire échec à des décisions déjà prises, à restreindre un droit au recours ou bien à aller à l'encontre des compétences des collectivités territoriales. En d'autres termes, ce projet est-il un texte « aidant », qui vise à résoudre une difficulté, ou un texte qui vient censurer, faire échec à des attentes légitimes ?

Au cours de mes nombreuses auditions, j'ai constaté que l'incompatibilité entre le PLUi du Bas-Chablais et le projet de liaison routière n'était pas l'expression d'une volonté politique de la communauté d'agglomération de faire échec au projet, au contraire.

C'est plutôt une erreur de traduction au sein du document d'un projet anticipé et soutenu de longue date par l'ensemble du territoire. D'ailleurs, l'ensemble des autres documents d'urbanisme du territoire - schémas de cohérence territoriale (ScoT), PLU, schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) - le prennent déjà en compte et le qualifient de « projet structurant » pour la région.

De plus, et j'insiste sur ce point fondamental, le projet a fait l'objet de l'ensemble des modalités de concertation, de participation du public, d'accord des collectivités et de droit de recours prévues par la loi. Il y a eu enquête publique, et même une concertation publique sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP) qui s'est avérée très largement favorable au projet. La déclaration d'utilité publique est aujourd'hui purgée de tout recours, et les quelques contentieux ont été rejetés par la justice.

L'examen de cette proposition de loi n'est donc pas l'occasion de revenir sur le fond du projet, car « le match s'est déjà joué ». La proposition de loi vise non pas à empêcher, mais bien à permettre.

Deuxièmement, j'ai vérifié qu'il n'était pas possible de parvenir à ce même objectif par une méthode alternative, qui ne passe pas par la loi. J'ai ainsi exploré trois pistes.

D'abord, prendre un nouveau décret de DUP, pour mettre en compatibilité le PLUi, est impossible au titre de la jurisprudence du Conseil d'État, car on ne peut pas prendre deux DUP pour un même projet.

Ensuite, faire évoluer le PLUi du Bas-Chablais par les procédures ordinaires serait extrêmement long et coûteux pour la collectivité, pour un bénéfice de fond nul. Il faudrait repasser par une révision lourde, qui durerait au moins trois ans et impliquerait de répéter l'ensemble des étapes (études d'impact, consultations, évaluation environnementale, enquête publique), alors que le projet n'a pas évolué d'un iota depuis lors !

Enfin, attendre l'adoption d'un nouveau PLUi, qui pour les raisons précitées, n'interviendrait aussi que dans plusieurs années.

Ces trois options n'offrent donc pas de solution satisfaisante, soit par impossibilité juridique, soit par impossibilité pratique. La question des délais notamment est centrale, car ils conditionnent la faisabilité du projet. D'une part, car la DUP existante arrivera à son terme en 2029, et il faut que le projet ait été réalisé d'ici là. D'autre part, car la situation actuelle d'engorgement du Bas-Chablais est difficilement tenable.

Troisièmement, et pour finir, j'ai vérifié que le texte répondait à un objectif d'intérêt général.

Il ressort de nos auditions et travaux que la réalisation de cette section à 2x2 voies répond effectivement à deux motifs d'intérêt général :

D'abord, le désenclavement du Bas-Chablais. Ce territoire n'est aujourd'hui desservi par aucune route nationale ni autoroute, à la différence du reste du département. Ce potentiel routier est aujourd'hui bien trop limité au vu du développement économique, touristique et démographique rapide de ce bassin frontalier - avec la deuxième plus forte croissance de la région ! Les maires que nous avons entendus estiment aujourd'hui que ne pas relier le Bas-Chablais reviendrait à créer volontairement un territoire à deux vitesses, entre des zones urbaines dynamiques (Annemasse, Thonon, Genève), et des campagnes délaissées et enclavées, ce qu'ils n'acceptent pas.

Ensuite, le réseau départemental existant atteint ses limites capacitaires, ce qui est source de nuisances et de risques réels. Dans des communes de 4 000 habitants, la départementale traversant le bourg voit passer jusqu'à 22 000 véhicules par jour, dont jusqu'à 10 % de poids lourds... Et le trafic croît fortement, avec un réseau ferroviaire qui est lui aussi déjà saturé. Pour les habitants, c'est source de nuisances sonores et de délais énormes. Pour l'environnement, les heures de bouchons chaque jour entraînent une forte pollution. Surtout, c'est un risque pour la sécurité, avec un trafic démesuré pour des hameaux et des petits bourgs, avec des passages à niveau d'un autre temps.

Pour toutes ces raisons, l'ensemble des collectivités territoriales et la grande majorité de la population soutiennent ce projet d'intérêt général. Toutes les communes ont rendu un avis favorable à la DUP. La Commission nationale du débat public (CNDP) a observé que seuls 10 % des participants à la concertation s'y déclaraient défavorables. La justice n'a elle non plus jamais contesté l'intérêt général du projet, à l'occasion des recours.

Je conclus donc, à l'issue de mes travaux, que la mesure portée par ce texte, bien que dérogatoire, se justifie par le fait qu'elle vise à remédier à des difficultés concrètes mettant en danger un projet d'intérêt général, soutenu par les parties prenantes, et qu'il n'existe pas d'alternative satisfaisante à cette solution législative.

Comme je l'ai dit, j'estime que le seul argument selon lequel la méthode législative retenue est dérogatoire ne saurait s'opposer à ce que l'on s'accorde sur une solution permettant à ce projet de se réaliser. La concertation publique a eu lieu, le projet a été validé : il faut maintenant qu'il puisse être mené à bien, car il relève de l'intérêt général. En tant qu'élus des territoires, qui connaissons la complexité parfois ubuesque du droit de l'urbanisme, il me semble que nous pouvons nous retrouver autour de cette conclusion et que nous devons être constructifs et aidants lorsque nous le pouvons.

En conséquence, je vous propose aujourd'hui d'adopter cette proposition de loi sans modification, et donnerai donc un avis défavorable à l'adoption de l'amendement de suppression qui a été déposé et que nous devons examiner aujourd'hui.

Mme Sylviane Noël, auteure de la proposition de loi - La réalisation du dernier tronçon d'une liaison à 2x2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains est vitale pour désenclaver le territoire chablaisien, un territoire en forte croissance démographique. Sa population a crû de 16,5 % en onze ans, passant de 81 000 à 94 000 habitants. Il regroupe plusieurs sites touristiques internationaux - à Thonon-les-Bains, Évian, Morzine-Avoriaz, Châtel, etc. - et compte 215 000 lits touristiques. Cette région accueille aussi des activités économiques de premier plan, comme l'usine d'embouteillage des eaux d'Évian, qui produit 6 millions de bouteilles chaque jour, expédiées par le fer ou la route. Le Chablais est aussi l'interface entre la région de Genève, le canton de Vaud et le Valais.

Le réseau routier est déjà constitué de 2x2 voies en amont, entre le « carrefour des Chasseurs » et Machilly, et en aval, au niveau du contournement de Thonon-les-Bains. Au milieu, le tronçon concerné n'est pas à grand gabarit, alors qu'il supporte un trafic routier très important : certaines communes sont traversées par 22 000 véhicules chaque jour. On ne peut laisser persister un tel trafic sur le réseau routier secondaire. L'explosion récente d'un camion-citerne en zone agglomérée à Fillinges nous rappelle les risques.

C'est pourquoi l'État a décidé de modifier ce tronçon pour le transformer en 2x2 voies, sous concession autoroutière. Il est de bon sens de mener ce projet à son terme. Les procédures sont achevées, tous les recours ont été purgés. Le Conseil d'État a confirmé l'an dernier le rejet de la totalité des recours déposés. Le problème résulte incontestablement d'une erreur liée à un défaut de vigilance de tous les services, dans un contexte d'enchevêtrement des procédures et de mise en place d'une nouvelle intercommunalité. La mesure proposée est bien encadrée. Elle est parfaitement adaptée à ce genre de situation, car il s'agit de réparer une erreur de procédure. Nous avons tous été élus locaux, nous connaissons tous la complexité des procédures administratives inhérentes à la réalisation de ce type d'infrastructures structurantes, des erreurs ou des oublis sont toujours possibles. En l'espèce, la procédure a été menée avec sérieux. Depuis les études préparatoires jusqu'à la concertation, elle a duré une dizaine d'années. J'espère que le Sénat, chambre des territoires, votera ce texte.

M. Daniel Salmon. - Comme nombre d'entre vous, j'ai été surpris par cette proposition de loi dont les objectifs ne sont pas courants pour des textes législatifs. J'ai été élu local et confronté à la problématique des PLU et de leurs révisions. Les règles sont longues et complexes, mais indispensables pour garantir que les projets sont bien conformes aux règles du développement durable et aboutissent à un aménagement équilibré du territoire.

Le projet date de trente ans. Il a subi des aléas et fait l'objet de nombreuses contestations. La déclaration d'utilité publique avait d'ailleurs été invalidée, puis le projet est reparti en 2018. La déclaration d'utilité publique est aujourd'hui purgée de tout recours, dites-vous, et les contentieux ont été rejetés par la justice. Soit, mais le monde a changé et il convient de se réinterroger.

Des erreurs ont été commises, mais il est difficile de savoir à quel niveau. L'autorité environnementale et la sous-préfecture ont formulé des demandes au moment de la réalisation du PLUi ; pourtant le projet autoroutier n'y apparaît pas. Nul ne sait pourquoi. Il est donc surprenant de passer par le Sénat pour combler ces lacunes. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement pour supprimer le dispositif de cette proposition de loi, car cette question ne relève pas du Parlement.

M. Bernard Buis. - Nous sommes nombreux à avoir été surpris que le Sénat puisse examiner une telle proposition de loi. La méthode est en effet singulière, car le texte vise à rétablir les effets de la déclaration d'utilité publique quant à la mise en compatibilité des documents d'urbanisme sur le périmètre du PLUi du Bas-Chablais. Ce projet d'autoroute fait l'objet d'un combat acharné entre ses partisans et ses opposants depuis plus de trente ans. Sur le fond, il nous semble que ce projet déclaré d'utilité publique en 2019 doit aboutir. Élu du Diois, région montagneuse, je sais ce que signifie l'enclavement et connais ses conséquences pour ses habitants en termes de mobilité. Si ce projet permet aux habitants du Bas-Chablais de se déplacer plus facilement, nous devons le soutenir. Si nous désapprouvons la méthode, nous voterons ce texte iconoclaste qui vise à réparer un imbroglio administratif.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Dans les années à venir, les difficultés liées à la réalisation des documents d'urbanisme n'iront pas en diminuant, il suffit de songer à la mise en oeuvre du « zéro artificialisation nette » (ZAN). J'espère que ce texte ne créera pas un précédent et que le Parlement ne sera pas encombré par trop de propositions de loi visant à régler des problèmes locaux. Est-ce le rôle du Parlement ? Nous devons être prudents.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai eu la même réaction que vous. C'est pourquoi Martine Berthet a examiné s'il n'y avait pas d'autres voies pour régler le problème et a vérifié que toutes les étapes de la procédure et de la concertation avaient bien été menées. Il ne saurait être question pour nous de nous prononcer sur le fond, sur l'opportunité des projets locaux et de nous substituer aux élus. Je veillerai à ce que ce genre de proposition de loi demeure exceptionnel. Mais, à travers ce texte, les territoires nous envoient aussi un message subliminal sur la nécessité de revoir les règles d'urbanisme ! Je le répète, il ne s'agit en aucun cas de nous prononcer sur le fond du projet, mais de réparer un oubli. J'ai aussi été élue d'une intercommunalité nouvelle et je sais que des oublis sont toujours possibles dans ce type de contexte.

Mme Martine Berthet, rapporteure. - On ne rencontre pas souvent ce genre de situation, en effet. En l'occurrence, je précise toutefois qu'il ne s'agit pas d'une proposition de loi relevant du régime des validations juridiques, car il n'y a pas d'effets rétroactifs, le texte consiste simplement en une mise en compatibilité des documents d'urbanisme. La CNDP n'a relevé que 10 % d'avis défavorables lors des enquêtes. L'ensemble des élus du territoire attend ce texte, tant pour des raisons économiques que pour pouvoir sécuriser les centres-bourgs face à l'importance du trafic. Le projet contribuera aussi au désenclavement. Cette proposition de loi est la seule solution. Quant au ZAN, il aura évidemment des effets à l'avenir. En l'occurrence, comme les travaux n'ont pas encore commencé, le projet tombera sous le régime du « ZAN » et devra être comptabilisé.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Martine Berthet, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à supprimer l'article. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

Questions diverses

Mme Sophie Primas, présidente. - La commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables s'est tenue hier à l'Assemblée nationale et s'est avérée conclusive. Je tiens à saluer notre rapporteur Patrick Chauvet, qui a conduit les travaux pour notre commission.

Nous avons été soucieux de garantir la neutralité technologique entre les différentes sources d'énergies renouvelables, les différents équipements et les différentes technologies.

Nous voulions également permettre concrètement l'accélération des projets par l'organisation de l'État, les simplifications réglementaires, le financement des actions et la résolution des litiges.

Il nous importait aussi de veiller à la pleine association des collectivités territoriales. Ce texte leur donne en fait une nouvelle compétence, car elles pourront réglementer l'implantation de tous les types d'énergies renouvelables. Plutôt que de subir la réalisation des projets, les maires deviendront les acteurs d'une stratégie des énergies renouvelables sur leur territoire par le biais de la cartographie qu'ils élaboreront. Il était essentiel pour nous de laisser le dernier mot aux territoires en la matière. C'était pour nous une ligne rouge. Les collectivités territoriales doivent maintenant s'approprier les nouveaux dispositifs, qui leur permettront de ne plus voir s'implanter des éoliennes sur leur territoire sans avoir été consultées, et de ne plus subir les assauts de certains opérateurs, qui négociaient directement avec les particuliers, pour l'achat de foncier, et avec le préfet, pour obtenir l'autorisation environnementale.

L'examen au Sénat a permis d'intégrer dans le texte des sources d'énergies renouvelables qui n'y figuraient pas, comme l'hydroélectricité, le biogaz, ou l'hydrogène. Nous avons aussi souhaité faire aboutir nos travaux préalables, qu'ils soient législatifs - dans le prolongement de la proposition de résolution tendant au développement de l'agrivoltaïsme en France, qui avait été présentée notamment par nos collègues Jean-François Longeot et Jean-Pierre Moga, et de la proposition de loi sur l'agrivoltaïsme, dont le rapporteur avait été Franck Menonville - ou de contrôle, tels ceux de nos missions d'information sur la souveraineté économique, le nucléaire et l'hydrogène, ou encore le biogaz.

Nous avons entendu les préoccupations exprimées par le monde agricole, les acteurs de la forêt, les groupes écologiste et socialiste de l'Assemblée nationale : la CMP a restreint le photovoltaïsme au sol et en forêt, cadré les contrats d'achat et consolidé le dispositif de partage territorial de la valeur des énergies renouvelables, qui s'appelle désormais « contribution territoriale au partage de la valeur ». Les communes seront bien les principales bénéficiaires, même si, pour parvenir à une CMP conclusive, nous avons accepté d'octroyer une part réduite aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il conviendra en tout cas de réfléchir, dans la perspective du prochain projet de loi de finances, à la fiscalité, au partage de la valeur, à la répartition du produit de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l'Ifer, entre les communes, les EPCI et l'État. Les collectivités territoriales bénéficieront d'environ 80 % de la contribution précitée, ce qui leur permettra de financer leurs projets liés à la transition énergétique, l'efficacité énergétique, la préservation de la biodiversité ou la lutte contre la précarité énergétique.

Enfin je me félicite que notre commission ait été à l'origine d'un « bilan carbone » renforcé pour les projets d'énergies renouvelables éligibles aux dispositifs de soutien publics et étendu pour ceux d'hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Ce bilan carbone tiendra également compte des métaux critiques, car la transition énergétique repose sur un impensé : sa dépendance minière !

J'ai lu des tweets critiques ce matin : certains trouvent que nous ne sommes pas allés assez loin, d'autres que nous sommes allés trop loin, mais je crois que nous avons trouvé le bon équilibre. Nous avons eu des discussions sur l'éolien en mer, dont les articles relevaient pour ce texte de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ; le texte final reprend la rédaction adoptée par le Sénat : les parcs éoliens seront installés dans les zones économiques exclusives (ZEE), à plus de 20 kilomètres des côtes, ce qui correspond aux appels d'offres déjà déposés.

M. Daniel Laurent. - Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur l'éolien en mer ?

Mme Sophie Primas, présidente. - La CMP a repris la rédaction du Sénat qui autorise l'implantation des parcs éoliens dans la ZEE, à plus de 20 kilomètres des côtes ; les appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ne concernent d'ailleurs que ces zones. J'ajoute que les opérateurs pourront réaliser des parcs plus grands, et donc plus rentables, en s'éloignant des côtes.

M. Franck Montaugé. - Je me réjouis qu'un large accord ait été trouvé. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) a voté ce texte. Je regrette toutefois le recours à la procédure accélérée ; l'Assemblée nationale a introduit de nombreux articles et le Sénat n'a pas pu les examiner. Cette procédure exceptionnelle devient la norme, ce n'est pas bon pour le Parlement ni la démocratie. J'ai attiré l'attention sur ce point en CMP. J'espère que le président du Sénat défendra la nécessité de prendre le temps du débat parlementaire pour travailler correctement.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'approuve totalement vos propos. J'écrirai à la Première ministre : certains projets de loi arrivent au Parlement avec moins de 20 articles et en comptent dix fois plus au moment de leur adoption ! La CMP est un outil utile pour trouver un compromis entre les deux chambres. Le Sénat n'a pas pu examiner les articles additionnels introduits par l'Assemblée nationale. C'est dommage. On ne perd jamais de temps à bien légiférer ! J'alerterai aussi le président Larcher.

M. Franck Montaugé. - Mon groupe fera la même démarche. Près de 70 articles, soit plus de la moitié des articles du texte, n'ont pas été discutés au Sénat !

Audition de Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir Mme Laure de La Raudière, présidente depuis désormais deux ans de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Madame la présidente, vous êtes accompagnée par M. Olivier Corolleur, directeur général adjoint, et par Mme Maya Bacache et M. Emmanuel Gabla, tous deux membres du collège de l'Arcep.

Madame la présidente, nous vous avions auditionnée pour la dernière fois le 20 janvier 2021, dans le cadre de la procédure de nomination prévue à l'article 13 de la Constitution. Si nous avons souhaité effectuer un premier bilan d'étape avec vous, c'est parce qu'en deux ans le contexte a changé dans les secteurs des postes et des télécommunications. Disons-le tout de suite : le contexte actuel n'est pas à l'apaisement, mais plutôt à l'agacement, à l'inquiétude et parfois à l'offensive.

Je pense premièrement à l'agacement des habitants et des élus, qui portent désormais plainte contre les opérateurs de télécommunications en raison des retards, des incidents et des dysfonctionnements répétés dans le déploiement de la fibre sur leur territoire.

Forcés de cadenasser des armoires de raccordement, de prendre des arrêtés contraignant les opérateurs à partager leur calendrier d'intervention et les techniciens à s'enregistrer au commissariat, voire de s'adresser directement à l'autorité que vous présidez, les élus sont devenus les régulateurs du quotidien d'un secteur qui, aux yeux de beaucoup, s'apparente aujourd'hui à un « Far West sans shérif ».

Face à cette situation, l'autorité que vous présidez a publié en novembre dernier un nouveau plan d'action pour améliorer la qualité de l'exploitation des réseaux en fibre optique, dont l'état en Île-de-France s'avère moins bon que dans les autres régions, selon la dernière analyse de terrain que vous avez menée. Quels sont les engagements pris par les opérateurs pour améliorer la qualité des raccordements à la fibre ? De quelle façon l'Arcep les contrôle-t-elle, et, le cas échéant, les met-elle en demeure de se conformer à leurs obligations et de respecter leurs nouveaux engagements ?

Alors que la demande de sanctions et de mesures fortes se fait de plus en plus pressante, vous défendez, madame la présidente, un modèle de régulation d'abord centré sur la concertation. Entre dialogue et sanction, comment trouver le bon équilibre, afin que l'Arcep exerce pleinement les fonctions qui lui sont attribuées par la loi ?

Je pense aussi à l'agacement des abonnés qui, en ce début d'année marquée par une inflation qui pourrait atteindre jusqu'à 7 %, voient le prix de leurs forfaits mobiles augmenter de quelques euros par mois. Certes, la France, grâce à une forte intensité concurrentielle, dispose des prix parmi les plus bas d'Europe : 15,70 euros par mois en moyenne pour un forfait mobile et 33,20 euros par mois en moyenne pour un abonnement internet fixe. Mais là aussi, lorsque les prix augmentent, que la qualité de service diminue et que les déceptions d'usage se font plus nombreuses, les attentes sont fortes vis-à-vis du régulateur.

À l'agacement s'ajoute aussi l'inquiétude des élus et des habitants concernés par la fermeture du réseau cuivre. D'ici à 2025, 670 000 foyers ne disposeront pas de la fibre optique en raison de la complexité de leur raccordement aux réseaux, alors même que l'Arcep a fixé un critère de 100 % de locaux raccordables à la fibre sur le territoire d'une commune pour pouvoir fermer le réseau cuivre, dont Orange est l'opérateur d'infrastructures unique et historique. Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? Est-ce que des personnes seront écartées de l'accès à la fibre ? Ou est-ce qu'Orange devra prolonger temporairement et localement l'accès à son réseau cuivre afin de respecter ce critère ?

À l'inquiétude s'ajoute enfin l'offensive, qui est d'abord celle des opérateurs. Lors de son audition remarquée devant notre commission, le 30 novembre dernier, Christel Heydemann, directrice générale d'Orange, a annoncé préparer de lourds contentieux contre l'Arcep à propos de l'encadrement contesté des tarifs de dégroupage : cette annonce très médiatisée témoigne des divisions qui agitent le secteur. Dans ce contexte, nous sommes impatients de bénéficier de vos éclairages : est-ce qu'une hausse des tarifs de dégroupage vous paraît justifiée ? Sinon, comment assurer une juste régulation du secteur des télécommunications, sans favoriser ou défavoriser un opérateur plutôt qu'un autre ?

J'en viens au dernier point. Depuis le 1er janvier 2023, La Poste commercialise un nouveau catalogue de services d'envois postaux, qui relèvent du service universel postal. Cette réforme se matérialise notamment par la suppression du timbre rouge et par l'optimisation, par expérimentation sur 68 sites, des tournées de distribution du courrier par les facteurs.

Nous auditionnerons prochainement le PDG de La Poste, mais je souhaiterais savoir si l'Arcep s'est prononcée sur cette réforme. En tant que présidente de l'autorité chargée de faire respecter les obligations de service public qui incombent à La Poste, pensez-vous que nous sommes en train d'assister à une réduction déguisée du service universel postal ? Ou s'agit-il plutôt de mesures d'optimisation rendues nécessaires par l'évolution des usages ?

Mme Laure de La Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). - La Poste fait face à une baisse de son activité historique de courrier postal, qui lui a coûté environ 600 millions de chiffre d'affaires en 2021 ; la prévision est identique pour 2022. L'équilibre économique du service universel postal est remis en cause. Il faut donc évaluer le coût net du service universel postal, demande même du Sénat. Nous l'évaluons à 1,6 milliard d'euros, alors que le versement de l'État est de 520 millions d'euros pour 2021 : l'absence de surcompensation est réelle. Nous avons aussi évalué la nouvelle gamme des services inclus dans le service universel, lancée le 1er janvier 2023. L'objectif est bien la réduction des coûts. Nous avons aussi demandé des évaluations régulières de cette nouvelle gamme à La Poste, et nous veillerons à ce qu'elle respecte l'ensemble de ses obligations.

Pour le secteur des télécommunications, le tableau que vous dressez est réaliste, mais je souhaite commencer par les bonnes nouvelles. Pendant la crise, les réseaux ont bien résisté, et les opérateurs ont investi plus de 40 milliards d'euros en trois ans, ce que je salue, tout comme l'engagement des collectivités. C'est le fruit d'un choix de régulation tourné vers les investissements, qui place les utilisateurs au coeur de ces objectifs et qui s'inscrit dans le temps long, offrant la visibilité nécessaire aux acteurs économiques pour répondre aux enjeux d'aménagement du territoire portés par les politiques publiques et les élus. Il faut trouver l'équilibre entre tous les acteurs, au service des particuliers et des entreprises, sur tous les territoires.

Quels sont les résultats ? Le New Deal Mobile porte ses fruits. La nouvelle attribution des fréquences est une réussite collective. En effet, 1 780 sites de couverture ciblée, choisis par les collectivités, étaient en service au 30 septembre 2022. La couverture 4G est une autre obligation : entre 97,5 % et 99 % des sites français en disposent. Des couvertures wifi sont aussi proposées par les opérateurs. D'autres obligations existent : couverture des axes routiers prioritaires et exigence de qualité de service. Enfin, concernant la 4G fixe, 1 000 sites permettront une montée en débit là où la fibre n'est pas encore déployée.

Les concertations au sujet de la 5G ont permis d'apaiser la situation. Elle se déploie dans toutes les agglomérations. En 2022, la barre de 50 % d'abonnements internet haut et très haut débit est franchie, et presque 80 % des locaux sont fibrés. Le plan France Très Haut Débit (FTHD) est un succès collectif, ce que souligne France Stratégie : la stabilité du cadre réglementaire et la gouvernance du plan, qui a associé tout le monde, ont été les clefs du succès. L'engagement de tous a permis d'obtenir des résultats. Les efforts industriels et humains de la part des opérateurs et des collectivités ont été remarquables. Je salue aussi l'engagement des femmes et des hommes qui oeuvrent sur le terrain pour déployer les réseaux.

Pour les années à venir, l'enjeu est la bonne qualité des réseaux fixe et mobile, tout en gardant des abonnements abordables, dans une logique de numérique durable. Nos priorités sont tournées vers la satisfaction des utilisateurs : qualité des raccordements, poursuite du déploiement du réseau fibre, fermeture du réseau cuivre, maintien de la qualité de service du réseau jusqu'à sa fermeture et prise en compte de l'impact environnemental du numérique.

Je commence par la qualité de service pour la fibre. Les situations invraisemblables vécues par des habitants et des élus m'ont conduit à prioriser cette question. En 2021, le contrôle et la traçabilité des malfaçons n'étaient pas mis en place. Un vrai déni existait. Les diagnostics sont désormais possibles. L'Arcep a identifié que les malfaçons concernent 2 % des lignes en fibre, sur quelques réseaux, notamment en Île-de-France. Les opérateurs concernés ont notifié à l'Arcep les plans de reprise des réseaux. Ainsi Altitude Infra a présenté, fin septembre 2022, un plan de reprise pour les réseaux ex-Covage dans l'Essonne et ex-Tutor dans le Calvados ; XpFibre a présenté mi-novembre 2022 un plan de reprise pour certains des réseaux les plus dégradés. L'Arcep vérifie ces plans de reprise.

De plus, la filière a remis en plan d'action pour améliorer la qualité des réseaux, en septembre dernier. L'Arcep en assure un suivi mensuel. Nous serons particulièrement vigilants pour vérifier que les engagements des opérateurs soient bien respectés. Ce plan doit conduire à un meilleur partage des bonnes pratiques et à une remise en état des réseaux.

Cet enjeu de qualité de service est essentiel à plusieurs titres. Il n'est pas acceptable que les promesses ne soient pas tenues et qu'elles engendrent tant de déception. Nous devons pouvoir compter sur un réseau fibre fiable pour sécuriser la fermeture du réseau cuivre et la substitution. Pour fermer le réseau cuivre, il faut aussi que les déploiements des réseaux en fibre optique soient terminés. Du fait du déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP), le déploiement ralentit ailleurs. En zone d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii) ou en zone très dense, le ralentissement du déploiement d'Orange est problématique : d'une part, il prive nos concitoyens du bénéfice de la fibre - il s'agit de choix librement consentis par les opérateurs, parfois contre l'avis des collectivités - et, d'autre part, il fragilise la stratégie de fermeture du réseau cuivre. Il n'est pas responsable de vouloir fermer le réseau cuivre et de freiner le déploiement de la fibre dans certaines zones. J'espère que le plan stratégique présenté par la nouvelle gouvernance d'Orange mi-février permettra de rectifier le tir.

Pour réussir cette fermeture, une excellente gouvernance et une parfaite concertation sont nécessaires. Orange doit encourager une parfaite concertation avec les opérateurs, les opérateurs commerciaux et les collectivités. Orange ne s'appuie pas assez sur les propositions des collectivités. Il est préférable en effet de commencer par les communes les plus motivées. Orange doit partager plus d'informations, par exemple en matière d'adresses, pour permettre la substitution des réseaux. De plus, une communication neutre et rassurante est nécessaire auprès des Français. Enfin, de nombreuses entreprises sont encore dépendantes du cuivre. La substitution sera aussi l'occasion de développer la concurrence dans les services aux entreprises, ambition portée par l'Arcep depuis longtemps.

Enfin, je souhaite aborder la prise en compte de l'empreinte carbone du numérique des télécommunications, qui représente 2 % des émissions en France. Cela semble peu, mais cette proportion augmente : nous devons être à la hauteur des exigences. Nous avons donc ouvert un nouveau chapitre de la régulation, avec la prise en compte des enjeux environnementaux du numérique. Grâce à la loi de Patrick Chaize visant à renforcer la régulation environnementale du numérique par l'Arcep, adoptée en décembre 2021, notre pouvoir de collecte des données est élargi à l'ensemble des acteurs du numérique. Les résultats enrichiront l'enquête annuelle Pour un numérique soutenable. Nous avons quatre objectifs : informer le public et toutes les parties prenantes ; identifier les activités des acteurs économiques susceptibles d'avoir un impact positif sur l'environnement ; encourager un ciblage des actions sur celles qui sont les plus efficaces ; enfin, suivre les indicateurs dans le temps, pour évaluer les actions de protection de l'environnement.

Pour conclure, je vous assure de l'engagement de l'ensemble des membres du collège pour défendre l'intérêt général et les politiques publiques que le Parlement nous fixe, avec pour boussole la satisfaction des utilisateurs.

M. Patrick Chaize. - Votre audition arrive particulièrement à propos puisqu'elle intervient quelques semaines après celle de Mme Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange, devant notre commission.

Celle-ci a notamment indiqué : « Entre le dégroupage et le génie civil, si le régulateur ne prend pas les décisions qui s'imposent, ce sont 228 millions d'euros de recettes essentielles pour maintenir l'infrastructure que nous ne percevrons pas et qui resteront dans les caisses des opérateurs commerciaux. Pour vous donner une illustration concrète, cela correspond à accueillir gratuitement l'un des trois grands opérateurs commerciaux sur notre réseau. » Que répondez-vous à ce propos ? Une solution serait d'augmenter le tarif de dégroupage pour inciter les opérateurs à faire migrer leurs clients vers la fibre.

Sur la qualité du réseau cuivre, Mme Heydemann a déclaré : « la meilleure façon d'améliorer la qualité de service du cuivre, c'est de fermer le réseau ! » La qualité du réseau cuivre restera pourtant primordiale pour quelques années encore. Comment cela se passe-t-il ailleurs en Europe ? Quelles sont les obligations des opérateurs historiques vis-à-vis du réseau cuivre chez nos voisins ? Est-il soutenable de maintenir une qualité de service dans les conditions actuelles ?

Mme Heydemann a également fait part de sa « surprise » devant les menaces de sanctions pour des retards de déploiement de la fibre, alléguant que la France est « le pays le plus fibré d'Europe ». Comment réagissez-vous à ces propos ? Comment interprétez-vous les engagements des opérateurs sur le déploiement, comment pourront-ils être atteints, quelles sont vos actions, et comment cela se passe-t-il dans les autres pays européens comparables à la France ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je m'évertue depuis quelques mois, en vain, à participer au comité cuivre de mon département. Il serait pourtant opportun que les élus soient davantage associés à la fermeture des réseaux cuivre sur le territoire.

Concernant le financement des réseaux, au regard de l'évolution du trafic, que pensez-vous d'une contribution éventuelle des grandes plateformes à titre de compensation des investissements publics ?

Enfin, je suis alertée par les opérateurs alternatifs sur les difficultés d'accès aux infrastructures détenues par les sociétés d'autoroute ou ferroviaires. Est-il possible de réguler la politique tarifaire de ces dernières ?

Mme Laure de La Raudière. - Orange nous a saisis mi-octobre 2022 d'une demande de révision des tarifs de dégroupage. Nous avons jugé la demande légitime pour la part fixe de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseau (Ifer), c'est pourquoi nous avons mis une proposition de révision en consultation publique juste avant Noël.

Orange a néanmoins décidé de contester devant le Conseil d'État le tarif de dégroupage fixé à l'issue de l'analyse de marché de décembre 2020. Ne pouvant commenter une procédure en cours, je me contenterai d'indiquer qu'il y a à ce jour 15 millions de lignes cuivre actives, représentant deux milliards d'euros de revenus annuels pour Orange au tarif actuel.

Même si les opérateurs ont su faire preuve de résilience, l'économie de la filière est affectée par la crise énergétique et l'inflation. Le marché des services de télécommunications de masse est un marché mature qui nécessite de lourds investissements. Les opérateurs peinent à trouver des relais de croissance, ce qui rend l'équation économique difficile à résoudre, pour Orange comme pour les autres.

Certains territoires ne recevront pas la fibre avant quelques années ; c'est pourquoi le maintien d'un réseau cuivre de qualité reste indispensable. Rien ne laisse penser qu'Orange ne serait pas en mesure de respecter ses obligations de qualité de service. Les problèmes ne sont au demeurant pas récents : dès 2017, nous avons constaté une baisse de la qualité de service, qui avait conduit l'Arcep à adresser une mise en demeure à Orange. Après une amélioration, la situation s'est à nouveau dégradée en 2020. Nous avons fixé des seuils chiffrés que doit respecter l'opérateur.

En 2021, sous la pression des élus, du Gouvernement et de l'Arcep, un plan cuivre a été mis en place avec Orange. Le Premier ministre a demandé aux préfets, dans une circulaire, de créer des comités de suivi. La mise en place a été plus ou moins satisfaisante selon les départements. Un point sur le sujet avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) serait bienvenu.

Nous avons besoin d'un réseau cuivre qui tienne la route jusqu'en 2030. Là où cela est possible, Orange doit fermer son réseau pour concentrer ses efforts sur les endroits où il reste nécessaire.

Chez nos voisins, nous rencontrons des situations variables : en Espagne et en Suède, 94 % à 96 % des locaux sont fibrés et le projet de fermeture du réseau en cuivre remonte à 2015. Il y a néanmoins des indicateurs de qualité de service pour ce qui reste du réseau. L'Allemagne et l'Italie sont beaucoup moins avancées et les opérateurs se voient aussi, bien sûr, imposer des obligations de qualité de service. Le maintien de cette qualité est donc dans tous ces pays un enjeu important jusqu'à la fermeture complète.

C'est le rôle du régulateur que de faire respecter les engagements pris par les opérateurs. C'est pourquoi je suis surprise moi-même de l'étonnement d'Orange sur cette mise en demeure, et donc sur le fait que le régulateur joue son rôle. La lecture des engagements d'Orange ne laisse aucun doute quant à leur nature : il s'agit d'une liste de communes où la fibre doit avoir été installée à une date donnée. C'est ainsi que le comprennent toutes les collectivités en zone Amii (appel à manifestation d'intention d'investissement).

Nous avons également mis en demeure Savoie Connectée et l'opérateur XP Fibre, de respecter ses obligations en zone Amel (appel à manifestation d'engagements locaux), ainsi que SFR dans la Nièvre.

Madame Loisier, le fair share est un débat vieux de plus de dix ans. Toute remise en cause du Règlement internet ouvert doit être exclue de ce débat ; en revanche, il est légitime de responsabiliser les Gafam sur l'augmentation du trafic. D'aucuns estiment que seuls les utilisateurs d'internet sont responsables ; c'est oublier le modèle économique des plateformes, qui repose sur l'économie de l'attention, les incitant à générer toujours plus de bande passante. Il faut donc les sensibiliser à l'impact environnemental de l'explosion des usages numériques et au besoin en financements publics que représente la construction de réseaux THD dans les territoires non rentables. La Commission européenne doit annoncer une grande consultation publique sur le sujet le 10 février 2023.

Concernant l'accès aux infrastructures autoroutières, j'invite les opérateurs qui se plaignent de difficultés d'accès à nous solliciter sous la forme du règlement de différend, qui nous permet d'instruire les dossiers et d'arbitrer. En général, nos décisions font office de nouvelle norme sur un marché.

M. Fabien Gay. - La disparition du timbre rouge peut se comprendre, face à la diminution du volume de courrier ; mais la promesse républicaine, selon laquelle tout courrier envoyé sur notre territoire est reçu le lendemain, demeure. De plus, le passage quotidien du facteur ou de la factrice dans les territoires, pas seulement ruraux, créait du lien social.

Or depuis quinze ans, le périmètre de la tournée s'étend, l'itinéraire change d'un jour sur l'autre, et les citoyens ne connaissent plus leur facteur. Et La Poste nous annonce l'expérimentation de la tournée un jour sur deux... Il faudra l'expliquer aux abonnés des journaux quotidiens ! La distribution de la presse, qui est dans le périmètre de l'Arcep, est une question démocratique. On nous dit qu'il faudra passer par des porteurs privés, évidemment beaucoup plus chers. Quel est votre avis sur cette question ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le nombre d'internautes a doublé en dix ans pour atteindre trois milliards. Si internet était un pays, il serait le troisième consommateur d'électricité au monde après la Chine et les États-Unis. C'est un coût environnemental que l'on ne peut ignorer. L'Arcep s'est emparée du sujet, publiant en 2022 une première enquête sur l'empreinte environnementale des acteurs du numérique à partir des données collectées auprès de ceux-ci. Quels sont les premiers résultats, et quelles sont vos préconisations en la matière ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, s'est dit favorable à une contribution des plus gros consommateurs de données, notamment les Gafam, mais l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques semble réservé. Vous évoquez la responsabilisation des acteurs, mais quelles sont vos pistes concrètes ? Quelle est la bonne méthode pour faire contribuer les Gafam sans porter atteinte à la neutralité du net ?

Le Data Act pour favoriser la circulation et le partage des données est en cours de discussion au niveau européen. Les fournisseurs de produits numériques, notamment les assistants vocaux, seraient tenus de rendre les données accessibles aux utilisateurs, voire à des entreprises tierces ; il y aurait aussi des obligations d'interopérabilité. La France souhaite inclure les smartphones dans ce règlement. Ces obligations de partage pourraient-elles faciliter, à terme, un diagnostic objectivé sur l'accès à internet depuis les terminaux mobiles ?

Une résolution européenne du Sénat du 22 juillet 2022 relative au programme d'action numérique de l'Union européenne à horizon 2030 demandait la substitution de l'objectif de couverture par la 5G par une obligation de qualité de service. Le texte final y répond partiellement en évoquant les réseaux sans fil à haut débit de nouvelle génération, aux performances au moins équivalentes à celles de la 5G. Que pensez-vous de ces objectifs, au vu de l'état du déploiement de la 5G en France ?

M. Serge Mérillou. - Le déploiement des réseaux de fibre donne lieu à des sous-traitances en série : jusqu'à cinq dans mon département de la Dordogne ! J'ai vu des câbles accrochés aux branches des arbres le long des routes...

Les acteurs de la filière, notamment les opérateurs d'infrastructures, se sont engagés à mettre en oeuvre le mode dit Stoc (sous-traitance opérateur commercial) V2, qui limite la sous-traitance à deux prestataires. Mais plus d'un an après sa mise en place, les défauts d'installation persistent. Le coût de la prestation de raccordement serait-il sous-évalué ?

Mme Viviane Artigalas. - La fermeture du réseau cuivre sera progressive, avec des phases d'expérimentation. Dans mon département des Hautes-Pyrénées, 21 communes sont concernées. Je m'interroge sur les solutions d'accompagnement prévues pour nos concitoyens fortement dépendants du réseau cuivre, à travers la télé-assistance par exemple. Les opérateurs sont-ils tenus d'accompagner la migration vers un abonnement similaire sur une ligne fibre ? Qu'est-ce qui est prévu pour les personnes les moins à l'aise dans l'usage des outils numériques ? Et pour les élus locaux ? Souvent en première ligne, ils seront amenés à jouer un rôle de médiateur si un particulier refuse la migration. Le régulateur obligera-t-il les opérateurs à assurer cet accompagnement ?

Mme Sylviane Noël. - Permettez-moi de citer à nouveau Mme Heydemann à propos des tarifs de gros : l'Arcep « n'a rien fait alors que tout était prévu et annoncé dans la précédente analyse de marché. C'est pourquoi nous nous préparons à introduire de lourds contentieux contre les décisions de l'Arcep de ne pas revoir le tarif du dégroupage. Il s'agit de défendre non pas une prétendue rente, mais la qualité de service à laquelle nos concitoyens ont droit. » Quelle est l'origine du litige entre Orange et l'Arcep sur le tarif de dégroupage ? Pourquoi ne pas l'avoir révisé en 2022, comme cela était prévu ?

Mme Heydemann affirmait aussi qu'Orange avait beaucoup investi dans la mise à niveau là où survenaient des problèmes de qualité, ajoutant : « certains de nos concurrents ont encore beaucoup à faire sur leurs infrastructures, mais il appartient au régulateur de réaliser un suivi. » Le plan de reprise des opérateurs est-il assez ambitieux et cohérent ? Y a-t-il d'autres opérateurs qui n'ont pas de plan de reprise ? Comment l'Arcep s'assure-t-elle qu'ils seront mis en oeuvre ?

M. Jean-Marc Boyer. - En attendant la fibre, des demandes de création de ligne cuivre sont refusées par Orange. C'est important, car cela affecte le décommissionnement du réseau cuivre qui relève des responsabilités de l'Arcep.

Je partage avec mes collègues le constat de l'abandon de l'entretien du réseau existant. Qu'est-ce que l'Arcep envisage pour les collectivités ? Pourquoi certains territoires sont-ils oubliés, sans explication, alors que les territoires voisins reçoivent la fibre ?

Mme Micheline Jacques. - Lors de son audition, Mme Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange, a indiqué que la modélisation tarifaire décidée par l'Arcep en 2020 ne prenait pas en compte tous les éléments du réseau, ce qui conduisait à la sous-évaluation du tarif de dégroupage.

Comment expliquez-vous qu'Orange indique ne pas avoir la capacité de recouvrer ses coûts avec le nouveau modèle tarifaire défini par l'Arcep ? Aux termes des conclusions du rapport du comité d'évaluation du plan France Très Haut Débit, les aides publiques ont été mobilisées pour les territoires ultramarins au même niveau que pour le reste du territoire, et la couverture « fibre », malgré une belle progression de 63 % à la Réunion et 48 % à Saint-Martin, reste très inégalitaire et sous-déployée dans les autres territoires, le taux de couverture variant de 36 % à Saint-Barthélemy à 0 % à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

La sous-évaluation du tarif de dégroupage indiquée par Orange ne risque-t-elle pas de freiner le déploiement de la fibre dans ces territoires et de compromettre l'objectif, fixé par le Gouvernement, de généralisation de celle-ci à l'horizon 2025 ?

J'ai constaté un écart entre le tarif de dégroupage en France et celui pratiqué par l'Allemagne, à hauteur de 2,5 euros. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Martine Berthet. - Le rythme du déploiement est un point important pour les collectivités territoriales, les entreprises et nos concitoyens, mais la qualité peut poser problème. On observe trop souvent que le déploiement se fait en aérien pour aller vite, au détriment de la qualité et de la résilience. Quelle est votre opinion à cet égard ?

Le déploiement de la fibre est un objectif majeur pour Orange, mais l'entretien et la fermeture du réseau cuivre doivent être réalisés simultanément, ce qui représente davantage de coûts et moins de recettes. Cela pose question quant aux moyens dont dispose l'opérateur historique, qui investit mais voit d'autres opérateurs commerciaux en recueillir les bénéfices.

M. Christian Redon-Sarrazy. - À Limoges, 12 000 prises sont manquantes dans le périmètre de la zone Amii (appel à manifestation d'intention d'investissement). À Brive, la couverture FTTH (technologie fibre à terminaison optique) était en novembre de 88 % sur l'agglomération : 6 000 habitants ne sont toujours pas connectés. Ces situations sont d'autant plus inacceptables que, dans le même temps, le syndicat mixte Dorsal a achevé la couverture de la zone d'initiative publique, y compris dans des zones très rurales.

Les collectivités s'inquiètent des risques de complétude pesant sur les zones Amel (appel à manifestation d'engagements locaux), qui suivent le chemin des Amii en termes de retard et de lenteur ; c'est de très mauvais augure pour nombre de territoires, notamment ruraux. Un positionnement de l'État est attendu de pied ferme. En restera-t-on au stade du dialogue ou de la simple mise en demeure, ou envisagez-vous de réelles sanctions pour ce retard pris dans le déploiement de la fibre, au mépris des engagements pris par les opérateurs ?

M. Franck Montaugé. - Votre prédécesseur, M. Sébastien Soriano, considérait que le réseau TNT (télévision numérique terrestre) était à bout de souffle, mais ne voulait pas que ces fréquences soient attribuées aux opérateurs. Quelle est votre position sur le devenir de la TNT et sur l'utilisation éventuelle de la bande de fréquences radioélectriques 470-694 mégahertz, en particulier pour le très haut débit ?

Le très haut débit numérique hertzien permettrait de connecter des foyers non facilement raccordables au réseau FTTH ; c'est souvent le cas dans le rural diffus et dans les zones isolées. À cet égard, la fin du réseau cuivre sera problématique pour les foyers non connectables à la fibre optique. Quelle est votre doctrine en la matière ?

Mme Anne Chain-Larché. - Le mode de sous-traitance aux opérateurs commerciaux (Stoc) a montré ses limites. Des territoires, notamment ruraux, qui ont investi de façon majeure dans la fibre ne peuvent pas en bénéficier pleinement : des abonnés sont « débranchés » pour que d'autres soient connectés.

M. Daniel Gremillet. - La région Grand Est a fait le choix d'investir pour raccorder l'ensemble de ses habitants à la fibre. Or on constate un gâchis, car le travail des opérateurs n'est pas de qualité.

Quelles seront les conséquences de la fin du réseau cuivre sur l'entretien des poteaux de ligne ?

Mme Françoise Férat. - Les ventes de journaux baissent globalement de 10 % par an, tandis que le prix du papier a augmenté de 40 %. Dans l'urgence, le Gouvernement s'apprête à débloquer 30 millions d'euros pour soutenir la distribution des titres. Si les pouvoirs publics ne changent pas la répartition prévue, cette aide sera versée exclusivement à la presse quotidienne nationale, c'est-à-dire à France Messagerie. Son concurrent, les Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui représente 550 éditeurs et distribue près de 3 000 titres, ne toucherait rien ! Quelle est votre position sur ce point ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Lors d'un déplacement en Californie, notre commission a visité l'entreprise SpaceX, où l'on nous a longuement parlé du développement de Starlink et de sa constellation de satellites. Quel rôle joue l'Arcep dans le domaine des télécommunications par satellite ?

Mme Laure de La Raudière. - Monsieur Gay, La Poste a une mission d'égalité républicaine à assurer, dans le cadre du service universel postal, et l'Arcep est très vigilante à cet égard. Dans l'avis que nous avons émis sur le renouvellement de la gamme tarifaire de La Poste, nous avons insisté sur l'accompagnement nécessaire de ses clients, au travers notamment de la e-lettre rouge, qui permet d'envoyer directement des courriers urgents depuis laposte.fr, même en l'absence d'accès à internet. Pour ce qui concerne la distribution de la presse, La Poste doit respecter l'obligation de tournée quotidienne ; si tel n'était pas le cas, l'Arcep lui demanderait des comptes et ferait respecter cette obligation relevant de sa mission de service universel. Pour autant, l'éditeur a le choix de contracter avec La Poste ou un distributeur privé.

Madame Férat, les subventions accordées à la presse sont versées aux éditeurs. L'Arcep a une mission d'évaluation non pas du financement de France Messagerie, mais des surcoûts qu'elle supporte dans le cadre de la distribution de la presse quotidienne. Nous l'avons dit, malgré la hausse de ses tarifs, l'équilibre financier de cette société, dont la mission est d'intérêt général, nous paraît fragile, et je me permets d'alerter la représentation nationale à cet égard.

Pour répondre à votre question sur Starlink, madame la présidente, le rôle de l'Arcep est d'attribuer les fréquences pour les stations terriennes. Nous constatons une multiplication des constellations satellitaires, qui entrent en concurrence les unes avec les autres ; nous réfléchirons, en 2023, à leur empreinte environnementale.

Le mode Stoc ne pose pas de problème en soi. La difficulté, d'ordre opérationnel, tient à l'absence de mise en place par les opérateurs d'un processus de contrôle des opérations. Ce mode a rendu possible la commercialisation de la fibre par les opérateurs commerciaux : 50 % des abonnés français disposent aujourd'hui de la fibre et, au bout d'un ou deux ans, le taux de raccordement est de 70 à 80 %.

Je ne nie pas les problèmes. Ainsi, nous avons incité les opérateurs à développer de nouveaux outils de contrôle : aux comptes rendus d'intervention sont ajoutées des photos. Ils ont aussi mis en place l'outil e-intervention, visant à identifier quel opérateur intervient, et à quel moment, sur le réseau, et donc à disposer d'une traçabilité. L'exploitation de ces informations dans le cadre des échanges entre opérateurs d'infrastructures et opérateurs commerciaux permettra de savoir qui est à l'origine des malfaçons, puis d'appliquer des sanctions. Ce dispositif n'a pas encore d'effet sur le terrain parce qu'il est très récent.

Nous avons aussi demandé aux opérateurs et à leurs sous-traitants de former correctement leurs agents d'intervention et de mettre en place un label afférent, ce qui avance plus lentement.

Enfin, nous voulons que soient identifiées au fur et à mesure les malfaçons qui apparaissent sur les réseaux. Cela s'applique, par exemple, aux armoires de rue : les opérateurs d'infrastructures doivent mettre à la disposition des opérateurs commerciaux du matériel qui soit en bon état, ce qui suppose une reprise régulière des malfaçons. Par ailleurs, l'Arcep assurera le suivi des plans de reprise des réseaux accidentogènes - les réseaux concentrant la grande majorité des incidents - présentés par les opérateurs, ce qui inclut les points de branchement. Free nous a ainsi notifié, hier, son plan de reprise. On pourra donc constater des améliorations à cet égard en 2023.

Une question est liée à la qualité de service de la fibre : la rémunération des sous-traitants. Selon l'Arcep, qui a rappelé cette obligation, les grands donneurs d'ordre doivent assurer une rémunération suffisante des agents d'intervention. Cela permettra de recruter des candidats correctement formés et de rendre la filière attrayante, alors même qu'il manque aujourd'hui 2 000 à 3 000 personnes sur le terrain. Je salue, à cet égard, la négociation qui a eu lieu entre Orange, premier donneur d'ordre du secteur, et ses sous-traitants aux mois d'octobre et novembre derniers.

L'Arcep a mis en demeure Orange de respecter ses obligations dans les zones Amii et en termes de complétude, mise en demeure qu'Orange a contestée devant le Conseil d'État.

Mme la présidente souhaitait savoir comment nous faisions respecter les obligations des opérateurs : nous cherchons le meilleur moyen d'obtenir des résultats. Pour le mode Stoc, par exemple, nous avons voulu que les opérateurs mettent en place un processus de contrôle afin qu'ils ne soient plus dans le déni. Nous les mettons également souvent en demeure de remplir leurs obligations en termes de complétude.

Plusieurs questions portaient sur le respect de l'environnement. L'enquête annuelle que nous réalisons à partir de la collecte de données a montré que le réseau fibre consommait quatre fois moins d'énergie par abonné que le réseau cuivre, et que les réseaux mobiles consommaient deux fois plus d'énergie que les réseaux wifi. Sur cette base, nous avons établi une liste de bonnes pratiques, mise en ligne, qui vise à indiquer à nos concitoyens les usages limitant l'empreinte environnementale du numérique, et qui donne du crédit à la démarche de fermeture du réseau cuivre : il serait stupide de conserver deux réseaux parallèles pour des raisons non seulement économiques mais aussi liées à la préservation de l'environnement.

Pour ce qui concerne la maintenance des poteaux de ligne, comme il est d'usage dans le génie civil, le maître d'ouvrage - en l'occurrence Orange - a l'obligation, détachée de celles qui sont liées au réseau cuivre, de remplacer ces matériels.

M. Serge Mérillou. - Ce n'est pas fait !

Mme Laure de La Raudière. - En 2020, l'Arcep a séparé les obligations d'Orange relevant du génie civil et celles qui sont liées au réseau cuivre. Nous travaillons, dans le cadre de la nouvelle analyse de marché, à l'éventuel renforcement des obligations de génie civil, qui perdureront après la fermeture du réseau cuivre ; nous serons très attentifs à leur respect.

J'en viens aux tarifs du dégroupage. Les revenus d'Orange au titre de la boucle locale cuivre s'élèvent à 2 milliards d'euros. Orange a saisi l'Arcep en octobre 2022 d'une demande de révision de tarifs du dégroupage, que nous avons examinée. Nous avons considéré que la partie de la demande liée à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) était légitime et l'avons soumise à consultation publique en décembre dernier.

Pour ce qui est de l'outre-mer, il est vrai que les territoires ultramarins - à l'exception de la Réunion qui était l'un des premiers départements fibrés de France - accusent un décalage par rapport à la moyenne des départements. Pour autant, il existe dans ces territoires, sauf à Mayotte, des projets de déploiement de la fibre portés par les collectivités. Les problèmes rencontrés sont liés non pas à la régulation mise en place par l'Arcep, mais à la politique menée par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), en concertation avec les collectivités concernées.

Sur la TNT, un point d'étape sera fait en 2025 et la décision finale d'attribution sera prise en 2030. Je souhaite que l'analyse de la situation en vue de l'attribution des fréquences, qui doit prendre en compte les besoins de chaque secteur - télécommunications et audiovisuel -, soit faite de façon objective.

M. Franck Montaugé. - Cela constitue-t-il une solution technique pour l'accès au très haut débit ?

Mme Laure de La Raudière. - Votre question rejoint celle qui m'a été posée sur les solutions alternatives, notamment la 5G. L'objectif du plan France Très Haut Débit est le déploiement de la fibre sur l'ensemble du territoire ; selon les informations que me transmettent les opérateurs, les exceptions concerneront seulement 1 à 2 % des cas, ce qui n'empêchera pas de mobiliser des solutions alternatives au moment de la fermeture du réseau cuivre - 5G, 4G+, satellites, etc.

L'une des clés de la réussite de ce plan est la gouvernance et la concertation avec les collectivités locales, dont j'aimerais qu'elles jouent un rôle plus important dans le choix par Orange des communes appelées à bénéficier de la fibre. Par ailleurs, l'accompagnement de nos concitoyens doit être le fait des opérateurs mais aussi provenir de l'action publique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous vous remercions pour vos réponses, madame la présidente.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 20.