Mardi 10 janvier 2023

- Présidence de M. Albéric de Montgolfier, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de M. Éric Lombard, candidat proposé par le président de la République aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, et vote sur cette proposition de nomination

M. Albéric de Montgolfier, président. - Mes chers collègues, je remplace brièvement le président Claude Raynal, retenu dans les transports, et j'en profite pour vous présenter mes meilleurs voeux pour l'année 2023.

En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Éric Lombard, candidat proposé par le Président de la République pour être reconduit à ses fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Comme vous le savez, la Caisse des dépôts et consignations est une autorité placée « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Éric Lombard me rappelait d'ailleurs que, sur le côté du porche du bâtiment abritant l'institution, face à la Seine, une inscription rappelle l'ordonnance de 1816 qui prévoit cette autorité particulière du Parlement. Cette garantie est exercée notamment par la commission de surveillance, au sein de laquelle siègent plusieurs parlementaires, dont Jérôme Bascher pour notre commission et Viviane Artigalas - dont je salue la présence - pour la commission des affaires économiques, représentée depuis la réforme issue de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).

Par ailleurs, monsieur Lombard, depuis votre première nomination, en novembre 2017, nous avons eu l'occasion de vous entendre dans vos fonctions de directeur général chaque année, parfois en commun avec la commission des affaires économiques. Cette audition, qui est publique, est d'un format différent puisqu'il s'agit de se prononcer sur votre reconduction.

Ainsi, en application de la loi organique et de la loi ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, cette audition sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées. Le dépouillement sera effectué après votre audition par l'Assemblée nationale, en fin de journée.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

M. Éric Lombard, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. - Je suis très honoré de vous présenter ma candidature au poste de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, puisque, le 8 décembre dernier, le Président de la République a proposé de me reconduire dans mes fonctions pour un second mandat. Je vous demande donc aujourd'hui de bien vouloir m'accorder votre confiance.

Comme l'a rappelé Albéric de Montgolfier, au-delà de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, cette audition s'inscrit dans la relation fondamentale qui lie la Caisse des dépôts et consignations au Parlement, puisque celle-ci est placée « de la manière la plus spéciale sous la surveillance et la garantie de l'autorité législative ». Croyez bien que cette relation avec le Parlement de la Nation s'exerce de manière forte et quotidienne au sein de notre institution.

Ce statut, unique à ce stade, se traduit dans notre gouvernance. Pendant cinq ans, la commission de surveillance a été présidée par Sophie Errante, puis par le sénateur Jérôme Bascher, que je remercie pour l'énergie et la compétence dont il a fait preuve. Depuis le mois de septembre dernier, le député Alexandre Holroyd lui a succédé.

J'ai veillé à vous rendre compte régulièrement de nos activités, comme le prévoit la loi Pacte, et mes collaborateurs sont très souvent venus vous exposer le suivi de nos travaux.

Puisqu'il s'agit d'établir un bilan, il me semble que la CDC est aujourd'hui plus forte et que son action est plus efficace au service des territoires et de l'économie.

Le premier objectif de mon action a été de rendre le rôle de la Caisse plus lisible auprès des élus ; c'est pourquoi nous avons créé, en mai 2018, la Banque des territoires, qui regroupe, depuis sa création, l'ensemble de notre expertise et de nos offres à destination des territoires. Grâce à l'implication de son directeur Olivier Sichel, la Banque des territoires est désormais le point d'entrée unique pour tous les élus, en zone rurale et dans les métropoles, dans l'Hexagone et dans les outre-mer. Son organisation est très fortement déconcentrée et décentralisée puisque plus de la moitié des décisions sont prises dans les régions, au plus près du terrain.

L'offre de la Banque des territoires est globale. Il y a tout d'abord de l'ingénierie, indispensable pour mener à bien un projet de développement, puis des investissements en capital et en fonds propres et enfin des investissements en prêts pour compléter les financements. Notre activité historique de prêteur sur les fonds d'épargne nous a ainsi permis d'accompagner les importantes mutations du logement social dans le cadre notamment de deux plans logement et de l'effort particulier fourni pour la rénovation thermique de notre parc. À cet égard, il faut mentionner l'action de notre filiale CDC Habitat, premier bailleur français, très engagée dans la rénovation des copropriétés dégradées.

Je profite de cette occasion pour redire mon attachement au financement par l'épargne réglementée. En effet, les fonds d'épargne constituent un modèle unique de transformation de l'épargne populaire, c'est-à-dire d'une épargne à court terme garantie, en prêts de très long terme, pouvant courir sur une durée allant jusqu'à quatre-vingts ans. En outre, les conditions d'accès à ces prêts sont les mêmes en tout point du territoire, ce qui en fait un outil massif d'égalité territoriale. En réalité, il s'agit de la seule action financière qui soit complètement équitable, quel que soit l'endroit où nous nous trouvions sur le territoire.

Les résultats de la création de la Banque des territoires sont tangibles. Depuis 2018, le volume des investissements réalisés en capital sur les territoires a triplé, atteignant l'année dernière un montant de 2 milliards d'euros. La confiance qu'inspire l'institution a entraîné, en outre, un fort effet de levier : quand nous investissons un euro, s'ajoutent aussitôt sept euros d'investissements privés, publics ou venant de l'Union européenne grâce au projet InvestEU. Enfin, le caractère complet de notre offre nous a permis de participer à des opérations importantes comme Action coeur de ville, qui bénéficie à 222 villes de métropole et des outre-mer, ou Petites Villes de demain, dans les zones rurales et les territoires d'industrie.

Le deuxième axe du renforcement de notre ancrage sur le territoire tient au rapprochement avec La Poste, qui a été autorisé par la loi Pacte en 2019 et réalisé en 2020. Grâce à lui, la CDC s'adosse à un réseau sans égal. Bien évidemment, en devenant actionnaire majoritaire de La Poste, nous nous sommes engagés à accompagner sa transformation et à nourrir de nombreuses coopérations stratégiques.

Cette opération, complétée par l'acquisition de la Société de financement local (SFIL), a fait de nous un grand pôle financier public, acteur majeur du financement de l'économie de notre pays. Nous disposons ainsi de 1 300 milliards d'euros de ressources qui se traduisent en autant d'engagements au service de l'ensemble des territoires - le chiffre est massif.

Depuis la création de ce grand pôle financier public, les rôles sont précisément répartis entre la Banque postale, la Banque des territoires, la SFIL, spécialisée dans le financement des collectivités locales et dans le financement export, ainsi que Bpifrance. Les rôles de ces différentes entités sont bien précisés et leur action est parfaitement segmentée de façon à éviter tout gaspillage de l'argent des Français.

Je suis également très attaché à notre action en matière de politique sociale, secteur dont j'ai cherché à renforcer la direction.

Nous gérons, en effet, la retraite d'un Français sur cinq au travers de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et de l'institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l'État et des collectivités publiques (Ircantec).

De plus, nous avons mis en oeuvre au cours du quinquennat précédent le dispositif « Mon compte formation » qui constitue une révolution dans l'accès à la formation professionnelle, dans la mesure où il contribue à sa massification - des millions de Français en ont bénéficié - et surtout à une meilleure équité. Alors qu'auparavant la formation professionnelle profitait surtout à des cadres masculins, elle bénéficie désormais majoritairement aux employés et aux ouvriers, à parité entre les hommes et les femmes.

Nous avons également été au rendez-vous des crises, en jouant notre rôle contracyclique. J'étais venu vous présenter notre contribution au plan de relance, pour un montant de 26,3 milliards d'euros en fonds propres. Nous avons tenu notre engagement, puisque, à la fin de l'année 2022, 80 % des sommes prévues étaient engagées et que nous nous apprêtons à finir la mise en oeuvre de ce plan. Nous tenions à ce que ces fonds soient engagés le plus rapidement possible pour soutenir notre économie.

Rien de cela n'aurait été possible sans l'engagement des femmes et des hommes de la Caisse des dépôts. Je veux devant vous les remercier et leur rendre hommage, car ce sont des personnes très professionnelles, qui oeuvrent sur le terrain tous les jours au service de l'intérêt général, avec talent, engagement et énergie. Elles font de la Caisse des dépôts ce qu'elle est.

Enfin, ce dynamisme a permis de dégager de bons résultats économiques, ce qui est essentiel pour une institution qui n'a pas d'actionnaires et qui est placée sous la protection du Parlement.

Nous avons dégagé en moyenne sur la période 2,5 milliards d'euros de résultat, compté après un équivalent d'impôt sur les sociétés que nous versons. Une tradition veut que nous versions à l'État une part de ce résultat, qui s'est élevée à 6 milliards d'euros, sur l'ensemble de la période, soit 1,5 milliard d'euros par an. La Caisse des dépôts est aussi un contributeur important au budget de l'État, et c'est un rôle citoyen qui nous honore.

À quoi servira ce second mandat, si vous décidez de me l'accorder ?

La solidité financière et la plus grande efficacité au service des territoires acquises grâce à cette transformation interne nous permettent de nous projeter dans les cinq prochaines années. Nous prévoyons d'investir 27,5 milliards d'euros, de manière à maintenir un rythme d'investissement au niveau de celui que nous avons connu pendant le plan de relance.

En effet, nous sommes convaincus que l'expertise, les moyens et la qualité des femmes et des hommes de la Caisse des dépôts nous permettront d'accompagner la transformation du pays autour de trois axes prioritaires : la transformation écologique, les souverainetés et la cohésion sociale et territoriale.

Pour ce qui est de la « transformation » écologique, c'est un mot que je préfère à celui de « transition », car, en réalité, c'est toute notre économie et toute notre vie sociale qu'il s'agit de transformer pour faire face au réchauffement climatique et à ses défis. Cette transformation sera source d'investissement et de bien-être pour nos concitoyens, de sorte qu'il faut l'appréhender dans un esprit positif.

Toutefois, les investissements devront être massifs. Depuis 2020, Bpifrance a déjà engagé 50 milliards d'euros, et nous comptons, dans la période 2023-2027, engager 80 milliards d'euros supplémentaires.

Parmi les secteurs qui en bénéficieront, il y a la rénovation thermique des bâtiments. En cinq ans, plus d'un million de mètres carrés de bâtiments publics ont ainsi été rénovés, ainsi que près de 190 000 logements sociaux. Le rythme doit néanmoins s'accélérer et, pour cela, nous mettons en place des outils, comme le service Prioréno, grâce auquel les élus pourront disposer du bilan énergétique des bâtiments de leur commune pour déterminer et planifier les rénovations à mener en priorité durant leur mandat, rénovations que nous pourrons financer sur les fonds d'épargne.

Les mobilités durables sont également concernées, notamment dans les transports publics. Ceux-ci doivent être ouverts au plus grand nombre, dans le plus de territoires possible, de façon totalement décarbonée. Aussi, nous finançons, avec le soutien de l'Union européenne, l'électrification des bus de la RATP, les bus à hydrogène de Dijon ainsi que les bus électriques de Brest. Demain, nous pourrions aussi être le financeur de nouvelles infrastructures, telles que les petites lignes ferroviaires sur l'ensemble des territoires ou les RER métropolitains.

Aux bornes du groupe, nous avons une filiale de transports publics, Transdev, qui a elle aussi engagé la décarbonation de son action.

Avec La Poste, nous avons créé des outils particuliers, comme Movivolt, pour accélérer le verdissement des flottes des entreprises, et Urby, pour développer la logistique décarbonée dans les métropoles.

En outre, la décarbonation des transports concerne aussi les transports individuels. Nous ferons ce que nous avons toujours fait pour développer les grandes infrastructures de notre pays, en finançant l'installation d'un réseau de bornes de recharge électrique. C'est important, même si cela ne sera pas forcément facile, notamment dans les zones rurales ou bien encore dans les copropriétés où le premier qui s'équipera ne voudra pas payer pour tout le monde. Pour traiter ce sujet particulier, nous avons mis en place une filiale dédiée, Logivolt, qui fonctionne très bien.

Malheureusement, comme vous le savez, les effets du réchauffement climatique sont déjà là et nous devons aussi accompagner l'adaptation des territoires les plus fragiles, comme les territoires littoraux et les territoires de montagne. Nous intégrons donc ce critère d'adaptation dans nos projets urbanistiques, ce dont témoignent, par exemple, ceux qui favorisent la réduction des îlots de chaleur dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou bien ceux qui portent sur la renaturation.

En effet, le réchauffement climatique accroît les risques pour la biodiversité. Nous avons donc développé une filiale CDC Biodiversité, qui fait de la compensation en matière de biodiversité, et nous veillons à exercer pleinement notre métier d'aménageur, métier qui est en voie de complète transformation. De fait, l'aménagement de nos villes et de nos campagnes doit changer radicalement pour respecter l'impératif écologique, pour réduire l'artificialisation des sols, ce qui est un défi pour nombre d'élus, et pour construire ce qu'on appelle « la ville sur la ville », en développant la « seconde vie du bâtiment ». Par exemple, au lieu de détruire un bâtiment et de le reconstruire, ce qui consomme beaucoup de ciment, on en garde les structures en béton. Je rappelle que si les cimentiers formaient un pays, ce serait le septième émetteur de carbone de la planète. On réalise donc une grande économie de CO2. Nous avons procédé ainsi à Villeurbanne, selon une méthode plus coûteuse, mais économe en carbone pour recréer des bâtiments qui sont passés du statut de vieux HLM à celui de bâtiments neufs à énergie positive. Nous accompagnons toutes ces nouvelles méthodes de construction et développement, car elles sont essentielles.

La sobriété foncière nous impose également de modifier l'organisation de l'espace urbain et nous avons pour projet de travailler sur les entrées de ville où l'on trouve de nombreux centres commerciaux qui, en réalité, sont moins prospères depuis que l'on a redynamisé les centres-villes et que le e-commerce s'est développé. Nous transformerons donc progressivement certains de ces espaces en nouveaux éléments de ville et nous remplacerons les parkings par des logements ou des lieux d'activité pour recréer de la diversité.

Toutefois, il n'y aura pas de transformation écologique sans une mutation profonde de notre système énergétique et le deuxième axe des priorités que nous nous fixons vise à développer notre souveraineté non seulement en matière énergétique, mais aussi en matière industrielle, numérique et financière.

Le contexte géopolitique que nous connaissons nous encourage à développer notre autonomie énergétique. Pour cela, la Caisse des dépôts peut jouer un rôle majeur, puisqu'elle est co-actionnaire des deux grands réseaux de transport d'énergie en France, Réseau de transport d'électricité (RTE) avec EDF et GRTgaz avec Engie. Plus largement, nous pouvons financer toutes les infrastructures lourdes de distribution qui restent à construire.

Nous sommes aussi un producteur d'énergie, notamment hydraulique, puisque nous sommes co-actionnaire de la Compagnie nationale du Rhône, et nous intervenons dans l'implantation de parcs éoliens en mer ou sur terre et de centrales photovoltaïques, comme celle de Labarde à Bordeaux, construite sur une ancienne décharge, sans artificialisation des sols, et qui est la plus grande centrale photovoltaïque établie en ville en Europe. Je cite aussi, dans le département de l'Oise, les travaux que nous menons sur la base aérienne de Creil, où nous installons des panneaux photovoltaïques sur une piste en béton, également sans artificialisation des sols. Au total, la Banque des territoires finance déjà la production de 8 gigawatts, soit plus que 13 % de la capacité de notre pays.

Nous sommes prêts à faire beaucoup plus pour financer les transitions, notamment en augmentant nos investissements à travers les fonds d'épargne, c'est-à-dire ceux du livret A, du livret de développement durable et solidaire (LDDS) ou du livret d'épargne populaire. Nous avons là un formidable outil de transformation, les encours de ces fonds étant de 500 milliards d'euros, dont 350 milliards d'euros gérés par la Caisse des dépôts. On peut y voir une sorte de grand emprunt permanent. Ces fonds seront mis à disposition des politiques énergétiques que vous déciderez, leur choix relevant, bien évidemment, du Parlement de la République.

L'indépendance énergétique va de pair avec la souveraineté industrielle. Certains esprits avaient fantasmé des entreprises sans usine, mais l'évolution du monde leur donne tort. Originaire d'un vieux département industriel, celui de l'Aube, ce fantasme m'est toujours paru irréaliste. L'industrie est la base du développement économique et territorial, mais il faut qu'elle soit décarbonée. La Caisse des dépôts est donc très engagée dans la réindustrialisation de notre pays, que nous devons moderniser. Cela passe par la réhabilitation des friches et la construction d'usines clé en main. Le ministre de l'économie et des finances vient de faire des annonces en matière d'industrie verte et nous accompagnerons l'action du Gouvernement pour verdir notre industrie.

À cet effet, nous pourrons être amenés à intervenir en soutien à nos grandes entreprises dans le secteur des déchets, comme nous l'avons fait, il y a quelques mois, auprès de Suez, dont nous avons repris 20 % du capital.

En matière de souveraineté numérique, beaucoup a été fait pour installer le très haut débit dans les territoires et nous l'avons financé. Cependant, le numérique passe aussi par les satellites. Nous avons soutenu le rapprochement d'Eutelsat avec le réseau de satellites OneWeb afin que l'Union européenne puisse détenir une constellation de satellites.

Le cloud est un autre domaine où la souveraineté est clé. Nous avons engagé un projet avec La Poste, Bouygues Telecom et Dassault Systèmes pour développer une solution française de cloud, lancée sous le nom de « Numspot ».

Enfin, pour développer notre souveraineté financière, nous participons depuis plusieurs années à la consolidation de l'ancrage européen et au développement d'Euronext, la grande place financière européenne.

Le troisième axe de nos priorités porte sur la continuation de notre action en faveur de la cohésion territoriale et sociale. En effet, pour être socialement juste la création de richesses doit être équitablement répartie sur les territoires et équitablement partagée entre les citoyens. Cette conviction irrigue l'action de la Caisse des dépôts depuis 1816 et la lutte contre les fractures territoriales et sociales est toujours notre ADN.

Nous poursuivrons donc notre engagement pour soutenir les politiques publiques en ce sens. Nous sommes l'un des acteurs importants de la deuxième phase du programme Action coeur de ville et nous continuerons d'oeuvrer dans le cadre du programme France 2030 à destination des quartiers de la politique de la ville qui est en train de se construire.

Pour garantir la cohésion sociale, il faut aussi répondre aux grands défis sanitaires et sociaux de notre temps, en particulier la prise en charge du grand âge et la dépendance.

Pour mener à bien ces chantiers, nous disposons des moyens nécessaires. En cinq ans, nous avons gagné en efficacité sous l'autorité vigilante de la commission de surveillance pour renforcer notre politique opérationnelle et pour veiller à mieux utiliser encore l'argent que les Français nous confient.

Notre pays est confronté à des défis d'ampleur historique, qu'il s'agisse de faire face aux effets du réchauffement climatique, aux crises internationales ou à la fragmentation du monde que nous constatons. La Caisse des dépôts a toujours été au rendez-vous pour relever ces grands défis, pour financer les transformations et les mutations et pour accompagner le développement de l'économie française sur l'ensemble des territoires de la République. Je prends l'engagement devant vous, si vous m'accordez votre confiance, de poursuivre ce mandat avec toute l'énergie et l'engagement dont je suis capable, en m'appuyant sur des équipes valeureuses que j'ai citées.

M. Claude Raynal, président. - Ayant moi-même été membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts, j'aurai bien entendu des questions à vous poser, mais je laisse d'abord la parole à M. le rapporteur général.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souhaite vous interroger sur certains sujets qui nous intéressent quant à l'action à venir de la Caisse des dépôts, ayant bien compris que vous étiez prêt à exercer votre mandat pour une période nouvelle avec une énergie non moins renouvelée. Cette audition intervient après cinq années, qui nous permettent de tirer un bilan de votre action. La singularité calendaire fait que votre prochain mandat sera limité à quatre ans compte tenu des règles d'âge de départ à la retraite.

S'agissant de votre bilan, au-delà des réalisations que vous avez rappelées, j'aimerais que vous reveniez plus particulièrement sur la politique salariale et managériale de la Caisse, ainsi que sur le modèle économique de la Banque des territoires, tel qu'il s'exerce depuis 2018.

En 2016, un référé de la Cour des comptes critiquait certains aspects de la politique salariale de la Caisse des dépôts, allant jusqu'à pointer certaines irrégularités. On parle aujourd'hui du mécanisme d'intéressement mis en place par la Caisse. Quelles ont été les actions engagées sous votre autorité pour que la valeur soit plus justement répartie et dans des proportions plus conformes aux attendus de la situation actuelle ?

Quant à la Banque des territoires, créée depuis moins de cinq ans, elle avait pour but de proposer un « point d'entrée » unique, pour reprendre votre expression, sans doute plus judicieuse que celle de « guichet unique ». Si certains d'entre nous ont constaté des améliorations, en matière de digitalisation, de simplification et de territorialisation de l'action de la Caisse, ne faudrait-il pas aller plus loin ? L'accompagnement des collectivités par la Banque des territoires doit être plus soutenu, plus souple et plus proche de tous les territoires. En effet, certains d'entre eux manquent d'ingénierie et tout simplement de moyens pour y recourir, ce qui nourrit un sentiment de déclassement et de fracture territoriale opposant les territoires les mieux dotés, les plus attractifs et les plus puissants, et les autres, qui ont pu subir la vague de désindustrialisation sans trouver les moyens de rebondir. Souvent, dans ces derniers territoires, les collectivités peinent à faire face aux frais qu'elles doivent supporter et aux contraintes qui pèsent sur elles. Comment envisagez-vous de remédier à ces difficultés ?

Ce constat complète celui de la Cour des comptes, qui estime dans un rapport récent que le modèle économique de la Banque des territoires est fragilisé par un trop faible examen de la valeur créée par les investissements et par des risques de chevauchement avec Bpifrance et La Poste. Même si vous nous avez expliqué que la répartition des rôles était désormais claire, des difficultés subsistent manifestement - la création est récente donc cela s'entend. En outre, l'on constate un niveau de marge insuffisant du fonds d'épargne pour couvrir les frais de gestion. Quel regard portez-vous sur cette situation ? Considérez-vous que des marges de progrès existent pour renforcer ce modèle ?

Pour ce qui est de l'avenir de la Caisse des dépôts, je souscris au modèle de transformation de la société que vous privilégiez par rapport à celui d'une transition. Toutefois, dans cette transformation, il faudra prendre en compte le phénomène de fracture et de fragmentation territoriales. Vous avez notamment mentionné les transports. Or, en la matière, l'accompagnement sera forcément différent selon qu'il s'agisse d'organiser un transport massif dans un espace urbain ou métropolitain, ou selon qu'il soit besoin de construire des solutions nouvelles pour faciliter l'accès au travail ou au centre urbain dans des territoires qui n'ont actuellement pas les moyens, ni financiers ni techniques, de garantir une offre de transport performante.

Quel doit être, selon vous, le rôle de la Caisse des dépôts pour permettre à notre pays et nos territoires de concilier un double enjeu de performance et de cohésion ? La performance doit être à la fois économique et écologique, car on favorisera sinon des dérives excessives et populistes autour de l'écologie, telles que celles qui se manifestent déjà aujourd'hui. L'enjeu est aussi celui de la cohésion. En matière sociale, vous avez mentionné le logement, qui est en effet un facteur important et même prioritaire à prendre en compte. Toutefois, la cohésion doit aussi être territoriale et la Caisse peut jouer un rôle important en cela, avec la nécessité que les collectivités territoriales ne supportent pas un coût qui pèse trop lourd dans leurs finances, notamment pour celles à dominante rurale.

M. Claude Raynal, président. - J'ai fait partie de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts au moment très particulier où celle-ci prenait de l'envergure, avec non seulement la création de la Banque des territoires, qui a modifié structurellement la vision que les élus locaux avaient de la Caisse, mais aussi le rapprochement avec La Poste et l'acquisition de la SFIL. À cette époque, la CDC était encore « la vieille dame ». Sans aller jusqu'à dire qu'elle serait devenue un « jeune homme sautillant », l'expression a désormais disparu, ce qui montre l'ampleur de l'évolution qui a eu cours durant ces dernières années.

Le rapporteur général a mentionné les risques de chevauchement entre les différentes entités de la CDC. Je parlerai de « foisonnement » d'initiatives et cela ressort dans votre propos où vous ne détaillez que quelques actions de la Caisse parmi d'autres. Ce foisonnement montre qu'il existe une capacité d'initiative sur le terrain de la part du personnel de la Caisse, qui propose des solutions sans que ce soit forcément dans le cadre d'une sollicitation de l'État. Comment contrôler l'ensemble des projets - qu'il s'agisse de contrôle interne ou externe -, dès lors que le système est foisonnant, pour garantir leur utilité et leur efficacité sociale aussi bien qu'économique ?

M. Éric Lombard. - Pour répondre à vos inquiétudes portant sur le risque de « chevauchement », les mandats des institutions financières du groupe sont clairs. De même qu'il existe un tribunal des conflits en matière judiciaire, nous avons aussi un organe comparable, qui réunit tous les trois mois les dirigeants de ces institutions, de manière à éviter toute querelle de frontière et à établir précisément le rôle de chacun. Cela fonctionne, car nous n'avons plus d'incidents de ce type.

Quant au foisonnement d'initiatives, il existe bel et bien. Je considère que nous pouvons jouer le rôle d'entrepreneur public - d'ailleurs, la plupart des élus le font -, dès lors que le cadre est clairement fixé. Nous sommes donc soumis à de nombreuses règles et doctrines, qui sont d'ordre éthique et qui garantissent une discipline financière très stricte. En outre, dans notre organisation, chaque équipe a un mandat précis, qui fait l'objet d'un suivi mois après mois, pour vérifier que les projets sont rentables, étant entendu que la valeur doit revenir aux territoires au moins autant qu'à la Caisse.

Depuis la loi Pacte, notre activité est supervisée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) : l'armature de contrôles, extrêmement dense, comporte des contrôles internes, le contrôle périodique de l'audit, et les contrôles effectués par d'autres organismes, notamment la Cour des comptes.

Ce foisonnement d'initiatives représente une richesse et favorise le développement des territoires, dès lors qu'il est encadré ; il faut parfois interrompre des initiatives ne fonctionnant pas, car tel est le rôle d'un entrepreneur.

Monsieur le rapporteur général, la Cour des comptes avait émis il y a plus de cinq ans des recommandations assez sévères concernant notre politique salariale. Elles ont toutes été mises en oeuvre afin de les rendre conformes aux textes. La rentabilité de l'établissement est honorable ; l'accord d'intéressement porte sur 8 % de la masse salariale, alors que les textes nous permettent d'aller jusqu'à 20 %. Cet accord d'intéressement, négocié chaque année avec les partenaires sociaux, a pour objectif d'améliorer l'équité des rémunérations. Pour l'essentiel, les sommes versées sont identiques, quel que soit le salaire : en proportion, ces primes profitent donc aux plus bas salaires, ce qui correspond à une politique sociale plus juste. À cet égard, nous avons prioritairement versé la prime de pouvoir d'achat aux petits salaires, et nous n'en versons pas aux cadres dirigeants. Notre politique salariale vise à maintenir un parcours de carrière motivant tant pour nos agents publics que pour nos salariés privés, les salaires les moins élevés recevant une attention particulière.

Je ne prétends pas que nous sommes arrivés au bout du chemin concernant la simplification de la Banque des territoires, qui est aussi une plateforme numérique. Son site internet permet aux élus d'accéder à de nombreuses informations, notamment pour suivre localement l'évolution du commerce et de la consommation. J'ai voulu simplifier les procédures d'octroi de prêt : beaucoup sont désormais accordées numériquement, et donc plus simplement. La simplification reste un enjeu quotidien, car nous avons tendance à créer de la complication - j'ignore si le problème est spécifiquement français, s'il est lié aux institutions publiques, ou s'il est général. Le rôle des dirigeants, me semble-t-il, est de réduire cette tendance.

Respectueusement, je conteste l'évaluation des investissements par la Cour des comptes. J'ai souhaité que le coût du capital de la Banque des territoires soit beaucoup plus faible que celui d'un acteur privé. Nous sommes un acteur public, et la valeur doit aller aux territoires. Lorsqu'on nous présente un projet trop rentable, il y a un problème : soit le projet doit être traité par le privé, soit l'équilibre entre la part revenant au territoire et celle qui revient à l'investisseur n'est pas bon.

De plus, nous devons prendre les risques que les acteurs privés ne prennent pas. Parfois, ces risques se matérialisent par des pertes, fort peu nombreuses en réalité. Au contraire, en prenant le risque d'installer le très haut débit dans des territoires ruraux, nous avons constaté leur valeur considérable. En réalité, la Banque des territoires fait davantage tourner son portefeuille que par le passé, vend plus d'actifs créés, et ces cessions sont réalisées avec des plus-values élevées, qui valident souvent les options retenues.

Par ailleurs, le taux de marge des fonds d'épargne populaire que nous prêtons pour le compte de l'État répond à un équilibre. L'ensemble des fonds d'épargne représente 350 milliards d'euros, 330 milliards de ces ressources venant du livret A, du LDDS et du livret d'épargne populaire, contre 20 milliards d'euros de fonds propres. Ils sont intégralement investis, à hauteur de 190 milliards d'euros dans le logement social et l'action territoriale, le reste étant investi dans l'économie française. Nous veillons à ce que l'équilibre soit maintenu, en complicité avec la direction générale du Trésor, qui a la tutelle de ce bilan.

Monsieur le rapporteur général, vous avez raison, la hausse des taux, notamment du livret A, met ce bilan sous tension. Mais, par ailleurs, une protection est donnée aux actifs à l'aide d'un portefeuille de 50 milliards d'euros d'obligations indexées sur l'inflation européenne, qui va couvrir ces frais cette année. En réalité, la plupart des prêts basés sur le livret A sont indexés, puisque l'emprunteur paie le taux du livret A, plus une marge. Mais il s'agit bien d'un point d'attention, au moment où les taux remontent.

Enfin, nous sommes très sensibles à la question des fractures territoriales et des petites collectivités. Depuis cinq ans, nous avons demandé à nos directions régionales d'avoir des objectifs d'opérations non en volume, mais en nombre, pour nous assurer que le plus grand nombre de collectivités en bénéficie. Plus de 1 500 communes nouvelles ont ainsi eu accès à nos services.

Vous connaissez ces sujets mieux que beaucoup d'autres, les communes rurales de petite taille ne disposent pas des mêmes services que les métropoles. Le projet Petites Villes de demain veille ainsi à mettre à disposition des communes rurales de l'ingénierie intégralement financée par la Caisse des dépôts et consignations, à hauteur de 200 millions d'euros de subventions, soit une somme deux fois supérieure à celle qui est mobilisée pour le programme Action coeur de ville. Grâce à cela, conjointement avec les villes concernées, ce programme démarre en flèche : des spécialistes ont été recrutés pour accompagner le développement des communes rurales.

Tous les domaines sont concernés. Par exemple, à Consolation-Maisonnettes, au coeur d'une vallée du Doubs, nous avons installé le très haut débit auprès d'une abbaye où vivent trente-deux personnes. Peu de pays peuvent se permettre de telles installations... Concernant les transports publics dans les zones rurales ou les zones éparses, nous pouvons citer l'exemple de Fourmies, dans le Nord, où un garage collectif met à disposition des habitants des véhicules pour la journée. Nous accompagnons ce foisonnement d'initiatives : notre pays est incroyablement vivace et plein d'idées.

M. Hervé Maurey. - En répondant aux questions du rapporteur général relatives aux personnels, vous avez fait référence à un rapport datant de cinq ans. Or, en 2022, la Cour des comptes a souligné par un référé que si des progrès avaient été réalisés, il fallait les poursuivre. La masse salariale de la Caisse des dépôts et consignations augmente en moyenne de 3 % par an, pour un total de 14,9 % en cinq ans. La politique d'intéressement ne répond pas véritablement à la problématique, car tout le monde y accède en raison d'objectifs très modestes. Vous-même avez indiqué qu'il s'agissait davantage d'une prime que d'un intéressement... Entendez-vous donner suite aux remarques de la Cour des comptes, ou considérez-vous que le problème est réglé ?

Par ailleurs, la Cour des comptes, plus sévère que vous, considère que la place de la Banque des territoires reste marginale pour les collectivités locales, à part dans le domaine du logement social. Comment faire pour que les choses évoluent positivement ?

M. Michel Canévet. - La Caisse des dépôts et consignations est un acteur important du développement territorial, particulièrement en Bretagne. Vous avez évoqué dans votre propos liminaire l'importance des énergies renouvelables solaires et éoliennes, ainsi que la réindustrialisation de la France. Il faut également être attentif à d'autres formes d'énergies renouvelables, notamment à l'énergie hydrolienne, qui peut essaimer et apporter demain un complément d'activité industrielle dans les territoires.

M. Antoine Lefèvre. - Je souhaite vous interroger sur la relation entre la Caisse des dépôts et consignations et les bailleurs sociaux à la suite du relèvement du taux du livret A. La Caisse des dépôts dit qu'il faut tenir bon, et que les choses iront mieux d'ici à deux ans mais l'autofinancement des bailleurs sociaux risque de s'effondrer, alors même que les aides de la Caisse des dépôts sont soumises à des taux plus élevés du fait de leur indexation sur le livret A.

Les bailleurs sociaux semblent dans une impasse. À titre d'exemple, dans l'office public de l'habitat de l'Aisne (Opal) que je préside, l'incidence de la hausse du taux du livret A entre 2022 et 2023 représente 3 millions d'euros, alors que son taux d'endettement, raisonnable, est de 27 %. L'effet sera dévastateur dans des offices plus endettés... Pourquoi ne pas proposer aux bailleurs de différer le remboursement, pour permettre un autofinancement plus important, et la poursuite des investissements ?

Vous avez évoqué la transformation écologique ; si l'on veut réaliser la rénovation thermique, il faudra s'appuyer sur les capacités d'autofinancement des offices. Des dispositifs intéressants comme les écoprêts et les aides sur la deuxième vie du bâtiment existent, avec de très bons résultats, mais nous vous alertons sur la situation dans certains territoires.

M. Pascal Savoldelli. - Monsieur Lombard, votre bilan est très dense, et je concentrerai mon propos sur la situation de La Poste. Comme nombre de mes collègues de toutes sensibilités, je vous avais interpellé au sujet des fermetures de nombreux bureaux de poste dans mon département, dues selon vous à l'effondrement de l'activité, notamment en raison du covid. Mais dans la réponse que vous m'aviez faite en 2022, il y avait un loup ! La disparition du timbre rouge était déjà prévue. Le timbre vert, commercialisé depuis le 1er octobre 2011, et dont le délai de distribution a été rallongé de deux à trois jours, est devenu le timbre systématiquement proposé, car il est le seul à même de pallier les réductions de personnel, la baisse du nombre de centres de tri, la diminution des tournées. Il y a bien un affaiblissement du service public de proximité. J'entends vos propos sur la cohésion sociale dans les territoires, mais ça ne fait pas la maille !

Le timbre vert, qui coûtait à l'origine 3 centimes de moins que le timbre rouge, en coûtait 25 centimes de moins ces derniers temps ; or, les revendeurs de timbres, notamment les buralistes, sont davantage commissionnés sur les timbres verts que sur les rouges. Le choix politique assumé est respectable, mais ce n'est pas le mien, car chacun va souffrir de la réduction des tournées du facteur.

Dans cette nomination, il y a un problème : la Caisse des dépôts et consignations accompagne le changement de modèle de La Poste, qui découle de choix politiques.

Ce qui me préoccupe également, c'est la doctrine de l'actionnaire public. Certes, vous avez fait le choix d'un coût du capital plus faible que les acteurs privés, mais votre rôle glisse totalement vers celui d'un acteur privé ! Comment expliquez-vous vos investissements dans l'entreprise Transdev, pourtant en concurrence avec des acteurs publics comme Keolis, la RATP et la SNCF ? Est-ce là le rôle de la Caisse des dépôts et consignations en tant qu'acteur public ?

Vous avez enfin pris un risque financier, certes modéré, en rachetant Stuart, start-up qui ubérise la livraison express urbaine et précarise les jeunes. Vous faites le choix politique de transformer radicalement le modèle de La Poste. Je ne peux pas souscrire à cette orientation.

Ces choix témoignent de l'évolution de la doctrine de la Caisse des dépôts. Sans chercher à vous taquiner, je vous rappelle les propos d'un de vos anciens prédécesseurs, selon lequel la Caisse des dépôts est une banque socialiste dans une économie capitaliste. J'ai l'impression qu'elle est devenue une banque capitaliste dans un système capitaliste. Vous comprendrez ainsi que, pour ces raisons stratégiques, je ne participerai pas au vote.

M. Éric Bocquet. - Un article des Échos du 26 avril 2022 cite votre livre intitulé Au coeur de la finance utile - le titre est magnifique. Vous écrivez que « in fine, le libéralisme profite toujours aux puissants. [...] En allouant aux managers une part excessive de la richesse créée, les actionnaires ont repris le pouvoir perdu après la Seconde Guerre mondiale ; le capital a acheté le management à coup de bonus. [...] Ne rien changer, c'est prendre le risque politique d'une révolution sociale. »

Ces termes, tellement vrais, font chaud à nos oreilles. Éric Monnet, lauréat du prix du meilleur jeune économiste l'an dernier, disait qu'il est important que la Caisse des dépôts et Bpifrance soient pleinement utilisés pour protéger l'épargne populaire et financer au long terme le développement régional, et ne deviennent pas des gestionnaires d'actifs prenant modèle sur les acteurs privés. Cela peut se faire par le retour à un modèle qui a porté ses fruits en France, associant parlementaires, syndicats et patronat dans les conseils d'administration de ces institutions. De ce point de vue, la gouvernance a sensiblement évolué.

M. Laurent Zylberberg, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes à la Caisse des dépôts, indique que « les domaines d'investissement du livret A pourraient être élargis. Il faut reconnaître la capacité des investisseurs publics à dé-risquer les investissements et à aimanter les autres investisseurs. » Ces déclarations suscitent des interrogations : quelle est la feuille de route de la Caisse des dépôts, dont le résultat net agrégé dépasse aujourd'hui les 4 milliards d'euros ? Alors que nous vivons dans une économie de plus en plus financiarisée, quels sont les leviers pour accroître la construction des logements sociaux, dont la crise n'est pas nouvelle ? Reprenez-vous aujourd'hui l'engagement que chaque euro d'épargne de nos concitoyens servira à financer le logement social et la politique de la ville ? Enfin, concernant le nouveau livret vert, pourrait-il échapper au fonds d'épargne, réduire sa collecte, et ainsi financer le logement social ?

M. Vincent Éblé. - La question des crédits accordés par la Caisse des dépôts au mouvement locatif social a déjà été abordée par Antoine Lefèvre, et nous concerne tous, au-delà des sensibilités politiques. L'indexation des prêts sur la base de la rémunération du livret A renchérit très fortement le coût des emprunts pour de nombreux organismes d'HLM, et va immanquablement conduire ceux-ci, en raison de la baisse de leurs capacités d'autofinancement, à réduire leurs programmes d'investissements, tant pour les travaux neufs que pour les rénovations.

Il y a quelques années, alors que les taux étaient très bas, certains dirigeants de sociétés d'HLM avaient souhaité obtenir des emprunts à taux fixes, mais la caisse avait répondu que cela n'était pas souhaitable, et qu'une vigilance particulière serait apportée à leurs financements. Aujourd'hui, certains sont totalement étranglés. La préoccupation est importante, et nous aimerions entendre un propos circonstancié de votre part, pour savoir selon quelles modalités cette question centrale pourrait être traitée.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je poserai trois questions, en un zoom arrière allant du macroéconomique au microéconomique. Il me semble qu'il y a deux impératifs pour accélérer les transitions : le temps et l'argent. Dans notre pays, nous ne sommes pas très forts dans cette combinatoire.

Concernant la biodiversité tout d'abord, serait-il envisageable que le fonds Biodiversité de la Caisse travaille étroitement avec les communes forestières de France, souvent situées en zone rurale, pour leur apporter un soutien financier, alors que nombre de ces communes sont confrontées au changement climatique et aux crises sanitaires ?

Je partage l'ambition du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique concernant l'industrie verte, mais le Canada et les États-Unis agissent fortement pour attirer nos start-up à vocation industrielle, en assurant 80 % de la charge financière de la construction des usines ou en leur trouvant des fonciers dé-risqués. Quand bien même nous réussirions à faire la même chose en Europe, nous sommes toujours incapables d'avoir des procédures moins chères et diligentes, alors que le Canada et les États-Unis disposent de procédures fast track pour l'homologation de tous les nouveaux produits industriels verts. Au bas mot, nos délais sont de vingt-quatre ou de trente-six mois. Il faut agir avant qu'il ne soit trop tard.

Au niveau communal, l'ingénierie de projets est décisive pour les maires qui portent ces projets, même dans les toutes petites communes. Mais il y a un problème d'homothétie entre la ressource d'ingénierie et les temps de conventionnement financier aux différents échelons des collectivités. Souvent, les délais excèdent la mandature d'une équipe municipale, les devis deviennent obsolètes et les coûts doivent être actualisés. Pensez-vous que l'on puisse améliorer les process de ce point de vue ?

M. Georges Patient. - Je souligne la très bonne progression des activités de la Caisse dans les outre-mer sous votre mandat précédent, notamment par l'intermédiaire de CDC Habitat et de la Banque des territoires. Le temps n'est-il pas venu d'instaurer une direction générale en Guyane, au lieu de la direction Antilles-Guadeloupe, située à plus de 2 000 kilomètres de mon territoire ? Cela serait d'autant plus important que les activités progressent davantage en Guyane que dans les Antilles. Il y a une direction générale en Corse, alors que l'activité y est moins importante.

M. Thierry Cozic. - Je m'interroge sur les conditions de votre nomination, et sur l'arrêté du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté économique et industrielle paru le 7 décembre dernier, vous désignant comme directeur général par intérim de la Caisse des dépôts à compter du 8 décembre 2022, jusqu'à la nomination d'un nouveau directeur général. Cet arrêté est étonnant dans la mesure où, à la suite de la réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations par la loi Pacte, mise en application par un décret du 20 novembre 2019, le code monétaire et financier dispose en son article R. 518-11 qu'« en cas d'absence ou d'empêchement du directeur général ou de vacance de l'emploi, son intérim est assuré par le directeur général délégué désigné à cet effet par arrêté du ministre chargé de l'économie publié au Journal officiel de la République française. »

Je comprends ainsi que votre nomination pourrait ne pas être conforme au droit, puisque seul le directeur général délégué en fonction, M. Olivier Sichel, aurait pu en être chargé. Ne craignez-vous pas que cette décision du ministre ne fasse naître un problème de sécurité juridique sur les décisions prises depuis lors ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Vous avez évoqué le rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion des régimes de retraite de la CNRACL et de l'Ircantec, auxquels s'ajoutent notamment le régime de retraite des Mines, la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) et le régime de retraite de la Banque de France.

Je voudrais vous interroger sur le fonds de réserve des retraites, dont l'encours est actuellement d'environ 26 milliards d'euros. Compte tenu des performances de gestion de ce fonds, et de sa progression de 4,6 % depuis dix ans, ce fonds de réserve doit-il être dédié à rembourser de la dette sociale, ou peut-il permettre de constituer des réserves, suivant l'objectif de sa création en 2001 ? Le rendement de ce fonds est, encore aujourd'hui, supérieur au coût de la dette.

M. Daniel Breuiller. - Je m'associe aux remarques concernant la situation du logement social : l'indexation des prêts aux HLM crée des tensions. Comme le logement social ne bénéficie pas d'une attention suffisante de la part du Gouvernement - nous l'avons vu lors de la discussion budgétaire -, comment envisagez-vous de soutenir ces organismes dans la période actuelle ?

Vous avez souligné l'importance de l'épargne populaire. Le LDDS ne finance que peu de projets écologiques et socialement responsables. Pour beaucoup d'épargnants, il n'offre aucune garantie quant aux investissements réalisés. Or la demande sociale est forte, et l'épargne doit servir à la transition écologique - ce terme me convient autant que celui de transformation écologique. Quelles sont les mesures possibles ?

Dans le cadre du futur produit d'épargne vert, que la CDC devra gérer, quels seraient les critères d'exclusion à prendre pour que ce fonds soit réellement un fonds vert ?

Enfin, plus légèrement, la Caisse est propriétaire du site historique de l'ancien collège Albert-le-Grand, où est née la devise olympique « Citius, altius, fortius », sous l'égide du père Henri Didon. J'espère que la Caisse prendra, à l'occasion des Jeux Olympiques, des initiatives pour valoriser Arcueil.

M. Albéric de Montgolfier. - La transition écologique fait partie des priorités de la Caisse des dépôts. Ma question concerne le déploiement des bornes de recharge de véhicules électriques, notamment en zone urbaine : la Caisse des dépôts a annoncé des initiatives à travers la Banque des territoires, mais pouvez-vous nous en dire plus sur les moyens d'aider les collectivités à déployer des bornes pour assurer la transition écologique ?

M. Éric Lombard. - Monsieur Maurey, notre masse salariale a augmenté en raison du développement de nos missions, du triplement des investissements de la Banque des territoires, et du nouveau mandat confié par l'État sur « Mon compte formation » ; ce développement s'est traduit par une augmentation de nos effectifs. Sous le contrôle de la commission de surveillance, nous mesurons que notre productivité augmente entre 1,5 % et 2 % par an. L'augmentation de la masse salariale découle aussi de l'augmentation de la rémunération des agents, pour laquelle nous suivons les règles de la fonction publique. Nous accompagnons de manière parallèle les salariés du secteur privé.

L'intéressement concerne tous nos collaborateurs, mais nous avons également des mesures individuelles, comme la part variable sur objectifs (PVO), qui varie individuellement à la suite d'entretiens annuels avec la direction des ressources humaines (DRH). Il y a une part fixe et une part variable dans les primes comme dans l'évolution des rémunérations de nos agents. Nous appliquons une méthode moderne de gestion de nos équipes.

La Cour des comptes estime que la place de la Banque des territoires reste marginale. Mais nous parlons de 2 milliards d'euros d'investissements dans les territoires et les communes, qui, avec un levier de 7, peuvent dégager entre 12 et 14 milliards d'euros d'investissements territorialisés : cela ne me semble pas marginal par rapport à l'investissement des collectivités, dont je rappelle qu'il est annuellement de l'ordre de 80 à 85 milliards d'euros. Comment la faire évoluer positivement ? Les fonds sont disponibles ; il nous faudrait plus de projets. Il faut une alliance avec les élus locaux, et nous sommes le plus possible moteur pour développer nos investissements.

Monsieur Canévet, nous suivons de près la pose d'hydroliennes dans le passage de la Jument, dans le Morbihan. Nous sommes très ouverts aux innovations en cours pour trouver de nouvelles sources d'énergie, notamment, à côté des hydroliennes, aux usines de construction d'hydrogène vert et à la méthanisation.

De nombreuses questions ont concerné le logement social. J'ai passé trois jours au congrès du secteur HLM qui s'est tenu près de Lyon il y a quelques mois. Le secteur connaît des bouleversements importants, et doit faire face à la hausse du livret A, qui va se poursuivre en raison de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt, de la hausse des coûts de construction et des prix des matières premières, et de la hausse du coût de l'énergie. Les défis sont massifs. Nous accompagnons le secteur par des mesures diverses. La double révisabilité permet, lorsque le taux du livret A monte, d'accroître l'étalement de la durée de remboursement, ce qui ne change pas le résultat des bailleurs, mais permet d'alléger leur trésorerie. M. Lefèvre mentionnait l'Opal, dont l'engagement est remarquable, qui a demandé cette double révisabilité. Nous pouvons également travailler sur l'échéancier de remboursement, et différer les remboursements afin d'accompagner tel ou tel office qui en aurait besoin.

M. Éblé regrette que nous ne fassions pas de taux fixes. Compte tenu de l'évolution des taux, nous avons mis en place une offre de taux fixes de 8 milliards d'euros, dont une première partie est financée par la section générale, et donc par le canal historique de la Caisse des dépôts, et nous travaillons au financement d'une autre partie par la SFIL.

Nous avons aussi pris des mesures de soutien puissantes, notamment des prêts participatifs, c'est-à-dire du quasi-capital à des conditions extrêmement subventionnelles. Une première tranche de 1 milliard d'euros a été allouée, et nous devons dans nos comptes 2022 provisionner 175 millions d'euros sur les prêts accordés. Une deuxième tranche de 250 millions d'euros est allouée en priorité aux petits organismes et aux petits offices, car les grandes entreprises sociales pour l'habitat (ESH) adossées à des acteurs capitalistiques n'ont pas besoin de notre aide.

M. Victorin Lurel. - Cela n'est pas le cas dans les outre-mer.

M. Éric Lombard. - Dans les outre-mer, la moitié des organismes de logement social sont détenus par CDC Habitat. Nous allouons le capital qui convient ; j'ai visité nombre de ces logements à Saint-Laurent-du-Maroni, en Guadeloupe, ou à Saint-Denis de La Réunion, qui ont été rénovés après des investissements de centaines de millions d'euros. Une autre partie de ces logements est détenue par Action Logement.

Sur la deuxième vie du bâtiment, nous réalisons des tests pour envisager des dispositifs plus durables.

Monsieur Savoldelli, vous posez une question importante concernant La Poste. Le timbre rouge représente 1,5 % du courrier. Le volume annuel de courriers est passé de 18 milliards de lettres en 2008 à 6 milliards l'année dernière ; il a connu une baisse massive. Le timbre rouge, devenu très marginal, obligeait La Poste à maintenir des lignes aériennes, avec un bilan carbone désastreux, pour faire les lignes transversales Nice-Brest. Ce réseau de transport était coûteux, pour un service concernant trois lettres par an, alors que des offres alternatives permettent de rendre le service demandé et de répondre aux besoins des Français.

La Poste maintient le principe prévu par la loi d'une tournée six jours sur sept. S'il n'y a pas de courrier à distribuer dans les boîtes aux lettres, le facteur passe tout de même dans la rue. Nous sommes l'un des seuls pays d'Europe à maintenir ce principe. Nous transformons La Poste pour qu'au lieu de réduire le nombre de tournées, nous augmentions les services rendus par les facteurs, en leur permettant, par exemple, de livrer des services de soins à domicile ou de veiller sur les personnes âgées. Cela reste un modèle du quotidien, mais nous devons faire face à la baisse des revenus et à l'augmentation des coûts. La Poste reste un grand service public, soutenu par l'État dans sa mission de service public, mais qui pour le reste réussit à financer sa transformation grâce à l'énergie et à l'engagement des postiers, auxquels je rends hommage. La transformation du modèle est imposée par la situation économique, mais nous souhaitons maintenir les 17 000 points de contact et la tournée du facteur six jours sur sept.

Vous demandez quelle est notre doctrine d'actionnaire public. Il y a une part d'héritage : Transdev était une entité détenue par la Caisse des dépôts. C'est une bizarrerie française que d'avoir trois grands acteurs publics. Comment faire mouvement, alors que ces trois grandes institutions publiques se développent chacune de leur côté ?

Concernant Stuart, la situation est différente : il s'agit d'une société anonyme qui diversifie son activité pour faire face à la baisse du courrier. Il est normal que La Poste développe des activités concurrentielles. La Caisse développe des activités concurrentielles, comme les textes nous le permettent, et nous le faisons avec parcimonie, sous le contrôle de la commission de surveillance.

Parler de la Caisse des dépôts comme d'une banque capitaliste, alors que nous n'avons pas d'actionnaires, que les rémunérations sont au moins dix fois inférieures à celles du secteur privé, et que nous agissons dans le seul intérêt général, me semble contestable - je le dis amicalement.

Monsieur Bocquet, vous citez mon livre : je plaide pour une transformation du capitalisme, afin qu'il soit plus équitable et qu'il accompagne notamment la transformation énergétique. Heureusement que nous avons de bons résultats, puisque nous n'avons pas d'actionnaires ! Les 60 milliards d'euros de fonds propres accumulés sont les résultats dégagés par mes prédécesseurs depuis 1816. C'est sur la base de ces résultats que nous pouvons prêter, investir, développer le pays. Pour nous, le profit est non un objectif, mais une condition de survie. Ces profits, si on les compare aux fonds propres engagés, sont tout à fait modestes, ce qui est normal, car notre coût du capital est moindre. Je n'ai pas dit que chaque euro de la Caisse devait aller au logement social, ce qui reviendrait à rompre avec notre mandat ; en revanche, chaque euro doit être engagé dans la transformation écologique et sociale, en finançant, par exemple, les énergies renouvelables ou le très haut débit dans les zones rurales.

Monsieur Éblé, vous parlez du coût de la dette et de l'évolution du livret A ; c'est l'une de nos préoccupations, et nous travaillons à en lisser les effets. Nous connaissons bien les plus de 500 organismes de logement social qui sont nos partenaires, dont la situation d'ensemble est solide. Les difficultés des organismes sont réelles, mais la capacité à construire est là.

Madame Paoli-Gagin, CDC Biodiversité s'occupe plutôt de biodiversité, et la forêt relève plutôt du mandat de la Société forestière. La forêt française est soumise à des défis importants. Nous voulons accompagner ses adaptations au travers de la Société forestière ou des équipes de la Banque des territoires.

Concernant l'industrie verte, la compétition avec les États-Unis est devenue beaucoup plus difficile notamment depuis l'Inflation Reduction Act. Nous résistons très vaillamment : nous finançons deux usines de batteries électriques, à Douai et Dunkerque. Avec le Gouvernement, nous travaillons pour continuer d'attirer les usines, mais nous sommes en ce moment sur la défensive, et nous devons reprendre l'offensive.

Sur les délais concernant l'ingénierie des projets, vous avez raison, pour les petites villes, nous avons mis en place une procédure intermédiée par les conseils départementaux. Les choses sont désormais en place, et fonctionnent mieux.

Monsieur Patient, je vous remercie de votre commentaire positif sur notre travail dans les outre-mer. La direction régionale Antilles-Guyane est située en Guadeloupe, mais des équipes permanentes sont présentes aux côtés des élus à Cayenne, avec un pouvoir de décision. La Guyane bénéficie de très forts investissements : nous avons signé un accord de 23 millions d'euros pour y améliorer l'adduction d'eau, et nous continuerons à investir.

Monsieur Cozic, je ne suis pas juriste : il me semble qu'il n'y avait ni absence, ni empêchement, ni vacance. L'État a considéré que le cas de figure du renouvellement du directeur général n'avait pas été prévu par la loi Pacte. Il ne dépend que de vous que cet intérim soit de courte durée...

Madame Vermeillet, je vous remercie de souligner la performance du fonds de réserve des retraites. Ce fonds, décidé par l'État, est placé sous son autorité. Il a été massivement investi en actions françaises. Nos concitoyens ne le savent pas assez, comme élément de complément de préparation de la retraite : un investissement en action est, dans la durée, un investissement favorable. Ce fonds devrait-il être utilisé pour autre chose que le remboursement de la dette ? Madame la sénatrice, je ne fais pas la loi ; il revient au Parlement de décider de l'emploi de ces fonds, et il nous revient de le mettre en oeuvre. Ce fonds a été utilisé pour des raisons de court terme, mais si nous pouvions retrouver l'ambition initiale dans la longue durée, pour accompagner les retraites, cela serait une bonne chose.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Quel est le rendement de ce fonds sur le long terme ?

M. Éric Lombard. - L'année dernière a été compliquée, notamment en raison de la hausse des taux, mais sur le long terme il est supérieur à 4 %.

Monsieur Breuiller, nous sommes très attachés à maintenir le rythme de construction des logements sociaux, qui dépend également des élus locaux que nous souhaitons convaincre, ainsi que le rythme de transformation énergétique des logements, ce qui revient à rendre service aux locataires, dont les factures baissent.

Concernant l'épargne populaire et les fonds du livret de développement durable et solidaire, sujets du premier accord que j'ai signé il y a cinq ans, nous avons veillé avec Bercy à ce que l'ensemble de la collecte du LDDS soit fléché vers la transformation écologique. De manière générale, les fonds d'épargne sont engagés vers la transformation écologique, parce que nous finançons des logements verts et la rénovation thermique. Il n'y a pas de cantonnement dans l'organisation des fonds d'épargne ou de suivi euro par euro des investissements, mais nous veillons à ce que la collecte nouvelle du LDDS soit engagée dans des projets écologiques, ce que nous pouvons montrer - je dispose de la liste des projets concernés.

Le ministre souhaite que le projet soit encore plus ciblé. Ces réflexions commencent. Naturellement, nous y travaillerons avec lui. Je vous remercie d'avoir également évoqué le site d'Arcueil, qui est un terrain magnifique dans l'optique des Jeux Olympiques.

Enfin, monsieur de Montgolfier, l'État souhaite mieux encadrer le développement des infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE), pour l'instant foisonnant. La France a un savoir-faire solide en matière d'infrastructures et de rénovation des transports. Les règles pourraient être clarifiées. Peut-être faudrait-il établir un zonage comme on l'a fait pour le très haut débit, en prévoyant notamment des zones qui garantissent une rentabilité aux acteurs privés afin qu'ils se mobilisent. Quoi qu'il en soit, nous travaillons à améliorer l'organisation territoriale du développement de ces installations.

M. Jérôme Bascher. - Avec ma collègue Viviane Artigalas, je peux témoigner de ce que, dans notre mission de commissaires surveillants, nous avons pu travailler en confiance et en transparence avec M. le directeur général.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions et nous allons maintenant procéder au vote sur votre nomination.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Éric Lombard aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

M. Claude Raynal, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Éric Lombard, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

La réunion est close à 10 h 45.

Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Éric Lombard, aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Éric Lombard, aux fonctions de directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, simultanément à celui de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Le dépouillement a lieu en présence de Mme Isabelle Briquet et M. Stéphane Sautarel, en qualité de scrutateurs.

Nombre de votants : 22

Bulletins blancs ou nuls : 3

Suffrages exprimés : 19

Pour : 19

Contre : 0

Mercredi 11 janvier 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 h 35.

Proposition de loi visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Jean-Baptiste Blanc rapporteur sur la proposition de loi n° 217 (2022-2023) visant à renforcer l'action des collectivités territoriales en matière de politique du logement, présentée par M. Ronan Dantec et plusieurs de ses collègues.

Proposition de nomination de M. Robert Ophèle, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Antoine Lefèvre rapporteur sur la proposition de nomination de M. Robert Ophèle aux fonctions de président de l'Autorité des normes comptables, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Programme de contrôle de la commission pour 2023 - Communication

M. Claude Raynal, président. - Il me revient de vous présenter le projet de programme de contrôle de notre commission pour l'année qui s'ouvre.

Ce projet de programme, arrêté par le bureau de notre commission mi-décembre, sur la base des informations transmises par l'ensemble des collègues, contient trois catégories de travaux.

La première catégorie correspond aux travaux de contrôle des rapporteurs spéciaux dans leur domaine de compétence.

Ces contrôles sont au nombre d'une trentaine, ce qui est un nombre représentatif de l'étiage habituel. Six contrôles correspondent à la poursuite de travaux déjà engagés cette année. Tous les autres contrôles engagés l'an passé ont fait l'objet de communications ou de rapports d'information. Les nouveaux sujets choisis par les rapporteurs spéciaux correspondent à des thématiques relevant de chaque mission budgétaire, même si l'on peut noter des points d'intérêt communs autour du thème de l'immobilier, par exemple, ou des transports et de la transition énergétique.

La deuxième catégorie porte sur les enquêtes demandées à la Cour des comptes en application de l'article 58, alinéa 2 de la loi organique relative aux lois de finances.

Pour mémoire, nous attendons déjà au cours de ce premier trimestre la remise ou la présentation de trois enquêtes relatives à la scolarisation des élèves allophones, à l'installation des agriculteurs, et à l'adaptation du parc de réacteurs nucléaires au changement climatique.

Entre septembre et décembre prochains, quatre nouvelles enquêtes devraient nous être rendues sur des sujets intéressant les rapporteurs spéciaux : l'action de la direction générale des finances publiques (DGFiP) auprès des collectivités territoriales ; les financements extrabudgétaires de la politique culturelle de l'État ; la délivrance des titres d'identité ; et, enfin, la mise en place et la viabilité de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

Désormais les enquêtes sont plutôt remises en fin d'année pour permettre de procéder aux auditions publiques dans le courant du 1er semestre, donc hors période budgétaire.

Enfin, la dernière catégorie porte sur les missions d'information transversales.

Conformément aux souhaits du Président du Sénat, qui souhaite que les commissions permanentes gardent une marge de souplesse pour des travaux qui émergeraient en cours d'année, à l'image de la mission d'information « flash » conduite sur les dons aux associations cette année, à la suite d'une pétition ayant reçu plus de 100 000 signatures, leur nombre sera limité.

Il n'a pas été décidé de reconduire de groupe de suivi.

La mission conjointe de contrôle sur le zéro artificialisation nette (ZAN) est maintenue puisqu'elle devrait achever ses travaux, qui impliquent plusieurs commissions, avec l'examen d'une proposition de loi déposée il y a quelques semaines.

Par ailleurs, la commission pourrait mener deux nouvelles missions d'information. La première mission d'information, limitée à dix membres - le président, le rapporteur général et un représentant par groupe -, aurait pour objectif d'établir une comparaison européenne des dispositifs fiscaux et des aides aux entreprises. La seconde mission d'information serait constituée de 19 membres et porterait sur les modes de financement des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), sujet qui a particulièrement animé les débats du projet de loi de finances.

Comme vous le savez, le renouvellement sénatorial nous contraindra dans nos travaux, évidemment davantage celles et ceux d'entre nous qui seront renouvelables, mais aussi ceux qui pourraient vouloir changer de rapport spécial à l'occasion du renouvellement, voire de commission. Il sera donc préférable de viser des restitutions en juin ou juillet au plus tard. En tout état de cause, il sera sans doute difficile de programmer des restitutions au mois de septembre.

L'année 2023 débute aussi par les suites concrètes de plusieurs travaux de contrôle de notre commission. Dès cet après-midi aura lieu, en séance publique et à notre demande, un débat sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, qui permettra d'interroger le ministre sur les suites qu'il entend donner aux recommandations de la mission. Comme vous le savez, plusieurs dispositions, introduites par voie d'amendement au PLF 2023 ont été considérées comme des cavaliers budgétaires par le Conseil Constitutionnel et un nouveau véhicule législatif devra être trouvé. Surtout, certaines recommandations ne relèvent pas de la loi (conventions fiscales, négociations internationales, etc.) et exigent donc une implication forte du Gouvernement.

Par ailleurs, la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, présentée et rapportée par Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier, que nous examinerons prochainement en commission et en séance, traduit directement les recommandations du rapport élaboré au nom de la commission et publié en octobre 2021.

Enfin, nous aurons deux séquences complémentaires d'auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes sur les scénarios de financement des collectivités territoriales, avec les associations d'élus du bloc communal, des départements et des régions, afin de poursuivre la réflexion sur ce sujet.

Il me semble particulièrement utile que l'ensemble de nos travaux fasse ainsi l'objet d'un suivi attentif.

Il en est ainsi décidé.

Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Je me permets de vous saluer monsieur le gouverneur, de vous remercier de votre présence et de vous adresser, ainsi qu'à l'ensemble des personnels de la Banque de France, au nom de notre commission, mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année.

Votre audition ce matin a un caractère relativement traditionnel puisque nous avons pris l'habitude depuis quelques années de vous retrouver au mois de janvier. À noter que l'année dernière, après votre reconduction au mois d'octobre, nous avions reçu le directeur général de la statistique, des études économiques et internationales de la Banque de France dans le cadre d'une table ronde aux côtés, notamment, de l'Insee, pour évoquer le sujet l'inflation et de ses conséquences.

L'importance de ce sujet est loin de s'être estompée comme le montrent vos prévisions macroéconomiques les plus récentes, qui indiquent que l'inflation de l'indice des prix à la consommation harmonisé devrait atteindre 6 % en 2023, soit le même niveau qu'en 2022.

De façon générale, le contexte macroéconomique reste fortement dégradé en raison, notamment, de la persistance de la crise énergétique, mais, aussi, d'une politique monétaire de plus en plus restrictive mise en oeuvre - vous aurez l'occasion de nous en rendre compte - pour maîtriser l'inflation des prix.

Ainsi, en 2023, selon vos prévisions, la croissance du PIB devrait se limiter à 0,3 %, ce qui est faible et laisse, en définitive, peu de marges de manoeuvre pour encaisser les chocs que nous pourrions subir.

Au-delà des considérations macroéconomiques, vous avez insisté à plusieurs reprises dans vos prises de position publiques sur la nécessité pour les gouvernements de limiter rapidement le déficit budgétaire compte tenu de la dégradation de leurs conditions de financement. Là encore, nous serons sensibles à votre expression sur un sujet qui relève de la politique budgétaire, mais qui n'est, naturellement, pas sans intérêt pour les banquiers centraux.

Figure également au nombre de vos attributions la régulation du secteur bancaire. Nous serons heureux de vous entendre tant sur les conséquences de la remontée des taux sur l'accès des entreprises et des ménages au crédit que sur la santé du secteur bancaire et, corrélativement, sur l'état des travaux sur la transposition des accords internationaux de Bâle III. Il semble que les choses s'accélèrent puisque le Conseil de l'Union européenne a trouvé un accord sur le sujet en novembre dernier.

Je vous cède la parole sans plus attendre, Monsieur le gouverneur, avant de prendre les questions de nos collègues.

M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. - Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui et je formule tous mes voeux pour vous, et pour notre cher pays éprouvé, comme toute l'Europe, par la guerre à ses portes et la crise énergétique qui en découle. Ce contexte génère beaucoup d'incertitude. J'essaierai néanmoins dans ce propos introductif de donner trois séries de repères pour l'année qui s'ouvre : sur la conjoncture et l'inflation, sur le financement de l'économie et sur l'adaptation durable à cette nouvelle donne.

Je commencerai par la conjoncture et l'inflation. Si je devais résumer d'une phrase, je dirais que, jusqu'à présent, l'activité a plutôt surpris en bien, et que l'inflation a plutôt surpris en mal. L'économie française a résisté, avec une croissance qui devrait s'établir à 2,6 % en 2022. Cette résilience meilleure que prévu vaut également pour la zone euro : la BCE a relevé en décembre sa prévision de croissance 2022 à 3,4 %. Selon nos prévisions publiées en décembre, l'année 2023 devrait marquer un fort ralentissement, mais échapper à « l'atterrissage brutal » redouté il y a quelques mois : la croissance devrait être faiblement positive l'an prochain, avec un scénario central de croissance de 0,3 % en France, et de 0,5 % en zone euro. Notre dernière enquête mensuelle de conjoncture, que nous avons publiée ce matin, illustre encore une fois cette résilience meilleure que prévu, et conforte notre prévision pour 2023. L'année 2024 marquerait la reprise, avec une croissance de 1,2 % en France.

Mais après une décennie d'inflation trop basse, et même un risque de déflation en 2020, l'inflation est revenue. Si elle a légèrement diminué en France en décembre à 6,7 % en indice harmonisé européen, et à 5,9 % en indice national, son niveau reste néanmoins beaucoup trop élevé : les ménages et les entreprises le ressentent fortement. L'inflation en France devrait atteindre son pic au cours de ce premier semestre, avant de redescendre vers 4 % en fin d'année.

Je veux redire ici ce qui est à la fois notre engagement et notre prévision : nous allons ramener l'inflation vers 2 % d'ici à 2024 ou à la fin 2025. C'est notre mandat, et l'inflation est aujourd'hui la première préoccupation de nos concitoyens. En outre, une inflation qui s'installerait durablement serait le pire ennemi de la confiance, et donc de la croissance.

Nous entendons parfois des questions, légitimes dans notre débat démocratique : pourquoi remontez-vous les taux d'intérêt ? En quoi est-ce efficace alors que l'inflation est d'abord née des prix de l'énergie ? Mais, malheureusement, l'inflation s'est propagée à la généralité des biens et services : l'inflation sous-jacente, hors énergie et alimentation, que nous estimons autour de 4,2 % en décembre, est également nettement au-dessus de la cible de 2 %, et elle ne baisse pas. Or c'est sur cette inflation « générale » que la politique monétaire est pertinente, et nous avons la responsabilité de ne pas la laisser s'installer.

Le Conseil des gouverneurs de la BCE a donc décidé d'augmenter les taux directeurs de la BCE à rythme accéléré, de 250 points de base au total en 5 mois. Ce faisant, nous avons atteint la « zone de normalisation », dans laquelle la politique monétaire ne stimule ni ne restreint l'inflation. En 2023, de nouvelles hausses de taux seront très probablement nécessaires dans les prochains mois, à un rythme pragmatique, pour faire revenir l'inflation vers 2 % dans les deux ans qui sont le délai d'action de la politique monétaire. Cette dernière est toujours et partout - nous commençons à le voir aux États-Unis ou au Canada ces derniers mois - efficace pour maîtriser l'inflation, et non pas, j'insiste, pour provoquer une récession.

J'en viens au financement de l'économie. Le relèvement des taux d'intérêt, après plusieurs années où ils ont été anormalement bas, se transmet aux conditions de financement de l'économie, mais de façon progressive et ordonnée. Parmi les grands pays européens, le crédit à l'immobilier est en France à la fois le moins cher (avec un taux moyen de 1,9 % en novembre, en-deçà de la moyenne de la zone euro de 2,8 % et plus encore de l'Allemagne à 3,6 %), le plus abondant (avec une croissance des encours de 5,7 % sur un an) et le plus sûr (avec plus de 97 % des encours à taux fixe, alors que la plupart de nos voisins ont des taux variables). L'encours des crédits bancaires aux entreprises progresse plus fortement encore, de 7,7 % en novembre. Globalement, les besoins de financement de l'économie réelle restent largement satisfaits, grâce à la solidité des banques.

Le relèvement des taux de l'épargne réglementée sera décidé vendredi prochain. Ma recommandation au ministre devra prendre en compte, dans ses quelques possibilités d'ajustement, le bon équilibre entre la juste rémunération de l'épargne populaire et la préservation d'un coût de financement raisonnable de notre économie, dont le logement social en particulier. À cet égard, il me paraît probable et souhaitable que le relèvement du taux du livret d'épargne populaire (LEP) soit encore plus significatif que celui du livret A. Il faut d'ailleurs se féliciter que l'année écoulée ait vu un nombre record d'ouvertures de nouveaux LEP, de plus de 2 millions, et que le nombre total de détenteurs approche désormais les 8,5 millions.

Largement touchée par la crise énergétique, la trésorerie des entreprises s'est dégradée, en particulier dans l'industrie, comme le confirme notre dernière enquête mensuelle de conjoncture. Il existe en fait de grandes variations entre les secteurs, et même entre les entreprises d'un même secteur, plus encore qu'en fonction de la taille des entreprises. L'allongement des délais de paiement aux PME et TPE de la part de certaines entreprises de plus grande taille n'est évidemment pas acceptable. Selon nos estimations, ce sont 16 milliards d'euros de trésorerie qui seraient indûment captés par ces grandes entreprises. À l'occasion de la mise en place de notre nouvelle échelle de cotation, nous avons commencé à surveiller ces comportements de paiement pour les filiales d'ETI et de grandes entreprises financièrement solides. Pour 10 % d'entre elles, nous avons dégradé leur notation d'un cran en conséquence. En 2023, cette opération visant à dégrader éventuellement la cotation pour mauvais comportements de paiement sera élargie : ce sont trois fois plus d'entreprises qui seront ainsi examinées.

S'agissant des prêts garantis par l'État (PGE), une hausse modérée des demandes de restructuration a été observée fin 2022 ; nous avons reçu, en 2022, 598 demandes, portant donc sur seulement moins de 0,1 % du nombre total des PGE. Sur les 143 milliards d'euros qui ont été versés pour aider près de 700 000 entreprises, 40 milliards ont déjà été remboursés, et plus de 95 % des entreprises remboursent correctement leur prêt. Par conséquent, cela ne justifie pas un rééchelonnement généralisé ; la médiation du crédit de la Banque de France reste cependant mobilisée, dans chacun de vos départements, pour traiter les cas les plus difficiles.

Comment passer de la gestion de crise à une adaptation durable à la « nouvelle donne » ? La gestion de crise a été et reste évidemment nécessaire. L'État peut amortir temporairement le choc énergétique, mais ne peut cependant le faire disparaître. Ce n'est pas seulement un mauvais moment à passer, c'est une nouvelle donne économique à laquelle nous devons nous adapter. Il faut progressivement, d'ici deux à trois ans, ramener vers zéro les subventions budgétaires à l'énergie, et répartir plus efficacement la facture entre entreprises et ménages, en veillant à l'équité envers les ménages - par des mesures mieux ciblées vers les plus touchés - et tout autant à la compétitivité des entreprises. Les décisions du Gouvernement d'augmenter les tarifs du gaz et de l'électricité de 15 % dans les prochaines semaines et de remplacer la ristourne sur l'essence par une indemnité carburant de 100 euros ciblée selon les revenus vont dans le bon sens, y compris pour inciter à la sobriété énergétique.

À terme, la clé est bien sûr de muscler notre capacité productive par les trois grandes transformations de l'offre : la transformation énergétique ; la transformation numérique ; et la transformation du travail, qui doit être à la fois plus abondant et plus qualifié. Notre croissance y gagnera, et notre inflation en sera mieux maîtrisée. L'arme de la victoire durable contre l'inflation n'est pas budgétaire, elle est d'abord monétaire et ensuite structurelle. Cela ne sera possible que si nous préservons notre capacité à investir dans la décarbonation et l'innovation : la dette publique atteignant désormais 114 % du PIB, nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau « quoi qu'il en coûte », et nous devons mieux maîtriser les dépenses courantes. Nous devons en outre développer des financements privés, notamment en réalisant enfin en Europe une Union verte des marchés de capitaux.

J'en reviens, pour terminer, à mes voeux initiaux. La France et l'Europe peuvent, en ce début d'année, avoir sans doute davantage confiance en leur capacité à affronter cette crise. Soyez assurés en tout cas que la Banque de France sera totalement mobilisée pour cela, à votre service et à celui de nos concitoyens.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous adresse à mon tour à vous et vos équipes mes voeux de réussite dans vos missions. La Banque de France a une connaissance aboutie de la situation de notre pays et nous fournit des avis éclairés.

Vous avez évoqué l'inflation et parlé de « pragmatisme », un terme qui m'est cher. Dès juillet 2021, j'avais envisagé le risque d'une vague inflationniste, même si je n'en connaissais évidemment pas la durée ni l'ampleur. Il faut se méfier des phénomènes économiques qui semblent disparaître : tôt ou tard, ils reviennent. L'inflation est liée à la crise énergétique, qui chamboule nos économies : celles-ci dépendent intimement depuis longtemps de l'énergie, de son prix et de sa desserte.

L'investissement des ménages - c'est-à-dire les opérations immobilières principalement - devrait diminuer de 1,3 % en 2023 et de 1,9 % 2024, ce qui pèsera sur la croissance. De fait, le marché immobilier est fortement affecté par la remontée des taux d'intérêt et je note que vous avez très récemment proposé de réunir les acteurs concernés pour revoir éventuellement les règles d'actualisation du taux d'usure en passant d'une révision trimestrielle à mensuelle. Quelles perspectives dressez-vous concernant l'évolution du marché immobilier ?

Vos prévisions montrent que l'emploi total devrait se stabiliser en 2023 et diminuer à partir de 2024. Au final, le taux de chômage s'établirait donc à 8,2 % en 2025. Ces prévisions semblent éloignées de celles du Gouvernement qui envisage 5 % en 2027 ! Pourriez-vous nous donner des précisions ? Quelles conclusions en tirez-vous sur l'évolution des finances publiques et, notamment, sur les gains à attendre de la réforme de l'assurance-chômage ?

La BCE, avec le concours des banques centrales nationales, travaille actuellement sur un projet d'euro numérique, qui vise à créer l'équivalent de billets en euros sous forme dématérialisée. Or, les critiques abondent : les acteurs bancaires sont loin de plébisciter cette nouvelle monnaie numérique de banque centrale, qui risque selon eux de conduire à un phénomène de désintermédiation et de fuite des dépôts vers la banque centrale ; un récent article de presse présente l'euro numérique comme un « risque démocratique », en ce qu'il contiendrait des informations relatives à la vie privée et personnelle et en ce que son utilisation serait programmable et pourrait ainsi être limitée à certains cas. Pouvez-vous décrire plus précisément ce projet et nous dire où il en est ? Quelle est votre analyse de ces différentes critiques ?

M. Claude Raynal, président. - Le lien entre la remontée des taux d'intérêt et la croissance économique est crucial pour la politique monétaire. Cette dernière est toujours confrontée à cette question : comment maîtriser l'inflation sans briser la croissance économique ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les discussions au sein du collège de la BCE ? On perçoit au travers d'un certain nombre d'articles ou de déclarations qu'il existe des nuances d'appréciation entre ses membres.

M. François Villeroy de Galhau. - Les craintes d'un retour de l'inflation ont commencé en 2021 - vous avez d'ailleurs été, monsieur le rapporteur général, l'un des premiers à l'époque à alerter sur ce risque -, à cause de la reprise rapide de l'économie après le Covid et de l'apparition de goulets d'étranglement. La question était de savoir si cette inflation était un phénomène est temporaire ou durable. Les entreprises s'attendaient, il y a un an, à ce que ces difficultés disparaissent en 2022. Puis la guerre en Ukraine est arrivée... Il s'agissait aussi de déterminer si cette inflation consistait seulement en un choc sur l'offre, sur les coûts, ou bien si celle-ci pouvait se diffuser plus largement. La guerre en Ukraine a transformé un choc temporaire en un choc durable. Depuis le printemps, on observe un phénomène de diffusion. D'où notre inquiétude. C'est pourquoi j'ai insisté, dans mon propos introductif, sur l'inflation sous-jacente, hors énergie et matières premières. Les services sont peu touchés par le choc énergétique, et pourtant l'inflation dans ce secteur est élevée.

En ce qui concerne l'immobilier, nous prévoyons effectivement un recul limité de l'investissement des ménages, mais celui-ci intervient après des années particulièrement favorables. Le taux actuel moyen du crédit immobilier s'établit à 1,9 %, alors qu'il est normalement autour de 3 % en moyenne sur une longue période. Quant à la production de nouveaux crédits immobiliers, elle était de 120 milliards d'euros en 2015, une année normale, mais elle a constamment accéléré depuis et s'élève, en 2022, à 220 milliards d'euros, soit presque le double. 

Vous avez posé la question du taux d'usure, qui a fait couler beaucoup d'encre. Je rappelle que le taux d'usure est destiné à protéger les emprunteurs contre des taux anormalement élevés. On a beaucoup entendu les prêteurs dans ce débat, mais peu les emprunteurs. Or nous sommes à l'écoute de tous et notre rôle est de faire appliquer la loi, qui prévoit que le taux d'usure est fixé trimestriellement à quatre tiers des taux observés au cours du trimestre précédent. Il est vrai que j'ai subi de fortes pressions de la part de représentants des prêteurs divers, que je ne nommerai pas, afin de remonter plus vite le taux d'usure, mais je ne pense pas que cela soit souhaitable. Il faut une remontée progressive et ordonnée, afin de protéger les emprunteurs.

Il est aujourd'hui question d'un éventuel ajustement technique et de prévoir une remontée des taux mois par mois, par petites marches, au lieu d'une fois en fin de trimestre. Je considère qu'un tel ajustement peut être justifié s'il est souhaité par les professionnels du crédit, que nous consulterons à cet égard.

Sur l'emploi, j'avoue ne pas avoir étudié les prévisions du Gouvernement. L'emploi nous surprend toujours en bien depuis trois ans. Il résiste beaucoup mieux que l'activité économique. En 2020, il y a eu une baisse de l'emploi en raison de la crise du covid, mais en 2021, l'économie française a plus que rattrapé la baisse de 2020 puisque 840 000 emplois ont été créés. Nous n'avions pas connu une telle hausse en un an depuis très longtemps. L'économie a été un peu moins dynamique en 2022, mais 300 000 emplois ont tout de même été créés au cours des trois premiers trimestres. On prévoit une remontée du chômage en 2023, du fait de la faiblesse de la croissance, mais elle sera toutefois assez limitée. Je n'exclus pas que nous nous trompions un peu par le bas parce que nous avons toujours eu des surprises par le haut.

La question de l'euro numérique mériterait de longs développements. Je dirai simplement où nous en sommes et pourquoi ce projet a été lancé. Un prototype est aujourd'hui à l'étude, dont nous tirerons les leçons à la fin de l'année 2023 ou au début de l'année 2024. Si une généralisation était décidée, trois années seraient encore nécessaires.

Si ce projet a été lancé, c'est parce qu'un certain nombre d'innovations ont vu le jour dans le champ des paiements et de la monnaie. Je pense à la blockchain, à la possibilité d'échanger à la fois des flux d'argent et des données. Ces innovations, les fameuses cryptomonnaies, sont aujourd'hui portées exclusivement par des acteurs privés. Je ne parle pas du bitcoin, qui est un instrument avant tout spéculatif, mais souvenez-vous du projet de Facebook, aujourd'hui abandonné, de cryptomonnaie Libra. Il pourrait être repris par d'autres acteurs privés.

Il nous semble qu'il y a là un potentiel prometteur, y compris pour les particuliers. Or, en matière de monnaie, il y a toujours eu un partenariat entre le public et le privé. On n'a jamais laissé le monopole des innovations dans ce domaine aux acteurs privés. Il y a là un enjeu démocratique. Je prends tout à fait au sérieux la question des données privées, mais il serait tout à fait regrettable de priver les citoyens d'innovations technologiques importantes, associées à de la monnaie publique souveraine. Ces questions méritent en tout cas d'être étudiées. Les citoyens ne sont pas condamnés à avoir recours au privé pour disposer des meilleures innovations technologiques.

Un certain nombre de questions se posent toutefois de manière tout à fait légitime. Je tiens ainsi à rassurer les représentants de la Nation et les professionnels : il ne s'agit absolument pas de désintermédier les banques, contrairement à ce qu'ont pu laisser accroire certains titres de la presse internationale en mal de sensations. C'est faux, d'abord parce que les encours de cet euro numérique seraient probablement plafonnés - pour être clair, il ne s'agit pas de vider les comptes bancaires -, ensuite parce que cet euro serait très probablement distribué par les banques.

Pour répondre à la question qui m'a été posée sur la protection de la vie privée, la banque centrale n'aura pas accès à des données sur les citoyens, encore moins à la programmation de leurs dépenses.

Je le redis, le monopole de l'innovation ne peut pas être réservé aux acteurs privés. J'ajoute que les acteurs privés que nous évoquons et que je n'ai pas besoin de nommer ne sont pas européens.

Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'euro numérique n'aurait pas pour effet la suppression des espèces. La Banque de France n'abandonnera jamais les espèces, la production et la distribution des billets. Nous sommes là pour garantir la liberté de choix de nos concitoyens. Toutes les formes de moyens de paiement doivent être d'égale accessibilité, d'égale qualité et d'égale sécurité. C'est une question de confiance dans la monnaie.

Enfin, pour répondre à votre question, monsieur le président, je vous confirme que des discussions ont lieu au sein du Conseil des gouverneurs, fort heureusement, sinon ce conseil n'aurait pas de raison d'exister.

On oppose traditionnellement, en des termes ornithologiques, les faucons et les colombes. Pour ma part, je me décris toujours comme un pragmatique. Je ne pense pas qu'il faille que nous ayons une position déterminée à l'avance. Certains sont toujours partisans d'une augmentation des taux, d'autres y sont toujours opposés. Pour ma part, je pense que cela dépend des données. Ce qu'a dit le rapporteur général sur l'évolution de l'inflation depuis dix-huit mois est vrai. Relever les taux à la fin de l'année 2021 aurait été une erreur. Aujourd'hui, ne pas les relever alors que l'inflation menace de s'installer serait grave. Je ne peux toutefois pas vous dire à quel niveau il faut les porter, parce que je ne le sais pas.

Nous avons dû les remonter très vite au deuxième semestre de l'année dernière et je pense que c'était justifié, pour éviter une déflation. Les taux étaient alors très bas - c'était les fameux taux négatifs -, il fallait vite y mettre fin. Aujourd'hui, le taux de 2 % est ce que les économistes appellent un taux « neutre ». Il faudra sans doute aller au-delà pour freiner l'inflation, sans provoquer de récession.

Je crois pouvoir dire aujourd'hui qu'il n'y aura pas de récession de l'économie française et européenne en 2023, mais nous verrons dans les prochains mois.

M. Hervé Maurey. - Monsieur le gouverneur, je me réjouis que vous considériez, comme la présidente de l'Autorité des marchés financiers (AMF), qu'il faut mieux encadrer les acteurs des cryptoactifs, le Sénat ayant voté un dispositif allant dans ce sens dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne. J'espère que ce dispositif sera adopté par l'Assemblée nationale, qui examinera le texte à la fin du mois.

L'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement a indiqué récemment que le nombre de fraudes bancaires était en augmentation. Les associations de consommateurs soulignent régulièrement la difficulté qu'elles ont à obtenir de la part des banques un remboursement de ces fraudes. Est-il possible d'améliorer la situation ?

J'ai posé, il y a plusieurs mois, une question écrite au ministre de l'économie sur les frais bancaires de succession. Il m'avait alors répondu que le comité consultatif du secteur financier, dont vous assurez le secrétariat, avait prévu de lancer des travaux sur ce sujet en septembre 2022. Pourquoi les choses n'avancent-elles pas plus vite ? Quelle est votre position sur ce sujet ?

Enfin, on observe régulièrement une baisse de la capacité d'accéder à la monnaie, c'est-à-dire la fermeture d'un nombre de plus en plus élevé de distributeurs automatiques de billets. C'est préoccupant, non seulement en milieu rural, mais également dans les petites villes. Comment freiner cette évolution tout à fait regrettable ?

M. Pascal Savoldelli. - Je vous remercie, monsieur le gouverneur, pour votre présentation claire et argumentée. Alors que la crise impose un déploiement accéléré des énergies renouvelables et des solutions afin de réduire la consommation d'énergie, la BCE décide une remontée des taux afin de lutter contre l'inflation. Or, cette hausse a pour effet de renchérir le coût des solutions à la crise énergétique et climatique. Faut-il mobiliser des outils de politique monétaire pour permettre leur déploiement ?

Par ailleurs, est-il vrai, comme l'a dit le ministre Bruno Le Maire, que le livret de développement durable et solidaire n'a de vert que le nom ? Estimez-vous opportun aujourd'hui de modifier les règles de mobilisation de la fraction bancaire du livret de développement durable et solidaire ou celle qui est centralisée par la Caisse des dépôts et consignations ? A-t-on besoin d'un produit d'épargne supplémentaire pour financer la transition énergétique et la rénovation thermique des bâtiments ?

M. Daniel Breuiller. - Alors que les difficultés énergétiques nourrissent l'inflation, qui pèse très lourdement sur les ménages, sur les entreprises et sur les capacités des collectivités à investir dans la transition écologique, que proposent la BCE et la Banque de France pour soutenir la nécessaire transition énergétique ?

M. Michel Canévet. - Monsieur le gouverneur, j'ai l'impression que, comme d'autres responsables publics, vous souhaitez brider le développement du crédit immobilier dans notre pays. Pour ma part, je considère qu'il faut au contraire aller plus loin dans ce domaine afin d'apporter des solutions au problème du logement, qui ne pourra pas être résolu par les seuls investissements publics. Ne faudrait-il pas continuer à faire confiance aux épargnants et au secteur privé pour relever le défi du logement dans notre pays ? Ne faudrait-il pas également reconsidérer les différents livrets d'épargne qui existent et prévoir un dispositif un peu plus adapté ?

Dans le contexte économique actuel, alors que la hausse des prix, en particulier de l'énergie, renchérit le coût des produits et pose des difficultés aux entreprises, n'y a-t-il pas un risque de récession ? La réforme des retraites ne risque-t-elle pas d'entraîner des perturbations et d'avoir des effets significatifs sur le niveau de l'activité et sur notre PIB en 2023 ?

Enfin, la hausse des taux d'intérêt ne risque-t-elle pas de plomber significativement les budgets publics ? N'y a-t-il pas un risque majeur pour la stabilité et la sécurité financières de notre pays ?

M. Christian Bilhac. - Comme mes collègues, je rencontre fréquemment des maires qui m'interrogent sur la conduite à tenir en matière financière. Les collectivités ont-elles intérêt à financer dès à présent leur budget par l'emprunt, alors que vous annoncez une hausse des taux en 2023, ou est-il préférable d'attendre des temps meilleurs, puisque vous annoncez parallèlement une baisse de l'inflation, laquelle devrait entraîner une baisse des taux d'intérêt en 2024 ?

M. Vincent Delahaye. - Vous dites, monsieur le gouverneur, que les outils de lutte contre l'inflation sont de nature non pas budgétaire, mais monétaire et structurelle. Je ne sais pas trop ce que sont les outils structurels. Pourriez-vous me l'expliquer ?

M. Emmanuel Capus. - Je vous poserai trois questions. La première porte sur le risque de récession en France. Vous dites être assez confiant à cet égard pour le moment, mais la Banque mondiale est, elle, assez inquiète. Selon elle, les prévisions seront dégradées de manière importante dans 95 % des États du monde. Comment votre analyse s'articule-t-elle avec celle de la Banque mondiale ?

Ma deuxième question porte sur la productivité des entreprises. Vous n'êtes pas inquiet pour la capacité des entreprises françaises à rembourser les PGE, au vu de leur solvabilité. Mais ne craignez-vous pas que ces remboursements impactent leur capacité d'investissement, comme c'est le cas pour les collectivités territoriales ? Disposez-vous d'un outil pour mesurer la dégradation éventuelle de la productivité des entreprises devant faire face à une augmentation du coût du crédit et au remboursement des prêts contractés par le passé ?

Vous avez parlé du taux d'usure. Que pensez-vous du taux d'usure vert, que d'aucuns réclament ? Il s'agit d'un taux d'usure différencié pour favoriser la rénovation énergétique.

Mme Sylvie Vermeillet. - Vu le contexte mondial d'inflation et le coût de l'énergie, quel est le point de vue de la Banque de France sur l'objectif de zéro artificialisation nette ? N'est-il pas contradictoire avec les enjeux actuels ?

Rapporteure spéciale sur les régimes sociaux et de retraite, je souhaite aussi savoir comment vous envisagez la fin du régime spécial de la Banque de France. Il y a deux ans, Laurent Pietraszewski déclarait que ce régime perdurerait - et il me semble que les salariés de la Banque de France avaient consenti à des efforts salariaux au profit de la caisse de réserve des employés.

M. Gérard Longuet. - Les 30 dernières années ont été marquées par une inflation faible, liée à la mondialisation. La seule exception a été la crise de 2008, qui a provoqué une hausse très forte des taux d'intérêt. Sinon, la certitude que la concurrence internationale contiendrait la hausse des prix a permis de maintenir les taux à des niveaux modestes.

Ne pensez-vous pas qu'au cours des 20 ou 30 prochaines années la décarbonation énergique conduite par les nations responsables va nécessairement nourrir l'inflation ? Il s'agit en effet de favoriser des investissements certes indispensables à l'harmonie climatique, mais dont le coût n'est pas toujours équilibré par une production.

M. Vincent Capo-Canellas. - Dans votre propos, on comprend qu'il y ait une part de confiance et une part de vigilance - voire d'inquiétude ? Vous êtes confiant sur l'activité et sur la réduction de l'inflation, et plutôt inquiet sur la dette. Nous devons en effet nous interroger sur la soutenabilité de celle-ci avec l'augmentation des taux. La Banque de France devrait peut-être alerter davantage sur les risques que nous courons à cet égard. Comment concilier l'augmentation des taux et la situation, particulière en Europe, des finances publiques françaises ? Outre la maîtrise des dépenses, une augmentation de la quantité de travail suffira-t-elle, comme on nous le dit souvent, pour sortir de cette spirale ?

M. Éric Bocquet. - Vous avez évoqué les cryptomonnaies, dont il a beaucoup été question ces dernières semaines, avec l'effondrement de la plateforme FTX aux États-Unis. J'ai cru comprendre que vous appeliez à une plus grande régulation de ce type d'activité. Considérez-vous que cet épisode est un accident de parcours, un épiphénomène en somme, ou reflète-t-il un problème beaucoup plus profond, qui nécessiterait qu'on l'appréhende de manière politique au sens large ? Il s'agit d'un secteur parti de rien, qui a très vite atteint un niveau de capitalisation de 3 000 milliards de dollars... Cela soulève de vraies questions.

M. Claude Raynal, président. - Parti de rien, arrivé à rien... mais tout seul !

M. Éric Bocquet. - Avec sa politique de rachats de la dette des États de l'Union, la Banque centrale européenne détiendrait entre 20 % et 25 % de la dette française.

M. François Villeroy de Galhau. - C'est exact, et c'est même la Banque de France qui détient ces titres.

M. Éric Bocquet. - Comment seront-ils gérés ? Avec la crise de la covid, l'épargne des Français, faute de pouvoir consommer, avait augmenté de 150 milliards d'euros. Cela m'a conduit à réfléchir au financement de la dette d'un État. La dette japonaise, par exemple, atteint 250 % du PIB, mais est détenue à 85 % par des investisseurs japonais, institutions et particuliers. Pourquoi ne pas imaginer chez nous aussi un autre type de financement, mobilisant cet excès d'épargne des Français ? Cela nous libérerait un peu de l'emprise des marchés financiers, qui financent allègrement notre dette, puisque nous allons réemprunter cette année 270 milliards d'euros...

M. Patrice Joly. - On est souvent très attentif à l'endettement public, un peu moins à l'endettement privé. Quels sont les risques de défaillance des ménages avec l'évolution du coût de l'argent ? Les entreprises françaises sont globalement plus endettées que celles des autres pays occidentaux. Cela les gênera-t-il pour investir, ou leur fait-il courir des risques particuliers ?

Les établissements financiers considèrent aujourd'hui que le taux d'usure est insuffisant, ce qui les conduit à être beaucoup plus restrictifs en matière de crédit. Cela génère des difficultés d'accès au crédit pour les PME, obligées de fournir des apports plus importants ou des garanties accrues. Cela risque-t-il d'entraver la croissance ou les investissements nécessaires à la transition énergétique ?

M. Victorin Lurel. - Pourriez-vous nous éclairer sur le régime juridique applicable aux plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011 ?

M. Philippe Dominati. - Vous êtes à la fois un acteur et un observateur dans le match de l'après-Brexit. La place financière de Paris a-t-elle tiré parti de la situation ? Quelle est sa dynamique par rapport aux autres places européennes comme Amsterdam ou Francfort ? Quelles institutions ont établi leur siège dans le bassin parisien ? Y a-t-il de nouvelles installations en perspective ? Je pense aux chambres de compensation, par exemple, même si j'avoue ne pas véritablement savoir à quoi elles servent...

M. Rémi Féraud. - Votre exposé liminaire était très éclairant : votre hypothèse de croissance n'est pas la même que celle retenue par le projet de loi de finances pour 2023 qui vient d'être adopté ! Inquiétant. Le ministre de l'économie, lui, a confirmé ce matin la prévision de croissance de 1 % du Gouvernement. Quelles sont les différentes hypothèses qui conduisent à cet écart ? On comprend qu'il y ait une forme de volontarisme du Gouvernement... Avec 0,3 %, nous ne serions pas en récession, mais nous n'en serions pas loin !

Quelle est la marge de manoeuvre dans l'année pour revoir le niveau des taux d'intérêt ? Vous dites que c'est à la politique monétaire de lutter contre l'inflation, mais nous ne devons pas non plus augmenter trop le déficit budgétaire. L'équilibre à trouver est fragile, dans une période difficile... Quelle sera notre capacité à nous adapter à l'évolution de la situation au cours de l'année 2023 ?

M. François Villeroy de Galhau. - Je salue la qualité de toutes les questions. J'invite d'ailleurs ceux d'entre vous qui le souhaitent à venir à la Banque de France, ce qui nous permettra d'échanger davantage que pendant mon audition annuelle devant votre commission.

Je soutiens totalement la proposition de réglementation des cryptoactifs - je préfère ce terme à celui de cryptomonnaies, monsieur Bocquet.

La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises a constitué un progrès, puisque nous avons été parmi les premiers à prévoir un statut de prestataire de services en actifs numériques (Psan). Ce texte prévoyait deux possibilités : un simple enregistrement, avec un contrôle pour lutter contre le blanchiment, ou l'agrément. Je pense qu'il serait bon que l'agrément devienne obligatoire le plus rapidement possible - d'ici à la fin de l'année.

Vous avez évoqué les fraudes bancaires et leur remboursement. C'est effectivement un sujet très sensible. Je préside l'Observatoire de la sécurité des moyens de paiement, qui a rappelé aux banques que la règle, c'est le remboursement, et l'exception, le non-remboursement, qui ne peut intervenir que s'il y a présomption sérieuse de complicité ou de mauvaise foi.

Sur les frais de succession, qui sont également un sujet sensible, je me renseignerai. Je ne savais pas que les travaux du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) n'avançaient pas aussi vite que prévu, et je vais veiller à les accélérer.

La capacité d'accès à la monnaie, et en particulier aux billets, est un sujet qui nous est aussi cher qu'il l'est à votre rapporteur général ! Nous publions chaque année au mois de juillet une étude sur ce sujet, et le taux d'accès de nos concitoyens aux distributeurs automatiques de billets (DAB) est actuellement maintenu. Les DAB sont un peu moins nombreux, mais 99 % de nos concitoyens habitent à moins d'un quart d'heure d'un DAB. Pourquoi le nombre de DAB diminue-t-il ? Objectivement, parce qu'ils coûtent cher aux banques. Mais cette diminution se concentre dans les villes. Nous sommes extrêmement attentifs au maintien de la couverture territoriale. Des opérations de regroupement qui ont pu avoir lieu entre certains réseaux bancaires nous paraissent plutôt intelligentes, parce qu'elles maintiennent la capacité de distribution tout en diminuant son coût. En tous cas, il ne s'agit absolument pas de diminuer l'accessibilité, notamment en milieu rural.

M. Savoldelli m'interroge sur la hausse des taux et le financement des solutions énergétiques. La hausse des taux est absolument nécessaire pour lutter contre l'inflation. Je répète qu'il n'y a pas à choisir entre la lutte contre l'inflation et la croissance. Si nous laissons s'installer l'inflation, celle-ci devient, dans la durée, le pire ennemi de la croissance. Elle nuit en effet à la confiance, et rend difficile de prévoir des investissements. Il faut de la confiance et des repères sur la valeur de la monnaie.

De plus, si nous laissons s'installer l'inflation comme dans les années 1970, il faudra un remède de cheval pour la faire disparaître. Un certain nombre d'entre nous s'en souviennent, M. Volcker, aux États-Unis, n'avait pas monté les taux d'intérêt au-dessus de 2 %, mais au-dessus de 20 % - ce qui, pour le coup, avait provoqué une récession forte aux États-Unis.

L'arbitrage entre inflation et croissance ne joue que dans des situations très graves, que notre action a précisément pour but d'éviter.

Pour financer les solutions de la transition énergétique, nous devons organiser les choses au niveau européen. J'ai évoqué une union verte des marchés de capitaux. Nous avons beaucoup d'épargne disponible en Europe, et beaucoup de besoins de financement, mais nous n'arrivons pas à mettre ces ressources en face de ces besoins, parce que les marchés sont beaucoup trop cloisonnés. Nous devons avancer sur ce point. Le Sénat, qui s'est régulièrement intéressé à l'union des marchés de capitaux, pourrait y revenir : je ne vois pas de blocage politique en la matière, mais seulement un manque d'intérêt chez certains dirigeants européens.

Un nouveau livret vert ? C'est Bercy qu'il faut interroger. Je ne sais pas si l'on peut résoudre tous les problèmes de l'économie française en multipliant les livrets, mais vous avez raison d'évoquer un produit un peu plus risqué, un peu moins liquide et conçu pour le long terme : on ne peut pas à la fois garantir la liquidité des livrets, avoir des taux élevés, et expliquer qu'on pourra financer avec cela toutes les transformations à long terme de l'économie française.

Pour soutenir la transition écologique, les banques centrales peuvent faire davantage. Cela dit, la Banque centrale européenne est pionnière, sous l'impulsion de Christine Lagarde, pour verdir la politique monétaire. Nous avons annoncé en juillet dernier un plan très important en la matière, alors que d'autres banques centrales ont encore des réticences, comme le président de la Fed l'a confirmé hier. La Banque de France, dans un classement des 20 principales banques centrales du monde effectué par des ONG totalement indépendantes - et souvent assez critiques envers les institutions publiques comme la nôtre - arrive première, et de loin ! Je tiens à votre disposition ce classement. Nous allons continuer à avancer dans cette direction par notre politique monétaire, notre politique de supervision, qui vise à inciter les banques et les compagnies d'assurance à verdir davantage leur bilan, et par notre politique d'investissement.

Monsieur Canévet, je ne voulais pas donner l'impression de vouloir « brider » le crédit immobilier. Je crois simplement que nous devons être cohérents en la matière. Le livret A sert à la fois à rémunérer les épargnants et à financer le logement social. Quand on fixe son taux, il faut bien penser à ces deux dimensions. Il est très important de veiller à ce que les ménages qui souscrivent un crédit immobilier ne se retrouvent pas en situation de surendettement, si l'on ne veut pas que des chantiers soient arrêtés brusquement ou que des personnes soient en grande difficulté financière. C'est le sens des mesures prises par le HCSF, le Haut Conseil de stabilité financière, pour faire en sorte que la durée des crédits ne dépasse pas 25 ans, que la mensualité n'excède pas 35 % du revenu, etc. L'objectif n'est pas de rendre le crédit plus rare, mais de le rendre plus sûr, ce qui est dans l'intérêt de tous.

En ce qui concerne la réforme des retraites, je m'abstiendrai de tout commentaire, sauf sur le cas du régime de la Banque de France, sur lequel je reviendrai.

Sur l'endettement public, je vous rejoins totalement. Une grande vigilance s'impose en la matière, voire une « inquiétude » pour reprendre vos termes. Mais cela ne saurait modifier la politique monétaire. Il faut traiter la question du volume de la dette publique. Quand j'avais 20 ans, le ratio entre la dette publique et le PIB était de 20 %. Il est désormais de 114 % ; ceux qui ont 20 ans aujourd'hui partent donc dans la vie avec un sac à dos qui pèse 5 à 6 fois plus lourd ! Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Certains demandent à la Banque de France d'en faire plus en la matière, mais j'ai l'impression que nous en faisons déjà beaucoup ! Et d'aucuns trouvent d'ailleurs que nous en faisons trop... Certes il n'est pas facile de faire des arbitrages, mais nous ne pouvons pas continuer avec un tel volume de dépenses publiques, de déficit et de dette. La Banque centrale ne peut pas se fixer comme objectif de financer la dette publique, car cela se termine toujours par une inflation beaucoup plus forte. Les programmes d'achats d'actifs récents étaient une exception, il s'agissait alors d'éviter la déflation.

Il ne m'appartient pas de donner des conseils aux maires en matière de financement. La situation de chaque commune est particulière. J'indique seulement que les taux d'intérêt sont censés incorporer déjà, de la manière la plus rationnelle possible, les anticipations d'inflation ou les prévisions macroéconomiques. Il ne faut pas croire non plus que les banques centrales vont monter leurs taux très rapidement, puis les rebaisser ensuite aussi vite. Il est sans soute préférable de les monter un peu moins haut, mais de les maintenir ensuite à ces niveaux plus longtemps. En d'autres termes, la course de vitesse qui a eu lieu à la fin de l'année dernière va progressivement devenir une course de fond. Le bon calibrage de la politique monétaire est une question d'arbitrage entre le niveau des taux et leur durée.

Monsieur Delahaye, je reconnais que le terme « outil structurel » relève du jargon des banquiers centraux. Il s'agit de notre capacité à muscler notre production, notre offre, à travers la transformation énergétique, la transformation numérique et la transformation du travail. Cette mutation joue un rôle dans la victoire contre l'inflation, car cette dernière dépend de l'équilibre entre l'offre et la demande : quand l'offre est insuffisante, l'inflation augmente ; quand la demande est trop faible, la déflation menace - c'était le cas ces dernières années. Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans une situation où il n'y a pas assez d'offre, ce qui requiert des transformations structurelles. La politique de l'offre ne se réduit pas à des baisses d'impôt. Elle consiste aussi en des transformations de fond, qui sont beaucoup plus efficaces dans la durée, surtout dans la situation des finances publiques que l'on connaît.

Monsieur Capus, j'assume que nous puissions avoir des différences d'analyse avec la Banque mondiale. J'ai même la faiblesse de penser que notre vision de l'économie française est encore plus pointue et pertinente que celle de la Banque mondiale... J'ai noté une certaine tendance au pessimisme dans son analyse ; je ne prétends pas du tout que la France aura une croissance forte cette année : j'ai été très clair, je m'attends à un net ralentissement, mais je crois que l'on peut dire, sauf bien sûr rebondissement extérieur, que nous allons éviter une récession lourde ou un atterrissage brutal.

J'en viens à la capacité d'investissement des entreprises. La productivité des entreprises est en train de ralentir fortement ; c'est la contrepartie du fait que l'emploi, lui, se porte bien. Lorsque la production ralentit et que l'emploi se maintient, ce n'est pas très bon pour la productivité, même si, à court terme, ce mix est assez favorable. Notre enquête montre que 52 % des entreprises ont encore des difficultés de recrutement, alors que le taux de chômage s'élève à 7 % et que des centaines de milliers de jeunes n'ont pas d'emploi ! C'est le paradoxe français. Dans cette situation, les entreprises ont plus tendance qu'avant à garder leurs salariés, y compris par le mécanisme d'activité partielle. Cela ne me paraît pas mauvais, mais cela pèse sur la productivité. Est-ce que cela pèse sur la capacité d'investissement ? J'en suis moins sûr parce que l'investissement des entreprises est avant tout déterminé par leurs anticipations de demande, et un peu moins par leur situation financière. L'investissement a très bien résisté en 2020, au moment de la crise du covid, puis s'est fortement relevé ensuite. Pour l'instant, il résiste. Le plus préjudiciable, c'est l'incertitude - d'où l'importance de gagner la bataille contre l'inflation !

J'avoue que je ne connaissais pas le taux d'usure vert ! Mais si le Parlement le crée, nous suivrons. J'indique toutefois qu'une grande part des travaux de rénovation que vous évoquez relève juridiquement non du crédit immobilier, mais du crédit à la consommation, dont le taux plafond est nettement plus élevé. J'insiste : le relèvement du taux d'usure n'est pas une baguette magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. Si le législateur a prévu un taux d'usure, c'est pour protéger les emprunteurs. Je lis parfois dans la presse que le problème du crédit immobilier tient au fait que les taux d'intérêt sont trop élevés et que le taux d'usure est trop bas... C'est contradictoire ! Je ne vois pas comment augmenter le taux d'usure permettra de faire baisser les taux de crédit immobilier.

Je ne me prononcerai pas sur le ZAN, cela ne relève pas de la compétence de la Banque de France.

Je connais par contre beaucoup mieux la question du régime spécial de retraite de la Banque de France. Les agents de la Banque de France n'ont aucun avantage particulier en matière de retraite. Qu'il s'agisse des cotisations, de leur assiette, du niveau des pensions, de l'âge légal de départ, etc., nous appliquons exactement les règles de la fonction publique. Si l'on parle de régime « spécial » de la Banque de France, ce n'est pas en raison de l'existence de quelconques privilèges, mais pour une raison relativement vertueuse qui est que ce régime est provisionné à l'avance à hauteur de 100 % par la caisse de retraite de la Banque de France, qui a d'ailleurs réalisé des investissements verts et compatibles avec la transition climatique. C'est pourquoi j'ai souhaité, comme les personnels de la Banque de France, maintenir jusqu'à présent ce régime, mais nous appliquerons évidemment ce que votera le Parlement.

Monsieur Longuet, si l'inflation a été réduite ces trente dernières années, c'est certainement grâce à la mondialisation, mais c'est aussi grâce à l'action des banques centrales. La décarbonation de notre économie s'accompagnera-t-elle d'un surcroît d'inflation ? C'est possible, mais il devrait être faible, de l'ordre de quelques dixièmes de points au maximum. En tout cas, l'inflation que nous connaissons n'est pas liée à la transition climatique, comme le prétendent certains climatosceptiques. Nous devrons trouver le moyen de réaliser la décarbonation tout en maintenant une inflation modérée - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles l'objectif d'inflation n'est pas de zéro, mais de 2 %.

Monsieur Capo-Canellas, j'aime comme vous raisonner en termes de confiance et de vigilance ; je préfère cette alternative à l'opposition entre optimisme et pessimisme, qui renvoie à des biais psychologiques. Parmi les points de vigilance, je citerai très clairement la dette. L'augmentation de la quantité de travail ne suffira probablement pas pour la résorber. Nous devons gérer de façon plus efficace les dépenses courantes. Ainsi, à la Banque de France, nous avons réduit, depuis 2015, les effectifs de 25 % par la voie du non-remplacement des départs en retraite, tandis que notre budget de fonctionnement - masse salariale et frais généraux - baissait de 4 % par an en volume, après inflation. Nous l'avons fait tout en continuant, non seulement à assurer nos missions, mais en en développant un certain nombre d'autres sur le climat, les TPE ou la médiation du crédit. Un tel effort est donc possible, à côté d'une politique pour augmenter l'offre.

Monsieur Bocquet sur les cryptoactifs, la réponse était implicite dans votre question, et je la partage ! La faillite de FTX n'est pas un accident de parcours : elle fait suite à la faillite de Terra/Luna. Si les accidents se succèdent, c'est qu'il y a un problème ! Et, dans ce cas, il faut réglementer. Il y a quelques années, on se demandait s'il fallait réglementer ou réguler. Aujourd'hui, on se demande s'il faut réglementer ou interdire. Je me réjouis que l'AMF partage notre position.

Je vous confirme que la Banque centrale européenne détient entre 20 % et 25 % de la dette souveraine française. Peut-on recourir davantage à l'épargne des investisseurs résidents ? La dette française est détenue à peu près à parts égales par les investisseurs résidents, au travers notamment de l'assurance vie, et par les investisseurs non-résidents. Les marchés financiers financent « allègrement » la dette française, dites-vous...

M. Éric Bocquet. - Ils n'hésitent pas à le faire !

M. François Villeroy de Galhau. - En tout cas, le taux des OAT a nettement remonté : il était de 0,2 % il y a quelques années, il est passé à 2,7 %, et cette hausse se fera sentir sur notre charge de la dette au fur et à mesure des nouvelles émissions. Le taux de 0,2 % était anormalement bas.

Je ne sais pas si la situation serait meilleure si le financement domestique était plus élevé. On risquerait de payer notre dette plus cher, car on se priverait du recours à l'épargne mondiale. Quant au système japonais, il est très spécifique, avec une population vieillissante, une inflation et une croissance plus faibles.

Monsieur Joly, je ne vois pas de risques de défaillance financière des ménages, dès lors que nous prenons les mesures pour prévenir le surendettement, notamment en ce qui concerne le crédit immobilier. Les lois sur le surendettement - les lois Neiertz de 1989, Lagarde de 2010, Hamon de 2013 - ont été très efficaces. Le nombre de dossiers de surendettement est passé de 230 000, en 2015, à 113 000 en 2022, soit une baisse de plus de 50 %. En ce qui concerne les entreprises, ma réponse serait plus nuancée. J'ai déjà évoqué leurs difficultés de trésorerie ou le comportement de paiement des grandes entreprises. D'une manière générale, les entreprises françaises n'ont pas de problème d'accès au crédit, mais elles manquent de fonds propres. Il faut parvenir à les augmenter, car ces derniers sont essentiels pour financer l'innovation ou la transition climatique. On en revient à la question de l'union des marchés de capitaux dans l'Union européenne dont j'ai parlé.

Je n'avais jamais entendu parler d'un taux d'usure différent pour les PME. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une demande très forte de leur part. Je ne voudrais pas apparaître comme un défenseur du taux d'usure, mais il est prévu par la loi. Je trouve toujours un peu paradoxales les demandes des corporations qui souhaitent voire le taux d'usure qui leur est appliqué augmenter : quand on prête plus cher aux gens, on ne fait pas toujours leur bien !

Monsieur Lurel, je ne saurais vous répondre dans l'immédiat sur les plans épargne logement souscrits avant le 28 février 2011, mais je vous transmettrai une réponse lorsque j'aurai des précisions. Les taux des PEL sont fixés au moment de la souscription, pour la durée du contrat, à la différence du livret A, dont les taux varient. La formule de calcul que nous appliquons concerne les nouveaux PEL, et j'ai ainsi recommandé de porter leur taux de 1 % à 2 %. Les PEL d'avant 2011 conservent leur taux beaucoup plus élevé de l'époque de souscription, mais ils ont été fiscalisés, car, comme vous le savez, la date de 2011 marque une frontière.

Monsieur Dominati, la place financière de Paris a plutôt marqué des points dans son match avec la City de Londres et les autres places européennes. La City de Londres a reculé, c'est incontestable. Il est frappant de constater que la capitalisation boursière de la place de Paris a dépassé, l'année dernière, celle de la place de Londres. Chacune des places européennes a tiré un peu son épingle du jeu. Nulle ne s'est imposée, on a plutôt affaire à une espèce de constellation. La place de Paris me paraît forte notamment pour les activités de marché des grandes banques internationales : si elles n'ont pas toujours leur siège européen à Paris, ayant parfois préféré Francfort, elles y ont souvent leurs salles de marché, à l'image de la plupart des grandes banques américaines.

Reste le problème des chambres de compensation ou CCP (central counterparty clearing), ces plateformes où s'échangent les produits dérivés, les swaps, les options, etc. Ces plateformes jouent un rôle essentiel, notamment en termes de surveillance des risques et d'influence économique. Or, elles sont très largement installées à Londres. La France souhaiterait des évolutions. J'aimerais que nos partenaires européens soient aussi allants que nous en la matière. Ces infrastructures de marché très importantes pour le marché financier européen ne peuvent rester en dehors de la régulation de Bruxelles et de Francfort. Il convient que les acteurs privés préparent des infrastructures alternatives en Europe.

La question de M. Féraud n'est pas la plus facile. Pourquoi nos prévisions de croissance sont-elles différentes de celles du Gouvernement ? Il y a tout d'abord des raisons techniques. Mais il y a aussi une raison de fond, c'est que la Banque de France est indépendante ; d'ailleurs, en 2023, on fêtera le 30e anniversaire de la loi du 4 août 1993 qui a consacré l'indépendance de la Banque de France. Les différences de prévision peuvent s'expliquer par une part de volontarisme, sans doute, et aussi par l'incertitude assez forte qui entoure l'exercice. Nous ne prétendons ainsi pas que notre prévision soit juste à la décimale près, même si l'écart, en l'occurrence, est un peu plus élevé...

Ensuite, dans quelle mesure la politique budgétaire contribue-t-elle à la lutte contre l'inflation ? Elle y a contribué temporairement, c'est ce que j'ai voulu dire en expliquant qu'une victoire durable contre l'inflation ne pourrait pas être obtenue par la voie budgétaire. En effet, plus cette politique dure, moins elle est efficace à cet égard : d'abord parce qu'elle coûte cher, et on en revient au problème de la dette publique ; ensuite, si les prix de l'énergie augmentent, il convient de s'adapter, ce qui contribuera à développer la sobriété énergétique et à réaliser la transition climatique. On ne peut pas protéger indéfiniment les acteurs économiques contre une nouvelle donne. Le surcoût énergétique a représenté pour la France une taxe extérieure payée aux fournisseurs de pétrole et de gaz de l'ordre de 60 milliards d'euros. Cette facture énergétique se répartit entre les entreprises, pour les deux tiers, et les ménages, pour un tiers. Les mesures budgétaires ont été extrêmement fortes en 2022, et elles ont absorbé, selon les estimations, entre un tiers et la moitié du choc. La part à la charge des ménages a ainsi beaucoup reculé, s'établissant finalement à 6 % de la facture totale, tandis que la part des entreprises s'est réduite pour s'établir à 50 % à peu près. Ces mesures étaient peut-être nécessaires pour amortir le choc à court terme, mais il est indispensable qu'elles cessent d'ici deux à trois ans, sinon l'adaptation nécessaire de notre pays ne se fera pas. Mieux vaut investir dans la transition climatique que dans des subventions à la consommation d'essence ! La ristourne sur les carburants était utile, mais, si nous la prolongeons, nous ne réussirons pas la transition climatique. Qui plus est, en soutenant la consommation énergétique alors que les prix de l'énergie augmentent, on entretient l'inflation et c'est contre-productif.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 12 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.