Mardi 10 janvier 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Pascal Martin, sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Ce texte a été déposé au Sénat le 2 novembre 2022 et renvoyé au fond à la commission des affaires économiques, qui a désigné Daniel Gremillet comme rapporteur.

En début d'année, nous avons examiné le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui avait été renvoyé au fond à notre commission et dont Didier Mandelli était rapporteur.

Nous continuons donc cette séquence énergétique avec un projet de loi consacré à la relance du nucléaire. Ce texte technique entend, comme le projet de loi relatif à l'accélération des énergies renouvelables, tirer les conséquences de la stratégie énergétique présentée par le Président de la République le 10 février 2022 à Belfort, pour faire de la France le premier grand pays à sortir des énergies fossiles.

La stratégie présidentielle repose sur deux piliers : d'une part, la sobriété et l'efficacité énergétique, pour atteindre l'objectif de réduire de moitié la consommation énergétique finale en 2050 par rapport à 2012 ; d'autre part, la production d'énergie décarbonée, en particulier d'électricité, avec le développement des énergies renouvelables et la relance de la production d'électricité nucléaire.

Je souligne que cette stratégie présidentielle de relance du nucléaire rompt avec les fermetures de centrales nucléaires annoncées ces dix dernières années : je m'en réjouis, à titre personnel.

Dans son discours de Belfort, le Président de la République a indiqué son souhait que la France construise six EPR2, c'est-à-dire des réacteurs EPR de troisième génération « optimisés », et que des études soient lancées pour la construction de huit EPR2 supplémentaires.

EDF et RTE ont déjà saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) pour la construction de trois paires de réacteurs EPR2, dont les deux premiers seraient situés à Penly, en Normandie et des concertations territoriales sont en cours sur ces projets.

Alors que nous devrons examiner prochainement la première grande loi de programmation pour l'énergie et le climat (LPEC), actuellement en concertation, cette annonce présidentielle nous place d'ores et déjà dans l'un des trois scénarios « les plus nucléaires » du rapport du gestionnaire RTE publié en 2021, qui prévoient une part du nucléaire atteignant respectivement 26 %, 36 % ou 50 % à l'horizon 2050 dans le mix électrique national.

Toutefois, le texte qui nous est soumis ne tranche pas la question du nombre de réacteurs qui seront construits, ni les questions relatives au mix énergétique : c'est un texte procédural, avec une forte dimension urbanisme, pour accompagner et cadrer les modalités de construction de nouveaux réacteurs.

Le texte comporte actuellement onze articles, répartis en trois titres.

Les articles 1er à 8 du titre Ier visent à simplifier et accélérer la mise en oeuvre de projets de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires, en précisant l'articulation entre les procédures d'urbanisme, d'autorisation environnementale et d'autorisation de création d'une installation nucléaire de base (INB). L'article 4 est le coeur du projet de loi et vise à tirer les conséquences de l'expérience de Flamanville, en séquençant les autorisations administratives applicables aux travaux de construction en fonction des enjeux en matière de sûreté.

Les articles 9 et 10 du titre II ont pour objectif de mieux encadrer le fonctionnement des installations nucléaires existantes, en clarifiant les modalités de réexamen périodique des réacteurs nucléaires de plus de 35 ans et la gestion des arrêts prolongés d'INB.

Enfin, l'article 11 du titre III ratifie l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire, prise sur le fondement de la loi « Macron » de 2015.

Je rappelle que nous entendrons demain matin, à 8 heures, la ministre de la transition énergétique sur ce texte, dans le cadre d'une audition conjointe avec nos collègues de la commission des affaires économiques.

Il est assez particulier d'entendre la ministre après et non pas avant la réunion d'examen des amendements de notre rapporteur, mais des contraintes de calendrier n'ont pas permis de le faire avant. La commission des affaires économiques aura la chance, elle, d'entendre la ministre juste avant sa réunion au cours de laquelle elle établira son texte sur le projet de loi.

Je rappelle enfin que ce texte sera examiné en séance publique la semaine prochaine, à compter du 17 janvier.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Merci Monsieur le président. Un petit mois après le début de mes travaux sur ce texte, l'heure est déjà venue de vous présenter mon rapport pour avis, fruit d'un cycle d'une vingtaine d'auditions conduites juste avant la « trêve des confiseurs ».

Comme pour l'examen du projet de loi « énergies renouvelables » déjà évoqué, le Gouvernement semble confondre l'accélération des procédures relatives à la transition énergétique et climatique avec l'accélération législative... J'ai donc travaillé dans un temps très contraint, comme Daniel Gremillet, ce qui n'est pas le plus indiqué pour légiférer sereinement.

Quelques mots de contexte, d'abord. La France dispose de 18 centrales nucléaires, pour un total de 56 réacteurs nucléaires, dont 32 réacteurs de 900 mégawatts (MW), 20 réacteurs de 1 300 MW et 4 réacteurs de 1 450 MW.

Les dispositions du titre II du projet de loi, relatif au réexamen périodique et à l'arrêt des réacteurs concernent l'ensemble de ces réacteurs, auxquels il faudra ajouter les nouveaux réacteurs EPR2.

En revanche, les dispositions du titre Ier ne concernent que les futurs réacteurs dont la construction pourra être décidée à l'issue des consultations locales et nationales prévues et dans le cadre de la future loi de programmation pour l'énergie et le climat (LPEC).

Les trois premières paires de réacteurs EPR de troisième génération « optimisés », dits « EPR2 » seront situés respectivement à Penly, à Gravelines et, soit au Bugey, soit au Tricastin, le choix du site d'implantation pour cette dernière paire n'ayant pas encore été fait.

S'agissant des huit réacteurs EPR2 supplémentaires, pour lesquels le Président de la République a annoncé le lancement d'études dans son discours de Belfort, nous ne savons pas si ces réacteurs seront effectivement construits, ni leur localisation.

Originaire du seul département de France accueillant deux centrales nucléaires, je ne peux que saluer le signal politique sans équivoque envoyé par ce projet de loi. Dans un contexte géopolitique incertain, donner une nouvelle impulsion à la filière nucléaire est indispensable pour maintenir la France à sa place de n° 1 de l'électricité décarbonée et soutenir l'électrification des usages prévue par la stratégie nationale bas carbone avec une production pilotable, en parallèle du développement des énergies renouvelables et de la réduction massive de notre consommation énergétique et ce à un coût maîtrisé.

Après de trop nombreuses années d'atermoiements qui ont conduit à un délaissement de la filière nucléaire, nous pouvons donc nous satisfaire, d'une part, du message et de la vision de moyen terme donnés aux secteurs industriels concernés et, d'autre part, du message que nous envoyons à nos concitoyens, en montrant que nous sommes pleinement mobilisés pour garantir la sécurité d'approvisionnement national en électricité.

Toutefois, ce texte se focalise sur la procédure ; il est très restreint et essentiellement technique - alors que les défis pour la filière sont bien plus larges. Je vous proposerai en conséquence des ajustements techniques, sachant que des consultations sont en cours sur les projets de six premiers EPR2 et sur l'élaboration de la stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), mais aussi que nous aurons les débats de fond - sur la place du nucléaire dans le mix énergétique, sur l'ampleur du nouveau programme nucléaire, sur les modalités de prolongation du parc existant ou encore sur le cycle du combustible -, en examinant la loi de programmation relative à l'énergie et au climat (LPEC) dont nous serons saisis au second semestre 2023.

Il aurait été préférable, pour la clarté des débats politiques, d'aborder le cadre général avant d'aborder le particulier, mais ce n'est pas le cas.

Les amendements que je vous proposerai suivent un double objectif : améliorer la sécurité juridique et la lisibilité du texte, pour limiter les risques contentieux qui affaibliraient la relance souhaitée du nucléaire français ; encadrer les marges laissées au pouvoir réglementaire.

Sous réserve de l'adoption de ces amendements, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

Pour améliorer la sécurité juridique du texte, je vous proposerai de mieux définir la notion de « proximité immédiate » - telle que proposée par le Gouvernement à l'article 1er pour la construction des nouveaux réacteurs - comme une implantation ne nécessitant pas de modification de la zone d'application et du périmètre du plan particulier d'intervention (PPI), établi par l'État en vue d'assurer la protection des personnes, des biens et de l'environnement face aux risques et dangers occasionnés par les centrales nucléaires existantes. D'après les informations qui m'ont été communiquées, en cas d'accident, le rayon d'action potentiel d'un réacteur de type « EPR2 » est moindre que celui des réacteurs nucléaires actuellement en fonctionnement au sein du parc français : dès lors, les PPI applicables à ces centrales, dont certaines accueilleront des réacteurs de type « EPR2 », n'ont pas vocation à être modifiés du fait de l'implantation de ces nouveaux réacteurs.

À l'article 4, « coeur » du projet de loi permettant de séquencer les travaux en fonction de leurs enjeux en matière de sûreté, je vous proposerai de définir plus précisément, par voie réglementaire, les bâtiments sensibles dont la construction ne pourra être entreprise qu'après la délivrance de l'autorisation de création et ceux, à moindres enjeux de sûreté nucléaire, qui pourront commencer dès l'octroi de l'autorisation environnementale. Il s'agit là de tirer les leçons de la construction difficile de l'EPR1 de Flamanville.

Je vous proposerai aussi de clarifier le fait que l'ASN restera compétente pour la délivrance des autorisations environnementales éventuelles ultérieures à la délivrance de l'autorisation de création, une fois le périmètre de l'INB établi.

À l'article 9, relatif au réexamen périodique des centrales par l'ASN, je vous proposerai de mieux dissocier les dispositions spécifiques applicables aux réexamens des réacteurs au-delà de 35 années de fonctionnement et de s'assurer que les modifications notables ou substantielles apportées par l'exploitant pour remédier aux anomalies ou pour améliorer la sûreté, feront respectivement l'objet soit d'une déclaration, soit d'une autorisation auprès de l'ASN.

Enfin, pour encadrer les marges laissées par ce texte au pouvoir réglementaire, je vous proposerai de préciser l'article 10. Il dispose que l'arrêt définitif des installations ayant cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans n'est pas de plein droit, mais qu'il est à la discrétion du pouvoir réglementaire ; or, en 2015, le législateur a privilégié, pour des raisons de sûreté, le démantèlement des installations le plus tôt possible après leur arrêt. Pour limiter les instructions inutiles - comme le souhaite opportunément le projet de loi - sans affaiblir le principe d'un démantèlement des installations le plus tôt possible après leur arrêt mis en avant par le législateur à l'époque, je vous proposerai donc de préciser que le pouvoir réglementaire doit ordonner la mise à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire de base ayant cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans, dès lors que l'absence de volonté et l'incapacité de l'exploitant de remettre son installation en service dans des délais raisonnables sont constatées par le ministre compétent.

Je termine en précisant qu'à mes yeux, ce projet de loi, aussi bienvenu qu'il soit, aura un impact limité sur la relance du nucléaire français : l'accélération des procédures et la réduction du risque contentieux ne constituent que des leviers mineurs pour s'assurer du développement dans les délais souhaités d'un nouveau parc nucléaire et de la prolongation du parc existant dans les conditions de sûreté adéquates. Bien au-delà de ce texte, les défis à relever concernent, en réalité, la capacité des pouvoirs publics et du secteur à opérer une montée en compétence de la filière, et à assurer une acceptabilité locale et nationale autour de la relance du nucléaire.

Pour tenir le calendrier des nouvelles centrales, il faut tirer les conséquences du projet d'EPR de Flamanville, accusant à ce jour dix ans de retard. Pour expliquer ce retard colossal, la Cour des comptes souligne « la perte de compétences techniques et de culture de qualité des industriels du secteur ». Cette perte de compétences s'explique notamment par le fait que Flamanville 3 ait été le premier chantier entrepris par la filière sur le territoire national, près de dix ans après l'achèvement de la dernière centrale française (Civaux 2). La construction en série des futurs réacteurs devrait bénéficier des retours d'expérience du chantier « test » que constitue Flamanville 3, « tête de pont » de la technologie EPR, dite de « troisième génération ». Toutefois, cet effet d'apprentissage ne suffira pas à accompagner la montée en compétence de la filière, qui devra recruter et former des personnels aptes à répondre au défi du déploiement d'un nouveau programme nucléaire, tout en structurant les filières industrielles clés pour la construction des réacteurs. Se pose ici la question de l'attractivité de la filière pour les jeunes ingénieurs et techniciens, affaiblie ces dernières années par les atermoiements politiques.

Deuxième défi à relever : celui de garantir l'acceptabilité du programme nucléaire, tant au niveau local que national, et de définir une stratégie claire pour la politique énergétique et climatique de notre pays.

Le choix d'une construction des nouveaux réacteurs à proximité immédiate des centrales existantes pourrait constituer un gage de plus grande acceptabilité, les populations et territoires concernés étant déjà acculturés au nucléaire et conscients des bénéfices associés - à Penly, les habitants sont majoritairement favorables à un EPR2, notamment parce qu'il représente quelque 8 000 emplois locaux. Cette acceptabilité passera plus largement par un rétablissement de la confiance dans la parole publique, par un dialogue démocratique à tous les échelons territoriaux. La Commission nationale du débat public joue un rôle déterminant en la matière, à travers les concertations locales déjà lancées sur les projets de six premiers EPR2, mais aussi dans la consultation préalable à l'élaboration de la SFEC.

L'acceptabilité locale et nationale passera aussi par un appui résolu des autorités indépendantes, au premier rang desquelles l'ASN et l'Autorité environnementale (AE). Comme notre commission l'a rappelé lors des récents débats budgétaires, les moyens humains et matériels de l'ASN devront être adaptés à une charge de travail qui devrait encore s'accroître dans les prochaines années.

En résumé, il conviendra, cette année, de donner une visibilité suffisante aux acteurs du nucléaire : l'anticipation, indispensable à la montée en compétence de la filière et à l'acceptabilité du nouveau programme, constitue sans aucun doute la meilleure réponse aux défis qui s'annoncent pour le nucléaire français.

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Merci pour cette invitation à votre réunion de commission, je me félicite de ce que nous ayons travaillé en grande proximité, en particulier lors des auditions et je sais pourvoir dire que le Sénat a une position forte et unitaire sur cette question sensible qu'est la relance du nucléaire. J'ai auditionné une centaine de personnes : j'ai entendu les représentants de la filière nucléaire, les responsables de la sûreté et de la sécurité nucléaire, les associations environnementales, les collectivités territoriales concernées par l'implantation des nouveaux EPR2 et nous avons organisé le 14 décembre dernier une table ronde avec les responsables d'EDF, de l'ASN, du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), d'Orano Projets et de RTE. Nous avons aussi entendu le président de la commission particulière de la CNDP en charge du nucléaire.

Sur la méthode, le Gouvernement légifère dans le désordre : il aurait fallu commencer par la loi de programmation, avant ces lois d'accélération des procédures - mais il légifère aussi dans la précipitation, puisqu'il nous a transmis ce texte à la mi-décembre, pour un examen en janvier, alors même que nous avions aussi la commission mixte paritaire (CMP) sur l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

Qui plus est, le Gouvernement ne prend pas en compte les consultations en cours, le président de la commission particulière de la CNDP nous l'a dit, et il se focalise sur la simplification, évitant d'aborder des sujets aussi importants que la planification énergétique, la place du nucléaire dans le mix énergétique, ou encore le besoin considérable de moyens financiers et humains pour relancer le nucléaire.

En dépit de ces défauts, ce texte laisse espérer des gains de temps dans la construction des nouveaux EPR2, avec des procédures d'urbanisme rendues plus simples, la réduction du nombre d'actes nécessaires et des règles plus claires pour les recours - EDF estime le gain de temps à 56 mois, ce n'est pas négligeable.

J'aurai cependant 35 amendements pour consolider ce texte, combler ses angles morts, son manque de vision stratégique, mieux garantir la sûreté et la sécurité nucléaire face aux nouveaux risques liés au changement climatique et aux cyberattaques, mais aussi mieux associer les collectivités territoriales et les habitants aux décisions, et renforcer la sécurité juridique des procédures.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour ces propos, je confirme que nos deux commissions ont travaillé en grande proximité.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Avec ce texte, on met la charrue avant les boeufs : il aurait été bien plus logique de commencer par débattre de programmation énergétique, pour examiner d'abord nos besoins énergétiques ; on fait l'inverse, en raisonnant à partir des moyens, en commençant par la production, alors même qu'on sait devoir aller vers plus de sobriété et que le Gouvernement envisage même des restrictions, du rationnement énergétique. Même s'il paraît difficile de se passer rapidement du nucléaire, ce texte contribue à sa relance, sans qu'on ait même débattu des possibilités de sortir du nucléaire, du temps que cela prendrait : nous ne cherchons pas à savoir comment sortir du nucléaire, quand bien même cette énergie peut poser des problèmes à l'échelle de l'humanité tout entière. Il faut bien produire de l'électricité, mais il faut aussi s'assurer de la sûreté et de la sécurité de cette production : ce n'est pas ce que nous faisons.

Notre commission s'occupant d'aménagement du territoire, nous pouvons aussi nous poser cette question : cette relance du nucléaire est-elle, comme dans les années 1970, laissée entre les seules mains des ingénieurs, ou bien associera-t-elle les collectivités et les populations ? Qu'est-il prévu en la matière ?

Enfin, ces nouvelles centrales seraient mises en service vers 2035 pour une soixantaine d'années, donc jusqu'à la fin du siècle, elles connaîtront ainsi les phénomènes nouveaux liés au changement climatique : quelle prospective avons-nous en la matière ? Quelle incidence sur la sécurité et la sûreté des installations ? Ces questions ne sont pas même abordées dans ce texte.

Nous sommes donc réservés sur ce rapport, tout en trouvant intéressants les amendements de notre rapporteur.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Ce texte propose d'accélérer les procédures, mais la comparaison avec la loi pour l'accélération des énergies renouvelables s'arrête là, parce que le nucléaire s'inscrit dans le temps long, qu'il s'agisse de construire les centrales, mais aussi de prendre en compte le cycle du combustible, depuis l'extraction jusqu'à la gestion des déchets, avec des impacts très sensibles sur l'environnement. Si la relance de la filière nucléaire est nécessaire face à la demande croissante en électricité et pour assurer notre souveraineté énergétique, il faut agir avec proportion, et être modestes. Cette année, nous allons définir une stratégie nationale pour l'énergie et le climat (SFEC), puis une loi de programmation, nous aurons un cap, et une planification - ce texte anticipe donc. Cependant, s'il fait gagner deux ans de procédure et que le programme est d'installer deux nouveaux EPR par an, est-il bien nécessaire que ce texte porte sur quinze années ? Ne serait-il pas plus juste de prévoir dix ans d'application ? Qu'en pensez-vous ?

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Sur la méthode, je partage votre avis, le Gouvernement va du particulier au général alors qu'il aurait fallu commencer par la stratégie, puis la décliner par volet - nucléaire et renouvelables. Ce n'est guère satisfaisant intellectuellement, nous nous y sommes prêtés faute de pouvoir changer cette stratégie qui nous est imposée.

Le calendrier accéléré, ensuite, fait-il peser un risque sur les projets, qui seraient d'autant moins acceptés qu'ils ne seraient pas suffisamment débattus localement ? La CNDP a lancé deux réflexions, l'une relative au mix énergétique et l'autre, locale, sur les projets de construction des nouveaux réacteurs. Les concertations locales sont bien suivies dans les territoires, je le vois à Penly où le public vient nombreux aux réunions. Par ailleurs, il y aura les enquêtes publiques prévues pour chaque projet de construction, chacun pourra s'exprimer.

Le choix de sites déjà existants rend les choses plus faciles, parce que les élus et les populations sont conscients des enjeux pour le développement local. La majorité, localement, est favorable aux projets de nouvelles installations.

Faut-il que les nouvelles règles d'accélération vaillent pour quinze années, si le programme peut être rempli en dix ans ? Je me suis aussi posé la question de réduire cette durée à six ans, j'ai consulté, et je me suis rangé aux quinze années proposées par le Gouvernement pour donner plus de visibilité à la filière. C'est ce qu'attendent les industriels et l'exploitant principal.

M. Gérard Lahellec. - Le débat « à la découpe » me met mal à l'aise, car nous avons besoin d'un débat large sur l'énergie, vous l'avez dit. Ensuite, je ne crois pas que le problème principal, ici, ce soit le retard dû aux procédures, même si ce texte pourra améliorer les choses ; ce qui a fait du mal, c'est plutôt la politique énergétique de ces dernières années, c'est à cause d'elle qu'on a perdu beaucoup.

Et ce texte très technique me pose problème non par sa technicité même, mais par tout ce qu'il ne contient pas - par le fait qu'il n'aborde pas les enjeux du nucléaire, ses fournitures, l'aménagement du territoire, l'avenir d'EDF... autant de sujets qui sont pourtant dans le débat public.

Nous l'avions déjà dit en examinant la loi sur les énergies renouvelables : il faut un débat d'ensemble, plutôt qu'à la découpe.

Cela dit, je comprends l'objectif de notre rapporteur, de consolider les procédures, d'éviter les recours qui rendraient les projets plus précaires. Je regarde donc ses amendements d'un oeil positif, tout en ayant des doutes sur le fond.

M. Ronan Dantec. - Quelle est la raison d'être de ce texte ? Vient-il répondre à une nécessité technique qui serait devenue urgente, d'accélérer les procédures alors que nous débattrons bientôt du fond, ou bien vient-il donner un message politique à l'industrie du nucléaire et à ses promoteurs, au lendemain du texte d'accélération des énergies renouvelables ? Je penche pour la deuxième option : le texte sur les énergies renouvelables était nécessaire, puisque chacun sait que ce n'est pas le nucléaire qui va répondre à nos besoins dans les quinze prochaines années, et le Gouvernement, dès lors, envoie un message politique aux industriels du nucléaire et à tous ceux qui soutiennent le nucléaire.

Cependant, il nous offre l'occasion d'un débat, nous allons en particulier interroger le modèle économique du nucléaire, poser cette question simple : la France a-t-elle vraiment besoin d'investir davantage dans le nucléaire, alors que le renouvelable d'Europe du Nord fournit une électricité deux à trois fois moins cher ? Les électro-intensifs vont-ils longtemps continuer à payer une électricité nucléaire française deux à trois fois plus chère que le prix européen ?

J'espère que nous examinerons aussi les moyens provisionnés par EDF pour le démantèlement des réacteurs nucléaires, et que nous parviendrons à comprendre, finalement, pourquoi, sur le nucléaire, la France fait quasiment cavalier seul en Europe...

Le débat sur ce texte prétendument technique sera l'occasion, je l'espère, d'avoir des réponses à nos questions sur le modèle économique du nucléaire - et que nous aurons de véritables réponses, plutôt que des postures, des professions de foi et des contes de fée sur le nucléaire.

J'attends aussi du Sénat un amendement proposant un droit de véto à la collectivité locale en cas d'installation d'un réacteur nucléaire sur son territoire, pendant de ce que vous avez voté pour les éoliennes...

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - Je le répète, je partage votre point de vue : il serait plus logique de parler d'abord de stratégie, puis de procédures, je l'ai souligné.

Ensuite, je n'oppose pas le nucléaire et les énergies renouvelables, je les crois complémentaires, parce que le nucléaire est pilotable alors que les renouvelables sont intermittentes, en particulier, et aussi parce que nous avons le projet d'une souveraineté énergétique. Nous débattrons de tout cela en séance plénière. Pour la commission, il y a déjà 69 amendements déposés, en incluant les 7 que je vais vous proposer.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er 

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-63 précise la notion de proximité immédiate pour la construction de réacteurs EPR2, en lien avec le périmètre et la zone d'application du plan particulier d'intervention (PPI) établi pour les INB existantes auprès desquelles les nouveaux réacteurs pourraient être implantés.

M. Ronan Dantec. - Nous ne doutons pas que vous cherchiez à améliorer le texte, mais comme nous nous y opposons sur le fond, nous voterons contre vos amendements.

L'amendement COM-63 est adopté.

Article 4

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-64 distingue mieux le régime dérogatoire pour la délivrance de l'autorisation environnementale précédant l'autorisation de création, du régime applicable après l'autorisation de création, ceci pour garantir que l'ASN restera compétente pour la délivrance des autorisations environnementales qui interviendraient après l'autorisation de création, une fois le périmètre de l'INB établi.

L'amendement COM-64 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-65, identique à un amendement de Daniel Gremillet, fait une référence explicite au code de l'urbanisme.

L'amendement COM-65 est adopté.

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-66 distingue mieux les bâtiments dont la construction pourra commencer dès l'octroi de l'autorisation environnementale, tout en renvoyant au décret en Conseil d'État le soin de définir la nature de ces bâtiments.

L'amendement COM-66 est adopté.

Article 7

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-67 précise que le décret d'expropriation avec prise de possession immédiate est pris après avis conforme du Conseil d'État, comme c'est le cas dans la procédure instituée par la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

L'amendement COM-67 est adopté.

Article 9

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-68 réécrit cet article, pour le rendre plus lisible, sans en changer le contenu, comme je vous l'indiquais dans mon intervention liminaire.

L'amendement COM-68 est adopté.

Article 10

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-69 contraint le pouvoir réglementaire à ordonner la mise à l'arrêt définitif d'une installation nucléaire de base ayant cessé de fonctionner pendant une durée continue supérieure à deux ans, dès lors que la puissance publique constate une absence de volonté et l'incapacité de l'exploitant de remettre son installation en service dans des délais raisonnables.

L'amendement COM-69 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Projet de loi relatif aux Jeux Olympiques et Paralympiques - Communication

M. Jean-François Longeot, président. - Un projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques, complétant la loi de 2018 sur le même sujet, a été déposé, à la fin du mois de décembre, sur le bureau du Sénat, et renvoyé au fond à la commission des lois, avec plusieurs délégations au fond accordées par celle-ci à la commission des affaires sociales, d'une part, et à la commission de la culture, d'autre part. Le texte sera examiné en commission la semaine prochaine, puis en séance publique les 24, 25 et éventuellement le 26 janvier.

En mars 2018, notre commission s'était saisie pour avis du texte sur les JO, et avait reçu une délégation au fond de quatre articles du texte, qui portaient notamment sur la création du Charles de Gaulle Express.

La question s'est donc posée de déterminer si notre commission se saisirait à nouveau pour avis sur le texte qui vient d'être déposé.

Sur le fond, trois articles concernent le secteur des transports, mais aucun chapitre n'est spécifiquement consacré aux questions relevant des compétences exclusives de notre commission, à la différence de la loi de 2018. Les articles 7 et 8 portent plus précisément sur les questions d'accès aux données des images des systèmes de vidéoprotection transmises depuis les véhicules et emprises immobilières des transports publics de voyageurs. L'article 18 permet, de manière temporaire et expérimentale, au préfet de police de Paris de délivrer des autorisations de stationnement à des taxis afin de faciliter l'accessibilité des transports des personnes à mobilité réduite. En marge du secteur des transports, l'article 14 étend aux véhicules terrestres les dérogations aux règles d'encadrement de la publicité prévues par la loi de 2018.

Après analyse, il apparaît que la majorité des dispositions que je viens d'évoquer relèvent, du moins à titre principal, de la commission des lois, en ce qu'elles portent plus précisément sur des questions d'accès à des images de surveillance. S'agissant de l'article 18 qui vise à améliorer l'accessibilité des personnes à mobilité réduite, il a pour objet d'étendre le champ de compétences du préfet de Paris, qui relève à titre principal de la commission des lois, qui ne se dessaisirait vraisemblablement pas du dispositif.

Enfin, l'article 14 fait l'objet d'une délégation au fond à la commission de la culture. Or, il n'est pas d'usage de se saisir pour avis d'un article délégué au fond. De plus, la commission n'avait pas demandé de délégation au fond des articles 4 et 5 du projet de loi de 2018, qui portaient déjà sur les dispositions modifiées par l'article 14.

Dans ces conditions, et plutôt que de se saisir pour avis, nous pourrions suivre l'examen du projet de loi en confiant cette mission à un ou plusieurs commissaires, en portant une attention particulière aux trois articles relatifs aux transports, à l'article 14 ainsi qu'aux mesures susceptibles d'être introduites par voie d'amendement au cours de la navette parlementaire et de relever du champ de compétence de la commission.

Je suis bien entendu à votre écoute pour échanger sur cette proposition.

M. Philippe Tabarot. - Je comprends vos arguments pour que notre commission ne se saisisse pas de ce texte, cependant je veux attirer votre attention sur les liens entre sécurité et développement des transports en commun. Si certains de nos concitoyens hésitent à utiliser les transports en commun, c'est aussi parce qu'ils les perçoivent comme dangereux, c'est parce que des incivilités y sont déplorées, c'est donc pour des motifs d'insécurité. Le développement des transports en commun est bien entendu lié à l'offre, au réseau, à la fréquence des trains et des bus, mais il l'est aussi à la sécurité dans les transports. Notre commission ne se saisissant pas de ce texte, elle ne présentera donc pas d'amendements à son nom - mais j'invite chacun d'entre vous à cosigner et à voter les miens, qui visent précisément à renforcer la sécurité dans les transports en commun, levier de leur développement.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous le ferons très probablement.

La réunion est close à 18 h 45.

Mercredi 11 janvier 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 8 h 00.

Projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes - Audition de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Madame la ministre, mes chers collègues de la commission des affaires économiques et de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, permettez-moi au préalable de vous adresser tous mes voeux pour cette nouvelle année.

Je remercie Mme la ministre chargée de la transition énergétique de nous présenter aujourd'hui le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, dont l'examen a été confié à notre rapporteur Daniel Gremillet, président du groupe d'études « Énergie ».

Je remercie vivement de leur présence nos collègues Jean-François Longeot, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, avec laquelle nous conduisons conjointement cette audition, et Pascal Martin, rapporteur pour avis, qui devront toutefois quitter l'audition à 9 heures, en raison de leur propre ordre du jour.

Nous terminerons l'audition de Mme la ministre vers 9 heures 45 ; les questions seront limitées à une minute par orateur.

Madame la ministre, les dispositions du texte que le Sénat s'apprête à examiner visent avant tout la simplification normative. Or les enjeux sont bien plus nombreux, puisque la relance du nucléaire concerne la planification, le financement, la formation, la recherche, la sûreté, la sécurité, ou encore le cycle du combustible. C'est l'un des enseignements de notre table ronde sur la relance du nucléaire, tenue en décembre dernier.

Dans ces conditions, à quelle date le Gouvernement prévoit-il de lancer la construction de nouveaux réacteurs ? De plus, pourquoi le Gouvernement n'abroge-t-il pas les dispositions règlementaires, désormais obsolètes, de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui prévoit toujours la fermeture de douze réacteurs, hors ceux de Fessenheim ?

Il existe dans l'Union européenne des financements par fonds propres, par emprunt, par prix régulé ou encore par participations de consommateurs électro-intensifs : quel modèle de financement a la préférence du Gouvernement ?

Par ailleurs, la filière a conduit un effort de redressement, au travers du plan Excell d'EDF ou du plan Boost d'Orano : la formation ne devrait-elle pas être davantage soutenue par l'État ?

La relance du nucléaire n'impose-t-elle pas de revaloriser les moyens de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ?

Par ailleurs, quand l'État décidera-t-il de pérenniser les installations de retraitement-recyclage, qui arriveront à leur cinquantième année de fonctionnement au cours de la décennie 2040 ? Pourquoi ne pas avoir évalué l'impact de la construction de quatorze EPR2 - European Pressurized Reactors 2 -, et non de six, sur les installations de stockage gérées par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ?

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je suis heureux que nous puissions nous retrouver pour cette audition conjointe sur un sujet cher à nombre de sénateurs.

Depuis le début de l'année, nos deux commissions ont été mobilisées - chacune dans leur domaine de compétences - par l'importante séquence parlementaire consacrée à notre politique énergétique, qui a débuté avec l'examen projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, et se poursuit avec ce texte, sur lequel reviendront les rapporteurs dans leur présentation.

L'annonce de la relance de la filière nucléaire par le Président de la République rompt avec près d'une décennie d'atermoiements. L'actuel projet de loi suscite certaines frustrations. Madame la ministre, pourriez-vous préciser le calendrier prévisionnel du Gouvernement pour l'examen du projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) ? Pouvez-vous rappeler le montant des investissements prévus par le plan France Relance et le plan France 2030 pour soutenir les filières industrielles qui participeront à la construction des nouveaux réacteurs ? Enfin, quels sont précisément vos objectifs en matière de gestion des compétences et des emplois pour la filière industrielle ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous présente mes meilleurs voeux pour cette année 2023, qui s'ouvre de la meilleure des manières avec l'examen de ce texte important.

Ce projet de loi vise à accélérer les procédures administratives de construction de nouveaux réacteurs électronucléaires en France afin de raccourcir les délais de réalisation de ces projets et à baisser leur coût, en réduisant la capitalisation d'intérêt et la prime de risque. Pour rappel, les charges de capital peuvent représenter, pour un projet de nouveau nucléaire, plus de 50 % du coût complet de l'électricité.

Le projet de loi s'inscrit dans le contexte de l'urgence de la crise climatique, qui menace nos écosystèmes, nos sociétés et l'avenir de nos enfants. Cette crise doit nous conduire à réduire drastiquement et durablement nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.

Il s'inscrit également dans le contexte de la crise énergétique que connaissent notre pays et notre continent depuis l'année dernière. La guerre en Ukraine remet profondément en cause notre approvisionnement et fragilise notre économie. Ces deux crises ont la même cause : notre dépendance aux énergies fossiles, qu'il s'agisse du gaz, du charbon ou du pétrole.

C'est la raison pour laquelle l'ambition du Président de la République et de la Première ministre est de faire de la France le premier grand pays industriel à sortir de cette dépendance aux énergies fossiles. C'est impératif pour le climat, pour le pouvoir d'achat des Français, pour la capacité d'investissement de nos collectivités territoriales, pour la compétitivité de nos entreprises et pour notre indépendance énergétique, liée à l'indépendance politique.

Notre stratégie pour sortir des énergies fossiles repose, vous le savez bien, sur quatre piliers : la sobriété et l'efficacité énergétiques - la consommation a réduit de 8,5 % depuis le lancement du plan « Sobriété » en octobre 2022 -, l'augmentation drastique de notre production d'énergie décarbonée, les énergies renouvelables et la relance d'un programme nucléaire. Le Gouvernement recommande la construction d'EPR2 et la prolongation des réacteurs en exercice. D'ailleurs, nombre de nos partenaires européens - la République tchèque, la Finlande, les Pays-Bas, la Roumanie, ou encore la Suède - ont manifesté leur souhait de se doter de nouvelles capacités de production nucléaire ou de prolonger l'utilisation de leurs capacités nucléaires existantes, tout en misant sur les énergies renouvelables.

Le projet de loi introduit un cadre d'accélération du processus d'autorisations administratives pour les futurs projets nucléaires, mais ne vise pas à décider de la place de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français, ni des détails d'un programme de nouveau nucléaire. Ce n'est pas un texte de programmation énergétique. Ces aspects seront traités d'abord lors de la grande concertation qui sera conclue, du 19 au 22 janvier 2023, par un forum des jeunesses réunissant 200 jeunes de 18 à 35 ans, et dont la Commission nationale du débat public (CNDP) restituera les travaux. Ensuite, ils feront l'objet d'une étude en vue d'un projet de loi qui sera présenté, je l'espère, au Parlement au mois de juin prochain.

Cette programmation pluriannuelle de l'énergie abordera la question de notre mix énergétique et le dimensionnement du programme nucléaire - le Président de la République a annoncé la création de quatorze EPR2, ce qui correspond aux capacités indiquées par la filière d'ici 2050. Nous avons lancé la construction de six premiers EPR2 et lancé une étude pour l'installation de huit autres.

L'accélération et la sécurisation juridique permises par ce texte tendront également à ne pas compliquer les procédures administratives pour garantir la construction des réacteurs nucléaires à horizon 2035-2037. Le texte permettra également de réduire le coût complet de l'électricité et de sécuriser juridiquement ces processus.

Notre stratégie énergétique et climatique ne repose pas sur la perte de compétitivité de notre économie ni sur la décroissance. De plus, le coût de l'énergie nucléaire produite par ce nouveau programme doit être compétitif. Aujourd'hui, le coût de sortie des énergies renouvelables est compris entre 40 et 60 euros, par exemple, pour le photovoltaïque et les éoliennes marines. Il faudrait tendre vers ce niveau de prix pour le nucléaire. Sur la partie existante, et donc déjà amortie, du nucléaire, la Cour des comptes a estimé qu'un prix de 49 euros n'était pas déraisonnable.

Le texte ne modifie ni le processus d'autorisation environnementale ni le processus d'autorisation de création, qui traitent des enjeux de sûreté nucléaire. Ces deux autorisations restent en place, de la même manière que les deux enquêtes publiques préalables.

Le texte ne modifie pas non plus le processus de débat public, qui se fait sous l'égide de la CNDP avant tout projet. Il n'interfère donc pas sur le déroulement du débat relatif à la construction d'une première paire de réacteurs EPR2 à Penly, qui a été lancé le 27 octobre 2022 et qui s'achèvera le 27 février 2023.

Enfin, ce cadre d'accélération ne s'applique que pour les projets de construction de réacteurs nucléaires qui produisent de l'électricité, qui sont localisés à proximité du périmètre de sites nucléaires existants, et dont la demande d'autorisation de création est déposée dans les quinze ans qui suivent la promulgation du présent projet de loi. Cela permet d'éviter la création de nouveaux sites nucléaires isolés sur le territoire et d'être compatible avec la relance de notre politique électronucléaire, sans verrouiller les orientations en matière de technologie de réacteur.

Le nucléaire demande du temps et de l'anticipation : la durée de quinze ans semble correcte pour mettre en oeuvre l'ambition, fixée par le Président de la République, de construire six réacteurs et de lancer les études pour les huit autres. Ainsi, le texte ne tend pas à cranter la technologie des réacteurs, bien que le Gouvernement souhaite recourir à la technologie EPR2, qui est actuellement disponible.

Une fois ces précisions apportées, je tiens à vous exposer le contenu du projet de loi.

Tout d'abord, ce texte rend possible la mise en compatibilité des documents locaux d'urbanisme, car les procédures actuelles sont incompatibles avec la complexité d'un projet de réacteur électronucléaire, et leur nécessaire mise à jour conduirait à augmenter de plusieurs années la durée de construction. Il vise également à réduire le risque juridique des projets.

Ce projet de loi a ensuite pour objet de garantir le contrôle de la conformité au respect des règles d'urbanisme, tout en dispensant de permis de construire les installations et les travaux portant sur la création d'un réacteur électronucléaire et des équipements et installations nécessaires à son exploitation. Cela permet de limiter les contentieux sur la forme, tout en laissant possible celui sur le fond.

À compter de l'obtention de la première autorisation environnementale, le texte garantit également l'instruction de l'autorisation de création et, en parallèle, les activités relatives aux constructions, aménagements, installations et travaux préalables liés aux projets de réacteurs nucléaires. Ces activités recouvrent, par exemple, les travaux de terrassement ou de construction des bureaux, clôtures et parkings nécessaires au chantier. Les activités liées à la spécificité du nucléaire - la construction de bâtiments destinés à recevoir des combustibles nucléaires, par exemple - ne débuteront que si elles ont obtenu l'autorisation de création.

Sans rentrer dans le détail de toutes les dispositions de ce projet de loi très technique, j'indique que certaines d'entre elles tendent à modifier la loi Littoral, à l'instar des mesures propres au projet de construction de la première paire d'EPR2 à Penly et de la deuxième paire à Gravelines.

Le texte contient également des mesures d'expropriation pour les projets de réacteurs électronucléaires reconnus d'utilité publique, à l'instar des dispositions prises pour les Jeux Olympiques de Paris 2024.

Ce texte rassemble, dans différents articles, la gestion des autorisations nécessaires à la réalisation du projet dans les mains du Gouvernement afin d'en renforcer le pilotage. L'octroi de ces autorisations par décret sécurise juridiquement le projet ; les contentieux sont gérés directement par le Conseil d'État en premier et en dernier ressort.

De manière plus subsidiaire, ce texte vise à sécuriser certaines procédures administratives relatives à la prolongation des réacteurs nucléaires existants, et clarifie la procédure de réexamen périodique des réacteurs électronucléaires, qui a lieu tous les dix ans.

Nos réacteurs nucléaires ont été construits pour quarante ans, nous avons décidé de les prolonger jusqu'à cinquante ans. Si nous souhaitons les prolonger de nouveau - l'échéance arrivera en 2035 -, ils devront passer une visite exigeante, pour garantir toute la sécurité. Sur le décret de l'actuelle PPE, vous aurez l'occasion de l'ajuster dans quelques mois. Il n'y a pas de difficulté sur le chemin critique de ces décisions.

Enfin, le texte vise à ratifier l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire et à corriger certaines incohérences sur la caractérisation d'un arrêt définitif de réacteur, au regard du retour d'expérience de certains arrêts longs résultants de difficultés techniques, comme à Flamanville.

Sur la date de lancement de nouveaux réacteurs, la décision appartient au Parlement, qui se prononcera lors de l'examen du projet de la loi sur l'énergie et le climat à l'été prochain, mais le Gouvernement a déjà anticipé la modernisation des procédures administratives d'installation de réacteurs nucléaires. Le programme des fermetures prévues par la PPE sera également revu à cette occasion. Je serai très claire : le Gouvernement se donne les moyens de prolonger les réacteurs nucléaires le plus longtemps possible.

Sur la question du mode de financement, nous n'avons pas encore arbitré celui que nous choisirons. L'enjeu sera celui de la régulation, dans le cadre du fonctionnement du marché de l'électricité européen.

Au sujet de la formation, le Gouvernement accompagne l'effort de la filière nucléaire qui a signé, en 2019, un contrat stratégique qui était doté d'un volet formation important, par ailleurs accompagné par les plans France Relance et France 2030. D'ailleurs, le Gouvernement a validé un projet de 40 millions d'euros de soutien aux formations nucléaires, afin de venir en appui aux projets menés à Penly et Gravelines.

Par ailleurs, les décisions relatives à la pérennisation des installations de recyclage seront abordées lors du prochain comité de politique nucléaire, qui se tiendra au début du mois de février prochain.

Enfin, le plan France Relance consacre 470 millions d'euros à la mise à niveau de la filière nucléaire, notamment sur la digitalisation des entreprises de la sous-traitance, et le plan France 2030 attribue 2 milliards d'euros à l'innovation, à la recherche et au développement (R&D) et à la réindustrialisation, pour des projets relatifs aux Small Modular Reactors (SMR) et aux enjeux du combustible.

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je salue la présence du rapporteur pour avis Pascal Martin avec qui je conduis actuellement mes travaux préalables.

Les auditions que j'ai menées ont permis d'entendre cents personnalités à l'occasion de cinquante auditions. Je retiens de ces échanges un large consensus sur l'objet du texte, qui permettrait des gains de temps substantiels, mais aussi des critiques sur la méthode utilisée par le Gouvernement, qui légifère dans le désordre. Il aurait en effet fallu soumettre à l'examen parlementaire la loi de programmation de l'énergie, puis celle sur le nucléaire, et enfin celle sur le renouvelable. Dans cet ordre. De plus, le Gouvernement légifère sans cesse : nous en sommes au troisième texte énergétique depuis juillet, avec les lois sur le pouvoir d'achat, le renouvelable et le nucléaire. Le Gouvernement légifère dans la précipitation, omettant la tenue d'un débat public en cours. Enfin, il légifère sur la simplification, sans répondre aux autres enjeux soulevés par la Présidente.

Face à ces difficultés, je souhaiterais votre éclairage sur plusieurs points.

En ce qui concerne l'article 1er, le champ de la relance du nucléaire ne pourrait-il pas être étendu ? Les professionnels nous ont indiqué que le délai de quinze ans était un peu juste pour réaliser le programme complet de quatorze EPR2. Par ailleurs, ne pourrait-on pas prévoir une plus grande neutralité technologique du texte, qui semble focalisé sur les EPR2, au détriment des SMR, des électrolyseurs d'hydrogène ou des réacteurs de quatrième génération ?

S'agissant des articles 2 et 3, entendez-vous consolider une forme de pilotage interne spécifique aux procédures d'urbanisme, pour mieux coordonner l'ensemble ? Prévoyez-vous d'augmenter les moyens ou les effectifs des administrations concernées, afin de garantir que les délais d'instruction ne soient pas un frein à la relance du nucléaire ?

Sur l'article 4, pourrions-nous préciser la définition actuelle des travaux - selon qu'ils puissent être anticipés ou non -, en permettant à l'ASN de donner un avis, pour prévenir tout risque relatif à la sûreté ? Par ailleurs, ne devrions-nous pas compléter les garanties prévues pour l'étude d'impact et pour l'enquête publique, qui sont lacunaires ?

Les articles 5 et 6, visant à faciliter la construction de réacteurs sur la façade maritime, dérogent à la loi « Littoral ». Si je comprends bien tout l'intérêt pour l'exploitant et les collectivités territoriales concernées de bénéficier de ces facilitateurs, pensez-vous que ce projet de loi s'attaque suffisamment à la question des risques littoraux et de la vulnérabilité face aux aléas climatiques ? Est-ce qu'il n'y aurait pas des marges de manoeuvre supplémentaires sur ce point, afin d'accélérer la production d'électricité nucléaire, tout en tirant les conséquences du changement d'époque dans lequel nous nous trouvons ?

La nécessité de libérer du foncier, prévue par la procédure d'expropriation d'extrême urgence de l'article 7, est légitime. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue les garanties, constitutionnelles, du droit de propriété. Pourquoi ne pas avoir repris les mêmes mesures que celles qui sont prévues pour le projet de l'International Thermonuclear Experimental Reactor (Iter), en matière de relogement des occupants ou d'indemnisation des commerçants ? De plus, ne pourrions-nous pas préférer une expropriation simple, à une expropriation d'extrême urgence ; pour les installations liées à l'exploitation et aux ouvrages de raccordement ?

En ce qui concerne l'article 9, relatif aux modalités de réalisation du réexamen décennal, ne devrions-nous pas maintenir le principe d'un rapport intermédiaire, quitte à ajuster son objet, de manière à prévoir un point d'étape entre l'exploitant et l'ASN ? Par ailleurs, ne faudrait-il pas clarifier les conditions dans lesquelles une modification peut être soumise à déclaration ou à autorisation, selon qu'elle soit notable ou substantielle ? Enfin, l'essentiel n'est-il pas oublié, à savoir la résilience des réacteurs au changement climatique dans la démonstration de sûreté ?

En ce qui concerne l'article 10, relatif à la mise à l'arrêt définitif des réacteurs, les délais prévus n'appellent-ils pas à être clarifiés, pour faire prévaloir le délai fixé par la puissance publique dans le décret, à celui qui est proposé par l'exploitant dans la déclaration ?

Enfin, à propos de l'article 11, quel est votre avis sur le souhait de l'ASN de déléguer davantage de pouvoirs de sanctions à sa commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Le projet de loi qui nous est soumis permettra d'accélérer les procédures d'urbanisme et d'environnement nécessaires à la construction de nouveaux réacteurs EPR2 - le gain serait évalué à plusieurs mois, si l'on prend en compte les mesures réduisant les contentieux potentiels. Quels seront les délais d'instruction des autorisations de création, sous l'égide de l'ASN, et quels seront vos objectifs précis de mise en service de vos premières paires d'EPR2 ?

Par ailleurs, les moyens humains de l'ASN vous semblent-ils adaptés au nombre des demandes d'instruction qui va augmenter sous l'effet des nouveaux projets EPR2 ?

Enfin, la notion de « proximité immédiate », inscrite à l'article 1er du texte, pourrait être précisée, à partir du périmètre actuel des plans particuliers d'intervention (PPI). La définition retenue dans le projet de loi paraît trop imprécise et serait source de contentieux. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous comptez inscrire dans le décret en Conseil d'État, prévu à l'article 8 du texte, et qui a pour objet de définir plus précisément cette notion ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le rapporteur Gremillet, le texte ne se focalise pas sur les EPR2 - il ne cite aucune technologie particulière -, mais concerne l'ensemble des réacteurs qui produisent de l'électricité.

Sur la question de la méthode, le Gouvernement souhaite respecter la chronologie des débats publics lancés par la CNDP, relatifs au mix énergétique et à la construction d'un nouveau programme de réacteurs. Nous anticipons le vote du Parlement sur leur construction en mettant à jour l'ensemble des procédures administratives afin de tenir les délais de construction. Gouverner, c'est prévoir ! La durée de quinze ans renvoie au délai pour déposer les autorisations et non pour construire les réacteurs.

La distinction des travaux entre ceux qui relèvent du coeur du réacteur et les autres - parkings, bureaux, etc. - pourrait être clarifiée, mais l'avis de l'ASN serait une charge supplémentaire inutile, car elle a d'autres missions que de se préoccuper de parkings... Cela retarderait et complexifierait le projet.

Les risques littoraux sont bien pris en compte dans le plan d'adaptation au changement climatique d'EDF. À très court terme, c'est la mise à niveau des réseaux de transport qui doit retenir notre attention, car les variations de température et les aléas climatiques peuvent avoir des effets importants sur les postes sources. De gros travaux ont déjà été réalisés sur les installations nucléaires, à la suite de la catastrophe de Fukushima.

J'entends votre question sur l'expropriation, et nous y apporterons une réponse.

Sur la question du rapport intermédiaire de l'article 10, il me semble que dans cinq ans, nous aurons encore trop peu de recul. Je le redis, en matière de nucléaire, c'est l'échelle du temps long qui compte. De plus, les dossiers de création tiennent bien compte, dans l'analyse de la sûreté, du sujet du changement climatique.

Sur la suggestion de l'ASN à l'article 11, la question des sanctions me semble opportune. En matière d'emplois, en 2023, il y aura six équivalents temps plein (ETP) de plus, monsieur le rapporteur Martin. Pour rappel, nous instituons une délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire. Cette dernière sera dotée de quinze collaborateurs, et s'assurera de la bonne coordination entre l'ensemble des acteurs, pour tenir les délais du programme de construction. L'enjeu est de réduire les risques administratifs pour limiter les risques pesant sur le processus industriel.

Les objectifs précis et datés de mise en service et les durées d'instruction sont de cinq ans. L'objectif, très ambitieux, est que la première coulée de béton ait lieu à la fin du quinquennat. La réalité, c'est que cela risque d'être plutôt pour la fin de l'année 2027 que pour le début. La première mise en service serait pour 2035-2037, la première date étant sans marge et supposant donc une exécution parfaite du projet.

Nous souhaitons que la notion de « proximité immédiate » soit assez large afin de ne pas devoir légiférer sur chaque cas particulier... Le décret en Conseil d'État vise à préciser le critère d'éloignement, car il est plus facile à modifier. En séance, je pourrais m'engager à retenir vos orientations pour encadrer cet élément, tout en ayant une flexibilité plus importante.

M. Daniel Salmon. - La construction de l'EPR est une longue descente aux enfers de la filière nucléaire française, mais EDF nous dit que tout va changer et que nous irons très vite... Madame la ministre, comment pouvons-nous croire ce calendrier et ces coûts qui seraient divisés par deux ? Par ailleurs, qui va payer ces nouveaux réacteurs, sachant qu'EDF est terriblement endettée ?

M. Bruno Belin. - Je serai bref et j'irai à rebours de l'intervention du rapporteur Gremillet : le délai n'est-il pas trop long, au regard de notre degré de dépendance énergétique ?

M. Jean-Pierre Moga. - Ce projet de loi facilitera la construction de nouveaux réacteurs, néanmoins, EDF connaît toujours des problèmes de ressources humaines, qui pourraient ralentir cet effort. Que comptez-vous faire pour dégager les moyens financiers nécessaires à la formation rapide des milliers de techniciens et d'ingénieurs qui lui sont indispensables, alors que de nombreux métiers de la filière sont en tension ?

M. Stéphane Demilly. - Le 5 décembre dernier, des scientifiques californiens ont atteint l'ignition, le seuil à compter duquel la fusion nucléaire crée plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Est-il prématuré d'envisager cette solution ? Son développement ne risque-t-il pas de se télescoper avec le calendrier d'implantation des centrales classiques ?

M. Franck Montaugé. - Concernant la PPE, l'hypothèse la plus favorable au nucléaire avancée par Réseau de transport d''électricité (RTE) prévoit une puissance installée de 51 gigawatts (GW), dont 24 GW issus du parc nucléaire historique. Or vous avez indiqué vouloir fermer douze réacteurs.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Non, monsieur Montaugé, je n'ai pas dit cela.

M. Franck Montaugé. - Nous nous dirigeons donc, dans cette hypothèse, vers une diminution de 10 % de la puissance installée. Quelle est votre position à ce sujet ?

Qu'en est-il des négociations avec nos partenaires européens sur la structure des marchés européens de l'énergie et de l'électricité ? Quelles sont vos hypothèses en matière de tarification pour sortir de la situation dans laquelle nous nous trouvons ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Vous me demandez comment diviser le coût des nouvelles centrales par deux. Nous proposons avant tout de tenir les coûts, en évitant les dérapages dans le temps et en profitant des effets de standardisation qui opèrent dans toute l'industrie.

Je vous rappelle, en outre, qu'il s'agit d'investissements. Les réacteurs que nous allons construire ont vocation à produire de l'électricité de manière suffisamment compétitive pour rapporter de l'argent et couvrir leurs coûts. L'enjeu de ce sujet concerne avant tout la structuration du financement. Si nous proposons des contrats à 100 euros le mégawattheure (MWh), les entreprises s'en saisiront car cet investissement répond à une demande d'électricité.

La question de la régulation introduit toutefois un élément de complexité : selon la vision de la Commission européenne, les infrastructures doivent être accessibles à des concurrents et nous ne pouvons donc pas disposer d'une seule entité assurant à la fois la production et la distribution. Ce point pose question. Nous pouvons entendre la nécessité de la concurrence, mais nous sommes attachés à confier à EDF les moyens de bénéficier de la meilleure performance industrielle, et donc de la meilleure capacité à piloter les différents moyens de production, sans être contraint de les mettre à disposition de concurrents.

Le délai de quinze ans est le maximum prévu dans la loi au dépôt du dossier. Si nous pouvons faire mieux, nous ferons mieux ! Reste que, selon EDF, la durée individuelle de construction d'un réacteur est bien celle-ci. S'il est possible de la compresser, nous accompagnerons bien sûr le mouvement. Pour autant, attention à ne pas commencer la mise en oeuvre avant d'avoir terminé le design. C'est là un des péchés originels de Flamanville, et cela induit des risques de dérive et de hiatus qui peuvent provoquer des dérapages. Il convient donc de ne pas confondre vitesse et précipitation. Les nouvelles technologies permettront-elles d'accélérer le processus ? C'est une question qu'il faut poser à la filière elle-même et qui relèvera de la compétence du délégué interministériel au nouveau nucléaire, M. Joël Barre.

Pour ce qui concerne les ressources humaines, depuis 2020, 200 millions d'euros ont été consacrés à la formation dans toute la filière. Le programme nucléaire recouvre 10 % des capacités de formation d'ingénieurs, alors même que la demande de compétences de ce niveau concerne tous les secteurs. Notre ambition est donc forte, avec deux enjeux : disposer de l'appareil de formation et attirer les talents. Nous constatons d'ailleurs une surdemande dans les sections d'ingénieurs, mais ce n'est pas encore le cas s'agissant des techniciens et des opérateurs. Nous y travaillons : c'est un des axes du contrat stratégique de filière de 2019.

Vous évoquez la fusion ; c'est en effet une très bonne nouvelle, mais il s'agit d'un résultat obtenu en laboratoire. Le passage à l'industrie peut prendre de très nombreuses années, comme le démontre le projet de l'Iter (réacteur thermonucléaire expérimental international) qui devrait aboutir à une application industrielle à la fin du XXIe siècle.

Monsieur le sénateur Montaugé, vous m'interrogez sur une baisse de la puissance installée. Les réacteurs actuels ont été prévus pour fonctionner durant quarante ans ; certains réacteurs ont maintenant atteint cinquante ans, et ils ont tous passé cette étape avec succès. C'est une bonne nouvelle. Lorsqu'ils atteindront soixante ans, l'ASN décidera de manière entièrement indépendante s'ils peuvent continuer à fonctionner. Notre travail consiste à préparer son inspection de manière à ce que celle-ci se déroule dans les meilleures conditions. Nous devons donc préserver le capital installé, assurer de bonnes conditions de maintenance et éviter les dérives en termes d'usure sur les pièces essentielles. Le problème de « corrosion sous contrainte » des tuyaux est ennuyeux, mais il se règle par un remplacement de la pièce concernée ; en revanche, si un problème touchait une cuve nucléaire, c'est toute l'installation qui serait en cause. Notre objectif est donc que les pièces critiques, non remplaçables, passent le cap des soixante ans. Pour autant, cela ne relève pas de la décision politique. La volonté politique est de faire durer le plus possible le parc installé, dans les limites des exigences de la physique.

M. Franck Montaugé. - Il y a bien de la place pour la politique : on fait le choix ou on ne le fait pas !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous ferons le maximum pour que nos centrales nucléaires soient prolongées, mais si une fissure devait être détectée sur une cuve, la physique s'imposerait à la politique ! Mécaniquement, le fait que l'on n'ait pas lancé de nouvelle construction en 2000 emporte une diminution proportionnelle du poids du nucléaire dans notre mix énergétique, c'est mathématique.

M. Franck Montaugé. - On aurait aussi pu le faire en 2017 !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Cela n'aurait rien changé ou assez peu.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Quels sont les gains attendus avec ce projet de loi ? Ce délai de quinze ans est soumis à interrogation, il nous semble qu'il doit être objectivé. En 2023, avec la PPE et la stratégie française pour l'énergie et le climat, nous y verrons plus clair.

M. Éric Gold. - Beaucoup de centrales nucléaires sont exploitées à proximité des fleuves, ce qui permet de garantir leur refroidissement. Or les sécheresses successives de ces dernières années ont impacté les débits de nos fleuves et les températures de l'eau ayant servi au refroidissement menacent la biodiversité en aval. Comment envisagez-vous de résoudre ces problèmes ? Comment refroidir les centrales quand l'eau vient à manquer, sans menacer les autres usages ?

Mme Martine Filleul. - Je salue la décision de maintenir en fonction la centrale de Gravelines et de lui ajouter deux nouveaux réacteurs, mais je m'interroge sur les déchets radioactifs qui constituent la question majeure qui se pose aux yeux des citoyens. Comptez-vous disséminer les sites destinés à leur gestion, comme les sites de production, ou les rassembler dans un site de stockage ? Ce texte est, certes, technique, mais il débouche aussi sur ce type de questions importantes relatives à la sécurité.

Mme Angèle Préville. - Une centrale a besoin d'eau ; qu'en est-il des sécheresses, alors qu'en Occitanie, par exemple, la pluviométrie a déjà baissé de 20 % ? Il s'agit d'un élément important, car cela pourrait mettre une centrale à l'arrêt, si l'eau venait à manquer ou si sa température était trop élevée, comme c'est le cas de la Garonne chaque été. Concernant la gestion des déchets, nous arrivons à saturation des sites de surface et le stockage à Bure n'a pas commencé. Comment peut-on envisager un tel programme alors que ces deux problématiques émergentes s'imposent ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Ces nouveaux réacteurs seront donc installés sur des sites existants. Ont-ils vocation à se substituer aux installations déjà présentes, ou à s'y ajouter ? Dans cette seconde hypothèse, faudra-t-il déployer de nouvelles lignes électriques ?

En outre, ces projets fonctionneront au mieux à partir de 2035 pour une soixantaine d'années. Comment prenez-vous en compte leur sûreté et leur sécurité dans le contexte des évènements extrêmes à venir, issus du changement climatique, dont nous n'avons pas encore fait l'expérience ?

M. Étienne Blanc. - Des technologies nouvelles sont développées actuellement, notamment chez Newcleo, qui utilise le plomb liquide pour le refroidissement. Cela règle, en grande partie, le problème de la production de déchets.

Qu'avez-vous prévu dans ce projet de loi pour accompagner une filière privée qui semble avancer bien plus rapidement qu'EDF sur les technologies nouvelles ?

M. Jean-Claude Anglars. - Le Sénat est favorable à une stratégie énergétique d'anticipation qui donne un cap au pays pour son indépendance énergétique et la sécurisation de sa production. Le 12 janvier 2021, le Sénat débattait du risque de blackout par manque de stratégie. Nous appelons depuis des mois à une politique énergétique sans atermoiement.

Madame la ministre, pourquoi proposez-vous une approche en silo ? Nous l'avions déjà regretté lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dans lequel l'hydroélectricité n'était pas traitée. Légiférer par secteur empêche la planification. À quoi ce projet de loi sert-il ? Quand discuterons-nous d'un projet stratégique et débattrons-nous des orientations du Gouvernement ?

Il ne faudrait pas que l'hydroélectricité connaisse le sort du nucléaire, après avoir été abandonnée par idéologie. La situation juridique de l'hydroélectricité empêche depuis trop longtemps d'investir massivement dans des solutions innovantes.

Les barrages représentent un gisement essentiel pour le mix énergétique, notamment en Aveyron. Que prévoit le Gouvernement sur la mise en concession des barrages EDF ? L'entreprise doit pouvoir enfin investir dans les technologies de stockage.

M. Ronan Dantec. - Madame la ministre, vous avez dit que des entreprises seraient intéressées par des contrats de long terme à 100 euros le mégawattheure (MWh). Or vers 2037-2040, en Europe, les pays du Nord seront exportateurs d'électricité éolienne à 60 euros le MWh et les pays du Sud de photovoltaïque entre 30 et 40 euros le MWh. Sur quel rapport de l'État vous appuyez-vous pour considérer qu'il y aura des acheteurs à 100 euros le MWh en 2040 ? Pouvez-vous nous le transmettre ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Je trouve aussi qu'un délai de construction de quinze ans est trop long, mais c'est ce qui ressort des deux audits externes demandés par le Gouvernement en 2019 et 2022. En matière d'énergie, la réalité s'impose à chacun. Comment réduire ce délai ? C'est l'enjeu de ce projet de loi qui porte sur la dimension administrative.

La question de la formation est essentielle. Depuis 2019, nous menons des actions en ce sens et accompagnons les sous-traitants pour les faire monter en compétence.

La question de l'eau est évidemment prise en compte dans les dossiers d'autorisation de construction. Ainsi, les deux premières paires de réacteurs sont construites en bordure de littoral. L'enjeu de l'eau sera déterminant dans le choix de l'implantation de nouveaux réacteurs et conduira EDF à proposer tel site plutôt que tel autre.

Actuellement, on observe une évolution sensible de la population qui soutient le nucléaire, mais s'interroge sur le traitement des déchets. C'est le principal point sensible, davantage que la sécurité. Les déchets de faible et très faible activité représentent 91 % du volume, pour moins de 0,05 % de la radioactivité totale. Les déchets les plus dangereux représentent 3 % du volume pour plus de 99 % de la radioactivité totale. La réponse est adaptée au type de déchets. Le cinquième plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGDMR) a été publié en décembre 2022. Il couvre la période 2022-2026.

Nous travaillons, avec le projet Cigéo, sur un site présentant des caractéristiques géologiques n'ayant pas évolué depuis plus de 300 000 ans, et qui est donc apte à stocker des déchets dont la radioactivité est importante, à 300 mètres de profondeur, avec un niveau de sécurité maximal. Une solution se dessine donc pour les déchets les plus radioactifs. Nous menons également un travail sur le cycle du combustible afin d'encourager le recyclage du maximum de déchets. Nous soutenons Orano pour que ces capacités soient davantage développées.

Il faudra adapter le réseau de transport, au regard du changement climatique et des nouvelles installations. Si nous allons vers une diminution de notre consommation totale d'énergie, mais une augmentation importante de notre consommation d'électricité, les réseaux de transport et de distribution devront être adaptés. En outre, la diversité de petites unités de production implantées sur le territoire change la logique de ces réseaux.

Vous m'avez interrogée sur le plomb, le sodium, les sels fondus. Rassurez-vous : via France 2030, nous sommes ouverts à toutes les technologies, y compris de rupture. Newcleo a été invité à participer à cet appel à projets. Cette ligne budgétaire est dotée de 1,2 milliard d'euros pour des projets dont la maturité est modeste, mais qui présentent un intérêt.

J'ai clairement dit à Joël Barre et à Luc Rémont qu'il fallait être très attentif aux évolutions technologiques pour être prêt à s'en saisir.

Le projet de loi sur les énergies renouvelables comporte bien des mesures relatives à l'hydroélectricité. Nous débattrons cet été d'un projet de loi sur notre stratégie énergie-climat. L'hydroélectricité fait plus que jamais partie de notre mix énergétique. Nous avons l'intention d'investir dedans.

Monsieur le sénateur Dantec, à aucun moment je n'ai dit que les entreprises seraient intéressées par des contrats à 100 euros le MWh en 2040. J'ai indiqué que, aujourd'hui, des contrats de long terme pouvaient constituer un positionnement intéressant pour les entreprises. C'est ce qu'elles nous disent ; cela ne ressort pas d'un rapport. C'est ce que nous faisons avec les Power Purchase Agreements (PPA). L'un des éléments de réforme du marché de l'électricité est de signer des contrats sur la base des coûts de production et des marges. L'électricité nucléaire est pilotable, contrairement au renouvelable, ce qui la rend attractive pour les industriels.

Enfin, madame la sénatrice Filleul, le recyclage des déchets est bien traité dans le projet de loi énergie-climat.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Merci à nos collègues de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, que nous libérons avant de poursuivre cette audition.

M. Fabien Gay. - Pourquoi ce projet de loi maintenant ? Le nucléaire, c'est du temps long. Quels financements ? Quelles filières industrielles ? Quelles formations ? Qui va payer ? Est-ce EDF ? Si c'est le cas, est-ce que ce sera toujours dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ? Quelle régulation ? Il faudrait d'abord débattre de toutes ces questions avant d'aborder un projet de loi technique. Pourquoi tant d'empressement, alors qu'il faudrait d'abord un débat politique ?

M. Bernard Buis. - Alors que le projet de loi concerne également le fonctionnement des installations existantes, où en sommes-nous de la remise en service du parc existant ?

Le président d'Orano Projets, Guillaume Dureau, a appelé à définir une stratégie d'ensemble sur l'amont et l'aval. Le président de l'ASN a déclaré qu'il serait pertinent de traiter la problématique de la prolongation du parc existant, dont les trois quarts datent des années 1980, ce qui provoquera un effet falaise en fin de vie. Cette stratégie d'ensemble sera-t-elle intégrée à la loi de programmation pluriannuelle de l'énergie ?

Mme Sylviane Noël. - Madame la ministre, vous n'avez pas complètement répondu à notre collègue Jean-Claude Anglars. La crise énergétique actuelle ne devrait-elle pas conduire le Gouvernement à s'opposer très fermement à l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques, qui pourrait conduire à un morcellement du marché préjudiciable à la filière ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La sûreté des centrales nucléaires est une priorité absolue. De nouvelles menaces sont apparues ces dernières années sur les infrastructures, notamment en raison de fortes tensions géopolitiques. Cet été, l'autorité britannique du nucléaire a placé les infrastructures d'EDF sur son territoire sous vigilance renforcée. Comment intégrez-vous ces nouveaux risques dans votre projet de loi ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le foncier de ces nouveaux sites est-il déjà artificialisé ? Sinon, quel sera leur traitement dans le cadre de la stratégie zéro artificialisation nette (ZAN) ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Monsieur le sénateur Gay, nous avons élaboré un rétroplanning. Les dossiers administratifs doivent être adaptés dès maintenant si l'on veut livrer des réacteurs nucléaires dans quinze ans. Ce projet de loi fait gagner plusieurs années. Si l'on veut tenir l'objectif d'une première coulée de béton dans cinq ans, il doit être adopté avant la fin du premier semestre. C'est ici encore une réalité physique.

Je prends mes responsabilités en tant que ministre ; je ne fais pas courir de risque aux projets, même pour faire de la belle politique.

Vous aurez à débattre du devenir de la régulation de l'Arenh, qui se termine en 2025.

Un schéma de régulation post-Arenh doit être négocié avec la Commission européenne. La France a pris position en faveur d'un découplage des marchés du gaz et de l'électricité, afin que les consommateurs paient un prix reflétant objectivement la réalité de notre mix énergétique. La Commission européenne a formulé des propositions allant en ce sens le 19 décembre dernier.

Quand la demande en électricité augmente, il est toutefois assez logique que la centrale, dont les coûts sont les plus élevés, ne produise pas à fonds perdu ; il me semble qu'il est interdit de vendre de l'électricité à un prix inférieur au coût de production. Lorsque l'on importe de l'électricité, il est normal d'en payer le prix.

Aujourd'hui, 45 GW ont été réinjectés dans le réseau, ce qui correspond au scénario de RTE pour passer l'hiver. Quelque quarante-quatre réacteurs sont en fonctionnement ; douze sont arrêtés, contre trente-deux au mois d'août 2022 : le calendrier de remise en route des réacteurs est respecté. À cela s'ajoutent les effets du plan Sobriété : nous économisons l'équivalent de la production de sept réacteurs. Ainsi, nous ne faisons pas face à des difficultés d'approvisionnement à court terme.

Mes services finalisent actuellement la préparation d'arrêtés visant à rehausser le niveau de sécurité et de cybersécurité des installations nucléaires et des laboratoires de recherche. Le projet de loi ne modifiera cependant pas le cadre global des règles de sécurité et de sûreté applicables aux équipements nucléaires. L'ASN formule des recommandations sur la prolongation de la durée de vie des centrales, mais il revient au Gouvernement de prendre la décision finale. La stratégie amont et aval sera examinée dans la loi de programmation énergie-climat.

Je souscris à la préoccupation exprimée par Mme Loisier sur l'artificialisation des sols. Une vision globale est néanmoins nécessaire ; c'est pourquoi un projet de loi spécifique sera consacré à ce sujet. Du point de vue du ministère de la transition énergétique, il est bien entendu plus confortable d'avoir des facilités.

Mme Sophie Primas, présidente. - De notre point de vue aussi !

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Nous souhaitons que les barrages hydrauliques soient exploités avec la meilleure performance industrielle et opérationnelle. Nous avons prolongé la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). J'attends des propositions du PDG d'EDF à ce sujet en vue de préparer éventuellement un projet de loi et de négocier au mieux avec la Commission européenne. Nous voulons investir dans les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) et les barrages hydrauliques. Quelque 6 milliards d'euros sont nécessaires pour augmenter de 30 % la puissance de nos barrages, à l'heure où le réchauffement climatique tend à réduire leurs capacités de production.

M. Pierre Louault. - L'énergie nucléaire a besoin de beaucoup d'eau : est-ce vraiment compatible avec la politique environnementale tendant à diminuer le niveau des nappes phréatiques et des cours d'eau ? Depuis des années, nous supprimons des barrages.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Le refroidissement des centrales ne nécessite pas beaucoup d'eau. Nos difficultés tiennent plutôt à la température des eaux rejetées par le circuit de refroidissement, supérieure de quelques dixièmes de degré à celle des eaux des rivières et des fleuves. La différence peut atteindre un degré au maximum. Nous encadrons ces rejets afin de limiter les conséquences en matière de biodiversité. Nous assurons également un suivi systématique de la faune et de la flore, notamment lorsque nous avons autorisé des dérogations.

Les centrales nucléaires consomment très peu d'eau. Pas moins de 98 % de l'eau prélevée est restituée au milieu naturel. Voilà un bel exemple d'économie circulaire.

Mme Martine Berthet. - Dans quel délai pensez-vous pouvoir réunir suffisamment de compétences humaines pour mener à bien les nouveaux projets nucléaires ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - La première coulée de béton des nouvelles installations, qui suppose des compétences en matière de génie civil, aura lieu en 2027. Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est nécessaire : nous n'avons pas besoin de soudeurs dès la semaine prochaine, mais plutôt d'ingénieurs spécialisés dans le design.

Progressons dans la gestion courante des centrales : les audits montrent que l'on peut gagner en moyenne un mois lors des « arrêts de tranche ». La prolongation d'exploitation des centrales nucléaires représente un travail considérable, qui doit démarrer environ cinq ans avant l'échéance. À cela s'ajoute le programme relatif au nouveau nucléaire, essentiel pour respecter notre trajectoire énergétique.

À cette fin, une augmentation de 40 % des effectifs est nécessaire d'ici à 2030. Renforcer l'attractivité des métiers de soudeur, de mécanicien et d'électromécanicien est essentiel. Tel est l'enjeu de la réforme de l'enseignement professionnel : l'appareil de formation doit être le mieux adapté aux besoins. La question est récurrente : comment convaincre des jeunes ne connaissant pas ces métiers à envisager des carrières dans l'industrie, qui souffre d'une image dévalorisée ? Peu d'entreprises ont un projet de développement aussi important : cela représente un élément de mobilisation et de fierté pour les équipes d'EDF. Je compte sur la mobilisation des jeunes et des jeunes retraités pour relever ce défi.

M. Franck Menonville. - Quand l'annonce des nouveaux sites d'implantation des futures centrales aura-t-elle lieu ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. - Deux premiers sites ont déjà été rendus publics. Pour les autres, il convient d'examiner leur adéquation à la lumière de plusieurs facteurs : réserve foncière disponible, capacités de refroidissement des emplacements retenus, enjeux liés à la sécurité et au bassin d'emploi... EDF tient compte de ces contraintes pour nous faire part de ses propositions sur le troisième site ; sur la base de ces propositions, l'État tranchera. Au sujet des huit sites à venir, nous en sommes à peine au démarrage du scénario. Ce n'est pas une décision de cette année.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Nous vous remercions de votre participation, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

Audition de M. Patrice Vergriete, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France

M. Jean-François Longeot, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons aujourd'hui M. Patrice Vergriete, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). Nous avons été informés, le 2 décembre dernier, de cette nomination. Celle-ci ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et ouverte à la presse. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale. La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale vous auditionnera à 11 h 30.

En vertu du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Votre audition intervient à un moment charnière pour l'Afit France, et ce à double titre.

La gouvernance de l'agence, à laquelle notre commission est très attentive, a en effet connu d'importants bouleversements. En juillet 2022, Christophe Béchu, alors président de son conseil d'administration, a été nommé ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Un mois plus tard, avec l'aval de notre commission et de celle de l'Assemblée nationale, Jean Castex, candidat proposé par le Président de la République, a été désigné pour lui succéder. Moins de trois mois plus tard, un décret mettait fin à ses fonctions, afin de lui permettre d'exercer les fonctions de président-directeur général de la RATP. Après ces « rebondissements », nous ne pouvons que souhaiter à l'Afit France de disposer pour les années à venir d'une nécessaire stabilité.

Nous sommes par ailleurs à la veille de la remise du rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), qui devrait a priori servir de support aux futurs arbitrages du Gouvernement en matière de financement des infrastructures de transport. De fait, il est probable que la feuille de route de l'Afit France évolue dans les prochains mois et années, en lien avec les décisions politiques du Gouvernement et du législateur.

Je rappelle que l'Afit France est un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé des transports, et que sa mission est de concourir au financement des projets relatifs à la réalisation ou à l'aménagement d'infrastructures routières, ferroviaires, fluviales et portuaires, mais aussi de projets relatifs à la création ou au développement de transports collectifs de personnes.

Le rôle de l'Afit France sera donc, de fait, particulièrement utile pour atteindre l'objectif de décarbonation du secteur des transports à l'horizon 2050.

Après le propos introductif de notre rapporteur, Bruno Belin, vous pourrez nous présenter votre candidature et nous faire part de vos motivations, avant de répondre aux questions.

M. Bruno Belin, rapporteur. - Monsieur le maire, nous sommes ravis de vous entendre aujourd'hui. Comme l'a souligné le président, et compte tenu du rôle central de l'Afit France pour le secteur des transports, nous ne pouvons que souhaiter davantage de stabilité et de visibilité à l'agence, afin de lui permettre d'assurer ses missions dans les meilleures conditions. Il nous revient aujourd'hui de déterminer si vous êtes le candidat idéal pour prendre la tête de son conseil d'administration. À ce titre, je vous interrogerai sur trois principaux sujets que sont la programmation des dépenses de l'agence, sa trajectoire de recettes et, plus globalement, votre vision prospective quant à son rôle.

S'agissant des dépenses, nous entrons dans une séquence clé pour l'agence. Comme l'a indiqué le président, le Conseil d'orientation des infrastructures devrait remettre prochainement son rapport pour préparer la révision de la programmation financière pluriannuelle des infrastructures de transports prévue par la loi d'orientation des mobilités (LOM). L'article 2 de la LOM fixe les dépenses pour la période 2023-2027 à 14,3 milliards d'euros, contre 13,7 milliards d'euros sur la période 2019-2023.

Or, depuis la définition de cette trajectoire en 2019, de nouveaux engagements ont été actés, notamment en faveur du chantier Lyon-Turin ou du canal Seine-Nord Europe. De fait, nous serons amenés à réviser la nouvelle trajectoire de dépenses de l'Afit France afin de la mettre en cohérence avec nos objectifs et d'en préciser le niveau annuel à la lumière des travaux du COI. Par ailleurs, le volet mobilité des contrats de plan État-région (CPER) pour 2023-2027 est en cours de finalisation.

D'après vous, comment l'agence doit-elle envisager ces échéances de court terme ? Pensez-vous qu'elle puisse faire face au « mur d'investissements » de 200 milliards d'euros sur les dix prochaines années identifié par le COI ? Dans quelle mesure estimez-vous qu'elle doit contribuer au déploiement de RER métropolitains ?

Par ailleurs, les récents avis budgétaires de nos collègues Philippe Tabarot et Hervé Gillé ont mis en lumière un problème de sous-consommation des crédits de l'Afit France, notamment en raison du report de certains chantiers. Est-elle en capacité d'assurer le déploiement et l'exécution d'une nouvelle trajectoire plus ambitieuse et d'affiner les évaluations des dépenses des projets d'infrastructures et le suivi des chantiers qu'elle finance ?

À cet égard, vos prédécesseurs avaient souligné les moyens humains limités dont elle dispose, avec seulement 4 équivalents temps plein (ETP) pour un budget annuel qui frôle les 4 milliards d'euros en 2023. Cette question sera-t-elle au coeur de vos préoccupations ?

J'en viens au volet « recettes », qui est source de nombreuses inquiétudes. Christophe Béchu nous avait indiqué que l'une des difficultés résidait dans le fait que l'Afit France finance des dépenses certaines avec des recettes moins certaines - pour ne pas dire incertaines.

À cet égard, l'agence a été particulièrement « malchanceuse ». Alors qu'elle devait initialement être financée par les bénéfices des sociétés autoroutières, leur privatisation l'a privée de cette recette, de même s'agissant de l'abandon de l'écotaxe, dont elle devait percevoir les recettes. En outre, le mouvement des « gilets jaunes » a récemment réduit le produit des amendes radar, dont l'agence figure au dernier rang des priorités des bénéficiaires. La crise sanitaire l'a par ailleurs privée de la contribution du secteur aérien jusqu'en 2022. Enfin, les sociétés concessionnaires d'autoroutes refusent depuis 2021 de s'acquitter du versement de la contribution volontaire exceptionnelle à l'Afit France. Dans ce contexte, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) représente à ce jour la recette la plus stable de l'Afit France, alors même que ses perspectives sont, à long terme, plutôt négatives, étant donné l'objectif de décarbonation du secteur des transports.

C'est pourquoi, depuis plusieurs années, notre commission appelle de ses voeux la sécurisation du modèle de financement de l'Afit France. Avez-vous identifié des propositions en la matière, inspirées, par exemple, d'autres modèles européens ?

Par ailleurs, votre prédécesseur Jean Castex avait émis l'idée, devant notre commission, de trouver de nouvelles recettes affectées, qu'il avait qualifiées de « nouveau panier de recettes ». Que pensez-vous de cette suggestion ?

Je souhaite également vous interroger, de manière plus prospective, sur votre vision du rôle de l'agence. Comme vous le savez, dans un référé de 2016, la Cour des comptes avait émis de fortes réserves sur le rôle et le fonctionnement de l'Afit France, l'assimilant à une simple caisse de financement, servant principalement à contourner les principes de droit budgétaire. Si la cour a plus récemment pris acte d'avancées positives, elle estime que le conseil d'administration de l'agence doit assurer pleinement ses responsabilités en hiérarchisant les projets et en garantissant leur conformité à la trajectoire financière.

Cette problématique pose, de fait, la question de la liberté donnée à l'Afit France pour se prononcer sur la pertinence des projets financés. D'après vous, le rôle de l'Afit France a-t-il vocation à évoluer pour sortir de cette stricte logique de « caisse de financement » ?

Enfin, Christophe Béchu avait fait le choix de conserver son mandat de maire d'Angers tout en assurant les fonctions de président du conseil d'administration de l'Afit France. Comment envisagez-vous de concilier vos fonctions de maire de Dunkerque et de président de la communauté urbaine avec celles-ci ?

M. Patrice Vergriete, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. - C'est la première fois que je suis entendu devant une commission sénatoriale, et je dois avouer que je suis quelque peu ému. Je suis honoré par la proposition du Président de la République de me confier, sous réserve de votre accord, les fonctions de président du conseil d'administration de l'Afit France.

Je tiens tout d'abord à saluer le travail qui a été mené à ce poste par Christophe Béchu, qui est désormais l'un des ministres de tutelle de l'agence, puis par Jean Castex, ainsi que le travail de Clément Beaune, qui est l'autre ministre de tutelle. Ils ont été pour quelque chose dans la confiance qui m'est accordée aujourd'hui et que - je l'espère - vous validerez.

J'ai été ravi, d'abord à titre personnel, que cette proposition me soit faite. Dans ma vie professionnelle autant que politique, j'ai toujours été passionné par les questions d'aménagement du territoire et de fabrique urbaine, au centre desquelles se trouve celle des mobilités. Ce sujet m'est tout particulièrement cher.

Dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, la décarbonation des mobilités est un enjeu clé pour l'avenir de notre pays - c'est un élément qui m'a fortement motivé -, de même que l'aménagement du territoire, la manière dont notre pays aborde l'hypermétropolisation et la question de l'équilibre territorial à l'échelle nationale, les difficultés que rencontrent nos concitoyens au quotidien face à la montée des prix de l'énergie, notamment du carburant, mais aussi face à un service ferroviaire en difficulté et parfois défaillant, l'impact des mobilités sur la croissance économique, les nuisances liées au bruit ou les problématiques de coupure urbaine - mon expérience en matière de politique de la ville m'a fait prendre conscience de l'importance des infrastructures pour pallier l'isolement d'un certain nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville -, la sécurité des ouvrages d'art ou encore la résilience de nos infrastructures au regard du changement climatique, notamment du réchauffement.

Ces enjeux sont immenses, et pouvoir y apporter ma pierre en tant qu'élu local du territoire dunkerquois, qui se situe au coeur des réseaux d'infrastructures européens et qui a voulu faire de la mobilité une de ses priorités, est une motivation forte, tant à titre personnel qu'au regard de l'importance de ces enjeux.

L'Afit France constitue, à mes yeux, un bon outil pour aborder l'avenir des mobilités, et ce pour deux raisons.

La première raison est qu'elle constitue une garantie que ce sujet sera traité sur un temps long. Les recettes affectées de l'Afit France, bien qu'elles ne plaisent pas toujours à Bercy, me paraissent utiles pour développer des infrastructures.

La seconde raison est que l'agence est un outil partenarial, et qu'elle a de ce fait une sensibilité particulière à l'égard des projets structurants, ce que ne permet peut-être pas le programme 203. Je tiens d'ailleurs à remercier les parlementaires qui, comme certains élus locaux, siègent au conseil d'administration de l'Afit France. J'estime d'ailleurs que cette dimension partenariale mériterait peut-être d'être renforcée dans les années qui viennent. Associer davantage les parlementaires et les élus locaux aux réflexions de l'Afit France quant aux choix de développement des infrastructures ne peut être que positif.

Vous m'avez interrogé sur ma perception du rôle de l'Afit France. Je n'en suis pas encore président, mais en tant qu'élu local, le conseil d'administration de l'Afit France joue plutôt, me semble-t-il, le rôle d'un conseil de surveillance. Ce sont autant de paires d'yeux supplémentaires qui examinent les choix et les arbitrages qui sont faits en matière de développement des infrastructures.

Je siège aux conseils de surveillance du grand port maritime de Dunkerque ainsi que du centre hospitalier de Dunkerque, et il me semble que le rôle de l'Afit France se rapproche de celui de ce type d'instances.

Il me semble en tout cas pertinent que, sur le sujet des mobilités, qui concerne de nombreux acteurs, une instance s'efforce de faciliter le dialogue, et partant les partenariats, entre les différentes parties prenantes. Cela suppose d'approfondir les axes prioritaires qui ont été définis par Christophe Béchu et par Jean Castex en matière de soutenabilité financière, de transition écologique, mais aussi d'efficacité et de transparence de l'Afit France. Cela passe par le respect des orientations fixées dans la LOM, qui constituent autant de garanties pour l'Afit France, au travers notamment de ressources pérennes et stables - nous aurons l'occasion de revenir sur les dépenses et les recettes. Cela suppose aussi de fournir à la représentation nationale tous les éléments nécessaires pour qu'elle puisse apprécier le travail de l'Afit France.

L'année 2023 sera très importante, non seulement pour l'Afit France, mais aussi pour la stratégie des mobilités de notre pays. La remise du rapport du COI, dans quelques jours, marquera le début d'une séquence d'intenses réflexions et de débats autour de l'ambition que nous voulons nous donner en matière de mobilité et de grandes infrastructures. Dans ce cadre, mon rôle sera de faciliter ces échanges, qui devraient aboutir à une actualisation de la LOM.

Le contrat d'objectifs et de performance de l'Afit France devra répondre à la question des moyens humains que vous évoquiez, monsieur le rapporteur. En tout état de cause, j'estime qu'il est sain que l'actualisation de la LOM et la finalisation des volets mobilité des CPER ainsi que du contrat d'objectifs et de performance de l'Afit France interviennent à peu près en même temps. Une fois ces éléments arrêtés, nous pourrons adapter les moyens humains et le fonctionnement de l'agence à l'ambition que notre pays se sera donnée pour les années qui viennent.

Nous disposons d'un premier marqueur : avec 2,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et une enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros allouée dans le cadre du projet de loi de finances (PLF), le budget de l'Afit France pour 2023 est le plus élevé de l'histoire de l'agence, ce qui montre que les besoins immenses que vous avez évoqués pour les années à venir ont été pris en compte. Vous avez parlé d'un « mur d'investissements », terme qui est employé dans le rapport du COI.

Je ne connais pas encore la teneur de ce rapport, mais je suis certain que les besoins seront à la hausse, et que les moyens devront l'être aussi. La réflexion qui va s'ouvrir permettra de déterminer le niveau d'ambition que notre pays veut se fixer en termes de développement des infrastructures, et partant, le niveau de dépenses acceptable et pertinent ainsi que les recettes permettant de les financer.

Dans tous les cas, j'imagine une hausse des recettes, tant les besoins sont importants. Certains parlent d'un « mur d'investissements » ou d'un plan Marshall pour les infrastructures, notamment pour le rail : voilà qui est pertinent. Le débat portera sur le niveau acceptable de dépenses et de recettes.

J'en viens au cumul des fonctions. Le président du conseil d'administration de l'Afit France doit être un facilitateur des échanges, avec la représentation nationale comme avec les élus locaux. Il devra jouer un rôle d'aller-retour, en expliquant les décisions nationales et en faisant remonter du terrain les injonctions contradictoires. Le cumul est donc un atout. De plus, l'Afit France est une petite agence, je n'aurai pas à encadrer cette équipe de 5 emplois temps plein travaillé (ETPT), la secrétaire générale le fait très bien. Mon statut d'élu est donc un avantage au regard de ce rôle de facilitateur du dialogue, qui doit s'inscrire dans la réalité du terrain.

J'ai déjà prévu de dégager du temps pour remplir cette mission, notamment au regard de mes autres missions nationales à France Ville Durable (FVD) et à la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). De plus, à la communauté urbaine de Dunkerque, il s'agit de mon deuxième mandat. Le premier est toujours chronophage, le second permet de s'ouvrir à d'autres horizons.

Mme Martine Filleul. - M. Belin demandait si vous étiez le candidat idéal. De mon point de vue, vous en avez toutes les caractéristiques, d'un point de vue professionnel comme universitaire, et grâce à votre engagement reconnu en faveur de la gratuité des transports publics. Néanmoins, j'aurai deux questions, qui touchent particulièrement les Hauts-de-France.

Premièrement, quelle est votre vision du transport fluvial, qui est toujours le parent pauvre du budget de l'Afit France et des projets nationaux. Notre réseau fluvial est le plus grand et le plus sous-utilisé en Europe, alors que son potentiel de décarbonation des transports est immense. Allez-vous bousculer les équilibres traditionnels de l'agence ? Quel est votre point de vue sur le canal Seine-Nord ? Avec seulement deux plateformes quadrimodales, je pense que nous ratons une occasion historique.

Deuxièmement, les présidents de la République, de région et de la SNCF se succèdent, et le transport ferroviaire connaît toujours le même marasme dans le Nord. Quelle est votre vision sur ce sujet ?

M. Joël Bigot. - Nous sommes ravis de vous entendre : nous allons voir si vous êtes the right man in the right place, et si votre candidature pose moins de difficultés que d'autres candidatures que nous avons eu à examiner ces derniers temps.

Concernant les mobilités douces qui sont de votre ressort, l'Afit France finance des continuités cyclables dans certains territoires. Pour les trajets du quotidien, le report vers les mobilités douces et actives, dopées par le vélo électrique, est absolument nécessaire. Quid des autoroutes à vélo, pour combler les lacunes du réseau cyclable ? La sécurité des pistes cyclables est essentielle pour réussir la transition écologique. Allez-vous encourager ces mobilités comme président de l'Afit France ?

M. Jacques Fernique. - La présentation du rapport du COI au Gouvernement est imminente. Certes, l'agence ne fait pas les choix, mais ce n'est pas qu'un tiroir-caisse ; vous avez raison de parler de conseil de surveillance et d'un rôle de facilitateur. Le COI va proposer un scénario de planification écologique bien plus ambitieux que la poursuite de la trajectoire des investissements en cours. Ce scénario serait doublé d'un scénario, encore plus lourd financièrement, de priorité aux infrastructures. Ne risquons-nous pas une forme d'incohérence, dans la mesure où toutes les opérations d'infrastructures ne sont pas compatibles avec la décarbonation et la maîtrise de l'artificialisation ? À quels types d'infrastructures nous faudrait-il renoncer ?

M. Frédéric Marchand. - Vous avez insisté sur le lien entre mobilités et aménagement du territoire, j'y souscris pleinement, comme à votre volonté de faire de l'Afit France autre chose qu'une caisse de financement, c'est-à-dire d'en faire un vrai partenaire. Quelle est votre vision sur les projets annoncés de RER métropolitains ?

M. Patrice Vergriete. - Le fluvial est connexe au rail. Demain, le fluvial doit lui aussi devenir une priorité, car il s'agit de transférer du fret de la route vers ces modes de transport. L'autre enjeu est de mobiliser les camions sur les grands axes, et non sur les routes nationales.

L'État a pris des engagements, bien actés, avec Voies navigables de France (VNF), notamment pour le canal Seine-Nord. Le rapport du COI permettra d'évaluer si les ambitions et le contrat d'objectifs et de performance (COP) entre l'État et VNF sont suffisants.

Comme en Île-de-France, la situation est dramatique dans les Hauts-de-France pour les services ferroviaires. Nous avons atteint les limites. Les personnes en viennent à reprendre leur voiture. Deux problèmes se conjuguent, celui des infrastructures et celui du recrutement des personnels. La SNCF a un travail à mener en faveur de l'attractivité des métiers du rail. S'agissant des infrastructures, des sillons sont saturés, les 100 millions prévus dans la loi de finances de 2023 pour la régénération vont donc dans le bon sens.

Pour les mobilités douces, l'engagement de l'Afit France est historique : nous sommes passés de 350 millions en sept ans, avec une rallonge de 145 millions d'euros dans le plan de relance, à 250 millions pour une seule année. Nous avons aussi multiplié par cinq les financements pour les mobilités douces en 2023. Le report modal des transports urbains doit se faire aussi bien sur le transport collectif que sur les mobilités douces.

Les mobilités douces impliquent deux éléments essentiels. D'abord, le développement des infrastructures doit avoir lieu, pour assurer la sécurité des cyclistes. De plus, il faut choisir le modèle associé, ce qui touche à la différenciation territoriale : l'économie de la fonctionnalité - ou vélo en libre-service - ne convient pas toujours à de petites villes ou à des villes moyennes telles que Dunkerque ; l'autre modèle est celui de la propriété et de la sécurisation, qui exige d'encourager les parkings et d'aider les habitants à acquérir des vélos. À Dunkerque, nous avons abandonné le libre-service, et cela marche. Il ne faut pas de vision préétablie. Mon expérience d'élu local peut ainsi être très utile : laissons aux collectivités locales le choix de leur modèle.

Je n'ai pas encore lu le rapport du COI, monsieur Fernique. Votre dernière question est difficile : à quelles infrastructures renoncer ? La décarbonation des mobilités est certes une priorité, mais je ne veux pas que l'aménagement du territoire soit relégué derrière la décarbonation des mobilités.

Si l'on veut que notre pays aille dans le sens de la décarbonation, c'est une erreur de continuer l'hypermétropolisation. La délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) le soulignait dès la fin des années 1990 : ce qui va dans le sens du développement durable, ce qui permet de s'adapter au mieux au changement climatique, c'est un polycentrisme maillé associant petites villes, villes moyennes et métropoles.

Bien entendu, il faut décarboner les mobilités via le report modal de la route vers le fluvial, le rail, les transports collectifs et le vélo. Mais il faut aussi considérer l'aménagement du territoire comme une arme contre le dérèglement climatique, en raisonnant à une échelle large.

Cette question éminemment complexe n'appelle pas de réponse toute faite, mais un examen au cas par cas. Pour ma part, je n'ai pas de vision manichéenne de ce sujet. Une petite ligne reliant une petite ville et une ville moyenne n'aura peut-être pas un si grand impact qu'un aménagement fluvial sur le report modal des camions ; mais, finalement, elle peut avoir un rôle tout aussi intéressant pour lutter contre le dérèglement climatique. Tout dépend aussi de l'horizon que l'on considère.

Quant aux RER métropolitains, ils obéissent à deux visions distinctes : relier une métropole à sa banlieue ou assurer un maillage régional entre une métropole, des villes moyennes et des petites villes. À mon sens, c'est ce second scénario qui a de l'avenir, car, in fine, c'est lui qui permettra de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.

M. Stéphane Demilly. - J'ai longtemps été député de l'est de la Somme et je suis très impliqué dans le dossier du canal Seine-Nord Europe. Il s'agit là de la plus grosse infrastructure prévue pour ce siècle par l'Union européenne. Les relations entre l'Afit France et la société de projet sont excellentes : continuerez-vous à être un partenaire fidèle, efficace et solide ?

M. Philippe Tabarot. - Après le passage éclair, mais efficace, de Jean Castex à la tête de l'Afit France - le nombre de conventions signées a connu une augmentation sensible -, nous auditionnons aujourd'hui un nouveau candidat à la présidence de cette agence.

En tant qu'administrateur de l'Afit France, je mesure le problème que représente l'incertitude des recettes de cette agence : la contribution du secteur aérien est en dents de scie ; les sociétés autoroutières ne veulent plus payer ; quant au produit des amendes de police, il n'est perçu par l'agence qu'une fois que tout le monde s'est servi, et s'il en reste.

Je connais également les besoins immenses qui se font jour et que le rapport du COI va confirmer : notre pays manque de lignes ferroviaires, de routes, de bus à haut niveau de service (BHNS) ou encore de pistes cyclables.

Vous avez, à n'en pas douter, les compétences techniques pour ce poste ; mais avez-vous l'influence nécessaire ? Disposez-vous des garanties pour sécuriser les recettes permettant à notre pays de combler le retard qu'il accuse en matière de transports ?

Enfin, j'ai cru comprendre qu'avant de vous rapprocher de la « Macronie », vous étiez un homme de gauche. Vous avez été à la tête d'une autorité organisatrice de la mobilité qui pratique la gratuité des transports publics. Cette idée est certes très généreuse, mais, à mon sens, elle pose problème : non seulement rien n'est gratuit, mais, à l'heure où le financement des mobilités est plus problématique que jamais, elle ne sert pas la cause des transports. Ferez-vous du prosélytisme en faveur de la gratuité des transports publics ou vous cantonnerez-vous à la neutralité sur ce sujet dans vos éventuelles futures fonctions ?

M. Guillaume Chevrollier. - Vous soulignez que l'action de l'Afit France s'inscrit dans le temps long. Je vous rejoins : pour être efficace, cette agence a besoin d'une présidence s'installant dans la durée. Nous avons besoin de temps pour assurer le développement des infrastructures et assurer un vrai suivi de la consommation des crédits de l'Afit France.

Combien de temps êtes-vous prêt à consacrer à cette agence ? Appliquerez-vous la jurisprudence Castex en quittant ce poste lorsqu'on vous proposera mieux, y compris dans quelques mois ?

La loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) a permis le transfert de routes nationales à une vingtaine de collectivités territoriales, dont le département dont je suis élu, et je m'en réjouis. Toutefois, quel accompagnement l'Afit France va-t-elle assurer pour ce qui concerne ces axes structurants ?

Mme Nicole Bonnefoy. - Nous sommes tous attachés à la décarbonation des transports via le report modal. En France, le transport de marchandises est aujourd'hui capté à 89 % par la route, alors que la moyenne européenne s'établit à 75 %. Or un report vers le ferroviaire permettrait de diviser par neuf nos émissions de gaz à effet de serre. Il est donc urgent d'investir dans ces aménagements ; Jean-Pierre Farandou s'est d'ailleurs prononcé en ce sens.

C'est grâce à notre ténacité que la ligne de fret des primeurs Perpignan-Gennevilliers a été maintenue ; ce succès doit en appeler d'autres. Je pense, par exemple, à la gare de fret de Cognac, qui a mobilisé 180 millions d'euros d'investissement public, mais qui est inutilisée aujourd'hui.

Lutter contre la surdensité du trafic de poids lourds, c'est à la fois oeuvrer à la transition écologique et réduire un certain nombre de nuisances. Quelle est votre ambition dans ce domaine, sachant que la crise énergétique pourrait remettre en cause les quelques progrès accomplis en faveur du fret ces dernières années ?

M. Patrice Vergriete. - Monsieur Demilly, pour ce qui concerne le canal Seine-Nord Europe, vous pouvez évidemment compter sur le soutien de l'Afit France.

Monsieur Tabarot, oui, je suis de gauche. J'ai d'ailleurs été encarté par le passé, mais je ne le suis plus aujourd'hui.

En matière de transport, il faut se montrer extrêmement pragmatique et se garder de toute idéologie. Certains territoires, comme l'Île-de-France, ont un problème d'offre : dès lors, la gratuité provoquerait une catastrophe, car elle entraînerait un surcroît de demande. La gratuité aggraverait donc le problème, tout en réduisant le financement.

À l'inverse, à Dunkerque, il y avait un problème de demande. La ville a été rasée pendant la Seconde Guerre mondiale et reconstruite à une époque où dominait la culture de la voiture. Pour que l'on retrouve le sens du transport collectif, la gratuité a été un outil parmi d'autres. Les résultats sont là : en quatre ans, la fréquentation des transports en commun a crû de 110 % en semaine et de 200 % à 300 % le week-end. Nous allons à présent transformer le réseau pour favoriser les déplacements domicile-travail. La population locale est unanime : c'était la bonne réponse. En est-il de même à Biarritz, à Toulouse ou à Toulon ? Je n'en sais rien ; probablement pas. Il faut faire confiance aux élus locaux, qui connaissent parfaitement leur territoire et sont les mieux à même de trouver les solutions adaptées.

Ferai-je du prosélytisme en faveur de la gratuité des transports ? Non. Dans un certain nombre de territoires, c'est une mauvaise et même une très mauvaise solution. Mais, comme beaucoup, je continue de penser que c'est ce qu'il fallait faire à Dunkerque.

Je le répète, en matière de transport, il faut tuer toute idéologie. L'économie de la fonctionnalité est aussi à la mode, mais, à Dunkerque, elle ne peut pas fonctionner. Il faut se méfier des modes, dont beaucoup de collectivités territoriales ont été victimes. En la matière, rien ne vaut une bonne analyse de ce qu'il faut faire localement ; et c'est précisément par pragmatisme que je n'écarte aucune solution.

Je n'ai jamais évoqué la gratuité des transports à l'échelle régionale ou nationale. Quant à la gratuité des transports urbains, elle n'est pas une mesure de générosité, mais d'efficacité. À Dunkerque, elle représente 4,5 millions d'euros sur un budget de 500 millions d'euros : un tel investissement aurait sans doute été moins efficace ailleurs.

L'incertitude des recettes est effectivement au coeur des enjeux de l'Afit France. Nous verrons ce que donnera le contentieux avec les sociétés d'autoroutes. En parallèle, quel est le bon niveau de dépenses ? Quelles recettes locales pourra-t-on mobiliser ? Faudra-t-il les compléter par des recettes nationales ? Tels sont les débats que nous devons mener dans les six mois qui viennent.

Ai-je l'influence nécessaire pour assumer ces fonctions ? Certes, je ne suis ni ancien Premier ministre, comme Jean Castex, ni même ancien ministre. Néanmoins, quand je m'engage à défendre une cause, je la défends bien. Je me donne les moyens de défendre ce en quoi je crois.

En matière de transports et d'aménagement du territoire, notre pays a manqué d'anticipation et de prospective depuis trente ans. Aujourd'hui, nous payons le prix de ce sous-investissement. Je défendrai le besoin de mobilité de nos populations, pour qui les problèmes de transport sont une souffrance du quotidien. Avec la montée du prix de l'énergie, ces difficultés peuvent même devenir un facteur de fracture territoriale. Je me battrai contre elles, à vos côtés.

Par ailleurs, si vous m'accordez votre confiance, je m'inscrirai naturellement dans la durée et j'y mettrai les moyens. Ce sujet me passionne et je prendrai toute ma part au débat national qui s'annonce. Je n'ai pas d'autre ambition.

En ce qui concerne les transferts de routes nationales aux départements, cette question concerne davantage le programme 203 de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du budget de l'État, mais l'Afit France y consacrera des moyens.

Enfin, la question du report modal vers le fluvial est naturellement essentielle et je souscris aux propos qui ont été tenus.

Mme Angèle Préville. - Si nous voulons accompagner les évolutions, limiter l'impact de l'augmentation du coût des carburants et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, nous devons favoriser les mobilités douces, qu'elles soient piétonnes ou cyclistes. Or, jusque-là, tout a été fait pour favoriser la voiture !

Des financements sont certes prévus à hauteur de 250 millions d'euros, mais il faut savoir que les collectivités sont nettement plus engagées : en Haute-Garonne, 50 millions d'euros sont prévus pour l'aménagement de pistes cyclables.

De plus, il ne suffit pas de simplement prévoir des bandes blanches au bord des routes ; de tels aménagements posent des problèmes de sécurité routière et de santé publique. Aux Pays-Bas, il existe de véritables routes pour les vélos, séparées de celles qui sont destinées aux voitures et aux camions, et parfois sur de très longs trajets.

Comment opérer un véritable choc de l'offre ? Comment penser des développements différents pour les mobilités douces ? Je rappelle qu'une récente étude a montré que 80 % des jeunes ont pour seule activité physique celle qui est pratiquée à l'école !

Mme Christine Herzog. - Serez-vous le président du « tout TGV » ou serez-vous également attentif aux lignes secondaires ? Il y a beaucoup d'attentes sur ce sujet, en particulier dans des départements comme le mien, la Moselle.

Nous devons travailler sur les mobilités rurales, qui ont peu à peu disparu ; cela sauverait les petites communes. Je rappelle que beaucoup de jeunes n'ont pas le permis de conduire, ce qui les empêche à l'heure actuelle de s'installer en zone rurale. De même, beaucoup de personnes âgées ne peuvent plus conduire.

Mme Laurence Muller-Bronn. - On nous dit que les RER métropolitains sont un dispositif d'avenir, mais ce qui se passe en ce moment à Strasbourg est un contre-exemple ! On nous annonçait plus de trains, en particulier en zone rurale - les collectivités avaient d'ailleurs investi en ce sens -, mais nous avons, en réalité, moins de trains qu'avant. Dans le même temps se met en place une zone à faibles émissions (ZFE)... La raison invoquée est le manque de ressources humaines. Comment résoudre ces problèmes et ces contradictions ?

En ce qui concerne le plan Vélo, le comité interministériel prévu le 2 décembre dernier a été annulé, ce qui retarde la prise de décision pour de nombreux projets. Les collectivités locales s'engagent de plus en plus fortement sur ce dossier et ce sont elles qui portent l'essentiel des dépenses. Les attentes sont immenses et il est urgent d'avancer de manière concrète. Les enveloppes prévues peuvent paraître élevées - 250 millions d'euros en 2023 et 2,5 milliards sur le quinquennat -, mais je rappelle que la France se classe au vingt et unième rang en Europe pour les investissements en la matière. Nous ne sommes donc pas au niveau ! Avez-vous des informations sur la prochaine réunion du comité interministériel ?

M. Patrice Vergriete. - En ce qui concerne le ferroviaire, ce qui nous manque, c'est une vision « réseau ». Nous avons trop longtemps réfléchi en termes d'attractivité des métropoles et pas assez en termes de maillage territorial. Cela pose la question de la multimodalité : nous ne sommes pas habitués à réfléchir de cette manière et nous devons faire évoluer les mentalités à ce sujet. C'est ce que nous faisons par exemple à Dunkerque dans nos discussions avec une intercommunalité voisine sur l'articulation de nos modes de transport.

Nous devons réfléchir en termes d'équité territoriale à l'échelle nationale et la question des lignes secondaires est essentielle, notamment pour la décarbonation des mobilités. Je crois que le budget 2023 de l'Afit France est équilibré de ce point de vue.

J'ai récemment effectué un déplacement au Danemark pour étudier leurs politiques publiques en matière de vélo. Le report du comité interministériel est vraiment dû à un problème de calendrier et il est bien prévu qu'il se tienne durant le premier trimestre 2023. Le montant des investissements annoncés est tout de même un signal important, mais il est vrai que la volonté politique locale est essentielle pour avancer sur ce sujet.

Je vous rejoins aussi, madame Préville, sur le fait que les bandes cyclables ne sont ni sûres ni saines. Nous devons donc dégager des moyens pour réaménager de manière plus structurelle la voirie. L'Afit France a lancé des appels d'offres à ce sujet. Il faut aussi reconnaître que les choses seront plus longues à mettre en place dans la ruralité.

Madame Muller-Bronn, c'est évidemment une question essentielle aujourd'hui quand on travaille sur les mobilités, mais elle ne relève pas de l'Afit France. Je viendrai cependant avec plaisir à Strasbourg pour étudier la mise en place de son réseau express métropolitain européen.

Outre les problèmes de ressources humaines se pose aussi la question, plutôt dans d'autres territoires que le Grand Est, de la saturation de certains sillons.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous vous remercions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Patrice Vergriete, aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Patrice Vergriete, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Après dépouillement du scrutin le mercredi 11 janvier 2023, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Patrice Vergriete aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), le résultat du vote est le suivant :

Nombre de votants : 37

Bulletins blancs : 7

Bulletin nul : 0

Suffrages exprimés : 30

Pour : 25

Contre : 5

La commission a donc donné un avis favorable à la nomination de M. Patrice Vergriete aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Afit France.

Avenir des zones de revitalisation rurale (ZRR) - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Longeot, président. - Nous allons à présent laisser la parole à Rémy Pointereau pour qu'il nous présente le fruit de ses réflexions destinées à alimenter la future réforme des zones de revitalisation rurale (ZRR) ; je précise que ces réflexions s'appuient sur les résultats d'une étude que nous avons commandée en juillet dernier et feront l'objet d'un rapport d'information.

Les ZRR ont été créées en 1995 par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire afin de prendre en compte les difficultés spécifiques liées à l'implantation ou à la reprise d'activités en milieu rural, en ouvrant droit, d'une part, à des exonérations d'impôts et à des allègements de cotisations patronales, d'autre part, à des bonifications de dotations, ainsi qu'à des politiques publiques adaptées aux contraintes de ces territoires.

Elles ont fait l'objet de plusieurs réformes depuis lors, dont la dernière remonte à 2015, qui a conduit à bouleverser profondément les équilibres de nombreux territoires.

En 2019, notre commission avait pris l'initiative d'élaborer un rapport d'information sur les zones de revitalisation rurale, réalisé en commun avec la commission des finances. Les rapporteurs étaient Rémy Pointereau, Bernard Delcros et Frédérique Espagnac. Ce rapport, adopté le 9 octobre 2019, formulait six propositions relatives à l'avenir des ZRR, dont deux relevaient pleinement du champ de compétences de notre commission.

À la suite de ce rapport, le Parlement a voté la prolongation des ZRR jusqu'au 31 décembre 2023, afin de prévoir un temps suffisant pour envisager une réforme de ce dispositif, auquel les élus du bloc communal sont particulièrement attachés.

Depuis 2019, plusieurs rapports ont été publiés sur les ZRR : je pense aux rapports d'inspection et à un rapport remis en avril 2022 à la demande du Premier ministre Jean Castex, sous l'égide de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales Jacqueline Gourault, par les députés Anne Blanc et Jean-Noël Barrot et les sénateurs Bernard Delcros et Frédérique Espagnac.

Aussi, dans la perspective de la prochaine réforme du dispositif, qui devrait être proposée par le Gouvernement dans le courant de l'année 2023, avant l'expiration de la prorogation, pour une application début 2024, nous avons souhaité, avec Didier Mandelli, Rémy Pointereau et Louis-Jean de Nicolaÿ, que le Sénat puisse disposer de son propre diagnostic territorial sur les fragilités des territoires ruraux et réfléchir à une réforme du dispositif pour mieux l'adapter aux réalités de nos territoires.

Dans cette perspective, nous avons passé un marché public avec un prestataire extérieur, la société Citizing, avec l'appui des services de la questure du Sénat. L'objectif était de tester de façon très concrète deux des six propositions du rapport d'information de notre commission et de la commission des finances réalisé en 2019.

Il s'agissait de la proposition n° 3 issue de ces travaux, qui recommandait une réflexion sur l'échelle d'application des critères fixés par le code général des impôts : l'intercommunalité, la commune ou un régime mixte, et de la proposition n° 4, qui préconisait de réviser les critères pris en compte pour classer les territoires en ZRR ou non, avec un critère principal de densité et six critères secondaires de nature socio-économique.

Il était difficile techniquement de réaliser en interne, au Sénat, les modélisations statistiques nécessaires pour tester ces propositions. À l'été 2022, nous avons donc confié à un cabinet spécialisé le soin d'évaluer les conséquences de ces propositions. Ce dernier nous a rendu son rapport final en décembre 2022, et l'objet de notre réunion est d'en partager les résultats avec vous et d'acter quelques grandes options en vue de la future réforme du dispositif.

Les membres du Bureau ont pu consulter une version provisoire de ce rapport. En résumé, nous sommes très satisfaits du travail réalisé, qui nous permettra d'effectuer les futurs arbitrages politiques nécessaires pour une réforme équitable.

Je précise enfin que nous devrons nécessairement prolonger ce travail en engageant une réflexion commune avec la commission des finances sur les dispositifs à adosser au classement ZRR : exonérations fiscales et sociales, dotations, politiques dérogatoires, etc.

La présentation du jour par notre collègue Rémy Pointereau marque la fin d'une première étape de réflexion sur les critères de classement, qui devra désormais donner lieu à une large concertation au sein de notre assemblée - dont bien sûr le président du Sénat - ainsi qu'avec les élus locaux.

M. Rémy Pointereau. - Il me revient de vous présenter les grandes lignes de l'étude remise à notre commission relative aux zones de revitalisation rurale.

Cette étude concerne uniquement les critères de classement en ZRR, qui relèvent pleinement de la compétence de notre commission. La question des dispositifs fiscaux, sociaux ou spécifiques à adosser au classement ZRR fera l'objet d'un travail approfondi et spécifique, que nous pourrions reprendre avec nos collègues de la commission des finances. Du fait de son expertise reconnue en matière d'aménagement du territoire, notre commission aura également toute légitimité pour émettre ses propres propositions.

Mon propos sera organisé en quatre temps. D'abord, je rappellerai les principales caractéristiques des communes classées en ZRR. Ensuite, je vous présenterai les critères statistiques que je vous propose de retenir, après analyse minutieuse de l'étude prospective qui nous a été remise, afin de correspondre aux critères socio-économiques mentionnés dans la proposition n° 4 de notre rapport de 2019. Puis j'évoquerai les principales règles de décision élaborées avec le prestataire pour l'application des critères de classement, c'est-à-dire la méthodologie pour déterminer le nombre total de communes qui pourraient être classées en ZRR, et la question nodale de la maille d'application du dispositif, c'est-à-dire l'échelle territoriale - commune, canton, arrondissement, établissement public de coopération intercommunale (EPCI) - à laquelle les critères s'appliquent. Enfin, je terminerai en évoquant les règles de décision qui nous permettraient d'ordonner les communes classées en ZRR en trois niveaux de ZRR en fonction de leur degré de fragilité.

Je propose que nous échangions sur ces éléments et que nous évoquions ensemble les prochaines étapes pour valoriser ce travail, sachant que le Gouvernement ambitionne de proposer une réforme des ZRR dans le courant de l'année 2023, pour une application début 2024.

À cet égard, la secrétaire d'État chargée de la ruralité, Dominique Faure, désormais ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, a annoncé le lancement d'une concertation sur les ZRR associant des parlementaires - je n'ai pas été sollicité à ce stade -, des associations d'élus et des représentants du monde économique et associatif. Le préfet François Philizot est chargé de coordonner les travaux et doit remettre ses conclusions dans le courant du mois de janvier.

En tout état de cause, nous disposons désormais de toute la matière suffisante pour évaluer la réforme qui sera proposée par le Gouvernement et, en parallèle ou en complément, pour déposer une proposition de loi visant à rénover les critères et les méthodes de classement des communes en ZRR. Il nous sera loisible d'inscrire le nouveau corpus législatif dédié aux ZRR dans le code général des collectivités territoriales ou dans la loi de 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Actuellement, les ZRR sont définies dans un article du code général des impôts relatif à la cotisation foncière des entreprises. Il restera ensuite à imaginer et à définir précisément les dispositifs à adosser aux ZRR.

Je commencerai par rappeler les principales caractéristiques des communes actuellement classées en ZRR. Elles sont globalement de quatre ordres. Les habitants des communes classées en ZRR sont significativement plus âgés que la population des communes en dehors du dispositif, avec une différence d'âge d'environ huit ans. Ces communes sont également plus pauvres, plus faiblement peuplées et elles connaissent un taux de chômage plus élevé que les communes du reste du territoire.

Venons-en désormais aux critères statistiques que nous avons retenus avec le cabinet spécialisé pour correspondre aux critères socio-économiques mentionnés dans notre rapport de 2019 avec la commission des finances.

La proposition n° 4 de notre rapport prévoyait de définir six critères au total. Un critère principal de densité démographique, que doit remplir toute commune aspirant à entrer en ZRR, et cinq critères secondaires : le déclin démographique, apprécié sur plusieurs années ; le revenu par habitant ; un indice d'accessibilité aux services publics et privés - nombre d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs et de professionnels de santé ; l'âge moyen de la population ; le nombre de logements vacants ; le nombre de bâtiments d'exploitation vacants.

Pour la densité démographique, nous avons fait le choix de ne pas retenir la mesure traditionnelle effectuée par l'Insee, mais plutôt de nous appuyer sur la nouvelle grille communale de densité, qui a été constituée par l'Insee l'an dernier en lien avec les associations d'élus locaux, en particulier l'Association des maires ruraux de France, et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Le but de cette nouvelle définition de la densité est de définir « positivement » et « de façon autonome » les espaces ruraux, et non plus de prendre en compte leur rattachement à un pôle urbain.

La nouvelle grille de densité ainsi établie, qui reprend la méthode développée par l'Union européenne via Eurostat, distingue trois types de densité : les communes densément peuplées, les communes de densité intermédiaire et les communes rurales. Des travaux récents ont permis d'affiner et d'enrichir cette grille, qui comporte désormais sept niveaux, afin de différencier les communes intermédiaires et les communes rurales.

Au sein de ces sept niveaux de densité démographique, nous avons donc retenu les trois derniers niveaux, à savoir : les bourgs ruraux, qui englobent environ 5 000 communes ; le rural à habitat dispersé, qui représente 19 000 communes, et le rural à habitat très dispersé, qui regroupe 7 600 communes.

Pour le critère d'évolution de la population, il n'y a pas de difficulté. Il suffit de fixer une période de référence, par exemple une décennie, et de mesurer un taux de variation de la population. Si ce taux est inférieur à un seuil donné, alors la commune sera jugée fragile selon ce critère. Il nous a paru pertinent de retenir la période 2009-2019.

Pour le critère du niveau de vie, les choses sont plus compliquées. Le classement actuel en ZRR est fondé sur l'analyse du revenu par habitant, calculé à l'échelle des EPCI à fiscalité propre, comme tous les autres critères. Or, pour 3 600 communes, il n'est pas possible de disposer du revenu par habitant du fait de leur taille. L'analyse du revenu médian pour ces communes très peu peuplées conduirait de facto à violer le secret fiscal.

Par conséquent, si l'on souhaite conserver un classement à l'échelle des EPCI, il est possible de garder le critère du revenu par habitant. En revanche, si l'on souhaite établir un classement à l'échelle des communes, ce que je vous proposerai tout à l'heure, il faut trouver un autre critère statistique.

Pour les communes, nous avons donc étudié les avantages et les inconvénients de plusieurs critères visant à rendre compte de la situation économique des territoires : le taux de chômage, le taux d'activité ou un indicateur composite plus complexe établi à partir du taux de chômage et du taux d'activité. Nous avons finalement fait le choix de retenir le critère du taux de chômage, qui permet de mesurer efficacement le dynamisme interne d'une commune.

Pour mesurer l'évolution du nombre d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs et de professionnels de santé sur le territoire, et ainsi disposer d'un critère de dévitalisation, nous avons examiné l'opportunité de retenir trois critères.

D'abord, l'indicateur d'accessibilité potentielle localisée (APL), établi par le ministère de la santé pour mesurer l'accessibilité aux professionnels de santé sur un territoire donné.

Ensuite, nous avons ajouté un critère fondé sur la décomposition de la population active par catégorie socioprofessionnelle pour retenir les deux catégories qui nous intéressent sur les huit étudiées par l'Insee, à savoir les agriculteurs exploitants, d'une part, et les artisans, commerçants et chefs d'entreprise, d'autre part. Nous avons donc constitué un indicateur qui mesure l'évolution de cette population dans chaque commune.

Enfin, nous avons retenu la définition d'un indicateur relatif au nombre d'équipements par habitant. Ce dernier critère présente l'inconvénient de ne pas faire l'objet de mises à jour régulières, mais sur le fond il est très pertinent pour mesurer la fragilité ou non d'une commune.

Je poursuis avec l'âge moyen de la population. Pour ce critère, il n'y a pas de difficulté, il suffit d'utiliser l'âge déclaré auprès de l'Insee.

Je termine avec les deux derniers critères. Pour le taux de vacance des logements, il existe un indicateur suivi par l'Insee, ce qui est parfait. En revanche, nous avons dû renoncer à établir un critère relatif aux bâtiments d'exploitation vacants, car ce type de donnée n'existe pas de façon unifiée à l'échelle nationale pour toutes les communes.

Au total, pour le classement en ZRR, je vous propose que soient pris en compte huit critères : un critère principal de densité démographique et sept critères secondaires renseignant sur les dynamiques internes aux communes et aux EPCI.

J'en viens maintenant aux règles de décision que nous avons envisagées dans le cadre de l'étude exploratoire. Il s'agit, d'une part, de définir des seuils propres à chaque critère et, d'autre part, de déterminer une règle de combinaison des critères.

Pour la question des seuils, nous avons retenu la notion de médiane, qui est la plus intéressante d'un point de vue statistique, en ce qu'elle partage une série de données en deux moitiés, et constitue un indicateur de tendance centrale moins sensible aux extrêmes que la moyenne. Une commune ou un EPCI remplit un critère si la valeur qu'elle présente pour ce critère est inférieure ou supérieure, selon les critères, à la valeur médiane constatée pour toutes les communes ou tous les EPCI de France.

Pour les règles de décision, nous avons regroupé les arbitrages à effectuer en deux « arbres de décision ».

Dans la première solution, pour être classée en ZRR, une commune doit remplir le critère de densité et le critère de taux de chômage, ou trois autres critères. Cette règle de décision pourrait conduire à classer en ZRR près de 24 000 communes. J'indique qu'en définitive, sortir du classement ZRR est un signal positif.

Dans la seconde solution, pour être classée en ZRR, une commune doit remplir le critère de densité et le critère de taux de chômage, ou quatre autres critères. Cette règle de décision conduit à classer en ZRR un peu plus de 19 000 communes, contre un peu moins de 18 000 actuellement.

Voilà les évolutions possibles si l'on applique ces critères de classement à l'échelle de la commune. Maintenant, si l'on décline les deux mêmes options à l'échelle non plus de la commune, mais du périmètre actuel des EPCI à fiscalité propre, les résultats seraient moins favorables : 20 000 communes seraient classées avec la première solution et 17 500 communes seraient classées avec la seconde.

J'observe que la seconde option, qui nécessite qu'une commune remplisse le critère de densité et le critère de taux de chômage ou quatre autres critères, permet de cibler finement les fragilités des territoires, puisque nous prenons en compte un critère supplémentaire par rapport à la première option.

Pour rappel, seules 13 900 communes répondent actuellement aux critères de classement ZRR tels que définis lors de la dernière réforme de 2015. Les options présentées permettent d'augmenter ce nombre dans une fourchette comprise entre 19 000 et 24 000, tout en restant raisonnable.

J'en arrive à la question de la maille d'application du dispositif.

Les derniers rapports publiés sur le sujet, notamment par l'Association des maires de France, mettent en avant l'idée d'opter pour une application des critères à l'échelle communale. De mon côté, j'ai toujours été dubitatif quant à l'idée de prendre en compte l'échelle des EPCI, compte tenu des intercommunalités « XXL » que nous rencontrons de plus en plus dans les territoires ruraux, et qui ont tendance à dissimuler de fortes disparités internes entre les communes.

Je l'avais déjà annoncé en 2019 et j'avais souhaité en faire un point important du rapport d'information que j'avais rendu avec Bernard Delcros et Frédérique Espagnac. C'est pourquoi je propose à la commission que le classement en ZRR s'effectue désormais par l'application des critères à la maille des communes.

Ce serait là une véritable évolution, voire une petite révolution, puisque le classement ZRR n'a jamais été appliqué à l'échelle communale, contrairement à ce que j'ai pu lire ou entendre ici ou là. Auparavant, on considérait les cantons, les arrondissements ou les EPCI. Mais jamais les critères n'ont été appliqués uniquement à l'échelle des communes.

Nous avons envisagé de maintenir le classement à l'échelle de l'EPCI, tout en instaurant une règle d'ajustement du type « si la moitié des communes membres d'un EPCI répondent aux critères de classement, alors l'ensemble de l'EPCI bascule en ZRR ». Nous avons écarté cette option pour deux raisons. Tout d'abord parce qu'elle ajoute un étage de complexité dans un système déjà complexe par ailleurs. Ensuite, cela conduit à un classement moins fin, car des communes qui, prises isolément, ne répondraient pas aux critères de classement pourraient être classées en ZRR. À l'inverse, des communes qui, individuellement, rempliraient les critères d'éligibilité seraient écartées du zonage dès lors qu'elles appartiennent à un EPCI non ZRR. Ce serait donc manquer l'objectif d'efficacité que nous recherchons.

Il me semble qu'il est désormais opportun de procéder à cette évolution et de passer à la maille communale. Nous sommes particulièrement légitimes, au Sénat, pour le faire. Cette évolution me semble d'autant plus logique que de très nombreux dispositifs budgétaires et fiscaux et politiques publiques sont adossés à ce classement et s'adressent directement aux communes, par exemple : l'éligibilité au fonds de compensation de la TVA pour les communes qui réalisent des investissements immobiliers destinés à l'installation de professionnels de santé, l'assouplissement des règles de création des officines de pharmacie et, bien sûr, les exonérations d'impôts réalisées sur des recettes fiscales communales - et la liste est encore longue.

Enfin, je terminerai en évoquant les règles de décision qui nous permettraient de classer les communes ZRR en trois niveaux en fonction de leurs fragilités, conformément à l'une des propositions que nous avions formulées en 2019.

Une fois le nombre total de communes classées en ZRR déterminé, nous devons répartir ces communes en deux ou trois niveaux de fragilité pour, dans un second temps, ce qui n'était pas l'objet de la mission confiée au prestataire, décliner les dispositifs fiscaux et budgétaires ainsi que les politiques publiques à mettre en oeuvre pour répondre aux fragilités des communes concernées.

Nous avons retenu comme hypothèse de travail, dans le cadre de l'étude exploratoire, une règle de décision proche de celle élaborée pour le classement en ZRR. La règle présente un certain degré de complexité, mais elle découle de notre volonté d'être équitable et de limiter les effets de bord. Pour résumer : plus une commune classée en ZRR remplit de critères, plus son niveau de classement sera prioritaire.

Avant nos échanges, je voudrais répondre par anticipation à une critique qui ne manquera pas de nous être opposée : le dispositif que nous proposons serait trop compliqué et les critères trop nombreux.

En premier lieu, je répondrai que ce dispositif a l'inconvénient de son avantage : il permet d'appréhender très finement et objectivement la situation des communes rurales, et de prendre en compte de façon très précise leurs caractéristiques et leurs fragilités. La complexité du système est nécessaire si l'on veut être précis et fin. Nous pouvons l'atténuer en prévoyant une révision régulière du classement, tous les six ans par exemple, lors de chaque renouvellement des conseils municipaux, pour assurer une visibilité aux équipes municipales et aux acteurs économiques.

Ensuite, je répondrai que dix zonages actifs existent aujourd'hui en France, dont neuf ont été créés entre 1995 et 2020. En 2019, plus de 21 000 communes bénéficiaient d'un ou plusieurs zonages, dont chacun reposait sur des critères spécifiques, à des échelles de classement différentes, alors même qu'ils répondaient à des finalités et des objectifs parfois proches. Dès lors, le zonage ZRR que nous proposons, fondé sur des critères multiples, pourrait constituer un zonage intégrateur, qui viendrait absorber et se substituer à des zonages existants, dans une logique d'efficacité, de lisibilité et de cohérence.

Enfin, je répondrai que le classement actuel, qui repose uniquement sur la densité et le revenu médian, présente des inconvénients majeurs. Sont aujourd'hui classés en ZRR les EPCI dont la densité démographique et le revenu médian sont tous deux en dessous des seuils retenus. Or on observe que de nombreuses communes sont juste au-dessus du seuil de densité, mais significativement en dessous du seuil de revenu, alors que certains EPCI sont au-dessus du seuil de revenu, mais très en dessous du seuil de densité.

Dès lors, ne retenir que ces deux critères concomitants peut entraîner des situations injustes : une commune très largement en dessous du seuil de revenu, mais à peine au-dessus du seuil de densité, ne peut bénéficier du dispositif, et inversement.

Par ailleurs, du fait de la variation des périmètres intercommunaux d'un mandat à l'autre, des EPCI peuvent entrer ou sortir du dispositif, alors même que la situation des communes membres n'a pas évolué.

Je vous propose de valider aujourd'hui les critères statistiques correspondant aux critères socio-économiques de notre rapport de 2019, mais aussi l'application du classement à l'échelle des communes et non plus des intercommunalités. Ce serait là une évolution majeure du dispositif ; le Sénat a toute la légitimité requise pour la proposer. Je vous propose également de valider une cible comprise entre 19 000 et 24 000 communes classées en ZRR et, enfin, de retenir une ventilation à trois niveaux visant à placer dans le niveau 3, regroupant les communes les plus fragiles, un nombre relativement faible de communes, afin de concentrer les principaux dispositifs de soutien dans ces communes et de pouvoir les évaluer. Au total, nous parviendrons ainsi à un zonage plus juste et mieux ciblé.

Pour la suite, j'ai besoin de votre avis sur la méthode : comment mener les concertations avec les associations d'élus locaux, et quelle stratégie définir par rapport au Gouvernement ?

M. Jean-François Longeot, président. - Merci à Rémy Pointereau pour ce travail complexe, mais nécessaire, pour répondre aux attentes fortes des élus locaux, qui porte sur le coeur des missions de notre commission en matière d'aménagement du territoire.

M. Didier Mandelli. - Concernant la suite à donner à l'étude exploratoire, il me semble que le travail du Gouvernement s'en trouve considérablement facilité ! La prochaine étape est simple : il convient de trouver un débouché législatif au plus vite.

Mme Angèle Préville. - Merci pour tout le travail accompli. On voit bien que les conditions socio-économiques évoluent au sein des territoires ruraux ; je m'interroge sur la pertinence du taux de chômage comme critère de santé économique. Ainsi, dans mon département, des postes ne trouvent pas preneurs, dans tous les corps de métier, au-delà du secteur médical : cela illustre les problèmes d'attractivité du territoire plutôt que sa santé économique.

M. Gérard Lahellec. - Dans les Côtes-d'Armor, on est passé en trois ans de vingt-neuf à huit intercommunalités. En effet, la nouvelle échelle ne permet pas la prise en compte des spécificités de chaque commune ; nombreuses sont celles qui le regrettent, au-delà de la définition des ZRR. Je salue en tout cas l'idée de retenir l'échelle communale pour le zonage, quand bien même elle ne s'inscrit pas, à première vue, dans l'air du temps !

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je félicite à mon tour Rémy Pointereau pour ce travail très intéressant, dans la lignée des travaux de notre délégation aux entreprises sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. Quant au nombre de critères à retenir, je sais par expérience qu'il convient souvent de l'accroître un peu, tout en précisant certains d'entre eux, notamment ceux qui mesurent l'activité économique. Je m'interroge également sur la suite qui pourra être donnée à cette étude exploratoire.

M. Rémy Pointereau. - Merci pour vos remarques, qui témoignent d'un large consensus entre nous sur cette question.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Je partage complètement vos orientations.

Que pouvez-vous nous dire sur les classements en zone d'intervention prioritaire (ZIP) ? Comment les articulez-vous avec les ZRR ? C'est important au regard des questions relatives à la désertification médicale.

M. Rémy Pointereau. - Je pense que les critères retenus pourraient conduire à une fusion des deux classements. Les communes classées en ZRR correspondront logiquement aux déserts médicaux.

M. Didier Mandelli. - Y a-t-il des mesures spécifiques pour les outre-mer ?

M. Rémy Pointereau. - Les communes ultramarines relèvent d'un autre régime, celui des zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG), en application de l'article 19 de la loi de finances pour 2019.

Mme Christine Herzog. -Les départements frontaliers seront vraisemblablement moins concernés par ce zonage des ZRR en métropole.

La commission adopte le rapport d'information ainsi que ses recommandations et en autorise la publication.

La réunion est close à 11 h 55.