Mardi 13 décembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Examen des amendements aux articles délégués au fond

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons aujourd'hui les amendements de séance sur les articles délégués au fond du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 11

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Avis défavorable à l'amendement de suppression n°  73, déposé par nos collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. La transposition en droit interne du mécanisme de régularisation en cas d'exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés publics et des contrats de concession nous est imposée par les directives européennes de 2014. Nous avons cependant encadré ce dispositif lors de l'examen du projet de loi en commission, afin de préserver l'effet dissuasif des peines d'exclusion de plein droit.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 73.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Je suis défavorable à l'amendement n°  59, déposé par le Gouvernement, qui vise à supprimer l'évaluation des mesures de régularisation que nous avons introduite. Les services du ministère de l'économie considèrent que cette évaluation est implicite, ce qui ne peut nous satisfaire.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 59.

Article 18

M. Didier Marie, rapporteur pour avis. - Je vous propose d'émettre un amendement favorable à mon amendement légistique n°  79.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 79.

La commission a donné les avis suivants aux autres amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article 11

Mme APOURCEAU-POLY

73

Défavorable

Le Gouvernement

59

Défavorable

Article 18

Auteur

Avis de la commission

M. MARIE

79

Favorable

La réunion est close à 14 h 05.

Mercredi 14 décembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9h00.

Projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 - Désignation d'un rapporteur

M. François-Noël Buffet, président. - Le projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ne sera examiné en conseil des ministres que le 21 décembre. Sa discussion en séance publique étant prévue pour la fin du mois de janvier, il importe néanmoins que la commission des lois, qui en sera saisie au fond, désigne un rapporteur.

La commission désigne Mme Agnès Canayer rapporteur du projet de loi portant sur les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, sous réserve de son dépôt.

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments - Désignation d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution

La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la recevabilité de la proposition de résolution n° 148 (2022-2023) tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments, présentée par M. Guillaume Gontard et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur. - Mes chers collègues, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a demandé, au titre de son droit de tirage, la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments.

Notre commission doit se prononcer sur la recevabilité de cette proposition de résolution, qui sera présentée ce jour à la Conférence des présidents. Il apparaît que ce texte respecte les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. D'une part, il n'a pas pour effet de reconstituer une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois. D'autre part, il porte sur la gestion de services publics, puisque la commission d'enquête devrait notamment faire porter ses investigations sur les objectifs de la politique publique de rénovation énergétique des bâtiments ; sur l'évolution du cadre normatif en vigueur, sur l'efficacité de dispositifs comme MaPrimeRénov' et sur l'action des agences de l'État dans leur mise en oeuvre ; sur le rôle des collectivités territoriales et sur les moyens dont elles disposent pour accompagner cet effort national.

Je vous invite donc à constater la recevabilité de cette proposition de résolution, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux.

La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments.

Régime juridique du secours en mer et accueil des personnes débarquées - Audition de M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France au ministère de l'intérieur et des outre-mer

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous accueillons ce matin M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France, dans un contexte particulier : il s'agit pour nous d'appréhender, d'un point de vue juridique et organisationnel, la situation née de l'accueil de l'Ocean Viking dans le port de Toulon voilà maintenant quelques semaines.

Je vous informe qu'assiste à notre réunion M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.

On compte, en Méditerranée, un grand nombre de navires qui, souvent sur l'initiative d'organisations non gouvernementales (ONG), prennent à leur bord des migrants au cours de leur tentative de traversée vers l'Europe ; naturellement, ces navires cherchent des ports d'attache. Récemment, l'Ocean Viking a été accueilli en France, ce qui n'avait pas été le cas, voilà quelques années, de l'Aquarius - le gouvernement de l'époque s'y était opposé - et ce qui, par ailleurs, tend la relation avec nos amis italiens.

Un dispositif d'accueil et d'examen administratif des situations a été mis en place ; les procédures ont été si complexes qu'elles n'ont peut-être pas permis de traiter les dossiers dans les conditions souhaitées. L'objectif de la commission des lois n'est pas d'accuser quiconque, mais de comprendre comment les choses se sont organisées et pourquoi elles se sont avérées juridiquement si compliquées, d'autant qu'un projet de loi sur l'immigration nous sera soumis au mois de mars prochain. Le droit en vigueur a été respecté, mais était-il véritablement adéquat ?

Il nous faut donc appréhender le droit de la mer et les conditions de traitement de ces situations exceptionnelles à l'aune des événements que nous avons vécus depuis 2015. Ce travail nous permettra peut-être d'apporter des modifications législatives utiles au texte que nous aurons à examiner.

Ce qui est important pour nous, j'y insiste, c'est de savoir qui fait quoi, qui est responsable de quoi, car, dans ces situations, tout le monde a vite fait de se renvoyer la balle. Tel est l'état d'esprit de la commission des lois.

M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France. - Je commencerai par revenir sur les faits.

L'ONG SOS Méditerranée a indiqué, dans les premiers contacts qu'elle a eus avec les autorités françaises, qu'elle avait, entre le 21 et le 26 octobre, effectué six opérations de sauvetage dans les zones de responsabilité dites SAR (Search and Rescue) libyennes et maltaises et que le navire Ocean Viking, faute de réponse des autorités maritimes compétentes, avait décidé de faire route vers la France.

Quelques jours s'écoulent jusqu'à ce que le navire entre dans la zone de responsabilité française, dans la nuit du 9 au 10 novembre. C'est à ce moment que les autorités françaises prennent la décision, d'une part, de procéder à une opération d'évacuation sanitaire (EVASAN) de quatre personnes - cette EVASAN s'est faite en hélicoptère en direction de la Corse - et, d'autre part, d'assigner un port sûr, en l'occurrence Toulon, à l'Ocean Viking.

À ce moment-là, nous disposions d'une liste indicative des personnes prises en charge, par nationalité, par sexe, par tranche d'âge, ainsi que d'un état de la situation sur le navire. En témoigne un message que le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) ou Maritime Rescue Coordination Centre (MRCC) Gris-Nez a reçu dans l'après-midi du 8 novembre : « Les dernières vingt-quatre heures à bord ont été tendues, une autre personne en détresse émotionnelle a exprimé son désespoir et ses pensées de sauter par-dessus bord. L'équipe médicale traite à nouveau les personnes souffrant de déshydratation, car la nature des conditions de vie temporaires et l'exposition aux éléments signifient que l'état de santé général de tous les survivants reste précaire. Plusieurs survivants, jusqu'à six à notre connaissance, refusent les repas, car le niveau de détresse augmente chaque jour supplémentaire passé à bord. Plusieurs personnes souffrent de sevrage nicotinique et présentent des signes d'agitation. L'équipe médicale propose des timbres à la nicotine, mais les survivants n'acceptent pas encore cette thérapie. Elle surveille de près les patients nécessitant des soins hospitaliers qui pourraient nécessiter une EVSAN dans les prochaines quarante-huit heures si la situation n'a pas évolué ou plutôt si une nouvelle détérioration est observée. »

Compte tenu de la présence de ce navire dans les eaux de responsabilité française et de la situation telle qu'elle était décrite, les autorités françaises ont pris la décision d'assigner un port à l'Ocean Viking.

Comment cela s'est-il concrètement déroulé ? Le dispositif mis en place peut être décrit en deux phases principales : une phase de débarquement qui a eu lieu sur l'emprise de la base militaire de Toulon ; une phase d'hébergement et d'examen des situations par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

La phase du débarquement, tout d'abord : compte tenu de leur nombre et de leur état sanitaire, ces personnes, au nombre de 230, ont été accueillies dans un premier temps au port militaire de Toulon. Du fait de la disponibilité du site, de la possibilité d'y concentrer des moyens humains et logistiques et d'y bénéficier en tant que de besoin du concours des moyens de la base de défense, il a été considéré que cette option réunissait les meilleures conditions pour organiser, au début d'un week-end de trois jours, le débarquement et la prise en charge.

Au lieu de débarquement, la prise en charge s'est faite en trois étapes : un examen sécuritaire simple effectué par 80 militaires de la gendarmerie maritime et 20 fonctionnaires de la direction départementale de la sécurité publique ; un examen sanitaire, simple lui aussi, effectué par 65 sapeurs-pompiers du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) ; un premier recueil déclaratif des éléments d'état civil effectué par 30 fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) et 15 fonctionnaires de la douane.

À l'issue de ces trois étapes de débarquement, les personnes prises en charge ont été interrogées par des équipes constituées d'agents de la douane et de la PAF sur leur souhait de procéder à une demande d'asile avant de recevoir notification de leur placement en zone d'attente ; puis elles ont été acheminées vers le site du centre communal d'action sociale (CCAS) EDF d'Hyères, situé sur la presqu'île de Giens, afin d'y bénéficier d'un hébergement. Tout au long de ce processus, chaque personne a pu bénéficier de prestations d'interprétariat. Pour ce qui est de cette phase, immédiatement consécutive au débarquement, ce sont donc pour l'essentiel des opérations sanitaires, sécuritaires, humanitaires et de recueil d'informations de base qui ont été conduites sur l'emprise de la base militaire. Les opérations ont été menées en totalité au cours de la journée du 11 novembre, l'accostage ayant eu lieu un peu avant neuf heures et le dernier départ en direction du site d'hébergement un peu avant vingt et une heures.

La deuxième phase, ensuite : une phase d'hébergement et d'examen des situations par l'Ofpra au CCAS EDF d'Hyères, qui a été aménagé pour la circonstance - séparation des espaces de repos, de restauration, de vie, confidentialité des entretiens garantie, présence sur les lieux de services de sécurité, d'avocats, d'associations. Le cadre juridique et d'organisation des zones d'attente défini dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) est relativement précis. Sous réserve de l'examen souverain du juge, qui ne s'est pas prononcé au fond, mais seulement en référé, ce cadre a été mis en oeuvre.

Conformément aux articles L. 343-4 et suivants du Ceseda, les parlementaires français et européens, le délégué du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et les associations habilitées ont pu accéder à la zone d'attente - en totalité pour la deuxième partie, avec des restrictions pour la partie relative au débarquement, restrictions dont nous avons eu à nous expliquer devant le juge des référés. La Croix-Rouge française et l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) ont notamment pu intervenir pour accompagner les personnes placées en zone d'attente.

Cette deuxième phase a permis de mettre en oeuvre les éléments suivants : la remise des mineurs non accompagnés (MNA) aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) du conseil départemental du Var - 44 mineurs non accompagnés, dont l'un a ensuite fait l'objet d'un refus de minorité ; le placement des adultes et des mineurs qui les accompagnaient en zone d'attente ; l'examen au cours du week-end des demandes d'asile à la frontière par 15 officiers de protection de l'Ofpra, qui dispose de quarante-huit heures ouvrées pour procéder aux entretiens en zone d'attente ; la conduite d'entretiens sécuritaires par les services compétents ; l'orientation vers le dispositif national d'accueil (DNA) pour les personnes admises à entrer sur le territoire national pour y déposer une demande d'asile.

Vous connaissez par ailleurs les règles qui s'appliquent à la zone d'attente et à l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD).

Permettez-moi de dire un mot sur le profil des personnes prises en charge : parmi les 234 passagers de l'Ocean Viking, nous avons recensé 44 mineurs non accompagnés, 179 adultes, 11 mineurs accompagnés ; 210 hommes et 24 femmes ; 53 ressortissants présumés du Bangladesh, 27 d'Égypte, 39 d'Érythrée, 2 d'Éthiopie, 2 de Gambie, 1 du Ghana, 8 de Guinée, 4 de Côte d'Ivoire, 22 du Mali, 1 du Maroc, 3 du Nigéria, 28 du Pakistan, 9 du Soudan, 3 du Soudan du Sud et 32 de Syrie.

J'en viens à quelques éléments de droit sur ce qui s'est passé ensuite et sur le « destin » de ces 234 passagers.

Le placement en zone d'attente s'applique à des personnes de nationalité étrangère qui entrent dans l'espace Schengen sans remplir les conditions légales pour y être autorisées, ce qui était le cas des passagers de l'Ocean Viking. Ces personnes ne sont pas autorisées à pénétrer sur le territoire national ; elles sont donc dans l'obligation de demeurer en zone d'attente sous le contrôle des services de la police aux frontières. Ce cadre législatif, nous l'appliquons régulièrement ; nous avons tiré de cette expérience des documents de planification et d'anticipation qui ont d'ailleurs fait l'objet d'une refonte au premier semestre 2022. Cette planification répond aux exigences du règlement (UE) 2019/1896 du 13 novembre 2019, le règlement Frontex.

Concernant la délimitation de la zone d'attente, l'article L. 341-1 du Ceseda dispose que l'étranger qui arrive en France par la voie maritime et qui n'est pas autorisé à entrer sur le territoire français peut être placé dans une zone d'attente dans un port ou à proximité d'un lieu de débarquement. L'article L. 341-6, quant à lui, dispose que la zone d'attente s'étend des points d'embarquement et de débarquement à ceux où sont effectués les contrôles des personnes, et qu'elle peut inclure un ou plusieurs lieux d'hébergement assurant aux étrangers concernés des prestations de type hôtelier. C'est la raison pour laquelle, dans son arrêté du 10 novembre, le préfet du Var a établi un périmètre de zone d'attente comprenant, d'une part, le site de débarquement sur l'emprise militaire de la base de Toulon et, d'autre part, le site de Giens, qui était le plus proche site hôtelier disponible et susceptible de correspondre aux exigences de la zone d'attente.

Le maintien en zone d'attente à la suite de la décision initiale de placement ne peut excéder une durée de quatre jours, au terme de laquelle le JLD doit être saisi aux fins de prolonger le placement pour une période de huit jours renouvelable une fois. L'article L. 342-5 du Ceseda prévoit que le juge se prononce dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa saisine ou de quarante-huit heures si les nécessités de l'instruction l'imposent. À l'occasion de l'arrivée de l'Ocean Viking, le JLD a ainsi eu à connaître de 140 situations concernant 15 nationalités différentes. Les requêtes aux fins de prolongation de ce maintien en zone d'attente n'ayant pu être traitées par les juges dans le délai de vingt-quatre heures, la plupart des étrangers qui étaient placés en zone d'attente et n'avaient pas reçu de visa de circulation après premier examen de leur situation par l'Ofpra ont été remis en liberté. Je le précise, lorsque l'Ofpra considère que la demande d'asile n'est pas manifestement infondée, cela se traduit par la délivrance d'un visa de circulation d'une durée de huit jours qui permet à l'étranger d'être orienté vers un guichet unique de demande d'asile.

En l'occurrence, ont été présentées au JLD les personnes qui n'avaient pas reçu de visa de circulation, l'Ofpra ayant considéré que leur demande d'asile était manifestement infondée. Les juges, eux, ont considéré que la possibilité de se prononcer dans un délai de quarante-huit heures constituait une dérogation, laquelle devait s'apprécier au cas par cas et qu'en l'espèce, elle ne pouvait pas résulter d'un contexte extérieur au dossier, décision confirmée en appel, puisque le parquet et le préfet ont fait appel.

Le parquet a fait appel des décisions concernant les personnes qui avaient été convoquées et dont l'audition n'avait pas pu avoir lieu ; il a soutenu que le fait que l'audition n'avait pas pu se tenir, donc le passage au délai de quarante-huit heures, devait s'apprécier comme appartenant aux nécessités de l'instruction. Telle n'est pas la solution qui a été retenue, ni par le JLD ni en appel ; il appartiendra au Gouvernement et au Parlement de préciser, si cela s'avère nécessaire, les conditions dans lesquelles le juge peut avoir recours à ce délai étendu de quarante-huit heures, par exemple en incluant explicitement le cas du placement en zone d'attente d'un nombre important d'étrangers au regard des capacités du service juridictionnel.

Je dirai quelques mots de l'intervention du juge administratif : le juge des référés - tribunal administratif de Toulon le 15 novembre, Conseil d'État le 19 novembre - a rejeté les référés introduits notamment par l'Anafé. Par ailleurs, le juge administratif a été saisi de 29 recours contre des décisions de non-admission. Il n'a libéré que 4 personnes qui avaient été maintenues en zone d'attente et qui devaient faire l'objet d'un éloignement ; la majorité des recours administratifs ont concerné des personnes ayant déjà été libérées par le JLD, ce qui a simplifié l'office du juge administratif...

Un point à date, maintenant, de la situation de ces personnes débarquées : sur les 234 personnes qui étaient présentes à bord de l'Ocean Viking, 44 mineurs non accompagnés ont donc été confiés aux services de l'ASE du département du Var, dont l'un a été ensuite reconnu majeur et réorienté vers le dispositif national d'accueil ; 190 personnes, dont 179 adultes et 11 mineurs accompagnés, ont été placées en zone d'attente. Sur ces 190 personnes, 71 avaient été admises à entrer sur le territoire à la suite de l'avis favorable de l'Ofpra, 115 ont été « libérées » - 111 par le JLD, 4 par le tribunal administratif -, 4 ont été éloignées, 2 vers le Mali, 2 vers le Bangladesh. Sur les 187 personnes qui ont finalement été orientées vers le dispositif national d'accueil (DNA) en vue d'une demande d'asile - 71 + 115 + 1 personne requalifiée comme majeure -, 129 ont enregistré une demande d'asile dans les guichets uniques de demande d'asile, 7 sont en instance de relocalisation vers la Finlande, 2 ont quitté le dispositif national d'accueil malgré l'enregistrement de leur demande, 3 mineurs accompagnés d'adultes sans lien direct de parenté ont finalement été confiés à un administrateur ad hoc, 53 ont quitté le dispositif sans demander l'asile en France et 3 sont encore dans le DNA sans que leur demande d'asile ait pu être enregistrée à ce jour - les opérations continuent.

Enfin, je ferai deux remarques complémentaires correspondant à deux questions que nous pouvons nous poser.

La première question est celle des conditions d'intervention du JLD, en particulier des conditions d'utilisation du délai de quarante-huit heures pour statuer.

La seconde a trait au cadre communautaire dans lequel s'inscrivent ces dispositions : en particulier, les relocalisations auxquelles un certain nombre de pays de l'Union européenne s'étaient engagés au profit de la France n'ont de caractère « obligatoire » que pour les États qui s'y engagent, mais non pour les personnes migrantes elles-mêmes - c'est seulement sur la base du volontariat qu'une personne peut être relocalisée dans un autre pays de l'Union.

M. Jean-Yves Leconte. - Je poserai cinq questions.

Premièrement, confirmez-vous que, dès le débarquement, les mineurs non accompagnés ont bien été placés à l'ASE ?

Deuxièmement, il me semble que ce sont notre loi et notre réglementation, plutôt que le droit communautaire, qui sont en question en matière d'asile à la frontière et d'obligation pour l'Ofpra d'émettre un avis sur les dossiers.

Troisièmement, les choses auraient-elles été différentes si le bateau avait débarqué dans le ressort d'un tribunal judiciaire adapté au traitement de ce type de situations ?

Quatrièmement, quels sont les passagers de l'Ocean Viking qui ont été inscrits dans le système d'information Eurodac ?

Cinquièmement, des leçons ont-elles été tirées de cette expérience eu égard aux négociations en cours sur le Pacte européen sur la migration et l'asile ?

Je rappelle, en réponse aux propos qui ont pu être tenus, que les ONG sauvent des personnes en mer, étant précisé que 85 % des gens qui arrivent sur le territoire européen par la Méditerranée arrivent par eux-mêmes, et non dans les navires des ONG.

M. André Reichardt. - Si j'ai bien compris, SOS Méditerranée est d'abord intervenue directement auprès de Malte et de la Libye, le navire se trouvant successivement dans les zones SAR de ces deux pays. La France avait-elle compétence pour recevoir ce bateau et ces migrants ? N'était-ce pas plutôt à Malte ou à la Libye de les accueillir ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Merci, monsieur le président, de votre invitation.

L'écho médiatique de cet épisode a été considérable. Pourtant, 230 migrants débarquant en France, c'est un nombre très réduit par rapport au flux migratoire permanent et quotidien - la nouveauté est qu'ils sont venus de la mer.

Qui fait quoi ? Telle est la question : comment ces bateaux sont-ils financés ? Qui est à la tête de ces structures ? Pour connaître nombre d'entre eux, je peux vous dire que les armateurs qui arment ces bateaux sont des gens très respectables. Ils ont soutenu des initiatives liées au droit de la mer - avant tout, ce sont des marins - et leur action a été dévoyée, en tout cas mal orientée, par les ONG qui gèrent ces structures. Avez-vous, vous aussi, ce sentiment ?

Reste que, au regard de la situation générale, le poids de ce genre de débarquements est infime - et c'est un homme du Pas-de-Calais qui vous le dit.

M. Didier Marie. - Vous avez indiqué que 53 des migrants débarqués avaient quitté le DNA. Que sont-ils devenus ?

M. Éric Jalon, directeur général des étrangers en France. - Les mineurs non accompagnés ont été confiés à l'ASE, ainsi que le prévoient les textes, dès l'après-midi du 11 novembre, après un passage de quelques heures dans le site d'hébergement de Giens, même s'ils n'ont pas juridiquement été placés en zone d'attente.

Concernant l'articulation entre notre cadre juridique sur l'asile à la frontière et le cadre communautaire, vous avez tout à fait raison, monsieur Leconte : dès lors qu'une personne a été admise à pénétrer sur le territoire national pour y déposer une demande d'asile, c'est l'Ofpra qui doit examiner la demande. Nous sommes donc redevables de l'examen de l'ensemble des demandes d'asile qui ont été présentées. Le cadre des relocalisations repose sur une double volonté : celle, d'une part, de l'État qui accueille volontairement la relocalisation et endosse ainsi la responsabilité de la demande d'asile, sur le fondement de l'article 17 du règlement de Dublin ; celle, d'autre part, de la personne relocalisée. Notre cadre ne va pas plus loin que cela, en attendant la fin des négociations sur le Pacte sur la migration et l'asile.

Après la déclaration de La Valette, en 2019, conséquence de l'épisode de l'Aquarius, et après la décision prise en juin, sous présidence française de l'Union européenne, d'instaurer un mécanisme volontaire de solidarité, il s'agit maintenant de donner un cadre législatif plus ferme, plus contraignant, plus engageant, à ce dispositif de relocalisation.

Les choses se seraient-elles passées différemment si l'Ocean Viking avait débarqué dans le ressort d'un autre tribunal judiciaire ? En l'occurrence, les moyens du tribunal judiciaire de Toulon ont été renforcés : cinq JLD ont été mobilisés par la cour d'appel d'Aix-en-Provence pour venir en renfort du tribunal judiciaire. Le débarquement eût-il eu lieu Marseille, on aurait été dans le ressort de la même cour d'appel et la marge de manoeuvre disponible n'aurait pas été très différente.

Quid des enseignements que l'on peut tirer de cette expérience ? La situation de l'Aquarius, en juin 2018, était différente : à ma connaissance, ce navire n'avait pas pénétré dans la zone de responsabilité Search and Rescue française. À la suite de la décision prise par le gouvernement italien de fermer ses ports, les débarquements de personnes avaient été gérés au cas par cas, de manière bilatérale, par quelques États membres volontaires, dont la France, qui avait eu un rôle pionnier en la matière. Un mécanisme temporaire avait ensuite été mis en place, le 23 septembre 2019, par quatre pays - France, Allemagne, Italie, Malte - dans la déclaration de La Valette.

Malgré cette déclaration, les débarquements de navires de sauvetage sont restés suspendus à des négociations souvent longues entre les États membres. Le Pacte sur la migration et l'asile présenté par la Commission européenne le 23 septembre 2020 a notamment pour objet de définir des procédures de solidarité obligatoires, concernant en particulier la répartition des personnes secourues en mer ; les négociations afférentes ne sont pas encore abouties. La présidence française a permis l'adoption d'une déclaration de solidarité qui crée un mécanisme temporaire et volontaire de relocalisation de 10 000 personnes par an - c'est ce mécanisme qui a été suspendu pour ce qui est des relocalisations de l'Italie vers la France à la suite de l'accueil de l'Ocean Viking. La Commission européenne a par ailleurs émis des recommandations relatives à la coopération entre les États membres en matière de secours en mer, et un groupe de contact censé faciliter la coordination des activités des États membres avec celles des ONG s'est réuni deux fois en 2021. À l'occasion du Conseil « Justice et affaires intérieures » exceptionnel du 25 novembre dernier, il a été proposé de réactiver ce groupe.

Nous avons donc à présent une feuille de route, signée sous présidence tchèque le 7 septembre 2022, en vue de l'adoption avant la fin de la législature européenne d'un certain nombre de textes, dont celui qui permettra de consolider le cadre juridique des opérations de relocalisation.

Monsieur Reichardt, les espaces maritimes sont divisés en zones dites Search and Rescue placées chacune sous la responsabilité d'un État via son MRCC.

En l'espèce, de ce que je comprends des informations qui nous avaient été données par l'ONG SOS Méditerranée, six opérations de secours se sont faites dans les eaux libyennes et maltaises ; et, toujours selon l'ONG, les autorités libyennes et maltaises n'ont pas répondu aux demandes d'assignation d'un port sûr. Ce bateau continuant sa navigation vers le nord, il a fini par se trouver dans les eaux françaises. Et les autorités françaises ont considéré, en application du droit international applicable au secours en mer, qu'il était de leur responsabilité de leur assigner un port sûr - le secrétaire général de la mer vous donnera l'ensemble des précisions nécessaires.

Y a-t-il matière à redire quant à l'intervention des ONG ? Plus exactement, il nous semble nécessaire de mieux encadrer les opérations des ONG en précisant leurs droits et obligations et en mettant en place un cadre de coopération plus clair entre les États de la Méditerranée et lesdites organisations, pour davantage de coopération et d'anticipation. C'est ce qu'a redit le Conseil « Justice et affaires intérieures » réuni de manière exceptionnelle le 25 novembre à la demande de la France : les ministres y ont souligné « la nécessité de prévenir les pertes de vie en mer et ont soutenu l'intention de la Commission de relancer le groupe de contact européen sur la recherche et le sauvetage afin, entre autres, d'élaborer un cadre de coordination et de coopération avec tous les acteurs impliqués dans les opérations ». Dit autrement, il s'agit d'établir un cadre de bonnes pratiques avec les ONG. Je ne m'étendrai pas sur le comportement de ces dernières. On lit beaucoup de choses à ce sujet, avec des coupures de transpondeurs alléguées par exemple, mais tel n'est pas le champ de compétence de la direction générale des étrangers en France. En tout état de cause, le constat de la nécessité de reprendre ce travail d'élaboration d'un cadre de coordination est criant.

Concernant le nombre de demandes d'asile, en 2022, environ 13 000 demandes sont enregistrées chaque mois, ce qui devrait engendrer un total de 125 000 à 135 000 demandes à la fin de l'année, soit un niveau proche de celui historiquement record de 2019. Ce dernier sera d'ailleurs probablement dépassé en 2023 si la tendance actuelle se poursuit.

Dans le cas qui nous occupe, il s'agit de 190 personnes majeures, ce qui est peu au regard du nombre de demandes d'asile adressées à la France. Rapporté à sa population, le nombre de demandeurs d'asile accueillis en France est moins important que celui de certains pays européens, mais plus important, par exemple, que celui de l'Italie.

Pour répondre à M.  Marie, dès qu'un visa de circulation sur le territoire national a été accordé aux personnes arrivées en France afin d'effectuer leur demande d'asile, ces dernières sont hébergées dans le cadre du DNA, sans obligation d'y rester. Nous ignorons où se sont rendues ces 53 personnes. Certaines d'entre elles ont déclaré vouloir rejoindre l'Allemagne par leurs propres moyens. Nous les avons mises en garde, car elles relèveraient dès lors du règlement de Dublin III : les Allemands pourraient refuser de prendre en compte leurs demandes d'asile, puisqu'elles ont déjà été enregistrées en France, et mettre en oeuvre un « transfert Dublin ». De même, nous pourrions les intégrer au dispositif de l'orientation directive. En effet, lorsqu'elles quittent la région de résidence et l'hébergement qui leur ont été assignés pour l'examen de leur demande d'asile, ces personnes perdent les conditions matérielles d'accueil qui leur sont associées.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Concernant le caractère adapté des zones d'attente à ce type de situation caractérisée par l'arrivée massive et simultanée de migrants, notre droit n'est-il pas insuffisamment directif pour traiter ces cas de figure très particuliers ?

Il n'est pas question de ne pas respecter les droits de chacun, mais, une évolution obligatoirement législative n'est-elle pas nécessaire pour disposer d'un système plus encadré et, en réalité, plus dirigiste ?

M. Éric Jalon. - La zone d'attente est le système le plus encadré à notre disposition actuellement. C'est l'état du droit, même si je ne dis pas que cela est satisfaisant. J'ajoute que la constitutionnalité et la conventionnalité de ce dispositif ont été contestées une fois encore, à l'occasion des référés qui ont été introduits, par des acteurs associatifs et une fois de plus défendues par le Gouvernement, grâce aux décisions, assez nombreuses, du Conseil constitutionnel relatives aux zones d'attente portant sur certains textes qui ont contribué à consolider ce dispositif.

Avec les termes et la réserve qui conviennent à un représentant de l'administration, je dépeindrai les difficultés rencontrées selon les étapes considérées.

D'abord, nous délivrons un visa de circulation de huit jours afin que les demandeurs d'asile puissent déposer leur demande. Dans les faits, nos actions ont été aussi incitatives que possible. Ainsi, nous avons transporté ces personnes vers des hébergements du dispositif national d'accueil au moyen de bus, puis nous les avons ensuite orientées vers des guichets uniques de demande d'asile, situés respectivement à Nice pour celles séjournant dans les départements du Var ou des Alpes-Maritimes, et à Marseille pour la majorité d'entre elles.

Pouvons-nous les obliger à déposer leur demande d'asile et donner à cette démarche mise en oeuvre un cadre plus contraignant, voire coercitif ? Le droit français actuel ne le permet pas, tout comme, me semble-t-il, le droit européen.

Ensuite, s'agissant des personnes maintenues en zones d'attente après la décision de l'Ofpra - je précise de nouveau que le délai de 48 heures ouvrées peut apparaître comme une contrainte, mais qu'il a été tenu par les services de l'Ofpra -, la difficulté rencontrée est surtout une difficulté d'interprétation avec le JLD.

Nous avions considéré, en nous inspirant des pratiques du juge administratif, que l'audience faisait partie intégrante du processus de l'instruction. Ainsi, à partir du moment où les audiences étaient programmées et n'avaient pu avoir lieu, il aurait fallu, de notre point de vue, d'emblée passer à un délai de 48 heures, car l'instruction n'était pas complète. Ce n'est pas l'interprétation retenue par les JLD et par la cour d'appel. Ce point nécessite une clarification du droit au moyen soit d'un pourvoi en cassation, soit d'une évolution législative. Sans préjuger des débats et des arbitrages du Parlement et du Gouvernement, ce sujet devra être abordé.

Enfin, nous avons des difficultés à conférer un caractère plus contraignant au mécanisme de relocalisation, liées à des éléments du droit communautaire. Nous les avons signalées à nos partenaires européens, notamment aux présidences du Conseil de l'Union européenne actuelle et à venir, afin qu'elles soient prises en compte dans les discussions sur le projet de pacte migratoire pour que nous disposions d'un cadre permettant de mieux faire face la prochaine fois.

M. François-Noël Buffet, président. - Il est incontestable que le délai d'intervention du JLD est extrêmement rapide. Souvent, il ne permet pas à l'administration de préparer son dossier et d'assurer sa défense.

M. Jean-Yves Leconte. - Quelles différences existe-t-il principalement entre l'état du droit français et la manière dont cela fonctionne en Italie lors d'un débarquement ?

M. Éric Jalon. - Je peux comparer les cadres français et communautaire, mais je dois demander une étude de droit comparé à propos du cadre italien pour vous répondre.

M. Jean-Yves Leconte. - Ce serait utile au regard de la situation en Italie. Il me semble que la réglementation à la frontière y est plus structurée que dans les autres pays de l'Union européenne. Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, il est important de disposer d'une étude précise portant sur ces différences.

M. Éric Jalon. - Nous y pourvoirons dans ces délais.

Mme Brigitte Lherbier. - Je voudrais revenir sur le placement des enfants mineurs non accompagnés (MNA). Des lieux spécifiques sont-ils créés pour les accueillir lorsqu'ils sont en si grand nombre ? Vous avez expliqué que ces enfants sont dans les centres de l'ASE.

À Lille, l'ordonnance de placement de 270 enfants n'a pas pu être honorée par manque de places. C'est pourquoi votre explication selon laquelle ces enfants avaient été automatiquement confiés à l'ASE m'a étonnée, alors que les tribunaux judiciaires n'arrivent pas à placer les enfants, même en cas d'extrême ou de grand danger comme à Lille.

M. François-Noël Buffet, président. - Quelles sont les relations avec l'Italie désormais, après ce moment difficile, mais également avec les pays de première entrée sur le territoire européen ?

M. André Reichardt. - L'ensemble de ces personnes avaient bien été inscrites à Eurodac, pas uniquement celles ayant fait l'objet d'un examen positif ?

M. Éric Jalon. - Pour Eurodac, c'est en principe le cas. Je vous le confirmerai, mais c'est ce que prévoit la procédure.

Pour répondre à Mme Lherbier, s'agissant des MNA, la nomination d'un administrateur ad hoc par le parquet est prévue afin de s'assurer que tout se passe en conformité avec le droit. Bien que, juridiquement, ils n'aient pas été placés en zones d'attente, ces mineurs ont ensuite été conduits sur le lieu d'hébergement, où les services de l'ASE du Var sont venus les prendre en charge. Ils les ont ensuite orientés vers une structure hôtelière. Ces services n'ont alors pas signalé de difficultés de prise en charge, sur le plan quantitatif, au regard de leur plan de charge prévu par ailleurs. Le passage de relai entre les autorités de l'État et les services de l'ASE du Var s'est déroulé de manière fluide. Je n'ai pas connaissance de difficultés signalées, à cette occasion, par l'ASE du département du Var au préfet de ce même département ou au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulon.

Concernant les relations avec les États de première entrée, je parlerai de l'Italie, car les relations avec les autres pays de première entrée n'ont pas été affectées par cet événement.

La décision de suspendre les relocalisations depuis l'Italie a donc été prise, alors que nous avions repris des engagements en la matière en juin dernier, à la fin de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.

En fin de semaine dernière, l'Italie a accepté d'assigner un port sûr, en raison du mauvais temps, à trois navires transportant des migrants à leur bord. Le ministre de l'intérieur a salué cette décision qui s'inscrit, à nos yeux, dans le plein respect du droit international ; il a rappelé que la solidarité européenne ne peut être dissociée de la responsabilité des États membres, qu'ils soient de première entrée ou non, et a signalé que, si l'Italie s'engageait durablement dans cette voie, la France pourrait reprendre ses engagements en matière de relocalisation et que nous continuerions d'oeuvrer à la définition d'un cadre européen clair et partagé dans ce domaine.

En d'autres termes, et sans interpréter excessivement ces propos, est ainsi exprimé le souhait d'enclencher de nouveau un cercle vertueux et de revenir à une situation où chacun tient ses engagements au regard du droit international de la mer et des relocalisations.

À ce titre, nous considérons que la situation résultant de l'accueil de l'Ocean Viking a un caractère exceptionnel.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie de votre participation.

Régime juridique du secours en mer et accueil des personnes débarquées - Audition de M. Didier Lallement, secrétaire général de la mer

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur le secrétaire général, nous venons d'entendre le directeur général des étrangers en France, Éric Jalon, au sujet des procédures mises en oeuvre à l'arrivée de l'Ocean Viking. Votre audition revêt une importance particulière, car nous ne sommes pas nécessairement tous au fait du droit de la mer. Or, nous avons besoin de comprendre précisément comment les choses se passent, en théorie et en pratique, avant qu'un navire ne puisse accoster sur le territoire français. Dans le cas de l'Ocean Viking, les médias ont largement évoqué la possibilité pour le navire d'être accueilli dans d'autres pays que le nôtre, soulignant qu'un refus de ceux-ci n'était pas normal au regard du droit international. Nous souhaitons donc avoir un éclairage sur l'aspect juridique de la question, afin d'envisager la nécessité ou non de faire évoluer, à notre niveau, le droit applicable.

Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes est présent à notre réunion.

M. Didier Lallement, secrétaire général de la mer.  - Le secrétariat général de la mer (SGMer) est un organisme interministériel placé auprès de la Première ministre. Plus petit que les autres secrétariats généraux, il compte une quarantaine de personnes et remplit deux fonctions, à savoir l'action de l'État en mer et la coordination des dossiers interministériels que la Première ministre lui demande de mettre en oeuvre, par exemple celui sur la pêche illégale. Son personnel est composé pour moitié de militaires de la Marine nationale. Surtout, un centre opérationnel lui permet de suivre l'évolution de la situation dans les zones maritimes, tant en métropole qu'outre-mer, et il bénéficie aussi de l'aide des représentants locaux par le biais des préfectures maritimes, le préfet maritime exerçant à la fois le commandement militaire de zone et la responsabilité de la police en mer. Il agit sous ma coordination et sous l'autorité de la Première ministre.

L'action de l'État en mer s'étend au-delà du sauvetage en mer, puisqu'elle concerne aussi la pêche illégale ou le trafic de drogue. Pour la mener, nous disposons d'une fonction garde-côtes - il n'existe pas de corps de garde-côtes en France -, composée de l'ensemble des moyens nautiques mis à disposition par la Marine nationale, la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture (DGAMPA). Cette fonction nécessite une adaptation constante aux menaces et aux difficultés du moment, l'actualité pouvant être pourvoyeuse de nécessités impératives. Par exemple, la Première ministre a souhaité dernièrement renforcer les moyens de secours en Manche, en y affectant deux navires supplémentaires, pour faire face à l'augmentation significative des demandes de sauvetage. Le SGMer a donc prélevé deux navires sur la compétence de la préfecture maritime de l'Atlantique et les a déplacés en Manche.

Nous n'intervenons que dans notre zone de compétence et pas à l'échelle mondiale, hormis quand des navires français sont concernés. Nous suivons, par exemple, les mouvements des navires des organisations non gouvernementales (ONG) en Méditerranée centrale, grâce à leur balise AIS (Automatic Identification System), qui fournissent des données ouvertes. Ce suivi se fait dans le centre opérationnel de la fonction garde-côtes, situé à Paris sur le site Balard et qui est adossé à l'état-major de la Marine nationale, bien qu'il dépende du SGMer.

Pour ce qui est de l'architecture juridique du dispositif, des conventions internationales régissent la recherche et le sauvetage en mer, le principe général restant d'intervenir le plus rapidement possible en cas de demande de secours grâce au navire le plus proche. La convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, dite « convention Solas », prévoit l'obligation pour les États contractants de prendre les dispositions nécessaires pour la coordination et la communication en cas de détresse en mer. Elle a été complétée par la convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, dite « convention SAR », et par la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 qui prévoit l'obligation de porter assistance et de faciliter la création d'un dispositif permanent de recherche et de sauvetage. En France, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) assurent sur chaque façade maritime cette fonction de sauvegarde.

Indépendamment de ces traités, l'Organisation maritime internationale (OMI) traite de ces sujets dans le cadre d'un comité de sécurité maritime qui comprend notamment un sous-comité de la navigation, des communications, de la recherche et du sauvetage. Il oeuvre conjointement avec un groupe de travail de l'organisation de l'aviation civile internationale, car les secours en mer font souvent intervenir des reconnaissances en avion.

En droit interne, le code de la sécurité intérieure, en ses articles R. 742-1 à R. 742-15, reprend ces dispositions : quel que soit le lieu où un événement se produit, la recherche et le sauvetage des personnes en détresse sont assurés par une organisation dédiée ; l'assistance par les capitaines de navire ou les centres de recherche aux personnes en mer doit être assurée sans considération de leur nationalité, de leur statut ou des circonstances. Par conséquent, il y a une obligation de fournir à toute personne une assistance dès lors qu'elle émet un signal de détresse.

Or, aujourd'hui, des signaux sont émis qui ne répondent pas forcément à des cas de détresse. C'est du moins ce que l'on observe en Manche, au niveau du CROSS Gris Nez. Notre travail est donc de déterminer s'il y a détresse ou non, car nos moyens étant limités, les CROSS ne peuvent pas faire fonction d'escorte pour les embarcations de migrants, comme le voudraient les passeurs. Les règles des conventions internationales sont ainsi parfois détournées de leur finalité première.

Chaque État assure la coordination par l'intermédiaire des centres de coordination et de sauvetage (CCS) - Rescue Coordination Center (RCC). Un catalogue de ces centres est fourni au titre de l'OMI. Chaque navire dispose ainsi de la documentation nécessaire pour pouvoir s'adresser au RCC compétent par le biais de la radio, afin de déclencher une recherche dans les zones dites « SAR » (Search and Rescue), notifiées à l'OMI.

Ces zones ont été définies par les États de manière coordonnée. Elles peuvent parfois se superposer, comme c'est le cas en Méditerranée centrale entre l'Italie et Malte. En effet, dès lors que l'on est en mer, la précision frontalière ne peut pas être totale. Toutefois, le dispositif reste clair.

Cela n'empêche pas que les conditions de son utilisation puissent parfois être étonnantes. Ainsi, certains navires procèdent en sélectionnant leur zone de sauvetage plutôt que de choisir la plus proche. Ils préféreront systématiquement les zones italienne ou maltaise aux zones tunisienne ou libyenne pourtant plus proches. Les ONG concernées ont justifié cela par le fait que la Tunisie et la Libye n'offraient pas les garanties nécessaires pour accueillir les personnes à bord de leurs navires. Elles choisissent donc systématiquement l'Europe.

Il existe une quinzaine de navires d'ONG capables de croiser en Méditerranée centrale. Ils ne sont jamais tous ensemble en mer, à cause des besoins de ravitaillement et de la rotation des équipages. En ce moment, deux d'entre eux croisent au nord de la Libye ; la semaine dernière, il y en avait trois ; en général, il y en a entre deux et quatre, sous pavillons différents, allemand, norvégien, anglais, mais pas français. L'Italie considère que le pavillon du navire a son importance, car l'État concerné exerce une responsabilité, ce qui ne figure pas dans les conventions internationales.

Nous bénéficions aussi des informations que nous donnent nos contacts, tout cela en source ouverte. Ainsi, nous savons que le navire de SOS Méditerranée appareillera le 18 ou le 19 décembre prochain ; nous aurons sans doute des discussions avec les Italiens aux alentours de Noël sur l'Ocean Viking. Tous ces navires croisent en zone libyenne dans le cadre des conventions internationales. C'est en tout cas ce qu'ils affirment et nous n'avons aucun élément pour dire le contraire ni pour corroborer cela.

M. André Reichardt- La répartition des zones de sauvegarde SAR entre les différents États ne donne-t-elle pas à celui qui est concerné une obligation impérative d'intervenir ? Quelques 230 personnes recueillies sur l'Ocean Viking ont été accueillies à Toulon. Dès lors que leur sauvetage a eu lieu en zones maltaise et libyenne, n'aurait-il pas fallu que ces personnes soient accueillies à Malte et en Libye ?

Quel est le rôle de Frontex et comment travaillez-vous avec l'agence ? Quelle est la répartition des compétences entre Frontex et les ONG ? En effet, si Frontex fait son travail de surveillance des frontières extérieures, en particulier maritimes, dans quelle mesure les ONG peuvent-elles encore intervenir ? L'agence a-t-elle suffisamment de moyens ?

Avez-vous des informations précises sur la manière dont les ONG interviennent pour les sauvetages en mer ? La presse relaie à longueur de temps le cas de petites embarcations que les passeurs abandonnent sans moteur en pleine traversée, en donnant aux passagers le numéro de téléphone des ONG à appeler : est-ce une réalité ou bien une rumeur ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Sans anticiper la réponse de M. le secrétaire général de la mer, je souhaite préciser que Frontex n'a pas le même niveau de compétence que les ONG. On peut le voir sur les côtes de Manche Est-mer du Nord, où un avion a été mis à disposition de l'agence, qui effectue du signalement, mais pas de sauvetage.

Au-delà de la polémique avec l'Italie, le flux des migrants médiatisé reste ponctuel par rapport à l'ampleur de la situation sur nos côtes. Ainsi, dans la zone Manche Est-mer du Nord, les départs sont quotidiens tout comme les cas d'alerte de surveillance et de mise en état des secours, d'autant que les passeurs lancent des pièges aux autorités de secours et aux gendarmes en inventant de multiples départs pour fausser les pistes.

Je suis élu d'un département proche de la mer et votre mission me tient à coeur. Le sauvetage en mer peut prendre un tour caricatural, dès lors que son principe consiste à dire que l'on doit toujours sauver une personne en détresse en mer. Mais il faut aussi anticiper et c'est essentiel : comment éviter que les migrants ne prennent la mer ? Cette mission est très compliquée.

Vous avez mentionné les renforts en Manche : il faut ajouter aux deux bateaux, six équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour le CROSS Gris Nez.

L'Ocean Viking n'est finalement qu'un tout petit bateau par rapport à tout ce qui se passe en mer.

M. Jean-Yves Leconte- Le sauvetage concerne en effet peu de personnes parmi toutes celles qui traversent la Méditerranée. Toutefois, ces actions sont indispensables : des gens sont en danger en mer et il faut trouver une solution. La question est surtout de savoir comment éviter les départs.

Mme Brigitte Lherbier- Pour compléter les propos de mon collègue André Reichardt, j'ajouterai que certains bateaux ne parviendraient pas à effectuer leur traversée s'ils n'étaient pas surveillés et aidés, car même avec un moteur, la traversée vers l'Angleterre reste difficile.

La protection civile locale est constamment en alerte, ce qui ne va pas sans difficulté, les coûts étant énormes et les moyens limités. Toutefois, le sauvetage reste une nécessité absolue.

M. Didier Lallement. - Pour ce qui est des zonages et de l'obligation d'intervenir, dès lors que le navire ne fait pas de demande d'intervention auprès du RCC compétent, celle-ci n'a pas lieu. C'est la raison pour laquelle les Libyens ou les Tunisiens n'interviennent pas ; quant aux Maltais, ils ne répondent plus, même en cas de demande. Récemment, la France a émis des protestations à ce sujet auprès de l'OMI. Cette situation dure depuis un peu moins d'un an : les navires concernés ne s'adressent plus qu'aux autorités de la SAR italienne.

Les textes prévoient pourtant que tout appel de détresse doit être traité par le RCC compétent, afin d'indiquer un port sûr. Les Italiens justifient de ne pas accueillir les personnes en détresse par le fait que, selon eux, il ne s'agit pas de sauvetage en mer. Lorsqu'ils ont admis trois navires, la semaine dernière, ils l'ont fait au motif de difficultés météorologiques. Tout dépend donc de l'interprétation que l'on a des conventions internationales : le sauvetage ne se discute pas, mais s'agit-il d'un sauvetage ou de trafic d'êtres humains ?

Dès lors qu'un État reçoit un appel de détresse et une demande de désignation d'un port sûr et que le navire est dans sa zone, il se doit de répondre. C'est ce que nous avons fait dans le cas de l'Ocean Viking. De même, lorsque ce navire a émis une demande d'évacuation sanitaire de quatre personnes au large de la Corse, j'ai fait intervenir un hélicoptère pour les sauver en les ramenant à l'hôpital d'Ajaccio.

Pour des raisons médicales que je ne connais pas, trois d'entre elles n'ont pas été admises à l'hôpital. Toujours est-il que nous ne discutons pas : lorsque le capitaine du navire lance un appel de détresse au motif qu'il y a à bord certains malades dont la vie est menacée, nous allons les secourir.

Quant à l'agence Frontex, elle est chargée de la surveillance des frontières et non du secours aux personnes. Elle nous permet de procéder à des repérages, notamment pour lever des doutes. C'est aussi le rôle de l'avion de Frontex dans la Manche.

En Manche Est-mer du Nord, on enregistre jusqu'à quarante départs par jour, ce qui peut représenter 800 à 1 000 personnes sur l'eau.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cela mobilise d'ailleurs énormément de moyens.

M. Didier Lallement. - Tout à fait. Je pense en particulier au CROSS, dont les opérateurs - ils sont trois au cours d'une nuit de veille - sont saturés de messages.

Plus globalement, c'est tout notre dispositif de secours qui est saturé. Toute la question est de savoir si les secours sont nécessaires. S'y ajoute la difficulté de localisation des navires. Voilà pourquoi la procédure CROSS prévoit que l'on demande aux intéressés de se géolocaliser via une application quelconque, comme WhatsApp.

En outre, plus on approche de l'Angleterre, plus ces embarcations convergent, car la zone d'arrivée est assez étroite - elle est longue de moins de 20 kilomètres. Il est d'autant plus difficile de savoir quelles sont les embarcations réellement en difficulté.

Pour ce qui concerne la Méditerranée, les chiffres sont également connus, du moins pour ce qui concerne les personnes secourues : par définition, on ne peut pas comptabiliser les personnes qui passent. Toujours est-il que la Méditerranée centrale, au départ de la Libye, est aujourd'hui la route principale. En 2021, nous y avons secouru 68 000 migrants, contre 15 000 en 2019. Nous sommes donc bien face à une hausse exponentielle.

En Méditerranée, un tiers des migrants partent de Tunisie, du moins parmi les personnes secourues, et les flux en provenance de Turquie tendent à se réduire un peu. Parmi les personnes secourues au départ de la Libye, on trouve une majorité de Sri Lankais, auxquels s'ajoutent désormais des Égyptiens et des Bangladais. À La Réunion, on a également secouru quelques Sri-Lankais. À l'évidence, certains pays riverains de la Libye, qui ne demandent pas de visas pour ces nationalités, permettent des transferts aériens. Ensuite, ces populations transitent en Libye par des réseaux de passeurs. Cela étant, je rappelle que ma compétence s'arrête à l'entrée du port.

Contre-amiral Benoît de Guibert, secrétaire général adjoint de la mer. - Il faut bien distinguer les zones de recherche en mer et les délimitations maritimes.

Les eaux territoriales vont jusqu'à 12 milles nautiques ; c'est sur elles que nous exerçons notre véritable souveraineté. Viennent ensuite la zone contiguë, jusqu'à 24 milles nautiques, sous juridiction française pour un certain nombre de polices, et la zone économique exclusive (ZEE), jusqu'à 200 milles nautiques. Au-delà de ces zones, la haute mer fait l'objet d'un certain nombre de règles fixées par la convention de Montego Bay.

Pour le sauvetage en mer, les SRR (Search and Rescue Region) sont des zones de coordination déclarées à l'OMI par les États, soit de manière unilatérale, soit en accord avec les États voisins. Certaines de ces zones se recoupent, mais ce n'est pas un problème. Un point d'entrée est défini : le MRCC (Maritime Rescue Corodination Center) - en France, il prend le nom de CROSS - constitue le centre de coordination des opérations de sauvetage dans cette zone.

Ces zones sont définies selon plusieurs critères, reposant sur la géographie et sur les moyens de sauvetage des différents pays. Un État avec de très faibles moyens ne sera pas chargé d'une zone aussi étendue qu'un voisin mieux doté.

Quand une opération de sauvetage doit être menée, les autorités des pays concernés sont donc appelées à se concerter. C'est ce que les autorités britanniques et françaises font ce matin même en Manche Est-mer du Nord, sous la coordination du MRCC britannique.

La désignation du port relève, elle aussi, d'un dialogue dépendant d'un certain nombre de paramètres. Ainsi, les Maltais ne répondent plus aux demandes qui leur sont adressées, ou y répondent beaucoup moins ; ils estiment ne plus avoir la capacité d'accueillir tous les navires qui auraient fait l'objet d'une opération de secours au titre de la SRR maltaise. S'y ajoutent des considérations politiques : on l'a vu pour ce qui concerne l'Italie au début du mois de novembre dernier.

Enfin, trois opérations Frontex sont déployées en mer Méditerranée au profit des pays dits « de première entrée », à savoir la Grèce, l'Italie et l'Espagne. Il s'agit des opérations Poséidon, Themis et Indalo. Ces moyens sont-ils suffisants ? Tant que des personnes périront en mer, on pourra estimer qu'ils ne le sont pas ; et ils ne le seront probablement jamais.

Mme Marie Mercier. - Monsieur le secrétaire général, c'est donc vous qui prenez la décision d'envoyer un hélicoptère pour secourir des patients putatifs. Mais qui pose le diagnostic d'urgence vitale ? Existe-t-il un dispositif de régulation comparable aux centres 15 ?

Vous m'apprenez à quel point les sauvetages en mer du Nord sont nombreux. Peut-être notre commission des lois pourrait-elle se pencher plus précisément sur cette question et sur les moyens déployés à cet égard.

Mme Brigitte Lherbier. - À l'évidence, pour les populations locales, notamment dans le Nord, les drames en mer sont devenus insupportables, d'autant qu'ils sont désormais largement mis en lumière.

M. André Reichardt. - Je sais bien que Frontex est chargé de lutter contre l'immigration clandestine, mais le but premier de ces embarcations est bien d'entrer illégalement en Europe ; ensuite, les organisations non gouvernementales (ONG) interviennent pour assurer des sauvetages en mer. Quel est le véritable rôle de Frontex ? Si nous voulons réellement lutter contre l'immigration clandestine, ses moyens sont manifestement insuffisants : ne faut-il pas définir un nouveau modus operandi de cette agence européenne ?

M. Didier Lallement. - Madame Mercier, l'appel est émis par le capitaine du navire et le médecin présent à bord atteste de l'urgence vitale : cela ne se discute pas. Ensuite, on peut s'interroger sur l'ampleur des moyens à mobiliser. Mais, en vertu des lois de la mer, c'est l'autorité à bord qui définit le danger et non le service de secours. Le capitaine assume la responsabilité juridique et, en l'occurrence, médicale de l'alerte.

Mme Marie Mercier. - Le médecin à bord ne peut-il pas s'adresser à un confrère présent à terre, qui jouerait un rôle de relai auprès de vous et un rôle de régulateur ? Il va sans dire que vous n'allez pas devenir une autorité médicale.

M. Didier Lallement. - Un centre médical, implanté à Toulouse, est précisément chargé de ce dialogue.

Dans le cas précis de l'Ocean Viking, les choses se sont manifestement arrangées pendant le transfert.

Je vous confirme que les sauvetages en Manche Est-mer du Nord ont lieu tous les jours. Or le CROSS a aussi pour mission de gérer le rail, ce qui n'est pas une mince affaire : un heurt entre navires de commerce aurait des conséquences dramatiques, y compris du fait de la pollution. Mais ce centre est de plus en plus dévié de sa mission originelle, et essentielle, vers des tâches de sauvegarde.

Madame Lherbier, le fait nouveau en la matière, c'est que les associations portent plainte. Nos opérateurs sont non seulement tenus de faire face aux demandes, qui affluent de toutes parts, mais ils agissent sous le contrôle du juge pénal. Il a d'ailleurs fallu assurer une assistance psychologique pour les opérateurs du CROSS, très affectés par la campagne médiatique dont ils ont fait l'objet. Certains de ces militaires ont été livrés en pâture par les médias, qui ont même parfois publié leurs noms.

Contre-amiral  Benoît de Guibert. - On peut estimer que Frontex va régler en mer ce qui n'a pas été fait à terre, au départ ou à l'arrivée. Mais, en mer, on fait avant tout du sauvetage, que ce soit en Méditerranée ou en Manche Est-mer du Nord.

En effet, nous ne parlons pas de navires au pavillon identifié, à bord desquels on pourrait monter pour procéder à des contrôles et s'assurer que le capitaine ne se livre pas à un trafic de migrants. Nous parlons d'embarcations de fortune, ou small boats, qui peuvent chavirer d'une minute à l'autre. Il y a un peu plus d'un an, les Britanniques avaient annoncé leur intention de procéder à des opérations de push back pour empêcher l'arrivée de ces embarcations : ni la Border Force ni la Royal Navy ne l'ont fait, car on ne peut pas risquer un naufrage. La seule solution est de secourir l'embarcation. À ce titre, Frontex a fait l'objet d'une polémique à l'est de la Méditerranée.

Ma conviction de marin, c'est que ce sujet ne peut qu'être réglé à terre. S'ils ont de l'eau jusqu'à la taille, qui plus est avec des bébés, les migrants doivent être secourus : n'oublions pas que l'on peut se noyer dans 20 centimètres d'eau.

M. François-Noël Buffet, président. - À ce jour, la responsabilité du pavillon n'existe pas juridiquement. Exigerait-elle une législation nationale ou un accord international ?

M. Didier Lallement. - Les Italiens semblent prêts à défendre cette thèse de la responsabilité du pavillon. On voit bien que le pavillon a une influence, mais, pour l'instant, il n'existe pas de responsabilité de l'État concerné sur le secours en mer : il faudrait réviser le traité.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous remercions de votre participation.

La réunion, suspendue à 11h30, est reprise à 14h00

Justice et affaires intérieures - Avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) - Communication et examen de la proposition de résolution européenne

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale. - Monsieur le président de la commission des affaires européennes, chers collègues, nous réunissons les commissions des lois et des affaires européennes afin d'examiner la proposition de résolution européenne (PPRE) n° 197, portée conjointement par le président Rapin et moi-même, relative à l'avenir de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, dite « Frontex ».

Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, un vote interviendra à l'issue de nos échanges, mais n'y participeront que les commissaires de la commission des affaires européennes.

Instituée en 2004 pour apporter son soutien aux États membres dans leur mission de surveillance des frontières extérieures de l'espace Schengen, Frontex est à un moment charnière de son histoire. À la suite de la crise migratoire de 2015, qui avait conduit plus d'un million de migrants à rejoindre irrégulièrement l'Union européenne, le mandat de l'agence a été considérablement renforcé, en 2016 et en 2019.

De fait, Frontex possède désormais une compétence dans l'ensemble des champs de la politique migratoire et est progressivement devenue un soutien incontournable pour les États membres dans la gestion de leurs frontières. C'est particulièrement le cas en France, où l'administration s'appuie régulièrement sur les capacités de l'agence, notamment dans sa politique de retour forcé. Alors que le nombre de traversées de la Manche a récemment explosé, Frontex affrète un avion pour la conduite d'opérations de surveillance de la côte d'Opale. L'agence intervient également en matière de lutte contre la criminalité transfrontalière et elle aide des pays tiers ayant passé un accord avec l'Union européenne à surveiller leurs frontières.

Surtout, Frontex dispose aujourd'hui de prérogatives en matière de puissance publique inédites pour une agence de l'Union européenne. Alors qu'elle était essentiellement une agence de coopération et de soutien, les dernières révisions de son règlement ont acté sa transformation en une réelle entité opérationnelle. Selon la formule consacrée, Frontex est aujourd'hui le « bras armé » de la politique migratoire européenne.

Cette extension du mandat de l'agence s'est accompagnée d'une augmentation considérable de ses moyens financiers et humains. Son budget a été multiplié par près de dix en l'espace de dix ans. Alors qu'il était de seulement 86 millions d'euros en 2012, il devrait atteindre 845 millions pour 2023. La grande nouveauté du mandat de 2019 a été de doter Frontex d'un contingent permanent de garde-frontières, vêtu d'un uniforme aux couleurs européennes et bénéficiant du port d'armes. Composé à la fois de personnels sous statut Frontex et d'experts nationaux détachés, ce contingent compte aujourd'hui 1 900 personnels, pour atteindre 10 000 en 2027. Il s'agit, là encore, d'une grande première pour une agence de l'Union européenne.

Cette nouvelle capacité opérationnelle va de pair avec une responsabilité renforcée. Aux termes du mandat de 2019, Frontex doit ainsi porter une attention toute particulière au respect des droits fondamentaux dans l'accomplissement de ses missions, notamment par la nomination d'un officier aux droits fondamentaux indépendant et la mise en place d'un mécanisme de traitement des plaintes.

Or, comme chacun d'entre nous le sait, l'agence Frontex est aujourd'hui en crise. Cette crise a atteint son paroxysme, le 28 avril dernier, avec la démission fracassante de son directeur exécutif, le français Fabrice Leggeri. La crise que connaît Frontex est d'une nature duale.

Cette crise est d'abord une crise de croissance. En moins de trois ans, l'agence a en effet dû opérer les transformations imposées par l'élargissement de son mandat, tout en conduisant une vingtaine d'opérations simultanées. Alors que le covid-19 a eu un lourd impact sur son activité, elle a en outre dû composer avec une succession de crises aux frontières extérieures. Je pense notamment à l'instrumentalisation des migrations par la Biélorussie en novembre 2021 ou, plus récemment, au déclenchement du conflit en Ukraine. J'ai conduit en mai dernier une délégation de la commission des lois à Varsovie, où l'agence a son siège : j'ai personnellement pu prendre la mesure du changement de dimension que l'agence a dû assumer depuis 2019 et des défis que cela a engendrés. Outre le recrutement des membres du corps permanent ou de l'équipe dédiée aux droits fondamentaux, Frontex a dû « monter en puissance » à marche forcée dans tous les domaines, en particulier dans ses processus décisionnels internes et ses fonctions supports.

Frontex subit également une crise de confiance. En effet, la pression de l'immigration irrégulière demeure forte aux frontières extérieures. Alors que 200 000 franchissements irréguliers avaient été recensés aux frontières de l'Union européenne en 2021, ce qui représentait déjà une augmentation de 60 % par rapport à l'année précédente, ces mouvements ont dépassé 280 000 sur les neuf premiers mois de l'année 2022.

Or, à la suite d'allégations portées par des organisations non gouvernementales (ONG) et de dénonciations internes, Frontex a été accusée, d'une part, de manquements dans son fonctionnement interne et, d'autre part, de complicité d'actions de refoulement des migrants en mer Égée et en mer Méditerranée. Ces révélations ont légitimement interpellé l'opinion publique et les institutions. En conséquence, plusieurs enquêtes et audits ont été menés, que ce soit par le Médiateur européen, la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen ou encore l'Office européen de lutte antifraude (Olaf).

Dans son rapport, le Parlement européen a reconnu ne pas avoir trouvé de preuves d'une implication directe de l'agence dans des actions de refoulement. Il a en revanche dénoncé la passivité de l'agence, qui détenait des preuves de violations de droits fondamentaux de la part d'États membres avec lesquels elle menait des opérations conjointes. Le rapport de l'Olaf, qui ne porte pas sur l'agence en tant que telle, mais sur l'action de trois membres de l'équipe dirigeante, parvient à des conclusions similaires.

Ces enquêtes et audits ont directement conduit à la démission de M. Leggeri et à son remplacement par une direction intérimaire. La nomination d'un nouveau directeur exécutif a pris du retard et devrait intervenir le 20 décembre prochain.

Cette situation appelle deux observations de notre part.

Au vu de ses conséquences, il est éminemment regrettable, en termes de gouvernance et de transparence, que le rapport de l'Olaf n'ait pas été rendu public et que l'information disponible se limite à des fuites de documents organisées dans la presse.

Ensuite, il est désormais établi que l'agence Frontex fait l'objet d'un combat feutré en interne et au sein des institutions européennes, où deux visions distinctes de ses priorités s'affrontent : la première estime, quand elle ne remet pas en cause l'existence même de l'agence, que Frontex devrait avant tout veiller au respect des droits fondamentaux des migrants gagnant l'Union européenne irrégulièrement, afin de leur permettre, dès que possible, d'y demander l'asile. La seconde considère, au vu de la pression migratoire, que Frontex doit obtenir d'abord et avant tout des résultats dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Fabrice Leggeri ne nous a pas dit autre chose lors de son audition en juin dernier.

Nous estimons, le président Rapin et moi-même, que ce débat existe bel et bien, mais qu'il est en grande partie artificiel : le primat accordé à la mission de lutte contre l'immigration irrégulière est incontestable, c'est la raison d'être de l'agence. Il ne l'exonère toutefois en aucun cas de veiller au respect des droits fondamentaux dans son action.

En réalité, ces divergences semblent résulter d'abord d'inimitiés personnelles et de luttes d'influence au sein des institutions européennes pour le contrôle de l'agence opérationnelle la plus puissante de l'Union.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne réfléchit à une révision du règlement de 2019, qui prévoyait lui-même sa révision quadriennale. Formellement, la Commission européenne a lancé un appel à contribution des parlements nationaux, mais le délai très réduit pour y répondre décrédibilise grandement cette démarche d'association.

Au regard de ces éléments, nous avons décidé, le président Rapin et moi-même, d'engager des travaux sur l'avenir de Frontex. Outre l'audition, il y a un mois, de  Aija Kalnaja, directrice exécutive par intérim de l'agence, nous avons procédé à l'audition de représentants du ministère de l'intérieur et des institutions européennes. Ces travaux ont nourri notre réflexion.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous vous proposons d'abord de réaffirmer notre attachement à l'espace Schengen, espace de libre circulation qui est l'un des acquis précieux de l'Union européenne.

Dans le même mouvement, nous avons souhaité rappeler une évidence : la libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen ne peut exister durablement sans un contrôle efficace de ses frontières extérieures, contrôle qui est assuré par les États membres, avec l'appui de l'agence Frontex. À l'heure actuelle, environ 2 000 personnels de l'agence - en pratique, des officiers sous statut Frontex et des experts nationaux détachés - sont déployés pour cette mission dans le cadre de 18 opérations.

En ce sens, notre proposition souligne l'apport du règlement Frontex 2019/1896 qui a consolidé le mandat de l'agence : il prévoit de la doter d'un contingent permanent de 10 000 garde-frontières et garde-côtes à échéance 2027, lui demande d'agir sans délai dans le respect des droits fondamentaux, lui permet de prendre une part plus active aux opérations de retour et l'autorise à coopérer avec les pays tiers.

Enfin, et je parle ici en cohérence avec la position de nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte, rapporteurs de la commission des affaires européennes pour le nouveau pacte sur l'asile et la migration, nous rappelons que la politique de contrôle des frontières doit être étroitement liée à la politique migratoire et à la politique de l'asile, au sein d'une approche globale.

Le deuxième objectif de notre proposition est de demander un vrai pilotage politique de l'agence Frontex. Tout d'abord, même si le prochain directeur exécutif est bien nommé le 20 décembre comme prévu, il faut déplorer le temps qui a été nécessaire pour procéder à cette nomination, à savoir huit mois. Il faut également regretter l'absence de candidature française pour cette direction. Il ne s'agit pas de contester la pertinence des trois candidatures en lice - celles de Terezija Gras, ministre du gouvernement croate, de Aija Kalnaja, directrice intérimaire actuelle de Frontex, et de Hans Leijtens, directeur de la maréchaussée des Pays-Bas, qui semble être le favori ; mais la France disposait des talents nécessaires pour faire acte de candidature. Ce refus d'obstacle du Gouvernement pourrait entraîner une perte d'influence de notre pays sur l'agence, qui est la plus grosse agence de l'Union européenne. On peut déjà observer que, sur environ 1 875 personnels sous statut, l'agence ne compte que 32 Français, soit 1,7 % !

Au-delà du choix de son directeur, l'agence doit vite se remettre au travail, ce qui demande un meilleur pilotage politique. Cela passe, d'une part, par un renforcement du suivi et de l'orientation de l'action de l'agence par les ministres des affaires intérieures, mais aussi par un rehaussement des compétences des représentants des États membres qui siègent au sein du conseil d'administration, à qui l'on demande certes une expertise technique, mais aussi une capacité managériale et une intelligence politique. Tout ceci afin que Frontex bénéficie de lignes directrices claires dans son action.

Je complète ces recommandations par une demande essentielle : pour que le pilotage politique de Frontex soit complet, les parlements nationaux doivent être associés au contrôle de son action. Or, à l'heure actuelle, ils en sont exclus. Le Parlement européen ne les a pas invités lorsqu'il a mis en place unilatéralement son groupe de suivi des missions de l'agence, alors que l'association du Parlement européen et des parlements nationaux est expressément prévue dans le règlement Frontex. En outre, nos parlements ne peuvent se désintéresser de la surveillance des frontières, mission intrinsèquement liée à la souveraineté nationale. Ce matin, à l'invitation du président Buffet, j'ai assisté à une audition sur le régime juridique du secours en mer et l'accueil des personnes débarquées. Aujourd'hui encore, des embarcations de migrants tentant de gagner les îles britanniques ont coulé dans la Manche. Sur de tels sujets, il est important que les parlementaires nationaux, qui sont plus proches des citoyens que les parlementaires européens, puissent rendre des comptes aux citoyens. C'est pourquoi nous préconisons la mise en place d'un groupe de contrôle parlementaire conjoint, à l'image de celui qui fonctionne déjà bien pour l'agence européenne pour la coopération policière (Europol).

Le troisième objectif de notre proposition est de clarifier le mandat de Frontex. La mission première de Frontex est le contrôle des frontières extérieures ; elle doit assumer cette mission dans le respect des droits fondamentaux. À cet égard, notre proposition salue la mise en oeuvre désormais intégrale des dispositions du règlement de 2019 qui garantissent un respect effectif des droits fondamentaux, en premier lieu la procédure d'alerte en cas de violation des droits fondamentaux, assortie d'un mécanisme de traitement des plaintes. Elle invite cependant les responsables de l'agence à éviter toute instrumentalisation de cette procédure par des parties hostiles à l'existence même de Frontex. En second lieu, le respect des droits fondamentaux doit être assuré par l'action de vérification incombant à l'officier aux droits fondamentaux, qui a accès à toutes les procédures et dont l'action est désormais appuyée par 46 contrôleurs. Sur ce point, la proposition émet plusieurs préconisations afin d'éviter l'institutionnalisation d'une guerre des chefs au sein de l'agence, entre son directeur exécutif et l'officier aux droits fondamentaux : instauration de canaux de dialogue permanent entre ces responsables ; nécessité d'une expérience de l'officier et des contrôleurs, non seulement en matière de droits fondamentaux, mais aussi en matière de surveillance des frontières ; principe d'une évaluation professionnelle annuelle de l'officier par le conseil d'administration et de l'examen de son action par le Médiateur européen.

Concernant les opérations conjointes entre Frontex et les États membres, la proposition rappelle que Frontex n'intervient qu'à la demande des États membres et sous leur autorité. En conséquence, son rôle premier n'est pas de surveiller les États membres, et ses personnels ne peuvent être tenus responsables des éventuelles actions litigieuses commises par leurs agents. Simultanément, conformément à l'article 46 du règlement de 2019, Frontex peut se retirer d'une opération conjointe si elle considère ne plus être en mesure d'intervenir sans enfreindre le cadre légal.

Le maintien de l'efficacité opérationnelle de l'agence Frontex constitue le quatrième objectif de notre proposition. À ce titre, nous rappelons que les exigences de responsabilité et de transparence à l'égard de l'agence s'accroissent avec ses compétences. À la suite de la Cour des comptes européenne, nous demandons aussi un renforcement des fonctions support clefs - passation des marchés publics, audit interne, analyse des risques et évaluation des vulnérabilités aux frontières -, ce qui implique un nouvel effort de recrutement d'experts, mais aussi un meilleur partage des informations des États membres avec Frontex.

Nous demandons ensuite solennellement le respect des engagements budgétaires et du calendrier prévu pour la mise en oeuvre effective d'un contingent permanent d'ici 2027. La proposition souligne aussi l'importance des opérations de surveillance maritime dans la lutte contre l'immigration irrégulière et les réseaux criminels transfrontaliers ; elle salue l'efficacité du partenariat actuel avec la Grèce, ainsi que les discussions actuelles visant à préciser à nouveau le mandat de cette opération.

La résolution appelle aussi au renforcement de la veille opérationnelle menée par Frontex sur les côtes belges et françaises afin de décourager les départs de migrants vers le Royaume-Uni et de démanteler les réseaux de passeurs. Elle salue par ailleurs la mobilisation de l'agence aux frontières des États membres riverains de l'Ukraine, pour aider ces derniers à contrôler leurs frontières et à fluidifier les passages des ressortissants ukrainiens fuyant la guerre. Quelques membres de la commission des affaires européennes ont pu se rendre en Pologne et en Slovaquie au printemps pour constater l'efficacité de ces dispositifs, même si les flux sur place étaient alors moins importants qu'au début de la guerre.

Toujours au titre de l'efficacité opérationnelle, la résolution souligne l'importance des accords de statut qui permettent le déploiement d'équipes Frontex dans des pays tiers, comme c'est le cas aujourd'hui en Albanie, au Monténégro, en Moldavie et en Serbie. Sur ce point, nous recevions hier une délégation du parlement albanais dont les membres nous expliquaient que le dispositif leur semblait efficace, l'apport de Frontex étant selon eux essentiel pour lutter contre les migrations irrégulières. La proposition de résolution salue l'action menée désormais par l'agence dans le cadre des opérations de retour, et se félicite du rôle central qu'elle est amenée à jouer dans le fonctionnement du système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages - European Travel Information and Authorization System (Etias). Ce dernier, qui doit entrer prochainement en vigueur, permettra une délivrance automatisée d'autorisations de voyage dans l'Union pour les ressortissants de pays tiers qui ne sont pas soumis à l'obligation de visa.

Enfin, la proposition de résolution émet un constat simple, à l'heure où la Commission européenne réfléchit à modifier à nouveau le règlement Frontex : ce dernier est entré en vigueur le 13 novembre 2019 et l'agence n'a pas encore eu le temps de déployer tous les outils prévus par ce cadre juridique. Il est donc prématuré d'évaluer son efficacité et inopportun d'envisager déjà son actualisation. En réalité, l'urgence est d'abord que l'agence, dotée de son nouveau directeur exécutif, se remette vite au travail. Il faudra ensuite lui laisser du temps pour remplir entièrement sa mission.

M. Didier Marie. - Certes, Frontex connaît des turbulences depuis plus de deux ans, mais nous nous interrogeons sur le caractère d'urgence accordé à cette proposition de résolution européenne. Elle s'intéresse aux questions de gouvernance et de contrôle parlementaire, au sujet desquelles nous pourrions trouver des points d'accord, mais défend également des positions problématiques, ce qui explique que les deux présidents de commission s'unissent pour la soutenir, et non simplement les deux rapporteurs de la commission des affaires européennes qui suivent habituellement ce dossier. Voilà qui nous renvoie au débat franco-français sur l'immigration.

Nous souscrivons au renforcement des moyens de Frontex et à l'attachement à l'espace Schengen, mais nous ne partageons pas la tonalité générale de la résolution, sécuritaire voire alarmiste. Contrairement à l'idée d'un « bras armé » de la politique d'immigration de l'Union européenne, avancée par le président de la commission des lois dans son propos, Frontex ne peut selon nous être définie comme la police aux frontières (PAF) européenne. C'est une agence qui doit surveiller nos frontières, certes, mais qui doit aussi veiller à la mise en oeuvre des valeurs de l'Union européenne en matière de droits fondamentaux et d'accueil des réfugiés qui relèvent de l'asile - ce dernier point n'est pas assez présent dans la proposition de résolution européenne.

Nous n'adhérons pas à la défense inconditionnelle de l'ancien directeur de l'agence, même si sa démission est regrettable pour la France. Sa démission est le résultat d'un certain nombre de remarques, formulées tant par le Parlement européen que l'Olaf et la Cour des comptes européenne et reconnues par la directrice par intérim. Le Parlement européen n'a pas donné décharge budgétaire à Frontex, sur le fondement de motifs sérieux et de faits avérés - il serait difficile de le contester.

Concernant le rôle de l'officier aux droits fondamentaux, nous sommes étonnés par la somme des réserves et contraintes qui, dans le dispositif des rapporteurs, entourerait sa nomination, et par la rigueur du contrôle qui encadrerait son action. En effet, sa mission, qui consiste à faire remonter les dysfonctionnements et manquements éventuels de l'agence sur le terrain, exige une forme d'indépendance.

Désigner des « parties hostiles à l'existence même de Frontex » - le président Buffet a dit très clairement que cette formulation visait un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) - me paraît inadapté. Ces ONG pointent du doigt des dysfonctionnements de Frontex qui peuvent irriter : ceci est leur rôle. En conséquence, l'Union européenne doit mieux coopérer avec ces organisations, pour veiller au respect des droits fondamentaux des réfugiés.

Concernant les missions de Frontex, qui ne peuvent être, en aucun cas, de surveiller les actions des États membres en matière de droits fondamentaux, nous émettons des réserves : quand les agents constatent des situations manifestement litigieuses, ils ont l'obligation de les faire remonter et de s'y opposer.

Enfin, Frontex pourrait effectivement établir des partenariats à l'extérieur de l'Union européenne, mais seulement avec des pays qui respectent les standards européens en matière de droits fondamentaux et à la condition que ces partenariats ne conduisent pas à des refoulements extraterritoriaux.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de résolution européenne.

M. Jean-Yves Leconte. - Frontex a vocation à assurer la sécurité des frontières européennes et singulièrement de celles de la zone Schengen. Mais cette proposition de résolution n'aborde pas l'essentiel. Frontex a été conçue comme un prestataire de services pour les États membres, qui, de fait, sont responsables du contrôle de leurs frontières extérieures. Toutefois, Frontex est présentée et perçue à tort comme le garde-frontière de l'Union européenne. Il faut malheureusement constater qu'elle assume ce rôle dans un certain nombre de zones frontalières où les États membres sont défaillants.

Plusieurs de ces États, comme la Bulgarie ou la Grèce, se rendent coupables de graves violations aux droits fondamentaux dont on ne peut imputer la responsabilité à Frontex. M. Leggeri est en quelque sorte victime de cette erreur.

Les droits fondamentaux ne sont pas une option, et ils doivent être contrôlés de la manière la plus indépendante possible. Or, dans certains passages de cette proposition, les auteurs semblent déplorer que l'officier aux droits fondamentaux soit trop indépendant. Comme cela a déjà été indiqué, Frontex n'est pas la PAF européenne. Je pourrais le souhaiter mais ce n'est pas la réalité d'aujourd'hui. Frontex est, je le répète, un prestataire de services pour les États membres et sous leur responsabilité. Il faut dès lors qu'elle soit irréprochable en matière de droits fondamentaux. Or la présente proposition ne va pas du tout dans ce sens.

M. Jacques Fernique. - Mon groupe ne votera pas ce texte.

Le groupe écologiste milite en effet pour la fin de la militarisation de la politique migratoire européenne. Les questions relatives à l'immigration doivent relever non pas exclusivement de la sécurité, mais essentiellement de la solidarité.

Cette proposition de résolution européenne évoque de potentiels « irrégularités » et « manquements » dans la gestion de Frontex. Ce sont des euphémismes ! D'importants dysfonctionnements ont été dénoncés, notamment par l'Olaf et par le Parlement européen. Ce dernier a d'ailleurs marqué son désaccord en refusant de voter la décharge budgétaire de l'agence.

Au-delà des défaillances liées aux individus, les difficultés de Frontex sont structurelles. La « crise de croissance » qui est évoquée dans la proposition de résolution ne justifie pas, à mon sens, les dérives constatées ces dernières années. Je m'étonne à ce titre que votre texte ne mentionne pas les 29 000 morts aux frontières de l'Union européenne qui sont à déplorer depuis 2014.

Si cette proposition préconise des critères stricts en matière de recrutement pour l'officier des droits fondamentaux, elle ne recommande aucune évaluation extérieure ni obligation de formation en matière de droits fondamentaux pour le futur directeur exécutif de l'agence ou le reste de l'équipe.

Par ailleurs, l'affirmation de l'efficacité du partenariat avec la Grèce pour sécuriser les frontières paraît incompréhensible au regard des manquements qui ont été constatés.

Les auteurs de ce texte estiment qu'il faut laisser Frontex terminer son mandat avant de réformer son règlement. Il me semble au contraire qu'une réforme structurelle ne peut attendre.

Je regrette enfin que les facteurs expliquant les mouvements migratoires tels que la guerre, la famine, les régimes autoritaires, la pauvreté ou le dérèglement climatique ne soient pas mentionnés dans ce texte.

M. André Reichardt. - Je voterai cette PPRE en dépit des observations qui suivent.

Il est tout d'abord injuste de focaliser les critiques sur Frontex, alors que les outils du pacte sur la migration et l'asile ne sont pas finalisés et ne sont pas près de l'être, faute d'accord politique. Il existe en effet trop de disparités entre les pays pour espérer une amélioration de la politique migratoire à court terme.

J'estime ensuite que la réflexion sur les véritables compétences de Frontex est devant nous car cette agence est censée être l'un des organes de lutte contre l'immigration clandestine. Or, force est de constater qu'elle ne parvient pas à remplir cette mission.

Il ne faudrait pas, enfin, que Frontex devienne un service bureaucratique de plus. Sans doute doit-elle réorienter son action à l'aune des droits fondamentaux, mais il faut surtout qu'elle agisse sur le terrain. S'il est si difficile de recruter un nouveau directeur exécutif, c'est parce que le rôle de Frontex n'est pas clairement défini. Cependant, avant de réformer Frontex, il nous faut construire une politique migratoire européenne crédible.

Lors de son audition par nos deux commissions, le 10 novembre dernier, Mme Kalnaja, directrice par intérim de Frontex, nous indiquait qu'il y avait plus de 100 000 passages illégaux des frontières par an. On peut donc se poser la question : à quoi sert cette agence ?

M. Alain Cadec. - J'ai voté en faveur de la création de Frontex lorsque j'étais membre du Parlement européen. Son fonctionnement est certes imparfait - il faut notamment la renforcer et mieux l'organiser -, mais j'estime que nous avons besoin de cette agence. C'est pourquoi, pour ma part, je voterai cette proposition de résolution européenne.

Mme Patricia Schillinger. - À titre personnel, je voterai contre cette proposition, car j'estime qu'elle ne permettra pas d'agir assez rapidement.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est précisément pour faire avancer les choses que nous vous présentons cette PPRE !

M. Jean-Yves Leconte. - Vous proposez d'aller dans le mauvais sens !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - En ce qui concerne le recrutement du futur directeur exécutif, il est précisé que celui-ci doit avoir une bonne connaissance du cadre juridique de l'Union européenne dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice, et plus particulièrement dans le domaine de la gestion des frontières et des retours. Cela implique évidemment la connaissance des droits fondamentaux à respecter.

La forme et le calendrier d'examen de cette proposition de résolution sont essentiellement liés à la nomination du futur directeur exécutif. Nous souhaitons que le Sénat français porte un message à l'intention de l'Union européenne, qui a déjà beaucoup tardé à nommer ce directeur, et à l'intention de la personne qui sera nommée.

J'en appelle à une mobilisation collective sur la situation actuelle. Dans les Hauts-de-France, des sauvetages ont lieu tous les jours, parfois plusieurs fois par jour. Frontex a proposé d'allouer des moyens supplémentaires à la surveillance de ces côtes, notamment un avion chargé de repérer les couloirs de passage des bateaux. Je ne vois pas en quoi cela s'opposerait aux droits fondamentaux.

Je veux également préciser que l'agence Frontex n'a pas à assumer les missions des autres agences européennes. Je rappelle en effet que l'Union européenne dispose d'une agence des droits fondamentaux et d'une agence pour l'asile. Aujourd'hui, Frontex vient en soutien des États membres pour la surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne, et même au-delà : lors de la réunion du groupe d'amitié France-Albanie qui s'est tenue hier, nos homologues albanais nous ont remerciés pour les moyens que Frontex met à leur disposition. De même, des conventions permettent d'ores et déjà à Frontex d'apporter son appui à certains pays africains.

Notre objectif est d'adresser un message volontaire et bienveillant aux instances européennes afin d'accélérer et d'encadrer le processus de nomination et de rappeler l'importance du respect des droits fondamentaux. Ainsi, un chapitre entier de la proposition de résolution y est consacré.

M. Jean-Yves Leconte. - Les alinéas 40 à 42 encadrent tout de même très strictement la mission de surveillance de l'officier aux droits fondamentaux.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Celui-ci doit en effet avoir également des connaissances en matière de gestion des frontières.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Frontex intervient, non pas de manière autonome, mais en appui des services de sécurité et de contrôle des États. L'agence est puissante parce que ses moyens ont été considérablement augmentés, et il faut indiscutablement ajuster et équilibrer les conditions d'exercice de sa mission : tel est précisément l'objet de cette PPRE.

M. Didier Marie. - Nous déplorons l'orientation sécuritaire des missions de Frontex que votre proposition défend.

Par ailleurs, la question de la responsabilité de l'agence à l'égard des États membres, notamment en ce qui concerne les refoulements et le respect des droits fondamentaux, n'est pas résolue par cette PPRE.

Enfin, ce débat pose plus largement la question de la refonte de la politique migratoire européenne. Tant qu'il n'existera pas de voies légales de migration identifiées, ces difficultés ne pourront être résolues.

M. Jean-Yves Leconte. - J'ai la conviction que Frontex n'est pas en mesure de dénoncer la réalité de ce qui se passe aujourd'hui aux frontières de la Grèce.

Par ailleurs, une PPRE est généralement étudiée au préalable en commission en bonne intelligence avec les groupes politiques, ce qui n'a pas été le cas de ce texte qu'on nous propose dans l'urgence.

M. Pascal Allizard. - Cette discussion ressemble étrangement à celle que nous avons eue hier dans l'hémicycle à l'occasion du débat qui a suivi la déclaration du Gouvernement sur la politique de l'immigration. Je crois qu'on ne peut que constater que les positions divergent, et qu'elles sont toutes respectables. Nos échanges ne feront pas évoluer ces positions. Pourrions-nous passer au vote de la proposition ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je rappelle aux collègues de la commission des lois qu'ils ne participent pas au vote de cette PPRE.

La commission des affaires européenne adopte la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 00.