Mardi 13 décembre 2022

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de nomination de M. Patrice Vergriete, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Bruno Belin rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Patrice Vergriete aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf).

Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture - Examen des amendements aux articles délégués au fond

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons les amendements de séance au texte de la commission des affaires sociales n° 187 (2022-2023) sur le projet de loi n° 140 (2022-2023) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. Je rappelle que notre commission a reçu de la commission des affaires sociales une délégation au fond pour l'examen des articles 26 à 29 de ce projet de loi.

Notre commission a examiné la semaine dernière le rapport pour avis de notre collègue Cyril Pellevat. Tous les amendements proposés par notre commission ont été adoptés par la commission des affaires sociales, ce dont je me félicite.

S'agissant du texte qui sera examiné en séance publique, nous devons proposer un avis sur les amendements portant sur les articles délégués au fond. Pour certains amendements, le rapporteur vous proposera l'irrecevabilité en application de l'article 45 de la Constitution, sur le fondement du périmètre adopté la semaine dernière par la commission des affaires sociales.

Notre rapporteur ayant rencontré des problèmes de circulation, je présenterai à sa place les avis qu'il propose à notre commission.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 26

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  21, ainsi qu'à l'amendement n°  61.

M. Jean-François Longeot, président. - L'amendement n°  53, ainsi que l'amendement n°  22 et l'amendement n°  54, proposent de permettre l'augmentation des recettes des exploitants autoroutiers, au bénéfice du report modal. La commission des finances les avait initialement déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Les auteurs ont souhaité les maintenir et modifier le dispositif pour le rendre recevable. Ainsi, ont été supprimées les dispositions relatives à l'affectation des recettes au report modal. Ne demeure que la possibilité d'augmentation des péages, ce qui ne me semble pas correspondre à l'intention de leurs auteurs : aussi, je m'interroge sur l'intention des auteurs et le point de savoir s'ils comptent maintenir ces amendements ainsi modifiés sur le fond, ou bien les retirer.

M. Jacques Fernique. - Effectivement, nous n'entendions pas augmenter les péages au seul bénéfice des concessionnaires, mais renforcer le report modal : il ne serait pas infondé de retirer ces amendements. Nous allons y réfléchir.

M. Didier Mandelli. - En réalité, il reviendrait plutôt à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) d'affecter les ressources supplémentaires au report modal.

La commission demande le retrait de l'amendement n°  53 rect, ainsi que des amendements n°  22 rect et n°  54 rect, et, à défaut, y sera défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  60, ainsi qu'à l'amendement n°  52.

Articles additionnels après l'article 26

L'amendement n°  14 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, de même que l'amendement n°  10.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°  6 rectifié et 34 rectifié.

L'amendement n°  est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article additionnel après l'article 26 bis

L'amendement n°  31 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Articles additionnels après l'article 27

Les amendements identiques n°  27  et 37 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution, de même que les amendements n°  23 et 32, les amendements identiques n°  24 et 33, les amendements identiques n°  8, 25 et 35, ainsi que les amendements identiques n°  26 et 36.

Article 28

La commission émet un avis favorable à l'amendement n°  77 et des amendements identiques n°  30 rectifié ter, 46 rectifié, 57 rectifié, et 43 rectifié bis, qui ont été rectifiés par leurs auteurs pour les rendre identiques à l'amendement n° 77.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  74.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n°  55.

Articles additionnels après l'article 28

L'amendement n°  41 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, de même que l'amendement n°  15 et que les amendements n°  4  et 5.

Article additionnel après l'article 29

L'amendement n°  42 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, de même que l'amendement n° 3.

Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :

Article 26

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

Mme PRÉVILLE

21

Abaissement du tonnage des véhicules soumis à péage de 3,5 à 2,5 tonnes

Défavorable

Le Gouvernement

61

Suppression de la possibilité de modulation horaire des péages

Défavorable

M. FERNIQUE

53 rect.

Application d'une redevance de congestion sur les tronçons routiers régulièrement saturés

Demande de retrait

Mme PRÉVILLE

22 rect.

Possibilité d'accroissement du montant total des recettes de l'exploitant

Demande de retrait

M. FERNIQUE

54 rect.

Possibilité de soumettre les véhicules à une majoration sur la redevance d'infrastructure

Demande de retrait

Le Gouvernement

60

Suppression de la date d'entrée en vigueur de la redevance pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique due au trafic

Défavorable

M. FERNIQUE

52

Avancée de 2026 à 2024 la date d'entrée en vigueur de la redevance pour coûts externes liée à la pollution atmosphérique due au trafic

Défavorable

Article additionnel après article 26

M. SAUTAREL

14

Mise en cohérence des pouvoirs d'enquête et des pouvoirs de sanction de l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

10

Procédures mises en oeuvre par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur aéroportuaire

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

6 rect.

Droit d'accès de l'Autorité de régulation des transports aux informations détenues par les percepteurs de péages, les prestataires du service européen de télépéage et toute personne dont l'activité est liée à la prestation de service européen de télépéage

Avis du Gouvernement

M. LEFÈVRE

34 rect.

Droit d'accès de l'Autorité de régulation des transports aux informations détenues par les percepteurs de péages, les prestataires du service européen de télépéage et toute personne dont l'activité est liée à la prestation de service européen de télépéage

Avis du Gouvernement

M. SAUTAREL

9

Transmission d'informations par les exploitants d'aérodromes à l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

Article additionnel après article 26 bis

M. LEFÈVRE

31

Annexion au contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État d'une programmation pluriannuelle des investissements de SNCF Réseau

Irrecevable article 45

Article additionnel après article 27

Mme PRÉVILLE

27

Procédures mises en oeuvre par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur aéroportuaire

Irrecevable article 45

M. LEFÈVRE

37

Procédures mises en oeuvre par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur aéroportuaire

Irrecevable article 45

Mme PRÉVILLE

23

Annexion au contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État d'une programmation pluriannuelle des investissements de SNCF Réseau

Irrecevable article 45

M. LEFÈVRE

32

Extension du pouvoir réglementaire de l'Autorité de régulation des transports aux conditions tarifaires d'accès au réseau ferroviaire et à la qualité de service

Irrecevable article 45

Mme PRÉVILLE

24

Supprimer l'homologation ministérielle sur les décisions adoptées par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur ferroviaire

Irrecevable article 45

M. LEFÈVRE

33

Supprimer l'homologation ministérielle sur les décisions adoptées par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur ferroviaire

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

8

Permettre à l'Autorité de régulation des transports de rendre des avis sur les textes réglementaires relatifs à la régulation des aéroports

Irrecevable article 45

Mme PRÉVILLE

25

Permettre à l'Autorité de régulation des transports de rendre des avis sur les textes réglementaires relatifs à la régulation des aéroports

Irrecevable article 45

M. LEFÈVRE

35

Permettre à l'Autorité de régulation des transports de rendre des avis sur les textes réglementaires relatifs à la régulation des aéroports

Irrecevable article 45

Mme PRÉVILLE

26

Transmission d'informations par les exploitants d'aérodromes à l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

M. LEFÈVRE

36

Transmission d'informations par les exploitants d'aérodromes à l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

Article 28

Le Gouvernement

77

Élargissement du droit à l'information des voyageurs ferroviaires et définition par décret des modalités d'assistance aux personnes handicapées ou à mobilité réduite pour les services urbains et suburbains de transport ferroviaire

Favorable

Mme GUIDEZ

30 rect. ter

Élargissement des droits des voyageurs ferroviaires

Favorable

Mme PRÉVILLE

46 rect.

Élargissement des droits des voyageurs ferroviaires

Favorable

Mme Mélanie VOGEL

57 rect.

Élargissement des droits des voyageurs ferroviaires

Favorable

M. MOUILLER

43 rect. bis

Élargissement des droits des voyageurs ferroviaires

Favorable

Mme APOURCEAU-POLY

74

Suppression du report à 2025 de l'entrée en vigueur de certaines obligations en matière d'indemnisation, de remboursement et d'assistance s'appliquant aux billets directs pour les services ferroviaires régionaux

Défavorable

M. FERNIQUE

55

Extension de l'obligation pour les autorités organisatrices de mobilité régionales et Île-de-France Mobilités, de définir un nombre adéquat d'emplacements pour bicyclettes dans les matériels roulants neufs

Sagesse

Article additionnel après article 28

M. LEFÈVRE

41

Mise en cohérence des pouvoirs d'enquête et des pouvoirs de sanction de l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

15

Publicité des séances de la commission des sanctions de l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

4

Extension du pouvoir réglementaire de l'Autorité de régulation des transports aux conditions tarifaires d'accès au réseau ferroviaire et à la qualité de service

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

5

Supprimer l'homologation ministérielle sur les décisions adoptées par l'Autorité de régulation des transports dans le secteur ferroviaire

Irrecevable article 45

Article additionnel après article 29

M. LEFÈVRE

42

Publicité des séances de la commission des sanctions de l'Autorité de régulation des transports

Irrecevable article 45

M. SAUTAREL

3

Annexion au contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État d'une programmation pluriannuelle des investissements de SNCF Réseau

Irrecevable article 45

La réunion est close à 9 h 50.

Mercredi 14 décembre 2022

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Audition de M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

M. Jean-François Longeot, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, nous entendons ce matin M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Cette nomination ne peut intervenir qu'après audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique, ouverte à la presse et retransmise sur le site du Sénat. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Monsieur Ravignon, après un propos introductif de la rapporteure Marta de Cidrac, vous pourrez nous présenter votre candidature et nous faire part de vos motivations, avant de répondre aux premières questions de la rapporteure. Puis mes collègues sénateurs vous interrogeront à leur tour pour une séquence de questions-réponses.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Monsieur Ravignon, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner votre candidature à la présidence du conseil d'administration de l'Ademe. Nous allons, tous ensemble, analyser ce matin les forces et faiblesses de votre candidature à la tête d'un opérateur désormais incontournable dans la conduite des politiques publiques suivies par notre commission.

J'aimerais tout d'abord faire un petit détour par l'histoire de l'Ademe, qu'il me semble pertinent de rappeler ici pour mieux apprécier l'importance de votre candidature.

À l'origine, en 1982, l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie (AFME) est créée par François Mitterrand pour réfléchir aux questions d'économies d'énergie et au développement des énergies nouvelles. Elle est alors perçue comme un contre-pouvoir à EDF dans un contexte de montée en puissance du secteur électrique nucléaire en France.

Une première étape dans l'inexorable croissance de l'opérateur dont vous briguez la présidence est franchie dix ans plus tard, en 1992, avec la création de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui résulte de la fusion de plusieurs agences préexistantes : l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie, l'Agence pour la qualité de l'air (AQA) et l'Agence nationale pour la récupération et l'élimination des déchets (Anred).

Cette fusion illustre la dynamique qui sera dès lors celle de l'Ademe : une extension de son champ de compétence, au-delà de son périmètre initial, cantonné à l'énergie. En 2022, l'agence poursuit ainsi des actions aussi diverses que la mise en oeuvre des objectifs nationaux en matière de chaleur renouvelable, d'économie circulaire, de mobilité durable, d'amélioration de la qualité de l'air, de reconversion des friches polluées, d'accompagnement des entreprises et des territoires, ou encore d'adaptation au changement climatique.

L'Ademe incarne aujourd'hui quelques programmes phares, que nous connaissons bien. Tout d'abord, le fonds Chaleur, pour le développement de la chaleur renouvelable, a été doté, pour 2023, de 520 millions d'euros. Il connaît une croissance continue, notamment grâce aux amendements portés par notre chambre et, en particulier, par nos deux collègues rapporteurs budgétaires, François Calvet et Pascal Martin. Ensuite, le fonds Économie circulaire a été abondé, pour 2023, de 210 millions d'euros et le fonds Décarbonation de l'industrie, créé à la faveur du plan de relance, a bénéficié de 1,7 milliard d'euros.

L'Agence est passée, institutionnellement, de la marge au coeur du réacteur - si vous me permettez cette image - pour devenir un acteur incontournable, mais autonome. À la lecture de son histoire et de son institutionnalisation progressive, on comprend également que les problématiques environnementales qu'elle porte, notamment les économies d'énergie et le développement des énergies renouvelables, ont fini par irriguer pleinement le débat public.

Cette croissance continue de l'Ademe s'est récemment traduite par une très forte augmentation des moyens budgétaires mis à sa disposition : alors que son budget fluctuait au cours de la précédente décennie entre 500 millions d'euros et 1 milliard d'euros, il atteindra en 2023 un niveau record de 4,2 milliards d'euros.

Je constate toutefois que les moyens humains n'ont pas suivi dans les mêmes proportions. Certes, les effectifs augmenteront en 2023, avec la création de 90 postes supplémentaires. Mais il faut prendre un peu de recul : en 2022, les moyens humains de l'Ademe étaient en réalité inférieurs à ce que cet opérateur a connu au cours d'une bonne partie de la décennie précédente. On sait par ailleurs que le fonctionnement de l'Ademe se caractérise par un recours significatif à de l'intérim ou des contrats à durée déterminée (CDD). Une telle situation est-elle durable, alors même que les politiques menées par l'Ademe demandent un suivi au long cours ? On peut évidemment en douter. Monsieur Ravignon, nous voudrions en savoir plus concernant le schéma d'emplois. Nous espérons que vous pourrez nous communiquer des éléments rassurants sur ce sujet.

En outre, la croissance passée et présente de l'Ademe nous invite naturellement à vous interroger sur la trajectoire d'évolution future de l'opérateur que vous vous apprêtez à diriger. En particulier, envisagez-vous de positionner l'Ademe sur de nouveaux périmètres d'intervention ? Comment comptez-vous articuler vos compétences avec celles d'autres opérateurs de l'État qui interviennent dans des champs proches du vôtre ? Je pense notamment au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) concernant l'adaptation au changement climatique ? L'efficacité de l'action publique implique d'éviter les redondances, voire les logiques de concurrence entre opérateurs publics, qui doivent toutes aller dans la même direction.

Il me faut également aborder les questions relatives à la gouvernance de l'Ademe, profondément impactée par la récente adoption de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), qui attribue au préfet de région la fonction de délégué territorial de l'Ademe. Ce dernier représentera localement l'établissement, édictera à l'attention du représentant territorial de l'établissement des directives d'action territoriale et participera à l'évaluation du responsable territorial de l'établissement. Si l'on peut comprendre la volonté d'un contrôle de l'État sur un établissement dont l'importance croît d'année en année, cette évolution ne doit pas se traduire par une mainmise de Paris sur l'action territoriale de l'Ademe. Nous le savons, c'était un motif d'inquiétude pour votre prédécesseur, M. Arnaud Leroy. Pouvez-vous nous donner des garanties quant à l'autonomie de l'établissement vis-à-vis de l'État ? C'est un point qui sera très important dans l'appréciation que nous porterons sur votre candidature.

Parallèlement, la loi 3DS opère un mouvement décentralisateur auquel nous ne pouvons que souscrire. En effet, le législateur a souhaité mieux associer les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à la gouvernance de l'Ademe. Il a également prévu la délégation d'une partie des fonds Chaleur et Économie circulaire gérés par l'Ademe aux régions volontaires ayant conclu avec elle une convention de transition énergétique régionale. Souhaitez-vous renforcer plus encore les relations et collaborations entre l'Ademe et les collectivités territoriales, en particulier avec le duo régions/intercommunalités ?

J'aimerais enfin vous poser une question plus spécifique sur l'application de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec), à laquelle nous avons largement contribué.

Nous avons souhaité renforcer les moyens de l'Ademe pour contrôler les éco-organismes. Pour ce faire, nous avons créé une redevance directement prélevée sur les filières pour financer des équivalents temps pleins (ETP) dédiés. Par ailleurs, nous avons élaboré un régime de sanctions pour pénaliser les éco-organismes en cas de non-respect de leurs obligations et de non-atteinte des objectifs qui leur sont assignés. Pour faire avancer notre politique d'économie circulaire, il nous faut maintenant assurer la crédibilité de cet édifice de contrôle et de sanctions.

Nous attendons donc que vous fassiez preuve d'autonomie et, le cas échéant, de fermeté à l'égard des filières à responsabilité élargie du producteur (REP). Sinon la loi Agec sera un échec. Votre responsabilité est très grande. Nous espérons que vous pourrez nous rassurer quant à votre volonté d'agir résolument en la matière.

M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.  C'est un honneur pour moi d'être auditionné ce matin par votre commission. Je présenterai d'abord ma candidature, avant de revenir sur les questions posées par Mme la rapporteure.

Ma démarche ne doit vraiment rien au hasard. Les questions de la transition écologique me passionnent et je m'y suis impliqué depuis très longtemps. Mon engagement politique national a commencé au moment du Grenelle de l'environnement. J'ai été conseiller de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République de 2007 à 2012, j'ai travaillé au lancement et à la mise en oeuvre du Grenelle aux côtés de Chantal Jouanno et de Jean-Louis Borloo. Ainsi, j'ai la fierté d'avoir contribué à la naissance du fonds Chaleur, qui est considéré aujourd'hui comme un beau succès.

En 2014, mes concitoyens m'ont fait confiance en m'élisant maire de Charleville-Mézières et en me confiant la présidence de l'agglomération, devenue aujourd'hui Ardenne métropole, alors qu'il s'agit d'un territoire très largement rural, qui compte aujourd'hui 130 000 habitants. J'y ai poursuivi mon engagement, en travaillant sur les mobilités actives et douces, notamment le développement du vélo. Nous avons aussi été précurseurs dans le développement de la mobilité électrique, avec un équipement en bornes de recharge qui est l'un des meilleurs de France. Je mentionnerai également la question des déchets, sujet sur lequel nous nous sommes engagés à réduire encore plus les ordures ménagères. Ainsi, sur ces questions de transition écologique, j'ai d'abord travaillé au niveau national de manière intellectuelle, puis je n'ai eu de cesse d'appliquer et de mettre en pratique mes réflexions dans ma vie d'élu local.

Dans le cadre de cet engagement, j'ai pu observer l'importance, voire le caractère central, de l'Ademe, qu'il s'agisse du développement de la mobilité électrique ou de la réduction des déchets.

Il nous faut aujourd'hui massifier la transition écologique pour les particuliers, les collectivités et les entreprises de notre pays. Tel est le sens de ma candidature, en tant qu'élu local connaissant bien les enjeux et le potentiel de la transition écologique au niveau du territoire.

Vous m'avez interrogé sur les effectifs de l'Ademe. Le relèvement du plafond d'emplois de 90 ETP en 2023 permettra simplement de rattraper la diminution enregistrée depuis 2014. Dans le contexte budgétaire actuel, il faut apprécier cette dotation supplémentaire. J'aurai à coeur de vérifier l'adéquation entre les missions confiées à l'Ademe et les moyens alloués.

Par ailleurs, ces dernières années, l'Ademe a beaucoup travaillé sur les systèmes d'information afin de bénéficier d'une meilleure fluidité et d'une meilleure ergonomie concernant le traitement des dossiers. Il reste, je crois, des marges à explorer en termes d'organisation et de coopération. Si nous anticipons avec les régions un large mouvement de contractualisation sur les fonds Chaleur et Économie circulaire, cela impactera les moyens dont nous aurons besoin. Toutefois, je tiens à vous rassurer : je vérifierai sur le terrain, y compris outre-mer, que nous avons bien les moyens d'agir. Si des ajustements étaient nécessaires, je remonterais les difficultés parce que nous devons faire preuve d'efficacité.

S'agissant des nouveaux périmètres, l'Ademe est un opérateur de l'État, qui met en oeuvre des politiques du Gouvernement et du Parlement. Par conséquent, elle ne choisit pas ses périmètres d'intervention. Certes, nous avons une véritable expertise indépendante sur de très nombreux sujets qui nous permet d'avoir, avec les trois ministères de tutelle - transition écologique, transition énergétique et enseignement supérieur - des discussions intéressantes, y compris en termes de stratégie. Il s'agit d'un acquis extrêmement précieux, qu'il nous faudra préserver à l'avenir.

Si l'agence ne choisit pas son périmètre d'action, elle doit mettre en oeuvre les politiques qui lui sont confiées, avec efficacité, voire efficience, dans le cadre d'un budget contraint.

Il convient donc, comme vous l'avez dit, d'éviter toute forme de concurrence et de rechercher une meilleure cohérence de l'action publique. Je pense à d'autres opérateurs de l'État, comme le Cerema, dont chacun reconnaît la très grande qualité. Il convient d'amplifier la coopération entre l'Ademe et le Cerema. Je pense aussi à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et à Bpifrance.

Nous devons également réfléchir à une coordination entre l'action de l'État et celle des collectivités locales. Je suis actuellement, en tant que vice-président de la région Grand Est - c'est un mandat que j'abandonnerai si je suis nommé à l'Ademe - chargé du développement économique. Les modalités de décarbonation de l'industrie, à savoir la proposition de diagnostics et la mobilisation de fonds publics pour réaliser les investissements, sont similaires, qu'il s'agisse d'une action menée par l'Ademe ou par les régions métropolitaines. Travaillerons-nous à la décarbonation industrielle de notre pays en ordre dispersé, alors même que l'argent public devient rare ?

Nous devons vraiment agir pour éviter toute concurrence entre opérateurs de l'État, services de l'État et collectivités territoriales. En tant qu'élu local, je suis particulièrement sensible à cet aspect.

Vous avez également évoqué la loi 3DS, qui implique une évolution du fonctionnement de l'Ademe dans les territoires, le préfet de région devenant délégué territorial de l'Ademe. C'est une évolution importante pour celle-ci, qui a longtemps eu une autonomie de gestion beaucoup plus grande. Je m'interroge sur le fait que cette autonomie a pu conduire par le passé à quelques maladresses concernant la cohérence territoriale de son action ? J'ai tendance à le penser.

L'Ademe doit tirer tous les avantages d'une telle évolution. Ainsi, les préfets ayant signé, dans les territoires, les contrats de relance et de transition écologique ont connaissance d'un très grand nombre de projets allant dans le sens de la transition écologique. Elle doit devenir un pôle d'expertise et d'aide à destination des préfets de région et de département. C'est non seulement ce que la loi nous prescrit, mais c'est aussi une exigence de cohérence de l'action publique.

En tant que président du conseil d'administration, je serai attaché à ce que l'Ademe conserve son autonomie de gestion qui permet de susciter des initiatives et d'agir plus rapidement sur certains sujets.

En tant qu'élu local, j'estime souhaitable qu'il y ait un seul interlocuteur, en l'occurrence le préfet, l'ensemble des opérateurs de l'État se rangeant derrière lui.

Pour ce qui concerne la décentralisation, je suis convaincu qu'une grande partie des sujets concernant la transition écologique se jouera dans les territoires, grâce à la capacité des élus à susciter l'acceptabilité sociale d'un certain nombre de changements. La sobriété énergétique n'est pas un sujet simple et ne se réduit pas à quelques réglages de température ! Ce sera tout à l'honneur des élus locaux que de participer à l'explicitation de ces enjeux. L'Ademe devra être aux côtés des territoires, qui seront sur la ligne de front de la transition écologique.

Je suis donc favorable à une territorialisation accrue de l'Ademe. La loi permet de travailler avec les régions dans le cadre de la délégation du fonds Chaleur et du fonds Économie circulaire. Il convient d'aller au-delà : l'Agence doit intervenir en soutien des autres collectivités en matière d'ingénierie et de financement.

J'en viens à la loi Agec et à ses conséquences.

La loi AGEC induit une extension significative des compétences de l'Ademe. À la lecture de son organigramme, on observe que nous avons fait notre part du chemin, en constituant une direction de la supervision de la responsabilité élargie du producteur. Aujourd'hui, nous essayons de trouver une solution au blocage des éco-organismes s'agissant du versement des redevances. Le budget annexe qui a été mis en place n'est pas alimenté par les redevances instituées par la loi. Il faut reprendre une démarche diplomatique et amiable avec ces différents éco-organismes, car la loi doit s'appliquer ! Si tel n'était pas le cas, l'Ademe ne pourrait pas laisser ce sujet en l'état. La surveillance du bon fonctionnement de ces REP est un sujet essentiel de l'économie circulaire en métropole, mais aussi et surtout en outre-mer.

M. Joël Bigot. - Monsieur le candidat, monsieur le maire - ce n'est pas par hasard que j'emploie ce mot -, après avoir interpellé à plusieurs reprises le Président de la République sur la vacance de la présidence de l'Ademe provoquée par le départ anticipé d'Arnaud Leroy en juin dernier, nous avons beaucoup de plaisir à vous recevoir aujourd'hui.

En tant que membre du conseil d'administration de l'Agence, j'ai pu constater que cette vacance, qui a duré six mois, a créé des inquiétudes et jeté une certaine confusion dans les services de cette instance.

L'Ademe est le premier opérateur de l'État pour la transition écologique. À l'heure de la sobriété générale pour nos concitoyens et nos collectivités territoriales, il eût été judicieux d'avoir un président de l'Ademe susceptible de porter une voix singulière dans le cadre du débat budgétaire.

Les moyens de l'Ademe augmentent de 46 millions d'euros, passant de 154 millions d'euros à 210 millions d'euros. Toutefois, cette augmentation dissimule certaines baisses de crédits, comme ceux qui sont dédiés au fonds Barnier. Il n'est pas sûr que la hausse des moyens soit à la hauteur des missions dévolues à l'Ademe au travers de la loi Agec, notamment la supervision des nouvelles filières REP.

Il existe un véritable enjeu d'emplois à l'Ademe. Même si certains postes sont créés, les effectifs sont quasiment constants depuis 2009, alors que les projets à piloter sont de plus en plus importants. L'Ademe recrute donc des intérimaires qui sont dans l'incapacité de suivre les dossiers sur le long terme, ce qui n'est pas bon pour notre ingénierie d'État et le suivi des projets des collectivités territoriales. J'espère que vous pourrez nous répondre sur ce sujet.

Depuis la loi 3DS, le Gouvernement souhaite reprendre en main, voire recadrer, l'Ademe, sous la houlette du préfet de région. Vous l'avez dit sans ambiguïté, l'Ademe a eu trop d'autonomie. Selon Christophe Béchu, le Gouvernement souhaiterait adresser des feuilles de route de début de mandat aux différentes agences d'ingénierie de l'État en matière de transition écologique. Face à ce nouveau dispositif, les élus locaux sont un peu perdus. Jusqu'à présent, le fonctionnement de l'Ademe offrait une certaine souplesse permettant de consommer tous les crédits, voire de les réorienter au cours de l'année. Désormais, les choses risquent de s'organiser en silo, avec des enveloppes non consommées.

Quelle est votre vision de l'articulation entre l'Ademe, l'ANCT, le Cerema et l'État déconcentré ? Avez-vous connaissance des feuilles de route évoquées par M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ?

S'agissant de l'exercice de votre fonction de maire, comptez-vous démissionner de vos mandats électifs à la mairie ou à l'agglomération de Charleville-Mézières, pour vous consacrer entièrement à votre tâche à l'Ademe ? Si tel n'était pas le cas, celui induirait un changement de paradigme à la présidence de l'Ademe, qui deviendrait le bras armé des décisions de l'État central.

Enfin, l'Ademe a publié en 2021 quatre scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Ces derniers prévoient tous une part importante d'électricité renouvelable. Avez-vous pu en prendre connaissance ? Penchez-vous en faveur de l'un d'eux ?

M. Didier Mandelli. - Je n'ai aucun doute sur vos compétences, votre appétence pour la fonction et votre efficacité à présider l'Ademe.

Le Président de la République a désigné, depuis quelques mois, un grand nombre de personnalités à la tête de différents organismes. J'ai du mal à comprendre ses objectifs dans le cadre de ces désignations. S'agit-il d'une récompense pour avoir fait allégeance ? S'agit-il de faire confiance aux élus locaux qui ont fait leurs preuves, à Charleville-Mézières, à Dunkerque ou ailleurs ?

Par ailleurs, l'Ademe, qui est le bras armé de l'État dans la mise en oeuvre des politiques de transition écologique, nécessite un engagement quotidien et permanent. Vous postulez à la présidence de l'Ademe, alors que vous êtes aujourd'hui maire et président d'agglomération. À mes yeux, le cumul de toutes ces fonctions n'est pas envisageable.

M. Boris Ravignon. - S'agissant de la vacance à la présidence de l'Ademe, on doit pouvoir rassurer rapidement les uns et les autres. Dans le contexte d'urgence climatique dans lequel nous sommes, la remobilisation devrait se faire vite.

Travailler à l'Ademe, c'est un privilège et une chance. Ceux qui rejoignent ses services en tant qu'intérimaires ou contractuels évoquent une belle expérience, extrêmement valorisante. Certes, il convient de stabiliser les effectifs. Si nous voulons que l'Ademe puisse accomplir ses missions, nous devrons avoir des discussions régulières sur le niveau du plafond d'emplois. Ma priorité, si ma nomination est confirmée, sera de vérifier, au cours des toutes premières semaines, que nous avons les moyens d'accomplir les missions qui nous sont confiées. Cela doit nous conduire à réfléchir au statut de ceux qui travaillent à l'Ademe. Nous n'avons pas à entretenir une précarité excessive et il faudra donc prévoir des emplois permanents.

Sur la question d'un fonctionnement en silo, si la loi 3DS devait nous conduire à travailler en silo, cela irait, je crois, contre la volonté du législateur qui a souhaité une meilleure cohérence au niveau des territoires. L'Ademe doit apporter une expertise et un soutien en matière de transition écologique dans les territoires. Il doit y avoir un travail régulier de coopération entre les délégations, les directions régionales et les services de l'État. Nous devons concilier le respect de la loi, une souplesse de gestion et une réactivité dans la réponse aux sollicitations des entreprises et des collectivités.

L'Agence doit se coordonner avec le Cerema, dont les compétences sont extrêmement pointues dans un certain nombre de domaines, et l'ANCT. Ces deux organismes n'ont à leur disposition ni les fonds ni les expertises pour accompagner certains projets.

Vous m'avez interrogé sur mon engagement en tant que président de l'Ademe. Je suis tout à fait conscient d'être candidat à une fonction d'action et non de représentation. Je m'y engage devant vous, je serai un président à plein temps de l'Ademe. J'assumerai pleinement les missions d'action qui me seront confiées, si vous en décidez ainsi. J'en suis pour ma part convaincu, je serai un bien meilleur président de l'Ademe en restant maire, c'est-à-dire en agissant sur le terrain. Au-delà de mon attachement à mon mandat, il s'agit de la construction d'une synergie qui sera utile. Je serai maire sur mon temps personnel, avec des équipes qui fonctionnent depuis huit ans et un collectif d'élus qui travaille à mes côtés. J'ai déjà pris des dispositions en ce sens pour m'organiser, le cas échéant. Pour autant, si je constatais que les choses étaient trop difficiles, je pourrais envisager une évolution. Très honnêtement, la fonction de maire me semble plus un atout qu'un inconvénient. En tout état de cause, je prends l'engagement d'être président à plein temps de l'Ademe.

S'agissant des conclusions du rapport Transition(s) 2050, il s'agit d'un travail extrêmement important, qui a parfois été le support d'une polémique non justifiée. Cela montre qu'il n'y a pas une seule manière d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon de 2050. L'un des scénarios est très axé sur la sobriété, y compris en matière de déplacement, de consommation de produits carnés ou d'étalement urbain, avec des conséquences importantes sur nos modes de vie. À l'opposé, un autre scénario fait clairement le pari d'un recours à des technologies de séquestration du carbone, pari aujourd'hui risqué et compliqué.

Ces quatre scénarios font également apparaître des invariants, notamment le développement des énergies renouvelables.

Le développement du nucléaire, qui ne me pose aucun problème à titre personnel, est une donnée dont il faut tenir compte. Au-delà, nous devons nous donner les moyens de développer la chaleur renouvelable. Les réseaux de chaleur représentent aujourd'hui 40 % de notre consommation énergétique finale. Il s'agit donc d'un sujet fondamental sur lequel l'agence peut agir, notamment via le fonds Chaleur dont je sais que le Sénat fait en sorte qu'il soit convenablement doté, voire que sa dotation augmente.

M. Hervé Gillé. - Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, mais mes interrogations demeurent.

Vous avez l'ambition d'être président-directeur général de l'Ademe, comme l'était Arnaud Leroy. Il s'agit d'un engagement important à hauteur des émoluments perçus. Je reste donc très interrogatif eu égard à vos engagements politiques, qui vous prendront naturellement également du temps. Je m'attendais à une évolution de la gouvernance avec un président, un directeur général et un directeur général adjoint bien distincts.

Par ailleurs, je manque de clefs de lecture pour comprendre votre approche en termes de contractualisation et de décentralisation. Certes, je comprends que vous souhaitiez approfondir les relations entre l'agence et les régions. Je comprends également votre souci d'améliorer la relation de l'Ademe avec les services de l'État, et plus particulièrement les préfets. Mais quid de l'approche territoriale ? Je pense notamment à la mise en oeuvre des dispositions relatives au projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Considérez-vous les schémas de cohérence territoriale (Scot) comme des territoires d'appréhension et de mise en oeuvre des politiques à la fois climatiques et énergétiques ? Vous avez évoqué les EPCI, mais ceux-ci s'inscrivent dans des logiques de territoire.

Comment sortir de la logique, parfois un peu trop prégnante, d'appel à projets de l'Ademe ? Comment concevoir un accompagnement plus linéaire en termes de temporalité, avec des approches plus contractualisées ? Quelle est votre vision de la complémentarité de l'action de l'agence avec celle de l'État, notamment dans la mise en oeuvre du fonds vert ?

M. Frédéric Marchand. - Un sujet n'a pas été évoqué, celui de la reterritorialisation de notre alimentation. Je pense notamment aux fameux projets alimentaires territoriaux, sur lesquels certains des membres de notre commission ont travaillé.

Dans ce domaine, la compétence et l'expertise des territoires sont reconnues de manière unanime en ce qu'ils sont au coeur de la transition écologique. La force de l'Ademe réside aujourd'hui en grande partie dans ses implantations locales. La pérennisation et le renforcement de ces antennes sont-ils l'une des priorités de votre feuille de route ?

M. Jacques Fernique. - Vous avez souligné le rôle majeur des territoires dans la transition écologique. Il semble que nous entrions dans une phase de transition à l'intérieur même de cette transition : nous passons ainsi de l'époque des collectivités pionnières à celle d'une généralisation de l'implication des territoires.

Toutefois, la problématique budgétaire risque de se traduire par un affaiblissement des investissements des collectivités, malgré le filet de sécurité ou tout autre dispositif. Les affichages resteront peut-être, mais les taux de réalisation risquent de fléchir sérieusement.

Dans ce contexte, comment l'Ademe peut-elle contribuer à étendre plus encore cette généralisation ? Certains territoires devant faire face à d'autres priorités, comment éviter l'apparition de zones blanches de la transition écologique ?

Mme Marie-Claude Varaillas. - Je ne reviendrai pas sur la question, mais rester maire et président d'agglomération tout en assumant les responsabilités auxquelles vous aspirez me semble constituer un vrai défi.

Tout le monde s'accorde pour souligner que les conséquences du dérèglement climatique sont de plus en plus visibles. Dans le contexte de forte hausse du prix des énergies, notre parc bâti représente encore 43 % de toute l'énergie consommée dans le pays.

Pour respecter nos engagements d'ici à 2050, nous devons accélérer le mouvement de rénovation performante des logements. Nous savons que 12 millions de Français souffrent de précarité énergétique et que 4,8 millions de logements sont des passoires thermiques. Si MaPrimeRénov' et le programme Habiter mieux ont permis de faire sortir 2 500 logements du statut de passoire thermique, seuls 60 000 d'entre eux ont véritablement fait l'objet d'une rénovation globale. Or il nous faudrait suivre un rythme de 500 000 logements par an pour être dans les clous.

L'Ademe a publié une étude intitulée Financer la rénovation énergétique performante des logements contenant une série de propositions visant à mettre en place une politique publique afin d'accélérer ces rénovations performantes. Ces dernières sont positives en termes de santé et de pouvoir d'achat des ménages, mais aussi d'emplois non délocalisables. La rénovation de toutes les passoires thermiques permettrait à notre système de santé d'économiser 700 millions d'euros par an.

Quelles suites entendez-vous donner à cette étude ? De quelle manière appréhendez-vous cette question essentielle pour la transition énergétique, qui concerne également le parc des copropriétés et celui des logements sociaux ?

M. Boris Ravignon. - En ce qui concerne la gouvernance de l'Ademe, les textes permettent au PDG de nommer au moins un directeur général délégué. Il est tout à fait indispensable que ce poste soit pourvu. Je souhaite pouvoir constituer le plus rapidement possible une équipe exécutive opérationnelle et la mettre en ordre de marche.

Que les émoluments du PDG de l'agence comportent une part variable, liée aux atteintes des objectifs, me semble tout à fait sain. Le socle de la rémunération me pose davantage problème : est-il normal que le dirigeant d'un opérateur gagne plus que son ministre de tutelle ? En tout état de cause, je ne m'opposerai pas à une baisse de ma rémunération pour assurer un minimum de cohérence et de respect de la hiérarchie.

L'Ademe doit déjà, dans le cadre de son contrat d'objectifs et de performance, nouer des contacts avec un certain nombre d'intercommunalités. Il nous faut aller encore au-delà et mener ce travail avec la quasi-totalité des intercommunalités de notre pays. L'Agence est d'ores et déjà très présente sur le terrain en tant que financeur d'un certain nombre de postes d'expertise dans les collectivités territoriales. Nous devons poursuivre cette politique pour soutenir la constitution d'une véritable ingénierie locale. Les Scot constituent en effet un échelon pertinent, qui peut devenir un interlocuteur de l'Ademe.

En ce qui concerne la sobriété foncière, l'agence doit se positionner - c'est tout le sens de la territorialisation pour laquelle je plaide - en pôle d'expertise, de ressource, de financement pour la mise en place d'une ingénierie locale. Notre rôle est de nous assurer du caractère global de la démarche afin d'éviter toute « mal-transition » écologique, qui ne traiterait qu'une partie des sujets. À cet égard, je tiens à souligner, à mon tour, l'importance des délégations régionales de l'agence qui représentent près de la moitié de ses effectifs. Nous devons renforcer encore cette présence territoriale, notamment outre-mer.

En ce qui concerne les programmes alimentaires territoriaux, notre rôle consiste à aider les collectivités, en concertation avec l'ANCT, à concevoir des plans de transition aussi cohérents et globaux que possible. Pour être, demain, encore plus présente auprès des élus, l'agence doit d'abord cibler le niveau intercommunal. Nous intervenons déjà à l'échelon régional au travers de nombreux projets de coopération.

Si nous voulons que les moyens considérables alloués au fonds vert arrivent rapidement dans les collectivités, il faut rester sur un schéma très simple, à savoir une territorialisation via le préfet du département, qui constituerait une sorte de guichet unique. L'Ademe n'aura donc à intervenir que dans le traitement des dossiers qui la concernent.

Le rôle de l'agence, encore une fois, est d'aider les collectivités à mener une réflexion globale incluant notamment les questions d'habitat. Sur ce sujet, la mise en oeuvre est du ressort de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), qui monte en puissance. L'Ademe ne peut ni ne doit tout faire. L'Anah a l'expérience des programmes tels que « Habiter mieux » et dispose de moyens importants pour accompagner l'initiative locale en termes de rénovation de l'habitat, de lutte contre les passoires thermiques et d'accompagnement des ménages les plus modestes. J'attends de très bons résultats de cette coopération. Nous serons particulièrement vigilants sur ces questions fondamentales.

M. Daniel Gueret. - Je ne vous connais pas personnellement, et je ne doute pas que vos compétences et votre parcours d'élu local constituent des atouts intéressants. Le seul fait que vous ayez été brillamment réélu suffit à mes yeux. Toutefois, je voudrais vous faire part d'un certain malaise.

Lors de l'examen de la loi 3DS, nous avons débattu des missions essentielles de l'Ademe. Les objectifs qui seront peut-être les vôtres demain sont tout aussi essentiels dans cette phase de transition énergétique. Dès lors, l'agence devient un organisme du plus haut intérêt. En briguant sa présidence, vous briguez, au fond, une fonction nationale.

Or vous nous avez expliqué que votre fonction d'élu local constituait, ce que je crois vrai, un atout supplémentaire pour exercer cette fonction. Le problème, c'est que vous ne dites rien d'autre que ce que nous n'avons eu de cesse de répéter pendant des années pour convaincre l'opinion qu'un parlementaire pouvait cumuler ses fonctions avec celles d'un élu local. Tous ici, nous avons été aux commandes de nos villes, de nos villages, de nos communautés pendant des dizaines d'années. Vous n'y êtes pour rien, mais nous avons dû choisir d'abandonner la conduite de nos projets locaux pour la simple raison qu'exercer une fonction nationale ne pouvait être compatible avec un mandat local pour des raisons d'éthique, de disponibilité... Pourquoi en irait-il autrement pour vous ? En accédant à la présidence de l'Ademe, vous deviendriez en effet un personnage national, ce qui peut d'ailleurs expliquer les émoluments que vous évoquiez et qui ne me choquent nullement. Je voudrais m'assurer que vous comprenez bien le malaise qui est le nôtre face à cette situation.

Qu'en sera-t-il quand les territoires sur lesquels vous exercez des fonctions électorales pourront prétendre à bénéficier de certaines politiques de l'Ademe ? On vous opposera sans doute d'être juge et partie...

Mme Angèle Préville. - Comme mes collègues, je m'interroge sur le fait que vous conserviez vos mandats locaux. Il me semble que l'investissement, l'implication, l'ouverture d'esprit et la créativité nécessaires pour occuper le poste de président-directeur général de l'Ademe ne sont pas compatibles avec l'exercice de ces mandats.

En tant que maire et président d'agglomération, vous avez fait des choix. Vous nous avez notamment parlé de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative. Est-ce le stade ultime de gestion des déchets ? L'Ademe ne doit-elle pas se montrer plus créative, être à même de porter un regard différent sur les choses ? Le rôle de l'agence n'est-il pas d'ouvrir le champ des possibilités bien au-delà des choix que vous avez pu faire en tant qu'élu local ?

M. Boris Ravignon. - Monsieur Guéret, comme vous l'avez souligné, je ne suis pas l'auteur des textes sur l'interdiction du cumul des mandats. Pour autant, je suis absolument convaincu d'être en capacité de gérer à la fois la présidence pleine et entière de l'Ademe, avec le soutien d'une direction générale déléguée, et mes fonctions électives. Je crois vraiment à l'importance de conserver mon ancrage territorial. Alors que l'on veut que l'Ademe développe ses contacts locaux, se parler entre personnes confrontées aux mêmes difficultés devrait permettre de faciliter grandement les choses.

Il va de soi que je me déporterai lors de l'examen de sujets concernant Charleville-Mézières, l'agglomération ou même le département des Ardennes. Des dispositions existent, il n'y aura à cet égard aucune difficulté. L'Ademe doit traiter l'ensemble des territoires sur un strict pied d'égalité.

Madame Préville, mes choix locaux m'ont permis de comprendre l'importance de la réduction des ordures ménagères et d'en saisir toute la difficulté. En aucun cas, je ne ferai appliquer par l'Ademe un modèle « carolomacérien ». Chaque territoire doit trouver sa voie pour résoudre les problèmes qui se posent en termes de gestion des déchets, de sobriété énergétique, de développement des énergies renouvelables, de mobilités douces... L'Ademe doit accompagner tous les élus avec une seule exigence : que les choix locaux permettent d'atteindre les objectifs fixés. C'est en étant à l'écoute des élus que nous pourrons avancer dans la transition écologique.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je vous remercie, monsieur Ravignon, de vous être prêté au jeu des questions-réponses inhérentes à cet exercice.

S'agissant du volet technique, vos réponses m'ont semblé rassurantes.

Pour autant, comme plusieurs de mes collègues, je reste dubitative sur le cumul de vos fonctions d'élu local avec celles de président-directeur général de l'Ademe. Je ne doute pas de vos compétences, mais les semaines n'ont que sept jours et les journées vingt-quatre heures. Le budget de l'Ademe est en augmentation, ce qui suppose des ambitions plus élevées et des missions encore plus fournies... Mais sans doute aurons-nous l'occasion de reparler de ces questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Boris Ravignon aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Boris Ravignon, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition de nomination.

Ce vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Le dépouillement aura lieu à 13 heures 30, de manière simultanée avec l'Assemblée nationale.

Il est procédé au vote.

Après dépouillement du scrutin le mercredi 14 décembre, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Boris Ravignon aux fonctions de président du conseil d'administration de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), le résultat du vote est le suivant :

Nombre de votants : 28

Bulletin blanc : 1

Bulletin nul : 1

Suffrages exprimés : 26

Pour : 10

Contre : 16

La commission a donc donné un avis défavorable à la nomination de M. Boris Ravignon aux fonctions de président du conseil d'administration de de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).

Risques liés au phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) - Audition

M. Jean-François Longeot, président. - Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée au retrait-gonflement des sols argileux (RGA).

Vous le savez, ce phénomène de RGA pose des défis considérables à notre politique de prévention et d'indemnisation, sur les plans techniques, juridiques et financiers.

Ce risque naturel, également appelé phénomène de sécheresse-réhydratation des sols argileux, concerne 31 135 communes situées en zone d'aléa moyen ou fort, dont 12 000 communes fortement exposées, soit plus d'un tiers de nos communes. Les régions Île-de-France, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nouvelle-Aquitaine sont historiquement les régions les plus touchées.

Le RGA se matérialise par l'apparition de désordres sur les maisons, qui peuvent à terme poser des problèmes de sécurité et de solidité du bâti, en plus de porter atteinte à la qualité de vie et à la valeur du patrimoine de nos concitoyens. Je pense à des fissurations sur le gros oeuvre et à des décollements, des affaissements ou des distorsions d'éléments de second-oeuvre.

Plusieurs facteurs jouent en la matière : la nature du sol, le contexte hydrogéologique, la géomorphologie, la végétation ou encore les défauts de construction. À ces facteurs de prédisposition, s'ajoutent des facteurs de déclenchement comme les conditions climatiques.

Ce phénomène, qui est déjà le deuxième poste de coûts du régime des catastrophes naturelles, derrière les inondations, va s'accentuer dans les prochaines années, que ce soit d'un point de vue géographique ou du point de vue de la gravité des dommages causés, du fait du dérèglement climatique, ce qui va poser des problèmes encore plus substantiels.

La proportion de dossiers « sécheresse » dans les demandes communales de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle est supérieure à 60 % depuis 2017. Ces demandes n'aboutissent souvent pas : le nombre de communes non reconnues en état de catastrophe naturelle pour la sécheresse s'élevait à 30 % en 2018 et à environ 50 % en 2019 et 2020. Enfin, dans les communes reconnues, environ 50 % des dossiers de sinistre ne sont pas pris en charge par les assureurs, d'après les éléments que nous avait indiqués le ministère de l'Intérieur lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles l'an dernier.

Face à cette situation, chacun s'accorde à dire que le cadre juridique actuel de traitement des conséquences du RGA, qui s'appuie sur la procédure de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, n'est pas satisfaisant en l'état, compte tenu des effets parfois très localisés des phénomènes, sur quelques habitations ou quartiers au sein d'une commune, et de l'absence de prise en compte de l'importance et de la gravité des dommages subis par les habitants.

Des évolutions sont intervenues ces dernières années, pour mieux appréhender ce risque pour le futur.

La loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018 a posé un cadre de prévention pour les nouvelles constructions, qui a été récemment complété par une ordonnance du 29 juillet 2022 visant à renforcer le contrôle des règles de construction, prise en application de l'article 173 de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience ». Plusieurs décrets d'application manquent encore.

En revanche, le traitement des problèmes posés aux bâtiments actuels, déjà construits, n'a pas encore abouti.

Le Sénat a beaucoup travaillé sur ces sujets et en particulier notre collègue Nicole Bonnefoy, qui était rapporteur de la mission commune d'information sur la gestion des risques climatiques. Notre collègue avait notamment recommandé l'organisation d'une grande campagne d'information de la population sur le RGA et la mise en place d'un dispositif spécifiquement dédié au risque « sécheresse » au sein du fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), dit fonds « Barnier ».

Ce travail avait été prolongé par le dépôt d'une proposition de loi, adoptée par le Sénat le 15 janvier 2020.

Puis, nous avons de nouveau eu l'occasion de travailler sur le RGA dans le cadre de l'examen parlementaire de la loi du 29 décembre 2021, portée par le député Stéphane Baudu et qui s'inspirait largement des travaux du Sénat.

Les dispositions proposées à l'article 8 par Pascal Martin, rapporteur de ce texte au nom de notre commission, avaient malheureusement été remplacées par une simple demande de rapport, qui n'a d'ailleurs toujours pas été remis alors qu'il aurait dû être transmis par le Gouvernement au Parlement au plus tard le 28 juin 2022.

Enfin, l'article 161 de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi « 3DS » du 21 février 2022 a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance dans un délai d'un an pour améliorer la prise en charge des conséquences du RGA sur le bâti au bénéfice des assurés sinistrés.

Récemment enfin, notre collègue Christine Lavarde, de la commission des finances, a mené un travail de contrôle spécifique sur ce sujet, dont nous attendons impatiemment les conclusions qui, à mon avis, seront calées sur la date de publication de l'ordonnance issue de la loi « 3DS ».

Pour aborder ces points et tenter d'en apprendre davantage sur les options à l'étude dans le cadre de la réforme à venir par voie d'ordonnance, nous recevons ce matin  : M. Didier Valem, chef de service à la direction des affaires techniques et M. Christophe Boucaux, délégué général du pôle habitat à la Fédération française du bâtiment ; M. Franck Le Vallois, directeur général de la fédération France Assureurs ; M. Mayeul Tallon, chef du bureau des marchés et produits d'assurance à la direction générale du Trésor (DGT) du ministère de l'économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique.

Je précise à l'ensemble des sénateurs présents que le format de cette table ronde a évolué jusqu'à la dernière minute et que je n'en suis pas satisfait. À la demande des ministères du pôle écologie, nous avions invité toutes les administrations compétentes sur ce sujet, qui travaillent en format interministériel à la préparation de l'ordonnance qui sera prise sur le fondement de l'article 161 la loi « 3DS ».

Nous avions donc convié la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC) et la Direction générale du Trésor (DGT).

Certaines administrations considèrent que répondre à une invitation du Parlement est une option ; j'en prends acte et ferai part du fond de ma pensée au ministre chargé des relations avec le Parlement et au ministre de la transition écologique.

Nous aurons donc aujourd'hui le point de vue des professionnels de l'assurance et du bâtiment et uniquement celui de la direction générale du Trésor, qui devra nous retranscrire les débats internes au Gouvernement sur ce sujet.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je prie nos invités d'excuser mon collègue Pascal Martin, sénateur de la Seine-Maritime, qui a également travaillé sur ces sujets mais qui doit assister à une table ronde à la commission des affaires économiques dans le cadre de l'examen du projet de loi sur le nucléaire, pour lequel il est rapporteur pour avis au nom de notre commission.

Je souhaitais vous poser plusieurs questions pour cadrer nos échanges.

D'abord, des questions pour M. Tallon, qui représente le Gouvernement aujourd'hui : quelle est la méthode d'élaboration de l'ordonnance prévue par l'article 161 de la loi « 3DS » ? Quel a été votre calendrier de travail ? Quels ont été les services ministériels mobilisés sur la rédaction de cette ordonnance ? Quels ont été les acteurs consultés et associés à l'élaboration du texte ? Quelles sont les prochaines étapes de calendrier pour une publication de l'ordonnance avant l'expiration du délai d'habilitation, c'est-à-dire le 21 février prochain ? Le Conseil d'État a-t-il déjà commencé à travailler sur le texte en vue de rendre son avis avant la présentation de l'ordonnance en Conseil des ministres ? Confirmez-vous le dépôt d'un projet de loi de ratification au Parlement avant le 21 mai 2023 ?

Ensuite, je souhaiterais aborder des questions de fond, qui s'adressent donc à l'ensemble de nos invités.

Le président l'a rappelé, chacun s'accorde à dire que la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Dans son rapport de février 2022 sur le sujet, la Cour des comptes abonde dans le même sens, mais se refuse à formuler des propositions législatives.

Le président l'a également dit : la loi « Elan » a permis de mettre en place un début de politique de prévention, en établissant des règles de construction et d'attestation dans les zones à risque.

Toutefois, le coeur du problème, quand on aborde la question du RGA, est le bâti existant. Quel cadre juridique vous semble, chacun pour vos secteurs, le plus pertinent pour traiter la question du RGA ? Faut-il rester dans le cadre du régime des catastrophes naturelles (CatNat), avec quelques modifications à la marge adaptées à la spécificité de ce risque ? Faut-il plutôt concevoir un régime nouveau ?

Cette question renvoie au 1° du I l'article 161 de la loi « 3DS », qui porte l'habilitation à légiférer par ordonnance.

Juridiquement, comment pourrait-on, au sein du régime CatNat, introduire une distinction entre des risques naturels « classiques » (inondations, mouvements de terrain etc.), dont l'ampleur et le caractère anormal seraient toujours appréciés à l'échelle communale, et le risque RGA, qui pourrait s'apprécier par une analyse de la gravité des effets de ce phénomène à l'échelle de certains immeubles ou parties de territoire communal, tout en garantissant une égalité de traitement à tous les sinistrés ?

L'habilitation à légiférer par ordonnance évoque le fait de traiter l'indemnisation des dommages matériels directs non assurables. Quels peuvent être ces dommages non assurables ?

L'objectif de la réforme est-il de traiter uniquement les dommages les plus graves, et donc les plus coûteux, ou bien de traiter globalement toutes les conséquences du RGA sur les conditions d'existence des assurés ?

Ensuite, comment objectiver l'évaluation des dommages ? Avons-nous besoin de lignes directrices publiques de l'établissement Météo France et d'un référentiel spécifique pour les compagnies d'assurances et les experts qu'elles missionnent afin d'établir un cadre objectif et commun ? Quels sont les débats à ce sujet dans le cadre de la préparation de l'ordonnance ? C'est un aspect fondamental, pour permettre aux citoyens de comprendre pourquoi ils peuvent être indemnisés dans tel cas et pourquoi ils ne peuvent pas l'être dans tel autre cas. Le travail d'expertise n'est pas toujours compris par nos concitoyens. D'une manière générale, la transparence est nécessaire sur cette réforme car le système actuel pose des questions d'acceptabilité sociale.

Je poursuis. L'habilitation à légiférer par ordonnance prévoit que le Gouvernement pourra conditionner tout ou partie du droit à indemnisation au titre du régime CatNat au respect de dispositions législatives qui contribuent à prévenir ou à couvrir les dommages matériels directs ayant pour cause le RGA.

Cette disposition m'inquiète car elle pourrait conduire à « refermer » fortement le droit à indemnisation des sinistrés. Si vous imposez à tous les propriétaires exposés au RGA de mettre leurs maisons sur pilotis ou d'acheter des équipements correcteurs, cela peut représenter un coût très, très important. Pour rappel, la Caisse centrale de réassurance estimait à 285 milliards d'euros le coût potentiel des équipements à installer sur les maisons actuellement en zone d'aléa fort, ce qui représente seulement 3,8 millions de maisons, alors que ce sont près de 19 millions de maisons qui sont concernées par le RGA. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Le fonds « Barnier » peut-il constituer l'outil de financement pérenne de ce risque ? Faut-il mettre en place un fonds nouveau ? Comment financer les indemnisations ? Le budget général de l'État doit-il être davantage mobilisé ?

J'avais proposé de prendre appui sur le fonds « Barnier », mais ses ressources sont limitées et la soutenabilité du régime pourrait être menacée.

J'ai entendu dire que la piste d'un relèvement des primes ou cotisations additionnelles payées par les assurés sur le contrat d'assurance individuel (« habitat » ou « pertes d'exploitation ») était étudiée.

L'habilitation autorise le Gouvernement à légiférer pour, je cite, « éventuellement [adapter] le financement de la garantie contre les catastrophes naturelles ».

Or, le Gouvernement dit depuis plus de cinq ans qu'il ne souhaite ni augmenter les impôts des particuliers, ni grever leurs budgets par des mesures qui s'apparenteraient à une taxation dissimulée.

Comment allez-vous concilier ces injonctions contradictoires ? Quelles propositions avez-vous faites dans le cadre de la préparation de l'ordonnance ? Un autre système de financement, reposant sur le budget général de l'État et une contribution du secteur assurantiel, ont-ils été envisagés plutôt que de solliciter les assurés ?

Enfin, ma dernière question concerne l'accompagnement des élus locaux face à ces problématiques, qui me semble être un angle mort de cette ordonnance. Quelles mesures prévoyez-vous pour accompagner les élus en amont, dans la définition de leurs stratégies territoriales en matière d'urbanisation, et en aval, dans le traitement des conséquences du RGA sur leurs administrés ?

La loi du 28 décembre 2021 a institué un référent préfectoral à l'indemnisation des catastrophes naturelles, dont notre commission avait contribué à étoffer les missions par la voie d'amendements du rapporteur Pascal Martin.

Ce référent a-t-il vocation à intervenir en la matière ? Des établissements publics de l'État spécialisés, tels que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), pourraient-ils apporter un concours plus important et gratuit aux élus sur ce sujet ?

Comme notre président, je déplore l'absence de certaines administrations à notre table ronde, ce sujet est d'une grande importance - des journalistes n'hésitent pas à parler d'une « bombe sociale ». Ensuite, je déplore également le retard de publication des décrets, en particulier sur le fonctionnement de la commission interministérielle de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et de la commission nationale consultative, dont les missions ont été fixées par la loi du 28 décembre 2021.

M. Mayeul Tallon, chef du bureau des marchés et produits d'assurance à la direction générale du Trésor (DGT). - Je commencerai par une présentation générale, pour répondre à vos questions précises dans un deuxième temps de notre table ronde - et je ne pourrai probablement pas répondre à toutes vos questions, vous le comprendrez.

Le régime des catastrophes naturelles, dans lequel le RGA trouve sa place, est un trésor national méconnu. C'est notre vision, à la direction générale du trésor, de ce régime juridique de réparation ; pour autant, nous sommes conscients des difficultés que rencontrent nos concitoyens, des drames lorsqu'ils perdent leurs maisons. Nous parlerons aussi, je l'espère, de la prévention du RGA, même si elle n'entre pas dans le périmètre de l'ordonnance.

Cette ordonnance est en cours de rédaction, les arbitrages n'ont pas encore été rendus par le cabinet de la Première ministre ; je ne pourrai donc que vous présenter des données, une analyse que nous avons à la direction générale du trésor, mais pas la position du Gouvernement à proprement parler.

Vous m'interrogez sur le programme de travail. Une fois l'habilitation promulguée avec la loi « 3 DS », la direction générale du Trésor a installé un groupe de travail interministériel, ouvert à toutes les administrations concernées - aucune n'a été oubliée. Nous avons fait une dizaine de réunions, sur les enjeux juridiques, financiers de la réforme, et une vision plus stratégique du régime des catastrophes naturelles et de son évolution. Les professionnels n'ont pas pu être associés à ce stade, car le retard de la prise de décision du Gouvernement nous a empêchés de les consulter sur un projet finalisé.

Le Conseil d'État n'est pas encore saisi de ce projet d'ordonnance, il devrait l'être en janvier, pour un examen et une publication dans les délais impartis par l'habilitation - au 21 février prochain - puis un projet de loi de ratification sera déposé dans les deux mois.

M. Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs. - Merci pour cette table ronde, où je porterai la voix des assureurs puisque France Assureurs représente 99 % d'entre eux.

Face au péril de la sécheresse, les assureurs sont aux cotés des sinistrés. L'exposition forte ou moyenne au RGA concerne 48 % de notre territoire et 54 % des maisons individuelles, ce risque peut conduire à de véritables drames pour nos concitoyens. La couverture au titre des catastrophes naturelles résulte d'un partenariat public privé lui-même fondé sur l'universalité et la solidarité : ce régime garantit une indemnisation des dommages directs provoqués par la nature. Il protège contre les catastrophes naturelles ; la cotisation prélevée sur les contrats d'assurance est modeste et son taux est unique sur tout le territoire - cela représente en moyenne 25 euros par an par contrat -, ce qui est une preuve de son caractère solidaire.

Les assureurs sont aux côtés des sinistrés. Depuis que la sécheresse a été reconnue comme un risque assurantiel, en 1989, les assureurs gèrent quelque 30 000 nouveaux dossiers par an, pour un montant cumulé, en trente ans, de 16 milliards d'euros.

La sécheresse représente désormais 17 % de la sinistralité climatique - qui concerne tous les événements climatiques, la tempête, la grêle, les inondations...

Cependant, comme vous l'avez rappelé Monsieur le président, le dérèglement climatique accentue le phénomène et le coût des sinistres augmente : alors qu'entre 1989 et 2015, la sécheresse a représenté une part constante d'environ 15 % de la sinistralité climatique, elle est passée à 24 % sur les cinq années suivantes ; alors qu'entre 2015 et 2020, les sinistres liés à la sécheresse représentaient en moyenne 950 millions d'euros par an, ils représenteront, pour 2022, entre 1,9 et 2,8 milliards d'euros, au-delà du triste record de 2003 où la canicule avait occasionné 2,1 milliards d'euros de dommages sur les bâtiments.

Cette tendance devrait s'accélérer : une étude de France Assureurs estime qu'à horizon 2050, le coût des sinistres climatiques doublera par rapport aux trente dernières années, et triplerait même pour la sécheresse.

Les assureurs sont donc mobilisés pour pérenniser et renforcer le régime des catastrophes naturelles. Des travaux et réflexions sont en cours et je voudrais d'emblée faire un sort à deux fausses bonnes idées, qui joueraient au détriment des assurés : d'abord celle consistant à sortir la sécheresse du régime des catastrophes naturelles, ensuite celle consistant à supprimer la procédure permettant d'en passer par l'arrêté de catastrophe naturelle et de la remplacer par une démarche fondée sur la gravité du phénomène.

Nous avons énoncé six pistes pour renforcer le régime des catastrophes naturelles : le maintien de l'indemnisation dans le régime des catastrophes naturelles ; le maintien de l'arrêté de catastrophe naturelle pour la sécheresse ; le refus d'introduire des critères de gravité ; l'introduction d'une condition de réparation effective du dommage, pour indemniser le sinistre ; la définition d'une stratégie nationale du risque de sécheresse.

Les assureurs veulent donc pérenniser le régime des catastrophes naturelles, qui permet une mutualisation du risque, donc le maintien d'un tarif limité pour la couverture effective du risque ; nous sommes cependant conscients qu'il faut faire évoluer ce régime, pour renforcer sa résilience.

M. Christophe Boucaux, délégué général du pôle habitat à la Fédération française du bâtiment. - La loi « Elan » a introduit des mesures de prévention pour les constructions neuves ; les professionnels se sont saisis de ces outils pour mieux appréhender le risque « argile » lors de la vente de terrains et de la construction de bâtiments.

Il faudrait s'en inspirer afin d'inclure des informations pour les constructions existantes, au moins dans les zones à risque ; ce n'est pas le cas aujourd'hui. Aussi aurions-nous intérêt à élargir le cadre de ce régime. Il faut que la sécheresse continue de relever du régime de catastrophe naturelle et ne pas le transférer dans la garantie décennale des constructeurs, c'est une condition de la mutualisation.

Nous avons des doutes, ensuite, sur l'introduction de critères de gravité pour l'indemnisation, parce qu'il est préférable de réparer le plus tôt possible et pouvoir intervenir, donc, sur des sinistres naissants pour qu'ils ne s'aggravent pas dans le temps ; il faut prendre en compte cet aspect des choses.

M. Didier Valem, chef de service à la direction des affaires techniques de la Fédération française du bâtiment. - Le flux de la construction neuve est bien traité depuis quatre ans, dans les aspects de contrôle. La difficulté tient au diagnostic pour sécuriser le bâti, donc à l'étape de la prévention, mais également pour l'ouvrage sinistré, parce que du diagnostic dépendent les réparations et l'éventuelle reconfiguration des ouvrages, avec des travaux de confortation, pérennes, ce qui demande en général un cycle saisonnier, avant les travaux pour traiter les fissures secondaires.

Les traitements techniques ne manquent pas, nous avons aussi conduit des expérimentations avec des retours d'expérience intéressants ; les aspects sont très nombreux, depuis l'impact de la végétation, avec le réseau racinaire, jusqu'à l'entretien des réseaux. Des procédés en cours de développement sont prometteurs.

La phase de diagnostic est décisive pour faire les bons travaux. Une difficulté tient aussi à ce que l'entreprise doit être assurée pour la technique mise en oeuvre, ce qui est ardu quand cette technique est expérimentale. Les entreprises sont engagées dans une recherche collective, nous bénéficions des progrès intervenus avec les résines, nous avons aussi engagé une réflexion pour aller plus avant sur les écrans anti-racines, notamment.

M. Jean-François Longeot, président. - Nous travaillons sur le RGA depuis des années, plus de 30 000 communes sont concernées, nous avons tous des exemples de citoyens qui voient leur maison fissurée et qui ne sont pas indemnisés - ou qui peuvent l'être aussi, dans ma commune, une personne s'est vue indemnisée de 240 000 euros, soit le prix de sa maison...

Si demain le problème prend encore davantage d'ampleur, personne ne pourra dire qu'il ne savait pas : le Gouvernement doit en être conscient, d'autant que le dérèglement climatique ne va pas améliorer les choses.

Il faut donc prendre en compte cette question dans tous ses aspects, financiers, techniques, humains. Nous devons accompagner nos concitoyens que le RGA met dans des situations très compliquées, traumatisantes. Des associations de consommateurs m'ont reproché, localement, de ne rien faire de concret lorsque je leur ai parlé de ce qui était et avait été mis en place à l'heure actuelle, et, effectivement, la réponse est souvent loin d'être à la hauteur des drames que vivent certains de nos concitoyens, en particulier des personnes âgées qui voient toute leur vie de travail quasiment réduite à néant quand leur maison fissurée ne vaut plus rien...

Mme Nicole Bonnefoy. - Je suis déçue par les propos que j'entends. Avec Michel Vaspart, nous avons publié un rapport il y a trois ans, nous y faisions des constats alarmants et des propositions précises, nous avons ensuite voté une proposition de loi au Sénat, pour une nouvelle indemnisation. Le Gouvernement est resté sourd, même s'il a, l'an passé, accepté la proposition de loi de notre collègue député Stéphane Baudu, devenue la loi du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles - qui n'est cependant toujours pas appliquée puisque les décrets ne sont toujours pas pris.

Il y a eu, enfin, cette habilitation dans la loi « 3DS », qui expire le 21 février prochain, et vous nous dites aujourd'hui, donc deux mois avant l'expiration du délai, ce qui est très court, que les arbitrages ne sont toujours pas rendus !

Il y a de quoi s'interroger, d'autant que, si je vous comprends bien, vous n'avez pas associé les professionnels, en particulier les assureurs et les professionnels du bâtiment, alors qu'ils sont directement concernés : il faut les associer pour apporter des réponses à ce problème.

Je suis également déçue par le nombre de représentants de l'État (puisque vous êtes seul) à notre table ronde. Il y a trop de réponses en suspens alors que nous sommes très proches de l'échéance.

M. Mayeul Tallon. - Vous mentionnez le cas des retraités qui voient leur maison perdre toute leur valeur, mais je pense aussi aux jeunes ménages qui empruntent et dont la maison devient invendable, leur situation est critique elle aussi.

Quel est le cadre juridique le plus pertinent pour le RGA ? Pour nous, c'est le régime des catastrophes naturelles.

Faut-il un régime nouveau ? La réponse est complexe, car le régime actuel ne pourra pas traiter l'ensemble des problèmes ; c'est pourquoi nous voulons le faire évoluer. Le régime des catastrophes naturelles est un trésor national, ce mode d'indemnisation exceptionnelle très robuste est pris en exemple à l'étranger parce qu'il indemnise ce risque grâce à une surprime appliquée très largement et qu'il est lui-même garanti par la réassurance publique, donc une garantie illimitée de l'État.

Il faut conserver cette solidarité entre les territoires, entre villes et campagnes, entre métropole et outre-mer, ou bien nous perdrions la capacité d'indemniser les dommages subis lors d'inondations, ou par exemple lors des ouragans dans les Antilles...

L'application du critère de l'exceptionnelle gravité nous paraît poser plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait. Il y a d'abord un problème d'échelle, puisque le risque porte sur la moitié des maisons individuelles - 10 millions sur 19,5 millions d'habitations individuelles. Ensuite, son application solliciterait encore davantage le régime des catastrophes naturelles qui l'est déjà beaucoup, puisqu'il consacrait l'an passé 1 milliard d'euros aux dommages liés à la sécheresse, deux fois plus qu'il y a dix ans, et les quatre cinquièmes des coûts sur un cinquième des sinistres : avec le critère de l'exceptionnelle gravité, le régime des catastrophes naturelles deviendrait insoutenable. Enfin, l'État perdrait son thermostat pour réguler le système, qui serait aux seules mains des experts en charge d'apprécier la gravité ; ce serait alors un système incomplet.

Pour la direction générale du Trésor, le mieux est donc aujourd'hui d'adapter les critères du régime des catastrophes naturelles. Nous pensons à élargir les critères pour mieux reconnaître les facteurs géologiques et météorologiques, ce qui permettra de lever les effets des découpages administratifs, qui font qu'aujourd'hui des sinistres sur des bâtiments proches sont indemnisés et d'autres pas, du seul fait que les biens ne sont pas sur la même commune.

Nous pensons également à exclure les bâtiments construits depuis la loi « Elan », parce qu'ils sont censés avoir des fondations suffisantes pour prévenir les conséquences du RGA.

Nous pensons aussi à regarder les catégories d'indemnisation, entre les éléments esthétiques et les éléments structurels.

Notre objectif est de conserver la soutenabilité du régime des catastrophes naturelles, car dans le cas inverse, nous perdrions notre capacité d'indemniser toutes les catastrophes naturelles.

Quel peut-être le rôle du fonds « Barnier » ? Je ne suis pas le mieux placé pour répondre. L'intervention du budget général de l'État est décisive, mais elle résulte de choix politiques et la question se pose de l'expertise et des seuils d'intervention : il y aura nécessairement un travail pour définir l'éligibilité et le contrôle ; le sujet est complexe.

Pour ce qui est de relever les primes d'assurance alimentant le financement du régime des catastrophes naturelles, le Gouvernement a répété sa volonté de ne pas accroître la pression fiscale, cela est encore plus vrai en période d'inflation.

Cependant, il faut conserver la solvabilité du régime, et il est probable qu'à l'horizon de cinq ans, un ajustement sera nécessaire - avec les critères actuels et si l'on ne change rien, le surcoût serait de 500 millions par an, avec un stock de 2,5 milliards d'euros. Cela n'est guère tenable.

Mme Nicole Bonnefoy. - En discutez-vous au moins avec les assureurs ?

M. Mayeul Tallon. - Oui, bien entendu, nous échangeons en continu avec les assureurs. Nous n'avons pas consulté les professionnels sur un texte finalisé, mais nous travaillons en lien direct avec eux.

M. Jean-François Longeot, président. - Quand donc les arbitrages seront-ils connus ?

M. Mayeul Tallon. - Ils seront pris dans les jours qui viennent, puisque l'ordonnance doit être prise avant le 22 février 2023.

Mme Nicole Bonnefoy. - Quelle est votre réponse sur Météo France et l'enjeu de l'objectivation de l'analyse des dommages ?

M. Mayeul Tallon. - Je ne peux guère répondre à cette question.

En revanche, pour continuer sur les autres questions que vous avez posées, je vous confirme que la direction du Trésor n'est pas favorable à l'introduction du critère de l'exceptionnelle gravité, mais que nous défendons plutôt une adaptation des critères du régime des catastrophes naturelles, avec par exemple l'exclusion des bâtiments construits depuis la loi « Elan », des dommages esthétiques, ou encore le principe d'affecter obligatoirement l'indemnisation à la réparation.

Sur l'accompagnement des élus, ensuite, il me semble que c'est bien la vocation du référent préfectoral mis en place par la loi du 28 décembre 2021.

Enfin, la commission interministérielle consultative que vous avez mentionnée associe les élus. Tous les textes réglementaires sont prêts, ils sont en consultation ces jours-ci, et ils seront publiés la semaine prochaine pour entrer en vigueur au 1er janvier prochain.

Mme Nicole Bonnefoy. - Est-ce que la place et le rôle de Météo France dans le traitement des conséquences de ce phénomène ont au moins été débattus ?

M. Mayeul Tallon. - Oui. La sécheresse est établie à partir de 12 critères qui déterminent l'éligibilité des communes. Certains sont de nature géothermique, d'autres sont géophysiques. Nous proposons de simplifier cette batterie de critères, en particulier la période de calcul du référentiel, pour prendre en charge plus de sinistrés.

Mme Nicole Bonnefoy. - Des rejets d'indemnisation sont incompréhensibles au regard des critères météorologiques, il est essentiel de parvenir à un référentiel transparent.

M. Franck Le Vallois. - La sortie du régime de catastrophe naturelle est une fausse bonne idée, je le répète.

Le principe de l'assurance, c'est la mutualisation : les cotisations de tous indemnisent les plus malchanceux. En 1982, le régime des catastrophes naturelles a été institué pour assurer des risques non couverts par le secteur privé : c'est ce partenariat public privé que nos confrères nous envient à l'étranger, parce que ce régime est protecteur et bénéfique. Cette mutualisation à grande échelle s'organise sur l'ensemble des contrats multirisques habitation, voire automobiles ; en sortant de ce régime, on en restreindrait l'échelle, on créerait une garantie à part, avec des tarifs considérablement augmentés - donc intenables pour bien des foyers dans zones à risques.

M. Gilbert Favreau. - Ce régime des catastrophes naturelles n'existant pas à l'étranger, quelles différences constate-t-on sur les sinistres indemnisés ?

Si l'on comprend bien que, pour la construction neuve, le RGA peut être prévenu grâce à l'étude des sols préalable à la construction, est-ce que, pour les bâtiments existants, la notion de vice caché peut être mobilisée ? Si l'acheteur peut prouver que le vendeur avait connaissance du RGA sur le bien, n'est-ce pas un vice caché ?

Enfin, si notre régime de catastrophes naturelles est préférable, encore faudrait-il améliorer l'information sur les sols en particulier lors de la vente des biens : est-ce envisagé ?

M. Mayeul Tallon. - Oui, l'information préalable à la vente est une piste de l'ordonnance. En revanche, je n'ai pas connaissance d'un recours au vice caché pour fonder une indemnisation de l'acheteur par le vendeur : connaissez-vous de tels cas ?

M. Gilbert Favreau. - Il me semble que c'est le droit général du vice caché...

M. Mayeul Tallon. - C'est intéressant. Cependant, le phénomène de sécheresse rend très difficile d'identifier avec précision le fait générateur, critère déterminant pour fonder une action en justice.

M. Franck Le Vallois. - J'ai mentionné parmi les pistes pour préserver le régime des catastrophes naturelles, celle consistant à conditionner l'indemnisation du sinistre à la réparation effective des dommages provoqués par la sécheresse. Aujourd'hui, la victime dispose librement de l'indemnisation, que les réparations soient faites, ou pas ; cela conduit à des indemnisations successives pour un même bien, lorsque le propriétaire change et que le sinistre se reproduit ; il nous semble donc opérant de s'assurer que les indemnités réparent effectivement.

M. Christophe Boucaux. - Pour les constructions neuves, on établit désormais une étude géotechnique de construction pour dimensionner les fondations, donc réduire l'exposition au RGA. Cependant, la carte de ce risque évolue, ce qui nous rend très réservés sur l'exclusion des bâtiments construits depuis la loi « Elan ». Il y a déjà des cas où la garantie CatNat se retourne contre la garantie décennale ; les risques évoluent et nous pensons que les bâtiments même récents doivent être couverts.

Sur les bâtiments existants, l'information des acquéreurs est essentielle, il faut inclure l'information au RGA dans les zones à risque fort ou modéré ; une information claire permettra le cas échéant d'engager des travaux sur les fondations lors de l'achat, ce sera utile même en prévention.

Mme Marie-Claude Varaillas. - La Dordogne est très touchée par le RGA : 60 % des habitations sont en zone de risque moyen ou élevé, avec des répercussions très importantes pour les familles.

Lors de la sécheresse de l'été 2019, 225 communes de mon département ont déposé un dossier de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, mais 21 dossiers seulement ont été acceptés : cela a provoqué une forte incompréhension, des collectifs d'usagers se sont créés, le préfet n'a pas pu me donner de réponse.

La commission interministérielle est censée se prononcer sur l'intensité de la catastrophe naturelle et non sur les dégâts eux-mêmes, c'est incompréhensible que des communes voisines, qui présentent les mêmes caractéristiques et qui subissent les mêmes dommages, ne soient pas traitées pareillement, nous n'avons pas obtenu de réponses claires sur ces faits.

Mme Nicole Bonnefoy. - Nous le disions dans le rapport de la mission commune d'information, il y a trois ans déjà...

M. Mayeul Tallon. - Nous espérons pouvoir résoudre ce problème, même si cela ne relève pas de l'ordonnance mais de la circulaire - ce sera l'une des tâches de la commission interministérielle qui sera bientôt installée. Cependant, elle n'a pas à statuer sur les conséquences des dommages, mais sur la reconnaissance de catastrophe naturelle.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci à tous pour cet échange, nous savons que nos concitoyens nourrissent une grande attente sur le sujet. Je regrette vivement l'absence de certaines administrations à notre table ronde. Le Sénat est très attaché à ce dossier et veillera à ce qu'il soit mené à bien. Je ne doute pas de la détermination de Nicole Bonnefoy à suivre cette question de très près.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45.