Mercredi 7 décembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 15.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation - Examen des motions et amendements au texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons les amendements de séance déposés sur la proposition de loi (PPL) visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et des assistants d'éducation, dont nous débattrons en séance demain à seize heures.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article 1er

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Permettez-moi au préalable de rappeler que cette PPL a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Deux choix se présentent à nous aujourd'hui : soit nous votons ce texte conforme, soit nous le laissons aux mains de l'Assemblée nationale. Il me semble que le Sénat s'honorerait de le voter conforme.

Certes, cette PPL ne comporte pas toutes les avancées dont l'école inclusive et les AESH ont besoin, mais le texte que nous avons adopté à l'unanimité en commission et les débats de demain en séance publique montreront que nous sommes pleinement conscients de la situation et des lacunes qu'il reste à combler. Nous serons vigilants et attentifs aux propositions du Gouvernement, dans la perspective de la Conférence nationale du handicap (CNH) du printemps prochain.

Comme dit l'adage, « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » : cette PPL représente déjà un premier pas important. La « CDIsation » proposée prouve que les AESH font bien partie intégrante de l'équipe pédagogique.

Si les amendements présentés étaient adoptés, la situation se figerait. Le ministre, avec qui j'ai échangé hier, m'a affirmé que le Gouvernement était favorable à cette PPL dans la version adoptée par la commission. Les amendements nos  1 et 2 prévoient de mettre l'accent sur la formation initiale et continue des AESH, qui est effectivement un sujet central. Mais le droit existant couvre déjà les propositions qui nous sont faites. Le problème réside davantage dans l'application des dispositions législatives et réglementaires sur le terrain.

L'amendement no 1 est essentiellement de nature rédactionnelle. Si l'objectif des auteurs ne peut être que partagé, garantir l'effectivité de l'accès à la formation continue des AESH, la rédaction proposée s'avère superfétatoire. Je demande donc le retrait de cet amendement.

Mme Annick Billon. - Je souhaite rappeler que j'ai salué le travail de la rapporteure sur le thème de l'éducation et des AESH, mais aussi son engagement dans le cadre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Le métier d'AESH est effectivement en grande majorité exercé par des femmes.

Cette PPL représente un premier pas, un petit pas, mais nous aurions pu penser que le ministre serait un peu plus ouvert à accepter certains amendements lors de la discussion budgétaire. Or force est de constater que ce métier reste très précaire, à géométrie variable et la situation des AESH est inégale en fonction des départements. Voilà pourquoi j'ai déposé, avec le président de la commission, ces amendements, sans pour autant remettre en cause le travail réalisé par la rapporteure.

Je souhaite obtenir des réponses du Gouvernement, et je les retirerai en séance.

M. Cédric Vial. - Nous partageons le souhait d'adopter ce texte de manière conforme. Même s'il ne règle absolument pas tous les problèmes des AESH, il constitue malgré tout une première avancée, qu'il faut entériner tout de suite. En adoptant cette proposition de loi, nous enverrons un message de considération à l'égard de ces personnels.

Les deux amendements ont le mérite de poser la question de la formation. Mais bien d'autres sujets pourraient encore être soulevés. Néanmoins, dans l'intérêt des AESH, ne reportons pas l'adoption de ce texte.

Mme Céline Brulin. - Nous aurions tous pu déposer de très nombreux amendements, mais nous ne l'avons pas fait dans l'optique d'une adoption conforme. Il ne m'appartient pas de demander à l'auteure de bien vouloir retirer ses amendements, en revanche nous ne prendrons pas part au vote.

Le ministre a annoncé un « acte II de l'école inclusive » : nous devons nous atteler à ce chantier, car la situation des AESH peut être considérablement améliorée.

Mme Sylvie Robert. - Je suis en accord avec les propos de mes deux collègues : notre souhait est d'aller vers une adoption conforme. Certes, cette PPL représente une petite étape. Mais nous attendions des signes du ministre lors de l'examen de la mission budgétaire « Enseignement scolaire » - nous avons notamment évoqué une « CDIsation » à partir d'une année d'ancienneté et encadrée par de la formation -, qui ne nous les a pas donnés, rejetant tous les amendements concernant les AESH - nous en prenons acte.

En revanche, j'ai été surprise par le dépôt de ces amendements, car je pensais que nous souhaitions tous une adoption conforme de la PPL, même si nous savons que nous devons poursuivre la réflexion. La mission flash confiée à Cédric Vial nous permettra d'approfondir cette question.

Si Annick Billon nous confirme que ces amendements sont bien d'appel et qu'ils seront retirés en séance, j'en suis satisfaite, d'autant que le ministre est favorable à ce texte. Ce serait à l'honneur du Sénat de l'adopter à l'unanimité.

M. Jacques Grosperrin. - Ces amendements me gênent dans la mesure où ils laissent penser que les autres groupes n'auraient pas souhaité en déposer. Mais si nous ne l'avons pas fait, c'est dans l'objectif d'aboutir à une adoption conforme. Le ministre a été très clair : il ne souhaite pas réduire le délai de trois ans à un an d'ancienneté dans la cadre de la « CDIsation ».

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je confirme ma demande de retrait des amendements nos 1 et 2.

La commission demande le retrait des amendements nos 1 et 2 et, à défaut, y sera défavorable.

La commission donne les avis suivants sur les amendements de séance :

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

Mme BILLON

2

Demande de retrait

Mme BILLON

1

Demande de retrait

Audition de M. Guillaume Poitrinal, président, et de Mme Célia Vérot, directrice générale, de la Fondation du Patrimoine

M. Laurent Lafon, président. -Nous recevons ce matin Guillaume Poitrinal et Célia Vérot, respectivement président et directrice générale de la Fondation du Patrimoine, afin de faire un point sur la situation de leur établissement et l'état général de notre patrimoine.

Monsieur le président, madame la directrice générale, nous sommes ravis de vous accueillir une nouvelle fois devant notre commission.

Nous considérons que la conservation et la transmission du patrimoine constituent un véritable enjeu pour nos territoires d'un point de vue culturel, économique, touristique, social, et même écologique. En effet, la réhabilitation du patrimoine pourrait permettre de limiter les émissions de gaz à effet de serre liées aux constructions nouvelles.

L'action de votre fondation est fondamentale dans la préservation du patrimoine et doit être poursuivie. C'est la raison pour laquelle le législateur a conforté ses moyens d'action en adoptant, en 2021, une loi visant à moderniser ses outils et sa gouvernance.

La création de la mission Bern en 2017 et l'incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019 ont donné à la Fondation du Patrimoine une ampleur nouvelle en faisant d'elle l'une des institutions de référence en matière de sauvegarde du patrimoine. Quel bilan tirez-vous de la mission Bern et de collecte pour Notre-Dame ?

Nous sommes conscients que le secteur du patrimoine a été très affecté par la crise sanitaire. Quelle est la situation de la Fondation ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés ? Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?

Les récents travaux de notre commission sur la préservation du patrimoine montrent que les chantiers sont nombreux. Je pense notamment au rapport d'Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias sur le patrimoine religieux, mais aussi aux menaces que fait peser la transition écologique et énergétique si elle n'est pas correctement articulée avec les impératifs de préservation du patrimoine. C'est un point sur lequel notre rapporteur, Sabine Drexler, nous a alertés à plusieurs reprises et qui nécessite la mobilisation de tous les acteurs du patrimoine.

Je cède à tous deux la parole pour une présentation liminaire.

M. Guillaume Poitrinal, président de la Fondation du Patrimoine. -Je suis ravi d'être devant cette commission qui a toujours soutenu la Fondation du Patrimoine depuis sa création en 1996.

La Fondation a multiplié par trois son budget depuis 2017. Ce succès illustre la qualité du travail de Célia Vérot et de nos bénévoles, mais aussi l'urgence à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui face à la dégradation du patrimoine.

Depuis quinze ans, la Fondation a sauvé 35 000 sites patrimoniaux, soit en moyenne un site tous les cinq kilomètres en France, et est intervenue dans plus de 18 000 communes, soit plus d'une commune sur deux.

L'idée à l'origine de la création de la Fondation est aujourd'hui encore d'actualité : nous ne pouvons pas tout attendre de l'État, il est nécessaire de développer la philanthropie et de mobiliser les énergies locales.

Le patrimoine est oecuménique. Il engendre peu de débats politiques et sa préservation tend à faire l'unanimité au sein des partis politiques.

La Fondation du Patrimoine compte aujourd'hui 2 178 projets faisant l'objet d'une souscription, parmi lesquels 1 000 églises, 150 châteaux, 30 ponts, 27 moulins, 17 musées, 20 maisons d'artistes, 13 théâtres, etc. Ces chiffres montrent bien que l'action de la Fondation couvre l'ensemble du patrimoine exceptionnel dont dispose la France, avec l'objectif unique de le transmettre et le valoriser.

En effet, le meilleur moyen de conserver le patrimoine est de lui redonner un usage, non seulement en permettant sa visite, mais aussi en transformant les bâtiments oubliés - par exemple, la reconversion en salle des fêtes d'une église désaffectée ou l'installation de commerces ou services publics à l'intérieur de ces bâtiments. La Fondation est très attentive à cette question d'usage.

Le bénévolat constitue la principale ressource de la Fondation, qui compte 850 bénévoles répartis sur tout le territoire avec une délégation par département et par région. En comparaison, son équivalent anglais, le National Trust, recense pour sa part 30 000 bénévoles. Avec Célia, nous nous sommes donc fixé l'objectif de doubler le nombre de nos bénévoles au cours des trois prochaines années.

Le principal défi pour l'avenir est d'attirer non seulement des bénévoles retraités, mais aussi des actifs. Ces derniers n'ont pas la possibilité de travailler à temps plein avec nous, mais peuvent apporter ponctuellement des compétences sur une thématique particulière.

La Fondation du Patrimoine dispose de différentes ressources. Notre ressource historique - les successions en déshérence - nous rapporte environ 8 millions d'euros. Cette somme permet de couvrir très largement les frais de fonctionnement de la Fondation.

Les petits dons, que nous recevons par le biais des collectes, constituent l'une de nos principales sources de financement. 2 700 souscriptions populaires sont ouvertes en permanence sur notre site internet. Nous sommes également financés par le biais du mécénat, grâce au soutien de plusieurs grandes entreprises (Total, Dassault, AXA, AG2R La Mondiale, Gecina...), mais aussi des clubs de mécènes mis en place dans les régions.

Enfin, notre dernière ressource est constituée par le Loto du patrimoine. La mise en oeuvre de la mission Patrimoine en péril est le fruit d'une association entre la personnalité de Stéphane Bern et nos bénévoles. Avec le soutien des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), ils identifient les projets et en sélectionnent dans chaque département. La Française des jeux complète d'ailleurs le montant récolté dans le cadre des jeux de tirage et de grattage en nous soutenant financièrement comme mécène.

La Fondation reçoit de plus en plus de demandes concernant le patrimoine naturel. Il s'agit d'un de ses axes d'intervention pour l'avenir. Elle s'est mobilisée en faveur du reboisement des 62 000 hectares de forêts incendiés, et est également intervenue sur le canal du Midi et dans des marais menacés, dont le Marais poitevin.

J'aimerais formuler deux propositions.

Premièrement, nous souffrons de la diminution de 60 % à 40 % de la réduction d'impôt dont bénéficient les grandes entreprises pour leurs dépenses de mécénat au-delà de 2 millions d'euros. Nous souhaiterions que ce plafonnement puisse être supprimé pour les dépenses de mécénat effectuées en faveur de fondations reconnues d'utilité publique placées sous la tutelle d'un ministère. Cela n'aurait aucun impact financier pour Bercy, dans la mesure où les travaux de restauration financés par la Fondation génèrent des ressources fiscales. Les dons effectués au profit de la Fondation bénéficient donc in fine aux finances publique.

Deuxièmement, nous pensons que la Fondation du patrimoine pourrait accompagner la transition énergétique du bâti ancien. La rénovation énergétique des bâtiments à caractère patrimonial coûte plus cher que celle des bâtiments modernes, d'autant que les travaux sont souvent supervisés par des architectes des Bâtiments de France (ABF). Le fonctionnement de notre label est aujourd'hui très encadré. Il ne peut aujourd'hui concerner que les travaux de rénovation visibles de l'extérieur portant sur des immeubles d'intérêt patrimonial non protégés au titre des monuments historiques et visibles depuis la voie publique. Nous voudrions vous proposer d'étendre le champ du label de la Fondation du Patrimoine aux travaux de rénovation énergétique, en particulier les opérations d'isolation menées à l'intérieur même des édifices.

M. Laurent Lafon, président. - Avant de donner la parole à mes collègues, je propose que nous fassions un point sur la rénovation de Notre-Dame après son incendie. La collecte de dons a été très importante (150 millions d'euros). Quel est votre point de vue sur la mobilisation forte et l'utilisation des fonds ainsi collectés ?

M. Guillaume Poitrinal. - Pour la première fois dans notre pays, une opération de sauvetage patrimonial va être entièrement financée par du mécénat et des dons.

En excluant les donations des milliardaires français, la Fondation du Patrimoine, avec ses 232 millions d'euros, a collecté les deux tiers des dons. Aussi, je regrette qu'elle ait été écartée de la gouvernance de l'établissement public.

Comme nous l'avions annoncé, les derniers budgets montrent un excédent de la collecte par rapport aux besoins de la reconstruction. Avant l'incendie, l'État avait prévu de participer à la rénovation de Notre-Dame à hauteur de 60 millions d'euros sur dix ans. Il ne doit pas aujourd'hui se soustraire à son devoir de propriétaire ni s'enrichir sur cette opération. Il convient donc de distinguer ce qui relève de l'incendie et ce qui relève du confort de la visite.

Nous souhaitons engager un débat avec la ministre de la Culture et l'établissement public sur la destination du surplus. Celui-ci est principalement issu du mécénat d'entreprise, c'est-à-dire des contrats de droit privé conclus entre la Fondation du Patrimoine et ses mécènes, circonscrits pour la plupart à la reconstruction de la cathédrale. Dès lors, si cette ressource devait être utilisée à d'autres fins, il conviendrait de les consulter.

M. Laurent Lafon, président. - C'est un point important sur lequel nous reviendrons sûrement à travers les questions.

Je donne la parole à Sabine Drexler, rapporteur des crédits patrimoine.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Je tenais à féliciter la Fondation du patrimoine pour son action et ses partenariats dans les territoires.

Face au coût de l'énergie et des matières premières, de nombreuses collectivités sont aujourd'hui contraintes de renoncer à leurs projets de rénovation de leur patrimoine ou de les suspendre, faute de moyens financiers suffisants.

Dans le même temps, la loi Climat et résilience impose à l'ensemble des propriétaires de réaliser des travaux d'isolation, sans lesquels ils ne pourront plus louer leurs biens ni les vendre à leur juste valeur. Or de nombreux propriétaires bailleurs ne sont pas en mesure de financer les travaux attendus. Par conséquent, ces biens risquent d'être délaissés, avant d'être cédés au prix du terrain. Certains propriétaires vont se lancer dans des travaux d'isolation à la merci de professionnels qui effaceront progressivement les particularités architecturales de nos régions françaises.

Selon vous, quel impact auront les dispositions de la loi Climat et résilience sur le patrimoine bâti de notre pays, notamment celui antérieur à 1948 ?

Quelles sont les actions de la Fondation dans ce domaine et dans quelle mesure certains de ses outils pourraient être mobilisés pour faciliter cette transition énergétique dans le respect du patrimoine ?

M. Guillaume Poitrinal. - Je pense que le label peut être une solution. C'est un outil assez efficace, permettant de mobiliser des subventions à moindre coût, puisque les dossiers sont instruits par les bénévoles de la Fondation. En outre, nous disposons d'accords avec des municipalités et des départements pour soutenir les opérations de sauvetage patrimonial en présence d'un label.

L'efficience énergétique fait partie intégrante de la préservation du patrimoine. Si ces bâtiments ne peuvent plus être utilisés en raison du coût de l'énergie, ils vont tomber en déshérence. Par conséquent, il est impératif de les isoler.

Mme Célia Vérot, directrice générale de la Fondation du Patrimoine. - Le label est un support intéressant pour agir sur le patrimoine ancien non protégé des propriétaires privés. Nous pouvons ainsi, via des partenariats avec des collectivités, lever des subventions afin d'accorder une aide aux propriétaires, notamment ceux qui sont peu imposables ne bénéficient donc pas véritablement des effets directs du label.

Le label permet également de mobiliser du mécénat affecté à des travaux sur des propriétés privées. S'il est encore rare que des entreprises financent de tels travaux, cela pourrait se développer, dans la mesure où ceux-ci contribuent à l'embellissement urbain et répondent à des objectifs climatiques.

En outre, le label rend possible la réalisation de travaux de qualité patrimoniale dans le respect des moyens du propriétaire. Le défi réside dans l'intégration des enjeux climatiques à une logique très patrimoniale.

Nous l'expérimentons actuellement sur des bâtiments publics dans plusieurs endroits de France, notamment des maisons de parcs naturels régionaux, qui restaurent leur siège pour atteindre une qualité validée par les ABF, qui soit aussi basse consommation énergétique (BBC).

Le défi sera ensuite de transposer cette expérimentation auprès de tous les propriétaires qui sollicitent des labels et de leur proposer des solutions pour l'intérieur des bâtiments.

Plutôt que de construire de nouveaux bâtiments, sources d'impacts carbone supplémentaires, il est préférable de conserver le patrimoine existant. Toutefois, il convient de respecter ses qualités intrinsèques. Or les artisans ont l'habitude de faire de la rénovation standard. Il faut donc investir pour développer des qualifications spécifiques afin d'intervenir sur l'ensemble du patrimoine ancien.

Mme Sonia de La Provôté. - Je me joins à ma collègue Sabine Drexler pour vous remercier de votre action dans les territoires.

J'ai plusieurs questions.

Les politiques de préservation du patrimoine se heurtent à un problème d'organisation. Les maires déplorent des problématiques d'assistance à maîtrise d'ouvrage, ainsi que des difficultés pour monter les dossiers et pour trouver de bonnes entreprises pour conduire les chantiers.

Un rapport avait souligné la nécessité d'un guichet unique départemental. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? L'enjeu est de regrouper tous les interlocuteurs concernés afin de faciliter les procédures, qui peuvent parfois durer plusieurs années, et de les clarifier.

Ma deuxième question porte sur le rôle du ministère de la Culture et la place qu'y occupe le patrimoine. Pensez-vous qu'il est nécessaire que celui-ci soit mieux défendu et, le cas échéant, par quels moyens ?

Ma dernière question concerne les programmes Action Coeur de Ville et Petites Villes de demain. Quel bilan en tirez-vous en matière de vitalité patrimoniale et de mise en valeur du patrimoine ? Pensez-vous que les outils mis en oeuvre dans ce cadre pourraient être étendus à d'autres communes qui ne relèvent pas encore du programme, mais qui pourraient légitimement y prétendre ?

M. Pierre Ouzoulias. - Dans notre rapport, Anne Ventalon et moi-même avons plaidé pour un usage partagé des lieux de culte, mais sans désaffectation de ceux-ci. Il est en effet primordial de maintenir le culte, en diversifiant les usages du bâtiment afin de pouvoir mieux le valoriser.

Concernant la reconversion du bâti ancien, je partage votre position. Les monuments anciens sont des logements bas carbone par destination puisqu'ils ont été construits à une époque où la sobriété énergétique était de mise. Ils ne doivent donc pas être considérés comme un obstacle à la décarbonation de la société.

Aujourd'hui, la délivrance du label permet de protéger un troisième type de patrimoine, c'est-à-dire celui qui n'est ni classé ni inscrit. Cet outil est important, car il permet de remettre de l'initiative nationale dans la préservation du patrimoine non protégé, qui ne bénéficie pas du soutien de l'État. Lors de l'élaboration de notre rapport, nous avons constaté que l'État n'était plus disposé à assurer d'assistance à maîtrise d'ouvrage et qu'il s'agissait d'un sujet sur lequel il était temps d'acter une décentralisation de facto.

Dès lors, comment la Fondation du Patrimoine pourrait-elle mieux travailler avec les conseils d'architectures, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ? Ne serait-il pas intéressant d'intégrer de droit la Fondation dans leur fonctionnement ?

Enfin, les ABF ne disposent pas des moyens matériels pour gérer l'ensemble des demandes de label. Il convient donc de trouver une structuration entre le désengagement du ministère de la Culture, la mission fondamentale de la Fondation du Patrimoine et la nécessaire relation avec les niveaux de décentralisation du patrimoine non classé.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. -Vous avez indiqué que la petite collecte était le premier segment de collecte pour votre Fondation. Avez-vous des craintes par rapport aux difficultés liées au pouvoir d'achat et pensez-vous que ce segment pourrait être amené à décliner ?

Ma deuxième question porte sur les demandes que vous recevez concernant le patrimoine naturel. Pouvez-vous expliquer ce phénomène ? De quelle manière l'aborderez-vous dans les années à venir ?

Enfin, bien que la France soit une grande terre maritime, il me semble que le patrimoine maritime et fluvial constitue une forme plus méconnue du patrimoine. Pensez-vous que celui-ci soit assez pris en compte ? À votre connaissance, le mécénat d'entreprise et les petites collectes sont-ils une aide pour ce patrimoine ?

M. Julien Bargeton. - Dans vos propos sur Notre-Dame, vous ne citez pas le rapport de la Cour des comptes, qui émet un avis plutôt positif sur la façon dont les travaux ont été financés et menés. J'ai déduit - sans doute à tort - de vos interrogations concernant le surplus de la collecte, que vous souhaitiez le conserver. Pouvez-vous nous préciser ce qu'il en est et, le cas échéant, nous exposer vos motivations ?

Dans un contexte devenu inflationniste, la Cour des comptes alerte sur le risque de nouveaux surcoûts. Aujourd'hui, le coût a déjà été réévalué à 552 millions d'euros et la Cour sollicite une nouvelle évaluation. Par ailleurs, elle préconise que l'ensemble des dons soit conservé, avec l'accord des mécènes, afin de financer les travaux datant de la situation antérieure à l'incendie.

Quel est votre avis sur ce rapport ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Vos interventions respectives ont permis de réaffirmer le rôle crucial de la Fondation dans la préservation du patrimoine, mais surtout de dresser un panorama des actions menées et des enjeux auxquels elle doit faire face.

Comme monsieur Bern l'a rappelé, le patrimoine s'effrite avec le passage du temps et des saisons. Le rapport de nos collègues Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias a d'ailleurs pointé le risque important de la dégradation accélérée de notre patrimoine religieux.

Je me réjouis du succès de la mission de sauvegarde du patrimoine qui permet de financer de nombreux travaux de restauration. Par ailleurs, j'ai noté que le Loto du patrimoine devrait être prolongé pour au moins cinq ans. Toutefois, est-ce suffisant, alors qu'entre 2 500 et 5 000 églises pourraient disparaître en France d'ici 2030 ? Avez-vous des propositions complémentaires afin de préserver notre patrimoine culturel et cultuel d'un délitement certain ?

Concernant la fiscalité, il est primordial de mettre en oeuvre tous les moyens possibles pour préserver notre patrimoine. Le recours au mécénat est un levier intéressant, qu'il ne faut pas hésiter à encourager. Les avantages fiscaux découlant des dons ont ainsi un effet incitatif majeur. Par conséquent, pensez-vous qu'augmenter ou développer des incitations fiscales créerait un cercle vertueux ?

M. Olivier Paccaud. - J'ai été très impressionné par les chiffres que vous avez communiqués concernant le travail de la Fondation du Patrimoine.

Vous soulignez que la préservation de notre patrimoine passe par le maintien de son utilisation. Vous évoquez à ce titre la nécessité d'une évolution des usages, à l'instar de la transformation d'une église en salle des fêtes ou en bibliothèque.

Ma question est d'ordre psychologique. Avez-vous noté une évolution des mentalités chez les partenaires locaux de la Fondation du Patrimoine ? En effet, si nous observons aujourd'hui de beaux exemples de passage du cultuel au culturel, il aurait été impensable, il y a une trentaine d'années, de transformer une église.

M. Bernard Fialaire. - Je voudrais réagir à deux de vos remarques.

La première concerne la collecte pour Notre-Dame. Il me semble que tous les donateurs, y compris les mécènes, souhaitent que le bâtiment soit reconstruit, mais également qu'il puisse être visité. Il n'est donc pas déraisonnable que les dons financent les dispositifs de sorties de secours de la cathédrale. Cela me parait plus opportun que d'utiliser une partie du produit de la collecte pour d'autres édifices patrimoniaux.

Ensuite, concernant la limitation du mécénat des grandes entreprises, si je trouve louable d'encourager le mécénat, le plafonnement fiscal ne me choque pas. Par ailleurs, rien n'empêche les mécènes de se livrer à du mécénat non subventionné par l'État.

Mme Marie-Pierre Monier. - Constatez-vous aujourd'hui une répercussion de la conjoncture sur le montant des dons perçus ?

Lors de votre passage devant la commission en 2019, vous nous aviez alertés sur la concurrence montante des plateformes de crowdfunding. Pouvez-vous nous parler de l'évolution de ce phénomène ?

Nous avions également échangé sur votre souhait d'étendre votre réseau de bénévoles, et de le rajeunir et le féminiser. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Enfin, j'ai deux questions concernant la proposition de loi visant à moderniser les outils et la gouvernance de la Fondation du Patrimoine. L'article 1er avait pour objectif d'étendre à 20 000 habitants le seuil d'attribution du label de la Fondation, jusque-là limité aux communes rurales. Quel est le pourcentage des projets de la Fondation qui s'inscrivent dans ce cadre élargi ? Cet élargissement a-t-il conduit à une tension sur ses ressources financières et à une concurrence accrue entre les projets ?

M. Jean Hingray. - J'ai différentes questions à vous poser.

Premièrement, que pensez-vous de la proposition de Sabine Drexler concernant la création d'un référent en charge du patrimoine au sein du ministère de l'Écologie ?

Olivier Paccaud a souligné qu'une évolution des mentalités s'avère parfois nécessaire. Ne pourrait-on pas introduire une telle évolution au sein du ministère afin d'aider les classes moyennes et populaires à rénover le patrimoine bâti dans nos communes ?

À quoi le surplus de la collecte de Notre-Dame devrait-il être affecté ? Selon vous, devrait-il être investi dans le patrimoine de nos territoires ou pourrait-il être utilisé pour soutenir les centres de formation aux métiers de la restauration du patrimoine ?

Vous avez évoqué la protection de la faune et la flore, et le reboisement des forêts. Dans quelle mesure l'action de la Fondation du Patrimoine s'inscrit-elle dans le cadre des annonces gouvernementales relatives à la planification écologique ? La Fondation peut-elle bénéficier des mesures gouvernementales mises en place afin de contribuer au reboisement des forêts ?

Enfin, combien le déplafonnement de la législation en matière de mécénat des grandes entreprises pourrait-il rapporter à la Fondation du Patrimoine ?

M. Guillaume Poitrinal. - Concernant Notre-Dame, je voudrais commencer par lever une ambiguïté. L'argent de la collecte ne nous appartient pas. Il a fait l'objet d'un contrat et a donc un objet précis protégé par la Constitution. Il revient aux mécènes de décider s'ils souhaitent ou non que la collecte soit étendue à d'autres travaux.

Néanmoins, il faut pouvoir distinguer en toute transparence ce qui relève de l'objet de la collecte - rebâtir Notre-Dame, selon le président de la République - et ce qui a trait à l'accessoire. C'est aujourd'hui l'objet de notre débat avec l'établissement public. Je ne m'oppose pas à ce que le produit de la collecte profite plus largement à la cathédrale, mais il convient pour cela d'interroger en amont les mécènes, comme le propose la Cour des comptes.

Il ne s'agit pas de détourner l'argent de la collecte à d'autres fins, mais d'identifier les responsabilités de chacun. Il est en effet inconcevable que l'incendie de Notre-Dame soit une aubaine pour les finances de l'État. Les dons des mécènes n'ont pas vocation à se substituer aux 60 millions d'euros que l'État avait prévu d'investir dans la cathédrale antérieurement à l'incendie et qu'il doit aujourd'hui honorer.

Par ailleurs, la visite de la cathédrale générera des recettes au profit du Centre des monuments nationaux (CMN), qui pourront être utilisées pour financer les travaux de rénovation.

Mme Célia Vérot. - La Fondation du Patrimoine est devenue partenaire des programmes Petites Villes de Demain et Action Coeur de Ville. Dans un certain nombre de petites villes, nous constatons des problématiques patrimoniales intenses avec un grand nombre d'édifices en déshérence ou inoccupés. Il convient donc d'y développer des programmes ad hoc.

Guillaume Poitrinal et moi-même sommes conscients de la difficulté rencontrée par l'ensemble des porteurs de projet pour se repérer parmi les aides disponibles. Si les solutions de guichet unique sont intéressantes, elles sont toujours longues à mettre en oeuvre et supposent une entente entre les différents niveaux de collectivités. Nous privilégions donc dans l'immédiat un accompagnement des élus par nos bénévoles et salariés. Par ailleurs, nous avons créé un outil dans le cadre du programme Petites Villes de Demain : le portail du patrimoine, qui fournit aux élus des informations claires et précises sur les acteurs qu'ils peuvent solliciter et les aides disponibles en fonction des problématiques auxquels ils font face.

Le défi futur porte sur la maîtrise du coût des travaux : comment aider les élus à effectuer des travaux de qualité au juste prix ? Pour les grands chantiers, des solutions d'assistance à maîtrise d'ouvrage peuvent être mises en place. Mais ce procédé n'est pas applicable aux petits chantiers, pour lesquels il conviendra de trouver une structure pour remplir ce rôle.

La Fondation est régulièrement saisie de ce problème. Elle ne souhaite pas se contenter d'intervenir au niveau du financement mais désire entamer une réflexion sur la capacité à réaliser des travaux à coûts maitrisés et sur les instruments disponibles pour les petites communes.

M. Guillaume Poitrinal. - En tant que bénévole à la Fondation du Patrimoine, je soutiens l'immobilier bas carbone. Nos poutres, nos charpentes sont des puits de carbone. Nous avons donc tout intérêt à les conserver. D'autant plus que, dans l'acte de construire, 60 % des émissions sont liées à la construction elle-même. Du point de vue de l'empreinte carbone globale, il est donc plus intéressant de rénover nos villages et centres-villes dans le respect du patrimoine, afin de les rendre habitables, plutôt que de construire de nouveaux bâtiments.

Le label pourrait être une des solutions pour sauver le patrimoine et le rendre efficient du point de vue climatique, tout en le préservant.

Mme Célia Vérot. - Nous avons constaté une prise de conscience de l'impact énergétique positif du bâtiment patrimonial, notamment au stade des travaux. En effet, les travaux sur le patrimoine impliquent moins de matériaux, car le bâtiment existant est conservé.

Nous réalisons actuellement une étude d'impact environnemental afin de mesurer objectivement l'impact carbone et écologique de la restauration patrimoniale. Cette étude tiendra compte des émissions du bâtiment, lesquelles seront différentes selon que celui-ci a été rénové pour être moins énergivore ou non. Les résultats de cette étude permettront d'objectiver ce constat et de diffuser cette prise de conscience.

M. Guillaume Poitrinal. - S'agissant du crowdfunding, la Fondation du Patrimoine condamne les personnes qui montent des business autour de la philanthropie. Celle-ci ne doit en aucun cas être source d'enrichissement personnel.

Nous avons l'ambition de féminiser rapidement nos bénévoles. À l'origine, la Fondation du Patrimoine a été créée avec l'aide des chambres de commerce locales, majoritairement composées d'entrepreneurs masculins. Depuis cinq ans, nous assurons, avec Célia, la promotion active de nos cadres féminins et oeuvrons également à rajeunir les bénévoles. Il importe en effet que la Fondation du Patrimoine reflète l'ensemble de la société.

Par ailleurs, nous observons une grande mutation du patrimoine religieux. L'origine du problème remonte à la séparation entre l'Église et l'État en 1905 . Désormais, le maire et le culte se désengagent de l'entretien des églises, créant un vide. C'est la raison pour laquelle la Fondation du Patrimoine compte aujourd'hui 1 000 églises en souscription. Pour réconcilier les énergies autour du patrimoine, il convient d'engager une discussion sur le partage des usages dans le respect du culte des églises désaffectées. Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du Patrimoine, réfléchit actuellement avec un groupe de travail à la manière de mettre en oeuvre ces opérations de sauvetage et de réaffectation d'usage.

Mme Célia Vérot. - Nous avons réalisé une étude qui montre une croissance générale du nombre de labels, dans le prolongement de la loi adoptée à l'initiative de Dominique Vérien portant augmentation du seuil des labels.

Aujourd'hui, les communes de 2 000 à 20 000 habitants représentent environ 14 % des labels délivrés par la Fondation du Patrimoine. La norme fixée par le Sénat, selon laquelle au moins 50 % des labels de la Fondation doivent être situés en zone rurale, est donc bien respectée, puisque nous atteignons 70 % de labels en zone rurale. Dès lors, la Fondation reste présente en priorité dans les zones rurales, mais ouvre de nouvelles possibilités dans les petits bourgs.

Cette croissance créera une tension sur les ressources de la Fondation, car la délivrance d'un label s'accompagne nécessairement de l'octroi d'une aide au bénéficiaire. Pour développer cet outil, il est donc impératif que la Fondation dispose de moyens financiers suffisants. Dans certains cas, elle s'appuie sur des partenariats avec les collectivités. À défaut, elle doit mobiliser des fonds, par exemple au travers de collectes de mécénat non affectées.

Nous déplorons également un problème de procédure. Aujourd'hui, les entreprises exigent que les devis soient signés dans un délai de quinze jours, pour garantir la disponibilité des matériaux et leur prix. Or le processus administratif est d'une rapidité inégale, pénalisant les propriétaires.

Nous avons donc convenu avec le ministère de la Culture un partage des bonnes pratiques au niveau national pour fluidifier la procédure et ainsi alléger le travail des ABF. Le plus souvent, les dossiers leur ont déjà été soumis au titre des autorisations d'urbanisme. Il conviendrait donc de paralléliser les procédures pour gagner du temps et de fixer des délais de traitement. Ce travail est en cours.

M. Guillaume Poitrinal. - Nos relations avec le ministère de la Culture sont en très nette amélioration. Nous construisons actuellement des relations beaucoup plus solides et étroites avec Rima Abdul Malak.

S'agissant du patrimoine naturel et maritime, la Fondation met en place des collectes qui fonctionnent bien. Elle intervient sur différents types de bateaux, de la petite barque de pêche à de magnifiques gréements.

Par ailleurs, nous recevons de plus en plus de demandes concernant le patrimoine naturel. Cet engouement s'explique par une prise de conscience générale de la nécessité de protéger ce patrimoine, mais également par l'effet du réchauffement climatique sur les forêts.

Mme Célia Vérot. - La Fondation du Patrimoine a été créée pour répondre aux enjeux du patrimoine architectural et du patrimoine naturel, avec une double tutelle de fondation du ministère de la Culture et de celui de l'Écologie. Au cours de son histoire, la Fondation s'est davantage intéressée au patrimoine architectural, mais le patrimoine naturel a toujours été présent.

Aujourd'hui, nous souhaitons traiter les sujets dans leur globalité, à la fois du point de vue architectural et environnemental. Comme l'a souligné Guillaume Poitrinal, il y a une formidable capacité à lever des dons au profit du patrimoine naturel, car ce sujet préoccupe beaucoup les entreprises et nos concitoyens.

M. Guillaume Poitrinal. - Cet intérêt se ressent également chez les bénévoles. Beaucoup de jeunes se mobilisent et la Fondation est prête à les accompagner dans la réalisation de leurs projets.

Enfin, je confirme que nous observons une baisse des petites collectes, qui va nous obliger à trouver davantage de financements.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à répondre à chacune de nos questions.

Notre commission sera toujours aux côtés de la Fondation du Patrimoine pour défendre le patrimoine sous toutes ses formes, y compris naturel.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 55.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Objectifs et moyens des sociétés de l'audiovisuel public - Audition de Mmes Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, Sibyle Veil, présidente de Radio France, Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde et M. Laurent Vallet, président de l'Institut national de l'audiovisuel

M. Laurent Lafon, président. - Nous recevons aujourd'hui les dirigeants des quatre entreprises de l'audiovisuel public national pour évoquer les avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) proposés par le Gouvernement pour 2023.

Je remercie donc pour leur présence Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions, Mme Sibyle Veil, présidente de Radio France, Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde et M. Laurent Vallet, président de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Je précise que Bruno Patino, président d'ARTE France, est retenu à Strasbourg pour une réunion du conseil d'administration du groupement européen d'intérêt économique (GEIE) d'ARTE.

J'ajoute, pour expliquer l'absence de TV5 Monde, que la chaîne francophone, compte tenu de son statut international, ne dispose pas de contrat d'objectifs et de moyens, mais d'un document spécifique.

Cette audition intervient dans un contexte particulier marqué, concernant les moyens de l'audiovisuel public, par la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) l'été dernier et son remplacement, au moins jusqu'à la fin 2024, par l'attribution d'une part de TVA aux six sociétés de l'audiovisuel public. La question du financement de ces entreprises reste donc ouverte et on ne peut pas considérer que le Gouvernement s'est acquitté, à ce stade, de sa promesse de réformer le financement de l'audiovisuel public compte tenu des incertitudes qui subsistent.

Je saisis l'occasion de cette rencontre pour réaffirmer l'attachement de la commission de la culture du Sénat à ce que les entreprises de l'audiovisuel public bénéficient d'une ressource suffisante, prévisible et protégée des régulations budgétaires. Cette ressource pérenne est une des conditions de leur indépendance, de leur bon fonctionnement et, donc, de leur adaptation aux nouveaux enjeux notamment numériques.

Le Sénat travaille depuis de longues années sur la transformation de notre audiovisuel public. Notre commission a fait de nombreuses propositions pour accompagner les évolutions nécessaires, encore dernièrement à l'occasion d'un rapport réalisé conjointement avec la commission des finances par nos collègues Jean-Raymond Hugonet et Roger Karoutchi. Nos propositions ont toujours eu pour objectif de renforcer l'audiovisuel public et de définir des objectifs ambitieux. C'est la raison pour laquelle les précédents COM adoptés pour la période 2020-2022 nous sont apparus décevants. Il en est, évidemment, de même des avenants que nous examinons aujourd'hui et qui prolongent simplement les précédents COM.

Nous souhaitons vous entendre sur ces avenants et leurs objectifs pour 2023, mais nous attendons aussi que ces échanges nous permettent de mieux évaluer les difficultés qui sont les vôtres à la veille d'une année 2023 qui sera, comme l'année 2022, marquée du sceau de l'inflation et des effets non anticipés de la réforme de la contribution à l'audiovisuel public qui vous ont rendus éligibles, par exemple, à la taxe sur les salaires. Les questions de mes collègues nous permettront également d'évoquer les enjeux d'avenir ainsi que les objectifs qui pourraient figurer dans les COM 2024-2028.

Après une intervention liminaire que je vous propose de limiter à sept minutes, notre rapporteur pour l'audiovisuel, Jean-Raymond Hugonet, posera une question à chacun d'entre vous, à laquelle je vous propose de répondre dans la foulée, puis les collègues sénateurs vous poseront à leur tour leurs questions.

Je précise que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Je cède la parole à Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions.

Mme Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions. - Je suis très heureuse de cet échange avec votre commission à l'occasion de l'examen de notre avenant du COM.

Je voudrais dire tout d'abord que l'avenant précédent a porté en lui un plan de transformation très ambitieux et respecté, qui se poursuivra en 2023. Pour être brève, je vous présenterai les trois priorités qui ont été données à France Télévisions.

En premier lieu la puissance numérique de France Télévisions, que je voudrais évoquer en m'appuyant sur des chiffres de Médiamétrie. Nos audiences linéaires représentent environ 30 % de parts de marché pour une moyenne d'âge pondérée de 61 ans. Nous avons une couverture de la population très importante, puisque nous couvrons environ 91 % de la population par mois, mais avec les différents acteurs réunis autour de la table, nous arrivons en réalité à 100 % : tous les Français ont un contact avec le service public.

Passons maintenant à nos plateformes propriétaires. Nous avons énormément simplifié l'offre, et nous nous sommes recentrés sur deux grands axes. Tout d'abord Franceinfo qui est une offre commune à nous tous : il s'agit du premier site d'actualités en France. Ainsi, 37 % des Français s'y rendent chaque mois, avec une moyenne d'âge de 45 ans.

France.tv, notre plateforme de contenus, qui rassemble tous types de contenus et en particulier la fiction, le cinéma, et la culture, est la première plateforme vidéo de France. Elle est passée première en juillet et en août devant TF1 et M6 et témoigne d'une forte progression, avec plus de 30 % d'augmentation d'utilisation en un an. Les audiences ont doublé en quatre ans : nous atteignons aujourd'hui 27 millions de visiteurs uniques par mois. Franceinfo, compte de son côté 22 millions de visiteurs uniques par mois, soit un taux de couverture de plus de 40 % de la population. Ce qui est supérieur à Netflix. La moyenne d'âge est aussi de 45 ans. Il faut également noter que 25 % des contenus des 170 millions de vidéos vues par mois sont des contenus jeunesse.

Les réseaux sociaux représentent notre troisième pilier, puisque nous fabriquons des contenus pour nos antennes linéaires, pour nos offres numériques et pour les réseaux sociaux. Si l'on s'intéresse au nombre d'abonnements, nous arrivons à 11 millions d'abonnements, dont 3,7 millions sur France.tv slash, qui est l'offre destinée aux jeunes adultes entre 18 et 35 ans, représentant environ 10 millions de personnes en France. Il faut ajouter à cela 5 millions d'abonnés sur Franceinfo.

Si cette percée est très importante, nous souhaitons aller évidemment plus loin : notre objectif est de doubler notre couverture du numérique, c'est-à-dire de toucher autant de personnes avec le numérique qu'avec les chaînes traditionnelles.

Notre deuxième priorité concerne la création et la culture, ainsi que l'accès à la culture pour tous. Cette priorité est d'autant plus importante au moment où les dépenses liées à la culture représentent le premier poste supprimé par les Français en cas de difficulté financière, comme c'est le cas aujourd'hui.

Culturebox nous a permis d'opérer un très grand bond en avant en 2021 à l'occasion du second confinement. C'est aujourd'hui la plus grande salle de spectacle de France : chaque semaine, 8 millions de Français sont au contact d'une pièce de théâtre, d'un concert ou d'un opéra sur la chaîne. Nous allons poursuivre le développement de cet « ovni » audiovisuel, car il joue pour nous un rôle assez central d'accès universel à la culture sur tous les territoires. Cet objectif pour la culture se traduit aussi par nos investissements en création audiovisuelle et cinématographique, à hauteur de 500 millions d'euros par an. Ils sont donc d'un très haut niveau, marqué par une forte progression, et ce malgré les effets de l'inflation sur nos comptes.

Notre troisième priorité que nous partageons avec Radio France est notre place sur les territoires : plus de 50 % de nos effectifs se situent hors de Paris, si on compte les régions et les neuf territoires et départements ultramarins. Je ne reviendrai pas sur l'outre-mer, bien que le sujet soit très important. Je centrerai mon propos sur les collaborations menées avec Radio France et sur la l'offre de proximité en région : les matinales communes avec France Bleu qui continuent et la multiplication des décrochages sur France 3, c'est-à-dire des programmes spécifiquement régionaux, qu'ils soient culturels ou sportifs. Dans ce cadre, l'année 2023 marquera une très grande étape, puisque nous avons décidé de mettre en place un projet intitulé Tempo qui vise à compter de septembre 2023 à rendre les éditions du 12/13 et du 19/20 de France 3 intégralement lancées depuis nos 24 antennes régionales. Ces futures éditions seront baptisées « Ici midi » et « Ici soir », avec l'objectif de renforcer notre offre commune sur le numérique. En effet, l'offre de proximité représente une attente très forte des Français vis-à-vis du service public : ce projet nous permettra de « dé-parisianiser » notre offre d'information sur l'ensemble des territoires.

Nous portons évidemment en perspective un projet d'élargissement et de puissance du service public. Comme l'avez rappelé, ce projet d'avenant s'inscrit dans la continuité du plan stratégique précédent, décidé en 2018. Il va nous appartenir, avec vous tous, de discuter de la suite de notre place certes, mais surtout de la suite pour l'audiovisuel public. Je voudrais dans ce cadre revêtir mon costume de présidente des télévisions et radios publiques européennes pour vous faire part de ce que l'on peut observer en Europe. Nous distinguons trois scenarii pour le service public.

Le premier scénario est un scénario de rétrécissement, à l'image de l'Espagne où l'opérateur public a subi des coupes budgétaires franches de 25 % qui ont entraîné 50 % de baisse d'audience. Ainsi, la télévision publique espagnole ne pèse plus très lourd dans le paysage médiatique du pays. De même, les États-Unis où l'opérateur public a dû se recentrer sur des missions spécifiques de service public et a laissé la place aux sociétés commerciales ; finalement on peut dire qu'il n'y a pas de service public américain, ce qui entraîne la situation que nous connaissons, marquée par des médias d'opinion qui s'affrontent et la polarisation extrême de ce pays.

Le deuxième scénario correspond au statu quo. Il s'agit du modèle français qui resterait en l'état. Je vous le rappelle, nous avons réalisé des efforts très importants pour France Télévisions. Nous avons augmenté notre productivité de 20 % tout en réduisant les effectifs de manière assez draconienne, soit 15 % de baisse en dix ans. Selon moi, ce statu quo atteint aujourd'hui ses limites et la baisse des financements se heurte aux exigences citoyennes de plus en plus fortes et aux enjeux du numérique dans un contexte de forte concurrence des plateformes américaines et de hausse des coûts liée à l'inflation et aux investissements nécessaires pour faire face à cette concurrence.

Le troisième scénario est celui de l'élargissement, à l'instar de nos voisins allemands ou britanniques : ils ont fait le choix stratégique d'investir dans leur audiovisuel public, pas uniquement d'un point de vue budgétaire, mais aussi d'un point de vue législatif, c'est-à-dire en imposant des règles très fortes de visibilité des médias publics dans les environnements connectés.

Je pense que nous trouverons cet élargissement et les marges de manoeuvre nécessaires en opérant des rapprochements stratégiques, comme nous l'avons déjà fait. Je ne sais d'ailleurs pas s'il existe beaucoup d'entreprises qui, de leur propre chef, de leur plein gré, ont autant construit ensemble. Il convient de poursuivre les efforts massifs sur le numérique. Mon choix se porte vers le troisième scénario, en particulier dans un contexte où l'information est une guerre culturelle. Il n'est d'ailleurs pas étonnant d'observer que le président ukrainien s'occupe énormément de l'information : il n'a pas coupé les crédits de la télévision publique ukrainienne, c'est le moins que l'on puisse dire.

Je pense que nous avons besoin tous ensemble de défendre une exception culturelle française et une exception culturelle européenne, que nous sommes, je pense, les seuls à pouvoir défendre. J'espère que nous aurons l'occasion de reparler de tout cela et du pacte de confiance que nous devons réaliser avec nos concitoyens.

Mme Sibyle Veil, présidente de Radio France. - Je suis très heureuse d'être avec vous aujourd'hui pour l'examen de cet avenant à un COM qui a permis à Radio France de porter des ambitions importantes de deux natures. La première correspond à la transformation de notre média, d'un média radio en un média audio ; la deuxième correspond à l'approfondissement de coopérations très importantes autour de nos missions de service public, avec les différents acteurs à mes côtés aujourd'hui.

Radio France est devenue ces dernières années le premier groupe de radios en France, avec la première chaîne de radio France Inter. Franceinfo est devenu la troisième radio de France, mais Radio France est aussi une plateforme audio gratuite qui séduit chaque jour 10 millions de visiteurs uniques, ce qui nous a permis de passer il y a un an devant Apple Podcasts. Ainsi, 22 millions de Français sont abonnés à nos plateformes, mais la somme des auditeurs et des visiteurs uniques sur nos sites et applications s'établit chaque jour, en couverture quotidienne, dans une fourchette entre 20 et 21 millions de personnes.

Delphine Ernotte, l'a rappelé, les médias qu'on appelle souvent médias historiques ou traditionnels gardent une puissance : leur audience en direct est démultipliée par leur présence numérique qui est sans équivalent. Nous nous situons en effet devant WhatsApp, devant YouTube, devant Instagram et Twitter. Nous couvrons avec nos contenus chaque mois 73 % de la population. On a vu combien ces dernières années, le succès des stratégies numériques a accompagné le succès de l'écoute en direct de nos radios : Franceinfo, comme France Inter et France Culture, qui sont les deux leaders du podcast en France, ont vu, mois après mois, leurs audiences augmenter.

Aujourd'hui Radio France va bien, car nous avons pris un certain temps d'avance sur le numérique, et vous savez comme moi que cela n'avait rien d'évident il y a encore quelques années. Nous avons en effet parié sur le développement de l'audio et le boom des podcasts, tout comme l'apparition d'acteurs mondiaux du streaming tels qu'Amazon Music, Spotify ou Apple Podcasts qui ont montré combien cette stratégie était valide. Nous représentons en France 50 % de l'écoute des podcasts. Cette offre nouvelle que nous avons développée grâce au podcast nous a permis de toucher des publics jeunes, et notamment les enfants pour lesquels nous avons développé tout un univers audio inédit.

De même, après avoir observé l'offre des autres pays, nous avons choisi de rassembler l'ensemble des contenus produits par nos radios dans une seule plateforme, Radio France, qui offre une plongée unique en France dans les savoirs, l'actualité et le monde des idées. Notre partenariat avec l'INA nous permet notamment d'aller chercher les pépites historiques qui ont fait les grandes heures de nos radios. Nous accueillons également les contenus de tous nos partenaires ici présents, ceux d'ARTE et les podcasts qui sont issus des contenus réalisés par France Télévisions ou RFI.

Pour améliorer l'expérience du public, nous avons développé un algorithme de service public qui favorise la découverte plutôt que les bulles d'enfermement, qu'on peut trouver par ailleurs dans d'autres plateformes. Nous sommes ainsi en train de construire le poste de radio du futur, et plus précisément un poste audio qui ne se définit plus par son support, mais par la nature des contenus que l'on écoute, que ce soit sur son téléphone portable, et que l'on peut écouter et réécouter dans la durée. Il s'agit d'un changement majeur : nous donnons la prime au contenu de qualité, et donc à la qualité éditoriale, technique et sonore, qui correspond d'ailleurs à la tradition des équipes de Radio France.

Parallèlement, nous avons réalisé un travail considérable pour retrouver l'autonomie et l'indépendance de notre distribution. Le décret du 20 octobre 2021 portant modification du code de la propriété intellectuelle et relatif à certains fournisseurs de services de partage de contenus en ligne a permis de faciliter nos négociations avec les grands acteurs, comme Amazon, Spotify ou Deezer. Nous avons pu inscrire dans nos accords le respect d'une chronologie des contenus audio, ainsi qu'une règle plus respectueuse de la valeur des contenus et des droits des créateurs. Mais il y a encore un chemin à faire sur lequel le législateur pourrait nous aider pour favoriser la reconnaissance des droits des auteurs.

Le contexte, vous le savez, est rendu beaucoup plus difficile pour les médias nationaux par l'existence de grandes plateformes qui sont très présentes dans le quotidien des Français. Néanmoins, j'ai la conviction que le service public a un rôle à jouer pour aider notre secteur à faire face à cette transformation de notre écosystème. Nous devons lancer des innovations, comme nous l'avons fait ces dernières années, avec notamment notre projet de son immersif sur lequel nous sommes pionniers en France ou de digital audio broadcasting + (DAB+).

Nous portons l'objectif de donner un égal accès pour tous les Français à l'information et la culture et c'est pour nous un enjeu majeur - un enjeu de légitimité de notre existence. Nous constatons que depuis plusieurs années se développe une société du défouloir sur les réseaux sociaux, qui ont envahi certains médias. Nos médias respectifs sont globalement préservés de la défiance croissante des Français à l'égard des médias, ce qui montre bien que l'utilité d'une ligne éditoriale de service public est clairement perçue par les citoyens. Je pense que c'est vraiment ce que nous partageons ici avec nos partenaires publics.

C'est aussi ce qui donne un sens profond aux coopérations majeures que nous avons développées, comme avec Franceinfo en créant Culture Prime, mais également en nous associant à Lumni, et avec France Télévisions et l'INA, nous avons mené de grandes consultations sur nos médias publics auprès des citoyens. Nous avons développé avec ARTE un espace concert, créé pour les jeunes « Et maintenant ? », lancé des coopérations entre France Bleu et France 3, et enfin développé des événements culturels forts en commun. Je pense notamment à l'évènement lié au Liban ou à un concert pour l'Ukraine. Nous avons beaucoup de coopérations culturelles, comme cet opéra de Gilberto Gil produit à Radio France, avec France Télévisions le week-end dernier.

Nous n'aurions jamais pu réaliser ces évènements seuls, chacun de notre côté. De la même manière, nous créons aussi des synergies qui visent à réduire nos charges respectives sur les achats, la cybersécurité ou la technique.

Le succès de ces coopérations s'inscrit dans la durée : assurer la notoriété d'offres nouvelles prend du temps. La prolongation en 2023 du COM nous permettra d'amplifier nos coopérations et de les confirmer. Parallèlement, nous sommes engagés dans une trajectoire d'économies importantes, avec 60 millions d'euros d'économies réalisées entre 2019 et 2022, ce qui représente 10 % de notre budget. Cet effort considérable a nécessité un plan de 340 départs sous forme de ruptures conventionnelles collectives (RCC) et de 57 réorganisations au sein de Radio France. Ces réorganisations demandent beaucoup d'efforts pour l'ensemble des équipes, et j'en profite pour leur rendre hommage, puisqu'elles fournissent un travail intense, réalisé en parallèle du développement du média radio.

Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde. - En écoutant mes collègues, je me disais que si nous arrivions à consolider les chiffres cités et ceux que je m'apprête à vous donner, nous ferions vraiment honneur à notre pays en termes de puissance du service public, surtout si on le rapporte à son coût, qui doit être à la 14e place à l'échelle européenne.

Dans la cacophonie mondiale que nous connaissons - terrorisme, coups d'État en cascade, guerre en Ukraine, réchauffement climatique, etc. -, nos médias internationaux français de service public sont en première ligne. Ils affrontent d'abord une concurrence exacerbée avec des adversaires qui ont des moyens considérables : les plus pauvres d'entre eux disposent d'un budget supérieur au nôtre d'au moins 100 millions d'euros. Évidemment les tensions internationales ont un impact : en particulier la fermeture de RT en Europe, a entraîné la suspension des médias internationaux en Russie, mais aussi au Mali et au Burkina Faso.

Nous avons donc affaire à un contexte sécuritaire très dégradé pour nos journalistes, avec des menaces sur le terrain, mais aussi des cyberattaques d'une rare violence. Également beaucoup de messages à caractère haineux que nos journalistes, dans leurs vingt langues, reçoivent d'un peu partout dans le monde.

Je vais me permettre de vous citer, monsieur le rapporteur : « rarement la nécessité pour la France de disposer d'un opérateur audiovisuel de taille mondiale n'aura paru aussi nécessaire ». Alors en dépit de ce contexte ou peut-être, à cause de ce contexte, nos résultats n'ont jamais été aussi élevés : on compte 3,1 milliards de vidéos et de sons lancés sur le numérique en 2022 à la fin du mois novembre, avec une durée moyenne de consommation de cinq minutes, ce qui n'est pas totalement négligeable. On compte également 4 millions de podcasts consommés par mois et 100 millions d'abonnés sur Facebook, Twitter, YouTube et Instagram. France 24 est ainsi le premier média français sur Facebook et YouTube, avec 2,5 milliards de contenus consommés pour YouTube seul.

Il est intéressant de noter que nos expérimentations remportent un succès immédiat. Ainsi sur Culture Prime ou sur TikTok, nous avons récolté 1,5 million de « J'aime » en une seule tentative, puisque nous avons commencé avec Culture Prime. Dans le cadre du programme ENTR, qui correspond à l'offre de France Médias Monde pour les jeunes Européens et compte 85 % de 18 à 34 ans, la première vidéo lancée a recueilli 600 000 vues. Nous sommes donc très présents sur les réseaux sociaux, même si le broadcast domine toujours. Pour autant, les réseaux sociaux et le broadcast ne sont pas à opposer.

Il est important d'être présent sur le numérique, et sur les réseaux sociaux en particulier : c'est là que se joue la lutte contre les « infox », c'est évidemment là que nous pouvons réussir à contrecarrer les manipulations d'informations. Beaucoup, y compris les jeunes, attendent de nous une information professionnelle, non partisane, vérifiée, indépendante, libre et démocratique. Il s'agit précisément du premier objectif de notre COM et de son avenant : délivrer une information professionnelle pour lutter contre les « infox », ce que nous réalisons en vingt langues, en plus du français.

Le deuxième objectif fixé dans le COM et dans l'avenant est de communiquer. Nous travaillons beaucoup pour réaliser des objectifs ambitieux que je résumerai sous le terme de « proximité ». Le but est de se délocaliser et d'utiliser la langue de nos auditeurs, notamment des langues africaines qui ont un fort succès. Nous avons également lancé une offre 100 % en ukrainien et renforcé notre offre en russe depuis Bucarest. Les premiers résultats annoncent 100 000 visites en un mois, avant même que nous ayons lancé une communication. Nous avons développé à Dakar une offre destinée à la bande sahélienne en langue fulfulde, qui est la langue parlée par les Peuls, et en mandinka, qui connaît un grand succès. Il faut citer également France 24 en espagnol, qui a réussi l'exploit technique à budget constant de passer en espagnol, 24 heures sur 24. La proximité avec la langue de l'autre, sur un pied d'égalité, telle est notre stratégie et elle se poursuivra.

Le troisième objectif s'est porté sur le numérique qui a opéré un véritable bond. Nous visons surtout la jeunesse évidemment, avec le programme ENTR, partagé avec nos amis allemands de la Deutsche Welle, qui marche très bien. Nous venons également de lancer « le français facile » avec RFI, parce qu'il nous semble que le français est une langue d'émancipation, notamment pour les jeunes et que cette offre performante peut être vraiment utile et constituer un outil attractif pour notre pays.

Nous avons donc une stratégie d'hyperdistribution équilibrée qui porte ses fruits. J'ajoute qu'avec nos collègues, nous avons réalisé, dans le cadre de Lumni, un travail essentiel d'éducation aux médias et à l'information. C'est en effet grâce à cette éducation que nous serons protégés des « infox ».

Le quatrième objectif concerne notre gestion. Nous aurons un budget en équilibre en 2022 après avoir connu des résultats excédentaires durant les deux dernières années. Nous suivons scrupuleusement notre trajectoire et les recommandations de la Cour des comptes, notamment aussi en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE) et d'urgence climatique, qui est un grand chantier en interne comme sur nos antennes.

Je crois que nous faisons beaucoup de choses importantes que l'on ne valorise pas assez, et c'est dommage. Il y a ainsi des coopérations qui ne se voient pas. Nous sommes effectivement tout à fait en phase sur les cyberattaques. Mais sur la recherche et le développement, je voudrais saluer ce que nous avons réalisé avec France Télévisions et avec Radio France. Sans France Télévisions et son travail sur l'intelligence artificielle, il serait impossible de sous-titrer toutes les vidéos de France 24 en ukrainien. Nous avons développé avec Radio France la circulation à travers l'offre de podcasts. La capacité du service public à mutualiser ses compétences est essentiel pour le futur ; je pense notamment à l'INA, qui possède beaucoup d'outils de recherche pour préparer l'avenir.

Je conclurai sur les enjeux de financement : pour cette année, le budget s'adapte, pas avec une grande marge, mais il s'adapte en comparaison des années précédentes pendant lesquelles il a fallu faire des économies draconiennes. Néanmoins, l'enjeu concerne le futur. Il est double : la nature du financement et sa trajectoire. À l'international, la nature du financement n'est pas une simple posture. Cette nature a des conséquences immédiates. Nos amis allemands nous ont fait savoir qu'une budgétisation revenait à un « flirt » beaucoup trop étroit avec l'État et que cela n'était pas conforme à la législation allemande. Nous vivons donc avec une épée de Damoclès sur nos têtes : nous pourrions perdre notre fréquence FM à Berlin qui existe depuis 24 ans, si nous étions budgétisés.

Il faut savoir que, sur les réseaux sociaux, Russia Today avait demandé que France 24 soit qualifiée de chaîne gouvernementale, au prétexte que celle-ci était une chaîne publique. YouTube s'est justement opposé à cette vision en montrant qu'il existait un faisceau d'indices d'indépendance. Mais si nous perdons un financement affecté, nous nous retrouverons avec le même statut que Russia Today...

Faut-il faire une charte républicaine ? Je pense qu'il nous faut une charte républicaine de l'indépendance, comme la BBC en a une, pour garantir à l'international notre indépendance, tout comme les modalités de financement et la non-budgétisation. Je demande donc au Parlement de nous donner une position de principe : affirmer la nécessité de garder une recette affectée, quelle que soit sa forme.

Il y a enfin la trajectoire financière. Je sais qu'elle sera contrainte. Puisque les dépenses de France Médias Monde sont incluses dans le calcul de l'aide publique française au développement à hauteur de 20 millions d'euros, eh bien mettons les recettes qui vont en face de ces dépenses en aide publique au développement. Cela allégera la pression sur le reste du secteur et cela nous permettra de continuer à ne pas décrocher face à la concurrence internationale, alors même qu'il s'agit, à travers l'ensemble de nos actions, de favoriser la liberté d'informer. C'est un bien précieux, le fondement de la démocratie, malmené à l'échelle du monde et dont la défense constitue une mission essentielle des services internationaux français.

M. Laurent Vallet, président de l'Institut national de l'audiovisuel. - Durant son dernier COM, dans un mouvement qui avait été initié précédemment, l'INA a poursuivi sa transformation, c'est-à-dire l'affirmation de son statut de média.

L'INA porte en effet l'héritage d'un certain nombre d'activités un peu éparses de l'ex-Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), ce qui ne contribue pas toujours à la clarté de son identité : à la fois un centre d'archivage, un centre de formation, un centre de production et de recherche. Aujourd'hui, l'INA est un média patrimonial de service public distinctif dans l'audiovisuel. Ce média patrimonial est évidemment nourri de toutes les activités de l'INA, non seulement les activités éditoriales qui sont les plus visibles, mais aussi, j'insiste, de nos activités de recherche.

En appliquant nos solutions d'intelligence artificielle, développées par notre équipe de chercheurs sur les immenses ressources du dépôt légal audiovisuel, on peut produire de la data, de l'analyse médiatique. Nous contribuons par exemple depuis quelques années aux études que publie chaque année l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sur les représentations de genre et la représentation des femmes sur les écrans. Notre démarche est de superposer aux données déclaratives des chaînes des mesures de temps de parole, grâce à cette solution d'intelligence artificielle qui reconnaît de manière certaine si c'est un homme ou une femme qui parle.

L'INA est également nourri par nos activités de transmission des savoirs qui se sont aussi transformées ces dernières années, notamment à travers le déploiement de notre classe alpha, au sein de notre pôle de formation initiale INA sup. Il s'agit d'une initiative inclusive qui permet d'accueillir des jeunes sans prérequis de diplômes et de les intégrer dans un cursus professionnalisant. Cette démarche est désormais soutenue par France Télévisions, et bientôt par Radio France. Nous débutons un cycle d'accueil de stagiaires. Le financement n'est, pour l'instant, pas assuré dans la durée : en effet, l'essentiel du financement provient du programme d'investissement régional dans les compétences de la région Île-de-France.

Sur un plan éditorial, l'INA a considérablement transformé sa politique éditoriale, dans une démarche de décryptage de l'information et de l'actualité inscrite dans le temps long, grâce notamment à des archives. Cette ligne a connu un certain succès. Quand je suis arrivé, l'INA engendrait 70 ou 80 millions de vidéos vues, et nous atteindrons 1,3 milliard de vidéos vues cette année. C'est précisément le chiffre que réalisait ARTE en 2019, alors que nous avons commencé cette démarche il y a seulement cinq ou six ans. Ainsi, je veux absolument me battre contre cette idée que l'on rencontre parfois selon laquelle nous serions finalement des « nains » numériques. On oublie que l'INA est aujourd'hui fort de 10 millions d'abonnés, ce qui représente davantage d'abonnés que Brut en France. De plus, l'INA rassemble 50 000 abonnés pour l'offre payante de vidéos à la demande, la plateforme Madelen, soit davantage d'abonnés numériques que n'en ont Le Parisien ou Télérama.

Madelen représente aussi un relais de croissance pour notre chiffre d'affaires. Comme vous le savez, l'INA et le seul organisme audiovisuel public qui doit assurer environ 35 % de ses revenus par le biais de son chiffre d'affaires, en dehors de ce que l'on appelait naguère la redevance. Sur ce point, l'objectif a été atteint : nous avons maintenu, et même un peu augmenté tendanciellement cette part. Ainsi, la dynamique enclenchée devrait permettre d'accroître de 6 millions d'euros notre chiffre d'affaires en 2022 par rapport à 2019, soit une hausse de 23 % du chiffre d'affaires. Ce qui tombe bien, car au vu de la dotation budgétaire qui nous a été allouée par le projet de loi de finances (PLF) 2023, il va nous falloir compter beaucoup sur nos propres forces !

Cette dynamique a par ailleurs été portée par une forte transformation interne dans l'entreprise, qui s'est manifestée par un effort de productivité important. En effet, sur 1 000 équivalents temps plein (ETP), nous en avons supprimé 60 en six ans. Cette baisse est liée à la logique des COM qui ont eu pour objectif de plafonner non pas les effectifs, mais la masse salariale, ce qui revient finalement au même. Nous avons donc opéré une importante réorganisation interne, avec la création il y a un an et demi d'une grande direction centrée sur la data et la technologie. Celle-ci est beaucoup mieux adaptée aujourd'hui à ce qu'est devenu l'INA, après vingt-cinq ans de numérisation d'archives.

L'INA d'ailleurs est, avec 26 millions d'heures de vidéos intégralement numérisées, le premier centre, la première « librairie » de vidéos numérisées et indexées en Europe. À l'échelle du monde, il est difficile d'accéder aux chiffres, mais si l'INA n'occupe pas la première place, il est en tout cas deuxième après la bibliothèque du Congrès à Washington.

Chacun des partenariats noués a représenté pour l'INA un accélérateur de sa propre transformation. En effet, l'aventure Franceinfo a représenté un moteur très puissant pour la transformation de la politique éditoriale de l'INA, grâce son ancrage dans l'actualité, plutôt que dans la nostalgie ou la rétroactualité, comme nous disions à l'époque. De plus, l'INA et France Télévisions ont copiloté la refonte de l'offre éducative du service public ; l'INA s'occupait davantage de la partie dite professionnelle, destinée plus spécifiquement aux professeurs et aux élèves en salle de classe. Cette partie était accessible par le biais d'Éduthèque, qui a été intégré il y a neuf mois à Lumni Enseignement, avec le consentement de toutes les parties concernées.

Le nouveau Lumni Enseignement a vu le jour mi-septembre et donne, je crois, toute satisfaction au ministère de l'Éducation nationale, avec des chiffres de fréquentation par les professeurs et les élèves extrêmement satisfaisants. Il s'agit aussi du fruit d'un travail collaboratif. Comme je l'ai dit tout à l'heure, France Télévisions a apporté son soutien depuis presque deux ans maintenant à notre classe alpha, à travers l'accueil de stagiaires ou d'alternants, et nous démarrons la même démarche avec Radio France.

Enfin, l'avenant va nous obliger à être à nouveau très performants au niveau de notre chiffre d'affaires commercial, mais nous le prenons comme un défi à relever, dans la mesure où celui-ci prolonge une stratégie permettant de renforcer la singularité du média public global par l'apport de l'INA.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Ma question s'adresse en premier lieu à la présidente de France Télévisions et portera sur Salto et votre stratégie numérique. Salto n'a jamais emporté l'adhésion de notre commission. Dès 2018, Jean-Pierre Leleux exprimait son étonnement sur le fait que « le groupe public axe sa stratégie numérique principalement sur une offre payante, développée avec des acteurs privés, en contradiction avec les fondements mêmes du service public de l'audiovisuel ».

On ne peut que regretter le caractère prémonitoire de nos réserves d'alors. L'échec de Salto pose clairement la question de l'avenir de la stratégie numérique de France Télévisions et des moyens qui seront affectés à cette ambition.

Quel bilan faites-vous de Salto ? Combien aura coûté ce projet au groupe public sur la période 2019-2023 ? Partagez-vous aujourd'hui notre conviction que l'audiovisuel public n'a pas vocation à proposer une offre payante et qu'il lui revient de se distinguer des offres privées par des programmes différents sur des supports propres ?

Vous aviez par ailleurs évoqué dans votre projet, lors de renouvellement de votre mandat en 2020, l'idée de créer une plateforme commune à l'audiovisuel public France Médias Plus. Considérez-vous qu'un tel projet est toujours possible aujourd'hui et comment le mettre en oeuvre ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Nous n'étions pas d'accord, nous ne le sommes toujours pas : Salto ne constitue pas la stratégie numérique de France Télévisions. Cette stratégie s'articule en effet autour de deux plateformes : France.tv, pour les contenus, qui compte 25 millions de visiteurs uniques, et Franceinfo, pour l'information, qui compte 22 millions de visiteurs. Franceinfo est ainsi la première offre d'information française ; des groupes étrangers souhaitent d'ailleurs s'en inspirer.

Salto correspond à autre chose, c'est-à-dire une stratégie de diversification passant par un partenariat avec TF1 et M6, qui n'est d'ailleurs pas financée par la contribution audiovisuelle publique.

Avons-nous eu tort de créer Salto ? Il faut savoir que Salto était au coeur du projet de fusion de TF1 et M6. Cette fusion ne s'étant pas réalisée, les chaînes restent en situation de concurrence et la solidité de cet actionnariat à trois est mise à l'épreuve. Le nouveau patron de TF1, Rodolphe Belmer a ainsi indiqué son intention de se retirer du projet. Il faut signaler que plusieurs acheteurs se sont présentés et que Salto a réuni 800 000 abonnés payants. La mise en ligne de nos programmes a donc de la valeur. Cet enseignement est à retenir : pour avoir accès à des programmes français de qualité, les abonnés sont prêts à payer et ils sont nombreux.

En conclusion, le destin de Salto reste encore à écrire, mais il est certain que Salto ne fait pas partie de la stratégie numérique de France Télévisions.

S'agissant de France Médias Plus, il faut rappeler que nous avons déjà mis en place de nombreuses synergies avec nos partenaires, qui plus est dans un contexte incertain et de plus en plus contraint. Nous sommes donc prêts à aller plus loin, mais dans le respect et la concorde qui règnent aujourd'hui.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Ma deuxième question s'adresse à Mme la présidente de Radio France. Radio France a réussi en peu de temps à développer une véritable stratégie numérique remarquable, je ne vous interrogerai donc pas sur ce sujet. Une autre de nos préoccupations constantes concerne la coopération et les mutualisations entre les différentes entreprises de l'audiovisuel public. Les COM sur la période 2020-2022 avaient insisté sur la nécessité de les développer sur une base volontaire. Aujourd'hui tout le monde reconnaît qu'il est difficile de poursuivre les projets communs sans faire évoluer la gouvernance.

Notre commission a fait plusieurs propositions à ce sujet, le rapport de Jean-Pierre Leleux et André Gattolin en 2015 a été le premier à proposer la création d'une holding de l'audiovisuel public. Il a même inspiré le projet de loi de Franck Riester de 2020. Plus récemment, j'ai proposé avec mon collègue Roger Karoutchi d'examiner les avantages que pourrait avoir une fusion pure et simple entre les quatre sociétés de l'audiovisuel public national. Est-ce que vous partagez aujourd'hui le constat que les coopérations menées sur une base volontaire ont atteint leur limite ? Et quels seraient selon vous les avantages et les inconvénients de la création soit d'une holding, soit d'une entreprise unique fusionnée ?

Mme Sibyle Veil. - Je vous remercie de saluer la stratégie numérique de Radio France. Cette question me donne l'occasion de dresser le bilan des coopérations que nous avons réalisées. Celles-ci ont été en effet des facteurs de transformation des différentes maisons et ont permis de créer de nouvelles offres, utiles aux Français, que nous n'aurions pas pu créer seuls. Nous et nos partenaires partageons des valeurs de service public qui permettent d'avancer ensemble et d'aborder le prochain COM de manière constructive, avec le souci de l'intérêt général.

En ce qui concerne le mode de gouvernance et de sa possible évolution, ma conviction est qu'il faut aller vers une structure agile, de manière à faciliter le partage des stratégies et le travail des équipes engagées dans la coopération. Ainsi, nous mettrons en oeuvre les évolutions décidées par le pouvoir exécutif et législatif de la manière la plus responsable possible.

En 2019, nous avons tous soutenu le projet porté Franck Riester de création d'une holding, car il avait deux caractéristiques : il préservait la complémentarité et la spécificité de chacun de nos médias, et donnait également un cadre pour les coopérations. Ma conviction est bien celle-ci : il faut s'appuyer sur les spécificités de chaque maison, quelle que soit l'évolution de la gouvernance.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Ma troisième question sera adressée à la présidente de France Médias Monde. Les concurrents de France Médias Monde sur la scène internationale disposent de moyens bien plus conséquents. Pour rappel, 396 millions d'euros pour Deutsche Welle, 360 millions d'euros pour BBC World Service, qu'il faut comparer aux 255 millions d'euros pour France Médias Monde en 2021. L'augmentation du budget de France Médias Monde pour l'année 2023 ne permet pas d'atteindre le niveau de ses concurrents, d'autant plus que la grande partie de cette augmentation constitue une croissance purement faciale, avec la compensation d'effets fiscaux liés à la suppression de la redevance, comme l'a rappelé le président de la commission tout à l'heure.

Faute de moyens suffisants, France Médias Monde a développé le recours à des financements complémentaires avec l'Agence française de développement (AFD), avec l'Union européenne et dernièrement avec des fonds du ministère des affaires étrangères pour le lancement de la rédaction de RFI en ukrainien. Est-ce que ces financements externes ont vocation à être pérennisés ? Quels sont les risques inhérents à l'absence de prévisibilité de ces financements dans le temps ? Quel serait le juste montant de ces financements annexes nécessaires pour la période 2024-2028 compte tenu des projets envisagés par France Médias Monde, dans le contexte de crise internationale que nous connaissons ?

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je vous remercie d'avoir rappelé les chiffres. L'audiovisuel public a un budget de 5 milliards de livres au Royaume-Uni et de 7 milliards d'euros en Allemagne, nous en sommes loin... Pour l'audiovisuel extérieur, leurs moyens sont effectivement supérieurs de 130 à 100 millions d'euros au nôtre, ce qui s'explique en partie par les redevances plus importantes.

S'agissant de l'audiovisuel extérieur, nos développements récents ont été développés sur projet, avec ce que l'on pourrait appeler des CDD. Cela se passe très bien, notamment avec l'AFD, mais notre temps d'action et la durée dans laquelle nous devons nous inscrire ne sont pas ceux de l'AFD. Nous devons agir vite, dans une situation urgente en nous inscrivant dans le temps, alors que l'AFD agit au contraire lentement, avec des délais d'instruction importants. Pour exemple, à la fin de l'année 2023, notre projet à Dakar s'achèvera. Il représente 3,3 millions d'euros par an sur trois ans et demi. Or ce n'est absolument pas le moment d'arrêter cette diffusion en peul et en mandakin, il faudrait même monter en puissance.

À titre de comparaison, BBC World reçoit chaque année directement 85 millions de livres sterling d'aides publiques au développement (APD), et ce sans passer par l'opérateur qui serait l'équivalent de l'AFD. Je n'en demande pas autant. Mais la France compte parmi ses dépenses d'APD 20 millions d'euros de nos dépenses, qui ne sont pas financés par des crédits de l'APD. Ces sommes pourraient nous revenir directement dans notre budget, à travers les prochains COM, à hauteur de 4 millions d'euros par an sur 5 ans, afin de pouvoir consolider nos projets. Je pense à noter projet à Bucarest, au développement de projets dans le monde arabe et à ceux projets destinés à la jeunesse. Nous pourrions donc être financés directement via le programme 209 « Solidarité avec les pays en développement » : à l'échelle des 15 milliards d'euros d'APD, notre financement ne se percevrait même pas au sein de ce budget.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur Vallet, le COM 2020-2022 de l'INA prévoyait de faire de la mutualisation de la formation initiale et continue des sociétés de l'audiovisuel public un chantier prioritaire des coopérations. Toutefois, cet objectif figurait dans le socle commun des différents COM davantage sous l'angle d'une réflexion à conduire que d'un véritable objectif opérationnel à atteindre. Si cette question ne semble pas avoir beaucoup progressé dans un premier temps, des avancées ont eu lieu ces derniers mois et un projet de filiale commune a même été envisagé, comme vous nous l'avez indiqué en octobre dernier.

Pouvez-vous nous dresser un état des lieux des réflexions menées avec vos collègues des autres entreprises de l'audiovisuel public sur les coopérations en matière de formation, et nous indiquer où en est précisément le projet de filiale commune ? Pouvons-nous espérer une avancée significative en 2023 sur ce sujet de la mutualisation de la formation ?

M. Laurent Vallet. - Il existe deux types d'activités de formation à l'INA : la formation professionnelle et la formation initiale, avec une quinzaine de cursus - brevet de technicien supérieur (BTS), master, et puis notre fameuse classe alpha.

Sur les fondements du COM 2020-2022, nous avons présenté à nos tutelles un projet de filiale dans une forme aboutie, mais le calendrier lié aux échéances électorales ne leur a pas permis d'arbitrer. L'idée est aujourd'hui de relancer cet arbitrage. Plus on sentira l'enthousiasme de nos partenaires, plus il sera simple pour nos tutelles communes d'arbitrer.

La formation initiale est l'une des spécificités de l'audiovisuel public français. Chaque année, nous formons 300 à 400 jeunes aux métiers de l'audiovisuel et du numérique. Parmi les jeunes qui seront les influenceurs et les leaders d'opinion des réseaux sociaux de demain, certains auront été formés dans le cadre et avec le souci des valeurs du service public audiovisuel ; on peut donc espérer qu'ils seront un peu moins complotistes et un peu moins dans une logique de post-vérité que les autres. Nous sommes très heureux, notamment au travers de la classe alpha, de pouvoir ouvrir et partager cette question de la formation initiale avec nos partenaires.

À l'INA, on a commencé à faire de la formation professionnelle pour des raisons historiques, parce que nous avons hérité du centre de formation de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). Et puis, il y a presque 20 ans, on a lancé la formation initiale avec peu de synergies et d'ingénierie pédagogique ; en ce sens, on a fait exactement le contraire de ce que font tous les centres de formation qui développent la formation professionnelle à partir du socle de la formation initiale.

L'objectif de la filiale qui rassemblerait formations initiale et professionnelle est précisément de faire naître des synergies entre ces deux pôles. Concernant la formation professionnelle, il ne s'agit évidemment pas de définir ailleurs que dans les entreprises qui rejoindraient cette filiale les besoins et les plans de formation pour leurs propres salariés ; il s'agirait d'un outil de prestations. L'enjeu est simple : une partie majoritaire des budgets de formation de nos partenaires est aujourd'hui confiée à des prestataires privés ; l'idée est que cet argent demeure au sein de l'audiovisuel public.

Les discussions vont continuer. J'ai bon espoir, compte tenu de nos échanges récents, y compris avec nos amis de Radio France et de France Médias Monde, que cette filiale puisse voir le jour et commencer à se construire dès 2023.

M. Laurent Lafon, président. - Je souhaite vous interroger sur le rapprochement entre France 3 et France Bleu. Des coopérations existent depuis plusieurs années maintenant ; je pense au regroupement des matinales et au site d'information commun. Ces coopérations se sont révélées intéressantes, même si elles se sont heurtées à quelques difficultés, du fait de l'identité forte des deux maisons. L'idée de rapprocher davantage encore ces deux entités existe, avec la volonté de créer un média public de proximité. Pensez-vous que ce média puisse être un élément important du futur COM 2024-2028 ? Quelle pourrait être la forme de ce regroupement ? Et pour y parvenir, faut-il envisager une modification législative ou pensez-vous pouvoir le réaliser à partir du changement de statut des entreprises ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Aujourd'hui, le mot synergie signifie : baisse des effectifs et baisse du budget. Vous n'obtiendrez pas l'adhésion des gens sur le terrain, en leur demandant de faire encore des efforts pour modifier leurs pratiques professionnelles, si vous leur dites que l'on va encore baisser les effectifs... On a énormément baissé les effectifs à France 3, la limite a été atteinte. Il suffit de voir le coût de l'audiovisuel public par tête d'habitant et notre performance par rapport à ce coût, en comparaison des autres services publics européens.

Pour répondre à votre question, il faudra sans doute un texte législatif, car cela va modifier nos cahiers des charges. En tout cas, il faudra un cadre clair pour les personnels.

Mme Sibyle Veil. - Entre France Bleu et France 3, on a commencé, ces dernières années, à engager des partenariats importants et structurants. On peut ainsi mettre en avant la coopération éditoriale sur les matinales communes ; équiper les 44 stations locales pour faire une émission retransmise à la télévision demande un effort d'investissement et de formation considérable, dans un contexte de réduction des moyens à la fois du côté de France Télévisions et de Radio France.

La coopération numérique a également beaucoup de sens. Je rejoins les propos de Delphine Ernotte : les différentes équipes doivent avoir un projet éditorial commun. Sur le numérique, on observe beaucoup de complémentarité dans la production de chacun des réseaux. Cette complémentarité est une occasion d'échanger, de se coordonner et de mieux couvrir encore l'actualité locale ; comme on peut le voir à travers les audiences numériques, les Français sont demandeurs d'actualité locale, ainsi que d'une information de services et de solutions. Cette semaine par exemple, on a lancé une infographie sur le numérique - la carte France Bleu - qui, pour chaque département, donne l'augmentation du prix de 37 produits. Ce sont des informations utiles, concrètes et expliquées.

Les deux modèles, d'un point de vue éditorial, restent très différents : France Bleu est un média local généraliste de proximité - le seul de cette nature-là aujourd'hui, avec 44 stations locales ; et France 3, de son côté, incarne l'information régionalisée. Si la question est de faire en sorte que les personnels aient le même statut, cela passerait par une modification législative.

M. David Assouline. - Nous devons adresser, à travers vous, un message très clair à ceux qui font le succès du service public. Souvent, on cite ces femmes et ces hommes pour évoquer des dégraissages ou des plans sociaux ; avec beaucoup moins de moyens, ils ont obtenu des résultats impressionnants. J'y vois beaucoup d'abnégation et d'amour de leur métier. Dans un moment où nous avons besoin d'une information et de programmes culturels de qualité, je veux les remercier. Le service public n'est pas la « honte de la République » comme cela a pu être dit lors du précédent quinquennat ; il est l'une de ses fiertés.

Préserver le service public est aussi l'enjeu d'une bagarre politique. J'ai été rapporteur d'une commission d'enquête sur la concentration dans les médias. Certains ont comparé Radio France à CNews en termes de pluralisme, j'ai dénoncé ces prises de position : le service public n'est pas un média d'opinion. Je soutiens la manière dont vous veillez au respect du pluralisme sur vos antennes.

On peut aussi se féliciter que trois grandes sociétés de l'audiovisuel public soient dirigées par des femmes. Plusieurs centaines de millions d'euros ont, en cumulé, été retirés du circuit. Vous avez opéré la révolution numérique, assumé une mutation, et tout cela s'est réalisé à partir de fonds propres. Pensez-vous pouvoir maintenir votre niveau actuel de performance et de qualité sans redynamiser vos recettes ? Par exemple, concernant l'audiovisuel public, allez-vous conserver les droits sur les sports que vous diffusez - je pense notamment au tournoi de Roland-Garros ?

M. Jérémy Bacchi. - L'information s'avère une bataille culturelle dans un contexte international particulier. À ce titre, je salue le développement numérique de France Télévisions et de France Info.

Madame Saragosse, vous avez indiqué la nécessité de ne pas apparaître comme une chaîne gouvernementale, avec les conséquences que cela pourrait entraîner, notamment en Allemagne. Pouvez-vous évaluer les répercussions si cela devait être le cas, en Allemagne ou ailleurs ? Le principe d'une charte républicaine me semble être une bonne idée.

Une autre bataille culturelle concerne la production, et notamment celle de documentaires. Certes, nous produisons des documentaires de bonne facture, mais leur qualité me semble en deçà de ce que certains de nos voisins, notamment anglo-saxons, sont en mesure de produire. Or, l'analyse de l'histoire et des événements participe de la bataille culturelle d'un pays. Au-delà des moyens financiers, faudrait-il travailler différemment ? Par ailleurs, comment envisagez-vous le sujet de l'export ? Vous ne souhaitez pas que l'on compare avec les modèles anglais ou allemand, mais, dans ces pays, la part commerciale liée à l'exportation est élevée.

Mme Monique de Marco. - Après la suppression de la redevance qui n'a pas été anticipée, nous sommes actuellement dans une période transitoire. Cette période correspond également au prolongement du COM d'un an. Vous avez décrit vos différentes synergies ; la prochaine étape sera-t-elle une fusion ?

Mme Ernotte a évoqué trois scénarios : rétrécissement, statu quo et élargissement. Quel scénario privilégiez-vous ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le troisième scénario ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Afin de lutter contre la désinformation et les ingérences de puissances étrangères, une réflexion s'est engagée en Europe sur un nouveau texte - l'European Media Freedom Act - qui vise à préserver le pluralisme et l'indépendance des médias dans le marché unique de l'Union européenne (UE), mais également à compléter les mesures existantes relatives au marché de l'audiovisuel. Comment appréciez-vous ce texte au regard des travaux engagés dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) ? Madame Ernotte, en tant que présidente de l'Union européenne de Radio-Télévision (UER), vous avez été à l'initiative d'un colloque qui a rassemblé l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public français et des autres pays européens. Dans le cadre de ce colloque, vous avez sans doute réfléchi aux moyens et aux modalités pour exécuter ces missions. Pouvez-vous nous faire une synthèse des travaux menés ?

Une autre question concerne Radio France. Quels seront les moyens pour conduire le chantier du passage en « DAB+ » ?

Une autre question porte sur les orchestres. Ces derniers rencontrent aujourd'hui des difficultés importantes, liées à la crise énergétique et ses conséquences, au retour des publics et aux problématiques de diffusion. Pouvez-vous nous éclairer sur le sujet ? Je relie également ce sujet des orchestres au projet Culturebox, que nous avons appelé de nos voeux. Tout cela nécessite des moyens en amont sur le terrain. Rencontrez-vous des difficultés pour assumer ces missions ?

Enfin, je déplore les conditions, très peu sécurisantes pour l'avenir, dans lesquelles s'est produite la suppression de la redevance. J'espère, dans le contexte actuel, que vos ressources seront suffisamment pérennes et dynamiques pour assurer le portage de vos missions.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Ma question s'adresse à madame la présidente de France Télévisions. Je suis élue des Alpes-Maritimes et ancienne journaliste, et je souhaite vous interroger sur un sujet local qui préoccupe vos salariés et les élus de mon département : il s'agit du projet de déménagement des locaux de France 3 Côte d'Azur d'Antibes à Nice, qui cristallise un certain nombre de tensions. Le projet est contesté pour trois raisons majeures : le motif de sécurité, l'utilisation d'argent public et l'équité territoriale de service public. En 2015, à la suite des intempéries exceptionnelles, la cave de la station de France 3 Côte d'Azur a été inondée ; des travaux de sécurisation du site ont été réalisés, écartant définitivement tout risque d'inondation des sous-sols - le bâtiment a même été désigné, par la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), comme site refuge en cas de nouvelle inondation.

Madame la présidente, vous avez également évoqué la nécessité pour France Télévisions de réaliser des économies budgétaires à hauteur de 40 à 50 millions d'euros ; or, ce projet de déménagement va coûter près de 20 millions d'euros. On peut donc se demander, dans cette période d'économies, pourquoi sont engagées de telles dépenses alors que France Télévisions est propriétaire du site d'Antibes. Les salariés réclament des moyens pour les programmes, et non pour de nouveaux locaux.

Enfin, l'emplacement actuel permet aux journalistes de garantir une équité territoriale entre le Var et les Alpes-Maritimes. En conclusion, madame la présidente, je souhaite connaître votre position sur le sujet, dans l'espoir que celle-ci ait évolué depuis vos dernières annonces.

Mme Laure Darcos. - Madame Saragosse, vous avez évoqué des difficultés en Afrique, pouvez-vous développer ce sujet ? En effet, les pays anglophones prennent l'ascendant partout sur le continent, y compris dans les pays traditionnellement francophones, et l'on ne peut être qu'inquiet de cette situation.

Comme le président de notre commission, je souhaite vous interroger sur le rapprochement entre France Bleu et France 3. Par ailleurs, le milieu de la musique et des orchestres connaît de sérieuses difficultés. Il est important d'avoir encore, dans le cadre d'émissions du service public, des orchestres payants. L'une des missions de l'audiovisuel public est de continuer à faire vivre tous ces orchestres privés.

M. Michel Laugier. - Dans un an et demi, nous allons accueillir les jeux Olympiques (JO). Prévoyez-vous des budgets spécifiques pour faire vivre cet événement ? Appréhendez-vous les JO comme une chance ou une contrainte financière pour l'audiovisuel public ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Nous sommes toujours heureux de payer, même cher, pour les droits sportifs. Le sport répond à l'une de nos missions essentielles : rassembler et créer du commun. La couverture des JOP de Paris coûtera plus cher que d'habitude, mais nous sommes heureux et fiers de soutenir les valeurs de l'olympisme.

Ces dernières années, les montants des droits sportifs ont explosé, alors que nos moyens ont sensiblement baissé. Mais jusqu'à aujourd'hui, nous avons plutôt réussi à renégocier ces droits à la baisse, à l'exception des JOP de Paris. Désormais, le problème n'est plus la concurrence avec les acteurs de l'audiovisuel privé - qui ont, peu ou prou, les mêmes fourchettes d'investissements -, mais celle avec les plateformes américaines, et notamment Amazon pour le tournoi de Roland-Garros par exemple. Honnêtement, leurs moyens n'ont rien à voir avec les nôtres. Si demain Amazon décide d'acheter des droits sportifs traditionnellement acquis par le service public, je ne vois pas comment nous pourrions résister. Nous avons attiré l'attention sur le décret relatif aux événements d'importance majeure, car il s'agit de la seule manière de protéger l'accès gratuit aux sports.

M. David Assouline. - Dans le nouvel appel d'offres pour le tournoi de Roland-Garros, êtes-vous dans une position favorable ?

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Je l'ignore. Nous allons, comme la dernière fois, « remettre un pli » ; il s'agissait alors d'une enchère à un tour - et non d'une négociation de gré à gré - et nous avions « remis un pli » sur l'un des trois lots. Nous sommes favorables à des discussions, mais la décision appartient à la Fédération française de tennis (FFT).

Mme Morin-Desailly nous a interrogés sur l'European Media Freedom Act. Au sein de l'UER, nous sommes très favorables à ce nouveau texte, sachant que les Allemands sont plus réticents ; en effet, ils craignent que l'Europe ne prenne trop de poids dans ce qui, selon eux, doit être encore régulé nationalement.

L'European Media Freedom Act réaffirme les conditions de l'indépendance du service public, à travers la gouvernance, le financement et, surtout, la prévisibilité de ce financement. Tout cela est écrit, noir sur blanc, dans ce texte. En France, nous n'avons pas encore cette prévisibilité du financement, mais on cherche à s'en rapprocher.

On souhaite également profiter du Media Freedom Act pour réaffirmer, après avoir déjà essayé de le faire dans le cadre du Digital Markets Act (DMA), l'importance de rendre visibles les contenus d'intérêt général sur les télévisions et les enceintes connectées.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Dans le cadre de la PFUE, s'est tenu un débat sur les modèles économiques et la façon d'assurer l'adéquation des missions et des moyens ; c'est sur ce sujet que je souhaiterais vous entendre.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - On ne trouve rien de tel dans l'European Media Freedom Act.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce texte, qui garantit la liberté de la presse, le pluralisme et l'indépendance des médias, s'est forcément nourri d'une réflexion sur la question des moyens, des modèles économiques et de financement.

Mme Delphine Ernotte Cunci. - Je peux rappeler certains principes, notamment une gouvernance bien instaurée, prévoyant que la nomination du patron de l'audiovisuel public relève non pas du Gouvernement mais d'une instance séparée, et une prévisibilité des ressources à la hauteur des missions confiées et sur une période de temps suffisante pour pouvoir anticiper les actions de l'entreprise.

Il existe plusieurs modèles de financement en Europe : redevance, recettes affectées, voire budgétisation avec des engagements pluriannuels importants. Très souvent, comme en Espagne, la budgétisation est un prélude à la coupe pure et simple des budgets de l'audiovisuel public.

Vous m'avez également interrogée sur mon troisième scénario, celui de l'élargissement. Le contexte actuel est marqué par de fortes inquiétudes concernant la maîtrise de notre espace médiatique. Twitter, par exemple, ne sera bientôt peut-être plus régulé ; heureusement, la régulation européenne nous protège, mais la philosophie libertarienne représente quelque chose d'un peu angoissant pour nous, Européens. Autre point : toutes les données de certains réseaux sociaux qui accaparent beaucoup l'attention de nos enfants partent en Chine ; il s'agit de ne pas être naïf par rapport à cela. Enfin, on peut également considérer que certains médias dérivent aujourd'hui vers des médias d'opinion ; le débat sera tranché par la régulation. La question se pose donc en ces termes : souhaite-t-on encore aujourd'hui disposer d'un espace réellement préservé, indépendant, où le débat peut avoir lieu sans tourner au pugilat ou à la violence verbale ? Ce choix est politique.

Le deuxième axe de réflexion est davantage culturel. Souhaite-t-on encore protéger la création française et européenne ? Disons les choses franchement : s'il n'y a plus de service public, il n'y aura plus d'orchestres à Radio France, plus de Culturebox, plus de pièces de théâtre ni de fictions françaises à la télévision. Il s'agit d'un choix politique et de société.

Un rapport de l'UER a démontré que le niveau du service public audiovisuel et le niveau de démocratie étaient strictement corrélés ; cela dit bien le type de société que l'on souhaite pour demain, même si, à la fin, tout le monde tombe sur le service public. Je le dis toujours à mes équipes en période électorale : si tout le monde vous engueule, c'est que tout va bien ! Je vous rassure, lors de la dernière campagne, tout le monde nous a engueulés...

Vous m'avez interrogée sur le sujet des exportations. Sur les 5 milliards de livres de la BBC, 1 milliard provient des exportations. L'explication est simple : la BBC possède tout ce qu'elle fabrique ; en France, la loi de 1986 nous l'interdit. Si l'on produisait un documentaire animalier à 3 millions d'euros l'épisode, on ne pourrait pas le vendre, car il ne nous appartiendrait pas.

Concernant le site d'Antibes, j'ai bien conscience qu'il s'agit d'un vrai problème. Il y a eu deux inondations, je me suis déplacée à chaque fois. Il n'est pas raisonnable de rester dans une zone inondable. En tant que responsable de la santé et de la sécurité des salariés, je ne suis pas rassurée et je préfère que l'on relocalise la station. On ne restera pas dans ce lieu à Antibes, c'est une certitude. Il s'agit de trouver une solution intelligente pour les personnels. J'ai bien conscience du souci politique et ne suis fermée à aucune solution.

Mme Marie-Christine Saragosse. - Je tiens, à mon tour, à saluer les équipes. Concernant le besoin de recettes supplémentaires, j'ai précisé dans mon propos liminaire qu'il fallait une recette affectée, dynamique et pérenne. Nous sommes tous un peu inquiets pour l'après-2024. Si vous pouviez ainsi donner une décision de principe, cela nous permettrait de ne pas perdre la fréquence FM à Berlin.

Notre indépendance n'est pas seulement liée au financement, mais il s'agit d'une question symbolique au niveau international. La déontologie des équipes journalistiques françaises et, plus globalement, l'idée de l'information telle qu'elle s'enseigne dans les écoles de journalisme de notre pays sont des biens précieux et rares. Le service public a une charte de déontologie, avec un souci de l'indépendance chevillé au corps de chaque journaliste. En outre, la loi, la recette affectée, sous la forme d'une redevance, et les modes de nominations, comme cela est précisé dans le Media Freedom Act, nous protègent et renforcent notre crédibilité.

Pour répondre à Laure Darcos, il n'y a pas de problème avec la francophonie. Dans l'Afrique anglophone, nous sommes de plus en plus distribués, regardés et aimés - France 24, notamment, marche très bien en langue anglaise. Et concernant l'Afrique francophone, la nouveauté est de pouvoir parler les langues africaines. Le français n'est pas partout la langue maternelle et les enfants ne sont pas toujours scolarisés, mais, en s'adressant aux gens dans leur langue, au-delà du signe de respect, on crée également des passerelles vers le français : je pense à RFI en français facile, ou au podcast le Talisman brisé qui permet, depuis la langue africaine, d'aller vers le français, dans le respect et la richesse du plurilinguisme.

Nos audiences en Afrique francophone sont deux fois supérieures à celles de la BBC en Afrique anglophone. Sans être arrogant, on peut être fier de notre travail.

Mme Sibyle Veil. - Pour répondre à M. Assouline, nous sommes sortis d'une période d'économies, avec une baisse importante de notre ressource, qui a produit des effets durables. Nous avons tous dû faire plus avec moins ; nous avons développé des projets de coopération à partir des heures supplémentaires, en faisant des économies. Cela a nécessité des réorganisations, des plans de départ, car, à Radio France, il ne s'agit que de productions internes. Il a donc fallu se séparer de certains salariés. Pour 2023, l'évolution de notre budget est positive ; les questions de la dynamique et de la prévisibilité sont les plus importantes pour nous.

Vous m'avez interrogée sur le COM 2024-2028. Il est compliqué pour nous de nous projeter sans avoir une trajectoire financière. Ce n'est pas la même chose de demander à nos équipes de coopérer pour faire des économies et supprimer des emplois, ou pour développer une offre supplémentaire, investir et faire de la recherche. Sachant que 70 % des économies effectuées ces dernières années concernent les frais de structure, nous sommes aujourd'hui le service public audiovisuel le plus productif en Europe. Les fonctions supports et administratives ont été les plus touchées par la réorganisation, de manière à préserver notre offre. Nous avons supprimé les locales de FIP, réduit les effectifs du choeur et des orchestres, mais nous sommes parvenus à préserver l'intégrité des 7 chaînes, des 44 antennes locales et des formations musicales.

Nous vivons un moment de dérèglement de l'information. Les fausses informations circulent de plus en plus fortement sur les réseaux sociaux ; la santé, notamment, est un secteur très touché par les fausses informations. Il y a donc un besoin de médias crédibles, dans lesquels les Français ont confiance pour savoir s'ils doivent se faire vacciner, pour s'informer sur les traitements à adopter ou sur la situation énergétique. Il convient d'être présent non seulement sur nos antennes, mais également de plus en plus partout sur le numérique, là où circulent les fausses informations. Cela signifie : éditer nos informations et devenir nous-mêmes des médias sociaux ; et cela implique des métiers et des investissements nouveaux. Une marque comme France Info, par exemple, inspire aujourd'hui confiance ; elle est devenue un actif stratégique pour notre pays.

Sur la question de la musique, nous jouons plusieurs rôles. Nous portons la diversité culturelle, notamment celle des artistes français. La question que l'on doit se poser est la suivante : voulons-nous que nos enfants, en grandissant, continuent d'écouter des artistes français ? C'est le rôle du service public. On peut voir comment, sur les différentes plateformes de streaming, la répartition de la rémunération ne permet pas à certains artistes de vivre, car le système favorise la concentration des écoutes et des flux de revenus sur un nombre limité d'artistes. De notre côté, nous essayons, sur nos différentes chaînes, de pousser la diversité, d'accompagner les artistes dans la durée.

Ce raisonnement vaut aussi pour le patrimoine. Nos orchestres jouent des éléments du patrimoine musical français et européen. L'orchestre philharmonique, quant à lui, soutient beaucoup de créations dans le domaine de la musique symphonique. On s'aperçoit que l'on touche beaucoup le public familial, avec un fort désir des parents de transmettre ce patrimoine. Nos orchestres tournent partout en France et l'on essaie, avec nos antennes, de donner à voir l'actualité musicale sur le territoire ; France Musique, notamment, capte beaucoup d'évènements, là où se déroulent les festivals, là où se produisent les formations régionales.

Sur la problématique de la captation et l'enregistrement, sans doute peut-on aller plus loin encore. On a beaucoup innové ces dernières années, avec de nombreux concerts « événements » ; je pense notamment au concert du 14 juillet sous la Tour Eiffel qui, cette année, a été diffusé dans 50 pays ; il s'agit du deuxième concert de musique classique le plus diffusé au monde après celui du nouvel an de Vienne. Nous sommes capables de créer un tel événement grâce à notre orchestre et à la force de notre production audiovisuelle, et cela renvoie une image positive de notre pays.

S'agissant du DAB+, j'ai en tête ce qu'a réalisé le gouvernement anglais en 2021 : une étude avec l'ensemble des acteurs de la radio en Grande-Bretagne pour envisager les futurs modes de diffusion de la radio. Il s'avère que la radio continuera très certainement à être écoutée en direct, car la radio accompagne les auditeurs dans leurs déplacements. Dans ce cadre, le DAB+ est une modalité et nous devons rattraper notre retard sur ce sujet par rapport aux autres pays européens. Ainsi, les constructeurs automobiles envisagent de vendre des modèles de radios hybrides, combinant FM, DAB et IP. La France doit donc progresser et anticiper l'évolution du coût du DAB dans la durée à travers une vraie stratégie nationale, car je rappelle que le DAB est moins coûteux que la bande FM, plus sobre sur le plan énergétique, et qu'il offre une meilleure qualité de son.

M. Laurent Vallet. - La question du documentaire a été soulevée. Le service public est le financeur majeur du documentaire en France ; celui-ci est d'ailleurs le genre le plus représenté sur la plateforme Madelen, avec plus de 2 000 documentaires, ce qui en fait la première plateforme de documentaires en France. J'ai noté votre opposition formelle de principe à ce que le service public propose des offres payantes, mais il se trouve que l'INA est un établissement public industriel et commercial (Épic). Je serais tout à fait prêt à rendre la plateforme Madelen gratuite si l'INA était intégralement financé dans le futur par des ressources pérennes et garanties.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 45.