Jeudi 1er décembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à lutter contre la précarité des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation. Ce texte sera examiné en séance publique le 8 décembre.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure - Cette proposition de loi, dont l'initiative revient à notre ancienne collègue députée de l'Ardèche, Michèle Victory, a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en première lecture, le 20 janvier dernier. Elle concerne deux catégories de personnels indispensables à la réalisation d'un objectif que nous partageons tous, l'école inclusive : d'une part, les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), d'autre part, les assistants d'éducation (AED).

Il y a un an, avec Annick Billon et Max Brisson, dans le cadre de la mission d'information qui nous avait été confiée sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat, nous avions lancé une première alerte sur les conditions d'emploi et de travail des accompagnants des élèves en situation de handicap.

Aussi, lorsqu'il m'a été proposé de rapporter cette proposition de loi, j'y ai vu une continuité avec notre travail de contrôle, mais aussi et surtout une opportunité pour faire bouger les lignes.

Afin de disposer d'un état des lieux à jour et le plus exhaustif possible, j'ai tenu à ré-échanger avec l'ensemble des acteurs que nous avions entendus l'année dernière : collectifs d'AESH, syndicats des personnels de l'éducation nationale, syndicat des personnels de direction, fédérations et associations de parents d'élèves, représentant des directeurs de maison départementale des personnes handicapées (MDPH), responsables de pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial), direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Je remercie d'ailleurs vivement les collègues qui m'ont accompagnée dans ce travail d'audition. Je précise que nous ne disposons pas de tous les éléments chiffrés demandés à la DGESCO mais j'espère que nous aurons toutes les informations avant l'examen en séance.

À l'issue de ce travail, je tire encore plus fort la sonnette d'alarme sur la situation des 132 000 AESH, dont 93 % sont des femmes : la précarité dans laquelle sont maintenus ces professionnels, chevilles ouvrières de l'école inclusive, n'est pas acceptable.

Les causes et les manifestations de cette précarité sont nombreuses, données statistiques à l'appui.

D'abord, leurs conditions de recrutement : plus de 80 % des AESH sont recrutés en CDD contre moins de 20 % en CDI, soit un ratio pratiquement inverse de celui observé dans les différentes catégories de salariés. C'est la loi de 2019 qui a rendu possible le passage en CDI après six ans.

Ensuite, leurs conditions d'emploi : seulement 2 % des AESH disposent d'un emploi à temps complet, la quotité de travail moyenne n'étant que de 62 %. Ce temps incomplet subi contraint les AESH à cumuler d'autres « petits » contrats pour prétendre à un niveau de revenus un peu plus décent.

Parlons des conditions de rémunération, précisément : sous l'effet cumulatif du recours généralisé aux emplois à temps incomplet et d'une grille indiciaire concentrée à des niveaux proches du Smic, la rémunération mensuelle moyenne d'un AESH n'est que de 850 euros nets, montant dont la valeur réelle s'effondre dans le contexte inflationniste actuel. L'État rémunère donc en dessous du seuil de pauvreté, ce que nous relevions déjà dans un rapport précédent, ses professionnels de l'école inclusive.

Les conditions de formation, enfin, dont les lacunes conduisent à de fréquents cas d'« auto-formation », c'est-à-dire à des situations dans lesquelles l'AESH effectue ses propres démarches pour trouver la formation répondant à ses besoins, qu'il règle sur ses propres deniers voire que les parents de l'enfant dont il s'occupe lui paient !

Dans ce panorama général, je tiens à mentionner la situation particulière des AESH exerçant dans l'enseignement agricole et maritime. Au nombre de 700 environ, ils sont confrontés à des conditions d'emploi encore plus difficiles - quotité de travail comprise entre 10 % et 20 %, non-accès aux dispositifs de formation -, si bien qu'ils se qualifient eux-mêmes de « sous-AESH ».

À cette précarité de l'emploi viennent s'ajouter des conditions de travail qui n'ont jamais été bonnes, y compris du temps des auxiliaires de vie scolaire (AVS). De l'avis unanime des AESH, mais aussi d'autres acteurs de l'école inclusive, elles n'ont cessé de se dégrader depuis quelques années.

La mise en place, à partir de 2021, des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) a marqué un tournant dans leur aggravation. J'y consacre tout un développement dans mon rapport, au terme duquel j'appelle le Gouvernement à adopter des correctifs.

Aujourd'hui, le quotidien d'un AESH se caractérise par une très grande flexibilité : affectation dans différents établissements relevant du territoire du Pial ; prise en charge simultanée de plusieurs enfants, conséquence de l'essor de l'aide mutualisée ; changements fréquents et non concertés d'emploi du temps et d'affectation ; accomplissement de tâches ne faisant pas partie de ses missions, comme la surveillance de classes entières ou d'examens, ou l'aide à des tâches administratives ; multiplication des déplacements, en particulier en milieu rural, dont les frais ne sont pas toujours pris en charge, alors qu'ils le devraient en application de la réglementation de l'éducation nationale - et il y a des différences entre les départements- ; droits à la pause méridienne et au fractionnement des jours de congé non respectés.

Je me dois d'illustrer ce tableau, pour le moins édifiant, par quelques expressions entendues en audition : « de l'exploitation pure et simple », « des conditions de travail déshumanisées », « sentiment d'être du sous-personnel », «  AESH sous-payés et corvéables », « AESH toujours relégués en dernier ».

Ces conditions de travail extrêmement dégradées conduisent à des arrêts maladie à répétition, des cas de dépression, des abandons de poste, des démissions - très nombreuses l'été dernier dans certains territoires. Indicateur particulièrement révélateur de cette désaffection, l'ancienneté moyenne dans le métier d'AESH n'est que de deux ans et demi !

Et pourtant, en dépit de l'absence de reconnaissance et de la perte de sens que les professionnels dénoncent, j'ai été frappée de constater que nombre d'entre elles ont le courage de continuer car, je cite, « c'est un beau métier », « sans AESH, il n'y a pas d'école inclusive ». Elles sont conscientes de ce qu'elles peuvent apporter aux enfants.

Alors que le métier d'AESH n'a jamais été aussi peu attractif, le paradoxe veut que, dans le même temps, les besoins d'accompagnement des élèves en situation de handicap croissent à une vitesse très soutenue.

Depuis 2017, les notifications d'aide humaine des MDPH augmentent de 11 % par an, soit à un rythme près de deux fois supérieur à celui des notifications de reconnaissance du handicap. Cette tendance à « la systématisation de l'aide humaine », comme on me l'a rapporté, est un sujet qui mériterait d'être réfléchi conjointement par l'éducation nationale et les départements, au titre de leur compétence « handicap ».

Bien que les effectifs d'AESH aient progressé de 35 % sur les cinq dernières années, que 4 000 postes aient été créés à la rentrée 2022 et que 4 000 autres le seront à la rentrée 2023, force est de constater que : des élèves en situation de handicap s'étant vu notifier une aide humaine ne sont toujours pas accompagnés ; des élèves pâtissent d'un nombre d'heures d'accompagnement inférieur à celui qui leur a été notifié ; des élèves voient leurs besoins non couverts par la quotité fixée.

Cette carence de l'éducation nationale à couvrir quantitativement et qualitativement les besoins d'accompagnement en AESH explique que certaines familles en arrivent à rechercher par elles-mêmes, ou par le biais d'associations, des AESH dits privés. J'avais posé la question au ministre qui avait appris ce type de situation par la presse !

Un marché de l'accompagnement privé est en train de se développer, même s'il est encore difficilement quantifiable. Cette évolution m'inquiète fortement, car elle provoque une rupture d'égalité dans l'accompagnement du handicap et renforce les inégalités sociales.

J'en viens, en quelques mots, à la situation des 65 000 AED, également confrontés à des conditions de travail précaires.

Pour rappel, la fonction d'assistant d'éducation, prioritairement destinée à un public étudiant, est très polyvalente : elle va de l'encadrement et de la surveillance à l'assistance pédagogique aux élèves en difficulté, en passant par l'intégration des élèves en situation de handicap.

Au moment de sa création, l'idée était aussi de faire de la fonction d'AED un tremplin pour une éventuelle future carrière dans l'éducation nationale, par le biais des concours de conseiller principal d'éducation ou de professeur. Cependant, le taux de réussite des AED à ces concours n'est aujourd'hui que de 15 %. En outre, les étudiants ne représentent que 30 % des effectifs, alors qu'ils étaient censés être majoritaires.

Au regard de ces constats, se pose la question du devenir professionnel des AED : faut-il professionnaliser cette fonction pour permettre à ceux qui le souhaitent de continuer à l'exercer et d'en faire un véritable métier ? Ou faut-il conserver sa nature première et mieux garantir ses débouchés vers d'autres emplois ?

Sans trancher ce débat de fond qui nécessiterait, à mon avis, un travail de concertation approfondi, je constate que les conditions d'emploi et de travail des AED se caractérisent par une grande précarité : rémunération au niveau du Smic ; absence de grille indiciaire, donc indice fixe ; absence de formation ; pluralité des établissements d'affectation.

Face à la diversité et l'ampleur des enjeux que je viens de décrire, pour partie communs aux deux catégories d'agents, cette proposition de loi se veut comme une première étape, nécessairement modeste, vers une amélioration de leurs conditions d'emploi et une reconnaissance du service qu'ils rendent à l'école inclusive.

L'article 1er ouvre la possibilité de recruter en CDI les AESH ayant exercé durant trois à six ans, soit potentiellement à l'issue d'un seul CDD, contre deux actuellement exigés par la loi pour une école de la confiance.

Alors que la très grande majorité des AESH enchaînent aujourd'hui les contrats courts, synonymes d'instabilité, d'incertitude, de précarité, cette accélération de la possibilité de « CDIsation » est gage de stabilité de l'emploi, de sécurisation du parcours professionnel, de visibilité quant à l'avenir et, surtout, de reconnaissance professionnelle.

Il s'agit d'une étape importante dans la professionnalisation du métier d'AESH et dans la construction de son attractivité. Je me suis beaucoup interrogée sur la durée de la condition d'exercice exigée pour pouvoir prétendre à une « CDIsation ». Où placer le curseur ? À trois ans ? Ou plus tôt encore - le ministère étant ouvert à l'idée d'un délai d'un an -, dans la mesure où, d'une part, il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation, d'autre part, les qualités humaines et les compétences professionnelles d'un AESH peuvent être reconnues dès la fin de sa première année d'exercice ? D'ici à la séance publique, je vais poursuivre ma réflexion, tout en étant très attentive aux propos du ministre à l'occasion de la discussion budgétaire de ce soir.

J'ai, par ailleurs, pleinement conscience que, si la « CDIsation » accélérée constitue une première avancée pour les AESH, le chemin qui reste à parcourir pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail est encore long. Il me semble fondamental que nous appelions collectivement le Gouvernement à s'atteler sans tarder à une réforme structurelle des conditions d'emploi des AESH, dans le cadre de « l'acte 2 de l'école inclusive » que le ministre nous a annoncé lors de son audition.

Plusieurs sujets relevant du niveau réglementaire nécessitent d'être travaillés simultanément : la quotité de travail, dans le but de permettre aux AESH qui le souhaitent de travailler à temps complet ; l'articulation entre le temps scolaire et le temps périscolaire, qui appelle un dialogue approfondi entre l'État et les collectivités territoriales ; l'augmentation du niveau de rémunération, qui passe impérativement par une revalorisation de la grille indiciaire ; l'application effective de la réglementation de l'éducation nationale en matière de remboursement des frais de transports ; le renforcement de la formation initiale et continue des AESH et sa prise en charge financière ; la révision du fonctionnement des Pial, afin de remédier aux dérives constatées et harmoniser les pratiques entre les territoires - d'un département à l'autre, en effet, cela varie beaucoup !

L'article 2 de la proposition de loi ouvre aux AED ayant exercé six ans en CDD le bénéfice du recrutement en CDI en cas de poursuite de leur mission. Cette disposition, votée par l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, a depuis été satisfaite par l'article 10 de la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire. Elle y a été introduite par le Sénat lors de l'examen du texte en première lecture, à la suite de l'adoption d'un amendement présenté par notre collègue Toine Bourrat.

Pour éviter une redondance inutile, il conviendrait de la supprimer, ce que je n'ai pourtant pas souhaité proposer à ce stade de la commission. Des remontées de terrain font état de réticences de la part des rectorats et des chefs d'établissement à « CDIser » les AED après six ans de service. Sur l'objectif visé de 5 000 « CDIsations », seules 1 000 seraient effectives. Même si le décret d'application, publié le 9 août dernier, ne présente aucune ambiguïté, une circulaire ministérielle serait peut-être nécessaire pour inciter les rectorats et les chefs d'établissement à se saisir de cette disposition. J'attends donc du ministre, en séance publique, qu'il réaffirme le principe posé par la loi du 2 mars dernier et qu'il s'engage à son application sur le terrain.

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sans modification à ce stade, en laissant la porte ouverte à des avancées supplémentaires en séance publique.

M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteure à définir le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Ce périmètre pourrait comprendre les dispositions relatives aux conditions de recrutement et d'emploi des AESH et des AED.

Il en est ainsi décidé.

M. Max Brisson. - Je tiens d'abord à excuser l'absence de Cédric Vial, qui portera la parole de notre groupe lors de la séance publique, et qui a été retenu par une session de conseil régional d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Je salue un rapport argumenté, équilibré et juste. La disposition concernant les AED a été satisfaite par l'amendement de notre collègue Toine Bourrat, dans le cadre de l'examen de la proposition de loi visant à lutter contre le harcèlement scolaire ; reste donc la question des AESH.

Ce texte ne réglera pas la précarité des AESH, malgré les progrès enregistrés, mais encore limités, à la suite de la loi pour une école de la confiance. Il propose toutefois des avancées que l'on ne peut pas repousser.

Actuellement, après deux contrats de trois ans en CDD, toute nouvelle mission confiée à un AESH ne peut l'être qu'en CDI. La proposition de loi, si elle définitivement votée, permettra d'avancer cette possibilité de CDI après trois ans de CDD. Nous soutenons cette mesure qui va dans le bon sens. Après trois ans, en effet, on peut mesurer les aptitudes de la personne et donc tenter de la sortir de la précarité institutionnalisée.

Nous sommes, en revanche, plus réticents à réduire cette durée, à la fois pour éviter une « CDIsation » qui ne s'appuierait pas sur une bonne évaluation des compétences et, surtout, pour faire en sorte que le système fonctionne bien. Dans le cadre des Pial, les AESH ne peuvent être affectés au-delà d'un rayon de 20 kilomètres. Il convient de ne pas rigidifier une organisation qui doit, en particulier en zones rurales, être calibrée en fonction du nombre d'enfants en situation de handicap.

Après l'adoption conforme de ce texte que nous souhaitons, nous devrons encore légiférer. La prise en charge des élèves en situation de handicap est très diverse d'un département à l'autre ; un cadre national, à ce titre, ne serait pas inutile. Si les MDPH ouvrent des droits à l'accompagnement des enfants, l'éducation nationale prend plus ou moins en compte ces notifications et arbitre seule, en fonction des ressources humaines dont elle dispose, entre accompagnement collectif et accompagnement particulier. L'augmentation du nombre des AESH ne suffit pas aujourd'hui pour répondre à toutes les notifications des MDPH. Les écarts entre départements sont considérables, et le Girondin que je suis estime qu'un cadre national ne serait pas inutile...

L'articulation entre tous les acteurs, qui justifiait à l'origine la mise en place des Pial, reste un voeu pieu ; elle n'est absolument menée par l'éducation nationale. S'agissant de la prise en charge des élèves en situation de handicap, la formation de tous les professionnels - et pas seulement des AESH -, en particulier celle des professeurs, n'est pas non plus conduite, ni pour les pratiques pédagogiques ni pour les matériels et outils nécessaires.

Il faudra également travailler sur la situation des accompagnants. Actuellement, elle est celle de la précarisation institutionnalisée, avec une rémunération faible, calculée sur une année amputée et une base horaire hebdomadaire réduite, ainsi qu'une formation aléatoire et insuffisante. La professionnalisation des AESH n'est pas à la hauteur du discours sur l'école inclusive.

Nous souhaitons ouvrir un débat sur la prise en charge de l'enfant. Faut-il en rester à une approche centrée sur l'école, provoquant une dichotomie entre la prescription des MDPH et l'exécution par l'éducation nationale, et favorisant, conformément à une décision du Conseil d'État, une pluralité d'employeurs pour les AESH selon que l'enfant est dans le temps scolaire ou dans le temps périscolaire ? Ou faut-il plutôt opter pour une approche centrée sur le handicap de l'enfant, et penser ainsi sa prise en charge sur l'ensemble de la journée, sachant que la tutelle diffère selon que l'enfant est dans le temps de la classe stricto sensu ou le temps de l'école ?

Dans le premier cas, l'éducation nationale est au centre du dispositif, et elle peine à organiser une école inclusive. Dans le second cas, on s'orienterait vers une approche médico-sociale, dont il reste à concevoir l'organisation, ainsi que le partage des responsabilités et des financements. Au-delà de la mission flash confiée à Cédric Vial, voilà un sujet qui mériterait une étroite collaboration entre notre commission et celle des affaires sociales.

Dans cette attente, le groupe Les Républicains souhaite une adoption conforme de la proposition de loi de Michèle Victory.

Mme Annick Billon. - Je salue le travail de notre rapporteure. Je connais son engagement et son expertise à la fois sur le sujet de l'éducation et, en tant que membre active de la délégation aux droits des femmes depuis de nombreuses années, sur ceux concernant l'égalité entre les femmes et les hommes, sachant que 93 % des AESH sont des femmes.

En 2021, le ministère de l'éducation nationale recensait 100 000 AESH et 63 000 AED. Les lacunes de la formation initiale et continue de ces personnels, la difficulté d'accéder à des emplois stables, avec également de très faibles niveaux de rémunération, constituent autant d'obstacles à l'attractivité de ces métiers. Ce texte, qui a toutefois le mérite d'exister, ne va pas améliorer ces conditions de travail. Des amendements avaient été envisagés concernant la formation ou l'organisation du temps, mais ils seraient contraints par la dimension réglementaire de ces sujets et par les dispositions de l'article 40 de la Constitution ; dès lors, on s'orienterait vers un vote conforme.

Les AESH sont un maillon essentiel de l'école inclusive. La création des Pial a été saluée lors des auditions, mais leur mise en place et leur fonctionnement s'avèrent à géométrie variable selon les territoires ; on ne peut pas se satisfaire de cette situation.

Il conviendrait de valoriser la formation initiale et continue tout au long de la carrière ; on offrirait ainsi aux AESH des perspectives d'évolution.

La question de la multiplication des affectations, avec les temps de trajet associés, reste une préoccupation importante. La problématique de la pause méridienne est un également un sujet central, dans la mesure où l'on ne peut imaginer un accompagnement de ces élèves en situation de handicap avec des temps hachés et, fatalement, une mauvaise articulation des prises en charge.

Concernant le statut et la condition des AESH, nous ne pourrons peut-être pas adopter de nouvelles mesures, qui seraient soient réglementaires, soient passibles de l'article 40. Le ministre de l'éducation a évoqué « l'acte 2 de l'école inclusive ». Au-delà du slogan, cet « acte 2 » me semble nécessaire, à la fois pour les AESH et pour les élèves en situation de handicap.

Le groupe Union Centriste votera ce texte. Mais, si l'on souhaite réduire les délais avant la « CDIsation », il faudra, dans le même temps, développer la formation initiale et continue. Cette « CDIsation » ne doit pas nous faire oublier les conditions de travail, la question de la rémunération et le manque d'attractivité de ce métier pourtant essentiel.

Mme Céline Brulin. - Cette proposition de loi, bien que modeste, constitue un premier pas dans la prise en compte du travail des AESH. Le rapport m'apparaît très lucide sur la situation des AESH, à la fois en donnant des exemples précis, notamment concernant les inégalités entre territoires, et en indiquant clairement les limites du texte.

Nous nous orientons vers une adoption conforme. Doit-on opter pour une « CDIsation » dans un délai ramené à un an ? J'entends vos remarques, on ne peut effectivement pas s'engager dans cette voie sans y réfléchir. Il manque encore beaucoup d'AESH pour accompagner les enfants ; le risque de se retrouver avec des AESH en CDI, mais sans affectation, est donc assez limité. Le sujet de la formation de ces agents est très important. Connaissons-nous la position du Gouvernement ? Il serait fâcheux que ce dernier soit prêt à une « CDIsation » au bout d'un an et que le Sénat la refuse.

M. Brisson souhaite avec raison engager une réflexion sur l'accompagnement global des enfants en situation de handicap. Je rappelle que les statuts de la fonction publique autorisent des mises à disposition ; cette hypothèse, au moins d'un point de vue statutaire, n'est pas à écarter. Il existe, en tout cas, des passerelles permettant d'innover sur le sujet.

Mme Sabine Van Heghe. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à cette proposition de loi. La « CDIsation » de ces personnels qui jouent un rôle fondamental dans l'école inclusive favoriserait la stabilisation des effectifs, avec des personnels expérimentés permettant de construire un véritable projet professionnel autour et pour les enfants.

Le CDI est la norme contractuelle dans notre pays, il permet de se protéger et donne des perspectives, avec la possibilité de se loger, d'emprunter, et l'espoir de vivre de son travail.

Les AESH ne bénéficient pas de la reconnaissance qu'ils, ou plutôt elles, méritent. Leur rémunération est très faible - environ 850 euros par mois - et les conditions de travail sont souvent très difficiles : manque de formation, temps incomplet subi, affectations couvrant parfois plusieurs écoles distantes les unes des autres, ce qui entraîne des frais de déplacement non couverts.

Pour ces raisons, on observe beaucoup de démissions, de l'ordre de 10 % du personnel global, et cela après deux ou trois ans d'exercice. Le Gouvernement ne prévoit pas assez de créations de postes d'AESH - 4 000 postes seulement pour 2023 -, alors même que les prescriptions d'aide humaine en 2020 et 2021 ont augmenté de 12 %. Sur la même période, le nombre d'AESH n'a augmenté que de 5 %. Il s'agit d'être vigilant concernant le recours à des AESH privés, qui entraînerait une rupture d'égalité relative aux moyens financiers des parents.

La « CDIsation » des AED est permise depuis la loi visant à lutter contre le harcèlement scolaire et le décret du 9 août 2022. Il apparaît cependant que certains chefs d'établissement refusent cette « CDIsation »; seuls 20 % des AED susceptibles d'être « CDIsés » l'ont effectivement été, d'où l'importance pour le Gouvernement de réaffirmer le principe d'une obligation de « CDIsation » des AED après six ans d'exercice. Les conditions de travail des AED sont également très difficiles, avec une rémunération insuffisante, différents lieux d'affectation et une absence de formation.

Ce texte ne prétend pas tout résoudre. C'est la raison pour laquelle notre groupe a proposé des amendements au projet de loi de finances (PLF) pour 2023, afin d'améliorer le sort des AESH : 20 millions d'euros supplémentaires pour revaloriser leur rémunération ; 10 millions d'euros pour améliorer les conditions d'exercice - achat de matériels adaptés, alignement du montant des primes REP et REP+ des AESH sur celles des autres personnels de l'éducation nationale. À cela s'ajoute l'ouverture de 10 270 postes supplémentaires, au lieu des 4 000 prévus par le PLF ; le coût de cette mesure s'élève à plus de 160 millions d'euros.

Notre groupe veille également à l'amélioration du sort des AED. Nous avons déposé des amendements afin d'aligner le montant des primes REP et REP+ sur celui des autres personnels de l'éducation nationale, et mettre au même niveau les rémunérations des AED de l'enseignement agricole et de l'enseignement général.

M. Jacques Grosperrin. - Je déplore que vous n'ayez pu obtenir les informations nécessaires, notamment de la part de la DGESCO ; cela montre la transversalité et la fluidité de ce ministère... On dénombre 430 000 élèves en situation de handicap en 2022. On observe un manque important d'AESH, puisque seulement 56 % de ces élèves bénéficient d'un accompagnement humain : 67 % dans les classes du premier degré et 45 % dans celles du deuxième degré. La situation est donc alarmante, et il est difficile de s'étonner que certains parents fassent appel à des AESH privés.

Il s'agit de s'interroger sur l'amélioration des conditions d'exercice des AESH. La revalorisation du statut et le niveau de rémunération sont des questions fondamentales. Le Conseil d'État, dans son décision du 20 novembre 2020, a également évoqué le sujet de la coordination entre les collectivités territoriales et l'État concernant la prise en charge du temps périscolaire.

Vous avez eu raison de parler de « carence » de l'éducation nationale à couvrir les besoins d'accompagnement en AESH. La « CDIsation » est une bonne chose, mais, si l'on opte pour un délai d'un an, le risque serait de dévaloriser la profession et son statut ; en privilégiant un délai de trois ans, et à condition que cela s'accompagne d'une formation continue, on montre qu'il s'agit d'un véritable métier.

Mme Monique de Marco. - Votre rapport est sombre sur la situation des AESH, chevilles ouvrières de l'école inclusive : ils gagnent 850 euros par mois en moyenne, soit moins que le seuil de pauvreté qui se situe à 1 000 euros. Comment l'État accepte-t-il de créer ainsi des travailleurs pauvres ?

L'organisation des Pial est parfois calamiteuse : certaines AESH passent plus de temps sur la route qu'auprès des élèves ! Dans certaines académies, des enfants n'ont pas d'accompagnement et les parents qui ont les moyens engagent des prestataires privés. Nous avons déposé des amendements pour améliorer leur statut et leurs conditions de travail dans le cadre de l'examen de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances.

M. Bernard Fialaire. - Je partage la position de notre rapporteure. Néanmoins, il convient d'éviter la caricature : médecin agréé d'aptitude, je rencontre très régulièrement des AESH. Ces personnes ne sont pas toutes dans la souffrance, certaines sont très épanouies. Le travail à temps partiel est souvent un choix, pour des raisons familiales ou personnelles. Ces emplois constituent parfois une opportunité pour certaines personnes dans leur parcours de vie, lorsqu'elles ont des capacités dans ce domaine : elles ne poursuivent d'ailleurs pas forcément une carrière d'AESH, mais cela leur permet de reprendre pied dans le marché du travail. N'ayons donc pas une vision trop sombre de la situation.

Il faut veiller à prendre en compte le type de handicap ; certains élèves ont des handicaps comportementaux très gênants pour la classe. Il faut aussi travailler avec les communes, les départements, pour renforcer la médecine scolaire, les régions et l'État, pour les stages et l'orientation.

Mme Sylvie Robert. - Je salue la qualité du rapport qui est très équilibré. Cette proposition de loi constitue une étape, sans doute modeste au vu des enjeux, mais elle a pour vertu de remettre sur le devant de la scène la question de la situation de ces personnes, de leur salaire, de leur statut. Je ne sais pas si l'on peut être vraiment épanoui à temps partiel, en gagnant 850 euros par mois ! Ce texte est aussi une forme de reconnaissance pour ces personnels.

Je m'interroge sur les Pial : si certains sont bien conçus, d'autres sont catastrophiques. Une harmonisation me semble nécessaire.

Cette proposition de loi appelle d'autres étapes. Si le Gouvernement accepte la « CDIsation » après un an, celle-ci ne saurait se faire sans conditions. Toutefois, cette mesure aurait le mérite de donner à ces personnels d'autres perspectives : j'ai été terrifiée en découvrant la situation de certaines AESH lors des auditions. Je suis d'accord avec notre rapporteure : la formation - aujourd'hui 60 heures au moment de la prise de poste, éventuellement en distanciel... - doit être obligatoire. Si le ministre nous donne des garanties sur les modalités de la « CDIsation » après un an, il serait fâcheux que notre Haute Assemblée s'y oppose.

Dans l'immédiat, nous voterons ce texte conforme. Il faudra demander au ministre en séance s'il est prêt à aller plus loin, et comment. Une négociation pourrait alors s'engager avec le Gouvernement, dans laquelle le Sénat pourrait faire valoir sa position.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous sommes tous attentifs à la question des AESH, qui jouent un rôle crucial dans l'école inclusive. Tous les enfants doivent avoir accès à l'enseignement dans des conditions dignes. Les enfants en situation de handicap sont parfois victimes de harcèlement. Je salue ce texte qui constitue une avancée pour les AESH et les AED. Le ministère semble ouvert à une « CDIsation » au terme d'un an. Si nous sommes favorables à une « CDIsation » après trois ans, cela semble plus délicat après un an. Nous devrons trouver le bon équilibre pour sortir de la précarité les AESH et prendre des mesures efficaces dans l'intérêt des enfants.

Mme Béatrice Gosselin. - Les AESH souffrent souvent. Or ils contribuent à la réalisation de l'école inclusive : grâce à eux, nombre d'enfants sont accompagnés. Il est important que ce travail soit professionnalisé. Les critères de recrutement doivent être précisés. On a parfois embauché des personnes qui n'avaient pas toujours les clefs pour aider un public aux besoins spécifiques : elles étaient elles-mêmes en souffrance et cela rejaillissait sur les enfants. Il convient de s'interroger sur la formation, qui est primordiale, et sur l'inclusion dans l'équipe pédagogique. L'AESH doit travailler de concert avec les enseignants. Un délai d'un an avant une « CDIsation » me semble un peu court. Plutôt qu'une « CDIsation » accélérée, prenons le temps de dispenser une formation digne de ce nom qui permettrait de renforcer la reconnaissance de la profession.

M. Max Brisson. - Le débat ne peut pas se réduire à la question du statut et de la « CDIsation ». Nous devons aborder ce problème sous l'angle de la définition d'une politique globale de l'accompagnement des enfants en situation de handicap durant le temps de l'école, qui, je le rappelle, ne se résume pas au temps de la classe. Le Sénat doit prendre l'initiative, peu importe ce que pense le ministre. L'éducation nationale est chef de file sur ce sujet, l'échec est patent. L'enjeu est d'améliorer la coordination des acteurs : communes, départements, régions, éducation nationale, etc. La « CDIsation » ne doit pas être le prétexte pour reconnaître la compétence exclusive de l'éducation nationale en la matière. Celle-ci n'a pas la culture du partenariat et confond facilement le rôle de chef de file et celui d'opérateur unique. Si l'on se borne à instituer une « CDIsation » après un an, on ne réglera rien, et j'ai des doutes sur la capacité de l'éducation nationale à être chef de file en la matière.

Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Je constate que nous sommes tous d'accord pour faire évoluer la situation. Je ne sais pas si nous partagerons tous les propositions de Max Brisson, mais je le rejoins lorsqu'il dit que notre commission s'honorerait à prendre ce sujet à bras-le-corps, en lien éventuellement avec la commission des affaires sociales. Ce travail s'inscrirait dans le prolongement de notre rapport sur le bilan des mesures éducatives du quinquennat. Nous aurions aussi à approfondir la question de la prise en charge des enfants en situation de handicap durant la pause méridienne.

La proposition du ministère n'est pas de « CDIser » automatiquement tous les AESH après un an d'exercice. Comme je l'ai expliqué, il s'agit d'une possibilité et non d'une obligation. De plus, le Gouvernement pose une autre condition : lorsque des difficultés locales de recrutement le justifient. Nous en saurons peut-être plus ce soir en interrogeant le ministre à l'occasion de l'examen de la mission « Enseignement scolaire ». Certains amendements pourraient d'ailleurs permettre déjà de faire avancer les choses s'ils étaient adoptés.

La formation est cruciale. Elle se réduit actuellement à 60 heures « d'adaptation à l'emploi », ce n'est donc pas une vraie formation... C'est bien peu en tout cas pour permettre à un AESH d'accompagner un ou plusieurs enfants et les aider à acquérir une certaine autonomie. Il s'agit d'une lourde responsabilité. Des AESH qui comprennent la langue des signes ne sont pas toujours affectés auprès d'enfants malentendants. Certains AESH doivent aider des enfants autistes, mais sans avoir été formés : un AESH a, par exemple, eu le réflexe de prendre un enfant autiste dans ses bras, ce qui a eu l'effet inverse de celui escompté...On a par ailleurs entendu que des enfants en situation de handicap passaient en conseil de discipline - est-ce pertinent ??

M. Fialaire a raison, tout n'est pas négatif. Les AESH restent par amour de leur métier et par sens de l'engagement ; ils ont la volonté d'aider les enfants. Ils apportent beaucoup dans les écoles. Souvenons-nous comment était la classe avant. Les enfants en situation de handicap n'étaient parfois pas scolarisés, ou étaient marginalisés et ne parvenaient pas à acquérir les apprentissages.

Nous devons améliorer la situation. Certaines mesures relèvent du domaine réglementaire, mais nous devons nous atteler au sujet, obtenir des avancées concrètes, car le statu quo n'est pas acceptable. Il convient, comme l'a dit Max Brisson, de penser la prise en charge de l'enfant dans sa globalité. Les AESH ont le sentiment de ne pas faire vraiment partie de l'équipe éducative et se sentent marginalisés ; ils n'ont, par exemple, pas accès aux espaces numériques de travail (ENT). Or, une prise en charge morcelée n'est pas dans l'intérêt de l'enfant ; mieux vaut qu'il soit entouré d'une équipe coordonnée.

Enfin, la gestion des AESH varie selon les départements : un cadre national serait souhaitable.

J'ai souhaité aller au-delà d'un simple rapport législatif. J'espère qu'il servira de base à une réflexion ultérieure.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3 (supprimé)

L'article 3 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité sans modification.

La réunion est close à 12 h 10.