Jeudi 6 octobre 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances

Mme Annick Billon, présidente. - Madame la Ministre, mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui Mme Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances.

Madame la Ministre, c'est avec un plaisir renouvelé que nous vous accueillons au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat, et ce pour la deuxième fois en audition plénière depuis votre nomination au Gouvernement.

Je tiens à vous remercier pour votre disponibilité à notre égard au cours de ces derniers mois et pour votre engagement en faveur des droits des femmes.

Nous allons tout d'abord procéder avec vous à un bilan de l'actualité de votre ministère.

Comme d'habitude, cette actualité est riche.

Elle concerne bien évidemment le bilan des trois ans du Grenelle de lutte contre les violences conjugales : ces initiatives avaient été rendues publiques lors de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2019. À l'occasion du troisième anniversaire de la conclusion de ce Grenelle, où en est-on ?

Nous aimerions notamment avoir un bilan de l'attribution, par territoire, des places d'hébergement supplémentaires annoncées ainsi qu'un point sur la montée en charge des dispositifs prévus dans le cadre du renforcement de la politique pénale de lutte contre les violences.

Nous sommes également demandeurs d'un point précis sur la prise en compte par le Gouvernement des préconisations du rapport de notre délégation sur la situation des femmes dans les territoires ruraux. Intitulé Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité, il formulait, voilà un an, 70 recommandations pour adapter l'Agenda rural du Gouvernement et mettre fin à la « double peine » des femmes rurales qui cumulent inégalités de genre et inégalités territoriales.

De plus, comme c'est l'usage à cette période de l'année, nous attendons de vous un état des lieux des dispositions du projet de loi de finances pour 2023 concernant votre ministère.

La politique d'égalité entre les femmes et les hommes est budgétairement inscrite au programme 137 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

En 2023, le budget de ce programme s'élèvera à 57,6 millions d'euros en crédits de paiement, en augmentation de 7 millions d'euros par rapport à 2022, soit + 14 %.

Pourriez-vous nous présenter les principaux axes de ce budget pour 2023 et nous détailler la ventilation des crédits supplémentaires annoncés ?

Dans le domaine de la lutte contre les violences, nous le savons toutes et tous : le rôle des associations est crucial, or celles-ci fonctionnent très souvent avec des moyens humains et financiers limités. Quel sera le montant de l'enveloppe globale des subventions versées aux associations financées par le programme 137 pour 2023 ? Quel a été le montant de l'exécution de ces crédits en 2022 ?

Enfin, je ne peux pas terminer ce propos introductif sans évoquer devant vous le rapport de la délégation publié la semaine dernière sur l'industrie pornographique, intitulé Porno : l'enfer du décor, que nous sommes quatre rapporteures à avoir porté, mes collègues Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même. Nous espérons que ce rapport permettra :

- d'imposer dans le débat public la lutte contre les violences pornographiques ;

- d'ouvrir les yeux de toutes et tous sur ce système de violences ;

- et d'appliquer, enfin, la loi sur l'interdiction d'accès des mineurs aux sites pornographiques afin de protéger notre jeunesse.

Le retentissement médiatique de ce rapport a dépassé les frontières internationales. Il est donc important d'avancer car nous sommes persuadées qu'il y aura un avant et un après ce rapport.

Madame la Ministre, je vous laisse sans plus tarder la parole et je proposerai, après votre propos introductif, à mes collègues d'intervenir.

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances. - Permettez-moi de débuter mes propos liminaires par un mot sur la situation en Iran.

Nous avons toutes et tous été bouleversés par l'assassinat de Mahsa Amini aux mains de la police des moeurs iranienne. Et l'hommage que le Sénat et l'Assemblée nationale ont rendu à ces femmes, à ce peuple, en est l'illustration. Au visage de Mahsa Amini, s'ajoutent désormais ceux de nombreux autres Iraniennes et Iraniens. Ce sont les visages de la jeunesse iranienne surtout. Ce sont les visages du courage et de la liberté pour sortir des griffes de l'oppression et de la dictature.

Comme l'ont déjà affirmé à plusieurs reprises la ministre de l'Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna et la secrétaire d'État chargée de l'Europe Laurence Boone, je réitère devant vous la condamnation la plus ferme par la France des violences commises contre les manifestantes et manifestants.

Et je tiens à rappeler l'attachement indéfectible de notre pays aux droits des femmes ainsi qu'à la liberté.

S'agissant du rapport sur la pornographie du Sénat, votre délégation a mis en lumière un tabou de notre société : les violences sexistes et sexuelles intolérables qui règnent au sein de l'industrie du porno. Comme je l'ai dit mercredi dernier dans votre hémicycle en réponse à la question d'actualité de la Présidente Billon, ce travail fera l'objet d'échanges interministériels afin que chaque ministère concerné puisse agir. Et je me réjouis de vous rencontrer le 18 octobre prochain pour échanger plus en détails. Encore une fois, bravo et merci d'avoir mené ce travail inédit qui décille notre société.

Depuis ma première audition devant votre délégation le 27 juillet dernier, au cours de laquelle je vous ai présenté les grandes lignes de ma feuille de route, nous avons avancé. Comme l'a annoncé la Première ministre, le 2 septembre dernier, à l'occasion du troisième anniversaire du Grenelle des violences conjugales, sur le volet hébergement : d'ici la fin de l'année, 10 000 places d'hébergement seront opérationnelles sur le territoire, soit près de 1 000 places de plus que l'objectif initialement attendu et 1 000 places supplémentaires seront ouvertes en 2023, pour renforcer notre maillage territorial et mieux doter certains territoires, notamment en zones rurales, villes moyennes en métropole comme outre-mer. Au total, ce sont 10 millions d'euros supplémentaires qui seront engagés et qui permettront d'atteindre 11 000 places d'hébergement.

Sur le plan de la sécurité, dans le sillon des annonces du Président de la République, le 10 janvier dernier, à Nice, la présence policière dans la rue sera doublée, tout comme le nombre d'enquêteurs spécialisés. D'ici 2025, le nombre d'intervenants sociaux en gendarmerie et dans les commissariats passera de 400 à 600 et l'outrage sexiste sera délictualisé dans les cas les plus graves tandis que l'amende verra son montant triplé.

La Première ministre a également annoncé la mise en place d'une mission parlementaire visant à dresser le bilan et améliorer le traitement de ces violences. L'objectif de cette mission, confiée à la sénatrice Dominique Vérien et à la députée Émilie Chandler, est de créer les conditions d'une action judiciaire lisible, réactive, performante ; une action judiciaire qui concilie spécialisation des enquêteurs et des magistrats avec la proximité nécessaire pour les victimes. En tant qu'ancienne magistrate et haute fonctionnaire à l'égalité au ministère de la justice, je sais combien le parcours judiciaire peut être complexe et pavé de difficultés pour les victimes. Je sais que c'est un sujet capital pour beaucoup d'entre vous. C'est en tout état de cause un engagement que le Président de la République a pris durant la campagne présidentielle et je me réjouis que nous avancions enfin sur ce sujet capital. Je me réjouis également qu'Élisabeth Borne ait annoncé le lancement de l'expérimentation d'un nouveau dispositif auquel je crois fermement, « un pack nouveau départ » visant à faciliter le départ du domicile des femmes bénéficiant de mesures de protection. Car je l'ai observé au cours de ma carrière, et les associations le signalent régulièrement, les victimes quittent ou plutôt fuient le domicile conjugal mais, sous emprise ou dépendantes financièrement, ont tendance à revenir dans le huis clos auprès de leur bourreau. Nous devons agir pour remédier à ces « faux départs » qui peuvent s'avérer tragiques pour certaines victimes.

Enfin, la Première ministre a indiqué qu'elle présiderait dans les prochains mois un comité interministériel sur l'égalité entre les femmes et les hommes que je piloterai pour décliner la feuille de route des cinq ans à venir et affirmer une nouvelle ambition pour chacun des champs d'action gouvernementaux.

Toutes ces annonces sont de grande ampleur. Elles ne pourront trouver une véritable traduction concrète sans l'appui indispensable des parlementaires et sans un budget important.

S'agissant du budget, vous m'aviez interrogée le 27 juillet dernier, Madame la Sénatrice Laurence Cohen, et vous l'avez mentionné, Madame la Présidente, lors de votre introduction, je me réjouis de vous répondre positivement aujourd'hui.

Les crédits dévolus au programme 137 connaîtront en 2023 une augmentation de 7,3 millions d'euros, portant le budget de mon ministère à 57,7 millions d'euros. Cette progression de 15 % par rapport à 2022 vient s'ajouter aux différentes hausses successives enregistrées ces cinq dernières années.

Au total, depuis 2017, le programme 137 a progressé de 95 %.

Les moyens supplémentaires permettront de renforcer les aides aux associations agissant en faveur de l'égalité femmes-hommes, d'intensifier la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences sexistes et sexuelles, de renforcer l'accès aux droits sur l'ensemble des territoires de l'hexagone et d'outre-mer, et de poursuivre les actions conduites en faveur de l'éducation à l'égalité entre les filles et les garçons.

Avant de conclure, permettez-moi de dire un mot sur les enjeux d'égalité en ruralité.

J'ai eu l'occasion de vous féliciter pour le rapport sur la situation des femmes dans les territoires ruraux, que vous avez réalisé, assorti de 70 recommandations.

Si leur réalisation ne dépend pas systématiquement de l'État - et c'est tant mieux car nous avons absolument besoin de l'ensemble des collectivités locales pour mener ce combat -, nous avons néanmoins avancé car il s'agit d'un enjeu majeur.

Car, pour reprendre vos propres termes, il ne peut y avoir de « zones blanches » en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.

Parce qu'elles cumulent plusieurs types d'inégalités, les 11 millions de femmes vivant dans nos territoires ruraux doivent bénéficier de politiques publiques spécifiques.

Depuis la publication de votre rapport, nous avons précisé le cadre réglementaire des « arrêts à la demande » par un décret publié en octobre 2020. Il faut désormais que les autorités organisatrices de mobilité s'en saisissent. Il s'agit d'un outil essentiel pour que toutes les femmes puissent se déplacer en sécurité dans notre pays.

Sur l'accès à l'emploi et la prévention des violences faites aux femmes en milieu rural, avec ma collègue Dominique Faure, secrétaire d'État chargée de la ruralité, nous avons récompensé récemment les lauréats d'un appel à manifestation d'intérêt que nos prédécesseurs avaient engagé.

Au total, 1,5 million d'euros ont été investis pour soutenir de très beaux projets sur tous nos territoires ruraux.

Nous avons également multiplié le nombre de places d'hébergement ainsi que les intervenants sociaux en gendarmeries et commissariats en zones rurales.

En conclusion, si nous avons beaucoup progressé depuis 2017, le chemin vers l'égalité réelle et concrète demeure long. Ce combat de longue haleine, je souhaite le conduire avec vous, en proximité avec votre délégation. Je crois profondément en l'intelligence collective : c'est la seule intelligence qui vaille à mes yeux.

Je sais le travail important réalisé par votre délégation et le rôle à la fois d'aiguillon et de vigie qu'elle joue, et vous en remercie.

Mme Marie-Pierre Monier. - Pour rebondir sur la question d'actualité hier en séance publique, vous avez été interpellée sur l'éducation à la sexualité et vous êtes revenue sur votre volonté, notamment, d'établir un lien avec le ministre de l'éducation nationale pour vous attaquer au chantier de l'éducation à la sexualité, dont la faiblesse a été pointée dans un récent rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN). Au sein de l'Éducation nationale, moins de 15 % des élèves bénéficient des trois séances d'éducation qui sont pourtant légalement obligatoires. Pouvez-vous nous apporter des éléments précis sur les moyens financiers consacrés à cette politique publique dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 par vos ministères respectifs ? On parle beaucoup d'intervenir au moment où la violence se manifeste, mais la prévention joue un rôle très important.

Autre sujet, les petites associations en zone rurale font souvent un travail remarquable. Je vous avais alertée au mois de juillet dernier sur les limites du financement par appel à projets, qui constitue un frein pour certaines structures. Vous aviez entendu ces réserves et exprimé le voeu de faire preuve de vigilance sur la nécessité de discuter davantage les subventions avec les départements et les régions, notamment via les déléguées régionales aux droits des femmes, mais il me semble que dans la partie relative au financement des projets en faveur de l'égalité, et notamment dans le programme 137, l'objectif affiché est de concentrer les financements sur des projets qualifiés de « robustes », ce qui m'inquiète car cette logique risque de nuire aux petites structures qui opèrent dans les zones rurales. J'ai assisté à l'assemblée générale du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de la Drôme qui fait un travail remarquable. Si je ne me trompe pas, vous avez prévu une enveloppe globale de 1,6 million d'euros dans le programme 137 pour les associations. Comment seront répartis ces crédits ? Le CIDFF se plaint d'une grande difficulté à trouver des financements. J'aimerais être sûre que les associations des zones rurales ne seront pas oubliées dans la répartition parce qu'elles ont vraiment besoin d'être aidées.

Une dernière chose, nous avons été alertés sur de possibles coupes à venir sur le numéro d'écoute d'urgence 3919, qu'en est-il exactement ?

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée. - Quelques précisions sur le budget : sur les 7,3 millions d'augmentation du budget, comme vous l'avez justement indiqué, 1,6 million est dédié au renforcement du réseau CIDFF pour développer un véritable maillage territorial, et 1,4 million au lancement de plans d'action territorialisés pour promouvoir la culture de l'égalité entre les femmes et les hommes dans tous les territoires : zones rurales, outre-mer et quartiers prioritaires de la ville (QPV), avec une contractualisation qui illustre le souhait de structurer davantage ce sujet.

0,6 million d'euros sont affectés à la poursuite du dispositif expérimental « d'aller vers », toujours dans un souci de meilleur maillage territorial où la souplesse et la mobilité doivent vraiment l'emporter, avec, par exemple, la mise en place de vans pour l'accès aux droits : il ne s'agit pas de créer des dispositifs ex nihilo mais de prolonger une action déjà existante sur le terrain.

3,6 millions d'euros seront affectés à l'intensification de la prévention et de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et permettront aussi de financer l'expérimentation du « pack nouveau départ ». 0,2 million d'euros sont dédiés aux parcours de sortie de la prostitution, pour la prise en compte de l'évolution haussière des bénéficiaires de l'AFIS.

S'agissant des subventions aux associations, sur une enveloppe totale de subventions nationales de 8,3 millions d'euros, 4.9 millions seront dédiés aux associations nationales suivantes : 1,3 million à la FNCIIDFF, 400 000 euros au Planning familial et 3,2 millions à la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF) qui gère le numéro 3919. Je précise que le dispositif « aller vers », qui peut concerner davantage les zones rurales, a été considérablement augmenté. Enfin, d'autres subventions aux associations nationales se retrouvent réparties sur d'autres lignes d'activité, dans le cadre de la nomenclature budgétaire actuelle du programme 137.

Les appels à projets ont leur intérêt et certains seront maintenus. Mais ce n'est pas la ligne que j'entends suivre exclusivement, parce qu'il est important d'avoir des politiques publiques plus tracées, plus visibles, et c'est d'ailleurs la feuille de route que je déclinerai devant les déléguées régionales et départementales à l'égalité femmes-hommes. Cette politique sera privilégiée plutôt que le saupoudrage d'actions via des appels à projets.

Concernant l'éducation à la vie sexuelle et affective, je remercie le ministre de l'éducation nationale qui a manifesté son intérêt et sa conviction sur le sujet, en publiant notamment le rapport de l'IGEN sur l'enseignement à l'éducation à la vie sexuelle et affective. Ce rapport montre que 15 à 20 % seulement des établissements appliquent la loi de 2001 qui impose un enseignement dans ce domaine. Le chantier est ouvert et cette loi sera appliquée. Les travaux ont déjà commencé au niveau interministériel. Comme vous le savez, il faut couvrir tous les territoires et tous les degrés de l'enseignement. Je pense que ce sujet sera aussi inscrit à l'ordre du jour du comité interministériel, dans le cadre du plan gouvernemental, afin de pouvoir le décliner au cours des prochaines années, avec des objectifs et des indicateurs précis.

Depuis le mois d'août 2021, le 3919 assure, 24/24 et 7/7, un accueil téléphonique anonyme et gratuit, une orientation à destination des femmes victimes de toute forme de violence ainsi qu'une écoute approfondie des victimes de violences conjugales. Il est également accessible aux personnes sourdes et malentendantes, ce qui concrétise une des mesures très attendues du Grenelle des violences conjugales. L'équipe se compose de 45 écoutantes, deux coordinatrices en CDI, deux chefs de service, et bénéficie en outre de fonctions de support administratif.

En 2021, le 3919 a reçu environ 150 000 appels traitables (149 794 précisément), dont 92 000 pris en charge par une écoutante du 3919, soit un taux de réponse de 61,9 % contre 60,3 % en 2020.

92 % des motifs d'appel en 2021 concernaient une situation de violence conjugale et sur le premier semestre 2022, 60 000 appels ont été reçus : on voit bien l'effet de l'ouverture 24/24, avec près de 10 000 appels la nuit (9 859 précisément), de 22 heures à 9 heures, et 45 696 prises en charge dont 5 622 la nuit, soit un taux de réponse de 75,8 %. Quant aux moyens budgétaires, ils sont en augmentation constante depuis quatre ans : 1 835 000 euros en 2019, 1 950 000 euros en 2020, 2 557 966 euros en 2021 et 3 011 822 euros en 2022.

Mme Annick Billon, présidente. - Au sujet du 3919 et du dernier chiffre que vous donnez, il serait sans doute intéressant de voir comment se ventilent les appels en provenance de la métropole et des territoires ultramarins, avec la problématique des décalages horaires.

Mme Laurence Cohen. - Les violences faites aux femmes sont un véritable fléau. En cinq ans, le mouvement historique #MeToo a permis une prise de conscience : ces violences sont enracinées dans le système patriarcal, mais concrètement, les choses ont peu évolué.

Je regardais hier soir un débat sur les questions des violences en entreprise et c'était assez terrible. Le témoignage d'une femme illustrait très bien ce qu'il s'y passe : elle explique le harcèlement dont elle est victime de la part du PDG d'une grosse entreprise, qui lui envoie jusqu'à plus de 100 SMS dans une journée. Elle hésite à le dénoncer parce qu'elle a un poste à très hautes responsabilités qu'elle ne veut pas perdre. Cette femme a perdu son emploi, est « blacklistée » partout, a dû recourir au RSA et, pire encore, attend son procès depuis huit ans !

L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) est une association très combative qui accompagne les victimes de violences au travail. Elle réclame des amendes beaucoup plus dissuasives au niveau des entreprises quand ce ce genre de phénomène se produit.

Or quand j'ai interrogé la Première ministre, ex-ministre du travail, à ce sujet, elle m'a répondu que les amendes étaient suffisamment dissuasives et qu'il n'était pas question de les augmenter. Le sentiment d'impunité est justifié car on voit bien que les victimes ont la double, voire la triple peine : non seulement elles sont victimes d'un harceleur, et cela peut aller jusqu'au viol, mais en plus, elles perdent leur statut social et économique. J'aimerais connaître votre analyse sur ce sujet des violences en entreprise.

De manière plus générale, les plaintes pour violences sexuelles ont augmenté de 30 % en 2021. Mais seulement 10 % des victimes portent plainte, ce qui peut se comprendre puisque 80 % des plaintes sont classées sans suite, et 1 % seulement des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation pénale. On voit bien qu'on est toujours dans une société de « culture du viol », ce que nous avons d'ailleurs dénoncé dans notre rapport sur la pornographie.

Comment peut-on améliorer le traitement des violences sexuelles, dans l'entreprise et de manière générale ? Je fais partie de celles et ceux qui pensent qu'il faudrait des tribunaux spécialisés. L'idée suscite la controverse mais je me réjouis qu'elle fasse l'objet d'une mission de parlementaires pour essayer d'y réfléchir. Quoi qu'il en soit, il faut absolument raccourcir ces délais : huit ans, dix ans pour avoir un jugement, ce n'est tout simplement pas possible.

Concernant votre budget, je salue la hausse des crédits mais s'agit-il toujours du plus petit budget de l'État ?

Pourriez-vous, en outre, nous préciser le montant de l'Aide financière à l'insertion sociale (AFIS), attribuée dans le cadre d'un parcours de sortie de la prostitution ? Il me semble qu'il s'élevait l'an dernier à 1,5 million d'euros, ce qui correspond à une allocation de 330 euros par mois. Y a-t-il une hausse de ces montants en 2022 ?

Enfin, restera-t-il quelque chose dans votre budget pour appliquer certaines des recommandations de notre rapport sur l'industrie de la pornographie ? Qu'il s'agisse de l'Éducation nationale, de la Justice, de la police, les services publics sont démunis.

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée. - Pour répondre à la première partie de votre question qui concerne les violences sexuelles et sexistes, avec un focus particulier sur les violences au travail, vous savez que j'ai passé à peu près trente ans à juger les faits les plus graves dans ce domaine. C'est donc un sujet qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel j'aimerais que ce quinquennat permette d'avancer, même si beaucoup a déjà été fait lors du précédent quinquennat, en matière de police comme de justice : 160 000 policiers et gendarmes formés, 400 intervenants sociaux pour bien accompagner les victimes en police-gendarmerie, la mise en place du bracelet anti-rapprochement, la multiplication des téléphones « grave danger » - de 300 attribués en 2019 à presque 4 000 aujourd'hui -, ainsi que la mise en oeuvre, dans environ 123 juridictions à ce jour, de deux circuits particuliers pour traiter ces violences de manière plus adaptée. Les avancées sont donc indéniables.

Certes, des progrès restent à faire et c'est en ce sens que la Première ministre a souhaité que cette mission puisse être menée. Pour ma part, je pense que #MeToo a constitué un acte I en permettant la libération de la parole, comme si une chape de plomb s'était levée sur la parole des femmes qui étaient finalement opprimées - j'ose employer ce terme - depuis des siècles. Tout à coup, cette parole a jailli, dans une sorte de révolution culturelle positive. Aujourd'hui, il faut aborder l'acte II de #MeToo en faisant en sorte que cette parole libérée soit la mieux traitée possible. La spécialisation des acteurs amenés à traiter cette parole me paraît importante, c'est d'ailleurs le sens de l'annonce de la Première ministre s'agissant du doublement des enquêteurs spécialisés, policiers et gendarmes, ainsi que de la mission confiée aux parlementaires. Nous devons garantir à la victime qui va révéler les faits que sa parole sera bien traitée et de manière adaptée.

Vous avez raison, le monde professionnel n'échappe pas aux violences sexuelles et sexistes. Le harcèlement sexuel, comme toute forme de violence sexuelle, constitue d'ores et déjà un délit pénal punissable de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. À ce sujet, nous avons lancé un appel à projets, le 13 septembre dernier, qui vise à mobiliser les acteurs régionaux et nationaux dans la mise en oeuvre d'actions permettant de prévenir et de lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail. Son montant, 700 000 euros, soutiendra des projets qui s'adressent aux acteurs clés du monde du travail et aux victimes de ces violences, avec comme priorité la prise en charge et la formation des victimes de violences sexistes et sexuelles au travail, la sensibilisation et la formation des acteurs concernés. Les candidatures sont ouvertes jusqu'au 10 octobre 2022.

Je souhaite également me rapprocher de l'AVFT dont j'ai entendu le plus grand bien et je précise par ailleurs que depuis ma nomination, j'ai rencontré un certain nombre de chefs d'entreprise manifestant l'intérêt qu'ils avaient pour ce sujet et qui ont mis en place des dispositifs intéressants sur la lutte contre le sexisme et la prise en charge de ces violences.

S'agissant de l'AFIS, les crédits augmentent de 0,2 million d'euros et nous avons entamé un travail pour revaloriser son montant. J'ai également demandé aux déléguées régionales et départementales de me faire un bilan précis des commissions mises en place pour assurer la mise en oeuvre des parcours de sortie de la prostitution. Je les rencontre d'ici quelques jours et j'examinerai ce travail avec elles.

Mme Laure Darcos. - Madame la Ministre, vous avez, à très juste titre, évoqué l'Iran. J'aimerais que l'on n'oublie pas les femmes afghanes au sujet desquelles nous avons organisé un colloque le 25 novembre 2021. Nous sommes très engagées sur ces sujets, et, on l'a vu aux questions d'actualité, vous aurez un rôle important à jouer, notamment sur la laïcité dans nos écoles, aujourd'hui mise en cause par certains. Notre école républicaine constitue une chance, préservons-la !

Nous avions également commencé un rapport sur les retraites des femmes. Le Président de la République a annoncé un projet de loi au début de l'année prochaine. J'aimerais que nous puissions travailler de concert avec vous. Vous savez à quel point les femmes sont défavorisées dans certains systèmes de comptabilité de retraite et notre délégation pourrait constituer le lieu d'un consensus sur ces questions.

Autre sujet qui nous tient à coeur, avec la Présidente Billon, celui du manque de filles dans les cursus scientifiques, notamment en mathématiques et en physique. Il est aberrant de constater qu'on a baissé le nombre de femmes ayant une vocation scientifique, ingénieur ou autre, depuis vingt ans. La chute est abyssale, on est passé de 25 à 15 % de filles dans ces filières et la réforme du bac ne va pas améliorer la situation, puisque les maths ne font plus partie du tronc commun. Certains collectifs très dynamiques se mobilisent aujourd'hui pour alerter l'opinion et, surtout, le ministère de l'éducation nationale.

Mme Isabelle Briquet. - Votre cabinet a eu l'amabilité de m'informer de votre venue à Limoges fin octobre pour présider le Comité de pilotage annuel (Copil) des centres de prise en charge des auteurs de violence. C'est important à deux titres : d'une part, parce que c'est l'association de réinsertion sociale du Limousin qui porte le centre de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA) Nord-Nouvelle Aquitaine et qui est en charge de la coordination nationale des trente CPCA répartis sur l'ensemble de notre territoire ; d'autre part, parce que ces centres sont particulièrement importants pour la protection des victimes, y compris des enfants, grâce à la prévention du passage à l'acte et donc de la récidive. Ces centres accueillent un nombre toujours plus conséquent d'auteurs, que ce soit dans le cadre d'une mesure judiciaire, ou dans le cadre d'une démarche volontaire, ce qui mérite d'être souligné. Enfin, bien que l'hébergement ne fasse pas partie du cahier des charges, l'éviction du conjoint violent étant essentielle, certains centres disposent déjà de possibilités d'hébergement en lien avec la plateforme Ediction, mais les besoins sont importants.

J'ai bien noté la hausse de 15 % de votre budget. Les CPCA bénéficieront-ils d'une augmentation de leurs crédits ?

Un mot, enfin sur le 3919 : il me semble que le montant des crédits ne pose pas de difficultés, mais l'objectif ne pourra sans doute pas être atteint en raison d'un manque de moyens humains. Nous aimerions être rassurées aussi rapidement que possible sur la mise en oeuvre de ces moyens humains.

Mme Annick Jacquemet. - J'aimerais d'abord vous renouveler mes remerciements pour votre venue dans le Doubs, et particulièrement au sein d'une maison d'hébergement pour les femmes victimes de violences, où votre humanité et votre accessibilité ont marqué les esprits. Je pense notamment aux deux jeunes jumelles dont l'histoire nous a bouleversées, auprès desquelles vous avez manifesté une grande qualité d'écoute. Je tiens à vous faire part des retours très positifs de votre venue, et vous transmettre leurs remerciements.

S'agissant du budget, pourriez-vous nous donner des précisions sur les actions prévues dans le cadre du « pack nouveau départ » ?

Hier, enfin, nous étudiions en commission des affaires sociales la proposition de loi de ma collègue Valérie Létard, que nous sommes nombreuses et nombreux à avoir cosignée. Elle propose notamment d'allouer une aide financière d'urgence pour éviter le retour au domicile des victimes, sous la forme d'un prêt mobilisable sous 48 à 72 heures par la Caisse d'allocations familiales. Cette proposition devrait permettre d'aider les femmes en difficulté.

M. Max Brisson. - Je souhaiterais avoir des précisions sur deux questions posées par mes collègues Laurence Cohen et Marie-Pierre Monier.

La première concerne les juridictions spécialisées. Si vous ne pouvez-vous exprimer en tant que membre du Gouvernement s'agissant d'un sujet qui fait actuellement l'objet d'une mission, l'ex-magistrate que vous êtes pourrait-elle nous éclairer sur leur intérêt ? Qu'est-ce qui justifie, en France, les réticences, alors qu'en Espagne, ce système a donné de remarquables résultats en matière de lutte contre les violences conjugales ?

S'agissant de la question posée par Marie-Pierre Monier, votre volonté de recentrage des aides aura-t-il un impact sur les associations d'aide aux femmes victimes de violences situées en zone rurale ?

Enfin, vous nous indiquiez que, selon les années, 10 à 15 % des établissements scolaires pratiquaient une éducation à la vie sexuelle et affective. Il me semble que la bonne manière de progresser en la matière, ce n'est pas un peu plus d'« éducation à », car on sait bien que les programmes sont déjà très lourds, mais plutôt de réfléchir à la façon dont on pourrait introduire davantage d'éducation à la vie sexuelle et affective dans les matières qui s'y prêtent : sciences de la vie bien sûr, mais aussi histoire, français, éducation morale et civique, etc. Pourquoi ne pas aborder ces sujets dans le cadre des enseignements tels qu'ils sont organisés aujourd'hui, au coeur de la classe et au coeur de l'enseignement ? Nous savons bien que l'« éducation à » constitue, le plus souvent, une variable variable d'ajustement du temps scolaire.

M. Hussein Bourgi. - Je suis réticent aux appels à projets tant européens que nationaux, car leurs effets de seuil ne permettent pas aux associations du monde rural d'y répondre. En effet, elles ont beau faire un travail remarquable au niveau local, elles n'appartiennent pas à une fédération nationale, ce qui les dissuade de déposer des dossiers. Je n'ai rien contre les fédérations nationales mais souvent les subsides qu'elles perçoivent de l'État vont prioritairement aux frais de structure et frais de gestion des associations. Cet argent ne descend pas ou rarement dans les territoires, et comme il se fait de plus en plus rare, lorsque les associations ont un projet et qu'elles s'adressent à vos déléguées régionales ou départementales aux droits des femmes, on leur dit « Mais votre fédération nationale a touché tant de millions d'euros ! ». C'est bien une réalité, mais l'argent reste à Paris et descend rarement sur le terrain. C'est pourquoi je voudrais savoir s'il est envisageable, dans les conventions que vous signez avec les fédérations, tout en respectant la souveraineté des associations, de prévoir un volet décentralisé d'actions à mener assorties des moyens qui vont avec ? Je veux bien voter des millions d'euros pour telle ou telle structure, mais si tout reste à Paris et rien ne descend dans mon département, l'effet sera tout relatif.

Je souhaite également vous questionner au sujet de la formation des fonctionnaires de l'État. J'ai été confronté dans mon département à une affaire sordide, dans laquelle plusieurs jeunes femmes ont été victimes d'agressions sexuelles commises par le videur d'une boîte de nuit pendant plusieurs mois d'affilée. Lorsque, encouragées par le mouvement #MeToo, elles se sont décidées à porter plainte, trois d'entre elles ont été particulièrement bien reçues, mais la quatrième s'est retrouvée face à un policier qui lui a tout bonnement fait du rentre-dedans, lui proposant d'aller se promener au bord d'un lac pour se changer les idées, des chocolats - dont son tiroir était plein -, etc. J'ai contacté le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) pour lui signaler cette attitude non professionnelle et me suis heurté de sa part à un déni absolu.

Dans mon département, il y a aussi deux tribunaux judiciaires. L'un d'entre eux fonctionne très bien s'agissant des violences faites aux femmes, mais le second ignore systématiquement mes signalements. Lorsque je finis par croiser le procureur qui ne me répond pas, j'ai invariablement le droit à la même réponse : « La séparation des pouvoirs m'interdit de répondre aux courriers des parlementaires » ! Quant à vos déléguées départementales et régionales, Madame la Ministre, je les croise souvent sur le terrain, mais surtout pour les inaugurations, les colloques et, une fois par an, pour la « grand-messe » à la préfecture, où nous sommes 50 à 60 autour de la table pour une durée maximale de deux heures. Le service minimum est fait mais nous n'avons pas pris la parole sur les sujets sensibles.

J'aurais donc une proposition très simple à vous faire, Madame la Ministre. Pourquoi ne pas remettre en place une cellule très agile qui communiquait efficacement avec le parquet, la délégation aux victimes (DAV) qui existait sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et qui dépendait du ministère de l'intérieur ? Nous avions alors un interlocuteur unique que nous contactions directement dans les tribunaux pour toutes sortes d'infractions. Dans l'affaire que j'ai citée, il a fallu que j'agite la presse pour que, six mois après les faits, une dizaine de témoins soient convoqués. Un parlementaire qui écrit à un procureur ou qui contacte un DDSP a donc moins poids pour les faire réagir qu'un article du Midi Libre ! Comment remédier à cet état de fait ? Je veux bien qu'on parle des problèmes dans le monde privé, mais commençons par balayer devant notre porte, où des dysfonctionnements perdurent, tant dans la police que dans la justice.

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée. - Madame la Sénatrice Laure Darcos, vous savez combien je suis aussi engagée à soutenir ces femmes afghanes et j'ai d'ailleurs reçu des associations, notamment en soutien d'une radio qui anime des émissions pédagogiques à destination de jeunes filles privées d'accès à l'école. Alors évidemment, nous allons défendre notre école républicaine !

S'agissant des retraites des femmes, le projet de loi sera bien présenté début 2023. Un travail de concertation est en cours, ainsi qu'une négociation avec les partenaires sociaux sur la question du temps partiel, qui défavorise particulièrement les femmes dans le calcul de la retraite. Je serai bien sûr très vigilante sur ce sujet et nous pourrons travailler en bonne intelligence le moment venu.

J'ai tout à fait identifié le problème du manque de filles dans les filières scientifiques, notamment dans les métiers de la « tech » et je suis, sur ce sujet comme sur celui des violences sexuelles, en lien quasi permanent avec Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur, qui constitue une précieuse alliée. Comme vous, je pense que si les filles ne prennent pas le train de ces métiers d'avenir, dans quelques années nous aurons de nombreuses femmes qui se trouveront en dehors du secteur d'emploi. L'enjeu est donc crucial. Il relève en partie de l'Éducation nationale et le ministre de l'éducation nationale en a tout à fait conscience : il est très attaché à travailler sur tout ce qui concerne l'orientation. Un certain nombre de dispositifs ont d'ores et déjà été mis en place pour inciter les jeunes filles à aller vers ces filières, notamment le pacte « parité French Tech », lancé en 2019, un programme de bourse qui aide les jeunes femmes à développer leur projet entrepreneurial dans la tech, et qui compte déjà presque 200 bénéficiaires. J'ai reçu récemment la responsable du dispositif et j'entends bien mieux le faire connaître.

Il est important aussi d'agir hors Éducation nationale, il y a des choses que je peux entreprendre au titre de mon ministère. Ce que j'ai identifié, c'est qu'on pouvait agir tant auprès des jeunes filles que des entreprises. Il faut favoriser l'émancipation des jeunes filles, leur permettre d'oser « aller vers », parce qu'on connaît les phénomènes d'autocensure. On peut travailler également avec les réseaux féminins, avec les entreprises qui parfois sont en tension de recrutement, rendre les métiers plus attractifs, et peut-être aussi agir sur la politique de ressources humaines des entreprises.

Le dispositif de prise en charge des auteurs via les CPCA a été mis en place à l'issue du Grenelle des violences conjugales. C'est un de ses grands apports, car auparavant, cette thématique, du ressort exclusif des juges, était quasiment absente du débat public. Or il n'y a pas de protection des victimes sans prévention efficace de la récidive et donc sans prise en charge de la violence, et c'est vraiment l'objectif de ces trente CPCA qui sont aujourd'hui mis en place sur l'ensemble du territoire. À peu près 6 000 personnes ont pu y être accueillies, dont environ 90 % sur décision judiciaire et 10 % à titre préventif. Mon objectif est d'augmenter le nombre de personnes qui se rendent dans ces centres à titre préventif et il semble que ce soit le cas à Paris ainsi qu'à Rennes, dont je reviens. Il faut provoquer le réflexe chez la personne qui se sent prête à déraper, comme celle qui envoyait au CPCA de Rennes un message du type « Je sens que ça ne va pas, hier soir, j'étais prêt à lui mettre une gifle ».

En termes de budget, chaque CPCA dispose d'une dotation annuelle de 156 000 euros imputée sur le programme 137, ce qui correspond à 70 % de sa dotation, qu'il doit compléter par des cofinancements. Il y a eu une augmentation dans le PLF 2022 puisque le budget avait été augmenté de 1,3 million d'euros, outre les 150 000 euros par an pour la mission de coordination des CPCA.

Le cahier des charges des CPCA n'inclue pas l'hébergement des auteurs : la prise en charge va de l'aspect psychologique à l'organisation de stages de responsabilisation, etc. Cependant, dans certains cas, il peut y avoir des protocoles locaux signés avec des collectivités, qui donnent lieu à des hébergements. Sous mon initiative au ministère de la justice, un dispositif expérimental de contrôle judiciaire avec placement probatoire des conjoints violents a été lancé et est en cours d'expérimentation sur dix sites. Il vise à contraindre la personne placée sous contrôle judiciaire à aller résider dans un lieu déterminé avec un suivi strict et un contrôle, la fixation de la résidence dans un lieu déterminé faisant partie de la contrainte.

Le « pack nouveau départ » vise à une prise en charge complète et globale, je dirais même holistique, de la victime, et nécessite de ce fait un travail interministériel. Le premier impératif est de bien identifier les victimes qui pourront en bénéficier, ce qui fera justement l'objet de nos discussions. Parmi les suggestions que je peux faire, l'ordonnance de protection, l'octroi d'un téléphone grave danger ou d'un bracelet anti-rapprochement me semblent des signaux suffisamment objectifs pour autoriser le déclenchement du dispositif. Celui-ci pourrait contenir des mesures sur le plan social : allocation, aide pour la garde d'enfant, inscriptions scolaires. Sur le plan professionnel, il pourrait comprendre une aide à la formation ou au retour à l'emploi, un accompagnement psychologique, c'est-à-dire la prise en charge de soins, et si besoin effectivement, un hébergement. Mais le « pack nouveau départ » n'est pas un dispositif qui repose sur la notion d'hébergement, il ne pourrait être inclus que s'il est vraiment nécessaire. Je ne m'avance pas trop à ce stade car tout cela est en train d'être finalisé par les services et il faudra notamment que nous déterminions l'opérateur qui constituera un guichet unique. Enfin, il y aura une expérimentation sur plusieurs territoires avant la généralisation.

J'ai échangé avec la sénatrice Valérie Létard au sujet de sa proposition de loi. Elle a mené un travail très intéressant dans son département du Nord, qu'elle va prochainement assortir d'une expérimentation. Ce que je souhaite vraiment, c'est que l'Assemblée des départements de France (ADF) ou au moins plusieurs départements puissent être mis dans la boucle.

Mme Annick Billon, présidente. - La sénatrice Valérie Létard va en effet mettre en place cette expérimentation dans son département mais dans la mesure où il y a une proposition de loi en cours, vous savez que les expérimentations ont en général vocation à être ultérieurement gravées dans le marbre. Vous pourriez peut-être soutenir ou porter un texte qui en reprendrait les caractéristiques.

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée. - Il faudra d'abord s'assurer de l'accessibilité du dispositif.

Monsieur le Sénateur Brisson, je suis plutôt favorable à la mise en place d'une justice spécialisée et c'est là, en effet, mon expérience de magistrate qui parle. L'enjeu, très concrètement, est de concilier proximité et spécialisation, et c'est cela qui sera le plus complexe à définir. Je n'irai pas plus loin en raison de la mission en cours.

S'agissant du recentrage des aides, je n'entends pas être autoritaire en quoi que ce soit et changer de cap politique. Il n'y a donc pas de recentrage particulier.

J'entends vos remarques sur l'éducation à la vie sexuelle et affective. Le sujet est davantage de la compétence du ministre de l'éducation nationale, mais ce qui est sûr, c'est que nous discutons et travaillons en interministériel pour trouver les meilleurs moyens de rendre effective cette loi. Je peux seulement vous dire que le ministère de l'éducation nationale travaille sur un vademecum de l'éducation à la vie sexuelle et affective qui sera sans doute prochainement transmis au recteur et que nous pourrons très prochainement nous exprimer ensemble sur cette question.

Monsieur le Sénateur Bourgi, s'agissant des grands réseaux associatifs, il faut tout de même reconnaître qu'ils ont aussi une vocation à dispenser de la formation à leurs équipes, ainsi que de la coordination. Leurs aides peuvent paraître importantes, mais elles garantissent la qualité du travail qui est ensuite mené dans les associations qui dépendent de leur réseau sur le plan local. Néanmoins, je suis prête à retravailler sur ces sujets, tout en rappelant que les crédits déconcentrés représentent tout de même 80 % du programme 137. Les crédits sont bien gérés avec les associations locales au niveau territorial.

Je n'ai pas de mots au sujet des faits que vous rapportez s'agissant de ce fonctionnaire de police mais je rappellerai les importants efforts qui ont été faits avec la formation de près de 160 000 policiers et gendarmes. Je sais que le ministre de l'intérieur est très attentif à ces questions.

La délégation interministérielle d'aide aux victimes (DAV) existe toujours et dans chaque parquet se trouve un référent « violences intrafamiliales », de même qu'au ministère de l'intérieur, au niveau des préfectures. Simplement, ces postes ne sont pas fléchés, et il y aura peut-être quelque chose à faire pour mieux les identifier...

M. Hussein Bourgi. - Cela ne reflète pas mon expérience ! Les postes sont parfois vacants depuis plusieurs années.

Mme Annick Billon, présidente. - Cher collègue, s'il y a une exception dans votre département, je suggère que vous échangiez directement avec la ministre sur ce sujet.

Madame la Ministre, puisque vous avez répondu aux nombreuses questions de nos collègues, un dernier point sur les Maisons de protection des familles (MPF). Tous les départements sont-ils aujourd'hui couverts, y compris les territoires ultramarins ?

Une remarque également sur les séances d'éducation à la vie sexuelle et affective. Comme l'a dit notre collègue, il y a sans doute des pistes à explorer sur le lieu approprié pour cette éducation et la manière de l'entreprendre. Je soulignerais pour ma part que notre travail sur la pornographie nous a confrontés à des témoignages de collégiens de 15 ans à qui on explique l'anatomie alors qu'ils regardent des films pornos depuis l'âge de 9 ans. Il faut donc adapter le contenu des formations au public visé, ce qui sollicitera votre ministère.

Mme Isabelle Lonvis-Rome, ministre déléguée. - De mémoire, il me semble qu'il y a aujourd'hui 90 MPF.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous propose de nous faire parvenir une cartographie de celles-ci. J'en ai moi-même inauguré deux, dans la Vienne et en Vendée, et je suppose que mes collègues ont fait de même. S'agissant de l'éducation, nous aurons l'occasion d'en reparler. Je vous remercie sincèrement, Madame la Ministre, pour votre venue ce matin ainsi que pour la disponibilité dont vous avez fait preuve, puisque nous nous sommes vus très régulièrement depuis votre nomination. Ces échanges concrets et pragmatiques sont importants pour les sénateurs et sénatrices autour de la table, et je les engage tous à solliciter vos services en direct lorsqu'il y a des questions particulières sur leur département.