Mercredi 28 septembre 2022

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 00.

Rencontre nationale des communes nouvelles sur le thème : Communes nouvelles : pour un nouveau souffle

Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales et sénatrice d'Ille-et-Vilaine. - Je suis très honorée, monsieur le président du Sénat, que vous ayez souhaité accorder votre haut patronage à cette réunion sur les communes nouvelles - cette pépite législative. Vous aviez conduit il y a deux ans un groupe de travail oecuménique au Sénat pour réfléchir à la meilleure manière d'organiser notre territoire à travers cinquante propositions en faveur des libertés locales. La commune nouvelle est l'exemple même de cette liberté locale dont les élus peuvent se saisir.

M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Mon plaisir de vous accueillir au Sénat est sincère. Chère Françoise Gatel, merci pour cette initiative ; chacun sait que la commune nouvelle a une place particulière dans votre coeur. Cher David Lisnard, vous êtes le président de l'Association des maires de France (AMF) : le Sénat est la maison des maires, elle est donc votre maison. Vous diffuserez en avant-première aujourd'hui le « panorama des communes nouvelles ». Vous avez fait le choix d'intituler cette rencontre : « pour un nouveau souffle » ; il faut effectivement redonner un nouvel élan au mouvement qui a regroupé 2 600 communes au sein de 787 communes nouvelles.

Ce chiffre semble stabilisé, mais un constat s'impose : celui d'une concentration sur le quart nord-ouest de notre pays, une quinzaine de départements recensant plus de la moitié de ces créations.

Ce mouvement a été qualifié de « révolution silencieuse » dans un rapport d'information que vous aviez rendu en 2016, chère Françoise Gatel, avec notre ancien collègue Christian Manable. Elle ne concerne pas moins de 2,5 millions de nos compatriotes. Révolution silencieuse, mouvement en douceur... cela semble antinomique. C'est pourtant ce qu'a enclenché la loi du 16 décembre 2010. Cher Jacques Pélissard, il s'agissait alors de donner aux élus locaux la possibilité de constituer ou de consolider de véritables pôles de vie ruraux ou urbains dotés de leur projet, tout en conservant leur identité ; il s'agissait aussi de réinsuffler de la proximité dans certaines des plus grandes intercommunalités ; il s'agissait d'ouvrir une possibilité et non d'imposer.

Ce dernier terme est essentiel pour moi, mais aussi, je pense, pour l'AMF.

Cette loi est vertueuse, car elle repose sur le libre choix des élus locaux. Cette condition de liberté est essentielle. L'AMF a fait de longue date le choix d'accompagner cette démarche, mais elle a toujours oeuvré pour qu'elle soit volontaire, en lien avec les populations. Lorsque cela n'a pas été le cas, il y a eu de très grosses difficultés, voire des échecs, comme dans mon département.

Cette double condition est essentielle, car les Français se reconnaissent d'abord dans leur identité communale : c'est dans la commune que s'incarne la République. C'est pourquoi il est important de pouvoir conserver des maires délégués.

Vous allez revenir ce matin sur les expériences concrètes de constitution d'une commune nouvelle. C'est un travail souvent difficile, notamment en matière d'harmonisation fiscale. Il faut peut-être adapter le processus au contexte actuel, fait de tensions sur les ressources financières locales. Je sais que la question des relations avec les autres niveaux de collectivités et l'État sera aussi posée lors de vos tables rondes.

Je vous souhaite une excellente matinée de travail : vos témoignages et vos préconisations nous intéressent ! Elles doivent nous guider vers plus de différenciation et d'adaptabilité.

Françoise Gatel citait les cinquante propositions pour le plein exercice des libertés locales ; le 17 octobre, j'installerai un groupe de travail pluraliste - oecuménique, dirait Françoise Gatel -, dont elle sera l'un des corapporteurs.

Ce sera l'occasion d'examiner ce que sont devenues ces cinquante propositions - certaines ont en effet trouvé une traduction législative, notamment dans la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) -, pour assouplir, entre autres, le fonctionnement de l'intercommunalité.

Nous devons aller plus loin. La décentralisation me semble être le principal remède à la crise de confiance que nous vivons, qui prend notamment la forme d'une abstention toujours en hausse.

Les communes nouvelles apportent précisément une réponse différenciée à des problématiques locales ; elles permettent de conserver un échelon de proximité tout en mutualisant les compétences et les projets. Leur réussite repose également sur une concertation avec les populations et la recherche d'un large consensus.

Nous publierons un rapport d'étape à la fin de l'année et finirons nos travaux quand le printemps pointera son nez. Lorsque la grande loi de décentralisation qui nous est annoncée sera présentée, nous serons prêts ! (Applaudissements)

M. David Lisnard, président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Monsieur le président du Sénat, merci de cet accueil, de votre présence, de votre philosophie de l'action locale, et de faire plus que jamais du Sénat la grande chambre des communes de France. L'AMF représente toutes les communes, urbaines comme rurales, communes qui ont leurs représentants ici, au Sénat.

Je veux rendre hommage à Françoise Gatel : dès que j'ai eu l'honneur d'être choisi par mes pairs comme président, son intelligence et sa pugnacité m'ont accompagné. C'est une ardente combattante des communes, cet échelon de responsabilité, donc de liberté. Merci de porter ce combat pour une certaine idée de la France que nous partageons tous, au-delà des clivages partisans.

Je salue Jacques Pélissard. C'est lui, le coupable ! (Sourires) et doublement : d'abord parce qu'il m'a fait confiance en faisant de moi son directeur de cabinet ; je garde de cette époque « Une nouvelle énergie »... (Sourires) Mais surtout parce qu'il est le père des communes nouvelles, de cette révolution silencieuse. Comme toujours, son action était dictée non pas par le désir de prendre la lumière, mais par le souci de la précision au service de la République. Celle-ci doit reconnaître le mérite de personnalités comme la sienne, non pas des praticiens du coup politicien, mais des fabricants de l'intérêt général. (Applaudissements)

Je salue tous les sénateurs présents. La relation entre le sénateur et le maire mêle amour et intérêt, mais c'est ce qui fait les mariages les plus solides ! (Sourires)

Je salue enfin Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou, qui, lui aussi, accompagne les communes nouvelles avec beaucoup de passion, ainsi que Paul Carrère et Jean Marc Vasse.

Révolution silencieuse est peut-être un oxymore, mais la commune nouvelle est une exception dans le paysage institutionnel. Depuis 1907, nous sommes partisans des libertés locales : l'AMF a été inventée pour les défendre, selon un principe qui a valeur constitutionnelle, la subsidiarité. Contrairement à ce que l'on croit parfois, il ne s'agit pas d'un principe technocratique ; il est issu du Thomisme et de la démocratie chrétienne, selon lesquels chaque individu doit être responsable de son destin et chaque collectivité doit régler ses problèmes elle-même, mutualisant ce qui doit l'être.

C'est une approche très différente de l'approche verticale, centralisée ; elle n'est pas top down, mais bottom up, ascendante. Elle consiste à dire qu'il n'y a pas de responsabilité sans liberté d'action et que tout ce qui entrave celle-ci - schémas directeurs, prélèvements, non-indexation des dotations, prélèvements financiers de l'État sur nos capacités d'action - se fait au détriment de l'intérêt général et de la performance publique.

La commune nouvelle, c'est tout le contraire : au lieu de se voir imposer un schéma technocratique, partant d'une croyance erronée selon laquelle les grands ensembles sont toujours plus pertinents que les échelons de proximité, elle repose sur l'idée que ce qui fonctionne, c'est ce qui correspond à une volonté du terrain de mutualiser sans s'éloigner. C'est la vision qui a guidé l'émergence de la commune nouvelle et que nous devons promouvoir. Oui, monsieur le président, la solution est dans la décentralisation, dans la subsidiarité, dans la liberté et donc dans la responsabilité locale.

J'entends parfois parler des 36 000 communes de France. Je rectifie toujours : il y en a désormais 34 955, grâce aux communes nouvelles. Rien n'est parfait ; il y a parfois des tensions, qui souvent dépendent de la nature humaine, mais c'est la même chose dans nos communes !

La philosophie des communes nouvelles est bonne : elle permet de stimuler une identité locale conforme à l'histoire du terroir, mais qui se projette dans le XXIe siècle. Nous avons un rôle central à jouer pour stimuler l'évolution des communes nouvelles existantes et en faire émerger de nouvelles, mais aussi la création de communes-communautés. Cette idée originale permet en effet de dépasser le clivage entre grands ensembles et fait communal, pour que cesse la dépossession du pouvoir des maires en fusionnant les compétences municipales et intercommunales au sein d'un établissement nouveau qui respecte la réalité géographique et historique de chaque entité, sans la travestir.

La réussite de cette entreprise repose sur le volontariat et la définition d'un projet de territoire, et ne peut avoir pour seule justification la bonification financière initiale. Pour autant, elle ne saurait avoir pour conséquence une perte de moyens.

Quels que soient les rapports publiés - y compris celui de l'inspection générale de l'administration (IGA) -, nous devons nous opposer à une bureaucratisation des communes nouvelles. Veillons à ce que le Léviathan de ceux qui croient savoir mieux que les acteurs du terrain ne nous conduise pas à une schématisation, à la création de comités ad hoc obligatoires, de machins qui consomment du temps, de l'énergie et qui nous éloignent des résultats concrets. Nous garderons notre indépendance pour que les communes nouvelles ne deviennent pas un bidule de plus.

M. Gérard Larcher, président du Sénat. - Nous aussi !

M. David Lisnard. - Il faut accorder plus de souplesse aux communes nouvelles pour mieux prendre en compte la superficie et le nombre de communes regroupées sans tomber sous le coup d'effets de seuil, notamment concernant la dotation de solidarité rurale (DSR) ou les gens du voyage.

Il faut mettre fin aux atermoiements financiers qui ralentissent depuis 2020 l'émergence de communes nouvelles. Celles-ci ne doivent jamais être perdantes en termes de dotations. Il faut renforcer les incitations financières pendant les trois premières années pour susciter les vocations et protéger durablement les communes nouvelles contre les pertes de dotations, en établissant ce principe simple : en aucun cas elles ne doivent percevoir une dotation générale de fonctionnement (DGF) inférieure à celle que percevaient leurs communes fondatrices.

Il faut enfin catalyser les communes-communautés à travers un travail pédagogique dont l'AMF doit s'emparer. Merci à tous de votre mobilisation, y compris en visioconférence. La commune nouvelle, c'est l'avenir d'une performance publique qui concilie le respect des contribuables, le service aux usagers et le sentiment d'appartenance. Cela passe par la décentralisation, la subsidiarité, la proximité - par la responsabilité, et donc par la liberté. (Applaudissements)

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je suis heureuse que nous nous rejoignions sur l'enjeu qui nous rassemble aujourd'hui : inventer des possibles pour réconcilier nos concitoyens avec l'action publique et l'efficacité jusqu'au dernier kilomètre. La commune nouvelle est une réponse dont les élus et territoires peuvent se saisir. Le Sénat est le défenseur du sens de la responsabilité des élus locaux et de la confiance entre, d'une part, le législateur, l'État, et, d'autre part, des élus locaux « à portée d'engueulade », compétents non seulement pour gérer le présent, mais aussi pour construire l'avenir, car ils sont aussi des entrepreneurs de territoire.

Cette rencontre est l'occasion de pratiquer un exercice peu commun en France, celui de l'évaluation, à laquelle le Sénat et son président sont très attachés. Cela implique de répondre à plusieurs questions. La commune nouvelle a-t-elle renforcé la capacité des territoires en conjuguant proximité et efficacité ? Parvient-elle à inscrire son action dans un véritable projet de territoire sans gommer l'identité des communes ? Le cadre législatif permet-il de faire face à des situations très différentes d'un département à l'autre ? Face à l'hétérogénéité de la taille des communes selon les départements, la différenciation est la clé, comme l'a dit le président du Sénat.

Le vent de la commune nouvelle s'est un peu assagi. Quels enseignements doit-on tirer de cette expérience ? Nous sommes passés de 36 000 à moins de 35 000 communes - ce n'est pas rien, lorsqu'on connaît l'importance du fait communal en France. Jacques Pélissard n'a jamais dit que la France serait plus performante avec moins de communes ; son objectif était au contraire de muscler la commune. Les esprits chagrins qui jugent l'expérience décevante sont plus des théoriciens que des pratiquants. Car il faut reconnaître que la commune nouvelle, c'est toute une aventure, une aventure humaine qui peut être compliquée...

Les élus sont aujourd'hui préoccupés par la Covid, par la hausse des coûts de l'énergie ; il est normal qu'ils prennent le temps de la réflexion. Les préfets devraient aussi s'assurer de la diffusion des lois et notamment du dispositif sur les communes nouvelles. Agnès Canayer et Eric Kerrouche, dans le rapport sur les services déconcentrés de l'État qu'ils nous présenteront demain, indiquent que les trois quarts des élus ne connaissent pas les nouvelles lois. Il faut dire que la boulimie législative n'aide pas.

La création d'une commune nouvelle ne doit pas avoir d'impact négatif. La commune ne doit pas être soumise, en raison d'un effet de seuil, à des obligations en matière d'accueil des gens du voyage ou de logement social, alors que la réalité reste celle d'un territoire rural.

J'ai lu un rapport écrit par des gens très brillants... Mais je l'affirme encore une fois ici : la commune nouvelle ne peut être imposée ni par la loi ni par une commission territoriale. Ce doit être un chemin que des élus choisissent d'emprunter, même s'il faut les accompagner. Nous avons vu, avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), ce que pouvaient provoquer de brillants esprits qui ont soudainement considéré qu'une intercommunalité n'était efficace qu'à partir de 15 000 habitants, après nous avoir dit qu'elle l'était à partir de 5 000 habitants. Un seuil n'a jamais fait l'affectio societatis ou la performance. Or la commune nouvelle est un mariage de raison, mais aussi d'affection.

Les moins réveillés dans ce pays ont vu que, pendant les crises, l'intelligence territoriale était la clé de la réussite.

La commune nouvelle est un chemin compliqué. Pour l'avoir parcouru, j'en mesure la difficulté.

Les gens disent toujours : je suis de telle commune. Même si parfois nous n'y restons pas longtemps, la commune est un ancrage.

Cette rencontre est divisée en deux séquences présentées par M. Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info. La première sera consacrée à la démocratie, car là où la commune nouvelle s'est faite sans engager les habitants, elle ne fonctionne pas. La deuxième pose la question : quel nouvel élan pour les communes nouvelles ?

J'aimerais partager avec vous quelques mots du poète Lamartine, qui m'avaient aidée lorsque, à Châteaugiron, nous avions fusionné trois communes en une commune nouvelle. Les gens nous demandaient pourquoi nous nous lancions dans cette aventure ; je leur répondais : « Je lis dans l'avenir la raison du présent ». C'est pour l'avenir que nous bouleversions ainsi le présent.

Dans Le Guépard, il est dit : « Il faut que tout change pour que rien ne change. » Je dirais : il faut que tout change pour que le coeur de la commune continue de battre pour le meilleur. (Applaudissements)

DÉMOCRATIE : FAIRE VIVRE LA COMMUNE NOUVELLE

M. Franck Lemarc, rédacteur en chef de Maire-Info. - Nous nous retrouvons pour cette septième rencontre nationale des communes nouvelles ; cela fait donc sept ans que l'AMF fait le bilan de ce mouvement, qui connaît certes un net ralentissement. C'est pourquoi nous discutons des pistes afin de lui donner un nouveau souffle. Je salue les quatre-vingts personnes qui nous suivent en visioconférence.

Chaque séquence sera suivie d'une séance de questions-réponses - questions écrites pour les personnes en visioconférence. M. Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou, dans le Maine-et-Loire, introduira cette première séquence.

M. Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou. - Certains pourraient croire que commune nouvelle ne rime pas avec démocratie ; on ne fait pourtant pas une commune nouvelle contre, mais pour. L'objectif de tout maire d'une commune nouvelle est donc la participation des habitants.

Celle de Baugé-en-Anjou a été votée en mars 2012 : nous avons donc dix ans de recul. Expliquer aux habitants ce qu'était une commune nouvelle a été un challenge. Mais depuis, il y a eu la Covid et un incendie qui a touché 1 600 hectares. Les habitants savent maintenant ce que c'est : ils savent que la commune nouvelle permet de mutualiser les moyens et d'aider les petites - celle qui a été frappée par l'incendie ne compte que 250 habitants. C'est dans ces moments difficiles que la commune nouvelle prend tout son sens. Sans elle, il aurait été difficile de s'en sortir.

J'ai été déçu par le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), qui parle d'un bilan décevant. Avant la commune nouvelle, il y avait pourtant un dispositif, celui de la loi Marcellin : pour quel bilan ? (Sourires) La commune nouvelle a dépassé le stade de ces regroupements, même s'il est clair que nous avons besoin d'un deuxième souffle. Face aux crises financière, énergétique, écologique, que pourra faire une petite commune seule ?

J'avais réagi très vivement à l'idée de créer une obligation de référendum. Lorsque nous lançons un tel projet, nous consultons forcément la population en amont. Il faut en effet gommer les différences, expliquer que les privilégiés doivent faire des concessions. La solidarité s'exprime ensuite à l'épreuve des grands défis.

M. Franck Lemarc. - Mme Christine Blanchet, vous êtes maire de Loireauxence, en Loire-Atlantique, une commune nouvelle qui a fusionné quatre communes le 1er janvier 2016 sans associer la population. La nouvelle équipe municipale, arrivée en 2020, a fait, elle, le choix d'associer plus étroitement les habitants.

Mme Christine Blanchet, maire de Loireauxence. - J'ai la chance d'être maire de la plus belle des communes de France, bordée au sud par la Loire et au nord par l'Auxence, dans l'est de la Loire-Atlantique. En 2014, j'étais maire de la plus petite commune ayant fusionné au sein d'une commune nouvelle créée très rapidement, sans projet de territoire et sans consultation des habitants. J'avais alerté sur ce manque, mais le territoire correspondait à un bassin de vie...

Dans notre programme électoral, en 2022, nous avons réaffirmé notre attachement à la démocratie participative, complémentaire de la démocratie représentative, et avons mis en place des ateliers au cours desquels les citoyens ont soulevé l'enjeu de l'identité de la commune nouvelle. Élus, nous avons mis en place un conseil de participation citoyenne et lancé l'élaboration d'un projet de territoire qui permette une vision à long terme au-delà des quatre projets communaux. La commune a été retenue dans les Petites villes de demain et dans l'appel à manifestation d'intérêt (AMI) centres-bourgs du conseil départemental, ce qui nous a permis de recruter un chef de projet.

Au début de l'année 2022, nous avons souhaité être accompagnés dans cette réflexion sur l'identité et sa traduction dans le projet de territoire avec la participation des habitants.

Nous avons d'abord bénéficié, via Bruded, un réseau d'élus en Bretagne, de l'expérience de trois communes de Bretagne, dont Jugon-les-Lacs ; nous nous sommes ainsi inspirés de son cahier des charges autour de trois grandes questions : comment entendre la majorité silencieuse parmi les habitants, mais aussi les acteurs extérieurs, les agents et les élus ? Qu'est-ce que la commune nouvelle aujourd'hui et que voulons-nous qu'elle devienne ? Quelle est la plus-value de la commune nouvelle pour vous ?

Plusieurs prestataires ont répondu et nous avons retenu Le Facteur urbain pour l'aménagement, la transformation des territoires et la concertation, et Incipit pour le marketing territorial. Nous avons lancé des temps forts de rencontre avec les habitants, des questionnaires en ligne pour ceux qui ne se seraient pas déplacés et organisé une restitution début juillet.

D'après les prestataires, nous avons atteint le seuil exploitable pour que les résultats soient représentatifs ; ceux-ci étaient très convergents. Cette démarche nous engage, car 160 habitants ont demandé à être associés à la suite. Nos 150 associations devraient nous aider à créer notre identité par des projets à venir. Nous avons créé une carte de notre commune, qui n'existait pas. Les habitants ont identifié six politiques publiques qui donneront lieu à des instances participatives. Nous avons choisi un fil rouge d'identité, le lien, que nous déclinerons sur plusieurs projets à débattre au conseil citoyen comme la création d'un slogan et d'un label.

Autre enseignement, 53 % des habitants voient une plus-value à la commune nouvelle et 47 % craignent une perte de proximité. C'est pourquoi nous avons souhaité conserver des maires délégués. Nous sommes en effet passés de 76 à 33 élus, dont seulement 5 pour la plus petite commune. Nos bourgs sont distants de 10 kilomètres. Nous appelons les maires délégués « adjoints de territoires » afin d'en faire les garants de la cohérence des politiques menées par les adjoints de pôles dans les communes déléguées.

C'est une gouvernance exigeante qui nécessite de l'huile dans les rouages. Cela se traduit par des projets de territoires qui déterminent les équipements et les services dont nous avons besoin dans chaque commune déléguée.

Les maires adjoints de territoires sont associés aux conseils communaux et je les rencontre régulièrement.

Je suis aussi vice-présidente d'une intercommunalité. N'oublions pas, lorsque nous parlons du bloc communal, que la commune nouvelle en fait partie.

M. Franck Lemarc. - La parole est maintenant à M. Cédric Haxaire, maire de Thaon-les-Vosges, commune nouvelle qui rassemble 9 100 habitants et trois communes déléguées depuis le 1er janvier 2016, et qui a organisé une consultation des habitants pour changer le nom de la commune nouvelle.

M. Cédric Haxaire, maire de Thaon-les-Vosges. - Je n'ai pas lu le rapport de l'IGA - visiblement, ce n'était pas la peine de le faire ! Je viens d'un département où la commune nouvelle n'est pas en vogue. Le président Poncelet m'avait dit, un jour : une église, un village ; un village, une église.

J'ai battu le maire qui avait mis en place la commune nouvelle sans la moindre consultation. Il n'est pas obligatoire d'organiser un référendum, mais il faut bien discuter du projet avant. Ce maire avait eu la triste idée d'appeler la commune nouvelle « Capavenir Vosges ». Quand vous déterritorialisez à ce point, cela ne peut que susciter de vives tensions. C'est sans doute, entre autres choses, ce qui m'a valu mon élection.

Nous avons la chance d'être en immédiate proximité : la commune nouvelle ne fait que 25 kilomètres carrés. À cette échelle, le rôle des maires délégués devra être questionné au prochain mandat. Si vous avez un bon périmètre, si vous n'oubliez pas les communes déléguées et que vous leur apportez de nouveaux services, les maires délégués ne sont plus indispensables.

Les résultats du référendum tenu le 8 novembre ont été surprenants : plus la commune déléguée était petite, plus les habitants étaient favorables à la commune nouvelle. Le petit village de 180 habitants a voté pour à 95 %, le village de 1 000 habitants à 85 % et la commune principale à 75 %. Les habitants ont vu les avantages du regroupement en termes de fiscalité, d'équipements, de politique d'assainissement et d'eau potable : il ne faut pas avoir peur de la population lorsqu'on conduit ce genre de projets.

Le regroupement s'est fait sur un axe est-ouest alors que la logique territoriale de notre vallée est nord-sud. Il est donc essentiel que des communes au nord et au sud de la nôtre nous rejoignent.

La DGF a diminué, car la population a elle aussi baissé C'est regrettable, car si on se regroupe, c'est qu'on est en difficulté.

Je suis confronté à un autre problème : celui de la centralité. Ma commune est jugée trop proche d'Épinal, à dix kilomètres, pour être reconnue comme bourg-centre ou bénéficier des programmes Action coeur de ville ou Petites villes de demain, alors qu'elle est un bourg-centre, puisqu'une commune nouvelle est forcément équivalente à un bassin de vie. L'État devrait soutenir le choix courageux des élus, à l'origine d'activités qui auraient été perdues sans la création de cette commune nouvelle.

M. Franck Lemarc. - Quel est le rôle des comités de proximité mis en place dans les quartiers de la commune nouvelle ?

M. Cédric Haxaire. - Les conseils communaux n'étant pas pertinents à notre échelle, nous avons mis en place des comités de proximité, auxquels toute la population est conviée quatre fois par an. Ils sont animés par le maire délégué en présence du maire de la commune. On y aborde les chats écrasés et autres panneaux manquants.

M. Franck Lemarc. - Nous accueillons, en visioconférence, M. Eric Moisan, maire de Jugon-les-Lacs-Commune-Nouvelle, dans les Côtes-d'Armor, qui compte 2 500 habitants et a été créée le 1er janvier 2016 à partir de deux communes.

Parlez-nous des concertations qui ont été menées sur votre territoire. Le terme même de « commune nouvelle » figure dans le nom de la nouvelle commune, ce qui a été un sujet de discussion avec les habitants.

M. Eric Moisan, maire de Jugon-les-Lacs-Commune Nouvelle. - Nous avons créé la commune nouvelle le 1er janvier 2016. J'étais maire de la plus petite commune.

Nous avons engagé la réflexion à l'échelle de la communauté de communes, qui regroupe six communes. Très rapidement, nous nous sommes retrouvés à discuter à quatre, puis à trois, et finalement, nous n'avons créé la commune nouvelle qu'à deux. On n'est pas maire pour avoir une place mais pour réfléchir à l'avenir du territoire.

Quand on crée une commune nouvelle, les deux points à trancher dès le départ sont : qui sera le maire et quel sera le nom de la commune ?

Dans notre cas, les discussions se sont toujours bien passées entre les deux communes. La population n'a été associée que lors de deux réunions publiques, ainsi que par des communications dans le bulletin municipal.

Le choix du nom de la nouvelle commune a failli faire échouer les discussions. Les élus de Jugon-les-Lacs souhaitaient conserver ce nom mais nous, issus de la petite commune de Dolo, voulions que le nom soit modifié, même si Jugon-les-Lacs bénéficiait d'une notoriété touristique qu'il ne s'agissait pas d'effacer. À l'issue des discussions, le nom de Jugon-les-Lacs-Commune-Nouvelle a été retenu. Lors des dernières élections municipales, les électeurs m'ont choisi, moi qui ai porté haut et fort la création de la commune nouvelle. Pour autant, le nouveau nom n'est pas joli, il est long et problématique. Nous avons donc décidé de lancer une consultation dans le bulletin municipal sur le retrait des termes « Commune Nouvelle ». Sur les 2 500 habitants de la nouvelle commune, soit 1 200 foyers environ, nous avons obtenu un peu plus de 200 réponses. À 99 %, les habitants nous demandaient de retirer ce terme. Nous avons pris une délibération en ce sens ; c'est désormais au ministère de l'Intérieur de trancher.

Le choix de créer la commune nouvelle a été discuté au sein des conseils municipaux, mais nous n'avons pas organisé de référendum. Petite commune de 600 habitants, nous en rejoignions une autre de 1 800 habitants, chef-lieu de canton. Il y avait une petite appréhension, même s'il y avait déjà des coopérations. Les services techniques travaillaient déjà un peu ensemble.

Au cours de ce nouveau mandat, nous avons considéré que faire territoire ensemble ne se décrétait pas, mais se construisait. Jugon-les-Lacs est déjà issu du regroupement de trois petites communes en 1973 et il existe encore plusieurs comités des fêtes, et plusieurs localités dans l'esprit des gens. Ce n'est pas un problème en soi, mais nous voulions éviter de garder les petites différences. C'est pourquoi nous avons décidé de travailler sur l'identité de la commune, avec un cabinet, pour mettre en avant ce qui nous unit et ce que nous voulons faire savoir de nous.

Des enquêtes auprès de la population et des rencontres sur le marché ont été organisées. Il est apparu que des actions devaient être menées dans les domaines des services, du commerce, du tourisme et de la vie associative et culturelle, mais qu'il fallait également travailler sur l'identité de la commune en tant que telle. Nous avons recruté un cabinet pour définir un logo commun, réaliser la refonte totale de la signalétique, mais surtout élaborer une grille de lecture de nos actions publiques, que l'on peut transmettre aux associations et aux entreprises. Dès que l'on choisit une politique, on vérifie que les décisions correspondent à cette grille de lecture, qui met en avant l'identité de la commune que nous souhaitons défendre.

Après avoir décidé la création de cette commune nouvelle, nous avons associé bien davantage les citoyens à sa construction. Nous avons eu la chance d'être retenus par le programme Petites villes de demain, grâce auquel nous travaillons sur les commerces et services de proximité en enquêtant auprès de nos concitoyens.

Lors de la création d'une commune nouvelle, la question de l'aménagement du territoire se pose clairement. On a quatre bourgs, quatre cimetières et quatre terrains de football. Quel doit être le lien entre les bourgs ? Nous avons entamé toute une réflexion sur les mobilités douces reliant les quatre bourgs historiques.

M. Franck Lemarc. - L'association de la population peut donc être faite en amont ou en aval du projet.

Nous allons écouter un dernier témoignage, celui de M. Thomas Janvier, maire de Maen Roch, 5 000 habitants, commune nouvelle créée le 1er janvier 2017 à partir de deux communes.

M. Thomas Janvier, maire de Maen Roch. - Merci, d'abord, à Françoise Gatel, qui a accompagné le regroupement de nos communes.

J'ai la chance d'avoir été le premier maire de la commune nouvelle et d'avoir essuyé les plâtres !

Maen Roch est issue de la fusion de deux communes historiques et compte 5 100 habitants aujourd'hui. Elle est la déclinaison naturelle d'un bassin de vie et d'emploi. Avant de se lancer dans l'aventure considérable de la commune nouvelle, il faut se poser la question de la cohérence du bassin.

Dès le mois d'avril 2015, juste après le vote de la loi de M. Pélissard, la discussion a été engagée. Quelques mois plus tard, nous avons concrétisé le projet.

Nous avons fait une fusion par l'action, avec l'acquisition d'équipements communs pour les services techniques et des recrutements conjoints. Nous avons ainsi mis les agents au travail ensemble.

Les élus se sont emparés de la question de façon très participative, en constituant sept groupes de travail thématiques. Cela a permis à chacun de s'apprécier. Ce travail de plus de six mois a abouti, le 20 juin 2016, à une délibération conjointe, à l'unanimité, des deux conseils municipaux, sous la forme d'une charte de gouvernance. Celle-ci comprenait un règlement intérieur et bordait la future commune nouvelle.

Le 29 août 2016, l'arrêté préfectoral a validé la commune nouvelle, devenue pleine et entière le 1er janvier 2017.

Notre travail intense de maturation politique a permis de lever les doutes des élus.

Il est très compliqué de ne pas impliquer la population dans ce changement de nom, de périmètre et de pratiques. Nous avons la chance de bénéficier d'une expérience citoyenne précédente. Généralement, les clubs de football sont antagonistes. Chez nous, les clubs de football étaient fusionnés depuis 2001.

Dès que le processus a été lancé, nous avons consulté la population sur le nouveau nom. Nous avons laissé trois mois aux habitants pour effectuer cette maturation intellectuelle. Nous avons reçu plus d'une dizaine de propositions, pas toutes sérieuses. Les deux conseils municipaux en ont retenu trois. Le 22 avril 2016, nous avons organisé une réunion publique, à laquelle Mme Gatel était présente, réunissant les conseils municipaux et la population. La question du référendum a été posée. Nous avons choisi de ne pas en organiser, étant donné qu'il y avait accord des deux conseils municipaux à l'unanimité. Lors de cette réunion publique, nous avons présenté les trois noms et avons invité la population à participer à une consultation citoyenne de plus d'une semaine. Nous avons également recueilli l'avis des collégiens. Tout cela nous a permis de valider le nom de Maen Roch en conseil municipal.

Après cette première partie très importante est venu l'accompagnement des services et des élus. Un cabinet a diagnostiqué les risques psychosociaux au sein de l'administration. Nous voulions que les agents se sentent bien dans la commune nouvelle, car ce sont ses premiers promoteurs auprès de la population.

Il faut faire vivre la commune nouvelle au quotidien. Nous avons mis en place un comité consultatif citoyen, composé d'anciens élus et de personnes de la société civile, qui questionne les décisions de la commune.

Nous avons voulu aller plus loin que le logo, afin d'asseoir notre marque de territoire. Nous avons appuyé la nôtre sur notre label « village en poésie ». Nous avons interrogé la population pour savoir ce que cette commune nouvelle représentait. Nous avons mené un gros travail d'analyse et sommes parvenus à : « Osez un bol d'air poétique ». Nous avons tourné un film promotionnel avec la participation des habitants autour de notre nouvelle identité. C'est ce point qui est le plus difficile : l'identité doit être partagée et non capitalisée par les grosses communes.

Il est essentiel de faire vivre la commune nouvelle.

M. Franck Lemarc. - M. Michel Lafont, maire de Thue-et-Mue dans le Calvados, a une question pour Mme Christine Blanchet : les maires délégués ont-ils aussi une mission d'adjoint sur une thématique transversale ? Les indemnités des maires délégués sont-elles identiques à celles des adjoints ?

Mme Christine Blanchet. - Les maires délégués n'ont pas de mission thématique. Lors du précédent mandat, j'étais maire déléguée de la plus petite commune et adjointe à l'éducation, à l'enfance et à la jeunesse, et à mon sens, cela ne fonctionnait pas très bien. Inconsciemment, chaque maire délégué avait tendance à privilégier sa commune déléguée dans la politique dont il était chargé. Cela dit, nos maires délégués ont des appétences particulières et viennent apporter leurs compétences. Mais leur rôle est celui d'un adjoint de territoire, garant de la remontée des besoins.

Les maires délégués, adjoints de territoire, perçoivent les mêmes indemnités que les adjoints de pôle et sont au même niveau.

M. Franck Lemarc. - Mme Aurélie Gigan, maire de Saint-Sauveur-Villages, souhaite recevoir votre cahier des charges, madame Blanchet.

M. Michel Lafont, maire de Thue-et-Mue, demande à M. Eric Moisan s'il a conservé les maires délégués.

M. Eric Moisan. - Les statuts portent toujours mention des communes déléguées, donc des maires délégués, mais c'est purement administratif. La gestion de la commune se fait comme celle d'une commune à part entière. Aujourd'hui, nous nous posons la question de la suppression des communes déléguées.

Chez nous, il n'y a que deux communes et trois kilomètres entre les bourgs.

La notion de commune déléguée est différente s'il y a cinq ou six communes et de grandes distances entre les bourgs.

M. Philippe Chalopin. - Tout est affaire de superficie. Dans le cas de deux communes peu distantes, l'existence de maires délégués complique la situation. En revanche, si le regroupement est plus important - chez moi, il y a quinze communes déléguées sur 26 000 hectares -, le maire délégué est le relais local.

À terme, se posera la question du seuil. Nous avons ainsi un maire délégué pour 52 habitants, issus de la plus petite commune. Avec une telle population, il est compliqué de faire vivre le conseil communal, qui est en fait un conseil de quartier regroupant des élus, des habitants et des représentants d'associations. En revanche, cela a du sens quand il y a mille habitants, à 7 ou 8 kilomètres de la commune centre.

L'enveloppe des indemnités des maires délégués est distincte de celle des adjoints. Quand le nombre d'adjoints est limité, disposer de maires délégués peut être un moyen de trouver un équilibre.

La question de l'efficacité se pose parfois.

Chez nous, un maire délégué est nécessairement président d'une commission thématique, afin de ne pas raisonner uniquement en fonction de sa commune déléguée et de son territoire.

M. Olivier de Cohinout, maire de Sainte-Marguerite-sur-Mer. - Ma commune, en Seine-Maritime, est à la fois rurale et littorale. Se pose la question de l'identité des villages qui constituent la commune nouvelle. Quel est l'intérêt de créer des maires délégués ? Ce qui est important pour les habitants, c'est surtout le nom du village. L'organisation administrative, c'est autre chose.

M. Jean-Marc Vasse, maire de Terres-de-Caux. - Le mot de « village » a été prononcé. Il est important de réaffirmer la distinction entre la commune déléguée, qui est un machin technocratique, et le village, qui est une communauté faite de chair et de pierres. Je suis maire d'une commune nouvelle composée de sept communes déléguées, au sein de laquelle nous parlons de conseil de village et de conseil de bourg. Nous avons maintenu les maires délégués, car nous pensons que l'identification d'une personne dans le village est essentielle pour les habitants. Par ailleurs, chaque maire délégué a une fonction transverse au sein de la commune nouvelle.

Le président Larcher, en Seine-Maritime, nous avait dit qu'il faudrait vingt-cinq ans. Nous devons donc accompagner cette transition pour que génération après génération, chacun s'habitue à la nouvelle institution qu'est la commune nouvelle, sans oublier son village de coeur.

Il faut effectivement associer les plus jeunes, car ce sont eux, dans les équipes de football et les écoles, qui feront cette identité commune.

Mme Françoise Gatel, présidente. - À deux reprises, nous avons entendu les mots de « services » et de « collaborateurs ». Il faut associer la population, mais aussi les services, au sein desquels il y a parfois des peurs. Je pense à l'échec d'une commune nouvelle, simplement parce qu'une directrice générale des services avait peur de ce qu'elle allait devenir.

Il faut entretenir l'amitié et s'apprivoiser. Ce n'est pas parce que la commune nouvelle est créée que la famille est très unie. C'est comme une famille recomposée. Chacun a son histoire, mais il faut aussi construire un chemin commun. Il faut veiller à tisser un lien qui dépasse l'addition d'identités particulières.

Je salue tout particulièrement les élus du pays de Fougères, territoire de granit, dont l'identité est extrêmement forte. La question du nom peut faire capoter la commune nouvelle. Certains élus commencent par se mettre d'accord sur le nom ; d'autres laissent d'abord mûrir avant de parler du nom. Dans ma commune, nous avions choisi le deuxième scénario.

Inventer un nouveau nom neutre, afin de ne faire prévaloir aucune commune, fait courir le risque de perdre son identité. Dans le pays de Fougères, vous avez su trouver un nom qui a du sens.

M. Nicolas Chéré, maire délégué de Saint-Martin-du-Bois. - Maire délégué de Saint-Martin-du-Bois, au sein de la commune de Segré-en-Anjou-Bleu, dans le Maine-et-Loire, je voudrais réaffirmer la position du maire délégué, même si le terme n'est pas forcément adéquat. Pour la population, c'est un sous-maire, dont le rôle n'est pas toujours bien compris, alors qu'il est très important.

M. Philippe Chalopin. - Le manque de statut de maire délégué pose problème. Il en faut un.

M. Paul Carrère, maire de Morcenx-la-Nouvelle. - Ces échanges ont été très intéressants, comme à chaque fois que nous réunissons les maires des communes nouvelles.

Ce matin, nous avons eu l'illustration qu'il y a autant de façons de faire que de communes nouvelles créées. Chacun, dans un contexte particulier, a besoin de travailler et de faire valider son projet.

Ce qui est important, c'est de créer et d'animer. Certains l'ont fait au forceps, d'autres en prenant le temps de créer un projet de territoire. Il ne faut surtout pas déconnecter ce projet de la réalité des citoyens. Leur part est très importante dans la construction, l'identité et la vie de la commune nouvelle.

Dans les Landes, les communes nouvelles n'ont pas encore fait sensation. Mais les deux communes nouvelles du département montrent l'intérêt de la chose, dans un contexte compliqué. Ainsi, nous montrons que les petits villages qui composent nos communes nouvelles ont toute leur part dans les décisions et bénéficient de l'apport de la commune centre.

Il faut travailler le projet de territoire et que chacun s'approprie le nouveau nom sans frustrer les villages originels.

Les maires délégués jouent un rôle dans l'acceptation par les villages. Dans notre commune nouvelle, nous avons la chance qu'ils ne se sentent pas dévalorisés. Les villageois y sont attachés.

Ensuite, il faut trouver sa place dans l'intercommunalité. Chez nous, elle regroupe six communes. Les plus petits villages qui s'agrègent peuvent voir que leur parole est entendue différemment. C'est une réelle valeur ajoutée.

Certains interlocuteurs ont parlé de périodes compliquées, comme les incendies. Les habitants voient très vite qu'en période difficile, la commune nouvelle est un véritable atout.

Nous n'avons pas organisé de référendum, mais lors des élections municipales, la population a largement validé le projet de commune nouvelle. Plus de 72 % des électeurs ont voté dès le premier tour pour la liste le défendant. La population, que nous avions intégrée dans le projet deux ans avant sa signature, s'y est totalement associée. Nous avons fondé notre commune nouvelle sur le regroupement pédagogique et sur la création d'une réserve nationale naturelle, donc de beaux et grands projets appréciés par la population.

Imposer de façon arithmétique et cadencée la création de communes nouvelles ne portera pas ses fruits. Mais nous, élus locaux, devons prendre notre bâton de pèlerin et expliquer les bénéfices de la commune nouvelle à nos collègues.

QUEL NOUVEL ÉLAN POUR LES COMMUNES NOUVELLES ?

M. Franck Lemarc. - Nous passons à la deuxième partie de notre réunion : « Quel nouvel élan pour les communes nouvelles ? »

Monsieur Jacques Pélissard, vous êtes président d'honneur de l'AMF, ancien président de l'association, et avez défendu, avec Mme Christine Pirès-Beaune, la loi de 2015 qui a favorisé l'explosion du nombre de communes nouvelles. Parlez-nous de cette initiative et donnez-nous votre vision de l'avenir des communes nouvelles.

M. Jacques Pélissard, président d'honneur de l'Association des maires de France. - Ma présence ici me rajeunit fortement. Je vois des visages amis, dont celui de Françoise Gatel, qui était vice-présidente de l'AMF en 2013, l'année de gestation des communes nouvelles. À l'époque, j'avais constaté que beaucoup de maires sentaient une désaffection pour la chose communale. En 2014, 60 communes n'ont pas eu le moindre candidat au premier tour des élections municipales. Le déficit démocratique est réel. D'ailleurs, la tendance s'est poursuivie. En 2020, 52 % des communes ont eu autant de candidats que de postes à pourvoir, donc aucune concurrence ni émulation.

Il y avait aussi un déficit financier. La loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 prévoyait une baisse des dotations de 11 milliards d'euros, qui était progressive, mais définitive.

Il y avait un troisième déficit, juridique, avec une imbrication très forte entre les compétences communales et les compétences communautaires pouvant créer un imbroglio. Face à cela, il existait un outil issu de la loi de réforme des collectivités territoriales (RCT) : la commune nouvelle. Mais cet outil était inabouti sur les plans financier et juridique.

J'ai rencontré les ministres de l'époque, Mmes Lebranchu et Escoffier, qui m'ont écouté. Dès la loi de finances pour 2014, nous avons réussi à voter la stabilité de la DGF pour les communes nouvelles. Après la loi du 16 mars 2015, elles ont même connu une hausse de 5 % de la DGF. Mais il fallait aller au-delà sur les plans juridique et institutionnel. Il me paraissait important que les communes historiques restent des lieux de proximité, d'identité et de solidarité.

Nous nous sommes mis à l'oeuvre pour définir la commune nouvelle. Avant le congrès des maires de France de 2013, on me demandait de ne pas en parler, jugeant le sujet casse-gueule. En conscience, j'ai décidé d'en parler. Au lieu des sifflets, j'ai reçu des applaudissements. Avec l'AMF, nous nous sommes lancés dans une épopée parlementaire fabuleuse et rapide. J'ai déposé la proposition de loi au début de l'année 2014. Le Gouvernement a déclaré la procédure d'urgence, c'est-à-dire une seule lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le vote a été unanime en raison du consensus politique et la loi a été promulguée le 16 mars 2015. Il a ensuite fallu la faire vivre. Je remercie tous ceux qui s'en sont fait les porte-parole.

Cette loi préserve l'identité des communes, mais regroupe leurs moyens financiers, humains, techniques, ce qui est une source de vitalité extrêmement importante.

Quelque 767 communes nouvelles ont été créées entre 2016 et 2018, contre seulement 20 communes nouvelles première génération, issues de la loi de décembre 2010. Depuis 2019, nous connaissons une période de pause, puisqu'aucune création de commune nouvelle n'est possible dans l'année précédant les élections municipales. En outre, nous avons ensuite connu la Covid et une année post-électorale.

Des propositions seront formulées tout à l'heure par le professeur Aubelle, spécialiste des communes nouvelles, pour favoriser un rebond des créations.

L'inspection générale de l'administration vient de publier un rapport et de formuler des propositions, dont un schéma départemental des communes nouvelles, document d'orientation territoriale. C'est aux antipodes de notre idée de liberté : liberté de décider de créer une commune nouvelle, liberté de choix du territoire, liberté de seuil. Notre loi ne prévoit pas de seuil ni de schéma prescriptif. La décision, ce sont les maires qui la prennent. Tous les intervenants de la table ronde précédente ont montré la diversité des organisations, adaptées aux territoires. Ce sont les maires qui connaissent les territoires, qui ont l'intelligence des situations et qui peuvent décider de la réorganisation territoriale, grâce à l'outil de la commune nouvelle.

Chers collègues, vous avez été des novateurs, des pionniers, en menant à bien votre expérimentation. Soyez des ambassadeurs convaincus des communes nouvelles, soyez des avocats raisonnés mais passionnés. Merci ! (Applaudissements)

M. Vincent Aubelle, professeur des universités associé, École d'urbanisme de Paris, université Gustave-Eiffel. - Je commencerai mon propos en évoquant un peuple d'Amazonie, les Achuar, avec lesquels vivaient deux ethnologues. Un matin, alors que l'un des deux scientifiques s'étonnait de ne pas avoir été informé de leurs activités, le second lui répliqua que son incompréhension s'expliquait par son esprit de symétrisation, qui le conduisait à utiliser des catégories mentales inadaptées à la situation.

Il en va de même pour les communes nouvelles, qui ne sont pas des stocks, des chiffres, mais bien des singularités. Celles-ci sont avant tout une affaire de chair, d'intime et de vivant. Il faut adopter cette perspective pour les comprendre. Je remercie l'AMF de m'offrir l'occasion de vous présenter ce panorama, composé de deux parties.

La première partie constitue un bilan quantitatif des communes nouvelles. Elle porte également sur une analyse de leur répartition géographique, principalement concentrée à l'ouest du pays, pour des raisons culturelles.

La seconde partie recense un ensemble de quatorze propositions partant du terrain et couvrant une grande variété de sujets. Trois thèmes majeurs apparaissent dans ces propositions.

Premièrement, les communes nouvelles sont avant tout le résultat d'un acte de liberté. Il est inutile d'inventer des commissions pour les imposer, puisqu'elles reposent sur la volonté des élus. Certes, lors de leur création, la majorité des communes nouvelles ne comporte que deux communes. Mais celles-ci évoluent au fil du temps. Parfois, certaines d'entre elles créent une nouvelle entité avec une commune indépendante : j'ai relevé quarante exemples de ce type. Là encore, la liberté des élus est au coeur du processus d'évolution. Même si les communes nouvelles ne représentent que 4,5 % du total des communes, elles sont la concrétisation d'un véritable esprit de décentralisation.

Un peu plus tôt dans la matinée, le président Larcher a évoqué la nécessité d'une nouvelle loi. Pour ma part, je considère que l'État doit se contenter de fixer des bornes, il ne doit pas vouloir tout imposer. Nous devons adopter cette perspective pour renforcer la décentralisation et assumer une différenciation qui ne se résume pas à un droit des exceptions. En 1907, l'AMF avait pour objectif de défendre les libertés locales. En 2022, j'estime que l'AMF doit mener le combat pour étendre ces libertés.

Deuxièmement, la question de l'intercommunalité. Il est impossible de faire entrer des volumes différents dans un contenant identique. Il en va de même pour les structures intercommunales, nécessaires pour dépasser certaines limites des communes. Or avoir réduit l'intercommunalité aux seuls établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) constitue le problème de fond : les communes nouvelles sont les intercommunalités parfaites, puisque tout y est mis en commun. Les périmètres actuels des EPCI sont soit trop vastes pour disposer de réactivité soit trop restreints pour aborder des problèmes tels que le changement climatique. D'où cette proposition : à chaque création de communes nouvelles, il faut mettre en place le régime de l'intercommunalité nouvelle, c'est-à-dire revenir à la base de l'intercommunalité en lui confiant les politiques structurantes, tandis que le reste de l'action publique doit relever de l'échelon communal. Cela dit, les communes peuvent toujours choisir d'adhérer à un EPCI ou de former une commune nouvelle.

Troisièmement, la question des finances. Pierre Bourdieu disait : « quand le monde va pour soi, il va de soi. » Ce qui apparaît comme naturel ne satisfait que ceux à qui cela convient d'établir cette naturalité. L'État se satisfait du système actuel des finances locales, ce qui n'est pas le cas des communes nouvelles. Nous sommes confrontés à deux problèmes. Le régime actuel entraîne des pertes de financement pour les communes nouvelles quelques années après leur création. Dans ces conditions, il est impossible d'envisager un deuxième souffle. A minima, les communes nouvelles doivent avoir la garantie que leurs dotations ne diminueront pas. Par ailleurs, l'État doit construire une vision des dotations attribuées aux communes nouvelles. Certaines d'entre elles bénéficient de la dotation de solidarité urbaine (DSU) alors qu'elles ne comptent que quelques milliers d'habitants. Les dotations des communes nouvelles existantes doivent être maintenues. Le calcul de la dotation pour les projets de communes nouvelles doit se fonder non pas sur la population totale, mais sur la somme des dotations de chaque commune déléguée.

Pour conclure, je citerai une chanson de 1999 dont les premiers mots étaient : « pour me comprendre, il faudrait savoir qui je suis ; pour me comprendre, il faudrait comprendre ma vie, et pour l'apprendre devenir mon ami. ». Cela s'applique parfaitement aux relations entre l'État et les communes nouvelles !

M. Joël Balandraud, maire d'Évron. - Les communes nouvelles représentent un enjeu majeur, notamment dans leurs relations avec les intercommunalités.

Nous avons fusionné notre intercommunalité en 2013 au profit de la communauté de communes des Coëvrons. Les anciennes intercommunalités souhaitaient conserver leurs compétences, ce qui n'était pas possible. Certains avaient émis l'idée de créer quatre communes nouvelles pour les représenter au sein de l'intercommunalité ; ce projet a été abandonné pour des raisons politiques. Pourtant, cela aurait été utile, car la nouvelle intercommunalité ne veut pas assumer certains équipements de loisirs : par conséquent, ceux-ci sont rétrocédés aux communes, qui ne peuvent en assumer la charge.

Ma commune compte 8 800 habitants. Je ne souhaite pas qu'elle franchisse le cap de 10 000 habitants, car les dotations de l'État diminueraient d'un million d'euros après trois ans.

Comment les élus locaux veulent-ils exercer leurs compétences communales ? Se pose alors la question de la taille critique, surtout si les communes sont noyées dans de grandes intercommunalités dans lesquelles leurs élus n'exercent plus aucune responsabilité.

Les dotations des communes nouvelles doivent être maintenues, car les charges de centralité et les charges fixes restent les mêmes.

Par ailleurs, de nombreuses micro-dotations, telles que les fonds de péréquation ou les amendes de police, sont toujours affectées non pas à la commune nouvelle, mais commune déléguée par commune déléguée. Il est regrettable que la solidarité dont font preuve les membres des communes nouvelles ne soit pas récompensée.

Mme Laurence Perez, maire de Saint-Jean-de-Galaure. - La commune nouvelle dont je suis maire est très récente, puisqu'elle ne compte que neuf mois d'existence. Quelque six ans de travail ont été nécessaires pour aboutir à cette belle réussite. Les services de l'État ne nous ont pas accompagnés dans cette aventure. Nous ne disposons que de l'aide de nos secrétaires de mairie, et nous n'avons pas les moyens de recourir à des bureaux d'études.

Ce projet était passionnant : nous voulions faire ensemble ce que nous n'aurions pas pu faire seuls. Toutefois, le choix du nom de la commune nouvelle, à la fin du processus, a représenté le moment le plus complexe. Nous ne voulions ni accoler les noms de nos deux communes ni privilégier le nom de la commune la plus grande. Les habitants ont tous reçu un questionnaire et un sondage. Malgré ces efforts, nous avons dû affronter une pétition. Aujourd'hui, la vie des deux villages subsiste et les habitants sont heureux de pouvoir accéder à des équipements tels que le gymnase.

La partie administrative de la création de la commune nouvelle a suscité de nombreuses difficultés, notamment dans la rédaction des délibérations ou des avenants aux marchés publics.

J'ai récemment acheté un nouveau véhicule. À cette occasion, j'ai reçu deux courriers officiels à mon domicile avec les noms des anciens villages. Les sites de commerce en ligne s'adaptent plus vite aux changements que les services de l'État !

Je tiens à remercier Julie Roussel, conseillère technique à l'AMF, pour l'aide précieuse qu'elle nous a apportée.

M. Jean-Jacques Dumas, maire de Saint-Ybard. - Dès 2015, nous avons tenté de créer une commune nouvelle rassemblant 1 400 habitants. La démarche s'est soldée par un échec, car l'un des maires s'est retiré. Nous essayons de relancer le processus : je reste un ambassadeur convaincu et passionné des communes nouvelles. Je remercie Jacques Pélissard, promoteur de la loi de 2015 : il est parvenu à concilier une commune plus adaptée à nos temps, tout en ne rayant pas l'histoire d'un trait de plume.

Le maire délégué joue un rôle important dans les territoires ruraux, car les habitants sont attachés à la commune historique.

Avec une loi aussi prometteuse, je suis étonné qu'il n'y ait pas eu davantage de constitutions de communes nouvelles. Dans les territoires hyper-ruraux, peu de communes nouvelles ont été créées. Pourtant, celles-ci sont les seules à pouvoir assurer la survie de la commune dans les départements de la diagonale du vide. La Corrèze compte 100 communes de moins de 200 habitants et une trentaine de communes de moins de 100 habitants. Comment peuvent-elles survivre sans école et sans commerce ? Il est aujourd'hui très difficile de trouver des candidats aux fonctions de maire et de conseiller municipal. Les communes nouvelles sont indispensables dans les territoires comme le mien.

Je souscris à l'analyse défendue plus tôt : il est impossible d'obliger les élus à constituer des communes nouvelles. Favorisons plutôt les incitations. Les préfets n'ont mené aucune action pour pousser les maires à en créer : le Gouvernement n'ayant donné aucune instruction à ce sujet, il est prudent de ne pas s'occuper de ce dossier, estiment-ils. Or le rôle incitatif des services de l'État est primordial.

J'en viens à un point de détail, qui a malgré tout son importance : les maires délégués devraient être en tête du tableau et recevoir une écharpe spécifique.

Le Gouvernement ne peut pas se contenter de dire qu'il s'est pris de passion pour les territoires ruraux. Les paroles doivent se traduire en actes, notamment financiers. Les dotations pourraient être majorées pendant un certain temps pour les communes se lançant dans l'aventure.

Je le répète : les communes nouvelles sont indispensables aux territoires ruraux. Sans elles, c'est l'existence même de la commune comme lien social et de proximité qui est menacée.

M. Lionel Bouniol, maire de Bourgs-sur-Colagne. - Dans mon territoire, l'aventure de la commune nouvelle a démarré en 1974. La naissance de la commune nouvelle de Bourgs-sur-Colagne en 2016 constitue la dernière étape de ce cheminement.

Les communes nouvelles sont les bons élèves de l'intercommunalité. Or les subventions de l'État diminuent après trois ans. Pourquoi une telle attitude ?

Je suis un fervent défenseur de la nature. Toutefois, la démarche zéro artificialisation nette pose de nombreux problèmes.

En 2021, notre commune disposait d'une marge brute de 35 %. En 2023, nous rencontrerons des difficultés pour payer notre facture d'électricité qui s'élèvera à 2 millions d'euros, contre 100 000 euros auparavant.

Mme Agnès Canayer, sénateur de la Seine-Maritime et rapporteur de la loi du 1er août 2019 sur les communes nouvelles. - Pour que les communes nouvelles retrouvent un second souffle - ou plutôt un bon vent, en tant qu'élue d'une commune littorale -, l'État doit s'impliquer fortement. Demain sera publié le rapport À la recherche de l'État dans les territoires, que j'ai rédigé avec Éric Kerrouche. Nous avons constaté que l'accompagnement de l'État était en dents de scie.

Mesdames, messieurs les maires, quelles institutions vous ont aidé dans la création des communes nouvelles ?

M. Philippe Chalopin. - La création des communes nouvelles ne fonctionne pas sans accompagnement de l'État.

M. Thomas Janvier. - Nous sommes peut-être un contre-exemple, mais les services de l'État nous ont largement accompagnés dans notre démarche. La préfecture de la région Bretagne et la sous-préfecture de l'arrondissement de Fougères-Vitré ont été exemplaires. Leur expertise offre des garanties juridiques et administratives, et nous a aussi rassurés.

Mme Christine Blanchet. - L'État nous a peu aidés dans le processus de création de la commune nouvelle.

Nous n'avons pas anticipé les effets de seuil : je pense à la création d'une aire d'accueil pour les gens du voyage. Les habitants retiennent ce type de problème. Nos commerces ont également perdu certaines recettes.

M. Pascal Pecchioli, maire de Perche-en-Nocé. - Ma question porte sur la « défusion » de communes. Deux communes souhaitant se marier doivent avoir des limites contiguës. Si ce n'est pas le cas, elles doivent pouvoir alors absorber une partie du territoire de la commune nouvelle : il est alors nécessaire d'entamer un processus de « défusion », géré par une commission présidée par le préfet. Or il me semble qu'il ne revient pas au préfet de se substituer à la libre administration de la commune : le législateur devrait intervenir.

Mme Françoise Gatel, présidente. - L'exemple que vous citez concerne des situations très particulières. Le principe de la commune nouvelle n'inclut pas la possibilité de divorcer. Les rares cas de « défusion », ou d'annulation de la création de la commune nouvelle, interviennent essentiellement en cas de vices de forme et de procédure. Nous devons étudier cette question plus en profondeur.

M. Gérard Daboudet, maire du Mené. - Notre dotation globale de fonctionnement diminue de 20 000 euros chaque année. Dois-je me préparer à de nouvelles baisses de dotations ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Les effets collatéraux de la création d'une commune nouvelle sont indéniables. Vous devez nous aider à résoudre ces problèmes en sensibilisant tous les parlementaires de votre département sur cette question. La création d'une commune nouvelle entraîne des effets de seuil, qui se traduisent par une baisse des dotations.

La période actuelle se caractérise par une raréfaction des aides de l'État. A minima, nous devons essayer d'obtenir que la création d'une commune nouvelle n'entraîne pas de diminution des dotations.

Les communes sont l'âme de notre pays. Sans moyens financiers, elles mourront. Unissons nos efforts pour défendre le principe de l'équilibre territorial.

M. Vincent Aubelle. - Le rôle de la commune déléguée est central : sans commune déléguée, il s'agit non pas de la création d'une commune nouvelle, mais bien d'une fusion de communes.

La délégation aux collectivités territoriales pourrait-elle se saisir de cette question et formuler des propositions ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Généralement, la délégation est proactive, comme l'AMF d'ailleurs. Nous aborderons cette question lors d'une prochaine réunion.

Soyons clairs : l'État ne bousculera pas des situations au risque de s'attirer des problèmes.

Jean-Marc Vasse. - La commune nouvelle n'a pas été conçue comme un outil de l'intercommunalité. Toutefois, les questions d'échelle et de capacité à assumer des compétences dans un territoire donné se posent à chaque fois qu'une commune nouvelle est créée. À cet égard, les intervenants ont affirmé l'indépendance et la liberté des élus de choisir le bon outil pour répondre aux missions que nous confie la loi. Les EPCI ont parfois des difficultés à assurer un service de proximité : c'est alors que l'échelon communal prend tout son sens. Comment envisager l'avenir des communes nouvelles face à ces nouveaux défis ?

La question de la survie des communes est essentielle. Dès lors que les candidatures aux postes d'élus ne suscitent plus d'intérêt, la commune n'existe plus. Il est inutile de vouloir fossiliser des situations : essayons de remettre en mouvement l'échelon communal. C'est ce que font les élus qui s'investissent au sein des communes nouvelles : leur action permet de réécrire l'avenir d'un territoire en perdition.

Ni l'État ni le conseil départemental ne devraient jouer un rôle dans les affaires d'un territoire. J'estime que le périmètre intercommunal est le seul endroit où l'on peut encore travailler ensemble au quotidien, sans avoir besoin de schémas. Comment donner aux intercommunalités les moyens de mieux fonctionner pour non seulement répondre aux grands enjeux de notre temps, mais aussi pour assurer efficacement les compétences de proximité que bon nombre de communes ne sont plus en capacité d'assurer ? Dans mon département, quatre communes ont décidé de créer une école, via un syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom). Lors de l'inauguration, le sous-préfet a suggéré aux maires d'aller plus loin et de créer une commune nouvelle. Nous verrons si la graine germera.

Nous devons lutter contre les nombreux effets collatéraux constatés lors de la création d'une commune nouvelle. Nous devons peser dans le débat parlementaire. La commune nouvelle n'est pas une commune ordinaire : maintenons sa singularité.

Il serait intéressant de comprendre les réticences des communes qui n'ont finalement pas rejoint le processus de création d'une commune nouvelle.

M. Philippe Chalopin. - Je retiens le titre de notre rencontre : un nouveau souffle pour les communes nouvelles. Depuis 2012, nous avons franchi beaucoup d'obstacles. En Anjou, les services de l'État nous ont aidés : je n'ose imaginer quelle aurait été notre situation sans leur concours.

La loi Marcellin, adoptée sur l'initiative de l'État, n'a pas fonctionné. Les communes nouvelles, promues par les élus locaux, devraient être soutenues par l'État. En tout état de cause, il est impensable qu'une commune nouvelle perde des dotations quelques années après sa création.

Les communes nouvelles sont un bel exemple de décentralisation. Certes, tout n'est pas parfait, mais il me semble que l'on décourage les élus souhaitant s'engager.

Je suis persuadé que des communes n'existeront plus dans certains territoires ruraux, mais aussi urbains. Les intercommunalités constituent un très bel outil ; toutefois, elles ne peuvent pas tout gérer.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je remercie toute l'équipe de l'AMF ayant participé à l'organisation de cette rencontre. Je suis très heureuse de la symbiose existant entre le Sénat et l'AMF en vue de transformer notre pays dans un seul but : promouvoir la confiance, assurer la paix sociale et faire en sorte qu'un drapeau incarnant la République flotte dans tous les territoires.

Le temps nous donne raison. Certes, conduire ce type de projet suppose de faire preuve d'audace, de subir des migraines et d'essuyer des critiques. Il y va pourtant du coeur de la République et de la pérennité des communes : la commune nouvelle est le signe d'une soif de survie, ce qui est positif. Bien sûr, l'État doit nous accompagner pour trouver des solutions. Le Président de la République s'est engagé à dialoguer régulièrement avec l'AMF : glissez-lui ce message lors d'une prochaine rencontre.

Nous sommes un club d'apôtres sur ces questions. Nous devons agir ensemble pour faire bouger les lignes et faire part de votre réussite. Lamartine disait : « Je lis dans l'avenir la raison du présent. » Votre souhait de donner un avenir à votre commune vous a permis de surmonter les difficultés. Allons-y !

La réunion est close à 13 h 05.

Jeudi 29 septembre 2022

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Services déconcentrés et préfectoraux - Examen du rapport d'information

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous examinons aujourd'hui le rapport de nos collègues Agnès Canayer et Éric Kerrouche sur les services déconcentrés et préfectoraux.

L'État territorial est au coeur de nos préoccupations et de celles des élus. Nous nous y sommes déjà de nombreuses fois intéressés, notamment dans le cadre des travaux ayant abouti aux cinquante propositions en faveur des libertés locales. Mais le fait est qu'on en fait peu ; c'est un « on » générique, qui ne nous concerne pas...

Au cours des derniers mois, notre délégation a attaché une attention toute particulière au thème de l'État territorial. En juin 2021, elle a entendu les magistrats de la 4ème chambre de la Cour des comptes, en charge du suivi des administrations déconcentrées, ainsi que Mme Bernadette Malgorn, conseillère municipale et métropolitaine de Brest, ancienne préfète et ancienne secrétaire générale du ministère de l'Intérieur. En octobre 2021, elle a auditionné M. Christophe Mirmand, préfet, président de l'Association du Corps préfectoral et des Hauts Fonctionnaires du ministère de l'Intérieur. Le même mois, elle a accueilli M. Thierry Lambert, délégué interministériel à la transformation publique. Lors de son audition du 10 janvier dernier, M. David Lisnard, en sa qualité de nouveau président de l'Association des maires de France, n'a pas manqué d'évoquer ce sujet-là au travers du prisme du fameux couple maire / préfet.

Le président du Sénat ayant décidé de relancer des travaux sur la décentralisation et la déconcentration, le rapport de nos collègues tombe à point nommé. L'ensemble des auditions qu'ils ont menées montrent qu'il s'agit d'une préoccupation commune, partagée également par les préfets.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La réforme de l'État territorial, un sujet sensible, accompagne la décentralisation. Il n'y a pas de décentralisation sans une bonne déconcentration.

Notre rapport s'inscrit dans la continuité des travaux menés au nom de notre délégation en 2016 par nos anciens collègues Éric Doligé et Marie-Françoise Pérol-Dumont. Leur rapport « Où va l'État territorial ? Le point de vue des collectivités » mettait en lumière de nombreuses incertitudes et laissait ouvertes plusieurs options. Il invitait moins à clore la réflexion qu'à l'enrichir, ce à quoi Éric Kerrouche et moi-même nous sommes employés.

Nos conclusions s'appuient sur l'état des lieux que nous vous avons présenté le 16 février dernier, lors de l'examen de notre rapport d'étape. Elles sont le fruit d'une très large consultation des élus locaux, menée via la plateforme du Sénat : 1 393 élus locaux, dont 62 % de maires, y ont participé. De manière assez innovante, nous avons également consulté les préfets et sous-préfets : 108 sur 375 nous ont répondu, dont un quart de préfets, ce qui témoigne d'un intérêt et d'une attente.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Nos conclusions s'inscrivent dans un contexte particulier, lié à l'empilement, jusqu'à satiété sans doute, des réformes territoriales. À vrai dire, peu de domaines de l'action publique ont connu autant de réformes, en termes de nombre comme de cadencement.

Après la révision générale des politiques publiques (RGPP) et son dérivé pour l'administration déconcentrée, la Réforme des administrations territoriales de l'État (RéATE), sont venus la Modernisation de l'action publique (MAP) et le Plan Préfectures Nouvelle Génération (PPNG). Fait révélateur, la confiance des représentants de l'État s'érode : 58 % des préfets et sous-préfets jugent la RéATE utile, mais ce taux tombe à 51 % pour le PPNG. Quant au document Missions prioritaires des préfectures 2022-2025, dit « MPP 22 », les préfets et sous-préfets estiment qu'il aura des répercussions en termes de personnel. Plus le temps passe, moins les représentants de l'État ont eux-mêmes confiance dans les réformes.

Au vu de l'accumulation de réformes, on aurait pu espérer qu'au moins leurs effets seraient objectivement évalués. Or, c'est là l'un des points faibles : on a l'impression qu'elles sont engagées pour elles-mêmes, que le train de l'État est lancé, sans que soient jamais tirés les enseignements de la vague précédente.

Il en résulte une frustration, tant chez les élus que chez les préfets et sous-préfets. Les premiers ont le sentiment de ne pas être associés aux réformes et même de ne pas en être informés. Les seconds partagent ce sentiment, de manière certes moins prononcée : 43 % estiment ne pas être associés, contre 82 % des élus.

Ce sentiment de mise à l'écart est illustré par un autre chiffre, extrêmement révélateur et beaucoup plus élevé chez les préfets et sous-préfets : 85 % d'entre eux estiment que l'organisation territoriale de l'État est trop souvent réformée. Preuve qu'il y a sans doute matière à faire progresser la conduite du changement dans notre pays. Songez qu'un élu sur trois est incapable de donner ne serait-ce qu'un avis sur la réforme territoriale de l'État...

Aussi proposons-nous de rendre impérative une concertation nationale avec les associations d'élus en amont du lancement d'une politique ministérielle se chevauchant avec les compétences décentralisées.

Au-delà de la méthode, il faut s'attacher aux résultats des réformes menées. À chaque fois, la réforme de l'État est portée par une ambition affirmée : améliorer le fonctionnement des services et répondre au mieux à la demande d'État dans les territoires. L'objectif est louable, mais la réalité constatée est celle d'une baisse des moyens de l'État. Pour deux élus sur trois, le service public de l'État s'est dégradé sur leur territoire ; près de 60 % pensent que les moyens des services déconcentrés sont insuffisants.

À cet égard, nos conclusions rejoignent la récente enquête de la Cour des comptes sur l'évolution des effectifs de l'administration territoriale. Au sein même du corps préfectoral, 70 % de ceux qui nous ont répondu estiment que leurs moyens humains sont insuffisants.

J'ajoute deux chiffres, qui parlent d'eux-mêmes : les effectifs physiques des directions départementales interministérielles (DDI), qui s'élevaient à près de 40 000 agents en 2011, sont tombés dix ans plus tard à un peu plus de 25 000 agents, soit une chute de 36 %.

La plupart du temps, les baisses sont justifiées par la réorganisation, qui rendrait le fonctionnement des services plus efficace, et les gains de productivité liés aux nouveaux outils technologiques, comme la transmission dématérialisée des actes, appréciée tant par les élus que par les préfets. Mais nous constatons que cette argumentation est fragile, car ne reposant sur aucune évaluation ex post. A contrario, les exemples de dégradation du service rendu aux collectivités territoriales et, plus largement aux usagers, abondent ; nous en avons eu de multiples témoignages.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - De fait, plus de la moitié des maires, notamment dans les communes de moins de 1 000 habitants, estiment que l'offre de services publics s'est dégradée ou est défaillante sur leur territoire.

Ce constat rend nécessaire une clarification du rôle de l'État. Il faut mieux répartir les compétences de l'État dans les territoires, sur la base de deux principes essentiels : subsidiarité et différenciation, dans l'esprit des 50 propositions du président Gérard Larcher. Ainsi l'action de l'État pourra-t-elle irriguer l'ensemble des territoires, jusqu'au dernier kilomètre.

La contractualisation entre l'État et les collectivités territoriales nous apparaît comme une modalité intéressante de la souplesse nécessaire, permettant de sortir de la logique des appels à projets. Cette dernière, en imposant aux collectivités un cadre défini, bride leurs initiatives. Elle requiert aussi de leur part une grande technicité dans les réponses, dont les plus petites communes n'ont pas les moyens.

La clarification de la place de l'État dans les territoires passe aussi par le fameux couple maire-préfet, mis en avant pendant la crise sanitaire. Mais cette relation, parfois présentée comme idyllique, est marquée sur le terrain par un certain nombre de grincements et d'ambivalences.

Mme la préfète Bernadette Malgorn nous a expliqué qu'une nomination de préfet nécessitait de trouver une concordance entre un profil, un département, son terrain, ses caractéristiques et ses élus, des circonstances et des enjeux variables dans le temps. C'est un peu le mouton à cinq pattes...

Il nous paraît judicieux de recueillir l'avis des élus dans le cadre de l'évaluation des préfets, afin de prendre pleinement en compte le « retour terrain ». Cette avancée est d'autant plus nécessaire dans la perspective de la fonctionnalisation des préfets, qui impose une professionnalisation renforcée de cette filière.

Autre sujet de tension entre le préfet et les maires : la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Le choix des projets appartient au préfet pour les montants inférieurs à 100 000 euros, les élus locaux n'ayant pas toujours accès aux informations sur ces attributions. Dans mon département, nous avons reçu un énorme fichier consultable à la loupe...

Nous proposons donc d'instaurer plus de transparence dans l'attribution des dotations d'État en abaissant à 20 000 euros le seuil au-delà duquel l'avis de la commission d'élus est nécessaire.

Deux thèmes sont emblématiques de la logique d'accompagnement que les élus attendent de l'État : l'offre d'ingénierie territoriale et le contrôle de légalité.

En matière d'ingénierie, les communes les moins peuplées recourent surtout au département, voire aux intercommunalités ; les plus grandes font appel davantage à des prestataires privés - c'est le cas de 29 % d'entre elles -, de manière accessoire à l'État et à ses opérateurs - 19 % le font - ou s'auto-accompagnent. La question se pose donc : l'État est-il encore capable de remplir cette fonction d'ingénierie, d'autant plus importante que les projets eux-mêmes et les contraintes pesant sur les collectivités territoriales requièrent une plus grande technicité ?

L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) marque un progrès intéressant, mais elle souffre d'un vrai déficit de notoriété auprès des élus locaux. Par ailleurs, l'offre, parfois alléchante, ne bénéficie pas des financements nécessaires. Les études initiales sont souvent financées, mais c'est plus compliqué pour la mise en place des projets, ce qui est source de frustration. Sur ce sujet, nous faisons confiance à nos collègues Céline Brulin et Charles Guené pour mener un travail plus approfondi d'évaluation.

En ce qui concerne le contrôle de légalité, l'État a décidé de prioriser un certain nombre d'actes majeurs, mais le taux de contrôle reste autour de 90 %. Plus qu'un contrôle descendant, les élus attendent un conseil juridique en amont. La technique du rescrit, introduite par la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, reste extrêmement confidentielle : 74 % des élus n'y ont jamais recouru et 63 % ne la connaissent même pas. Les travaux de notre délégation devront approfondir cette question du rescrit.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Les effets de l'accumulation de réformes administratives dont j'ai parlé sont mal mesurés. L'adaptation de l'organisation territoriale de l'État devrait viser la simplification, la lisibilité et l'efficacité de l'action publique.

Nous avons placé le département au centre de notre réflexion, comme périmètre essentiel de mise en oeuvre des politiques publiques. Dans cette architecture, la pierre angulaire reste le préfet, dont le rôle de coordonnateur local est essentiel. C'est pourquoi nous proposons de placer les préfets sous l'autorité directe du Premier ministre, compte tenu de leur rôle interministériel.

De même, nous plaidons pour expérimenter le dédoublement des fonctions de préfet de région et de préfet de département chef-lieu de région, une proposition accueillie favorablement par 65 % des membres du corps préfectoral. Alternativement, on pourrait expérimenter la transformation du secrétaire général de la préfecture de région en préfet du département chef-lieu, auquel serait adjoint un sous-préfet chargé de l'arrondissement centre, afin d'améliorer la couverture territoriale des différentes centralités. Dans la même perspective, le dédoublement pourrait être expérimenté des fonctions de secrétaire général de préfecture et de sous-préfet d'arrondissement chef-lieu.

Enfin, même s'il y a une différence d'appréciation entre les membres du corps préfectoral, attachés à leur logique de carrière, et les élus, attachés à leur territoire, nous recommandons d'instaurer une durée minimale d'affectation du préfet de quatre ans, avec une feuille de route sur cette période.

Au regard de la fonctionnalisation en cours du métier préfectoral, nous soulignons la nécessité de préserver les préfets d'une politisation qui nuirait à leur crédit, donc à l'efficacité de l'État. En d'autres termes, la perspective d'un spoil system territorial à la française ne nous paraît pas du tout souhaitable. Nous sommes attachés à la pérennité d'une filière professionnelle préfectorale : être préfet ou sous-préfet, c'est un métier.

L'État dans les territoires, ce sont aussi les nombreuses agences qui peuplent désormais le paysage administratif ; nous les connaissons tous, peut-être parfois à nos dépens. Pour les élus, cette profusion d'acteurs rend très difficile l'identification du bon interlocuteur au sein de la nébuleuse étatique : deux sur trois ne trouvent plus le bon interlocuteur. Parfois, la difficulté vient de la polyphonie, voire des dissonances ou des contradictions, entre les réponses rendues par différentes autorités administratives. Or, le préfet est démuni face à de nombreuses agences qui échappent à son autorité.

Ce manque d'unité crée un risque de dévalorisation de la parole étatique. Il entraîne des pertes de temps, des projets étant à l'arrêt faute d'orientation claire. Sans doute faut-il imaginer un autre modèle d'organisation, gage d'une meilleure cohérence. Les quatre cinquièmes des membres du corps préfectoral considèrent que les agences de l'État sont trop nombreuses ; c'est une proportion encore plus forte que chez les élus. Ce chiffre me paraît assez révélateur du malaise, y compris au sein de l'État, vis-à-vis de ces agences.

Nous proposons donc que, sur le modèle de l'organisation de l'ANCT, le préfet soit nommé délégué territorial de toutes les agences de l'État, dont le sous-préfet serait le représentant au plus près des territoires.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - J'en viens à la place du sous-préfet et des sous-préfectures.

Si les élus des plus grandes collectivités ont un accès facile au préfet, ce n'est pas le cas des élus des plus petites, notamment lorsqu'elles sont isolées en milieu rural. Ces élus se tournent plus facilement vers le sous-préfet, échelon de proximité et d'efficacité immédiates de l'État. L'importance du sous-préfet est donc cruciale.

Dans une perspective de différenciation, des sous-préfets thématiques pourraient être nommés, en fonction des questions prégnantes sur leur territoire, comme le loup ou le littoral.

La France est maillée de 233 sous-préfectures, mais la carte des arrondissements n'a pas évolué depuis la réforme Poincaré de 1926... Il est incompréhensible que cette carte ne soit pas adaptée aux réalités d'aujourd'hui. J'ajoute que des problèmes de cohérence se posent avec d'autres découpages : carte judiciaire, circonscriptions de police et de gendarmerie, répartition des forces militaires.

Il est donc essentiel de repenser la carte des arrondissements, pour prendre en compte les dynamiques et pour éviter des actions à géométrie variable. Il faudra pour cela s'appuyer sur une large consultation des élus locaux pour rechercher le consensus et éviter les effets traumatiques des précédentes réformes, trop souvent imposées à la hussarde et de manière descendante.

Pour réarmer les sous-préfectures, il faut leur assurer des moyens suffisants. Elles ont largement participé à l'effort de réduction des effectifs de l'État, perdant parfois plus de 50 équivalents temps plein (ETP), ce qui contraint à remonter l'action à l'échelon supérieur plutôt que de répondre en proximité. Ces moyens renforcés doivent être adaptés à la réalité des territoires, au-delà de leur répartition historique.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Vous l'aurez compris, notre rapport n'est pas un énième rapport sur la préfectorale. Nous proposons une vision d'un État territorial pour aujourd'hui et pour demain. Agnès Canayer a évoqué la réorganisation des arrondissements : cela doit se faire dans le respect de l'ancrage territorial des sous-préfectures.

Nous n'avons pas non plus pour but un big bang territorial : il n'y en a que trop eu. Il s'agit plutôt de modérer l'effet de réformes qui se sont accumulées sans congruence. L'État ne peut plus gouverner les territoires avec un tableur Excel. Ce modèle doit s'articuler en renforçant l'échelon départemental, qui est le plus pertinent pour l'enracinement territorial : le préfet est le patron des services, et il est secondé par des sous-préfets opérationnels et dotés de suffisamment de services pour garder leur pertinence, le tout dans l'écoute et avec la confiance du maire.

Les moyens humains, d'expertise, budgétaires et informatiques doivent être à la hauteur, tout comme la collaboration avec les élus locaux. Ceux-ci sont prêts : nous espérons que l'État ne les décevra pas.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie de vos propos. Cette hantise de l'efficacité de l'action publique, vers laquelle tendent d'incessantes réformes mais à laquelle on n'arrive jamais pleinement, est constante.

Pour qu'il y ait une réforme, tout comme pour la fabrique de la loi, il faut une diffusion de l'information. Je suis estomaquée par le degré de méconnaissance des élus de ces réformes que vous révélez. Vous avez parlé de l'évaluation : on s'use, dans notre pays, à enchaîner les réformes sans les évaluer.

L'unité de la voix de l'État nous obsède : nous en avons beaucoup parlé lors de l'examen des textes relatifs à l'engagement dans la vie locale et à la différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS). Cela ne doit pas empêcher le recours à l'expertise alors qu'on a aujourd'hui, comme l'a dit Éric Kerrouche, des polyphonies discordantes. Des élus, face à des problèmes concrets, enchaînent des rendez-vous dans des bureaux fonctionnant en tuyaux, avec des conjonctions d'impossibilités où personne n'apporte de solution.

Réarmer l'État territorial est une nécessité : on peut toujours dire que les collectivités dépensent de l'argent mais, face à la complexité des sujets, comment les élus peuvent-ils accéder à une ingénierie dont ils ne disposent pas toujours ? Les intercommunalités le font parfois, mais elles sont forcées d'engager des moyens supplémentaires à cause du désengagement de l'État.

Enfin, je suis sensible au dédoublement des fonctions de préfet de région et de préfet de département, d'autant plus lorsque le premier se cumule avec d'autres rôles comme celui de préfet de zone de défense. Hors les maires de grande ville, les élus ne rencontrent pas les préfets de région. Il en va de même pour les secrétaires généraux de préfecture départementale et de région, qui sont aussi l'interlocuteur d'un arrondissement. La présence territoriale du sous-préfet est reconnue par tous les élus. Voix de l'État, il doit pouvoir s'appuyer sur des expertises thématiques partagées entre sous-préfets. C'est le cas dans mon département, avec par exemple un sous-préfet spécialisé dans les problématiques sur les gens du voyage.

M. Antoine Lefèvre. - Merci à nos deux rapporteurs de ce travail en profondeur.

Le réarmement est-il plutôt en termes de moyens ou technique ? Ne cherchons pas forcément à redéployer des moyens de l'État alors que communes et intercommunalités se sont armées, certes par défaut, en matière d'ingénierie. Certains élus manquent aussi de visibilité sur l'ingénierie d'État et gardent le fantasme des directions départementales de l'équipement (DDE).

Le préfet doit aussi rester plus longtemps dans les territoires. Dans mon département, le préfet est reparti en administration centrale après seulement un an et demi. Rester plus longtemps est un gage d'efficacité et d'un meilleur contact avec les élus.

Je m'interroge en revanche sur votre proposition de les rattacher aux services du Premier ministre : je ne suis pas persuadé qu'ils soient adaptés, alors qu'il y a une culture spécifique au ministère de l'Intérieur, comme le confirment nos échanges de mardi soir avec Caroline Cayeux.

Mme Michelle Gréaume. - Je félicite nos rapporteurs de leur excellent travail.

On parle de moyens insuffisants de l'État. Selon moi, il s'agit principalement de moyens humains. Je rappelle que l'État fait appel à des cabinets privés, comme l'a montré le rapport d'Éliane Assassi sur les cabinets de conseil, qui a provoqué un tollé.

Cela existe aussi de façon moins visible. Ainsi, pour rénover l'habitat pour les usagers, on fait appel à une société privée au lieu de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Je le déplore.

S'agissant des impôts, je rappelle que nous manquons de personnel pour effectuer des contrôles financiers.

Enfin, j'appelle à la vigilance sur la carte des arrondissements : attention aux conséquences sur les élections et sur les équilibres politiques.

Mme Nadine Bellurot. - Je vous remercie à mon tour de ce rapport, fruit d'une expérience de terrain. : il relate des difficultés et des insatisfactions que nous avons tous rencontrées. Il contient tout pour améliorer la relation avec l'État et pour réarmer les préfectures et les sous-préfectures.

Dans la continuité de vos propositions, je souligne l'importance de la transparence sur les dotations : passer de 100 000 euros à 20 000 euros semble ainsi une bonne idée. En outre, la préfecture de région décide parfois sans que le préfet de département soit consulté. Les départements doivent avoir la main sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) plutôt que les régions, pour éviter de favoriser des territoires plus dynamiques au détriment d'autres. Adoptons ce rapport !

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Sur le rattachement aux services du Premier ministre, nous considérons que la réforme de l'État déconcentré est avant tout une réforme d'état d'esprit. Le préfet doit être coordonnateur face à une parole émiettée de l'État, et travailler davantage en interministériel plutôt qu'en polyphonie entre, par exemple, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et ses propres services. Rien n'interdit d'ailleurs au Premier ministre de se doter des moyens de coordonner les préfets.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Notre rapport reprend les rôles de l'État : les préfets agissent souvent dans une logique d'ordre et de sécurité publics. Toutefois, n'oublions pas leurs deux autres rôles, qui sont la représentation du Gouvernement et la coordination des services. On peut ainsi choisir de maintenir le préfet dans cette seule logique d'ordre et de sécurité, dans la continuité de son rattachement au ministère de l'Intérieur et du rôle historique de la préfectorale, qui ne correspond plus forcément à la réalité actuelle. Mais l'on peut aussi opter pour un rattachement au Premier ministre, qui ne supprime pas la présence de l'Intérieur, mais place au premier plan la dimension interministérielle du rôle des préfets.

Il ne s'agit pas de supprimer les arrondissements, donc les sous-préfectures. Simplement, la carte des arrondissements ne correspond plus aux découpages territoriaux intervenus au cours des dix dernières années : il n'est ainsi pas normal qu'une intercommunalité dépende de deux sous-préfectures.

Oui, les mairies se sont réarmées ; tenons-en compte. Cependant, ce n'est pas tant une question de volume, pour les services de l'État, que de disparition de compétences. Le non-remplacement de postes sans transmission d'expertise est un auto-affaiblissement de l'État.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Au-delà de la relation avec les élus, n'oublions pas celle avec les usagers, qui s'est dégradée. Dans mon département, il n'y a plus de service le vendredi ou après seize heures ! Et le tout numérique ne suffit pas : à titre personnel, j'aurais ainsi préféré, dans le cadre d'une expérience récente avec l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), bénéficier de l'aide d'un agent de l'État plutôt que de payer une entreprise privée.

M. Bernard Delcros. - Je remercie à mon tour les rapporteurs de leur travail sur ce sujet important. Finalement, votre analyse, c'est notre vécu au quotidien.

Globalement, les élus n'y comprennent plus rien et les réformes se font sans concertation, avec des suppressions d'emplois et des transferts de compétences vers les préfectures de région qui dépouillent nos départements. Au bout du compte, cela accroît les inégalités entre les petites et les grandes collectivités, alors que ces dernières s'en sortiront toujours.

Cessons de dépouiller les services de département et les sous-préfectures ! Dans certaines d'entre elles, les effectifs se comptent sur les doigts des deux mains... En dessous d'un certain seuil, on n'a plus de compétences. Ainsi, mon département est concerné par les biens de section : une personne, dans la sous-préfecture, s'y consacre, et elle est sollicitée par les départements voisins.

Je suis moi aussi pour le dédoublement des préfets de département et de région, mais aussi pour celui des secrétaires généraux de préfecture et des sous-préfets d'arrondissement. Là encore, les départements ruraux ne sont pas traités de la même façon... Les maires des communes rurales ont pour interlocuteur le sous-préfet, pas le préfet. Renforçons donc leur rôle et les effectifs associés.

Peut-être pourrait-on envisager une durée minimale d'affectation pour les préfets et pour les sous-préfets : vous parlez de quatre ans dans votre rapport. En effet, préfet et sous-préfet, c'est un métier ! Or, on a aujourd'hui affaire à des personnes déconnectées : dans mon département, une sous-préfète récemment nommée ne restera sans doute pas plus de deux ans en poste... On perd ainsi un interlocuteur compétent qui apporte ses services aux maires, et particulièrement à ceux des petites communes.

Je suis aussi d'accord sur le rôle du préfet comme délégué territorial de toutes les agences. Sur les agences régionales de santé (ARS) et de l'ANCT : cela parle peu aux élus des petites communes. L'ingénierie est beaucoup organisée au niveau des départements : heureusement qu'ils le font, au bénéfice des petites communes.

Je suis d'accord sur le fait qu'il y a des problèmes sur les périmètres et que ceux-ci méritent d'être révisés.

Sur la DETR et la DSIL : abaisser le seuil à 20 000 euros, sur le principe, c'est bien, mais ne créons pas de lourdeurs supplémentaires. N'allons-nous pas multiplier les réunions de commission, au détriment de l'efficacité du système ?

Je partage ce qui a été dit sur la DSIL régionale. Les préfets de département doivent se battre pour en obtenir une petite part. Le préfet de région la gère depuis sa métropole, entouré des élus qui comptent, et les petits départements, avec leurs petits préfets, peinent à obtenir satisfaction.

Mme Sonia de La Provôté. - Bravo à Agnès Canayer et Éric Kerrouche pour leur rapport. On a l'impression d'être dans la vraie vie de nos territoires quand on entend leur présentation !

Ma première question porte sur la hiérarchie réelle ou fantasmée entre région et département. C'est le préfet de région qui accompagne « Action coeur de ville » alors que c'est à l'échelon départemental que les décisions se prennent. Ce sont tout de même les préfets de département, accompagnés par les élus locaux, qui ont géré la crise de la Covid. Puisqu'ils ont un droit à dérogation, ne devrait-on pas décider clairement que ce sont eux qui ont la main, en cas d'ambiguïté sur un dossier ? Cette hiérarchie entre région et département, qui n'en est pas réellement une, pose problème dans le suivi des dossiers.

Ma deuxième question porte sur l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Dans le domaine du patrimoine, par exemple, elle était assurée par les directions régionales des affaires culturelles (Drac) mais ce n'est plus le cas. L'ANCT n'accompagne pas grand-chose. Seuls les chanceux bénéficient de l'ingénierie départementale, d'une agence d'urbanisme ou des services d'une grande intercommunalité, face à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), aux différentes polices, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et autres, soit pléthore d'intervenants. Une ingénierie territoriale d'État doit s'exprimer à nouveau. Avec le « zéro artificialisation nette » (ZAN), c'est la panique à bord car il n'y a pas d'accompagnement, alors que c'est confus. Il faut un vrai accompagnement et non un cautère sur une jambe de bois, telle que l'ANCT.

Mme Catherine Di Folco. - Félicitations aux rapporteurs. Ils prévoient une affectation de quatre ans minimum pour les préfets. Cela inclut-il les sous-préfets et les secrétaires généraux ? Ce serait important.

Ils souhaitent qu'il y ait le bon profil au bon endroit, lors du changement de préfet. Ce profilage me semble être un voeu pieux puisque les nominations en conseil des ministres sont plutôt dues à des chaises musicales. Comment ce profilage pourrait-il fonctionner ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La durée de quatre ans vise à assurer une stabilité. Les secrétaires généraux, eux-mêmes sous-préfets, peuvent aussi être concernés.

Il est effectivement compliqué de trouver le mouton à cinq pattes, mais il nous semble important que les préfets aient un ancrage et une capacité à s'adapter au territoire. D'où leur évaluation par les élus locaux. Le but n'est pas que ces derniers disent s'ils les aiment ou non, mais aident à les évaluer. Si quelqu'un n'est pas capable d'être préfet, qu'il aille sur un autre poste !

Nous proposons d'évaluer l'offre d'ingénierie à l'échelle départementale. Certains départements ont développé ce service, d'autres moins. Mon territoire est confronté au problème historique des marnières. Or, l'État a tellement disparu que ce sont les intercommunalités qui se sont chargées de cette compétence. Mais les plus petites n'ont pas l'ingénierie adéquate.

Dans notre rapport, nous demandons l'évaluation de l'ANCT.

Nous avons enfin mentionné un autre acteur, qui se développe beaucoup : le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Il faut donner à cet acteur étatique incontournable les moyens de remplir ses fonctions.

M. Bernard Delcros. - Les maires des petites communes ne savent même pas qu'il existe !

Mme Françoise Gatel, présidente. - Dans la loi 3DS, nous avons conforté le Cerema pour qu'il puisse faire du in house. Il dispose d'une ingénierie exceptionnelle mais trop méconnue, par exemple sur les ponts.

Mme Nadine Bellurot. - Le Cerema a en effet une véritable expertise. Je signale aussi à mes collègues l'existence du Centre national des ponts de secours, un service de l'État qui peut déposer un pont à tonnage illimité.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je le précise, c'est une maire qui préside le Cerema : la maire de Montceau-les-Mines.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Notre perspective est de faire confiance aux préfets et aux sous-préfets et de renforcer leur rôle.

Le profilage que nous suggérons ne se ferait pas au moment du choix du préfet, mais une fois que les préfets et sous-préfets quittent leur poste : ils seraient notés par les élus. S'ils ont une responsabilité forte sur les territoires, ils doivent pouvoir être évalués par les élus locaux qu'ils ont servis.

Nous demandons la fin des appels à projets, qui alimentent parfois ceux qui n'en ont pas besoin.

Quand nous sommes allés dans les Hautes-Pyrénées, nous avons rencontré une sous-préfète dont l'équipe avait pâti d'un congé maternité et d'un arrêt maladie. De quatre, ils étaient passés à deux et il n'y avait plus de sous-préfet derrière la façade de la sous-préfecture.

Les élus voudraient que les préfets restent six ans en poste et les préfets veulent rester trois ans. Ces derniers sont dans une logique de carrière et souhaitent tracer leur trajectoire individuelle. Entre six ans et trois ans, nous nous sommes arrêtés sur quatre ans.

Nous ne nous sommes pas prononcés sur la hiérarchie entre les postes. Nous avons surtout cherché à répondre aux difficultés engendrées par les cumuls de postes au sein de la préfectorale. Les dédoublements que nous proposons seraient une solution. Mais nous n'avons pas décidé qui doit avoir le dernier mot.

Mme Sylvie Robert. - Félicitations aux rapporteurs. C'est un rapport de vécu dans lequel on se retrouve bien !

Les rapporteurs proposent de créer des préfets thématiques. Il faut accompagner les élus en amont, c'est-à-dire travailler à une expertise thématisée qui offre une vision stratégique d'un territoire, afin d'apporter une réponse très adaptée. Comment voyez-vous le rôle de ces préfets thématiques ?

M. Franck Montaugé. - Merci aux rapporteurs de leur travail très intéressant. Je partage la plupart de leurs propositions.

La question traitée est inséparable de celle du rôle de l'État dans la République. Prenons l'exemple des agences nationales, composées souvent de contractuels, versus des services de l'État composés de fonctionnaires. C'est une approche libérale versus une approche républicaine. Autre exemple : le développement des appels à projets versus les démarches contractuelles entre l'État et les collectivités.

Quelle est votre vision de la place de l'État, qui s'inscrit nécessairement dans une organisation territoriale ?

Vous avez parlé d'évaluation. Il faut évaluer la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), que nous avons tous votée. Grandes régions, conseils départementaux, EPCI... L'organisation est inséparable de la conception que l'on se fait de l'État.

Comme élu local, j'ai été en contact avec plusieurs préfets : en réalité, beaucoup dépend de leur personnalité. La qualité du travail que l'on peut accomplir avec eux est directement liée à cette personnalité et, en particulier, à leur capacité de dialogue. Enfin, j'ai vécu une réforme d'arrondissement : on ne peut pas tout à fait dire qu'il n'y en a pas eu depuis Raymond Poincaré...

M. Hervé Gillé. - Merci de la qualité et la pertinence de ce travail. Nous aurions besoin d'une évaluation permanente de l'État, pour améliorer les processus.

Je voudrais citer un exemple très cruel sur le rapport entre l'État et les collectivités territoriales : la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine a tenu à exercer son pouvoir régalien très fortement dans l'organisation logistique de la lutte contre les incendies. Mais quand vous faites venir plus de 2 000 sapeurs-pompiers, si vous ne vous appuyez pas sur les services des collectivités territoriales, vous ne pouvez rien faire. L'attitude de refus de partenariat avec les collectivités a entraîné une certaine désorganisation qui a posé question.

Quelle complémentarité doit-on mettre en place ? On se regarde toujours trop en chiens de faïence en n'étant pas suffisamment dans la collaboration. Il n'y a pas de moment dans l'année où l'on fait le point sur la manière dont on travaille ensemble. Or, il faut savoir se remettre en question pour améliorer les choses.

M. Didier Rambaud. - Vous avez parlé du problème de l'accessibilité aux préfets et sous-préfets pour un grand nombre d'élus locaux. Comme par hasard, les problèmes arrivent toujours le week-end. Or, à partir du vendredi midi, les sous-préfectures et préfectures sont inaccessibles. J'ai une proposition très terre à terre : ne pourrait-il y avoir un numéro d'urgence ou de permanence ?

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Je suis d'accord avec la remarque sur les qualités personnelles des préfets. Mais c'est identique pour les élus !

Nous nous sommes placés dans une logique fonctionnelle et ne nous sommes pas interrogés sur l'articulation entre l'État et les territoires, notamment dans la distribution des compétences, qui est un sujet plus vaste.

Nous disons nettement que les appels à projet ne sont pas la bonne solution. Nous en connaissons tous les effets dysfonctionnels.

Dans les Hautes-Pyrénées, nous avons échangé avec l'ensemble des chargés de mission du programme « Petites villes de demain » qui nous ont dit que la capacité à produire des études mettait en route la machine à rêver des élus, qui n'auront jamais les moyens de mettre en place les projets soumis.

Nous proposons de faire du schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité aux services publics un outil essentiel d'intégration du fonctionnement au sein du département.

Il est vrai qu'il y a eu des retouches d'arrondissement, mais personne n'a voulu prendre la responsabilité d'une réforme de la distribution des sous-préfectures et les changements n'ont jamais atteint ce que nous avons connu il y a un siècle.

L'idée de Didier Rambaud est très bonne. Elle pourrait être couplée avec notre idée de dédoublement. Si le poste de secrétaire général était dédoublé de celui de sous-préfet de l'arrondissement central, ce genre de problème pourrait sans doute être plus facilement traité. De mémoire, seulement 8 % des élus de communes de moins de 1 000 habitants ont accès au préfet, ou lui parlent régulièrement.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'évaluation de la loi NOTRe dépasse largement le cadre de notre étude.

Quant à la collaboration du préfet avec le maire, et à la nécessité pour le premier de s'appuyer davantage sur le second, c'est le fil rouge de notre rapport. Nous voulons que la confiance entre les préfets et les élus locaux soit alimentée par un fonctionnement régulier et non pas seulement en temps de crise.

Les sous-préfets thématiques viennent en appui sur des sujets locaux particuliers. Sur la vision stratégique, ce sont plutôt les services d'ingénierie qui peuvent aider les maires à réfléchir.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous vous adressons nos remerciements. La qualité de votre évaluation vaut largement McKinsey ! Les vingt-quatre recommandations sont disponibles sur la plateforme Demeter.

Je voudrais revenir sur la question du rattachement des préfets au Premier ministre ou au ministre de l'Intérieur. Peut-on imaginer un gouvernement au sein duquel le Premier ministre n'aurait pas sous son autorité les ministres de la santé, de l'éducation nationale, des finances publiques et de l'environnement ? Les préfets n'arrivent pas à être les ensembliers de la politique de l'État ni à harmoniser sa voix.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales, et de M. Serge Babary, président de la délégation aux entreprises -

Mission conjointe de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs - Examen du rapport d'information

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'ai le grand plaisir d'ouvrir cette réunion conjointe à la délégation aux collectivités territoriales et à la délégation aux entreprises, consacrée à la présentation des conclusions de la mission de contrôle sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est la deuxième fois que nous collaborons ainsi, après nos travaux sur la cybersécurité.

Je salue le quatuor qui a oeuvré sur ce rapport : Rémy Pointereau, Sonia de La Provôté, Serge Babary, président de la délégation aux entreprises, et Gilbert-Luc Devinaz.

Vous n'ignorez pas que ce sujet est, depuis des années, une forte préoccupation de notre délégation. MM. Rémy Pointereau et Martial Bourquin ont été pionniers en la matière. Sur leur initiative, le Sénat a adopté de nombreuses mesures qui sont inscrites dans la loi de 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, et qui ont été validées en 2020 par le Conseil constitutionnel, ce dernier ayant consacré la revitalisation des centres-villes comme « un objectif d'intérêt général ».

La boulimie législative nous laisse peu de temps pour mener les études d'impact. Il nous faut davantage examiner les conséquences des lois que nous votons. C'est tout l'intérêt du travail de nos délégations, fortes de leur liberté de ton.

Qu'en est-il sur le terrain près de quatre ans après le vote de la loi Élan ? Quelle est la valeur ajoutée des deux programmes « Action coeur de ville » (ACV) et « Petites villes de demain » (PVD), pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ? Cette dernière avait suscité quelques doutes lors de sa création ; elle fait l'objet, de la part de notre délégation, d'une « filature exigeante et bienveillante », puisque nous évaluons régulièrement son efficacité et sa diffusion dans les territoires. M. Charles Guéné et Mme Céline Brulin conduisent actuellement un travail d'évaluation de cette agence. Je suis heureuse de constater que votre travail a abouti à un véritable rapport d'évaluation de politique publique, en l'espèce de la politique de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs. C'est une nouveauté tout à fait conforme à l'article 24 de la Constitution. Le Sénat est très attaché à sa mission d'évaluation.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - La dévitalisation des centres a longtemps été un phénomène occulté par les pouvoirs publics. C'est pourquoi, dès 2016, le Sénat s'était préoccupé de la désertification des centres-villes et centres-bourgs, qui déséquilibre les territoires, fragilise les économies locales et affecte le lien social.

Le Sénat a ainsi inséré plusieurs dispositions dans la loi Élan de 2018 et a contribué à l'émergence des programmes de revitalisation ACV et PVD. Pilotés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ces programmes ont été lancés respectivement en décembre 2017 et octobre 2020.

Plusieurs interrogations étaient au coeur de notre mission. Quel a été l'effet concret de la loi Élan sur la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs en France ? Permet-elle désormais d'analyser les effets des projets commerciaux sur la revitalisation du tissu commercial du centre-ville ? L'essor considérable de l'e-commerce et des dark stores doit-il conduire à des adaptations normatives, ou les documents d'urbanisme suffisent-ils, à droit constant, pour assurer la régulation des nouveaux entrepôts ? Peut-on tirer un premier bilan des opérations de revitalisation des territoires (ORT) et du programme ACV ? Quelles sont les attentes des élus concernant le récent programme PVD ?

C'est pour répondre à l'ensemble de ces questions que nous avons réalisé vingt-neuf auditions, quatre déplacements et deux consultations en ligne auprès des élus locaux et des acteurs des programmes ACV et PVD. Nous vous avons présenté, le 7 juillet dernier, les résultats chiffrés de ces deux consultations.

Au terme de ce long travail, la mission propose quatorze recommandations.

Notre collègue Sonia de la Provôté va présenter le premier bilan que nous tirons de la loi Élan.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Nous tirons un premier bilan globalement positif du volet « revitalisation » de la loi Élan, qui a été inspiré par une proposition de loi sénatoriale, votée à l'unanimité, plébiscitée par les élus locaux et les deux chambres. Le Gouvernement avait souhaité l'insérer dans la loi Élan, qui ne traitait pas de la revitalisation. L'ORT est un outil partenarial vertueux, apprécié des élus locaux, et l'analyse d'impact du projet commercial est un nouvel outil efficace, quand il est connu et utilisé.

L'ORT, mesure inspirée des propositions sénatoriales, notamment du dispositif « Oser », constitue le coeur du volet « revitalisation » de la loi Élan. Elle permet aux élus de mettre en oeuvre un « projet global de territoire », selon un périmètre donné. Une nouvelle disposition issue de la loi dite 3DS, à savoir l'ORT multisites, peut rassembler plusieurs communes autour d'une même ingénierie. Matérialisée par une convention signée entre la ville, l'intercommunalité et l'État, l'ORT confère aux communes signataires une palette d'outils juridiques et fiscaux pour renforcer l'attractivité commerciale en centre-ville et moderniser le parc de logements. Toute revitalisation est nécessairement multi-axes.

Citons les principales mesures : dispense d'autorisation d'exploitation commerciale en centre-ville ; possibilité de suspension de projets commerciaux périphériques ; accès prioritaire aux aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) ; éligibilité au dispositif fiscal Denormandie dans l'habitat ancien ; renforcement du droit de préemption ; obligation d'information du maire et du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) six mois avant la fermeture d'un service public.

Ainsi, 60 % des élus consultés dans le cadre de la mission estiment que ces mesures contribuent à la revitalisation. Pourtant, seule la moitié des élus déclarent connaître le fonctionnement et le contenu des ORT, qui sont des outils très intéressants de planification urbaine sur le temps long. Cela nous conduit à faire une recommandation permettant de combler ce déficit de notoriété des élus concernant la politique de revitalisation. Beaucoup ignorent par exemple l'efficacité de certaines des mesures précitées. L'État doit mieux communiquer.

Nous notons également que le principe général d'interdiction de création ou d'extension de projets d'équipement commercial qui conduiraient à une artificialisation des sols, principe posé par la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, peut contribuer à un opportun rééquilibrage centre/périphérie, même s'il faut rester vigilant en la matière.

En réalité, au-delà des mesures précises, mal connues des élus, ces derniers apprécient surtout la dynamique créée par les ORT. Elles permettent en effet un espace de dialogue et un mode de gouvernance favorables à la conduite des projets de revitalisation.

Nous tirons donc un premier bilan plutôt positif des ORT.

J'en viens à l'analyse d'impact des projets commerciaux, autre mesure phare de la loi ELAN.

Issue d'une proposition du Sénat, l'obligation d'une analyse d'impact du projet commercial envisagé est une avancée considérable. Elle doit notamment évaluer les effets du projet sur l'animation et le développement économique du centre-ville de la commune, des communes limitrophes et de l'EPCI, ainsi que sur l'emploi - cette mesure est en vigueur depuis très longtemps en Allemagne - et démontrer qu'aucune friche existante en centre-ville, ou à défaut en périphérie, ne permet l'accueil du projet envisagé.

Le bilan de l'analyse d'impact est globalement positif. Toutefois, nous avons relevé deux difficultés au cours de notre mission.. Premièrement, les porteurs de projets présentent trop souvent des analyses d'impact incomplètes ou imprécises, de sorte que les effets du projet sur la revitalisation n'apparaissent pas toujours clairement. En outre, l'indépendance des organismes chargés de les réaliser, mais rétribués par les porteurs de projets, pose question. Deuxièmement, le test anti-friches se heurte à la difficulté d'identifier et de répertorier les friches. Voilà aussi un problème d'ingénierie : évaluer le potentiel de réutilisation d'une friche demande une bonne expertise.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - Nous présentons plusieurs recommandations pour redynamiser la politique de revitalisation.

Première recommandation : « muscler » le dispositif Denormandie d'aide fiscale à la rénovation de l'habitat ancien, d'une part, en l'étendant aux locaux commerciaux, d'autre part, en le faisant mieux connaître. Le dispositif de base reste très peu connu et très peu utilisé. La plupart du temps, les locaux commerciaux sont imbriqués dans l'habitat, ce qui demande des adaptations d'urbanisme.

Deuxième recommandation : affranchir les actions de revitalisation en ORT des règles contraignantes du « zéro artificialisation nette ». En effet, les règles de sobriété foncière ne doivent pas nuire aux indispensables actions de revitalisation dans les territoires fragilisés, sans quoi nous les achèverons.

Troisième recommandation : utiliser davantage les documentations de planification urbaine pour agir dans un cadre supra-communal, et limiter ainsi le risque de concurrence entre territoires, notamment pour réguler les dark stores. Dans ce cadre, la mission suivra avec intérêt les évolutions réglementaires annoncées par le Gouvernement pour qualifier d'entrepôts ces dark stores, même dotés d'un point de retrait.

Quatrième recommandation : renforcer le contrôle préfectoral des implantations commerciales en périphérie. Le contrôle est faible, et la surface commerciale vient souvent empiéter sur les réserves.

Cinquième recommandation : s'assurer de la mise en oeuvre des dispositions de la loi 3DS visant à limiter l'ouverture dominicale des grandes surfaces en périphérie.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Nous estimons que les dispositions de la loi Élan ont eu un effet globalement positif sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs. Il faut s'en féliciter, car le Sénat est largement à l'origine de ces mesures, proposées à la suite d'un travail transpartisan.

En revanche, l'appréciation que nous portons sur les programmes ACV et PVD est beaucoup plus nuancée. En effet, si les élus sont enthousiastes sur la méthode, ils jugent les financements très insuffisants et la mise en oeuvre trop lourde et complexe.

Nous formulons dans notre rapport trois constats concernant les programmes : la méthode, appréciée des élus locaux, crée une dynamique de revitalisation ; cependant, le sous-financement crée des frustrations chez les élus ; enfin, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable.

Pour ce qui est de la méthode, les programmes ACV et PVD ont plusieurs atouts. Premièrement, ils proposent une méthode pour lancer, accélérer ou structurer une dynamique locale de revitalisation qui part des besoins du terrain. Deuxièmement, ils incitent à construire une stratégie transversale : il faut désormais penser la revitalisation de manière globale en y intégrant les services publics, les équipements sportifs, les professionnels de santé, la culture, le patrimoine, les espaces verts et le stationnement. Troisièmement, ils renforcent une démarche partenariale avec l'État et les partenaires des programmes. Quatrièmement, ils permettent le recrutement des chefs de projets, élément très apprécié par les élus rencontrés.

Les élus jouent un rôle décisif dans ces dynamiques et portent avec enthousiasme ces politiques de revitalisation. Deux points importants ressortent des auditions : la coopération interterritoriale est une clé de la réussite des programmes et ces programmes accompagnent un changement de perception des villes petites et moyennes.

En ce qui concerne le sous-financement, ces programmes ACV et PVD font l'objet de cinq critiques fortes sur le volet financier.

Première critique : l'évaluation financière par la mission conjointe de contrôle démontre que les communes ACV n'ont pas d'accès prioritaire aux dotations de l'État. Globalement, la part des subventions qu'elles reçoivent sur ces dotations a même diminué entre 2018 et 2021. Pour faire face à ce désengagement, la mission préconise de créer un fonds d'équipement dédié, doté de 2 milliards d'euros, sur la durée restante des programmes.

Deuxième critique : les subventions pèsent trop peu dans l'enveloppe globale. En effet, les élus ont pu croire que les programmes ACV et PVD leur donnaient accès à des subventions, respectivement de 5 milliards d'euros et 3 milliards d'euros. Or la majorité des aides de l'État et de ses partenaires sont en réalité des prêts, des prises de participation et des aides aux bailleurs privés. Par exemple, les dotations de l'État dans le cadre d'ACV ne représentent que 600 millions d'euros sur les 5 milliards de l'enveloppe du programme.

Troisième critique : les aides de l'État et des partenaires demeurent insuffisantes. Même en prenant en compte toutes les aides, quelle qu'en soit leur nature, elles représentent, en moyenne, moins de 25 % des plans de financement des projets ACV. La politique de revitalisation des centres-villes est donc essentiellement financée par les collectivités territoriales elles-mêmes.

Quatrième critique : les collectivités n'ont généralement pas de visibilité pluriannuelle des financements et doivent donc composer au coup par coup, en tenant compte en outre de multiples appels à projets qui interfèrent avec le calendrier et le projet lui-même. Cette situation génère une grande incertitude sur une politique publique qui a besoin de perspectives claires.

Enfin, cinquième critique : le volet commercial des opérations de revitalisation n'est pas suffisamment développé.

Au regard de ces éléments, de nombreux élus présentent ces programmes comme une « grande illusion », une « machine à frustrations », voire « un pur produit marketing ».

M. Rémy Pointereau, rapporteur. - Troisième et dernier constat, la mise en oeuvre est complexe et difficilement évaluable. En effet, la stratégie de revitalisation des villes ACV doit se décliner sur cinq axes thématiques qui imposent aux collectivités un formatage de leurs objectifs. Les programmes ont souvent été menés « à marche forcée ». Le contexte local n'est pas toujours suffisamment pris en considération. Des critères nationaux sont ainsi imposés à des logiques locales. Le fonctionnement des programmes est jugé lourd et bureaucratique.

Ces programmes rassemblent des villes très hétérogènes dans leurs caractéristiques et leur dynamique de développement. C'est pourquoi notre rapport plaide pour une différenciation plus forte dans l'accompagnement des villes partenaires de ces deux programmes.

Les objectifs des programmes demeurent flous à l'échelon tant national que local. S'ils traduisent une prise en considération de la France rurale et périphérique, longtemps oubliée des politiques nationales d'aménagement du territoire, les objectifs attendus de la revitalisation ne sont ni chiffrés ni facilement évaluables, notamment pour les programmes ACV. Peu de communes sont engagées dans des processus d'évaluation complets. L'objectif de revitalisation est mesuré seulement par des critères sur la vacance commerciale et le logement, alors qu'il faudrait se concentrer sur tous les dispositifs structurants qui permettront d'attirer dans les centres les emplois, les commerces, les services publics, les professionnels de santé, les activités culturelles ou les équipements sportifs.

Nous faisons un certain nombre de propositions.

Face au constat de la satisfaction que suscitent les deux programmes ACV et PVD, la mission propose d'assurer leur pérennité jusqu'à la fin du prochain mandat municipal 2026-2032, notamment pour le programme PVD. Nous voulons avant tout prolonger les temps de réalisation des programmes existants, pour pallier les retards liés à la pandémie et l'augmentation des coûts de production.

Face aux constats sur le sous-financement et les frustrations que ces programmes suscitent, la mission recommande de créer un fonds dédié, complémentaire des fonds existants que sont la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (Dsil). Trop souvent, la DETR est ponctionnée par les départements pour financer des infrastructures d'assainissement, d'adduction en eau potable ou de voirie. Ce fonds serait doté de 2 milliards d'euros sur la durée restante des programmes de revitalisation, c'est-à-dire jusqu'en 2026.

Nous proposons également de créer un fonds d'intervention pour le commerce. Le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) a disparu, ce que nous déplorons. Les élus rencontrent des problèmes, par exemple, d'adaptation des anciennes réserves commerciales en habitations. Nous proposons d'étendre le dispositif Denormandie aux locaux commerciaux, comme indiqué plus haut.

Nous proposons de réduire le nombre d'appels à projets et appels à manifestation d'intérêt, d'élaborer un agenda prévisionnel pluriannuel et de réaliser un document simple qui retrace l'intégralité des financements de l'État et des principaux partenaires.

Enfin, nous proposons de former les élus à la mise en oeuvre des nombreux outils existants en matière de maîtrise du foncier.

Face au constat de la complexité, des risques de standardisation et de la difficulté d'évaluer ces programmes, la mission présente plusieurs recommandations.

La première recommandation est de faciliter l'action des élus en simplifiant drastiquement les dispositifs ACV et PVD et en présentant les offres en fonction des besoins concrets des élus.

La deuxième recommandation est de notifier pour chaque ville - j'insiste sur ce point - l'enveloppe pluriannuelle prévisionnelle de l'État et de ses partenaires, à l'appui de son projet de revitalisation, pour la durée restante des programmes, afin de rassurer les élus.

La troisième recommandation est d'organiser une fois par an, sur la durée des programmes, à l'initiative du préfet de département, une réunion d'information ouverte aux élus au sujet de la politique de revitalisation, par exemple sur les évolutions législatives, sur l'actualité des deux programmes, sur des exemples de réussites de revitalisation ou sur des difficultés rencontrées.

La quatrième recommandation est de renforcer l'évaluation des programmes, au plan national et sur le terrain.

Je voudrais conclure sur deux points.

Le premier concerne l'exercice même d'évaluation. La mission d'évaluation des politiques publiques est au coeur de l'action du Parlement. Ces démarches demeurent trop rares. En conséquence, il nous appartient de contribuer à développer la culture de l'évaluation dans notre pays. C'est une exigence pour garantir l'efficacité de l'action publique, comme le montrent les exemples de nos voisins européens tels que les Pays-Bas ou l'Allemagne.

Le second point est qu'il n'y a pas de fatalité au déclin des centres. Les outils existent et les élus locaux font souvent preuve d'un volontarisme politique exemplaire. Au terme de ce travail, nous avons acquis la conviction qu'il est possible d'agir et d'enrayer le mouvement de fragilisation de nos centres, mais sans doute nous trouvons-nous à présent placés au pied du mur. Si rien n'est fait, la situation deviendra rapidement irréversible. Malgré le programme ACV, la vacance commerciale a augmenté de 1 % depuis 2018. La revitalisation touche à l'équilibre des territoires, au lien social et à l'identité de notre pays et de nos territoires. En somme, à ce qui nous est le plus cher.

C'est pourquoi nous déposerons une proposition de résolution qui pourrait être débattue en séance dès le 15 novembre prochain. Il nous faut maintenant transformer le verbe en action.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Ce rapport s'intéresse à ce qui fait le coeur de la France, à ce qui fait la vitalité des territoires et à ce qui participe de la cohésion sociale. Sans centre-bourg plein de vitalité, pas d'espace de rencontre, pas d'espace de cohésion ; ne restent que la déprise et la décroissance. Les enjeux sont majeurs.

En matière de financement, les idées sont nombreuses. La DETR augmente, certes, mais les programmes éligibles aussi, ce qui crée des tensions.

Les programmes ACV et PVD ont apporté de nouvelles capacités d'ingénierie, grâce à la présence de chefs de projet.

Il est désespérant d'avoir supprimé le Fisac. Les modes de commerce évoluent. Il serait souhaitable de sensibiliser nos concitoyens au bilan carbone du e-commerce. Outre les dark stores, se posent deux questions : la boulangerie de rond-point, qui participe de la dévitalisation des centres, et le commerce en kiosque et en self-service.

La vitalité des centres tient à tout un écosystème, à la présence de services comme les maisons France Services, les écoles de musique, les bibliothèques, les crèches, etc. Nous échangeons actuellement avec les ministères pour la rédaction du décret d'application qui permettra de trouver des accords locaux en matière d'ouverture dominicale.

Le logement va de pair avec les commerces. Pourquoi les communes PVD ne peuvent-elles pas bénéficier des aides d'Action Logement ? Les PVD subissent des contraintes architecturales et patrimoniales très importantes.

M. Bernard Delcros. - Mes chers collègues, je suis d'accord avec l'ensemble de vos observations.

Pour que ces actions soient efficaces, une inscription dans la durée et une visibilité à long terme sont nécessaires. Il faut du temps pour s'approprier des programmes comme le dispositif Denormandie : il faut donc les pérenniser.

De plus, l'animation territoriale est une condition essentielle pour revitaliser nos centres-bourgs, notamment dans les PVD et les collectivités en milieu rural, qui ne disposent pas de moyens d'ingénierie. Nous devons faire des propositions.

En matière de sous-financement, un fonds dédié est nécessaire. Sur le terrain, comme il n'existe pas de fonds dédié, soit la DETR est utilisée en priorité pour les PVD, au détriment d'autres communes, soit les financements ne sont pas disponibles. Un fonds dédié est la seule solution ; la DETR doit garder sa vocation première.

Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) peuvent être un bon outil pour accompagner ces programmes. Cependant, ils n'ont pas été gérés comme des contrats, qui demandent des engagements dans la durée.

Enfin, les appels à projets sont trop nombreux. Quant à la différenciation des territoires, une différenciation des normes est aussi nécessaire : chaque territoire ne peut pas appliquer les mêmes normes. Nos guides doivent rester la responsabilité et le bon sens.

M. Hervé Gillé. - Je remercie nos collègues de leur travail très pertinent, qui permet de mettre en perspective des questions importantes, notamment les frustrations créées par ces différents programmes.

Avez-vous eu des retours, lors de vos auditions, sur la façon dont ces projets peuvent faire l'objet d'une coconstruction entre l'État et les différentes collectivités parties prenantes ? On devrait assister dans l'idéal à une véritable alliance pour former une task force dédiée à la mise en oeuvre de ces programmes. À mes yeux, c'est une condition sine qua non de réussite. Qu'en est-il sur le terrain ?

Je m'interroge aussi sur la façon dont ces dossiers s'insèrent dans une dynamique de territoire portée par les intercommunalités. Ils devraient idéalement être inscrits dans le cadre d'un programme pluriannuel d'investissements et accompagnés par l'intercommunalité, mais je ne suis pas certain que ce soit toujours le cas.

Enfin, quelques dérogations ont, me semble-t-il, été accordées pour que ces dispositifs puissent aussi bénéficier à plusieurs communes qui, en se regroupant, peuvent constituer une unité urbaine nouvelle. Pour ma part, je trouve cela très positif.

M. Didier Rambaud. - Ayant été maire d'un bourg-centre de 3 000 habitants, je suis passionné par la question de la revitalisation des centres-villes.

Si les élus locaux maîtrisent plutôt bien l'aménagement urbain, en particulier la création d'espaces ou d'équipements de convivialité, ils rencontrent davantage de difficultés sur la question du logement et du commerce de proximité, notamment parce qu'ils se heurtent au problème de la maîtrise du foncier.

Il y a quelques années, Jacqueline Gourault avait émis l'idée de créer des foncières pour aider les collectivités aux prises avec les logements inoccupés dans les centres-bourgs, les dents creuses et les ventes en cascade de locaux commerciaux. Où en est-on sur ce sujet essentiel de la maîtrise du foncier ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le rôle des intercommunalités dans ces programmes pose en effet question. Des difficultés sont apparues par endroits, car, au sein d'un même EPCI, certaines communes peuvent être retenues, tandis que d'autres non.

Par ailleurs, la plupart des projets portés étant communaux, les intercommunalités ne peuvent pas assurer la maîtrise d'ouvrage.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Je converge sur la nécessité d'une programmation pluriannuelle, y compris financière.

S'agissant des chefs de projet, un problème de financement se pose. L'État participe à hauteur de 75 % et pour trois ans seulement alors que les projets s'étalent souvent sur deux mandats municipaux.

Le problème du financement des programmes a été rapidement identifié. Les élus qui siègent dans les commissions d'attribution de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) l'ont bien constaté : si l'on veut que ces projets soient prioritaires, il faut flécher des crédits, mais cela se fait alors au détriment des autres communes. N'oublions pas qu'il y a seulement, en moyenne, deux programmes ACV par département, et beaucoup plus de villes éligibles. Le problème se pose de la même manière, avec encore plus d'acuité, pour le programme PVD. Il faudrait donc une enveloppe dédiée.

Vous avez aussi évoqué l'idée d'une task force. Des contrats de territoires régionaux ou départementaux existaient avant la mise en oeuvre des programmes PVD et ACV, mais, in fine, cette question rejoint celle de la DETR : pourquoi les territoires qui ne sont ni dans PVD ni dans ACV seraient-ils moins accompagnés ?

Des opérations de revitalisation des territoires (ORT) multisites existent par endroits, même si elles restent expérimentales. Il s'agit de plusieurs ORT sur différents périmètres qui s'imbriquent ensemble. Les échanges sont permanents au sein d'un territoire de vie, et, en effet, il est impossible de traiter la question de la redynamisation commerciale sans prendre en compte les différentes échelles du territoire.

Quant à la maîtrise du foncier, j'ai toujours pensé que c'était le nerf de la guerre. On ne manque pas d'outils. Les foncières existent, qu'il s'agisse des foncières commerciales à l'échelle des différentes collectivités ou des établissements publics fonciers (EPF). D'autres structures comme les sociétés d'économie mixte (SEM) d'aménagement peuvent aussi porter le foncier, à condition qu'elles aient le droit d'intervenir dans les ORT. En réalité, les élus ont surtout besoin d'être accompagnés pour trouver le bon outil.

Mais, en effet, quand les maires voient que de grands investisseurs achètent toutes les cases commerciales, y compris dans les territoires ruraux, dans la perspective du « zéro artificialisation nette » (ZAN), ils sont souvent démunis.

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Les programmes ACV peuvent bénéficier des fonds d'Action Logement, ce qui n'est malheureusement pas le cas pour l'instant des projets PVD.

Quand on parle de différenciation des normes, il faut rappeler que le préfet dispose d'un pouvoir de dérogation. Mais il ne l'actionne que très rarement, car ce n'est pas dans la culture de l'État.

Sur la coconstruction des projets, c'est toujours le même problème : l'État lance des programmes et met ensuite les régions et les départements devant le fait accompli. Certaines collectivités suivent, d'autres plus difficilement, notamment pour des raisons financières. Il devrait y avoir davantage de coopération en amont entre l'État et les collectivités.

La gestion des projets au niveau intercommunal pose parfois problème, mais il arrive que les programmes PVD associent deux communes proches, avec des possibilités de mutualisation de moyens à la clé.

Le nerf de la guerre pour revitaliser les centres-villes, ce sont les commerces alimentaires. Parfois, quand elle joue le jeu, il peut être intéressant de s'appuyer sur la grande distribution pour l'installation de petits supermarchés.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - L'attractivité des centres-villes et centres-bourgs passe en effet beaucoup par les petits commerces de détail.

Les résultats d'une enquête menée dans la région Centre par la chambre des métiers auprès des artisans et commerçants de proximité des 299 villes de moins de 2 000 habitants montrent que 10 % d'entre eux souhaitent quitter les centres-villes et centres-bourgs, essentiellement pour des problèmes d'agrandissement, de locaux obsolètes mal adaptés aux nouvelles formes de commerce et de coût des loyers. Dans une région assez active comme la nôtre, ce chiffre doit nous alerter et justifie pleinement notre proposition sur l'immobilier commercial. Les commerçants pointent aussi unanimement les problèmes de parking, y compris dans les petites villes.

Enfin, parmi ceux qui restent, 40 % estiment qu'ils ne sont pas sollicités pour participer à l'animation des centres-villes et centres-bourgs, ce qui doit aussi faire réfléchir.

Nous devons parvenir à concilier les attentes des élus et les besoins des entrepreneurs de proximité.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Je prendrai l'exemple des pharmacies, qui ont besoin de plus d'aires de stockage que par le passé. Dans mon département, le maire de Sain-Bel s'est heurté à des difficultés pour trouver des locaux plus grands pour sa pharmacie, entre refus de la préfecture, zones inondables et distance du centre-bourg... Heureusement, une solution a été trouvée grâce à la présence d'un chef de projet.

À Tarare, une commune en plein boom depuis l'inauguration de l'A89 - elle est désormais à trente minutes du centre de Lyon -, le maire n'arrivera pas à revaloriser les logements du centre s'il ne résout pas le problème des commerces. Les deux problèmes sont intimement liés.

Je ne saurais négliger l'ingénierie, j'ai fait toute ma carrière dans ce domaine, et c'est un point qui est revenu chez tous les élus, qui ont bien compris ses avantages ; cela a rassemblé, sur certains territoires, les chefs de projet.

S'agissant du financement, si une commune membre d'une intercommunalité bénéficie d'un label ACV ou PVD et capte en plus les fonds issus d'autres dispositifs, cela nuit à l'entente entre les membres des intercommunalités. Ensuite, il s'agit d'associer la population, ce qui est évidemment souhaitable. Quand les financements ne sont pas acquis, on a tendance à ne pas le faire, car c'est politiquement très dangereux. À Tarare, les commerçants ont été associés, et ont pu réinvestir eux-mêmes dans leurs boutiques, créant une dynamique.

L'implication de la région et des départements est très variable, mais l'État doit comprendre qu'il faut partir du terrain, avec l'aide de l'ingénierie.

M. François Bonhomme. - Une des recommandations concerne la possibilité pour les ORT de déroger aux règles du ZAN. À mon sens, c'est un préalable à toute action.

S'agissant de la DETR, nous connaissons tous les discussions avec le préfet sur les critères d'éligibilité, qui visent à ne pas diluer l'impact des projets. En effet, des critères trop larges finissent par nuire à l'efficacité des projets que nous soutenons.

On voit se multiplier les événements autour des « plus beaux villages de France » qui démontrent l'existence d'un vrai souci esthétique. A contrario, des inquiétudes se font jour sur les entrées de ville de certaines communes, au point que Paysages de France a créé « le prix de la France moche ». Il y a eu un enlaidissement des périphéries de villes, avec ces ronds-points sur lesquels sont posés des blockhaus en tôle ondulée proposant des pizzas surgelées jour et nuit. Ne peut-on pas proscrire ces opérations ? Quel est le gain pour la collectivité ? Les commerces de ce genre se multiplient à proximité de ces ronds-points, peut-être faut-il être plus prescriptif. Certes, l'esthétique ne peut être définie par la loi, mais il existe des commissions départementales d'aménagement commercial (CDAC) et d'autres leviers qui doivent prendre en compte le développement durable. Quand on voit ce que devient un bâtiment moche qui vieillit, on devrait pouvoir être plus directif !

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - C'est une double peine, et pour le centre-ville et pour les commerces du centre-bourg, parce que les habitants ne font plus leurs courses que dans ces zones de ronds-points.

Mme Sylvie Robert. - Nous avons déjà eu ce débat sur la France moche et sur les zones d'aménagement économique et la situation s'est encore aggravée, à cause de la notion de service immédiat.

Je voudrais revenir sur la dimension culturelle, de plus en plus présente. Elle est liée à l'attractivité, parce qu'elle favorise l'arrivée de nouveaux habitants. J'ai vu ainsi des aménagements de granges permettant d'accueillir des artistes en résidence, qui ensuite achètent, et font venir d'autres personnes. Le problème est le financement. Il ne s'agit pas de faire des tiers lieux, je n'en peux plus de ce mot ! Les maires me parlent de cela, mais on ne sait pas ce que c'est, ça ne sera qu'un effet d'aubaine, du financement sans méthodologie. Nous avons travaillé, avec Sonia de La Provôté, sur l'impact du covid sur le secteur culturel. Il nous semblait que, dans les crédits des directions régionales des affaires culturelles (Drac), on pourrait réserver une enveloppe de 10 %, par exemple, pour des projets menés par les élus et, donc, accompagnés par les Drac. Des programmes intéressants, mais sans moyens et sans expertise, pourraient ainsi en bénéficier. Il s'agit donc de prévoir des crédits de droit commun dans des services déconcentrés, pour soutenir des projets culturels ambitieux.

M. Michel Canévet. - La question du travail en silo est préoccupante. Il y a eu différentes opérations, ACV, PVD, mais chacun travaille dans son coin sans beaucoup de concertation. Or il faut de la coordination.

Dans ces processus, la question du logement est vitale. Au lieu de piquer dans les réserves d'Action Logement, l'État devrait se contenter de ponctionner de manière ciblée pour ACV ou PVD sur les programmes destinés aux centres-villes.

S'agissant du dispositif Denormandie, je souscris à ce qui a été dit. Toutefois, s'agirait-il seulement d'une extension aux commerces ou peut-on envisager d'autres modalités ?

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Je suis d'accord avec les propos de Sylvie Robert, sur la dimension culturelle, comme sur les tiers lieux.

S'agissant du travail en silo, il serait bienvenu que l'État contacte l'Assemblée des départements de France (ADF) ou Régions de France, plutôt que d'imposer des opérations sur lesquelles régions et départements auront déjà travaillé. En outre, c'est ainsi que l'on peut obtenir un effet levier.

Sur le dispositif Denormandie, il faudrait déposer un amendement au projet de loi de finances pour permettre aux locaux commerciaux d'en bénéficier. Les propriétaires pourraient ainsi lancer des travaux grâce à la défiscalisation, qui créerait ainsi un effet levier.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - Cela a déjà été proposé et retoqué dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

M. Rémy Pointereau, président de la mission conjointe de contrôle. - Nous pourrions tirer argument du fait que 700 ménages seulement ont bénéficié en 2021 du dispositif Denormandie

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. - J'en viens à la dérogation aux règles du ZAN. Nous parlons des coeurs de ville. Cela concerne donc peu d'hectares, même s'il en existe encore ici et là qui ne sont pas classés en artificialisés. À mon sens, soit on les classe tous, soit on obtient l'autorisation de déroger. À mon sens, toutefois, ce n'est pas un sujet, car cela sera sans effet sur l'objectif du ZAN. Le bénéfice environnemental d'une revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs est bien plus élevé que le coût de ces dérogations.

En ce qui concerne les bâtiments, il existe beaucoup de labels - « écodurable », « écoresponsable », etc. - mais ils ne sont pas encore identifiés comme référence dans le paysage urbain. Dès lors que l'on impose la réversibilité des bâtiments, la construction devient qualitative.

Sur la culture, je suis d'accord avec Sylvie Robert. La redynamisation est un écosystème à plusieurs axes. Je suis favorable à ce que les Drac consacrent un budget dédié à disposition de la revitalisation dans le domaine culturel.

M. Serge Babary, président, rapporteur. - Je retiens la proposition d'un pourcentage des crédits des DRAC. Il faut décloisonner les procédures, en particulier en ce qui concerne ACV et PVD. Élus, professionnels, acteurs de la culture ou du monde sportif ne peuvent pas travailler séparément. L'attractivité, ça concerne tout le monde. J'appelle donc toutes les bonnes volontés locales à travailler ensemble.

M. Gilbert-Luc Devinaz, rapporteur. - Les tiers lieux ne sont pas une recette universelle, car il faut toujours partir du terrain. À Tarare, le tiers lieu est une très belle réussite, des étudiants y passent du temps, cela leur permet de ne pas avoir à se rendre à Lyon trop souvent, et donc cela leur permet de grosses économies, mais le contexte est très particulier, et le lieu très vaste est installé dans une ancienne usine textile. Je ne sais pas si l'on peut généraliser cette expérience.

J'ai fait partie de ceux qui ont promu les ronds-points, parce que c'était moins onéreux qu'un carrefour avec feux de signalisation. Nous n'en avions alors pas mesuré les effets. Cela a pris cette dimension parce que les gens vont travailler dans la métropole et rentrent ensuite dormir chez eux. Certaines communes ont trouvé des solutions ; le maire de Jonage a ainsi racheté des commerces et définit le montant des loyers, et son centre-ville reprend vie alors que l'activité diminue autour des ronds-points.

Enfin, je suis d'accord avec ce qui a été dit : l'aspect culturel est fondamental.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous parlons d'un écosystème, et nous sommes bien d'accord : il faut partir des atouts des territoires pour inventer du dynamisme. Il faut amener les gens à avoir envie de fréquenter la ville.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 12 h 00.