Mercredi 21 septembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Cécile Cukierman rapporteure de la proposition de loi n° 720 (2021-2022) encadrant l'intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques, présentée par Mme Éliane Assassi, M. Arnaud Bazin et plusieurs de leurs collègues.

Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Agnès Canayer rapporteur de la proposition de loi constitutionnelle n° 872 (2021-2022), visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception, présentée par Mme Mélanie Vogel et plusieurs de ses collègues.

Audition de M. Jean-Marc Sauvé, président, et de membres du comité des États généraux de la justice

M. François-Noël Buffet, président. - Je suis heureux d'accueillir les membres du comité des États généraux de la justice, dont le rapport a été remis au Président de la République en juillet dernier. Il est le fruit d'un travail approfondi, auquel j'ai eu l'honneur de participer entre octobre 2021 et avril 2022.

Ces États généraux de la justice ont été initiés par le Président de la République à la suite de l'intervention forte de Mme Chantal Arens, alors première présidente de la Cour de cassation et de M. François Molins, procureur général près cette même Cour, sur la situation critique de la justice française.

Plus de 7 000 magistrats ont ensuite signé une tribune parue dans la presse, en réaction au suicide dramatique de l'une de leurs collègues, dénonçant leurs conditions de travail et parfois même la perte de sens de leur métier, ce qui est sans précédent.

Le malaise dans la justice est une réalité incontestable. La perte de confiance des citoyens dans son action aussi, comme l'a montré l'Agora de la justice organisée par le Sénat il y a presque un an, à une semaine près...

Cette réalité, le Sénat l'a mise en lumière depuis plusieurs années, tout en faisant des propositions qui n'ont pas toujours reçu un accueil favorable de la Chancellerie... Je citerai les trois principaux rapports de la commission des lois sur le sujet : Cinq ans pour sauver la Justice !, au terme d'une mission d'information conduite par Philippe Bas ; en 2019, La justice prud'homale au milieu du gué, au terme d'une mission d'information conduite en commun avec la commission des affaires sociales et dont Agnès Canayer fut rapporteur ; et en 2021, Le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise, dont François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi furent rapporteurs.

D'autres travaux sont régulièrement menés, notamment en période budgétaire, par les différents rapporteurs pour avis. La commission des lois et l'ensemble du Sénat avaient signalé depuis longtemps de grandes difficultés et préconisé des solutions. Il est donc heureux de retrouver de nombreux points de convergence parmi les constats et les propositions du rapport des État généraux avec les travaux du Sénat.

Il faut désormais s'attacher à la mise en oeuvre des propositions, qu'il s'agisse des moyens, de l'organisation et du fonctionnement de la justice, ou des réformes législatives. Le Sénat y veillera.

Il importe également que le ministère accepte de changer de méthode en réformant la justice de manière systémique au service du justiciable et d'un meilleur fonctionnement, en évaluant en amont les conditions pratiques nécessaires à la réussite de ces réformes, et sorte d'une approche purement normative.

À cet égard, nous ne devrions modifier les textes qu'en cas de stricte nécessité : les juridictions sont épuisées par les modifications incessantes des règles - et cela vaut tant pour la loi que pour les textes réglementaires...- nous avons tous pu le constater lors de nos stages en juridictions cette année au sein des tribunaux judiciaires de Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Rouen et Marseille. Au total, treize collègues de notre commission se sont rendus en juridiction entre juin 2021 et août 2022.

Mme Chantal Arens, ancienne première présidente de la Cour de cassation, membre du comité des Etats généraux de la justice. - Depuis plus de vingt ans, de nombreux rapports ont été publiés sur le fonctionnement de la justice, dont le rapport, très remarqué, de la commission des lois du Sénat en 2017, malheureusement peu suivi d'effet. Son constat était déjà sévère : l'institution judiciaire est l'une de celles qui se sont le plus réformées depuis trente ans, mais la justice est en très grande difficulté.

En juin 2021, mandaté par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) en raison d'attaques incessantes contre la justice, le procureur général François Molins et moi-même avons rencontré le Président de la République. Nous lui avons présenté l'état de la justice et il a décidé de lancer les États généraux le 18 octobre 2021, avec un partage des tâches entre le ministère de la Justice, les juridictions, les avocats et le comité des États généraux.

Le ministère de la justice a lancé une vaste consultation citoyenne qui a recueilli 50 000 contributions. Parallèlement, des ateliers citoyens ont émis plusieurs propositions, de même que des ateliers communs entre citoyens et professionnels de la justice. Durant trois mois, sept groupes de travail ont réuni les professionnels de la justice, et ont fait des propositions de réforme.

Le comité des États généraux, indépendant et présidé par le président Jean-Marc Sauvé, a fini son rapport fin avril, et l'a remis au Président de la République le 8 juillet.

Depuis, le garde des Sceaux a lancé de vastes consultations auprès des professionnels de la justice. Le comité des États généraux a pris connaissance de l'ensemble des contributions et il s'est déplacé dans les juridictions, pour voir la réalité. Il a notamment assisté à des audiences de comparution immédiate. Il a suivi des ateliers, des groupes de travail, et s'est emparé de certains thèmes qui n'étaient pas dans la lettre de mission, comme la responsabilité des décideurs publics ou l'accès aux droits et à la citoyenneté.

Peu après le début des travaux est parue une tribune des magistrats, greffiers et de quelques avocats, faisant entrer en force la question des moyens de la justice dans la réflexion des États généraux.

Le constat du comité est extrêmement sévère, et il est au moins aussi important que ses propositions. Nous devons changer complètement notre état d'esprit, et arrêter de réformer sectoriellement : depuis trente ans se sont empilées des réformes qui ne fonctionnent pas.

Le prologue du rapport rappelle des éléments importants : la justice est un service public, mais aussi une autorité judiciaire, qui participe de la démocratie et de l'État de droit. Je précise que les juridictions administratives n'étaient pas dans le périmètre des États généraux, qui visaient seulement les juridictions de l'ordre judiciaire.

Il y a une crise majeure de l'institution judiciaire, qui n'a plus les moyens de remplir son rôle et qui est remise en question.

Une des explications tient à des politiques publiques défaillantes. La justice est au bord de la rupture : alors que le nombre d'affaires civiles nouvelles diminue, les délais s'allongent. Cela nous a interrogés, ainsi que la Cour des comptes, dans un contexte de surmédiatisation de la justice pénale, alors que la justice civile représente 60 % des contentieux de l'ordre judiciaire.

Cette justice n'arrive pas à protéger les plus faibles - mineurs en danger ou personnes sous tutelle. Les parquets et le système pénitentiaire, qu'il soit ouvert ou fermé, sont en grande difficulté.

Selon l'enquête réalisée par le Sénat il y a un an, 50 % des justiciables ne croient plus dans la justice. Pour les professionnels, c'est une perte de sens de l'institution judiciaire.

En dépit de nombreuses réformes et de nombreux moyens accordés à la justice récemment, le système ne fonctionne pas, malgré un engagement extrêmement fort des magistrats et des fonctionnaires de la justice.

Il n'y a presque jamais eu d'approche systémique, c'est toujours une approche sectorielle qui a prévalu. Par exemple, on s'est rendu compte que la prise en charge des peines par le juge d'application des peines ne fonctionnait pas toujours très bien. Il a donc été mis en place une procédure permettant aux tribunaux correctionnels d'aménager les peines à l'audience. Cela ne fonctionne pas très bien, car il y a trop de dossiers à l'audience et celles-ci sont tardives. Ces tentatives de réforme ont échoué, car une seule partie du problème avait été examinée.

Il y a quelques années, on avait voulu déjudiciariser. Le comité s'est rendu compte qu'il était impossible d'aller plus loin dans la déjudiciarisation, faute d'outils de pilotage statistiques pour évaluer les volumes. Par exemple, les pensions alimentaires représentent 25 % des dossiers civils. Ce serait un énorme volume à déjudiciariser...

Le pilotage administratif et budgétaire est déficient, avec un sous-investissement chronique, notamment sur l'informatique, obsolète. L'inflation législative est devenue une réponse à chaque problème de société. Le code de procédure pénale a été largement modifié. Les textes s'empilent, empêchant une bonne application de la loi dans le temps, au moins en matière civile.

Nous avons chiffré les moyens supplémentaires nécessaires à 1 500 magistrats, 2 500 fonctionnaires, des adjoints administratifs, des applications informatiques et 2 500 juristes assistants. Ces moyens ne suffisent pas, car il faut clarifier le rôle de la justice dans la société.

L'un des écueils fondamentaux serait de ne pas se demander à quoi sert un juge, un avocat, un procureur de la République... Nous avons constaté à quel point l'office du juge civil avait changé. Au XIXe siècle, le juge appliquait la loi et tranchait. Désormais, en plus de ce rôle, il tient un office protecteur, à savoir des audiences de cabinet, sans robe, très proche du citoyen. C'est cette justice-là qui est critiquée par les citoyens comme étant trop lente et trop chère. Avant toute réforme, il faut donc s'interroger sur l'office du juge et des professionnels du droit.

Le rapport des États généraux de la justice, selon moi, n'est pas révolutionnaire : nous ne proposons ni un Conseil de justice ni une séparation du siège et du parquet comme dans d'autres pays, mais une approche d'ensemble, pragmatique : une évolution du rôle du CSM, une réarticulation des responsabilités politiques et pénales, une augmentation des ressources de la justice dans son ensemble.

Il faut aussi prendre en compte l'équipe autour du magistrat, comme le préconise le rapport de Mme Dominique Lottin, ancienne membre du Conseil constitutionnel, même si cela ne résoudra pas tout.

Il faut recruter, améliorer l'informatique. Il est urgent de faire évoluer les systèmes.

Nous devons aussi faire évoluer les organisations territoriales. Nous n'avons pas proposé de supprimer des juridictions. Nous croyons à la fois à la justice de proximité et à la spécialisation des contentieux. Il faut faire évoluer les organisations d'un point de vue budgétaire, comme le préconisaient les rapports du Sénat et de la Cour des comptes.

L'éducation au droit et la politique d'accès au droit sont également importantes. L'éducation à la citoyenneté, prévue à l'école, n'est pas très efficiente, pour des raisons conjoncturelles. Nous formulons des propositions sur ce point.

Nous proposons également que l'institution judiciaire communique mieux : nous avons la culture de l'obligation de réserve et, collectivement, nous communiquons assez mal sur ce que nous faisons.

Je terminerai par un focus sur la justice civile. Il y a très peu d'observateurs capables d'observer sur trente ans les grandes évolutions. Il y a trente ans, il n'y avait quasiment que des magistrats civilistes. Actuellement, il y a surtout des magistrats pénalistes et de moins en moins de civilistes, dans un contexte de plus large accès à la justice du quotidien, donc à un contentieux de masse, mais humainement complexe à gérer, dans ces audiences de cabinet. Les magistrats sont de moins en moins spécialisés pour les matières complexes, étant pris par cette justice du quotidien - hormis à la cour d'appel de Paris, à celle de Versailles, et à la Cour de cassation.

La justice civile, dans les juridictions de première instance, représente 60 % du contentieux, 75 % à 80 % en cour d'appel, et dans ces 75 %, il s'agit pour moitié du contentieux social, avec un très fort taux d'appel des décisions des conseils de prud'hommes. La justice civile s'est lentement dégradée depuis quinze ans. Malheureusement, l'excellent rapport de l'Inspection générale de la justice sur l'attractivité des fonctions civiles n'a pas été rendu public. Les causes de cette dégradation sont multiples : pénalisation de la société, augmentation du nombre de contentieux, sous-dotation de la justice...

Il y a trente ans, pratiquement toutes les audiences étaient collégiales en première instance. Désormais, c'est essentiellement un juge unique. Compte tenu de la carte judiciaire, dans beaucoup de petites juridictions, de jeunes magistrats président l'audience civile ou statuent seuls. Le comité des États généraux a proposé de redonner la priorité à la première instance, contrairement à la situation actuelle avec un taux d'appel variant de 14 à 70 % en matière pénale.

Il faut mener une vraie politique civile. On parle beaucoup de la politique pénale, mais je ne suis pas sûre qu'un garde des sceaux ait été entendu par les commissions des lois sur la politique civile du ministère...

Il faut aussi développer les modes alternatifs de règlement des différends : loin d'être un pis-aller pour traiter les stocks, ils sont une véritable politique pour sortir de la culture du conflit propre à la France. Nous devons avoir une démarche première de conciliation et de médiation.

Ce rapport préconise donc une vision globale de la réforme, une interrogation sur l'office de chaque profession, et de changer totalement d'état d'esprit. Si ce n'est pas fait, la crise s'aggravera. Tout le monde doit avancer dans la même direction.

M. François-Noël Buffet, président. - Je précise que cette audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Elle s'inscrit dans le cadre de la préparation du débat sur les Etats généraux de la justice qui se tiendra en séance publique au Sénat le 4 octobre prochain.

M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, membre du comité des Etats généraux de la justice. - Je partage sans réserve les propos de Mme Arens.

L'exercice n'allait pas de soi, puisque ce comité regroupait de nombreuses personnalités du monde judiciaire, politique, universitaire. Le travail fut riche et de qualité, loin des querelles de chiffonniers parfois évoquées par un périodique. Comme toujours, certains sujets sont plus ou moins clivants. Certains ont fait l'unanimité, d'autres ont fait l'objet d'opinions majoritaires ou minoritaires, mais jamais dissidentes : il y a toujours eu un socle minimal de consensus.

J'évoquerai la procédure pénale - qui n'est pas le sujet qui a été le plus l'objet de propositions. On ne peut lire les conclusions du rapport du comité qu'à la lumière du groupe de travail sur la procédure pénale. Celui-ci s'est prononcé pour le maintien du juge d'instruction, mais il souhaitait un nouveau cadre d'enquête, à travers une comparution aux fins d'enquête complémentaire, qui aurait permis au parquet, en cours d'enquête, de faire déférer la personne devant lui, de lui notifier un certain nombre de charges, de l'interroger, puis de poursuivre l'enquête sous le contrôle d'un juge.

Il y avait aussi d'autres propositions pour rénover les délais d'instruction, pour parachever le contradictoire, pour améliorer la qualité des investigations - par exemple, augmenter la durée de la flagrance à quinze jours au lieu de huit.

Mesure phare dans l'évolution des pouvoirs conférés au parquet, le groupe de travail proposait la création d'une mesure transactionnelle qui aurait permis, avec l'accord de la personne poursuivie, de mettre en oeuvre des mesures transactionnelles - des amendes de composition. Dans le cas contraire, on serait revenu à un mode classique d'orientation des poursuites.

Sans rentrer dans ce détail de mesures, le comité s'est prononcé et a proclamé son attachement à certains points. Je rappelle qu'il a remis son rapport avant les polémiques sur la réforme de la police judiciaire. Le comité a rappelé son attachement au respect du principe de la direction de la police judiciaire par les magistrats, qui est un principe à valeur constitutionnelle.

Le comité a surtout assumé une différence forte par rapport au groupe de travail sur la simplification. Il a pris à son compte le fait que la complexification croissante depuis vingt ans de la procédure pénale résulte d'abord, et en partie, d'un renforcement de la garantie des droits. Si l'architecture et la lisibilité du code de procédure pénale peuvent et doivent être améliorées, la simplification ne peut affaiblir ces garanties - et notamment la présomption d'innocence, le droit à un procès équitable, le délai raisonnable, le respect des droits de la défense. Telles sont les limites de l'impératif de simplification.

Le comité a estimé qu'il était indispensable de « refondre » le code de procédure pénale, au-delà de la codification et de la simplification. Une codification à droit constant représente déjà un chantier pluriannuel.

Ce code est devenu illisible et peu praticable : entre 2008 et 2022, il est passé de 1 700 à 2 400 articles, soit 700 articles supplémentaires en quatorze ans. Il y a également un problème de cohérence. Nous devons donc nous inscrire dans une démarche systémique, avec une vision globale et sur le long terme, compte tenu des délais de réécriture. Cet avis du groupe de travail a été entièrement repris par le comité.

Le maintien du juge d'instruction a fait l'objet d'une opinion majoritaire du comité. Nous avons un paysage particulier, avec trois cadres d'enquête : préliminaire, en flagrance, et l'instruction. Près de 97 % des dossiers sont traités par le parquet ; l'instruction ne concerne plus que 3 % des affaires. Les droits des gens et les procédures ne sont pas identiques dans ces trois cadres d'enquête. Malgré tout, une majorité des membres du comité a manifesté son attachement à l'office du juge d'instruction, soulignant son expertise, sa réactivité et son efficacité, notamment en matière de grande criminalité, de terrorisme, de cybercriminalité et de criminalité financière.

Il a paru évident que la disparition du juge d'instruction serait d'autant plus difficile à mettre en oeuvre au profit d'un ministère public dont tout le monde reconnaît que les garanties statutaires sont insuffisantes. Cela poserait problème de remplacer l'office d'un juge par un parquetier, qui a un statut différent. Le comité a voulu défendre notre système mixte, à la fois inquisitoire et accusatoire, qui garantit une part importante du contradictoire dans la phase préparatoire au procès pénal. Il garantit également le mieux l'égalité des droits et l'accès à la justice, contrairement à d'autres systèmes, notamment américain.

Nous avons estimé que la création de la nouvelle procédure intermédiaire souhaitée par le groupe de travail n'était pas souhaitable. Créer un nouveau cadre d'enquête avec une enquête complémentaire risquait de complexifier encore davantage les cadres juridiques existants.

Compte tenu du fonctionnement de la justice, nous ne pouvons pas nous priver d'une réflexion de fond sur la tenue des audiences de comparution immédiate, qu'on retrouve dans les mécanismes qui expliquent, au moins en partie, la surpopulation pénitentiaire à travers l'augmentation des peines de prison. Contrairement aux accusations de laxisme, la durée moyenne des peines de prison a augmenté de deux mois en quelques années. Certes, les audiences de comparution immédiates sont souvent tardives et réalisées dans de mauvaises conditions.

Nous avons souhaité une réflexion sur le déroulement de l'audience devant le tribunal criminel départemental, dans le cadre de la réécriture du code de procédure pénale. Nous étions sur un schéma d'expérimentation qui a été clos et qui s'est traduit par la généralisation. Cela prend un certain relief au regard de l'accélération du processus choisie par le législateur.

Le comité a adopté à l'unanimité le fait qu'au regard des équilibres institutionnels et des garanties statutaires du ministère public, il n'était pas souhaitable ni opportun d'aller plus loin dans les pouvoirs accordés au parquet et d'aller jusqu'à conférer à la décision du ministère public un caractère transactionnel. Cela brouillerait encore davantage l'office du parquet et du juge.

Le groupe de travail et le comité n'ont pas su choisir entre certains modèles, notamment sur les cadres d'enquête. Faut-il supprimer l'instruction, ou fusionner l'enquête de flagrance ou l'enquête préliminaire, soit pour généraliser l'enquête préliminaire, soit pour laisser uniquement l'enquête de flagrance comme le voudrait le directeur général de la police nationale ? Nous n'avons pas d'études d'impact suffisantes pour choisir l'une ou l'autre solution. Or nous devons disposer d'études d'impact extrêmement fouillées pour mesurer les conséquences de ces choix. Le diable se niche dans les détails, extrêmement complexes. Nous devons faire cela avant tout exercice de fond et toute réécriture.

Certains membres du groupe de travail sur la procédure pénale ont essayé de proposer à nouveau des mesures qu'ils avaient tenté de faire adopter dans la loi de 2019, mais qui n'avaient pas été reprises par les parlementaires.

M. Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux, membre du comité des Etats généraux de la justice. - Je souscris à ce qui a été dit, et ferai trois observations. Le comité des États généraux de la justice, indépendant, a mené ses travaux avec un état d'esprit fondé sur l'écoute des professionnels, à contre-courant des réformes passées.

Dans cette même salle, Nicole Belloubet présentait il y a quelques années une réforme de la justice, et vous avez mené des auditions montrant que nous souffrions d'une vision utilitariste du système judiciaire. Cette vision faisait fi de la fracture numérique et de l'incapacité du citoyen à savoir comment saisir un juge, voire un médiateur.

On craignait à l'époque une évolution de la carte judiciaire et la suppression de juridictions, le juge stakhanoviste, l'avocat considéré comme un auxiliaire de justice devant se plier à une procédure civile de plus en plus compliquée... Bref, nous étions dans l'utilitarisme.

Or les réflexions et les travaux des Etats généraux ont montré un tout autre visage de la justice : un constat de quasi-épuisement et de manque de moyens, une détresse des magistrats et des greffiers, et une souffrance des avocats, qui sont aussi victimes de la dégradation.

Pour la première fois, la magistrature - juges de terrain et chefs de juridiction - a reconnu et admis ces difficultés, portée par la conviction que ces travaux servent l'autorité judiciaire et, par voie de conséquence, la démocratie. Une justice malmenée est une justice qui n'est plus indépendante. Car le coeur de notre préoccupation est le justiciable, c'est-à-dire le citoyen et la République, même si nos présentations sont un peu techniques. Cet état d'esprit a permis de libérer un certain nombre de sujets.

Ainsi, il convient de donner des moyens à la justice civile. Nous avons beaucoup travaillé sur les aspects sociologiques : quels sont les profils des magistrats qui sortent de l'École nationale de la magistrature ? Les jeunes ont-ils le souhait de tenir des audiences correctionnelles jusqu'à vingt-trois heures ?

Il faudra aussi, éventuellement, réformer la procédure civile. Quant à la réforme de la procédure d'appel, elle pourra se faire par voie réglementaire, il y a consensus sur ces questions. On s'aperçoit en effet que les chausse-trappes procédurales ne permettent pas de gagner du temps.

Il sera également nécessaire de redonner de la valeur au juge de première instance. Pour les avocats, l'office du juge est très important. Ils préfèrent toujours que le juge soit le maître de l'organisation judiciaire. Ils ont admis que les modes alternatifs des règlements des différends ou des litiges ne sont pas destinés à éviter la saisine du juge.

Le citoyen, le présumé innocent, les droits de la défense sont très importants, sous l'autorité judiciaire et non pas sous l'autorité administrative. Nous avons également évoqué la place du parquet et de la police administrative. Nous sommes tous très attachés à ce que la police judiciaire soit rattachée aux magistrats, qui sont les garants des libertés individuelles.

M. François-Noël Buffet, président. - Pour donner un ordre de grandeur, en 2019, la justice civile représentait plus de 2,2 millions de décisions, tandis que la justice pénale n'en représentait que 800 000. Pourtant, l'opinion publique se réfère toujours à la justice pénale.

M. Jean-Marc Sauvé. - Nous sommes confrontés à une double crise de la justice, universelle et nationale. La crise universelle est celle de l'autorité judiciaire, ce pouvoir public constitutionnel, inséparable de la démocratie et de l'État de droit. Le juge est devenu l'interprète de la loi ; il est désormais le juge de la loi, notamment au travers du contrôle de conventionnalité. Il coconstruit le droit, et ce dans tous les pays, ce qui introduit une rupture dans le fonctionnement des pouvoirs publics, par le biais de la judiciarisation de la vie publique, qui crée des turbulences et des tensions.

La crise nationale est celle du service public de la justice. Au cours de la dernière décennie, la demande de justice n'a pas substantiellement augmenté. Pourtant, les délais et les stocks ont augmenté, notamment en raison de la complexification du droit et de la difficulté des affaires.

L'allongement des délais est constaté dans le champ civil, dans le champ pénal, et dans le champ de la justice de protection, qui dysfonctionne également. Les retards s'accroissent pour ce qui concerne l'exécution de la justice pénale et de protection. Enfin, le malaise monte face à une justice peu compréhensible et peu accessible.

Au cours de nos travaux, nous avons dit le déficit de moyens, qui a été nié pendant longtemps, mais avoué au travers des tentatives de déjudiciarisation des vingt dernières années. Ce déficit est aussi l'incapacité à penser la justice de manière systémique et à la gérer de manière rationnelle. Les différentes réformes ont souvent ressemblé à un égrenage de mesures ponctuelles : on a appliqué quelques rustines à un dispositif qui coule progressivement.

Les réformes ont aussi été largement déconnectées des conditions de leur application. Le ministère de la justice est le temple du « légicentrisme », et rien n'a véritablement changé. Par ailleurs, la gestion de la justice fait face à des problèmes majeurs : organisation déconcentrée peu compréhensible et insuffisance du management. Il n'y a ni pilotage cohérent de l'institution ni gestion des ressources humaines digne de ce nom.

Nous proposons donc de mettre au clair le positionnement de la justice dans la société d'une part, et par rapport aux autres pouvoirs publics d'autre part. Nous ne proposons ni conseil de justice, ni séparation entre le siège et le parquet, ni remise en cause du principe de la gestion administrative et financière de la justice. Toutefois, il convient de mener des réformes importantes, notamment pour ce qui concerne le statut du parquet et les équilibres au sein du Conseil supérieur de la magistrature, en particulier au sein de la commission d'avancement.

Autre sujet très sensible, la responsabilité pénale des décideurs publics, en particulier des membres du Gouvernement : il faut supprimer la Cour de justice de la République et aménager les règles de fond de la responsabilité pénale quand les actes mis en cause découlent directement de la mise en oeuvre par les ministres et leurs collaborateurs de la politique du Gouvernement.

Je n'insiste pas sur le renforcement de la première instance. Je souligne simplement le besoin de professionnaliser la gestion des ressources humaines, qui doivent être mieux réparties, en introduisant une vision de moyen et long termes, avec des référentiels d'activité. Il faut aussi diversifier le recrutement et ouvrir la formation des magistrats. Il faut évaluer et refonder l'évaluation des chefs de juridiction, des premiers présidents de cour d'appel et des magistrats de la Cour de cassation.

La stratégie numérique doit être refondue. Il faut revoir la maîtrise d'ouvrage des applications et renforcer la place du numérique dans la conception des réformes et dans les directions du ministère de la justice : je pense aux directions des affaires civiles et des affaires criminelles, et non pas seulement à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.

Par ailleurs, des réformes sectorielles sont indispensables. Il est nécessaire de mettre en place une véritable politique publique de la justice civile. Cette première branche de la justice, la plus noble, est aujourd'hui totalement sinistrée.

En matière de réformes statutaires, il est indispensable de séparer le grade et l'emploi, notamment pour renforcer la première instance avec des magistrats expérimentés.

Pour ce qui concerne la justice économique et sociale, nous avons un ensemble de propositions sur la justice du travail et la justice commerciale, avec l'expérimentation de tribunaux des affaires économiques et de la participation des parties au financement de la justice.

En matière pénitentiaire, je rappelle que nous avons pris position sur le sens de la peine, qui a pour objet de sanctionner des comportements déviants, de préparer la réinsertion des condamnés et de réduire le risque de récidive. Dans ce contexte, nous proposons de limiter, de manière volontariste, le recours aux courtes peines, de renforcer substantiellement les moyens du milieu ouvert, de faire revenir les services pénitentiaires d'insertion et de probation dans les juridictions, afin de personnaliser les peines, et de mettre en place un dispositif de régulation de la population carcérale qui ne soit pas un simple numerus clausus.

Mme Dominique Vérien. - Je ne reviendrai pas sur la question de l'informatique, sujet sur lequel nous interpellons la Chancellerie depuis longtemps.

Tout d'abord, je voudrais savoir comment a été reçu votre rapport. Des engagements ont-ils été pris eu égard à vos préconisations ?

Ensuite, s'agissant de la carte judiciaire dans l'Yonne, avez-vous rencontré les magistrats et les avocats du département ? Si j'ai bien compris, le territoire serait rattaché à Dijon. Cela fait longtemps que nous luttons contre un tel rattachement.

Par ailleurs, vous évoquez une réforme de la justice civile et une plus grande collégialité, qui me paraît une très bonne chose. S'agit-il également de mieux faire travailler ensemble le juge aux affaires familiales et le juge des enfants ?

Pour ce qui concerne les victimes de violences intrafamiliales, je n'ai pas trouvé de réflexion sur ce sujet dans votre rapport. Pourtant, il semble relever d'une grande cause du quinquennat passé et du quinquennat actuel.

Enfin, avez-vous pensé à introduire une plus grande mixité dans la magistrature ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous remercie de vos interventions.

Tout d'abord, ma première réaction suscitée par votre rapport a été relative aux moyens. Naturellement, le garde des sceaux fera valoir qu'il y a eu 8 % d'augmentation depuis trois ans. Nous le savons, ce n'est pas suffisant. Dans un tel contexte, ne serait-il pas raisonnable d'envisager une sorte de programmation sur une dizaine d'années pour rattraper le retard pris par la justice ? C'est sans doute un rêve, mais je me permets de l'exprimer !

Ensuite, pour ce qui est de la répartition des magistrats entre le civil et le pénal, j'ai bien entendu ce que vous avez dit. Quelles solutions concrètes envisagez-vous pour qu'il y ait davantage de magistrats civilistes ?

Par ailleurs, vous avez dit, monsieur le procureur général, que la réforme du tribunal départemental criminel a été faite avec une certaine précipitation. Quel avenir voyez-vous pour ce dispositif ? Êtes-vous toujours partisan du jury populaire, ce en quoi vous rejoindriez la position exprimée par le garde des sceaux à l'époque où il ne l'était pas encore ?

En outre, s'agissant de la surpopulation pénitentiaire, vous avez évoqué une régulation. Concrètement, comment cela se passerait-il ?

Enfin, dans mon département, il existe une maison de la justice et du droit, qui traite environ 2 000 dossiers par an. Elle est gérée par une greffière, qui est absolument épuisée par l'ampleur du travail. Pensez-vous qu'il y ait un avenir pour ce genre de structures ?

Mme Esther Benbassa. - Je vous remercie de vos interventions.

Tout d'abord, dans votre rapport, vous préconisez de développer davantage le recours aux travaux d'intérêt général, qui permettent une réponse pénale plus claire, plus efficace et moins coûteuse. Il s'agit d'une véritable alternative à l'incarcération. Existe-t-il un projet de collaboration, à grande échelle, entre les entreprises, les structures d'accueil et les services pénitentiaires d'insertion et de probation ?

Ensuite, le coût moyen d'une année de prison est estimé à 32 000 euros, tandis que le coût moyen annuel d'une mesure en milieu ouvert est de 1 400 euros. Il est donc nécessaire de recourir à des alternatives à la détention. Comment mettre en place concrètement de telles mesures ?

La loi de finances pour 2022 alloue aux alternatives à l'incarcération un budget stagnant à 35,8 millions d'euros, contre près d'un milliard d'euros d'investissements immobiliers pénitentiaires. N'y a-t-il pas là une répartition inégale du budget de la justice ?

M. Marc-Philippe Daubresse. - Ma première question est une question générale de méthode. Certes, il y a une réforme systémique de la justice à l'étude. Parallèlement, une réforme systémique du ministère de l'intérieur et de la police est en train de se mettre en place. Un projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dit « Lopmi », devrait augmenter de 25 % en cinq ans les moyens du ministère de l'intérieur. Bien évidemment, cette loi concerne aussi la justice et, en particulier, la procédure pénale : réforme de la police judiciaire, réforme générale de la police nationale, création d'assistants d'enquête, modification du statut des officiers de police judiciaire.

Ne pensez-vous donc pas utile, monsieur Sauvé, que le comité des États généraux de la justice rencontre le comité d'orientation du Beauvau de la sécurité, pour essayer de faire une réforme systémique ensemble ?

Ma deuxième question est plus ciblée. Monsieur Molins, il ne vous a pas échappé que, au mois de juillet de cette année, une jurisprudence de la Cour de cassation a retiré toute possibilité aux procureurs de recueillir des fadettes en saisissant des opérateurs téléphoniques, dans le but de remonter des filières de délinquance. En effet, la législation européenne, qui s'impose à la France, restreint une telle possibilité à la criminalité grave. Ainsi, les procureurs ont attiré à plusieurs reprises notre attention sur le fait qu'ils seraient privés de moyens très importants en termes d'efficacité. Pour y remédier, il faudrait soit une réforme du statut des magistrats, soit une autre solution. Comment sortir de ce piège, qui est en train de restreindre considérablement le champ d'action de nos procureurs, à un moment où nous avons besoin de lutter contre la grande délinquance ?

M. Jean-Marc Sauvé. - La mise en oeuvre du rapport du comité des États généraux de la justice incombe au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement. Le comité n'usurpera pas des pouvoirs qui ne lui appartiennent pas. Notre mission s'est terminée, en réalité, le 30 avril dernier, lorsque nous avons achevé la rédaction de ce document.

En ce qui concerne la carte judiciaire, sans répondre précisément à la question portant sur le rattachement des juridictions du département de l'Yonne à la cour d'appel de Dijon ou à celle de Bourges, il me semble que les préconisations de notre rapport ont été comprises. Nous ne proposons de fusion autoritaire de juridictions ni en première instance ni en appel - c'est un point fondamental de notre rapport. Nous ne considérons pas que le salut de la justice puisse résulter d'une apparente rationalisation de la carte judiciaire.

Quant à la communication entre le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, nous sommes parfaitement conscients qu'il reste à surmonter des obstacles incompréhensibles, qui tiennent à la surcharge des magistrats et des greffes et à l'imperméabilité des systèmes d'information. La gestion de la justice est devenue quasi impossible, à moins de disposer d'une multitude de petites fiches cartonnées, récupérées à droite et à gauche.

Pour ce qui est des moyens, notamment humains, je ne crois pas que la question de la mixité se pose dans l'institution judiciaire, et si c'est le cas, ce serait de manière inversée, mais le comité ne recommande pas de numerus clausus pour garantir l'entrée dans la magistrature d'hommes qui seraient moins qualifiés que des femmes. Certes, il faut un équilibre, mais on tient d'abord compte du mérite.

M. Jérôme Gavaudan. - La mixité est aussi sociale. À cet égard, une forme de mixité existe déjà dans la profession d'avocat. En outre, un nombre important de magistrats est recruté par ce que l'on appelle les voies latérales et a exercé d'autres métiers dans sa première partie carrière. Des propositions ont été formulées pour fluidifier l'intégration sociale, notamment dans la profession d'avocat, dont nous discutons avec le garde des sceaux. Au niveau du recrutement de l'École nationale de la magistrature, il me semble que la mixité sociale est assurée et elle l'est également dans toutes les professions du droit.

M. François Molins. - Le comité a proposé une réforme de la composition de la commission d'avancement, en prévoyant que des non-magistrats puissent y siéger. Cela contribuerait à diversifier les intégrations. En effet, le problème se posera nécessairement puisque le ministère a annoncé vouloir recruter 1 500 magistrats supplémentaires sur cinq ans. Or on ne peut pas repousser les murs de l'ENM de Bordeaux. Une commission d'avancement rénovée, statuant selon de nouvelles procédures garantirait une meilleure mixité et davantage d'efficacité dans les délais d'instruction.

M. Jean-Marc Sauvé. - Monsieur Sueur, en ce qui concerne les moyens additionnels dont la justice doit être dotée, le comité s'est inscrit de manière tout à fait consciente et délibérée dans une perspective quinquennale et non pas décennale. En effet, nous estimons qu'il est possible de doter la justice de renforts à tous les étages dans un délai de cinq ans. Même s'il est très ambitieux, cet effort est indispensable.

Pour augmenter le nombre de magistrats civilistes, nous devons nous inscrire dans une gestion prévisionnelle des effectifs. Il convient que l'institution définisse ses besoins à moyen terme, puis que les carrières soient gérées dans cette perspective. Il me semble que nous ne pouvons pas en rester à une gestion uniquement statutaire de la magistrature. Il faut tenir compte des compétences et du fait que les jeunes, que ce soit dans l'administration ou dans la justice, souhaitent s'inscrire dans des parcours de carrière définis à l'avance. Il faut que la mobilité et l'adaptation trouvent leur place. Je considère qu'un tel dispositif reste à notre portée, qui vaudra non seulement pour la justice civile stricto sensu, mais aussi pour la justice économique.

En effet, comme nous l'avons mentionné dans le rapport, il faut créer dès le début de la carrière une filière de magistrats compétents en matière économique, de telle sorte que les décisions de la justice ne puissent pas être critiquées sous cet angle. Pour cela, il convient de prévoir des affectations internes et également externes à l'institution judiciaire.

Quant à la régulation de la population carcérale, nous avons prévu non pas un numerus clausus mais la définition, par établissement, d'un seuil de criticité. Dès lors que celui-ci sera atteint, il faudra mettre en place, de manière préventive, des mesures de gestion de la population pénitentiaire, de telle sorte que l'on pourra avoir recours à des libérations conditionnelles. Toutefois, il ne s'agit pas d'instaurer des seuils mécaniquement ; il faut une gestion prévisionnelle pour que des sorties puissent être anticipées. Le risque, c'est la sortie sèche en fin de peine sans aucune perspective de reclassement ni d'accompagnement. Tel est le danger qui menace en réalité la justice et non pas le fait que des personnes puissent obtenir une libération conditionnelle avec quinze ou trente jours d'avance.

Enfin, quel avenir pour les maisons de la justice et du droit ? La question reste ouverte, car elles font effectivement figure de parents pauvres. Le renforcement des moyens que nous proposons doit permettre d'avoir suffisamment de greffiers en chef qualifiés pour tenir ces postes. Pour l'instant, je le reconnais avec accablement, la situation n'est pas du tout satisfaisante.

Mme Chantal Arens. - Il y a vingt ans, l'accès au droit dans les maisons de justice était une priorité de la politique nationale du ministère de la justice. Puis, d'autres sujets ont pris de l'importance et l'accès au droit est devenu le parent pauvre des politiques publiques du ministère. Or il s'agit là d'une prévention qui garantit l'accès à la citoyenneté : quand les citoyens ont accès à des consultations juridiques gratuites dans les maisons de la justice, cela contribue à résoudre un certain nombre de difficultés qui surgissent en matière civile, dans la société.

L'institution judiciaire n'est pas la seule concernée par la désaffection dans les fonctions civiles : le ministère de l'éducation nationale, l'École nationale de la magistrature et le Conseil supérieur de la magistrature le sont aussi. Le rapport de l'inspection générale de la justice, auquel, malheureusement, le Parlement n'a pas accès, préconisait une concertation entre ces trois instances pour profiler des postes. La réponse doit être globale.

M. François Molins. - Pour ce qui est du tribunal criminel départemental, il faut raisonner en prenant en compte la notion d'efficacité. Même si je reconnais, bien évidemment, la valeur d'une cour d'assises et d'un jury populaire, il n'est pas acceptable de devoir attendre trois ans pour qu'une affaire criminelle puisse être audiencée devant une juridiction, alors que les enjeux sont importants tant pour la victime que pour l'accusé.

Le tribunal criminel départemental se justifie pour deux raisons : d'une part, il réduit les délais de jugement ; d'autre part, il permet de lutter contre le phénomène de correctionnalisation qui tend à se développer, notamment en matière d'infractions sexuelles. Toutefois, sans remettre en cause le travail du Parlement, il est regrettable que la période d'expérimentation qui aurait dû donner lieu à une évaluation ne soit pas parvenue à son terme. En effet, dans certains départements, le tribunal criminel départemental représente un gain réel, alors que la réduction des délais est plus discutable dans d'autres. On ne pourra pas faire l'économie d'une évaluation objective et approfondie des gains et des inconvénients de cette nouvelle procédure.

Le problème des données de connexion est posé depuis déjà cinq ans. L'arrêt « Tele2 Sverige » de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui date de la fin 2016, a été confirmé à trois ou quatre reprises. Il s'agissait de prévoir l'interdiction de la conservation généralisée des données de connexion et d'en réglementer l'accès en le réservant soit à une autorité indépendante, soit à un magistrat en réalité indépendant à l'égard de la direction de l'enquête. Il n'y a plus d'espoir que la situation évolue. Hier encore, la CJUE a publié un communiqué sur un arrêt qu'elle a rendu en réponse à une question préjudicielle posée par la Cour de cassation. En effet, une directive autorisait l'accès aux données de connexion pour réprimer les abus de marché. Or la CJUE a répondu que la directive sur la protection des données personnelles était la norme qui primait et que tout le reste avait une valeur inférieure. L'arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet dernier montre que le juge a fait tout ce qu'il pouvait, mais que la primauté du droit européen l'emporte.

Le travail réalisé par le Conseil d'État et la Cour de cassation permet de conserver un certain nombre de garanties dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Toutefois, si la criminalité grave autorise des exceptions, elle n'est pas définie en droit français, de sorte que certains parquets généraux se plongent dans des abîmes de réflexion pour déterminer la durée des peines, entre cinq, sept et dix ans.

Par conséquent, je considère que le juge a fait tout ce qu'il a pu, il a établi clairement ce qu'on pouvait faire ou ne pas faire, il est même allé encore plus loin en procédant à un examen très strict des conditions de recevabilité des actions en nullité. De mon point de vue, la réponse au problème de l'accès aux données ne peut être que législative et il n'y aura pas de miracle. Il faudra choisir entre deux solutions : soit confier le contrôle au juge des libertés et de la détention, ce qui impliquerait de recruter 400 ou 500 juges supplémentaires, car il y a des millions et des millions de données de connexion, soit le placer sous l'autorité d'une autorité administrative indépendante, ce qui pose un problème d'ordre politique, car cela reviendrait à placer un magistrat, gardien des libertés individuelles, sous le contrôle d'une autorité administrative indépendante.

M. Jérôme Gavaudan. - Le comité n'a jamais souhaité revenir sur la hiérarchie des normes et sur le droit européen, protecteur des libertés individuelles et fondamentales. Il faut le dire clairement, ce débat n'a pas eu lieu. Rien de tel ne figure dans notre rapport.

M. Jean-Marc Sauvé. - Pour ce qui est du travail d'intérêt général, il existe une agence du travail d'intérêt général. Nous proposons de développer très substantiellement le service public de la probation en créant éventuellement une agence du milieu ouvert. C'est un domaine où des progrès importants restent à accomplir.

Quant au coût des mesures, soyons clairs, on ne peut pas faire dépendre la politique de la justice uniquement de considérations économiques et financières. Personne ne contestera que 32 000 euros par an en milieu fermé, c'est beaucoup plus que 1 014 euros par an en milieu ouvert. En revanche, il faut que les peines soient pertinentes au regard des actes commis, qu'elles ne contrarient pas, mais préparent la réinsertion et qu'elles contribuent par conséquent à la protection sociale. C'est un point fondamental.

M. François Molins. - Le comité s'est beaucoup interrogé sur l'efficacité de la loi sur le bloc peines : faut-il revenir dessus ? L'évidence qui s'est imposée, c'est qu'il faut que l'audience d'aménagement des peines suive très rapidement celle du tribunal correctionnel. Le groupe de travail a aussi exploré la piste qui consiste à revoir la répartition des rôles entre le juge d'application des peines et le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).

En outre le constat est largement partagé selon lequel, depuis la loi de 2019 sur le bloc peines, le juge exerce des tâches qui pourraient tout à fait relever de l'office du directeur du service départemental d'insertion et de probation.

Il faudrait travailler sur ces deux points pour améliorer le dispositif.

Mme Laurence Harribey. - Vous avez dit des choses très importantes sur le sens de la peine et le travail d'insertion. Avec ma collègue Marie Mercier, nous menons une mission d'information sur les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et il est intéressant de noter qu'il y a une évolution du métier : on est passé d'une culture d'assistance sociale et d'accompagnement à l'insertion à une culture de mesure du risque de récidive.

Pour que l'écosystème fonctionne, il faut des acteurs de l'insertion, en particulier des assistants sociaux et des psychologues. Vous soulignez, dans le rapport, la nécessité de recruter davantage de psychologues, mais vous ne mentionnez pas les assistants sociaux. Or, dans le cadre de notre mission d'information, nous avons constaté que les effectifs étaient insuffisants et surtout qu'il y avait un problème d'attractivité de ces métiers et un manque d'accompagnement face à leur évolution.

Vous avez dit, également, que nous n'avions pas d'outils statistiques ni d'outils d'évaluation sur le management des ressources humaines. Ce constat est largement partagé. Nous allons présenter tout à l'heure à la commission le rapport que nous avons produit avec trois autres collègues sur la délinquance des mineurs et le décrochage scolaire. Or l'un des constats essentiels de ce rapport, c'est le manque de fiabilité statistique et d'évaluation des politiques publiques.

Le rapport du comité ne mentionne pas le manque de collaboration avec le monde de la recherche et la communauté scientifique. Pourtant, pour repenser la formation, les observatoires et le regard distancié des scientifiques ne sont pas inutiles. Il n'y a pas de politique publique sans évaluation. L'exemple du Canada ou d'autres pays le montrent bien : c'est là un élément déterminant de l'évolution des politiques publiques.

Mme Agnès Canayer. - Le travail mené par le comité des États généraux de la justice, dans une approche systémique qui associe l'ensemble des acteurs, nous offre un éclairage fort sur la nécessité de réformer la justice en profondeur. Toutefois, comment se lancer dans ce chantier et comment prioriser les réformes que vous proposez ?

J'aimerais aussi revenir sur la question de la justice prud'homale qui concerne de nombreux citoyens. Pourquoi avoir écarté d'entrée de jeu l'échevinage ?

Enfin, s'il est vrai que nous avions accepté lors de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire la généralisation des cours criminelles départementales, c'était en contrepartie d'une évaluation qui est actuellement menée. Je fais partie du comité d'évaluation qui rendra son rapport dans le courant du mois d'octobre, dans lequel siègent aussi de nombreux magistrats, des représentants du ministère et notre collègue le sénateur Benarroche.

M. Philippe Bonnecarrère. - Votre rapport est de très grande qualité. Vous avez insisté sur le problème systémique qui caractérise la justice et sur la nécessité d'une perspective à long terme : nous sommes tous d'accord.

M. Sauvé a indiqué qu'il appartenait désormais au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, d'apprécier la suite à donner à vos travaux. Toutefois, entre la grande réforme systémique de long terme que vous nous recommandez et les réformes sectorielles, par où commencer ?

M. Jean-Yves Leconte. - Vous avez mentionné la croissance du code de procédure pénale, que l'on nous a largement reprochée en tant que législateurs. Les trois causes de cette inflation sont le besoin de réformer, les lois d'émotion, et la prise en compte des exigences liées à des engagements conventionnels. Je vous remercie d'avoir marqué votre attachement à la hiérarchie des normes et au droit européen, qui nous conduit parfois à complexifier le code de procédure pénale.

Que recommanderiez-vous au législateur pour contenir cette inflation ?

M. Alain Richard. - Je m'interroge sur la première phrase du premier paragraphe de votre rapport, qui énonce que le nombre d'affaires est stable ou en diminution. On constate pourtant de nombreux symptômes de l'intensification de la demande de litiges dans notre société. Le volume d'activité mesurable par le chiffre d'affaires des professions du droit est en nette croissance. Cette poussée sous-jacente de la complexité ou de la conflictualité des affaires explique très largement la situation de saturation de la justice. Il faut être au clair sur le diagnostic.

J'ai un doute sur le caractère mesuré et optimalement réformiste des propositions de création d'emplois, alors que les effectifs et les professions qui nourrissent la demande judiciaire est exponentielle. Ne faudrait-il pas une appréciation systémique de la demande de traitement des litiges ? Comme le préconise le rapport, les moyens supplémentaires devront être gérés et il faudra développer un « management judiciaire », qui impliquera une autre forme de mixité, celle d'une assistance de nature plus professionnelle. En effet, on ne peut pas demander raisonnablement aux chefs de cour de jouer pleinement le rôle d'administrateur de leur juridiction sans une assistance beaucoup plus professionnelle.

Mme Valérie Boyer. - Pourriez-vous nous préciser le calendrier idéal et le nombre de places de prison à construire ? Pourriez-vous également préciser votre pensée sur l'exécution des courtes peines ?

Mme Brigitte Lherbier. - Pour m'être occupée pendant vingt-cinq ans de l'institut d'études judiciaires de Lille avec le professeur Jean-Jacques Taisne, je me suis rendue compte que les étudiants des zones populaires s'autocensuraient dans leur candidature aux concours, se considérant comme moins bien préparés que les autres. C'est dommage, car un magistrat doit être issu « du cru » pour comprendre certains faits sociologiques.

L'intégration directe de magistrats aptes à comprendre sociologiquement et historiquement la situation de certaines zones peut être une solution.

Ne faudrait-il pas intégrer la possibilité d'être formé à la faculté à la préparation au concours de l'ENM ? Si l'on prenait en charge les étudiants dès la première année de faculté, on pourrait mieux les former aux exigences du concours. Si l'on attend la cinquième année, on risque de se heurter à un manque de compétences en matière de culture générale ou autre, qui rendra difficile l'obtention du concours.

M. Guy Benarroche. - M. Molins regrette que les cours criminelles départementales aient été généralisées trop rapidement, malgré les demandes que nous avions faites, y compris dans notre groupe, de prolonger l'expérimentation. Toutefois, une évaluation est en cours, même si elle reste trop limitée, car organisée trop rapidement. Que se passera-t-il, une fois l'expérimentation terminée, lorsque cette nouvelle organisation aura été pérennisée ?

De plus, nous n'avons pas reçu d'éléments pendant la phase actuelle d'expérimentation pouvant nous faire penser que ces cours criminelles départementales contribuaient à éviter le phénomène de correctionnalisation dont vous avez parlé.

Mme Chantal Arens. - Monsieur Richard, vous avez dit que l'on constatait une nette augmentation du chiffre d'affaires des professions judiciaires. Les juridictions ont un stock d'affaires extrêmement important, mais ce ne sont pas les mêmes avocats qui plaident devant elles qui font le chiffre d'affaires que vous mentionnez. Si les juridictions pouvaient échapper à ces contentieux « de masse », la situation serait moins compliquée. Toutefois, les affaires se complexifient en matière civile et cette double contrainte a comme conséquence qu'en dépit d'une certaine diminution de leur nombre, les stocks augmentent.

Le rôle du juge des libertés civiles s'est fortement accru, car son champ d'exercice couvre tout le contentieux de la contention. Une solution consisterait à augmenter le nombre de juges des libertés, mais cela impliquerait d'augmenter aussi le nombre de greffiers. La question s'est également posée par rapport à la justice prud'homale. Les choix sont surtout budgétaires.

Nous avons considéré qu'il fallait, à périmètre constant, 1 500 magistrats supplémentaires. Combien en faudrait-il pour avoir un échevinage dans les conseils des prud'hommes ? C'est une question de priorité politique.

Madame Lherbier, quatre classes préparatoires talents ont été créées dans différentes régions. D'autres sont en cours de création, destinées à des étudiants méritants et boursiers qui pourront ainsi mieux préparer le concours. Le taux de réussite est de 25 %.

M. François Molins. - Sur les cours criminelles départementales, j'apprends avec beaucoup d'intérêt qu'une évaluation sera rendue au mois d'octobre prochain, qui permettra certainement de répondre à la question que vous posez.

Sur l'inflation législative, en 2020, on a recensé 34 textes qui ont modifié le code pénal, dont 11 lois, et 60 textes sur la procédure pénale, dont 11 lois. Le constat est clair. Je n'aurai pas l'outrecuidance de donner des conseils au Sénat sur la manière de légiférer. Cependant, trois réflexions me semblent relever du bon sens : premièrement, il y a trop de normes sur le plan pénal ; deuxièmement, il faut arrêter d'aller dans le sens d'une « fait-diversification » du droit pénal et de favoriser les lois d'émotion ; troisièmement, il faut progresser dans la qualité des études d'impact, dont certaines sont très bien faites et d'autres de moindre qualité. Voter un texte qui finira par être mal appliqué ou par ne pas l'être du tout ne peut être que préjudiciable d'un point de vue politique.

Enfin, le rapport indique clairement qu'il faut absolument que le ministère arrive à créer une synergie dans le mode de travail entre les directions normatives et les directions métiers. En effet, la situation dans laquelle nous nous trouvons résulte d'un manque de vision globale et systémique dans la mise en oeuvre des réformes que vous aviez votées.

M. Jean-Marc Sauvé. - La première fois que j'ai assisté à une audition au Sénat, c'était il y a quarante et un ans. Le président de la commission des lois était M. Léon Jozeau-Marigné, le garde des Sceaux M. Robert Badinter. Ce dernier a annoncé son programme législatif en disant il fallait faire peu de lois, mais de bonnes lois. Tous les sénateurs ont opiné. Aujourd'hui, j'ai envie de vous dire : « Chiche ? Faisons-le ! »

Le deuxième souvenir que j'évoquerai date d'il n'y a pas tout à fait quarante ans, dans le bureau du garde des Sceaux, toujours Robert Badinter, en 1983. Le député Alain Richard lui dit, à propos du milieu ouvert, qu'il faudrait sortir de l'incantation et créer un véritable service public de la probation. À l'époque, cela m'a déstabilisé, mais je dois avouer que le député Alain Richard avait raison.

Pour les SPIP, le problème est l'attractivité des métiers. Cela vaut non seulement dans ce secteur, mais aussi pour toute la fonction publique. Il faut donc repenser les métiers et les carrières de la fonction publique, développer des outils d'évaluation et instaurer une articulation entre le travail des services publics et la recherche.

En ce qui concerne la justice prud'homale, nous n'avons pas proposé l'échevinage, mais nous avons relayé une proposition importante du groupe de travail. Il faut ab initio orienter les affaires soit vers la formation paritaire si elle peut raisonnablement parvenir à un accord, soit vers la conciliation lorsqu'elle peut aboutir ; il faut d'emblée envisager le départage lorsqu'aucun accord n'est envisageable.

Enfin, nous devons parvenir à articuler la réforme globale et les réformes sectorielles. Par où commencer ? Il suffit de prendre chacune des grandes articulations du rapport. La direction des services judiciaires a sa feuille de route en ce qui concerne la gestion des ressources humaines (GRH). Le Conseil supérieur de la magistrature s'acquitte de ses obligations, mais cela ne suffit pas à garantir une bonne GRH. Le secrétariat général du ministère de la justice doit également prendre en main certains aspects, notamment la question du numérique.

Lorsque j'étais vice-président du Conseil d'État, j'ai veillé à répartir les moyens entre les juridictions, en fonction de la demande en matière de justice. C'est à notre portée et cela contribue à rétablir le moral des troupes.

Quant aux créations d'emplois, elles peuvent être suffisantes, même si le retard de la justice est désormais imputable à la complexité des affaires et à la conflictualité des procédures. Il ne faut pas aligner les moyens de la justice mécaniquement sur le développement de l'activité des professionnels du droit. Ces derniers participent pleinement aux procédures judiciaires, mais on sait aussi qu'ils contribuent à régler de nombreux litiges avant qu'on ne saisisse le ministère de la justice.

Encore une fois, il faut achever les programmes de construction pénitentiaire, tels qu'ils ont été proposés, et pour le surplus, il convient de réduire les courtes peines d'emprisonnement.

M. François-Noël Buffet, président. - En ce qui concerne l'inflation législative, la proportion des propositions de loi par rapport à celle des projets de loi montre à l'évidence que les parlementaires ne sont pas les plus prolixes en la matière. En revanche, je dois dire que la qualité des études d'impact est un sujet que nous avons souvent évoqué dans notre commission.

Merci de votre intervention devant nous aujourd'hui.

La réunion est close à 11 h 05.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture -

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Mission conjointe de contrôle sur la délinquance des mineurs - Examen du rapport

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nos deux commissions, qui ont déjà eu l'occasion de travailler en bonne intelligence sur les incidents intervenus au Stade de France en mai dernier, se retrouvent aujourd'hui pour examiner les conclusions de nos quatre rapporteurs sur une mission conjointe de contrôle consacrée à la délinquance des mineurs. Je remercie Céline Boulay-Espéronnier qui nous a proposé il y a quelques mois de réactualiser le rapport de nos anciens collègues Jean-Claude Carle et Jean-Pierre Schosteck.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - Vingt ans après le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, intitulé Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, j'ai proposé à mes collègues d'en faire le bilan. Le sujet étant commun à nos deux commissions, nous avons joint nos efforts avec trois de mes collègues rapporteurs pour vous présenter le rapport d'aujourd'hui. Nous avons considéré que la question de la politique menée en matière de délinquance des mineurs se posait d'abord sous l'angle de la prévention, dont la lutte contre le décrochage scolaire est un axe structurant. Au demeurant, la mise en oeuvre, à compter du 1er octobre 2021, de la réforme du code de justice pénale des mineurs, ne nous permettait pas d'évaluer celle-ci avec suffisamment de recul.

Nous avons donc focalisé nos travaux sur deux enjeux. De quelles connaissances disposons-nous sur la délinquance des mineurs ? Comment la prévention, en particulier en matière d'éducation, puis l'accompagnement vers la réinsertion, peuvent-elles contribuer à lutter contre ce phénomène ?

Après avoir entendu près de 40 personnes et nous être rendus à Bordeaux, Avignon et Nanterre, nous avons constaté que les connaissances sur le sujet continuent à faire défaut, tout comme la coordination des multiples acteurs en ce domaine.

Nous vous proposons donc quatorze recommandations structurées autour de quatre axes : renforcer la connaissance de la délinquance des mineurs ; rendre plus efficiente la lutte contre le décrochage scolaire ; lutter contre la violence scolaire ; et, enfin, mieux préparer la réinsertion du mineur délinquant et éviter la récidive par les apprentissages.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Nous avons tâché de dresser un tableau exhaustif de la situation, mais il nous a été très difficile de trouver des chiffres fiables. Le ministère de la Justice indique que le nombre de mineurs mis en cause est passé de 100 000 à 200 000 entre 1992 et aujourd'hui, mais le ministère de l'Intérieur ne reconnaît pas ces chiffres... Difficile dans ces conditions d'en faire usage. Nous ne disposons donc d'aucune photographie complète du phénomène. Les dernières statistiques datent de 2016, mais elles ne couvrent pas toutes les infractions et ne distinguent pas entre crimes et délits, ni entre infractions principales et secondaires. Nous n'avons donc qu'une vision partielle qui rend difficile notre exercice d'évaluation de cette politique publique. En outre, ces chiffres ne rendent pas compte de la réalité de la délinquance car le nombre de mis en cause dépend de l'activité des services et de la propension des victimes à porter plainte. Autre manque flagrant, l'absence de prise en compte du rôle des réseaux sociaux qui peuvent faciliter, voire accroître les infractions.

En proportion, la délinquance des mineurs est restée stable entre 2016 et 2019 au regard de l'ensemble de la délinquance, à 20 % de l'ensemble des faits de délinquance. Mais la typologie des infractions a évolué : elles concernent moins les biens et plus les personnes. Dans le cas de violences sexuelles sur mineurs, les mineurs eux-mêmes représentent 46 % des mis en cause alors qu'ils ne sont que 21 % en population générale. S'agissant des infractions à la législation sur les stupéfiants, les 13-17 ans représentaient 20 % des mis en cause en 2021, alors qu'ils ne sont que 6 % de la population. On assiste également à un rajeunissement de la population qui se livre à ces trafics de stupéfiants : les jeunes concernés ont plus souvent treize ans que quinze...

On constate une diminution du nombre de condamnations au profit de mesures alternatives aux poursuites, qui concernent désormais 55 % des affaires - alors que cette proportion n'est que de 40 % pour les majeurs.

Dernier élément préoccupant : le taux de récidive et de réitération dans les cinq ans dépasse les 50 %.

Nous vous proposons donc quatre recommandations : mettre en place un suivi statistique de la délinquance des mineurs sur l'ensemble de la chaîne pénale ; développer des enquêtes sociologiques sur les auteurs des faits ainsi que des suivis de cohortes ; améliorer le repérage des infractions liées au numérique et évaluer le rôle des réseaux sociaux sur les phénomènes de délinquance des mineurs ; enfin, procéder à des études plus fines de la récidive et de la réitération, prenant également en compte les mineurs ayant fait l'objet de mesures alternatives aux poursuites ou de mesures éducatives, pour avoir une meilleure idée de l'efficacité du suivi judiciaire des mineurs délinquants.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - Un constat est ressorti de nos auditions : le basculement d'un jeune dans la délinquance est multifactoriel, mais l'échec scolaire en constitue souvent un élément important. Lutter contre le décrochage scolaire constitue donc un axe majeur de la prévention de la délinquance des mineurs. Bien évidemment, toutes les mesures visant, en amont, à accompagner les élèves les plus en difficulté dans l'apprentissage des fondamentaux participent à cette prévention du décrochage scolaire. Mais nous avons choisi de concentrer nos travaux sur les actions mises en place pour les élèves décrocheurs, c'est-à-dire pour ceux dont la rupture est en train de se faire ou a déjà eu lieu.

Tout d'abord, on peut constater ces dernières années une forte mobilisation de l'Éducation nationale et des acteurs de l'insertion professionnelle. Un système interministériel de suivi d'échanges et d'informations des décrocheurs scolaires a été créé en 2011. Limitée pendant longtemps à deux campagnes par an, une transmission mensuelle de la liste des décrocheurs scolaires est prévue depuis février 2022 ; mais cet outil reste largement perfectible. Des outils en faveur de la persévérance scolaire ont également été développés, en lien avec les acteurs territoriaux de l'insertion et de la formation professionnelles. Enfin, la loi pour une école de la confiance a instauré une obligation de formation pour les 16-18 ans. Selon les premières estimations, 95 000 jeunes de cette tranche d'âge, sortis de tout système de formation, sont concernés par cette obligation. Malgré ces progrès, force est de constater la nécessité de rendre plus efficiente la lutte contre le décrochage scolaire. Actuellement, quelque 89 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ou au plus le brevet.

Nous constatons un foisonnement d'acteurs dont le rôle de chacun n'est pas forcément connu : structures de retour à l'école (SRE), régions, missions locales, plateformes de suivi et d'appui aux décrocheurs (PSAD), réseaux Formation Qualification Emploi (Foquale), associations, centres de formation des apprentis, points jeunesse... Il existe désormais également une mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) dans chaque académie, mais il n'est pas toujours évident de savoir qui fait quoi.

Par ailleurs, le partage d'informations reste perfectible. Le système de croisement des informations connaît des dysfonctionnements majeurs. L'objectif d'une transmission en temps réel fixé pour 2023 semble difficilement atteignable. Des problèmes d'interopérabilité demeurent entre l'Éducation nationale et les missions locales, chargées du respect de l'obligation de formation des 16-18 ans. Le système ne permet pas de couvrir l'ensemble des situations : les données liées au suivi des apprentis en décrochage restent ainsi à consolider.

Nous avons également constaté un manque de porosité dans la prise en charge des jeunes décrocheurs, voire une approche en silo. À de nombreuses reprises, nos interlocuteurs ont regretté une perception trop binaire par l'Éducation nationale : soit l'élève est scolarisé et relève de la compétence de l'éducation nationale, soit il ne l'est pas et il relève alors des missions locales. Or la situation est plus complexe.

La notion même de décrocheur scolaire, au sens de l'éducation nationale, interroge : le « décrocheur » doit avoir indiqué « démissionner de sa formation par une lettre signée de ses représentants légaux ». Mais dans de nombreux cas, le jeune ne vient plus en cours, sans aucune démarche formelle. Il est donc toujours considéré sous statut scolaire, empêchant une contractualisation avec la mission locale. D'où notre recommandation visant à assurer l'interopérabilité des systèmes d'information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge au fil de l'eau et un suivi entre les différents intervenants plus performants.

Enfin, il nous paraît essentiel de mieux prendre en charge le décrochage scolaire avant seize ans. Malgré l'obligation de scolarité jusqu'à cet âge, un certain nombre de jeunes arrête l'école bien avant. Selon les chiffres de l'Insee, 2 % des jeunes de quinze ans sont inactifs. Cela représente près de 15 500 jeunes !

Paradoxalement, l'obligation scolaire rend plus difficile la prise en charge des jeunes de moins de seize ans en rupture avec l'école. Les missions locales ne peuvent pas les accueillir avant cet âge. Quant aux parcours aménagés de formation initiale (Pafi), ils ne sont pas ouverts aux jeunes de moins de quinze ans. Nous recommandons de lever ce blocage.

Il existe des initiatives réussies qui permettent de trouver des moyens alternatifs de remobilisation et d'apprentissage. L'apprentissage par le « faire » permet d'aborder autrement des notions fondamentales et de redonner le goût d'apprendre. L'évaluation de ces dispositifs doit se faire à moyen terme. Il faut leur laisser le temps de faire leurs preuves, face à un public très difficile et en rupture scolaire depuis longtemps.

Enfin, la prévention de la délinquance passe par le déploiement d'actions complémentaires au milieu scolaire. Une prise en compte de tous les temps de l'enfant est nécessaire. Cette action sera d'autant plus efficace qu'elle s'appuiera sur un travail partenarial avec tous les acteurs de terrain. Nous avons eu un exemple intéressant de cette collaboration avec l'école des Quinze, une école de rugby de la deuxième chance qui travaille en partenariat avec les établissements scolaires qui présélectionnent des enfants en fragilité scolaire. Ces derniers sont alors accompagnés par l'association douze heures par semaine, associant temps scolaire, social et sportif. Les élèves concernés sont regroupés dans une même classe pour disposer d'un emploi du temps permettant une prise en charge en fin d'après-midi par l'association. Les responsables de l'association participent aux conseils de classe.

Depuis le 1er janvier 2022, les services de la jeunesse et des sports sont rattachés aux services académiques. Un regard commun sur les temps de l'enfant doit désormais émerger. Nous avons eu aussi l'occasion de rencontrer les acteurs de la cité éducative du Grand Parc à Bordeaux, qui répond à cet objectif de prise en compte globale des temps de l'enfant. L'une des clés du succès d'une cité éducative est la coconstruction avec les acteurs du territoire. Pour cela, des moyens et du temps pour se connaître et élaborer ensemble un projet sont nécessaires.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. - J'en viens maintenant à la violence au sein des établissements scolaires. Dès 2001, le rapport du Sénat faisait apparaître que l'école n'était plus un sanctuaire.

Cette violence est en légère augmentation dans les établissements du secondaire sur les six premiers mois de l'année, par rapport aux deux années précédentes. En 2020-2021, au moins un incident grave a été déclaré dans les deux tiers des établissements du second degré. La violence scolaire se manifeste principalement par des atteintes aux personnes, qui représentent huit incidents sur dix.

L'école primaire, bien que moins sujette à la violence, n'est aujourd'hui plus épargnée. Surtout, la moitié des violences contre les enseignants sont désormais commises par des élèves. Cette violence au primaire se ressent également dans les enquêtes de victimation. Pour la première fois, une telle enquête a été menée auprès d'élèves de CM1-CM2 en 2020-2021 : quatre élèves sur dix signalent avoir été victimes de violences verbales, d'ostracisme ou de vol et 23 % ont déjà eu peur de venir à l'école à cause de la violence.

Certes, tous ces faits ne relèvent pas d'une infraction pénale. Mais ils convergent vers un sentiment général partagé dans plusieurs auditions : un rajeunissement de l'âge des délinquants.

Se pose alors la question de la prise en charge des élèves violents. Chaque année, entre 70 000 et 81 000 élèves du second degré sont exclus temporairement ou définitivement de leur établissement.

L'exclusion d'un élève de son établissement scolaire peut constituer un facteur supplémentaire de décrochage. Il ne s'agit nullement de remettre en cause cette sanction, qui s'inscrit dans une échelle graduée et constitue la réponse appropriée à certaines situations. Toutefois, l'élève exclu doit être pris en charge, d'une part pour que la sanction soit comprise, et d'autre part afin qu'elle ne participe pas à sa rupture avec sa scolarité.

Certaines collectivités territoriales, en lien avec les établissements scolaires et les associations locales, ont mis en place un programme de prise en charge de l'élève, lors de sa période d'exclusion temporaire. La réussite de ces partenariats repose sur une triple condition : une prise en charge rapide du jeune, des partenaires efficaces et la collaboration des parents. Le principe de ces dispositifs doit être généralisé pour permettre un accompagnement systématique du jeune exclu temporairement.

Je tiens à rappeler l'existence de la mesure de responsabilisation, au sein de l'Éducation nationale, qui peut, dans certains cas, représenter une alternative intéressante à l'exclusion. L'élève doit participer, en dehors des heures d'enseignement, à des activités ou à l'exécution de tâches à des fins éducatives. Par exemple, l'élève accompagne pendant plusieurs heures les agents de service dans leur travail d'entretien et de réparation - dans le cas d'une dégradation de biens -, ou encore est accueilli par le SDIS (service départemental d'incendie et de secours) s'il a déclenché sans raison un signal d'alarme. Il s'agit bien d'une sanction de l'éducation nationale, distincte de tout contexte judiciaire et notamment des travaux d'intérêt général. Elle peut permettre de faire comprendre à l'élève les conséquences de ses actes.

Deuxième défi pour l'éducation nationale : faire face à la problématique des poly-exclus. En cas d'exclusion définitive, la continuité pédagogique doit être assurée. La réaffectation de l'élève doit être la plus rapide possible, tout en s'assurant d'une perspective de nouveau départ pour l'élève : accessibilité de l'établissement, mais aussi absence de jeunes issus de bandes rivales, notamment en Île-de-France.

Il existe des dispositifs relais au sein de l'éducation nationale, qui se déclinent sous trois formes : les classes relais, les ateliers relais et les internats tremplins. Nous avons entendu des propos mitigés sur ces dispositifs, notamment les classes et les ateliers relais qui accueillent des décrocheurs scolaires. Ceux-ci ont en effet été qualifiés de « parenthèse enchantée » pour le jeune décrocheur : des classes à très petits effectifs, une pédagogie bienveillante, des enseignants spécialisés. Mais l'accueil de quelques semaines dans ces structures est insuffisant et même illusoire pour permettre de combler les lacunes d'un élève en grande difficulté scolaire. Son retour en classe « classique » est alors brutal. D'ailleurs, il n'est pas rare qu'un même élève fasse plusieurs séjours dans un dispositif relais au cours de l'année scolaire - preuve de son manque d'efficacité pour raccrocher le jeune à une scolarité classique.

Mais pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus, les internats tremplins - le troisième type de dispositifs relais - peuvent constituer une piste intéressante : l'accueil y est souvent plus long qu'en dispositif relais classique. Par ailleurs, ils permettent d'éloigner le jeune de son environnement habituel de scolarisation et de vie. Enfin, l'internat tremplin bénéficie d'un encadrement renforcé grâce à la présence d'un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Celui-ci permet d'avoir une approche différente de celle de l'éducation nationale.

La circulaire de 2019 relative au plan de lutte contre les violences scolaires fixait l'objectif de disposer d'au moins un internat tremplin par académie à l'horizon 2022. Cet objectif n'est pas atteint. Au contraire, leur nombre a été réduit de neuf à huit.

Nous proposons donc de prévoir, dans chaque académie, au moins un internat tremplin ou des places dédiées dans des internats classiques, pour une prise en charge des élèves poly-exclus. Cela implique également une augmentation du nombre d'éducateurs de la PJJ intervenant sur ces dispositifs. Je rappelle d'ailleurs que la circulaire de 2019 sur la prévention et la prise en charge de la violence scolaire fait de la PJJ un partenaire de premier plan de l'éducation nationale. Sur le terrain, l'effectivité de ces partenariats varie fortement. De manière générale, ils semblent perfectibles pour de nombreuses personnes auditionnées.

Nous recommandons donc d'instaurer une prise en charge systématique de tout élève exclu temporairement de son établissement scolaire, dans le cadre d'un partenariat associant l'établissement, les collectivités territoriales et les associations du territoire.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Le temps du placement judiciaire doit être un temps d'apprentissage. Les témoignages convergent sur le fait qu'une proportion très importante de jeunes suivis par la PJJ sont déscolarisés ou en échec scolaire. Les acteurs de terrain ont exprimé la nécessité de profiter d'un passage en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention « pour remettre le pied à l'étrier » par la formation et l'insertion professionnelles.

L'État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu'envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer jusqu'à ses dix-huit ans une formation.

En milieu carcéral pour mineurs, les apprentissages se font par groupe de quatre à sept mineurs. Ils sont pris en charge, selon les activités, par un enseignant de l'éducation nationale ou un éducateur de la PJJ. Ces groupes devraient en théorie prendre en compte le profil des élèves, leur parcours scolaire, la durée prévisible de détention. Dans les faits, c'est surtout la capacité des jeunes d'un même groupe à vivre ensemble qui prime.

Nous avons rencontré, notamment en prison, des équipes d'enseignants et d'éducateurs extrêmement mobilisées, dont le travail doit être salué. Certaines portent des projets particulièrement innovants, qui se heurtent parfois à des logiques institutionnelles en décalage avec les besoins.

Un certain nombre de freins aux apprentissages doivent être levés. Les textes fixent un objectif de 12 heures de cours pour les jeunes en quartier pour mineurs et 20 heures pour les jeunes en établissement pour mineurs : or rien ne justifie une telle différence. Surtout, l'organisation des enseignements reste trop souvent calée sur le calendrier de l'éducation nationale, avec une suspension des cours pendant les vacances scolaires. À la maison d'arrêt de Nanterre, la durée médiane de détention est d'environ cinq mois : si la détention du jeune inclut la période estivale, c'est 40 % de son temps d'enseignement potentiel qui se retrouve amputé. Une adaptation du service public de l'enseignement scolaire doit être trouvée pour tenir compte de la situation de ces élèves.

En outre, tout personnel de l'Éducation nationale intervenant en détention doit a minima suivre une formation d'adaptation à l'emploi, avant sa prise de fonction. Celle-ci comporte une découverte et une acculturation au milieu pénitentiaire. Il ne peut être fait l'économie de cette formation obligatoire pour tout enseignant, y compris vacataire, tant l'organisation des enseignements et le profil des élèves sont spécifiques en milieu carcéral.

Enfin, la sortie de détention est un moment sensible : une sortie sèche peut faciliter la récidive. Il n'est pas rare que le domicile du jeune soit éloigné de son lieu de placement. Les actions de préparation de sortie et de réinsertion, en lien avec les acteurs du territoire se trouvent ainsi mises à mal ; de même, pour le passage des examens ou diplômes. Dès lors, il est regrettable que cette dimension soit parfois oubliée. Si la période d'emprisonnement doit être la plus courte possible, l'intérêt du mineur peut nécessiter d'aménager sa sortie de détention pour lui permettre de passer les épreuves d'un examen ou de préparer au mieux sa sortie.

La prise en charge des mineurs délinquants incombe à titre principal à la PJJ. Les presque 30 000 mesures éducatives décidées en matière pénale par les juges et mises en oeuvre chaque année par la PJJ sont le coeur de son activité et la première forme de prise en charge de la délinquance. S'il est trop tôt pour évaluer l'impact de l'importante rationalisation des mesures à laquelle a procédé le code de la justice pénale des mineurs, nous avons pu constater la permanence des difficultés anciennes et peut-être structurelles qui entravent l'action de la PJJ.

La première difficulté réside dans le manque d'éducateurs spécialisés et parfois de moyens dédiés que connaissent certains territoires, comme l'Île-de-France - particulièrement la Seine-Saint-Denis - et les outre-mer. Ils conduisent à des délais de mise en oeuvre des mesures, parfois de plusieurs mois, surtout quand il s'agit de stages, qui peuvent donner le sentiment d'une réponse pénale insuffisante et conduire à une dégradation de la situation des mineurs.

Comme l'ont noté déjà les rapports du Sénat, la focalisation sur les CEF est excessive. Comme pour les adultes, ce n'est pas en multipliant les places de prison que l'on résout la question de la délinquance. Ces centres peuvent incontestablement être efficaces pour permettre une prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, mais ils nécessitent une conjonction de facteurs de réussite - équipe, équipement, articulation avec le milieu ouvert - qui s'avère difficile à réunir.

Une attention plus grande doit être portée aux autres solutions proposées par la PJJ, plus limitées, mais parfois plus efficaces et territorialisées. La mise en place d'une méthodologie d'évaluation des résultats nous semble indispensable. Il ne s'agit pas du tout de standardiser des procédures, car nous savons que la difficulté de prise en charge de jeunes au parcours déjà complexe impose de faire de la « dentelle » pour connaître véritablement l'impact sur la récidive et l'insertion. Cette évaluation, dont les critères devront être définis avec les acteurs concernés, pourrait conduire à la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux CEF vers les nombreux dispositifs existants plus pertinents.

Enfin, malgré la qualité de son action, la PJJ souffre encore parfois de l'absence de prise en compte des solutions qu'elle propose par les magistrats et l'Éducation nationale - nous avons pu le constater lors de notre déplacement à Avignon. Il convient donc d'améliorer l'information et de mettre en place des labellisations communes PJJ-Éducation nationale pour faciliter et pérenniser le travail de la PJJ. Il faut une approche interdisciplinaire globale pour mettre tout le monde autour de la table. Nous retrouvons là le coeur de nos constats, il vaut mieux coordonner les acteurs au niveau territorial et mieux évaluer les dispositifs mis en place pour mieux prendre en charge les mineurs délinquants.

D'où six recommandations : mettre en place un programme d'évaluation des différentes mesures éducatives dont les CEF ; réorienter les moyens destinés à la création de nouveaux CEF vers le financement de la mise en oeuvre des mesures existantes ; attribuer une labellisation par l'Éducation nationale pour une durée minimale de deux ans à toutes les structures éducatives mises en place par la PJJ dans le cadre d'un dialogue avec le rectorat ; renforcer les partenariats entre la PJJ et l'Éducation nationale ; aligner le nombre d'heures d'enseignement des détenus en quartier pour mineurs sur celui des établissements pour mineurs et assurer une continuité des enseignements y compris pendant les vacances scolaires ; mieux prendre en compte les conséquences de la libération du mineur délinquant sur son insertion, du fait de la rupture des activités d'insertion.

M. Lucien Stanzione. - Je tiens à féliciter les rapporteurs pour cet excellent travail. Notre groupe est très favorable à la labellisation par l'Éducation nationale pour une durée de deux ans au moins, dans un souci de pérennisation.

Les partenariats entre la PJJ et l'Éducation nationale doivent également être renforcés. Dans le Vaucluse, un projet d'école numérique des apprentissages a vu le jour à l'initiative de la PJJ. Les rapporteurs ont d'ailleurs rencontré les acteurs concernés sur place. Mais quelques semaines après votre visite, la directrice académique a décidé de retirer deux postes budgétaires affectés à ce projet, qui ne peut désormais plus fonctionner... On le voit, la coopération sur le terrain est compliquée et il n'y a aucune concertation.

Le nombre d'heures d'enseignement en établissement pénitentiaire doit être aligné sur celui des établissements scolaires. Une meilleure collaboration entre les deux ministères est indispensable, y compris sur le volet de la réinsertion du jeune.

La solution de l'enfermement ne peut être l'unique solution. Le jeune a besoin d'un projet d'insertion construit par et pour lui et évalué en continu. Ce projet doit être établi sur la base d'une autoévaluation comme cela se fait à l'aide sociale à l'enfance (ASE) et dans les établissements de la Sauvegarde de l'enfance.

Les mesures éducatives doivent être évaluées et nous devons privilégier le renforcement financier des structures existantes.

Le groupe socialiste et républicain soutient les propositions formulées par les rapporteurs.

Mme Brigitte Lherbier. - Merci pour cette excellente étude.

L'amélioration de l'articulation entre l'Éducation nationale et la PJJ est nécessaire.

N'oublions pas les enfants de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui sont victimes de leur situation : leur suivi scolaire doit être renforcé. Or, ils sont souvent déplacés d'école en école, de famille en famille. L'Éducation nationale ne devrait-elle pas porter un regard particulier sur ces enfants ? Certes, dans certains départements, des chartes existent, mais cela n'est ni systématique et ni très contraignant pour les acteurs.

Mme Nathalie Delattre. - Je salue l'excellent travail de nos quatre rapporteurs sur un sujet majeur. Je tiens également à rappeler l'immense travail réalisé à la commission des lois par notre ancienne collègue Josiane Coste, membre du groupe RDSE.

Certes, nous avons besoin d'un suivi qualitatif, mais aussi statistique. Alors que les syndicats remettent en cause l'efficacité des CEF, dénonçant un taux de récidive de 70 %, nous avons besoin de statistiques fiables pour mesurer la pertinence de ces outils.

J'attire votre attention sur le recrutement dans les CEF. Les jeunes ont besoin d'y être encadrés, or on constate une crise des vocations et un fort turnover. Ces personnels doivent devenir des référents pour les jeunes.

Dans le cadre de la mission de contrôle de la commission des lois sur les mesures liées à l'épidémie de Covid-19, nous avions fait des recommandations sur l'école en prison. À Fresnes et Draguignan, les cours ont été suspendus pendant la crise. Bien souvent, les équipes sont très motivées, mais parfois les professeurs ne sont pas là. Comment motiver ces personnels afin qu'ils assurent une continuité pédagogique ? Les jeunes en prison à Draguignan ne sont pas plus de quinze, il suffirait que l'Éducation nationale acquière quinze ordinateurs...

Enfin, n'oublions pas que l'enseignement agricole fait partie intégrante de l'Éducation nationale et sait travailler avec les publics en difficulté. La PJJ et les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) devraient travailler plus étroitement avec l'enseignement agricole qui a un véritable savoir-faire et permet d'éloigner certains jeunes de leur milieu d'origine lorsque cela est préférable.

Le groupe RDSE s'associe aux recommandations de ce rapport.

Mme Marie Mercier. - Je vous félicite pour ce travail et la qualité des auditions.

Nous avons entendu le recteur de l'académie de Créteil qui nous a parlé des « cassés du collège » et rappelé qu'avant le décrochage, il fallait réfléchir d'abord à l'accrochage de ces enfants.

Nous avons également entendu Alain Bauer, qui fut percutant. Certes, il y a différents âges de minorité et de responsabilité, mais n'oublions pas que, bien souvent, ces enfants n'ont aucune référence parentale. Ils sont en situation d'exclusion sociale et familiale. Nous ne ferons pas l'économie d'un travail de fond sur l'aide à la parentalité, sans tomber dans l'angélisme.

Mme Dominique Vérien. - Je partage ce que viennent de dire Marie Mercier, sur la nécessité d'un accompagnement dès le plus jeune âge, et Brigitte Lherbier, sur l'association à ce travail des conseils départementaux, car la protection de l'enfance et de la jeunesse compte parmi leurs compétences.

Un mot en particulier sur l'un des volets de ce travail, celui des violences sexuelles : des mineurs sont victimes de telles violences, d'autres sont auteurs, certains sont à la fois auteurs et victimes. Si l'on veut éviter ce type de spirale, des thérapeutes doivent pouvoir prendre en charge les mineurs.

Dans mon département, qui est particulièrement touché par ce fléau, la PJJ a réussi à obtenir un thérapeute, mais chaque année il faut revenir à la charge : les financements ne sont pas pérennes. Or un suivi au long cours est important. Une politique publique de long terme serait donc absolument nécessaire en la matière : arrêtons avec ces financements sur un an, sans visibilité.

Mme Catherine Di Folco. - Je remercie nos collègues rapporteurs pour leur travail très intéressant et leurs propositions pragmatiques.

Je me contenterai d'une remarque : il me plaît vraiment de vous entendre appeler un chat un chat. Je m'explique : vous parlez de « mineurs délinquants », et non, comme j'ai pu l'entendre dans la bouche du Défenseur des droits de l'enfant, de « jeunes en conflit avec la loi ». Cette dernière expression dévoie les faits : un mineur, comme un adulte, d'ailleurs, ne saurait être en « conflit » ou en désaccord avec la loi car la loi ne lui a rien fait ; il doit tout simplement l'appliquer. À détourner les mots, on minore les faits et les responsabilités.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Brigitte Lherbier a raison : 55 % des mineurs délinquants seraient suivis par la protection de l'enfance, d'après les chiffres que nous a communiqué l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

Je retiens en particulier de vos réflexions, mes chers collègues, l'importance du département. Cette importance ne nous avait pas échappé - nos auditions comme nos visites de terrain l'avaient fait apparaître -, mais nous aurions pu développer davantage cette question. Si le spectre de notre mission était large, en effet, nous avons choisi d'aborder le sujet au travers d'un prisme bien précis, celui de l'articulation entre délinquance des mineurs et décrochage scolaire. C'est ce qui explique, par exemple, que certains éléments relatifs à l'ASE ou à la structuration départementale des politiques publiques ne figurent pas dans le rapport.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. - L'urgence absolue est de décloisonner - nous aurions d'ailleurs très bien pu associer la commission des affaires sociales à nos travaux : l'enfant ne passe qu'une partie de son temps dans les mains de l'Éducation nationale. Il faut donc une véritable coopération entre cette dernière et les éducateurs et les associations sportives, qui relèvent plutôt des communes, les familles, les départements, la protection maternelle et infantile (PMI). Le décrochage scolaire peut commencer dès la maternelle !

Il est impératif de revoir l'articulation entre l'Éducation nationale et l'ensemble de ses « partenaires », comme l'avait d'ailleurs dit le Président de la République au moment de la campagne présidentielle. Faute d'une véritable coordination, empiler des dispositifs pleins de bonnes intentions se révélera inutile.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Dans le rapport du groupe de travail thématique « Justice de protection » des États généraux de la justice, on retrouve aussi cette demande d'un écosystème à la fois transversal et territorialisé.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - C'est le principe même des « cités éducatives » que vous mentionnez dans le rapport.

Mme Brigitte Lherbier. - Une toute petite remarque : je suis très déçue qu'il n'y ait plus de ministre de la protection de l'enfance...

M. Hussein Bourgi. - Je voudrais verser un témoignage à ce dossier déjà excellemment traité par nos rapporteurs, celui d'un sénateur qui est aussi élu régional et siège à ce titre au conseil d'administration de lycées de l'Hérault. Au lendemain du tragique assassinat de Samuel Paty, le ministre de l'éducation nationale de l'époque, Jean-Michel Blanquer, avait théorisé ce qu'il appelait le « carré régalien », invitant la communauté éducative à ouvrir ses portes aux autres acteurs institutionnels.

J'ai pu constater avec quel volontarisme les chefs d'établissement ont sollicité la gendarmerie, la police nationale, la PJJ. En amont de la délinquance et de la commission de l'infraction, tout un travail d'éducation et de prévention peut et doit en effet être accompli.

Or, très vite, les principaux des collèges et les proviseurs des lycées se sont heurtés à l'absence de moyens humains mobilisables, aussi bien dans la gendarmerie que dans la police - je ne parle même pas de la PJJ... -, pour sensibiliser, former, informer.

Un représentant des forces de l'ordre a fini par me faire une réponse très « cash » : la priorité de la police n'est pas d'organiser des matchs de football avec des jeunes, m'a-t-il dit, mais de faire en sorte qu'il y ait du « bleu » dans la rue, comme le disait un ancien ministre de l'intérieur... Le jour où mon ministre me dira d'aller dans les collèges et dans les lycées, a-t-il ajouté, je prendrai un peu de bleu dans la rue pour le mettre dans les classes ! En attendant que ce jour arrive, voilà la réalité à laquelle sont confrontés tant les policiers et les gendarmes que les chefs d'établissement dans notre pays...

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je précise à toutes fins utiles que Mme Charlotte Caubel est secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance.

Mme Brigitte Lherbier. - Certes, mais nous la voyons moins que M. Taquet, son prédécesseur...

M. Jean-Pierre Sueur. - Il serait bon que nous l'auditionnions...

Les recommandations sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent à l'unanimité le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, et sur l'état et les moyens de la sécurité civile - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

La réunion est ouverte à 16 h 00.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons cet après-midi M. le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, que je remercie, afin qu'il nous présente, dans un premier temps, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, dite Lopmi. Puis nous évoquerons, dans un second temps, l'état et les moyens de la sécurité civile au regard des graves incendies de la période estivale.

Vous le savez, la genèse de la Lopmi est longue. Ce projet de loi fait suite à l'élaboration du livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public en 2020, puis à l'organisation du Beauvau de la sécurité, conclu l'année dernière. Le Gouvernement a d'abord déposé un premier projet de loi de 32 articles le 16 mars 2022, avant de redéposer un nouveau texte, plus resserré, sur le bureau de notre assemblée le 7 septembre dernier. Ce projet de loi, que nous examinerons en commission le 5 octobre prochain, comprend 16 articles, dont deux articles programmatiques présentant les orientations du ministère de l'intérieur pour les cinq prochaines années et prévoyant une augmentation de son budget, en cumulé, de 15 milliards d'euros, et 13 articles normatifs, dont les neuf dixièmes ont trait à la procédure pénale.

À la suite des événements, exceptionnels à tous les égards, qui se sont produits cet été dans tout le pays, j'ai souhaité que cette audition soit également consacrée à l'état et aux moyens de la sécurité civile. Face à des incendies d'une ampleur inégalée depuis 2003, les sapeurs-pompiers professionnels, les sapeurs-pompiers volontaires, ainsi que les personnels administratifs, techniques et spécialisés de services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ont été fortement mobilisés et ont su faire preuve d'un engagement et d'une ardeur à la tâche que je tiens, en guise d'introduction à cette audition, à souligner au nom de notre commission.

Malgré le fort investissement humain, logistique et matériel des services de l'État et des collectivités territoriales et les succès certains en ce qui concerne la défense des vies humaines et des biens, cette période estivale éprouvante a mis en exergue des difficultés ou, a minima, des interrogations, en matière de ressources et de moyens affectés à la sécurité civile.

Ces interrogations sont d'autant plus légitimes à l'heure où la plupart des scientifiques prévoient un accroissement du risque et de la fréquence des incendies dans les prochaines années, compte tenu du changement climatique.

Monsieur le ministre, je vais donc vous céder la parole afin que vous puissiez présenter le projet de loi Lopmi et répondre aux questions des membres de notre commission, en particulier celles des deux rapporteurs, MM. Daubresse et Hervé.

Je laisserai ensuite la parole à notre collègue Françoise Dumont, que j'ai souhaité associer à cette audition en tant que rapporteure pour avis du budget de la sécurité civile lorsque nous passerons à la deuxième thématique de votre audition, sur l'état et les moyens de la sécurité civile.

M. Gérald Darmanin, de l'intérieur et des outre-mer. - Je vous remercie pour votre invitation. Je voudrais d'abord excuser Jean-François Carenco, qui a dû se rendre en urgence en Guadeloupe pour les raisons que vous connaissez. Vous aurez certainement l'occasion de l'entendre prochainement sur la Nouvelle-Calédonie.

La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur est une loi très importante qui tombe à point nommé, en début de mandat. Ce ministère a connu des lois d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, mais jamais un texte comme celui-ci, qui nous donne une visibilité sur cinq ans sur l'ensemble des missions traditionnelles du ministère de l'intérieur. Ce ministère dispose d'ailleurs désormais un périmètre inédit : sécurité, outre-mer, Corse, cyberespace, Grand Paris, bref, toutes les difficultés que notre pays peut connaître. Si, de par l'actualité, nous nous concentrons sur des problématiques à quelques jours, à quelques semaines voire à quelques mois, nous avons besoin aussi de prévisibilité à 5 ans. À cet égard, les 15 milliards d'euros prévus dans le projet de loi vont permettre une transformation profonde du ministère de l'intérieur. La moitié de cette somme ira au cyber et au numérique : la marche technologique que fait le ministre de l'intérieur sera, je l'espère, et toutes proportions gardées, semblable à ce que le ministère des armées a connu à la fin de la conscription et au début de l'armée de métier.

À ce stade, je tiens à rappeler qu'il y avait dans le premier texte déposé au Conseil des ministres des dispositions plus nombreuses sur le statut de l'image, souhaitées par la Cnil et par le Conseil d'État, pour adapter notre droit au développement de la vidéoprotection et à l'intelligence artificielle. Nous avons jugé plus sage de retirer ces mesures au profit d'un texte plus complet à venir, notamment pour tenir compte de travaux menés tant au Sénat que ceux à venir à l'Assemblée nationale. C'est un sujet fondamental à mes yeux dans la perspective de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques en 2024.

Le premier article renvoie à un rapport annexé très dense, qui présente en détail l'ambition de cette loi. Il retient trois axes de transformation pour le ministère de l'intérieur.

Tout d'abord, pour faire suite aux discours du Président de la République à Roubaix et à Saint-Denis, nous proposons le doublement de la présence en voie publique des policiers et des gendarmes. Depuis les attentats de 2015, nos forces de sécurité se sont concentrées, avec succès, sur les interventions. Je rappelle que 39 attentats ont été déjoués depuis 5 ans. Par ailleurs, sur les 10 milliards d'euros alloués lors du quinquennat précédent à la sécurité intérieure et sur les 10 000 créations de postes, 40 % ont bénéficié à la DGSI et aux renseignements territoriaux. Cette stratégie a fonctionné, mais, en parallèle, on a pu constater une augmentation de la délinquance du quotidien à cause d'un manque de présence sur la voie publique. Il s'agit donc de poursuivre notre politique, entamée sous le quinquennat précédent, de recréation d'effectifs de sécurité publique. On a aussi constaté que l'augmentation des violences se fait davantage en zone gendarmerie qu'en zone police, ce qui ne paraît pas intuitif. Je pense au monde agricole, qui subit aujourd'hui beaucoup d'actes de délinquance. Aussi, un effort particulier sera fait au profit de la gendarmerie nationale, avec la création de 200 brigades supplémentaires, quand 500 d'entre elles avaient été supprimées depuis 20 ans. Je lancerai d'ailleurs la consultation pour la création de ces brigades la semaine prochaine dans le département du Cher. La nouvelle carte des gendarmeries sera proposée en février 2023. Nous proposons également la recréation de 11 unités de forces mobiles : 7 escadrons de gendarmerie mobile et 4 unités de CRS, plus les 7 qui sont à la préfecture de police et qui font aujourd'hui du gardiennage de bâtiments. Cela fait donc 18 unités de forces mobiles prêtes, notamment, pour les jeux Olympiques, puisque nous créerons l'intégralité de ces effectifs dans les deux premières années budgétaires.

Sont aussi prévues des réformes structurelles au sein du ministère de l'intérieur, avec la fin des cycles horaires et du vendredi fort, ainsi que des réformes de procédure pénale, qui nous permettront de mettre plus de monde sur le terrain. En résumé, le doublement de la présence en voie publique sera atteint si nous pouvons mener à bien toutes les réformes, dont la réforme de la police nationale.

La deuxième grande ligne directrice de la loi de programmation, c'est la transformation numérique et cyber du ministère de l'intérieur. Désormais, il n'y a quasiment plus de frontière entre le monde réel et le monde numérique dans la délinquance. La quasi-intégralité la délinquance, y compris de voie publique, se fait en grande partie désormais sur ou grâce à internet : vente de drogue, vente d'armes, escroqueries, violences sexuelles. Il faut que la voiture numérique ou technologique du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture technologique des voleurs ou des délinquants. Nous avons commencé avec Pharos, qui compte désormais 54 enquêteurs et qui, 24 heures sur 24, lutte contre les mots de haine et les appels au meurtre sur les réseaux sociaux. Cette police du cyber ne sera pas une direction à part entière ; chaque direction doit avoir un bras dans le cyber et un bras dans le réel. Sur les 15 milliards d'euros, un peu plus de 7 milliards d'euros sont consacrés à cette transformation numérique, avec notamment la création d'une agence unique du numérique au ministère de l'intérieur. D'autres transformations seront nécessaires. Par exemple, nous proposons qu'il soit possible de saisir des actifs numériques comme des actifs physiques et les agents d'investigation connaîtront des formations poussées.

Nous allons également créer un réseau radio du futur, avec un budget de 2 milliards d'euros. Nous avons constaté que les réseaux radio de chacune des forces de sécurité étaient anciens et fonctionnaient mal. Il y aura à l'avenir un seul réseau radio pour tout l'appareil sécuritaire d'État, à la fois pour le son et l'image, chaque agent disposant d'un terminal unique. Ce sont des industriels français qui ont gagné l'appel d'offres et nous espérons pouvoir exporter notre savoir-faire après les jeux Olympiques.

Le troisième sujet, c'est évidemment une meilleure organisation du ministère de l'intérieur dans sa gestion des crises, notamment en sécurité civile, avec le renouvellement de nos hélicoptères - je pense aux 35 hélicoptères de la sécurité civile -, et l'augmentation des moyens donnés aux préfets en phase de gestion de crise pour bien identifier les responsabilités.

Permettez-moi de souligner les efforts que nous souhaitons faire pour l'investigation. Il y a de plus en plus d'interpellations, notamment de trafiquants de drogue, et un effort s'est porté sur les violences conjugales, de mieux en mieux prises en compte. Une fois les délinquants interpellés, il faut faire des enquêtes, donc nous avons besoin de plus en plus d'enquêteurs. Avant, les gardiens de la paix devaient attendre 3 ans avant de pouvoir passer le concours d'officier de police judiciaire (OPJ). Compte tenu de l'allongement de la formation initiale des gardiens de la paix de 8 à 12 mois, nous avons jugé que ce délai de 3 ans n'était plus nécessaire. Cela devrait contribuer à augmenter les effectifs des services d'investigation.

J'en viens à la sécurité civile. Depuis 1976, nous n'avions pas connu un tel épisode de déforestation par incendie. Heureusement, si j'ose dire, nous n'avons à déplorer aucune victime. Il y a eu assez peu de destructions d'habitations et pas de pillages signalés à la suite des évacuations.

Cependant, des conséquences sont à tirer. Le réchauffement climatique aggrave la propagation des feux, c'est indéniable, mais 9 feux sur 10 sont d'origine humaine, volontairement ou pas. Il faut aussi souligner que nombre de forêts sont mal entretenues.

Nous devons changer notre modèle de sécurité civile, sachant qu'il y a eu pratiquement autant d'incendies au nord de la Loire qu'au sud. J'entends bien, nous avons besoin d'avions, mais ceux-ci sont de peu d'utilité une fois que l'incendie s'est propagé. Certains départements, comme le Finistère ou le Jura, peu habitués à ces phénomènes, sont assez mal équipés, tout comme les départements pauvres. Il faut donc travailler sur le financement des SDIS, au besoin en imaginant une péréquation, ainsi que sur le statut des pompiers bénévoles et sur leurs relations avec leurs employeurs. Pourquoi ne pas imaginer une obligation pour les employeurs privés ou publics de libérer les pompiers volontaires en cas de sinistre important ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Monsieur le ministre, je me félicite que vous présentiez cette Lopmi, ce qui devrait nous préserver d'un détricotage de Bercy...

M. Gérald Darmanin, ministre. - Ce n'est pas le genre de Bercy !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - En matière de statut de l'image, vous le savez, nous avons besoin d'une législation qui aille plus loin, notamment en matière d'intelligence artificielle et de reconnaissance faciale, non de manière généralisée mais dans quelques cas très particuliers. Les perspectives de la Coupe du monde de rugby en 2023, puis des JO en 2024, rend ce besoin encore plus criant. Pouvez-vous nous confirmer qu'un texte spécifique sera bien présenté en 2023 ? Verriez-vous un inconvénient à ce qu'il s'agisse d'une proposition de loi s'inspirant des travaux des deux assemblées parlementaires ?

S'agissant du doublement des forces sur la voie publique, envisagez-vous toujours une réforme de la répartition territoriale entre police et gendarmerie ?

Par ailleurs, vous avez évoqué une somme de 7 milliards d'euros supplémentaires pour combattre la cyberdélinquance, mais c'est aussi la réglementation européenne qui pose problème. Directive après directive, les autorités européennes limitent les possibilités d'investigation en mettant en avant la protection des données personnelles. La Conférence des procureurs nous alerte régulièrement sur ce point. Que pouvez-vous faire à cet égard ?

Enfin, l'amende forfaitaire délictuelle nous interroge également. Ne faut-il pas mieux sérier les domaines où elle est susceptible d'être appliquée ?

M. Loïc Hervé, rapporteur. - Je tiens d'abord à saluer la décision du Gouvernement de commencer au Sénat le débat parlementaire sur ce texte.

Ce projet de loi est dense, mais mon intervention se limitera aux OPJ. Dans la réforme que vous portez, il est prévu la création d'assistants d'enquête pour alléger la charge administrative de ces enquêteurs. Comment envisagez-vous de rendre ces métiers attrayants sur les plans statutaire et professionnel ?

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis du programme budgétaire "Sécurité civile" de la mission "Sécurités". - Monsieur le ministre, je suis heureuse que cette audition soit aussi consacrée à l'état et aux moyens de la sécurité civile, dont l'action a été au coeur d'un été exceptionnel sur le front des incendies. Je m'associe à l'hommage envers la mobilisation remarquable de tous les personnels concernés, que ce soit les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires ou les personnels administratifs et techniques.

Il faut tirer de ces évènements un bilan et des perspectives, afin que la France soit mieux armée pour faire face à des conditions météorologiques qui pourraient devenir la norme dans un futur très proche. L'examen, dans les prochaines semaines, de la Lopmi, dont l'un des volets budgétaires concerne les moyens alloués à la flotte aérienne de la sécurité civile, semble donc fort à propos.

Monsieur le ministre, des décès ou des blessés graves ont-ils été recensés parmi les sapeurs-pompiers mobilisés ? Disposez-vous d'éléments chiffrés sur les pertes matérielles qui s'en sont suivies ? Quel coût représentera leur remplacement pour les SDIS ? La flotte aérienne, qui dépend de l'État, a-t-elle subi des dommages lors des interventions ?

Plus globalement, quel bilan tirez-vous de cette saison éprouvante ? Quels ont été les éléments de satisfaction et, à l'inverse, les dysfonctionnements que vous avez pu identifier ? Quelles réponses prévoyez-vous d'apporter à ces derniers ?

En ce qui concerne les perspectives pour les années futures, avec l'accroissement des moyens aériens, nous souhaiterions des précisions quant à l'ampleur du « renouvellement » qui nous est présenté.

La Lopmi annonce un objectif de remplacement en cinq ans des hélicoptères « vieillissants » du ministère de l'intérieur, investissement qui concernerait un total de 36 appareils. Dans quelle mesure les hélicoptères affectés à la lutte contre les incendies font partie de ce lot de 36 appareils ? Quels sont les critères pour définir un hélicoptère comme vieillissant ? Par ailleurs, les quatre nouveaux appareils annoncés en 2020 et 2021 ont-ils été livrés et, dans le cas contraire, sont-ils inclus dans cette annonce de trente-six nouveaux hélicoptères ?

Concernant les avions bombardiers d'eau amphibie, vous prévoyez d'augmenter la flotte de Canadairs de 12 à 16, dont deux dans le cadre du programme RescUE déjà programmé depuis 2020, tout en annonçant un « renouvellement » de la flotte des 12 avions CL415 dont nous disposons déjà. Pouvez-vous nous confirmer qu'il s'agit bien de remplacer l'ensemble de la flotte de Canadairs, y compris les plus récents, et nous préciser le coût de cet investissement que nous imaginons significatif ? Quelles sont les attentes du ministère en matière d'innovations et de capacité des nouveaux appareils ?

Enfin, dans ce contexte de mobilisation des services de secours, il semble opportun de mettre en perspective les avancées de la loi de modernisation de la sécurité civile, dite « Matras », votée il y a un peu moins d'un an, et sa mise en oeuvre, ou non, au cours de l'été. La loi Matras a notamment autorisé l'expérimentation d'un numéro unique d'appel d'urgence pour une période de deux ans. Or, à notre connaissance, celle-ci n'a toujours pas été lancée. Pouvez-vous nous indiquer quel est le nouveau calendrier de votre ministère pour donner suite à cette mesure votée par le Parlement voilà désormais presqu'un an ?

M. Henri Leroy. - Monsieur le ministre, à la lecture du rapport annexé au projet de loi, on retrouve la trame du Livre blanc. Cependant, j'avais cru comprendre que vous aviez prévu de procéder à un redécoupage territorial des zones police et gendarmerie. Une expérimentation ayant suscité de vives réactions a même été menée à Toulouse. Je sais que vous penchez pour la départementalisation de notre organisation en matière de sécurité. Mais ce redécoupage entre la police et la gendarmerie, à mes yeux indispensable, a-t-il été abandonné ?

Mme Laurence Harribey. - Vous avez accompagné le Président de la République en Gironde. À cette occasion, Jean-Luc Gleyze, le président du département, vous a présenté un certain nombre de requêtes.

La première portait sur les difficultés de financement des SDIS. Vous avez évoqué cette question voilà quelques instants, pouvez-vous nous en dire davantage ?

La deuxième concernait la coordination des forces nationales et européennes.

La troisième, enfin, portait sur le renforcement de la force aérienne nationale et sur sa localisation. Or le projet de loi de programmation évoque une localisation unique, à Nîmes. Les derniers incendies ont pourtant montré qu'une telle situation pouvait poser problème. Au regard de la doctrine du « feu naissant », qui oblige à réagir très rapidement, il est essentiel de disposer d'un quadrillage territorial plus important, sans doute dans trois ou quatre zones sujettes aux incendies.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je ne peux vous laisser dire que la forêt girondine n'est pas entretenue : seule La Teste-de-Buch est une forêt usagère, mais elle ne représente qu'une petite partie de ce qui a brûlé. Tout le reste est une forêt de production, très bien entretenue. Si nous n'avons pas connu de feu depuis 1976, c'est parce que la forêt est particulièrement bien entretenue en Gironde. Comme vous l'avez souligné, ce sont les conditions climatiques qui ont provoqué cette fournaise, laquelle n'avait besoin que d'une étincelle pour s'embraser.

Mme Esther Benbassa. - La loi 3DS, adoptée en février 2022, abordait déjà le sujet de la décentralisation et de la simplification de l'action publique. Aujourd'hui, vous souhaitez relocaliser certains services centraux du ministère de l'intérieur en province afin de réduire les inégalités d'accès au service public. Comment comptez-vous concrètement mettre cette décentralisation en place ? Dans quels délais ? Quelles villes accueilleront ces services décentralisés ?

Vous souhaitez qu'il soit possible de porter plainte par visioconférence. Cette nouvelle disposition aura-t-elle vocation à remplacer le procès-verbal ? Comment assurer la confidentialité de ces enregistrements ?

M. Philippe Bonnecarrère. - Je ne m'attendais pas à trouver dans la Lopmi des dispositions pénales ou de procédure pénale. On ne cesse pourtant de nous répéter que ces questions doivent être vues de manière systémique et non au détour de réformes partielles. Dès lors que vous allez sur ce terrain, monsieur le ministre, les questions soulevées par M. Daubresse sur les techniques spéciales d'investigation et sur la définition de la criminalité grave peuvent se poser. Comment avez-vous procédé au « tuilage » de ce texte avec le garde des sceaux ?

Une partie importante du rapport annexé est consacrée à l'informatique. Il semble que votre ministère ait l'ambition de se positionner en producteur de solutions numériques. Il s'agit de l'une des faiblesses du ministère de la justice, par exemple, dont les procédures informatiques sont insuffisantes. Souhaitez-vous faire du ministère de l'intérieur la dorsale d'une restructuration numérique des ministères régaliens ?

La Cour des comptes s'est interrogée sur l'opération Sentinelle. Je peux comprendre que vous souhaitiez garder toutes vos forces en termes d'ordre public dans la perspective non seulement de la Coupe du monde de rugby, mais surtout des jeux Olympiques de Paris. Toutefois, après 2024, chacun de nous est conscient que cette opération ne pourra perdurer si l'on veut que le ministère de la défense puisse assurer complètement ses missions.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Monsieur Daubresse, je vous confirme qu'il est de notre devoir de mettre en place des dispositions relatives au statut de l'image. La Cnil et le Conseil d'État nous ont enjoint de fondre les statuts existants dans un seul et même statut pour faire en sorte que les caméras de vidéoprotection de nos communes soient conformes aux prescriptions du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Par ailleurs, il s'agit également de répondre au dossier de candidature de Paris en termes de traitement des images par intelligence artificielle.

Comme vous, je suis opposé à la reconnaissance faciale. Il faut écrire dans le droit français ce que l'on veut faire avec l'image de demain. Nous pouvons trouver un compromis, même s'il est toujours difficile d'y parvenir quand il s'agit de concilier liberté et sécurité.

Je voudrais rappeler à l'attention de la commission des lois que nous avons discuté de la question des drones pendant un an et demi pour arriver à une solution quelque peu étonnante : le ministre de l'intérieur peut ainsi faire voler des drones en renseignement, mais pas en judiciaire ! Il me semblait que l'autorité judiciaire était plus protectrice des libertés. Or, dans leur sagesse, le Parlement et le Conseil constitutionnel ont préféré laisser toute latitude au préfet pour protéger les libertés. On rentre parfois dans certains débats sans savoir quelle en sera l'issue... Le décret va bientôt sortir et je ne manquerai pas de le faire parvenir aux rapporteurs, notamment à M. Hervé. La question du statut de l'image va certainement nous réserver encore des discussions étonnantes...

Le Livre blanc, que mon prédécesseur avait commandé, consacre d'importants développements à la répartition des zones police et gendarmerie. Ce sujet est débattu depuis cinquante ans : tout le monde croit que l'herbe est plus verte ailleurs et ceux qui ont des gendarmes veulent des policiers et inversement. Or les gendarmes vivent souvent dans leur caserne et les policiers ne vivent pas dans leur commissariat, tout changement implique de nombreuses transformations et des coûts supplémentaires. Je ne crois pas que ces questions méritent l'énergie qu'on y dépense à deux ans des jeux Olympiques de Paris. Il peut y avoir des exceptions ici ou là, notamment en outre-mer, mais je n'ai encore accepté aucune transformation.

Je n'ai d'ailleurs pas besoin d'une disposition législative pour le grand soir des zones police et gendarmerie. Le code général des collectivités territoriales et le code de la sécurité intérieure posent un simple taquet de 30 000 habitants. Pour le reste, nous pouvons procéder aux changements sans consulter le Parlement.

Je me dois de souligner qu'aucune disposition légale n'interdit aux gendarmes d'aller en zone police et inversement. En fait, ces zones n'existent pas vraiment. Ainsi, 80 % des escadrons de gendarmerie mobile interviennent en zone police. De même, pour les événements sportifs à venir, Coupe du monde et Jeux Olympiques, il sera possible, par exemple, de demander aux gendarmes du Calvados de s'occuper temporairement du commissariat de Lisieux pendant que les agents de police nationale seront en Seine-Saint-Denis pour aider leurs camarades. Je n'ai pas besoin d'une loi pour ce faire.

L'exemple de Toulouse et de sa conurbation, dont la population augmente chaque année de 10 000 habitants est parlant. Les transports y sont coupés entre zone police et zone gendarmerie. Les policiers sont parfois obligés de descendre du tram ou du bus pour laisser les gendarmes prendre la suite, ce qui est absurde. Les gendarmes et policiers ont un droit de suite sur le territoire national. Plutôt que de penser en termes de territoires, je préfère raisonner en zone de délinquance. Il faut parfois faire des réunions pour savoir qui de la police ou de la gendarmerie est compétente pour faire des contrôles sur tel ou tel échangeur d'autoroute ! Je vais changer les choses en donnant des axes aux policiers et gendarmes plutôt que des territoires. La question de la transformation et de la mutualisation des forces de police et de gendarmerie me tient à coeur, mais je tire des conclusions différentes de celles des auteurs du Livre blanc.

En ce qui concerne le traitement des données et la jurisprudence européenne, ce domaine relève de la seule compétence du garde des sceaux. En résumé, les procureurs de la République ne pourront plus utiliser certaines données téléphoniques, dont les fameuses « fadettes ». Seul le juge pourra les obtenir, ce qui inquiète beaucoup les services enquêteurs et les procureurs. Je crois savoir que le garde des sceaux travaille sur cette question dans le cadre d'un projet de loi, que j'attends avec impatience. Les écoutes téléphoniques ont déjà un rendement décroissant dans la mesure où la plupart des gens utilisent des applications de messagerie instantanée et que le Parlement n'autorise les services enquêteurs à utiliser les moyens technologiques adéquats pour surveiller téléphones et données numériques que dans le seul cadre de la lutte antiterroriste. Si je pouvais utiliser ces moyens pour combattre la grande criminalité ou les trafics de stupéfiants, je pense qu'il y aurait beaucoup moins d'homicides à Marseille. Et si l'on ne peut plus utiliser les données de localisation ou d'appel, les choses vont encore se compliquer... Il appartiendra à M. le garde des sceaux de trouver les voies et moyens pour permettre aux services enquêteurs et aux procureurs de continuer à travailler sans alourdir la procédure malgré la décision européenne qui s'impose à nous.

Nous voulons sanctionner toute condamnation à moins d'un an de prison par une amende forfaitaire délictuelle, ou AFD, toujours sous l'autorité du procureur de la République. La première AFD que je vous ai proposée visait les consommateurs de stupéfiants. Elle a prouvé son efficacité : 225 000 amendes ont été dressées depuis septembre 2020 et les sanctions pour consommation de drogue ont augmenté de 30 %. Les AFD permettent aux services de police et de gendarmerie d'inscrire au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) une amende pénale qui sera recouvrée automatiquement sur les comptes en banque des impétrants. L'AFD est ainsi mieux recouvrée que les amendes routières.

Nous voulons généraliser l'AFD à l'ensemble des petits délits - insultes, dégradations de l'espace public... - pour lutter contre le sentiment d'impunité. Mieux vaut simplifier certaines procédures pénales pour qu'il y ait une sanction financière et une inscription au casier judiciaire. En cas de récidive, une sanction pénale plus lourde trouvera à s'appliquer.

Le Conseil d'État a toutefois souhaité disjoindre cette disposition du projet de loi que nous présentons. J'ai préféré la maintenir pour permettre au Parlement de comprendre la volonté de l'exécutif. Si les rapporteurs trouvent une écriture juridique efficace, comme cela arrive souvent au Sénat, le Gouvernement sera très ouvert à porter cette disposition.

Monsieur Hervé, le ministère de la justice opère une distinction d'emploi entre le spécialiste du droit qu'est le juge d'instruction et le spécialiste du formalisme qu'est le greffier. Policiers et gendarmes ne disposent pas d'une telle distinction et une partie des procédures tombent en raison d'un défaut de forme. C'est que policiers et gendarmes font tout : accueil du gardé à vue, appel de l'avocat ou du médecin, fourniture des repas, photocopies... Ils perdent énormément de temps pour assurer le formalisme des procédures, alors que ce n'est pas essentiel au travail d'enquêteur. C'est la raison pour laquelle la création des assistants d'enquête, issus du personnel administratif du ministère de l'intérieur, nous semble particulièrement importante. Nous sommes tout à fait prêts, monsieur le rapporteur, à travailler à une meilleure définition de leur rôle. En ce qui concerne la police, les assistants d'enquête viendront des personnels administratifs, techniques et scientifiques ; pour la gendarmerie, il s'agira soit de personnel des corps de soutien militaire, soit de personnel civil. Selon nos estimations, la création d'un assistant d'enquête permettra de libérer 0,5 équivalent temps plein d'officier de police judiciaire.

Monsieur Bonnecarrère, on m'a reproché hier, à l'Assemblée nationale, de ne pas avoir mis plus de dispositions judiciaires dans ce texte. Nous avons décidé, en accord avec M. le garde des sceaux, que tout ce qui relevait d'une procédure pénale simplifiée, à hauteur des policiers et des gendarmes, méritait de figurer dans ce projet de loi. Le Président de la République a demandé à ce que certaines des simplifications issues du Beauvau de la sécurité soient mises en application, dont la fusion des cadres d'enquête préliminaire et de flagrance, qui sera portée par le garde des sceaux.

Le projet de loi que je présente ne propose pas de sanctions pénales alourdies et ne modifie donc aucunement le code pénal. Les entrées vers la procédure judiciaire concernent seulement le travail quotidien des policiers et gendarmes, qui agissent sous l'autorité du procureur de la République ou d'un autre magistrat.

Je veux effectivement transformer le ministère de l'intérieur, en retard par rapport à la délinquance en matière de technologie. M. Daubresse a pu évoquer un « Clemenceau 2.0 » et il a raison : nous allons créer les « brigades du Tigre numériques ».

Il s'agit également d'améliorer notre lien avec la population. Je souhaite que les policiers passent le moins de temps possible dans les commissariats. Ce texte comporte une disposition révolutionnaire qui vise à permettre le dépôt de plainte numérique par visioconférence. Voilà cinq ans, quand j'ai pris la tête du ministère des comptes publics, on m'a beaucoup dit qu'il n'était pas possible de mettre en place le prélèvement à la source. Je suis très fier de constater aujourd'hui qu'il s'agit de la réforme la plus appréciée du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. On a changé la vie des agents des finances publiques et notre façon de vivre l'impôt. Cette transformation numérique est extrêmement importante.

De même, je souhaite dématérialiser permis de conduire et cartes grises pour lutter contre les usurpations d'identité et les fraudes aux véhicules. Personne ne sait précisément combien de points il lui reste sur son permis et le policier qui vous contrôle l'ignore également. On pourrait imaginer un permis ou une carte grise numériques sous forme de QR code, par exemple.

J'ai lu le rapport de la Cour des comptes, mais je ne partage pas ses conclusions sur l'opération Sentinelle. Les militaires engagés dans ce cadre participent à la sécurisation de notre pays. Si nous décidons que ces militaires ne doivent plus aider les policiers et les gendarmes, il faut alors créer de nouveaux postes à due concurrence. Depuis deux ans, nous réalisons chaque année 10 000 non-admissions d'étrangers en situation irrégulière aux frontières espagnoles et italiennes contre 3 000 en 2019. Ce résultat est en grande partie dû au fait que les militaires impliqués sont capables d'observer en altitude les mouvements des passeurs avec des moyens technologiques qu'eux seuls possèdent. Le Président de la République a évoqué, au cours de la campagne, la création d'une Border force à l'australienne : policiers, gendarmes, douaniers et militaires pourraient, en fonction de leur spécialisation, travailler ensemble pour tenir nos frontières. Nous aurons sûrement l'occasion de reparler de cette question pour répondre aux demandes de la Cour des comptes et du ministère des armées, qui souhaite récupérer une partie de ses effectifs.

Beaucoup de questions ont été posées sur la sécurité civile. Notre disponibilité aérienne n'a pas son pareil en Europe. Pour autant, la situation est-elle satisfaisante ? Assurément non. Nous disposons aujourd'hui de douze Canadair CL 415, de sept Dash 8 et de trois Beech-craft. Notre flotte d'hélicoptères sera intégralement renouvelée dans le cadre de la Lopmi. Or le problème n'est pas d'acheter des Canadair, mais de les produire. Les Canadair que nous avons commandés ne seront pas livrés avant 2027, car il faut d'abord construire l'usine qui les produira. Par ailleurs, nous envisageons de mutualiser ces trente-cinq hélicoptères avec la gendarmerie nationale hors des périodes de risque d'incendie.

Nous souhaitons porter de douze à seize le nombre de Canadair de notre propre flotte. Mme Cayeux était à Bruxelles, la semaine dernière, à ma demande, pour évoquer avec la Commission européenne la création d'une flotte européenne souhaitée par la Président de la République.

On a dénombré trente blessés à la suite de ces feux et deux pompiers sont décédés : je voudrais saluer leur courage et avoir une pensée pour leurs familles.

En ce qui concerne le numéro d'urgence, les décrets et arrêtés sont en train d'être rédigés. J'aurai l'occasion de les présenter samedi prochain, lors du congrès des sapeurs-pompiers volontaires. L'expérimentation ne dépend pas du seul ministère de l'intérieur, ce qui serait trop simple. D'autres ministères et régions sont impliqués.

J'entends parfois des présidents de SDIS réclamer davantage de moyens pour les pompiers. Or la décentralisation ne consiste pas à demander à l'État des moyens supplémentaires une fois les compétences transférées. La taxe sur les assurances a été créée pour financer les SDIS, mais elle est versée aux départements qui n'en reversent pas l'intégralité aux SDIS... Ne devrait-on pas verser directement le produit de cette taxe aux SDIS, quitte à créer une catégorie de collectivité particulière ? Faudrait-il plutôt assurer une sorte de miroir automatique pour que l'intégralité de ce produit aille aux SDIS ? La recette de cette taxe est-elle assez dynamique ?

En Gironde, moins de 10 % des pompiers locaux ont été mobilisés pendant les trois premiers jours de l'incendie. Il nous a fallu demander à des pompiers d'autres régions de venir en soutien. Sans doute y a-t-il des raisons compréhensibles à cette situation, mais cela montre bien que ce n'est pas toujours une question de moyens, mais aussi de disponibilité. L'argent ne fait alors rien à l'affaire.

Le grand avantage de la sécurité civile française repose sur la disponibilité des appareils. Les Canadair et les Dash ont besoin de beaucoup de maintenance pour pouvoir voler dans des conditions de forte pression. Cet été, les avions ont pu voler chaque jour, parce qu'ils étaient réparés la nuit. Cette logistique demande des techniciens spécialisés et du matériel de pointe. Et c'est parce que nous disposons d'une quinzaine d'appareils que nous y parvenons. Avec trente avions, nous pourrions imaginer avoir deux bases, mais ce n'est pas encore le cas. Aujourd'hui, il peut nous arriver de prédisposer des avions, notamment en Corse, en fonction des zones de risque.

Madame Benbassa, nous allons « démétropoliser » 1 500 emplois du ministère de l'intérieur en trois ans. Une vingtaine de villes seront concernées : Pharos ira à Lens, l'IGPN au Havre, le standard du ministère de l'intérieur à Limoges... J'avais déjà « démétropolisé » 4 000 emplois à Bercy pour assurer un meilleur cadre de vie aux fonctionnaires, pour mettre de l'emploi public dans des villes moyennes et pour permettre au ministère de réaliser des économies en louant ou en achetant des biens immobiliers à un coût moins élevé qu'à Paris. Tout est réalisé en totale concertation sociale et syndicale et sans aucune obligation pour les agents.

M. Hussein Bourgi. - Je voudrais à mon tour saluer la sécurité civile à la française. Nous pouvons être fiers de sa singularité et de son efficacité. Vous avez clairement indiqué qu'il fallait amorcer une nouvelle étape de modernisation et d'adaptation à un risque nouveau.

Il a beaucoup été question de feux de forêt, mais il faut aussi évoquer les inondations survenues en Guadeloupe et l'épisode méditerranéen annoncé pour le week-end prochain dans l'Hérault et les départements mitoyens.

Nous pouvons à chaque fois compter sur les soldats du feu et sur les comités communaux de feux de forêt. Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances rectificative, nous avions interrogé Gabriel Attal sur certaines mesures à prendre très rapidement. Les budgets des SDIS sont en effet particulièrement tendus. Nous avons évoqué la question de l'investissement dans le matériel aérien et terrestre. Dans mon département, le SDIS a sa propre flotte aérienne sur l'aéroport de Béziers-Cap d'Agde : la décentralisation a parfois du bon.

Nous avions proposé d'exonérer les SDIS du paiement de la TICPE et du malus écologique touchant les véhicules de secours. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Je voudrais aussi évoquer la question du débroussaillement des axes ferroviaires et des axes routiers, dont il est peu question. Dans ma région, beaucoup des incendies partent de ces zones. Comment faire en sorte que le débroussaillement soit mieux assuré par les sociétés d'autoroute et par la SNCF ou Réseau ferré de France ?

Ce matin, 84 sénateurs vous ont fait parvenir un courrier pour vous proposer la création d'une promotion exceptionnelle de la médaille de la sécurité intérieure avec agrafe « feux de forêt 2022 ». Ce serait l'occasion de dire aux pompiers la reconnaissance de la nation.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous aviez trois ans à l'époque, monsieur le ministre, mais la première loi de programmation a été adoptée le 7 août 1985. Que vous ayez fait référence au grand ministre Pierre Joxe me comble de satisfaction.

La faiblesse du chapitre de ce texte consacré aux violences intrafamiliales m'a quelque peu interpellée. Cette question relève davantage de la compétence du garde des sceaux, mais nous pourrions utilement avancer sur la question de la juridiction spécialisée, déjà évoquée par la Première ministre.

Sans aucun esprit polémique de ma part, j'aimerais savoir comment vous envisagez de faire face aux refus d'obtempérer. Nous comptons déjà neuf morts depuis le début de l'année. Si un policier mort est un mort de trop, un policier qui tue est aussi un policier traumatisé. Pensez-vous qu'il faille travailler de nouveau sur les techniques d'interpellation ? J'ai cru comprendre que les syndicats n'y étaient pas hostiles. Faut-il mieux former les personnels pour que les policiers concernés soient entraînés à tirer rapidement dans les pneus du véhicule plutôt que sur le conducteur ?

M. Stéphane Le Rudulier. - Certaines mesures présentées en mars dernier ont totalement disparu de ce texte. Je pense notamment à la possibilité offerte aux communes de se porter partie civile lorsqu'un de leurs élus est victime d'un crime ou d'un délit et à la modification du droit funéraire pour que les opérations de surveillance et de scellement des cercueils passent sous la responsabilité du maire, en présence d'un garde-champêtre ou d'un agent de police municipale. Ce transfert était d'ailleurs compensé dans la loi de finances. Ces deux mesures symboliques sont-elles définitivement abandonnées ?

Mme Brigitte Lherbier. - Votre texte prend à bras-le-corps la question de l'espace cyber. Je tenais à saluer cette initiative, la France accusant un réel retard en ce domaine. Le forum international de cybersécurité de la gendarmerie se réunit tous les ans à Lille. Il connaît un immense succès et expose très souvent des besoins humains très difficiles à combler. Vous avez annoncé le recrutement de 400 fonctionnaires et contractuels de haut niveau pour mettre en oeuvre les projets numériques indispensables au ministère. Toutefois, les développeurs sont aujourd'hui très recherchés. Comment ferez-vous face à la concurrence du secteur privé ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Madame Lherbier, il ne s'agit pas seulement de niveau de rémunération, mais aussi de sens à donner à son métier. Aujourd'hui, les services de renseignement croulent sous les candidatures, car chacun voit aujourd'hui combien il est important de défendre son pays. Les armées ont réussi à attirer des gens très différents, de grande qualité, en changeant d'image. Nous allons essayer de suivre cet exemple. L'image du policier et du gendarme peut être largement améliorée. J'ai demandé à l'école polytechnique de réserver quatre places de commissaires de police pour avoir enfin des ingénieurs au sein de la police nationale, qui porteront des projets numériques particulièrement importants. Nous allons aussi développer le recrutement sur titre, comme le font déjà en partie les gendarmes. De même, on peut envisager certains échanges avec des entreprises et la mise en place d'une formation continue plus efficace.

Monsieur Bourgi, je suis décentralisateur. J'estime simplement qu'une part de responsabilité incombe aux collectivités territoriales, ce qui n'empêche pas de bien travailler ensemble. Certains départements, à l'instar du vôtre, ont su innover, ce que nous devons encourager.

Vous avez raison de souligner l'importance des feux naissant sur les aires d'autoroute ou sur les voies SNCF. Cet été, la sécheresse a été si forte que le grincement des rails a fait naître des étincelles, qui ont provoqué un feu important dans les Bouches-du-Rhône, alors même que la voie concernée était bien entretenue. Sans doute faut-il revoir les normes d'entretien à l'aune du réchauffement climatique, ce qui dépasse mes compétences.

La question des incitations fiscales et des exemptions de taxe relève du domaine de Bercy, qui s'y est opposé, au nom du droit européen. Je relaierai toutefois vos demandes auprès du ministère de l'économie et des finances.

Oui et mille fois oui à une promotion spécifique avec agrafes « feux de forêt ». Le Président de la République va recevoir les acteurs de la sécurité civile à l'Élysée. Je lui ai proposé de remettre quelques décorations à cette occasion.

Madame de La Gontrie, vous avez raison en ce qui concerne les violences intrafamiliales. Ce texte comporte une disposition importante avec la création de 2 000 postes supplémentaires d'enquêteurs et de nombreux postes de psychologues et d'assistantes sociales à la disposition des commissariats et des brigades de gendarmerie. Je suis convaincu de l'importance d'une justice spécialisée, comme en Espagne.

L'année dernière, 30 % des auteurs de féminicides avaient déjà fait l'objet d'un signalement, d'une plainte, d'une main courante ; ce qui veut dire que 70 % des féminicides avaient échappé à tout signal avant-coureur. Au-delà de la spécialisation de la justice et des policiers et gendarmes, il faut améliorer les premiers signes, notamment en sensibilisant davantage les médecins.

Dans la nuit de lundi à mardi dernier, il y a eu six refus d'obtempérer. À Nantes, une femme est aujourd'hui entre la vie et la mort pour avoir été percutée par le véhicule en question. Il s'agit toujours d'un drame, même quand le policier tire et qu'il est dans son bon droit. Les refus d'obtempérer ont augmenté de 13 % depuis 2016 : 27 609 en 2021 contre 24 216 en 2016. Aujourd'hui, on dénombre un refus d'obtempérer toutes les trente minutes en zone police ou gendarmerie. Depuis le 1er janvier dernier, 41 gendarmes et policiers ont été blessés gravement. La loi de 2017 a-t-elle amélioré les choses ? J'ai tendance à penser que ce n'est pas vraiment le sujet : on comptait 137 tirs en 2016, 202 en 2017, 170 en 2018,147 en 2019 et 153 en 2020, ce qui est beaucoup pour ces deux années « covid », et 157 en 2021, c'est-à-dire moins qu'en 2018 ou 2017. Sans doute peut-on encore améliorer la formation et apprendre à chaque policier ou gendarme à tirer dans les endroits non létaux, mais quand il fait nuit et que la voiture roule extrêmement vite, les choses sont beaucoup moins simples sur la route qu'ici. Il s'agit de professionnels de la sécurité, qui doivent agir dans un cadre déontologique. J'ai demandé au directeur général de la gendarmerie et à celui de la police nationale de réfléchir ensemble à ce qu'il était possible d'améliorer.

Il y a aussi ceux qui nous disent de faire comme les Britanniques avec le tamponnage, mais j'y suis pour ma part opposé. La doctrine des forces de police et de gendarmerie françaises est la suivante : arrêter la poursuite des suspects quand les conséquences négatives risquent d'être plus importantes que le bénéfice de l'arrestation. La police gagne toujours à la fin, de toute façon. Mais il n'est pas toujours facile de faire les bons choix dans le feu de l'action.

Il faut savoir que, depuis 2016, il y a eu une hausse de 16 % des refus d'obtempérer, mais une baisse de 8 % des tirs, donc on ne peut pas dire que le phénomène est en forte augmentation. Cependant, je vous l'accorde, il faut poursuivre le travail de formation sur la déontologie.

Vous savez, c'est toujours un drame pour tout le monde, y compris pour le policier ou le gendarme à l'origine des tirs.

Enfin, je vous fais remarquer que la première cause de mortalité des policiers, ce sont les chocs avec des véhicules tiers.

Monsieur Le Rudulier, vous semblez regretter que ce texte soit trop court, mais c'est justement pour répondre aux souhaits des parlementaires que nous avons fait ce choix. Nous avons ainsi retiré un certain nombre de points qui ne nous semblaient pas essentiels.

Par ailleurs, s'il n'y a pas de mesures « polices municipales », c'est parce que le Conseil constitutionnel a été très clair sur ce point.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie.

La réunion est close à 16 h 55.