Mercredi 21 septembre 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture -

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Mission conjointe de contrôle sur la délinquance des mineurs – Examen du rapport

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – Nos deux commissions, qui ont déjà eu l’occasion de travailler en bonne intelligence sur les incidents intervenus au Stade de France en mai dernier, se retrouvent aujourd’hui pour examiner les conclusions de nos quatre rapporteurs sur une mission conjointe de contrôle consacrée à la délinquance des mineurs. Je remercie Céline Boulay-Espéronnier qui nous a proposé il y a quelques mois de réactualiser le rapport de nos anciens collègues Jean-Claude Carle et Jean-Pierre Schosteck.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. – Vingt ans après le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs, intitulé Délinquance des mineurs : la République en quête de respect, j’ai proposé à mes collègues d’en faire le bilan. Le sujet étant commun à nos deux commissions, nous avons joint nos efforts avec trois de mes collègues rapporteurs pour vous présenter le rapport d’aujourd’hui. Nous avons considéré que la question de la politique menée en matière de délinquance des mineurs se posait d’abord sous l’angle de la prévention, dont la lutte contre le décrochage scolaire est un axe structurant. Au demeurant, la mise en œuvre, à compter du 1er octobre 2021, de la réforme du code de justice pénale des mineurs, ne nous permettait pas d’évaluer celle-ci avec suffisamment de recul.

Nous avons donc focalisé nos travaux sur deux enjeux. De quelles connaissances disposons-nous sur la délinquance des mineurs ? Comment la prévention, en particulier en matière d’éducation, puis l’accompagnement vers la réinsertion, peuvent-elles contribuer à lutter contre ce phénomène ?

Après avoir entendu près de 40 personnes et nous être rendus à Bordeaux, Avignon et Nanterre, nous avons constaté que les connaissances sur le sujet continuent à faire défaut, tout comme la coordination des multiples acteurs en ce domaine.

Nous vous proposons donc quatorze recommandations structurées autour de quatre axes : renforcer la connaissance de la délinquance des mineurs ; rendre plus efficiente la lutte contre le décrochage scolaire ; lutter contre la violence scolaire ; et, enfin, mieux préparer la réinsertion du mineur délinquant et éviter la récidive par les apprentissages.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. – Nous avons tâché de dresser un tableau exhaustif de la situation, mais il nous a été très difficile de trouver des chiffres fiables. Le ministère de la Justice indique que le nombre de mineurs mis en cause est passé de 100 000 à 200 000 entre 1992 et aujourd’hui, mais le ministère de l’Intérieur ne reconnaît pas ces chiffres... Difficile dans ces conditions d’en faire usage. Nous ne disposons donc d’aucune photographie complète du phénomène. Les dernières statistiques datent de 2016, mais elles ne couvrent pas toutes les infractions et ne distinguent pas entre crimes et délits, ni entre infractions principales et secondaires. Nous n’avons donc qu’une vision partielle qui rend difficile notre exercice d’évaluation de cette politique publique. En outre, ces chiffres ne rendent pas compte de la réalité de la délinquance car le nombre de mis en cause dépend de l’activité des services et de la propension des victimes à porter plainte. Autre manque flagrant, l’absence de prise en compte du rôle des réseaux sociaux qui peuvent faciliter, voire accroître les infractions.

En proportion, la délinquance des mineurs est restée stable entre 2016 et 2019 au regard de l’ensemble de la délinquance, à 20 % de l’ensemble des faits de délinquance. Mais la typologie des infractions a évolué : elles concernent moins les biens et plus les personnes. Dans le cas de violences sexuelles sur mineurs, les mineurs eux-mêmes représentent 46 % des mis en cause alors qu’ils ne sont que 21 % en population générale. S’agissant des infractions à la législation sur les stupéfiants, les 13-17 ans représentaient 20 % des mis en cause en 2021, alors qu’ils ne sont que 6 % de la population. On assiste également à un rajeunissement de la population qui se livre à ces trafics de stupéfiants : les jeunes concernés ont plus souvent treize ans que quinze…

On constate une diminution du nombre de condamnations au profit de mesures alternatives aux poursuites, qui concernent désormais 55 % des affaires – alors que cette proportion n’est que de 40 % pour les majeurs.

Dernier élément préoccupant : le taux de récidive et de réitération dans les cinq ans dépasse les 50 %.

Nous vous proposons donc quatre recommandations : mettre en place un suivi statistique de la délinquance des mineurs sur l’ensemble de la chaîne pénale ; développer des enquêtes sociologiques sur les auteurs des faits ainsi que des suivis de cohortes ; améliorer le repérage des infractions liées au numérique et évaluer le rôle des réseaux sociaux sur les phénomènes de délinquance des mineurs ; enfin, procéder à des études plus fines de la récidive et de la réitération, prenant également en compte les mineurs ayant fait l’objet de mesures alternatives aux poursuites ou de mesures éducatives, pour avoir une meilleure idée de l’efficacité du suivi judiciaire des mineurs délinquants.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. – Un constat est ressorti de nos auditions : le basculement d’un jeune dans la délinquance est multifactoriel, mais l’échec scolaire en constitue souvent un élément important. Lutter contre le décrochage scolaire constitue donc un axe majeur de la prévention de la délinquance des mineurs. Bien évidemment, toutes les mesures visant, en amont, à accompagner les élèves les plus en difficulté dans l’apprentissage des fondamentaux participent à cette prévention du décrochage scolaire. Mais nous avons choisi de concentrer nos travaux sur les actions mises en place pour les élèves décrocheurs, c’est-à-dire pour ceux dont la rupture est en train de se faire ou a déjà eu lieu.

Tout d’abord, on peut constater ces dernières années une forte mobilisation de l’Éducation nationale et des acteurs de l’insertion professionnelle. Un système interministériel de suivi d’échanges et d’informations des décrocheurs scolaires a été créé en 2011. Limitée pendant longtemps à deux campagnes par an, une transmission mensuelle de la liste des décrocheurs scolaires est prévue depuis février 2022 ; mais cet outil reste largement perfectible. Des outils en faveur de la persévérance scolaire ont également été développés, en lien avec les acteurs territoriaux de l’insertion et de la formation professionnelles. Enfin, la loi pour une école de la confiance a instauré une obligation de formation pour les 16-18 ans. Selon les premières estimations, 95 000 jeunes de cette tranche d’âge, sortis de tout système de formation, sont concernés par cette obligation. Malgré ces progrès, force est de constater la nécessité de rendre plus efficiente la lutte contre le décrochage scolaire. Actuellement, quelque 89 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ou au plus le brevet.

Nous constatons un foisonnement d’acteurs dont le rôle de chacun n’est pas forcément connu : structures de retour à l’école (SRE), régions, missions locales, plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD), réseaux Formation Qualification Emploi (Foquale), associations, centres de formation des apprentis, points jeunesse… Il existe désormais également une mission de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) dans chaque académie, mais il n’est pas toujours évident de savoir qui fait quoi.

Par ailleurs, le partage d’informations reste perfectible. Le système de croisement des informations connaît des dysfonctionnements majeurs. L’objectif d’une transmission en temps réel fixé pour 2023 semble difficilement atteignable. Des problèmes d’interopérabilité demeurent entre l’Éducation nationale et les missions locales, chargées du respect de l’obligation de formation des 16-18 ans. Le système ne permet pas de couvrir l’ensemble des situations : les données liées au suivi des apprentis en décrochage restent ainsi à consolider.

Nous avons également constaté un manque de porosité dans la prise en charge des jeunes décrocheurs, voire une approche en silo. À de nombreuses reprises, nos interlocuteurs ont regretté une perception trop binaire par l’Éducation nationale : soit l’élève est scolarisé et relève de la compétence de l’éducation nationale, soit il ne l’est pas et il relève alors des missions locales. Or la situation est plus complexe.

La notion même de décrocheur scolaire, au sens de l’éducation nationale, interroge : le « décrocheur » doit avoir indiqué « démissionner de sa formation par une lettre signée de ses représentants légaux ». Mais dans de nombreux cas, le jeune ne vient plus en cours, sans aucune démarche formelle. Il est donc toujours considéré sous statut scolaire, empêchant une contractualisation avec la mission locale. D’où notre recommandation visant à assurer l’interopérabilité des systèmes d’information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge au fil de l’eau et un suivi entre les différents intervenants plus performants.

Enfin, il nous paraît essentiel de mieux prendre en charge le décrochage scolaire avant seize ans. Malgré l’obligation de scolarité jusqu’à cet âge, un certain nombre de jeunes arrête l’école bien avant. Selon les chiffres de l’Insee, 2 % des jeunes de quinze ans sont inactifs. Cela représente près de 15 500 jeunes !

Paradoxalement, l’obligation scolaire rend plus difficile la prise en charge des jeunes de moins de seize ans en rupture avec l’école. Les missions locales ne peuvent pas les accueillir avant cet âge. Quant aux parcours aménagés de formation initiale (Pafi), ils ne sont pas ouverts aux jeunes de moins de quinze ans. Nous recommandons de lever ce blocage.

Il existe des initiatives réussies qui permettent de trouver des moyens alternatifs de remobilisation et d’apprentissage. L’apprentissage par le « faire » permet d’aborder autrement des notions fondamentales et de redonner le goût d’apprendre. L’évaluation de ces dispositifs doit se faire à moyen terme. Il faut leur laisser le temps de faire leurs preuves, face à un public très difficile et en rupture scolaire depuis longtemps.

Enfin, la prévention de la délinquance passe par le déploiement d’actions complémentaires au milieu scolaire. Une prise en compte de tous les temps de l’enfant est nécessaire. Cette action sera d’autant plus efficace qu’elle s’appuiera sur un travail partenarial avec tous les acteurs de terrain. Nous avons eu un exemple intéressant de cette collaboration avec l’école des Quinze, une école de rugby de la deuxième chance qui travaille en partenariat avec les établissements scolaires qui présélectionnent des enfants en fragilité scolaire. Ces derniers sont alors accompagnés par l’association douze heures par semaine, associant temps scolaire, social et sportif. Les élèves concernés sont regroupés dans une même classe pour disposer d’un emploi du temps permettant une prise en charge en fin d’après-midi par l’association. Les responsables de l’association participent aux conseils de classe.

Depuis le 1er janvier 2022, les services de la jeunesse et des sports sont rattachés aux services académiques. Un regard commun sur les temps de l’enfant doit désormais émerger. Nous avons eu aussi l’occasion de rencontrer les acteurs de la cité éducative du Grand Parc à Bordeaux, qui répond à cet objectif de prise en compte globale des temps de l’enfant. L’une des clés du succès d’une cité éducative est la coconstruction avec les acteurs du territoire. Pour cela, des moyens et du temps pour se connaître et élaborer ensemble un projet sont nécessaires.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, rapporteure. – J’en viens maintenant à la violence au sein des établissements scolaires. Dès 2001, le rapport du Sénat faisait apparaître que l’école n’était plus un sanctuaire.

Cette violence est en légère augmentation dans les établissements du secondaire sur les six premiers mois de l’année, par rapport aux deux années précédentes. En 2020-2021, au moins un incident grave a été déclaré dans les deux tiers des établissements du second degré. La violence scolaire se manifeste principalement par des atteintes aux personnes, qui représentent huit incidents sur dix.

L’école primaire, bien que moins sujette à la violence, n’est aujourd’hui plus épargnée. Surtout, la moitié des violences contre les enseignants sont désormais commises par des élèves. Cette violence au primaire se ressent également dans les enquêtes de victimation. Pour la première fois, une telle enquête a été menée auprès d’élèves de CM1-CM2 en 2020-2021 : quatre élèves sur dix signalent avoir été victimes de violences verbales, d’ostracisme ou de vol et 23 % ont déjà eu peur de venir à l’école à cause de la violence.

Certes, tous ces faits ne relèvent pas d’une infraction pénale. Mais ils convergent vers un sentiment général partagé dans plusieurs auditions : un rajeunissement de l’âge des délinquants.

Se pose alors la question de la prise en charge des élèves violents. Chaque année, entre 70 000 et 81 000 élèves du second degré sont exclus temporairement ou définitivement de leur établissement.

L’exclusion d’un élève de son établissement scolaire peut constituer un facteur supplémentaire de décrochage. Il ne s’agit nullement de remettre en cause cette sanction, qui s’inscrit dans une échelle graduée et constitue la réponse appropriée à certaines situations. Toutefois, l’élève exclu doit être pris en charge, d’une part pour que la sanction soit comprise, et d’autre part afin qu’elle ne participe pas à sa rupture avec sa scolarité.

Certaines collectivités territoriales, en lien avec les établissements scolaires et les associations locales, ont mis en place un programme de prise en charge de l’élève, lors de sa période d’exclusion temporaire. La réussite de ces partenariats repose sur une triple condition : une prise en charge rapide du jeune, des partenaires efficaces et la collaboration des parents. Le principe de ces dispositifs doit être généralisé pour permettre un accompagnement systématique du jeune exclu temporairement.

Je tiens à rappeler l’existence de la mesure de responsabilisation, au sein de l’Éducation nationale, qui peut, dans certains cas, représenter une alternative intéressante à l’exclusion. L’élève doit participer, en dehors des heures d’enseignement, à des activités ou à l’exécution de tâches à des fins éducatives. Par exemple, l’élève accompagne pendant plusieurs heures les agents de service dans leur travail d’entretien et de réparation – dans le cas d’une dégradation de biens -, ou encore est accueilli par le SDIS (service départemental d’incendie et de secours) s’il a déclenché sans raison un signal d’alarme. Il s’agit bien d’une sanction de l’éducation nationale, distincte de tout contexte judiciaire et notamment des travaux d’intérêt général. Elle peut permettre de faire comprendre à l’élève les conséquences de ses actes.

Deuxième défi pour l’éducation nationale : faire face à la problématique des poly-exclus. En cas d’exclusion définitive, la continuité pédagogique doit être assurée. La réaffectation de l’élève doit être la plus rapide possible, tout en s’assurant d’une perspective de nouveau départ pour l’élève : accessibilité de l’établissement, mais aussi absence de jeunes issus de bandes rivales, notamment en Île-de-France.

Il existe des dispositifs relais au sein de l’éducation nationale, qui se déclinent sous trois formes : les classes relais, les ateliers relais et les internats tremplins. Nous avons entendu des propos mitigés sur ces dispositifs, notamment les classes et les ateliers relais qui accueillent des décrocheurs scolaires. Ceux-ci ont en effet été qualifiés de « parenthèse enchantée » pour le jeune décrocheur : des classes à très petits effectifs, une pédagogie bienveillante, des enseignants spécialisés. Mais l’accueil de quelques semaines dans ces structures est insuffisant et même illusoire pour permettre de combler les lacunes d’un élève en grande difficulté scolaire. Son retour en classe « classique » est alors brutal. D’ailleurs, il n’est pas rare qu’un même élève fasse plusieurs séjours dans un dispositif relais au cours de l’année scolaire – preuve de son manque d’efficacité pour raccrocher le jeune à une scolarité classique.

Mais pour les élèves hautement perturbateurs ou poly-exclus, les internats tremplins – le troisième type de dispositifs relais – peuvent constituer une piste intéressante : l’accueil y est souvent plus long qu’en dispositif relais classique. Par ailleurs, ils permettent d’éloigner le jeune de son environnement habituel de scolarisation et de vie. Enfin, l’internat tremplin bénéficie d’un encadrement renforcé grâce à la présence d’un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Celui-ci permet d’avoir une approche différente de celle de l’éducation nationale.

La circulaire de 2019 relative au plan de lutte contre les violences scolaires fixait l’objectif de disposer d’au moins un internat tremplin par académie à l’horizon 2022. Cet objectif n’est pas atteint. Au contraire, leur nombre a été réduit de neuf à huit.

Nous proposons donc de prévoir, dans chaque académie, au moins un internat tremplin ou des places dédiées dans des internats classiques, pour une prise en charge des élèves poly-exclus. Cela implique également une augmentation du nombre d’éducateurs de la PJJ intervenant sur ces dispositifs. Je rappelle d’ailleurs que la circulaire de 2019 sur la prévention et la prise en charge de la violence scolaire fait de la PJJ un partenaire de premier plan de l’éducation nationale. Sur le terrain, l’effectivité de ces partenariats varie fortement. De manière générale, ils semblent perfectibles pour de nombreuses personnes auditionnées.

Nous recommandons donc d’instaurer une prise en charge systématique de tout élève exclu temporairement de son établissement scolaire, dans le cadre d’un partenariat associant l’établissement, les collectivités territoriales et les associations du territoire.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. – Le temps du placement judiciaire doit être un temps d’apprentissage. Les témoignages convergent sur le fait qu’une proportion très importante de jeunes suivis par la PJJ sont déscolarisés ou en échec scolaire. Les acteurs de terrain ont exprimé la nécessité de profiter d’un passage en centre éducatif fermé (CEF) ou en détention « pour remettre le pied à l’étrier » par la formation et l’insertion professionnelles.

L’État a, envers le mineur détenu, les mêmes devoirs qu’envers les autres élèves : il est tenu de lui proposer jusqu’à ses dix-huit ans une formation.

En milieu carcéral pour mineurs, les apprentissages se font par groupe de quatre à sept mineurs. Ils sont pris en charge, selon les activités, par un enseignant de l’éducation nationale ou un éducateur de la PJJ. Ces groupes devraient en théorie prendre en compte le profil des élèves, leur parcours scolaire, la durée prévisible de détention. Dans les faits, c’est surtout la capacité des jeunes d’un même groupe à vivre ensemble qui prime.

Nous avons rencontré, notamment en prison, des équipes d’enseignants et d’éducateurs extrêmement mobilisées, dont le travail doit être salué. Certaines portent des projets particulièrement innovants, qui se heurtent parfois à des logiques institutionnelles en décalage avec les besoins.

Un certain nombre de freins aux apprentissages doivent être levés. Les textes fixent un objectif de 12 heures de cours pour les jeunes en quartier pour mineurs et 20 heures pour les jeunes en établissement pour mineurs : or rien ne justifie une telle différence. Surtout, l’organisation des enseignements reste trop souvent calée sur le calendrier de l’éducation nationale, avec une suspension des cours pendant les vacances scolaires. À la maison d’arrêt de Nanterre, la durée médiane de détention est d’environ cinq mois : si la détention du jeune inclut la période estivale, c’est 40 % de son temps d’enseignement potentiel qui se retrouve amputé. Une adaptation du service public de l’enseignement scolaire doit être trouvée pour tenir compte de la situation de ces élèves.

En outre, tout personnel de l’Éducation nationale intervenant en détention doit a minima suivre une formation d’adaptation à l’emploi, avant sa prise de fonction. Celle-ci comporte une découverte et une acculturation au milieu pénitentiaire. Il ne peut être fait l’économie de cette formation obligatoire pour tout enseignant, y compris vacataire, tant l’organisation des enseignements et le profil des élèves sont spécifiques en milieu carcéral.

Enfin, la sortie de détention est un moment sensible : une sortie sèche peut faciliter la récidive. Il n’est pas rare que le domicile du jeune soit éloigné de son lieu de placement. Les actions de préparation de sortie et de réinsertion, en lien avec les acteurs du territoire se trouvent ainsi mises à mal ; de même, pour le passage des examens ou diplômes. Dès lors, il est regrettable que cette dimension soit parfois oubliée. Si la période d’emprisonnement doit être la plus courte possible, l’intérêt du mineur peut nécessiter d’aménager sa sortie de détention pour lui permettre de passer les épreuves d’un examen ou de préparer au mieux sa sortie.

La prise en charge des mineurs délinquants incombe à titre principal à la PJJ. Les presque 30 000 mesures éducatives décidées en matière pénale par les juges et mises en œuvre chaque année par la PJJ sont le cœur de son activité et la première forme de prise en charge de la délinquance. S’il est trop tôt pour évaluer l’impact de l’importante rationalisation des mesures à laquelle a procédé le code de la justice pénale des mineurs, nous avons pu constater la permanence des difficultés anciennes et peut-être structurelles qui entravent l’action de la PJJ.

La première difficulté réside dans le manque d’éducateurs spécialisés et parfois de moyens dédiés que connaissent certains territoires, comme l’Île-de-France – particulièrement la Seine-Saint-Denis – et les outre-mer. Ils conduisent à des délais de mise en œuvre des mesures, parfois de plusieurs mois, surtout quand il s’agit de stages, qui peuvent donner le sentiment d’une réponse pénale insuffisante et conduire à une dégradation de la situation des mineurs.

Comme l’ont noté déjà les rapports du Sénat, la focalisation sur les CEF est excessive. Comme pour les adultes, ce n’est pas en multipliant les places de prison que l’on résout la question de la délinquance. Ces centres peuvent incontestablement être efficaces pour permettre une prise en charge renforcée hors cadre pénitentiaire, mais ils nécessitent une conjonction de facteurs de réussite – équipe, équipement, articulation avec le milieu ouvert – qui s’avère difficile à réunir.

Une attention plus grande doit être portée aux autres solutions proposées par la PJJ, plus limitées, mais parfois plus efficaces et territorialisées. La mise en place d’une méthodologie d’évaluation des résultats nous semble indispensable. Il ne s’agit pas du tout de standardiser des procédures, car nous savons que la difficulté de prise en charge de jeunes au parcours déjà complexe impose de faire de la « dentelle » pour connaître véritablement l’impact sur la récidive et l’insertion. Cette évaluation, dont les critères devront être définis avec les acteurs concernés, pourrait conduire à la réorientation des moyens prévus pour la création de nouveaux CEF vers les nombreux dispositifs existants plus pertinents.

Enfin, malgré la qualité de son action, la PJJ souffre encore parfois de l’absence de prise en compte des solutions qu’elle propose par les magistrats et l’Éducation nationale – nous avons pu le constater lors de notre déplacement à Avignon. Il convient donc d’améliorer l’information et de mettre en place des labellisations communes PJJ–Éducation nationale pour faciliter et pérenniser le travail de la PJJ. Il faut une approche interdisciplinaire globale pour mettre tout le monde autour de la table. Nous retrouvons là le cœur de nos constats, il vaut mieux coordonner les acteurs au niveau territorial et mieux évaluer les dispositifs mis en place pour mieux prendre en charge les mineurs délinquants.

D’où six recommandations : mettre en place un programme d’évaluation des différentes mesures éducatives dont les CEF ; réorienter les moyens destinés à la création de nouveaux CEF vers le financement de la mise en œuvre des mesures existantes ; attribuer une labellisation par l’Éducation nationale pour une durée minimale de deux ans à toutes les structures éducatives mises en place par la PJJ dans le cadre d’un dialogue avec le rectorat ; renforcer les partenariats entre la PJJ et l’Éducation nationale ; aligner le nombre d’heures d’enseignement des détenus en quartier pour mineurs sur celui des établissements pour mineurs et assurer une continuité des enseignements y compris pendant les vacances scolaires ; mieux prendre en compte les conséquences de la libération du mineur délinquant sur son insertion, du fait de la rupture des activités d’insertion.

M. Lucien Stanzione. – Je tiens à féliciter les rapporteurs pour cet excellent travail. Notre groupe est très favorable à la labellisation par l’Éducation nationale pour une durée de deux ans au moins, dans un souci de pérennisation.

Les partenariats entre la PJJ et l’Éducation nationale doivent également être renforcés. Dans le Vaucluse, un projet d’école numérique des apprentissages a vu le jour à l’initiative de la PJJ. Les rapporteurs ont d’ailleurs rencontré les acteurs concernés sur place. Mais quelques semaines après votre visite, la directrice académique a décidé de retirer deux postes budgétaires affectés à ce projet, qui ne peut désormais plus fonctionner… On le voit, la coopération sur le terrain est compliquée et il n’y a aucune concertation.

Le nombre d’heures d’enseignement en établissement pénitentiaire doit être aligné sur celui des établissements scolaires. Une meilleure collaboration entre les deux ministères est indispensable, y compris sur le volet de la réinsertion du jeune.

La solution de l’enfermement ne peut être l’unique solution. Le jeune a besoin d’un projet d’insertion construit par et pour lui et évalué en continu. Ce projet doit être établi sur la base d’une autoévaluation comme cela se fait à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et dans les établissements de la Sauvegarde de l’enfance.

Les mesures éducatives doivent être évaluées et nous devons privilégier le renforcement financier des structures existantes.

Le groupe socialiste et républicain soutient les propositions formulées par les rapporteurs.

Mme Brigitte Lherbier. – Merci pour cette excellente étude.

L’amélioration de l’articulation entre l’Éducation nationale et la PJJ est nécessaire.

N’oublions pas les enfants de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui sont victimes de leur situation : leur suivi scolaire doit être renforcé. Or, ils sont souvent déplacés d’école en école, de famille en famille. L’Éducation nationale ne devrait-elle pas porter un regard particulier sur ces enfants ? Certes, dans certains départements, des chartes existent, mais cela n’est ni systématique et ni très contraignant pour les acteurs.

Mme Nathalie Delattre. – Je salue l’excellent travail de nos quatre rapporteurs sur un sujet majeur. Je tiens également à rappeler l’immense travail réalisé à la commission des lois par notre ancienne collègue Josiane Coste, membre du groupe RDSE.

Certes, nous avons besoin d’un suivi qualitatif, mais aussi statistique. Alors que les syndicats remettent en cause l’efficacité des CEF, dénonçant un taux de récidive de 70 %, nous avons besoin de statistiques fiables pour mesurer la pertinence de ces outils.

J’attire votre attention sur le recrutement dans les CEF. Les jeunes ont besoin d’y être encadrés, or on constate une crise des vocations et un fort turnover. Ces personnels doivent devenir des référents pour les jeunes.

Dans le cadre de la mission de contrôle de la commission des lois sur les mesures liées à l’épidémie de Covid-19, nous avions fait des recommandations sur l’école en prison. À Fresnes et Draguignan, les cours ont été suspendus pendant la crise. Bien souvent, les équipes sont très motivées, mais parfois les professeurs ne sont pas là. Comment motiver ces personnels afin qu’ils assurent une continuité pédagogique ? Les jeunes en prison à Draguignan ne sont pas plus de quinze, il suffirait que l’Éducation nationale acquière quinze ordinateurs…

Enfin, n’oublions pas que l’enseignement agricole fait partie intégrante de l’Éducation nationale et sait travailler avec les publics en difficulté. La PJJ et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) devraient travailler plus étroitement avec l’enseignement agricole qui a un véritable savoir-faire et permet d’éloigner certains jeunes de leur milieu d’origine lorsque cela est préférable.

Le groupe RDSE s’associe aux recommandations de ce rapport.

Mme Marie Mercier. – Je vous félicite pour ce travail et la qualité des auditions.

Nous avons entendu le recteur de l’académie de Créteil qui nous a parlé des « cassés du collège » et rappelé qu’avant le décrochage, il fallait réfléchir d’abord à l’accrochage de ces enfants.

Nous avons également entendu Alain Bauer, qui fut percutant. Certes, il y a différents âges de minorité et de responsabilité, mais n’oublions pas que, bien souvent, ces enfants n’ont aucune référence parentale. Ils sont en situation d’exclusion sociale et familiale. Nous ne ferons pas l’économie d’un travail de fond sur l’aide à la parentalité, sans tomber dans l’angélisme.

Mme Dominique Vérien. – Je partage ce que viennent de dire Marie Mercier, sur la nécessité d’un accompagnement dès le plus jeune âge, et Brigitte Lherbier, sur l’association à ce travail des conseils départementaux, car la protection de l’enfance et de la jeunesse compte parmi leurs compétences.

Un mot en particulier sur l’un des volets de ce travail, celui des violences sexuelles : des mineurs sont victimes de telles violences, d’autres sont auteurs, certains sont à la fois auteurs et victimes. Si l’on veut éviter ce type de spirale, des thérapeutes doivent pouvoir prendre en charge les mineurs.

Dans mon département, qui est particulièrement touché par ce fléau, la PJJ a réussi à obtenir un thérapeute, mais chaque année il faut revenir à la charge : les financements ne sont pas pérennes. Or un suivi au long cours est important. Une politique publique de long terme serait donc absolument nécessaire en la matière : arrêtons avec ces financements sur un an, sans visibilité.

Mme Catherine Di Folco. – Je remercie nos collègues rapporteurs pour leur travail très intéressant et leurs propositions pragmatiques.

Je me contenterai d’une remarque : il me plaît vraiment de vous entendre appeler un chat un chat. Je m’explique : vous parlez de « mineurs délinquants », et non, comme j’ai pu l’entendre dans la bouche du Défenseur des droits de l’enfant, de « jeunes en conflit avec la loi ». Cette dernière expression dévoie les faits : un mineur, comme un adulte, d’ailleurs, ne saurait être en « conflit » ou en désaccord avec la loi car la loi ne lui a rien fait ; il doit tout simplement l’appliquer. À détourner les mots, on minore les faits et les responsabilités.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. – Brigitte Lherbier a raison : 55 % des mineurs délinquants seraient suivis par la protection de l’enfance, d’après les chiffres que nous a communiqué l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

Je retiens en particulier de vos réflexions, mes chers collègues, l’importance du département. Cette importance ne nous avait pas échappé – nos auditions comme nos visites de terrain l’avaient fait apparaître –, mais nous aurions pu développer davantage cette question. Si le spectre de notre mission était large, en effet, nous avons choisi d’aborder le sujet au travers d’un prisme bien précis, celui de l’articulation entre délinquance des mineurs et décrochage scolaire. C’est ce qui explique, par exemple, que certains éléments relatifs à l’ASE ou à la structuration départementale des politiques publiques ne figurent pas dans le rapport.

M. Bernard Fialaire, rapporteur. – L’urgence absolue est de décloisonner – nous aurions d’ailleurs très bien pu associer la commission des affaires sociales à nos travaux : l’enfant ne passe qu’une partie de son temps dans les mains de l’Éducation nationale. Il faut donc une véritable coopération entre cette dernière et les éducateurs et les associations sportives, qui relèvent plutôt des communes, les familles, les départements, la protection maternelle et infantile (PMI). Le décrochage scolaire peut commencer dès la maternelle !

Il est impératif de revoir l’articulation entre l’Éducation nationale et l’ensemble de ses « partenaires », comme l’avait d’ailleurs dit le Président de la République au moment de la campagne présidentielle. Faute d’une véritable coordination, empiler des dispositifs pleins de bonnes intentions se révélera inutile.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. – Dans le rapport du groupe de travail thématique « Justice de protection » des États généraux de la justice, on retrouve aussi cette demande d’un écosystème à la fois transversal et territorialisé.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. – C’est le principe même des « cités éducatives » que vous mentionnez dans le rapport.

Mme Brigitte Lherbier. – Une toute petite remarque : je suis très déçue qu’il n’y ait plus de ministre de la protection de l’enfance...

M. Hussein Bourgi. – Je voudrais verser un témoignage à ce dossier déjà excellemment traité par nos rapporteurs, celui d’un sénateur qui est aussi élu régional et siège à ce titre au conseil d’administration de lycées de l’Hérault. Au lendemain du tragique assassinat de Samuel Paty, le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer, avait théorisé ce qu’il appelait le « carré régalien », invitant la communauté éducative à ouvrir ses portes aux autres acteurs institutionnels.

J’ai pu constater avec quel volontarisme les chefs d’établissement ont sollicité la gendarmerie, la police nationale, la PJJ. En amont de la délinquance et de la commission de l’infraction, tout un travail d’éducation et de prévention peut et doit en effet être accompli.

Or, très vite, les principaux des collèges et les proviseurs des lycées se sont heurtés à l’absence de moyens humains mobilisables, aussi bien dans la gendarmerie que dans la police – je ne parle même pas de la PJJ... –, pour sensibiliser, former, informer.

Un représentant des forces de l’ordre a fini par me faire une réponse très « cash » : la priorité de la police n’est pas d’organiser des matchs de football avec des jeunes, m’a-t-il dit, mais de faire en sorte qu’il y ait du « bleu » dans la rue, comme le disait un ancien ministre de l’intérieur... Le jour où mon ministre me dira d’aller dans les collèges et dans les lycées, a-t-il ajouté, je prendrai un peu de bleu dans la rue pour le mettre dans les classes ! En attendant que ce jour arrive, voilà la réalité à laquelle sont confrontés tant les policiers et les gendarmes que les chefs d’établissement dans notre pays...

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. – Je précise à toutes fins utiles que Mme Charlotte Caubel est secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargée de l’enfance.

Mme Brigitte Lherbier. – Certes, mais nous la voyons moins que M. Taquet, son prédécesseur...

M. Jean-Pierre Sueur. – Il serait bon que nous l’auditionnions...

Les recommandations sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent à l’unanimité le rapport d’information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 12 h 20.