Mardi 12 juillet 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Proposition de nomination de M. Bruno Lasserre par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010 838 du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation, en application de l'article 19 bis du Règlement, d'un rapporteur

La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Bruno Lasserre aux fonctions de président de la Commission d'accès aux documents administratifs, en application de l'article 13 de la Constitution.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous auditionnerons M. Lasserre, dont je rappelle qu'il a été vice-président du Conseil d'État, le mercredi 20 juillet prochain..

Proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne - Désignation des candidats à l'éventuelle commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, M. André Reichardt, Mme Nadine Bellurot, Mme Nathalie Goulet, M. Jérôme Durain, M. Didier Marie et M. Ludovic Haye, comme membres titulaires, et de Mme Muriel Jourda, M. Christophe-André Frassa, Mme Marie Mercier, M. Hervé Marseille, Mme Laurence Harribey, M. Jean-Yves Roux et Mme Éliane Assassi comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne

Proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne - Examen des amendements au texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous allons maintenant examiner quatre amendements du Gouvernement sur la proposition de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne.

Je laisse la parole à notre rapporteur, M. André Reichardt, qui est présent avec nous en visioconférence.

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

M. André Reichardt, rapporteur. -L'amendement n° 1 marque l'accord du Gouvernement avec le souhait de la commission de prévoir que la personnalité qualifiée de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est compétente pour examiner les injonctions de retrait émises par l'autorité nationale, à savoir la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos), lorsqu'elles s'adressent à un fournisseur installé en France.

Cependant, le Gouvernement pense que cette précision devrait être inscrite à l'article 6-1-1 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique, plutôt qu'à son article 6-1-4, comme l'a prévu la commission. Nous pourrions être d'accord avec cette réorganisation, mais cet amendement forme un ensemble avec l'amendement n° 3, lequel ne paraît pas acceptable dans la mesure où il supprime l'appel devant le Conseil d'État introduit par la commission.

Je vous propose donc, mes chers collègues, d'émettre un avis défavorable. Nous pourrons rediscuter du tout, et surtout de l'amendement n° 3, en commission mixte paritaire (CMP).

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1.

M. André Reichardt, rapporteur. - Le Gouvernement relève, à juste titre, que le dispositif proposé instaure une double mise en demeure de l'Arcom à l'égard du fournisseur de services d'hébergement « exposé » au sens de l'article 5 du règlement européen, ce qui ne lui semble pas optimal.

Le dispositif proposé prévoit en effet que l'Arcom mette ce fournisseur en demeure avant de pouvoir éventuellement sanctionner le non-respect d'une injonction de prendre des mesures spécifiques. Le Gouvernement propose de mettre fin à cette double mise en demeure. Je souscris à cette proposition. Avis favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.

M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 3 n'est pas dénué d'intérêt. Si nous allons en CMP, nous pourrons reprendre une partie de ses dispositions.

Cela dit, il supprime l'appel devant le Conseil d'État, qu'il remplace par un recours classique devant la cour administrative d'appel, avec un délai contraint d'un mois. Les injonctions de retrait de contenus sur internet pouvant porter atteinte à la liberté de communication - je rappelle que le règlement européen prévoit qu'elles soient appliquées dans l'heure -, elles justifient, à mon sens, la dérogation proposée à la règle habituelle de compétence en matière d'appel.

Le Gouvernement fait valoir que le fournisseur de services d'hébergement a toujours la possibilité de former un référé-liberté et de saisir le Conseil d'État en appel dans ce cadre. Je vous propose de ne pas suivre le Gouvernement sur ce point, dans l'attente de la CMP. Avis défavorable.

M. François-Noël Buffet, président. - La procédure d'appel devant le Conseil d'État dans un délai extrêmement court plutôt qu'une procédure classique devant la cour administrative d'appel permet de purger plus rapidement le litige puisque la décision rendue est alors définitive.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 3.

M. André Reichardt, rapporteur. - L'amendement n° 4 rend applicables les dispositions du règlement européen en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis et Futuna.

Cette disposition complète la disposition pour les outre-mer que nous avons introduite la semaine dernière. J'y suis bien évidemment favorable.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

M. François-Noël Buffet, président. - Je précise que l'examen du texte en séance débutera aux alentours de 17 h 30.

La commission a donné les avis suivants aux amendements de séance :

Auteur

Avis de la commission

Article unique

Le Gouvernement

1

Défavorable

Le Gouvernement

2

Favorable

Le Gouvernement

3

Défavorable

Le Gouvernement

4

Favorable

La réunion est close à 14 h 10.

Mercredi 13 juillet 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19 - Audition de M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention

M. François-Noël Buffet, président. - Nous auditionnons ce matin M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention, sur le projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la covid-19. Adopté par l'Assemblée nationale la nuit dernière, il a été amputé de son article relatif à la possibilité de rétablir un passe sanitaire pour les déplacements entre la France et l'étranger ou pour ceux vers la Corse ou les outre-mer : vous nous donnerez les conclusions qu'en tire Gouvernement en vue de la discussion à venir, monsieur le ministre.

M. François Braun, ministre de la santé et de la prévention. - Avant d'en venir au sujet qui nous occupe, je vous fais part de l'honneur qui est le mien de vous présenter le premier projet de loi que le Gouvernement soumet au Parlement.

Je me réjouis de travailler avec vous dans le respect des convictions de chacun et du bicamérisme, qui est la considération des deux chambres. Il y a l'Assemblée nationale bien sûr, qui semble expérimenter des accords politiques qui peuvent interpeller, mais aussi le Sénat, que je ne connais pas mais dont je sais qu'il est une chambre soucieuse des territoires et de la qualité du droit, sachant prendre ses responsabilités. La Première ministre a rappelé la nécessité de bâtir des compromis sans se renier : c'est dans cet esprit que je me présente à vous, d'autant que le Sénat a toujours recherché les équilibres sur les textes relatifs à la crise sanitaire. Je salue en particulier Philippe Bas, pour ses précieux apports, et rends hommage aux sénatrices et aux sénateurs, mobilisés de nombreuses heures en commission et dans l'hémicycle, tout comme aux membres du Gouvernement avec qui vous avez travaillé.

La crise sanitaire a accaparé une part significative des ressources de la Nation. Je rends aussi hommage aux soignants et aux travailleurs de deuxième et de troisième lignes, aux agents du ministère et des associations. J'ai une pensée particulière pour les personnes décédées de la maladie et pour leurs proches.

Le projet de loi acte l'extinction au 31 juillet prochain du régime juridique de l'état d'urgence sanitaire et du régime de sortie de crise sanitaire tout en maintenant certains outils de gestion, qui demeurent indispensables, car l'épidémie est toujours là. Comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, je dois cinq engagements aux Français et à leurs représentants : transparence, protection de la population, proportionnalité des mesures, préservation du système de santé et maintien de la prise en charge des soins hors covid.

Je vais tout d'abord vous présenter la situation épidémique : nous connaissons actuellement une septième vague, due aux variants omicron, BA.4 et BA.5. Nos voisins la subissent aussi, selon une temporalité légèrement différente. Au 12 juillet, le taux d'incidence atteint 1 344 pour 100 000 habitants, soit une hausse de 19 % sur les sept derniers jours. Sur cette même période, 130 000 cas par jour sont recensés en France, l'Ouest et le Sud étant particulièrement touchés. Concernant les outre-mer, pour lesquels j'ai et aurai toujours une attention particulière, la Guadeloupe et, dans une moindre mesure, la Guyane et La Réunion font face à une résurgence, plus lente qu'en métropole. La Martinique l'a subie aussi, mais la situation s'y améliore grâce à l'engagement de la population et des soignants. Enfin, à Mayotte, le taux d'incidence est faible et la situation maîtrisée.

Pour que nos hôpitaux puissent faire face, j'ai signé en fin de semaine dernière une instruction à destination des agences régionales de santé (ARS) pour préciser les modalités de mise en oeuvre des mesures d'urgence de la mission que j'avais réalisée sur la demande de ma prédécesseure, Brigitte Bourguignon. Donner des leviers aux territoires et engager ensemble soignés, soignants et élus, telle est la méthode en laquelle je crois.

Je résume notre stratégie en cinq mots : prévenir, vacciner, tester, isoler, traiter.

Prévenir, tout d'abord : les gestes barrières doivent redevenir des réflexes, particulièrement le port du masque dans les lieux bondés et dans les transports. J'en appelle à la responsabilité citoyenne que je privilégie, face à des rebonds successifs, à l'obligation que certains réclament.

Vacciner : le médecin que je suis s'insurgera toujours de la désinformation dans ce domaine. Oui, le vaccin réduit significativement le risque de développer une forme grave de covid-19. Conformément aux recommandations des autorités scientifiques, nous avons ouvert le deuxième rappel vaccinal aux plus vulnérables, notamment les personnes âgées de plus de 60 ans ou immunodéprimées - 3,7 millions de nos concitoyens l'auraient reçu. C'est bien plus qu'il y a quelques jours, mais nous devons encore accélérer.

Tester et isoler : quand nous sommes cas contacts ou symptomatiques, nous devons prendre nos responsabilités et, en cas de test positif, nous isoler jusqu'au rétablissement. Ainsi, 3,4 millions de tests ont lieu chaque semaine : les Français se testent massivement et ils ont raison.

Traiter enfin : des traitements curatifs comme le Paxlovid ou par anticorps monoclonaux existent, il faut que les Français les connaissent et puissent en parler à leurs médecins et à leurs pharmaciens.

L'épidémie est toujours là, et c'est pourquoi nous avons besoin d'outils de surveillance, notamment épidémiologique. Ainsi, le présent projet de loi, profondément modifié par l'Assemblée nationale, comprend dans son article 1er le maintien, jusqu'au 1er janvier 2023, des systèmes d'information SI-DEP et Contact-Covid. Ce sont nos thermomètres de l'épidémie, essentiels pour protéger les Français.

SI-DEP permet d'enregistrer les tests covid, de prendre en charge les personnes positives et de générer les certificats pour permettre aux citoyens de se déplacer dans les pays faisant l'objet de restrictions sanitaires. Contact-Covid aide à identifier et à informer les cas contacts.

Je sais que votre commission des lois, qui a joué un rôle important dans la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en 1978, y est attentive. Toute personne ayant accès à ces systèmes d'information est soumise au secret médical et ces dispositifs sont contrôlés par la CNIL et par le comité de liaison parlementaire prévu par la loi du 11 mai 2020. Sur SI-DEP, les tests négatifs sont supprimés au bout de trois mois, et six mois pour les tests positifs.

Les députés ont voté hier, contre l'avis du Gouvernement, la suppression de l'article 2, qui tendait à maintenir jusqu'au 31 janvier 2023 la possibilité de demander des justificatifs pour les déplacements depuis ou vers l'Hexagone, la Corse et les outre-mer. Cela permettait de nous protéger d'éventuels variants inquiétants et, après consultation des exécutifs locaux de Corse et des outre-mer, de protéger les systèmes hospitaliers de ces territoires qui sont facilement saturés. Je suis prêt à échanger avec vous et en appelle à la responsabilité collective : nos territoires ont besoin de cet outil.

La possibilité de demander un passe vaccinal tombera le 31 juillet : ce texte est clair, et il n'y a pas de place à la désinformation sur les bancs des deux chambres.

Le parcours parlementaire du texte n'est pas terminé, le Gouvernement s'engagera pleinement au Sénat pour rétablir ces dispositions.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir accepté cette audition malgré une nuit longue, et salue vos propos courtois à notre égard.

De façon très pratique, dans le métro, de plus en plus de voyageurs ne portent pas le masque, sans doute à cause de la chaleur. Les autorités sanitaires mesurent-elles la situation, dans le métro mais aussi dans le bus, et vérifient-elles que les recommandations sanitaires sont suffisamment respectées ? Faute de quoi, si le risque de contamination devient trop élevé, le Gouvernement proposera-t-il un amendement pour que le Parlement lui donne le pouvoir, sur une durée limitée, d'imposer le port du masque dans les transports, lieux de propagation de l'épidémie ?

J'entends votre appel à la confiance, que nous partageons pour le défendre depuis longtemps, mais le seul esprit de responsabilité a ses limites.

J'ai une autre question, plus circonstancielle : si l'Assemblée nationale a voté et a pris ses responsabilités, le Sénat prendra les siennes, sans accepter aucune pression que ce soit. Cependant, alors qu'il sera difficile de faire changer d'avis l'Assemblée nationale, que se passera-t-il si vous ne disposez pas des outils prévus à l'article 2 à l'apparition d'un variant dangereux à l'étranger ? En droit, sans cet article, est-il possible d'empêcher l'arrivée de certains vols ou, à défaut, de placer les voyageurs concernés en quarantaine ?

Le tout ou rien est excessif. Quels sont les moyens alternatifs hors de la législation d'urgence - je rappelle que le Parlement a voté la loi du 23 mars 2020 en trois jours ? Voyez-vous une rédaction alternative de l'article 2 qui pourrait faire l'objet d'un accord entre le Parlement et le Gouvernement ? C'est cela, être constructif, et non vouloir forcer le passage en se drapant dans une posture de dramatisation et annonçant que l'heure est grave. Je crois que nous avons connu des heures beaucoup plus graves que celle-ci...

M. François Braun, ministre. - À titre personnel, je constate depuis une semaine que, sur les trains de grande ligne et dans les gares, de plus en plus de concitoyens portent le masque.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je parlais du métro !

M. François Braun, ministre. - Non, nous n'avons pas de dispositif de surveillance spécifique quant au port du masque, même si j'en retiens la possibilité. Toutefois, le suivi épidémiologique nous permet de détecter toute nouvelle envolée des contaminations, avec ce délai toujours trop court avant la saturation de nos hôpitaux.

En l'état et jusqu'au 31 juillet, l'état de sortie de l'urgence sanitaire est maintenu. Nous sommes proches du pic, l'augmentation diminue légèrement et les signaux sont moins négatifs. La surveillance épidémiologique, mise en avant par l'article 1er, est le thermomètre qui nous permet de suivre ce qu'il se passe.

Sur la suppression de l'article 2, je n'entends pas mettre de pression, mais convaincre par des arguments médicaux. Cette disposition avait pour objet de nous donner une capacité de réaction rapide face à un variant dangereux. L'expérience de la pandémie nous enseigne l'humilité quant à nos capacités et à la diffusion du virus : fermer les frontières n'arrête pas totalement la circulation du virus. Toutefois, face à une résurgence possible, nous manquerons toujours de temps, comme nous l'avons constaté durant la première vague. Souvenez-vous, le cluster parti de Mulhouse a très rapidement atteint Metz, nous n'avons pas eu le temps de nous préparer et le choc a été brutal. En revanche, le reste de la France a eu le temps de réagir et en a moins souffert.

L'article 2 nous offre les moyens de gagner le temps nécessaire pour anticiper. Les chambres peuvent se réunir très vite, mais une journée, c'est 130 000 cas aujourd'hui et ce pourrait être bien plus en cas de résurgence, avec une mise en danger de la vie de nos concitoyens.

En termes juridiques, la Première ministre conserve ses pouvoirs propres de police générale, qui lui permettraient d'imposer le port du masque dès le mois d'août. Toutefois, nous y préférons le principe de responsabilité. Il y aura d'autres vagues, mais nous n'entendons pas légiférer à chaque fois, car les chambres ont déjà beaucoup de travail. Nous voulons des outils pour vivre avec le virus.

L'article L. 3131-1 du code de la santé publique permet de déclencher des quarantaines, mais le filtrage sera relativement peu efficace, car des personnes seront déjà présentes sur le territoire et nous ferons face à des volumes très importants alors que nous aurons besoin de toutes nos ressources pour réorganiser le système de santé.

Je redis l'importance de gagner du temps. Se priver de l'article 2, en cas d'une résurgence, reviendrait à sauter d'un avion sans parachute avec la promesse d'en obtenir un avant de s'écraser au sol. S'il faut sauter, je préfère le faire déjà équipé d'un parachute...

M. Loïc Hervé. - Comment ne pas partager votre ode à la responsabilité ? Remettons-la au coeur de la gestion de cette énième vague.

Si les systèmes d'information sont maintenus, ils devront un jour disparaître et le plus tôt sera le mieux. C'est là l'expression de notre sensibilité par rapport à la question des données personnelles.

Vous avez évoqué les fausses informations : il faut être transparent sur le bilan des mesures abandonnées dans le texte, du passe sous toutes ses formes à l'application TousAntiCovid, dont la CNIL considère l'impact comme quasi marginal dans son rapport de la semaine dernière. Pourtant, que n'avais-je entendu au Sénat lors du vote de cette mesure !

J'en viens aux soignants non à jour de leur vaccination : là encore, la transparence s'impose. Combien sont suspendus ? On parle de 15 000. Combien sont en arrêt maladie, en disponibilité et en congés, et quelles en sont les conséquences sur notre système de santé ?

Je suis frontalier avec la Suisse, qui a levé ces obligations, comme d'autres États qui nous entourent. Quand le ferez-vous ? Là encore, le plus tôt sera le mieux.

Mme Esther Benbassa. - Quels sont les contours du filtrage des urgences ? Est-ce judicieux en période de recrudescence de la covid ?

Vous invitez aussi à remplacer des passages « inutiles » aux urgences par une visite auprès d'un généraliste, mais encore faut-il en trouver, surtout en cette saison.

Selon le conseil scientifique, seuls les masques de type FFP2 sont vraiment efficaces pour lutter contre les sous-variants. Qu'en est-il de leur disponibilité pour le grand public et les profils à risque ?

Enfin, alors que nous en sommes à la septième vague, à quand une stratégie sanitaire globale sur le long terme ?

Mme Marie Mercier. - Je commence par la conclusion : plus personne n'y comprend rien ! Mes patients me demandent si, après trois doses et avoir eu la covid, ils doivent en prendre une quatrième. J'ai consulté à mon tour l'épidémiologiste de mon hôpital : en est-on à moins de trois mois ou à plus de trois mois après l'injection, l'infection a-t-elle un niveau équivalent de protection ? Nous avons parcouru les documents, des dossiers très épais au format 21x29,7, recherché les informations... J'ai eu l'impression qu'elle était presque aussi perdue que moi.

Nous sommes comptables de ce que nous votons ici, et nous vous avons accompagnés avec le passe vaccinal et le passe sanitaire, mais il faut reconnaître certaines erreurs. Il ne faut pas taire les effets secondaires des vaccins, qui en ont, comme toute molécule active. Nous devons aussi parler davantage du covid long et de sa prévention.

Ensuite, vous dites que les patients doivent informer les médecins généralistes, mais cela devrait être le contraire : les généralistes ne savent plus faire ni traiter ce genre d'infection.

Nous allons aussi nous heurter à l'acceptabilité du traitement si nous ne sommes pas transparents. Notre pays est fracturé, il faut rétablir la confiance envers le Gouvernement, les parlementaires et les médecins pour juguler ensemble cette pandémie. C'est pourquoi je vous demande instamment transparence et clarification.

M. Jean-Yves Leconte. - Pouvez-vous nous faire un point sur le stock de vaccins et sur leur actualisation ? En effet, si la quatrième dose est ouverte aux plus de 60 ans, on pourrait considérer que cette dose serait bénéfique à d'autres personnes moins âgées, ou à celles qui souhaitent voyager dans un pays demandant un rappel de moins de six mois.

Ensuite, l'article 2, même s'il n'a pas été adopté, prévoyait un avis de la Haute Autorité de santé (HAS) avant la prise des décrets, en particulier relatifs aux justificatifs de statut vaccinal, position que j'ai défendue par le passé. Veillerez-vous à ce que le parcours vaccinal prenne en compte les vaccins à l'étranger et un vrai parcours européen, y compris les vaccins non reconnus par l'Agence européenne des médicaments (AEM) mais qui le sont par d'autres pays, pour éviter les divergences de statut vaccinal ?

M. Guy Benarroche. - Je vous remercie pour vos propos sur la responsabilisation et sur la nécessité de vivre avec ce virus et les suivants.

Vous avez mis l'accent sur la transparence. Nous nous sommes souvent plaints de ne pas recevoir rapidement les éléments que vous receviez du conseil scientifique, que vous avez créé alors que la HAS et le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) existaient déjà. Comptez-vous nous les faire parvenir concomitamment au moment où vous les recevez ?

Sur les dispositifs de surveillance de grande ampleur, je rejoins Loïc Hervé. Cela fait un certain temps qu'ils existent et peuvent être consultés par un public finalement assez large. J'insiste donc moi aussi sur leur limitation dans le temps, et sur une consultation du Parlement en cas de prolongation.

Ensuite, sur la protection de la population, vos mesures ne comprennent rien de précis sur les masques et sur la mise à disposition gratuite de masques FPP2. Peu de nouveau sur les vaccins, avec ce flou relevé par Marie Mercier, notamment sur les vaccins différents mis sur le marché.

Enfin, quelle est votre doctrine sur l'obligation vaccinale des soignants et leur éventuelle réintégration ?

M. Alain Richard. - Le Conseil d'État relève que subsiste dans la législation la mise en oeuvre par décret de l'état d'urgence sanitaire, confirmé par une loi au bout d'un mois. Le Conseil d'État se livre d'ailleurs à une critique, que je ne partage pas forcément, selon laquelle le dispositif n'est pas équilibré et ne serait pas nécessairement adapté à de nouvelles crises sanitaires.

Dans les semaines à venir, le Gouvernement entend-il, après avoir mené les consultations utiles, y compris éventuellement de parlementaires, se prononcer sur ce maintien en vigueur ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre, dans une assemblée aux débats exigeants mais courtois.

Je confesse n'avoir pas bien compris votre réponse mentionnant les pouvoirs de police générale de la Première ministre. Rappelons que la première loi d'urgence sanitaire date du 23 mars 2020, mais que le confinement a commencé le 17 mars. Si personne ne pouvait s'y opposer au vu des circonstances, nous voyons bien qu'il y a là une question juridique.

Ensuite, au-delà de mon point de vue et de celui de mon groupe, vous avez tenu des propos ouverts à l'interprétation sur la réintégration des soignants. Pouvez-vous les préciser ?

Enfin, sur la variole du singe, nous avons une certaine lenteur en France dans notre appréhension du sujet. Dès le 20 mai dernier, la HAS préconisait une stratégie vaccinale alors que les premiers centres de vaccination n'ont été ouverts que le 5 juillet, soit un mois et demi après. Comment envisagez-vous la suite et comptez-vous faire face à cette épidémie ?

Mme Éliane Assassi. - Je vous souhaite à mon tour la bienvenue au sein de notre Haute Assemblée pleine de sagesse.

Il me semble qu'il y ait quelques trous dans la raquette. Comment les hôpitaux fonctionneront-ils face à cette nouvelle vague et au surplus de touristes venant, fort heureusement, visiter notre pays ? Les soignants non vaccinés reprendront-ils leur activité ? Maintenez-vous les conclusions de votre mission flash sur les fermetures des urgences ?

Ensuite, où en est-on sur la quatrième dose ?

Enfin, je fais mienne la question de Guy Benarroche sur les mesures de protection et particulièrement sur les masques FFP2.

M. Hussein Bourgi. - Je prolonge la question de Marie-Pierre de La Gontrie sur la variole du singe. Le 8 juillet dernier, la HAS a préconisé la vaccination préventive des personnes à risque, demandée par le Gouvernement aux ARS le 11 juillet. Hélas, mille fois hélas, depuis le 11 juillet, les associations d'usagers peinent à trouver des créneaux de vaccination sur les plateformes dédiées, malgré leur expertise. Il n'y aurait eu que 40 doses de vaccin à l'hôpital Saint-Louis, réservées à des personnes déjà contaminées.

Les ARS semblent dépassées et n'ont pas d'information sur ce sujet : après quinze jours, je reste sans réponse de la part de l'ARS Occitanie alors que j'avais été saisi par les associations de praticiens et d'usagers. L'ARS est chargée de contacter les personnes cas contact pour une vaccination préventive. Or, aucune ne l'aurait été dans mon département de l'Hérault.

Combien de doses de vaccin avons-nous pour la France ? Pourquoi la France a-t-elle refusé de bénéficier des lots de vaccins européens ? Que ferez-vous pour que vos instructions soient appliquées avec diligence par les services déconcentrés ?

Mme Cécile Cukierman. - J'ai toujours défendu le recours au vaccin, mais qu'en est-il de la question, aussi soulevée à l'Assemblée nationale, des soignants sans schéma vaccinal complet ? La question se pose aussi pour les sapeurs-pompiers, fortement mobilisés par des incendies ainsi que par les nombreux épisodes de grêle dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes.

En effet, des sapeurs-pompiers volontaires ont été suspendus, ce qu'ils ne comprennent pas alors que l'obligation du passe sanitaire a pris fin, et que des sapeurs-pompiers vaccinés mais malades continuent d'exercer. Vu l'été annoncé, je crains que nous n'ayons besoin de tous les professionnels et volontaires qui manquent aujourd'hui à l'appel.

M. François Braun, ministre. - Monsieur le rapporteur, concernant l'article 2 du projet de loi, le pouvoir propre de la Première ministre peut être utilisé pour fermer les frontières et interdire les déplacements, non pour exiger un passe sanitaire - voilà qui est paradoxal, c'est un peu la massue qui tue la mouche. Je suis totalement disponible pour bâtir avec vous une nouvelle rédaction de cet article - il nous faut un parachute ventral.

L'article 3, désormais associé à l'article 4, nous permettra de dresser un bilan des mesures et des actions menées au cours de la crise, dans un rapport d'évaluation. Si vous le souhaitez, je viendrai le présenter devant vous, en toute transparence.

Environ 12 000 professionnels de santé - ce ne sont pas que des soignants - ne seraient pas vaccinés. D'après la Fédération hospitalière de France (FHF), sur les 263 infirmières de service public hospitalier, moins de 500 seraient suspendues. Environ 0,4 % des professionnels de santé ne seraient pas vaccinés ; j'en profite pour saluer les 99,6 % de vaccinés qui sont au front. Sur cette question particulière, je vais saisir dans les jours à venir la HAS et le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), car nous souhaitons suivre les avis des scientifiques ; ensuite, nous réunirons les syndicats, pour leur présenter ces avis et avoir une discussion transparente, afin que chacun puisse prendre ses responsabilités.

Le masque chirurgical est un masque anti-projections, tandis que le masque FFP2 est un masque de protection, qui, s'il est bien porté, évite d'aspirer un virus aérosol. Deux masques chirurgicaux face à face offrent un bon niveau de protection, mais il faut recommander le port d'un masque FFP2 aux personnes fragiles, et toujours le port d'un masque chirurgical devant ces mêmes personnes.

Personne ne comprend plus rien aux doses de vaccin. La question est très complexe, ce qui nous impose beaucoup d'humilité. Toutefois, le rapport bénéfice/risque de la vaccination reste élevé. Nous avons saisi hier la HAS pour qu'elle se prononce, au sujet de la quatrième dose, sur l'équivalence entre infection et injection, dans le contexte des nouveaux variants BA.4 et BA.5.

Je vous rejoins totalement sur la nécessité de rétablir la confiance. Nous devons la rétablir non seulement avec les soignés, mais aussi avec les soignants, car ils sont un relais essentiel pour encourager la vaccination et protéger la population.

Voici les chiffres des injections réalisées : 54,6 millions d'injections initiales ; 53,6 millions de secondes injections ; 40,3 millions de premiers rappels et 3,7 millions de seconds rappels. La dynamique est ascendante. Nous disposons d'environ 70 millions de vaccins en stock. Nous sommes donc prêts à réaliser une plus large vaccination. Au niveau européen, nous suivons l'évolution des stocks.

Les outils de surveillance de grande ampleur sont un thermomètre utile, qu'il faut conserver. La CNIL avait émis quelques remarques dans son cinquième avis, indiquant que le Gouvernement avait suivi ses précédentes recommandations. Nous continuerons à le faire. En cas de test négatif, le délai de conservation du document est de trois mois, et de six mois en cas de test positif.

Monsieur Richard, il nous faut effectivement réfléchir à l'avenir des régimes de crise. Nous avons besoin d'un socle solide pour anticiper les futures crises. Je suis attaché au principe, qui nous vient des militaires, de la séparation entre doctrine, stratégie et tactique. La doctrine doit être définie par le Parlement et le Gouvernement ; la stratégie doit être définie par le ministère et les ARS, pour adapter la doctrine en fonction des circonstances ; enfin, la tactique doit être mise en place par les organisations de terrain, à l'image des ponts aériens avec nos outre-mer et des transferts en TGV que nous avons su mettre en oeuvre. Ce principe sera repris dans le rapport d'évaluation.

M. Alain Richard. - Quel est le délai retenu par l'Assemblée nationale ?

M. François Braun, ministre. - Le délai retenu par l'Assemblée nationale est de trois mois.

Concernant la variole du singe, 912 cas sont confirmés, dont 569 en Île-de-France ; environ 700 cas contacts ont été vaccinés.

Les recommandations de la HAS sur la vaccination préventive ont été publiées vendredi dernier ; j'ai immédiatement saisi les ARS. À partir de lundi, les centres de vaccination se sont installés ; 70 centres sont aujourd'hui ouverts.

M. Hussein Bourgi. - Il n'y a pas de créneaux disponibles.

M. François Braun, ministre. - Ces vaccins font partie d'un stock d'État, couvert par le secret-défense, car la variole peut être potentiellement utilisée comme arme chimique. Dans tous les cas, je vous confirme que nous disposons d'un nombre suffisant de vaccins.

J'ai entendu certaines préoccupations locales et je vais revenir vers les ARS très rapidement, dès cet après-midi. Je leur ai donné les moyens de prendre en charge ce problème - je ne parle pas de vaccination préventive.

M. Hussein Bourgi. - Nous constatons des dysfonctionnements partout en France.

M. François Braun, ministre. - Je vérifierai cela dès cet après-midi. Les ARS ont été mobilisées dès vendredi après-midi pour mettre en place cette vaccination.

Concernant la situation des hôpitaux et de notre système de santé, les urgences ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Ma prédécesseur m'avait confié une mission flash, qui a abouti à 41 recommandations, validées par la Première ministre et envoyées aux ARS pour instruction. Certaines mesures sont déjà en oeuvre dans certains territoires ; l'objet de cette mission flash était bien de s'inspirer du terrain, pour donner les mêmes outils à tout le monde.

Il n'est pas question de fermeture de services d'urgence. Nos concitoyens ne trouveront pas portes closes - du moins, cela ne fait pas partie de mes recommandations. En revanche, nous proposons des parcours de santé plus adaptés. Pour un genou douloureux depuis trois semaines, les urgences ne sont probablement pas la meilleure solution. La notion de triage est certes très mal vue, je parlerais plutôt de qualification de la demande. Les Samu Centres 15 réalisent ce travail, grâce aux services d'accès aux soins (SAS). Appeler le 15 permet d'offrir le meilleur parcours de soins aux patients. Les premiers résultats des 22 sites pilotes du SAS montrent leur efficacité en matière de délai de réponse, qui est de moins de 30 secondes, nous rapprochant des meilleurs standards internationaux.

Cette mission flash est une occasion de montrer la manière dont je souhaite travailler, en mettant en valeur les initiatives locales et les dynamiques de territoire, à l'image des maisons de santé pluriprofessionnelles. Pour lutter contre les déserts médicaux, nous voulons fournir un ensemble d'outils aux territoires, en associant les élus, les soignés et les soignants, et en nous adaptant aux organisations et pathologies rencontrées. Voilà le sens d'une concertation avec toutes les parties prenantes, annoncée par le Président de la République et que je commence à conduire dès cet après-midi.

Je rends hommage aux sapeurs-pompiers pour leur engagement afin de gérer cette crise, aux côtés des soignants. Dans mon département, j'ai travaillé main dans la main avec le service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Dans le cadre du secours aux personnes et de la réalisation de soins d'urgence, les sapeurs-pompiers sont soumis aux mêmes obligations que les soignants.

Le pouvoir ordinaire de la Première ministre est défini par la jurisprudence Labonne du Conseil d'Etat, les pouvoirs extraordinaires, en cas de circonstances exceptionnelles, par la jurisprudence Heyriès.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous êtes-vous fixé un calendrier de travail concernant la réintégration des soignants ?

M. François Braun, ministre. - Je vais saisir les autorités scientifiques dès la fin de semaine. Dès que j'aurai les avis en main, je réunirai les représentations syndicales, très rapidement.

M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie, de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat

La réunion, suspendue à 9 h 40, est reprise à 10h00.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Examen du rapport d'information

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Mes chers collègues, nos commissions sont réunies pour examiner les conclusions des auditions que nous avons menées sur les événements survenus au Stade de France le 28 mai 2022. Avant d'entamer cette présentation, je passe la parole, à sa demande, au président Patrick Kanner.

M. Patrick Kanner. - Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se sont fortement mobilisés dans le travail qui a conduit à l'élaboration des préconisations soumises ce jour à notre sagacité. Nous avons eu ainsi de nombreuses interventions constructives, notamment en suggérant d'entendre les associations de supporters anglais et espagnols.

Nous nous sommes émus par courrier de la communication qui a été déployée autour de nos travaux. Nous nous interrogions notamment sur la place laissée aux uns et aux autres dans notre manière d'informer le grand public de nos conclusions. Une conférence de presse s'est tenue avant la conclusion de nos travaux. Quelques fuites ont été constatées, dont le président François-Noël Buffet m'a dit hier, formellement, qu'elles n'avaient pas été organisées.

Je remercie les présidents Laurent Lafon et François-Noël Buffet de nous avoir répondu par leur lettre du 30 juin. Le travail en commun doit à notre sens l'emporter sur les craintes que nous pourrions avoir. Je vous invite, dans cet esprit, à ne pas considérer nos interpellations comme des agressions, mais au contraire comme un élément de coconstruction.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Le 28 mai 2022, les images relayées par les chaînes de télévision et les réseaux sociaux faisaient apparaître des scènes de chaos autour du Stade de France qui accueillait alors la finale de la Ligue des Champions de l'Union européenne des associations de football (UEFA).

Les multiples difficultés rencontrées ce soir-là n'ont pas empêché la tenue du match ni la remise du trophée. Toutefois, elles ont soulevé de graves interrogations sur la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, notamment dans la perspective de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

La gravité des faits justifiait pleinement que le Sénat se saisisse de la situation et organise des auditions dans les meilleurs délais. Je remercie le président Buffet d'avoir accepté que nous menions ce travail en commun afin que les compétences de nos deux commissions s'ajoutent, favorisant ainsi une analyse globale des difficultés rencontrées.

Les zones d'ombre qui sont apparues à l'occasion de l'audition des ministres de l'intérieur et des sports ont justifié l'organisation d'auditions complémentaires qui ont été précieuses. Nous avons aujourd'hui une vision assez claire de ce qu'il s'est passé.

Cet échec a été avant tout le résultat d'un enchaînement d'événements et de dysfonctionnements qui ont donné lieu à un affaiblissement des dispositifs mis en place ainsi qu'à des pertes de contrôle de la situation avant le match, puis à l'issue de celui-ci. Les modalités des prises de décision comme l'organisation hiérarchique administrative n'apparaissent pas clairement à ce stade.

Les travaux menés par les commissions de la culture et des lois ont permis d'établir que les dispositifs mis en place comportaient des défaillances importantes concernant le renseignement. Ainsi, si les hooligans attendus étaient absents, un grand nombre de délinquants étaient présents. De plus, les voies d'acheminement des supporters ont été mal préparées, comme en témoigne notamment la suppression d'un parcours de délestage aux abords du stade. Une communication insuffisante entre les acteurs a également été constatée.

Contrairement à ce qu'affirme le préfet Michel Cadot, délégué interministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques (Dijop) et délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges), dans son rapport, concernant en particulier le dispositif de sécurisation, ce n'est pas seulement « dans l'exécution que les problèmes sont survenus ». En amont, les scénarios de crise ont été insuffisamment travaillés et n'ont pas fait preuve de la souplesse nécessaire face à la multiplication des événements non anticipés. Par ailleurs, il est injuste d'avoir voulu faire porter aux supporters de l'équipe de Liverpool la responsabilité des troubles intervenus, comme l'a fait le ministre de l'intérieur pour détourner l'attention de l'opinion publique de l'incapacité de l'État à gérer adéquatement la foule présente et à juguler l'action de plusieurs centaines de délinquants violents et manifestement coordonnés.

Les événements du Stade de France sont un coup de semonce qui ne devrait pas remettre en cause la capacité de la France à organiser de grands événements sportifs, à condition toutefois que les acteurs concernés, dont le Gouvernement, en tirent les nécessaires leçons. L'importance des événements sportifs internationaux attendus en France en 2023 et 2024 peut permettre de transformer cet échec collectif en opportunité pour réussir les échéances à venir. C'est bien sûr l'état d'esprit dans lequel nous nous trouvons.

À titre liminaire, il importe de rappeler que le déroulement de la compétition au sein même du Stade de France n'a connu aucune difficulté particulière. Malgré les délais réduits accordés pour organiser l'événement et un agenda chargé de manifestations, l'enceinte a été préparée par le consortium du Stade de France pour répondre aux attentes de l'UEFA. La pelouse a été changée en 48 heures pour répondre aux standards internationaux.

Le décalage du coup d'envoi a été décidé pour répondre au problème d'acheminement du public depuis l'extérieur du stade. Il n'y a pas eu d'incident notable de sécurité à l'intérieur de l'enceinte - les incidents ayant eu lieu à l'extérieur de celle-ci. Si un certain nombre de personnes ont pu s'introduire dans le stade sans billet, leur présence n'a pas eu de conséquence sur le déroulement du match et, lorsque cela a été possible, ces personnes ont été évacuées au cours de la rencontre.

Les travaux menés ont permis d'établir que la gestion de la billetterie par l'UEFA a été inadaptée. Certes, l'émission de billets sous format papier ne constituait pas en elle-même une situation exceptionnelle et cette possibilité était conforme à la réglementation. Ceci étant dit, il était connu que le recours à ce type de billet aurait pour conséquence un risque important de fraude et de circulation de faux billets. Or l'UEFA ne semble pas avoir mis en place de dispositif particulier pour identifier l'ampleur de ce problème en amont alors que le nombre de faux billets a été dix fois supérieur aux moyennes observées habituellement. Si la fausse billetterie a manifestement contribué aux dysfonctionnements, elle n'en a été en aucun cas la cause unique, ni même la cause principale.

Par ailleurs, en exigeant l'instauration d'un contrôle de la validité des billets au niveau des points de préfiltrage de sécurité dans le cadre du dispositif antiterroriste, l'UEFA a involontairement participé au blocage des points de contrôle, compte tenu notamment du nombre plus important que d'habitude de personnes dépourvues de billets.

Il faut noter également l'insuffisance du dispositif de traitement des litiges concernant la billetterie, qui a conduit les personnes éconduites à stationner devant les points de filtrage, ainsi que la formation défaillante des stadiers qui ont semblé rapidement dépassés par la situation. Enfin, les modalités de vérification des billets ont également fait débat, l'utilisation de stylos pour marquer les billets et le dispositif de vérification des billets électroniques n'ayant pas été considérés comme suffisamment pratiques.

Dans ces conditions, notre première recommandation est de rendre obligatoire le recours à des billets infalsifiables, c'est-à-dire électroniques, associé à des dispositifs de contrôle fiables pour les compétitions de football aux enjeux les plus importants. Nous préconisons également de prévoir systématiquement un service de règlement des litiges de billetterie ainsi qu'un dispositif d'aide pour les personnes ne pouvant recourir à ce type de billet.

Afin de pouvoir résoudre les difficultés en temps réel, nous proposons - il s'agit de notre recommandation n° 2 - d'exiger des organisateurs qu'ils informent en temps réel, par mail, SMS, messagerie, les détenteurs de billets des modalités d'accès au Stade de France, des événements imprévus et des modifications décidées par les autorités lorsque surviennent des difficultés.

Enfin, nous estimons nécessaires une meilleure formation des stadiers et une amélioration de l'articulation entre les stadiers et les forces de l'ordre. C'est notre recommandation n° 3.

Le plan de mobilité des supporters a en outre été pris en défaut. Sa préparation relevait principalement de la compétence de la Fédération française de football (FFF), l'enjeu étant de prendre en charge les supporters depuis les frontières jusqu'aux abords du stade. Ce plan de mobilité a rencontré deux difficultés majeures - les reports de voyageurs du RER B vers le RER D et l'absence de voies de délestage à la sortie de la gare du RER D - dont les effets se sont cumulés pour aboutir à une situation de crise. Alors que les prévisions concernant la grève du RER B prévoyaient un maintien du service à 80 % de ses capacités, la FFF soutient que les déports de la ligne B à la ligne D ont été aggravés par des messages diffusés dans les gares par les transporteurs dans l'après-midi du 28 mai indiquant de ne pas utiliser la ligne B. Ces annonces, qui n'étaient pas prévues par le plan de mobilité, mais semblent avoir été validées lors d'une réunion à laquelle la FFF n'a pas été associée la veille du match, le 27 mai, auraient eu pour effet de saturer la ligne D dont le trafic a plus que doublé.

La suppression de l'interconnexion à la gare du Nord a constitué une difficulté supplémentaire dissuadant nombre de supporters, notamment anglais, de poursuivre leur trajet avec le RER B et favorisant les reports sur la ligne D.

Le démontage, à la demande de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, le 23 mai, de la signalétique installée par la FFF à la sortie de la gare du RER D du Stade de France pour baliser un cheminement de délestage vers la gare du RER B sur la rue Francis de Pressensé à Saint-Denis a constitué la seconde difficulté majeure qui a fortement compliqué la gestion de la crise. Lorsque l'engorgement du cheminement au point de préfiltrage est intervenu, la seule solution possible a été la levée du dispositif de contrôle, ce qui a eu pour conséquence l'entrée de nombreux délinquants dans le périmètre restreint.

Nous pensons que le plan de mobilité des supporters aurait dû mieux prendre en compte les aléas - grèves, reports de flux - et prévoir des plans de rechange pour organiser des reports. Comme cela a été indiqué lors des auditions, si le délai de trois mois a permis d'organiser l'événement correctement, il n'a pas permis de travailler suffisamment les différents scénarios de crise. Dans ces conditions, nous recommandons que les différents acteurs concernés définissent conjointement un plan de mobilité des supporters en prévoyant les différents scénarios de crise nécessaires.

Nous insistons par ailleurs sur la nécessité d'organiser une communication en temps réel efficace sur les flux de supporters entre la Fédération française de football, la préfecture de police et les opérateurs de transports en commun et de veiller à une mise en oeuvre conjointe des décisions imposées par les événements imprévus. Il s'agit de notre recommandation n° 4.

Nous préconisons ensuite que le plan de mobilité des supporters organise les voies d'accès au stade en prévoyant systématiquement des cheminements de délestage suffisants ainsi que des voies d'évacuation pour les personnes rencontrant des difficultés. C'est notre recommandation n° 5.

Nous estimerions par ailleurs utile d'améliorer l'attractivité des abords du Stade de France afin d'inciter les spectateurs à venir plus tôt et à repartir plus tard et de mieux réguler les flux d'entrée et de sortie vers les transports. Il s'agit de notre recommandation n° 6. Plus généralement, nous demandons un rétablissement des effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. De l'ordre de 90 il y a quelques années, ils ont en effet été progressivement réduits. Environ dix agents seulement étaient ainsi présents le 28 mai.

La prise en compte des supporters a été en outre insuffisante et obsolète. Les auditions des associations de supporters ont mis en avant une organisation de la sécurité du match fondée sur une vision datée des supporters britanniques, renvoyant aux hooligans des années 1980. Les responsables publics ont ainsi été presque exclusivement attachés à gérer sous l'angle du maintien de l'ordre les supporters anglais sans billet, qui ont une habitude connue de venir soutenir leur équipe pour profiter de l'ambiance du match à l'extérieur du stade. Les organisateurs se sont ainsi privés des moyens permettant d'acheminer les flux de spectateurs vers le stade ou de les divertir aux alentours de celui-ci ou à des endroits sécurisés en ville.

De manière plus générale, l'accueil des supporters dans un cadre festif a été négligé. Les fan zones ont été organisées tardivement et, s'agissant des supporters de Liverpool, loin du stade. L'interdiction de l'alcool à partir de 18 heures aux alentours du stade a contribué à leur arrivée tardive sur le site.

Enfin, l'accueil des supporters nécessite également de veiller à ce que leurs conditions de retour après le match soient bonnes. Les supporters espagnols ont déploré leur passage sur une passerelle assez étroite franchissant le canal, sans que personne ne soit présent pour réguler le flux, et le manque d'éclairage public alors que le sol était jonché de bouteilles cassées.

Tout ceci laisse à penser que l'expérience spectateur n'a pas été prise en compte par les organisateurs de l'événement.

Nous souhaitons donc que le regard des autorités publiques françaises sur les supporters évolue et que soient créées les conditions d'un dialogue permanent afin de faire de leurs représentants des partenaires dans le cadre de la préparation et du déroulement des grands événements. Le dialogue avec les supporters doit permettre de mieux partager les informations et de rendre plus efficaces les dispositifs mis en place. Il s'agit de notre recommandation n° 13.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Ce match s'est déroulé dans des conditions particulières. En effet, alors qu'il était initialement prévu à Saint-Pétersbourg, l'UEFA a choisi de le déplacer en réponse à l'agression russe de l'Ukraine. Le 24 février, le Président de la République a répondu favorablement à sa sollicitation de tenir le match à Paris et engagé le soutien des pouvoirs publics à cette organisation.

L'UEFA et son mandataire, la Fédération française de football (FFF), ont donc travaillé avec le soutien du délégué interministériel aux grands événements sportifs (Diges) et des préfectures et singulièrement, pour la région parisienne, de la préfecture de police dont l'actuel préfet nous a rappelé qu'il n'était pas le préfet de police de Paris, mais « le préfet de police tout court ». La sécurité de l'événement lui incombait donc.

Le soir du match, de multiples incidents ont mis à mal le dispositif de sécurité prévu. Le début du match a été retardé d'une demi-heure et la raison donnée pour l'expliquer a été l'arrivée tardive des supporters de Liverpool. Cette première imputation est apparue d'emblée comme une forme d'injustice pour les supporters, dont 2 700 pourtant munis de billets valables n'ont pas pu assister au match. En effet, ce n'est pas leur arrivée tardive, mais l'impossibilité d'entrer dans le stade qui faisait qu'ils n'étaient pas en tribune.

En dehors du stade, les supporters avaient été retenus au point de préfiltrage installé dans le prolongement de la sortie du RER D - une masse de 10 000 à 15 000 personnes s'étant constituée et suscitant un risque d'écrasement. Une fois ce dispositif levé, la foule a pu s'approcher des tourniquets d'entrée, mais certains, proches des grilles du stade, ont alors été exposés au gaz lacrymogène. L'ensemble de ce parcours était ponctué d'agressions de la part de délinquants nombreux et violents. Tout ceci, documenté par de nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux, a terni l'image de la France.

Or ce sont les supporters du club anglais qui ont été présentés comme les principaux fautifs des incidents : d'emblée, puis devant nos commissions, et ce en dépit des défauts de plus en plus saillants dans l'organisation mise en place qui sont apparus au fil de nos travaux.

Ce n'est qu'avec l'annonce des auditions par les commissions sénatoriales que les ministres concernés ont émis des regrets sur l'expérience « gâchée » des spectateurs munis de billets, mais n'ayant pu assister au match, qui sont tout de même environ 2 700. Puis, au cours de nos auditions, sont venus les regrets du préfet de police pour les personnes de bonne foi exposées au gaz lacrymogène. Enfin, le ministre de l'intérieur, à la suite de la présentation des premiers constats issus de nos auditions, a finalement présenté ses excuses aux supporters ayant subi la mauvaise gestion de l'événement.

Cette reconnaissance progressive contraste avec la volonté d'accabler les supporters de l'équipe de Liverpool qui a caractérisé les premières prises de position officielles. Tout en refusant, au nom des principes républicains, de donner la nationalité des individus interpellés pour faits de délinquance, le ministre de l'intérieur, lors de son audition, n'a ainsi pas hésité à détailler le nombre de ressortissants britanniques interpellés pour des tentatives d'intrusion. La volonté de faire apparaître la présence des supporters britanniques comme la seule cause de la situation était tout de même très ennuyeuse.

J'en viens aux dysfonctionnements en matière de sécurité.

Le 28 mai, la sécurité des supporters et la protection des biens n'ont pas été assurées de manière suffisante. Le préfet de police, lors de son audition, a estimé que les scènes de chaos liées à la délinquance étaient dues à la nécessité de lever le filtrage, permettant à « 300 à 400 individus indésirables » de s'introduire sur le parvis, « le dispositif ne présentant plus l'étanchéité suffisante ni la capacité dissuasive nécessaire pour empêcher ces vols ».

Cependant, ainsi qu'en a notamment témoigné le maire de la métropole de Liverpool, les actes de délinquance ont commencé en réalité en amont du filtrage. Les caméras de surveillance ont même permis à certaines des personnes présentes dans le poste de commandement (PC) de sécurité du stade de constater l'action de pickpockets et d'autres voleurs à la tire. Or les effectifs de sécurité présents, très majoritairement dédiés au dispositif antiterroriste, n'ont pu intervenir pour mettre fin à ces actes.

Une fois les délinquants présents sur le parvis, leur évacuation a été particulièrement difficile et lente, n'intervenant qu'après le début du match et ne faisant que repousser les délinquants à la périphérie du stade, où des faits délictueux se sont poursuivis après le match.

Ceci est d'autant plus inacceptable que la présence de ces délinquants était prévisible. Dans les jours précédant l'événement, les personnels du Stade de France et le maire de Saint-Denis ont fait part d'une effervescence inhabituelle autour de l'enceinte dans l'attente du match. Ces observations n'ont cependant pas conduit, semble-t-il, à une alerte de la part du renseignement territorial.

Les effectifs destinés à lutter contre la délinquance étaient donc sous-dimensionnés et n'ont pas été abondés de manière suffisante, malgré de multiples intrusions et vols à compter de la mi-journée du 28 mai. Le rapport du Diges fait état de 209 effectifs de police déployés autour du stade pour lutter contre la criminalité le 28 mai, soit 47 de plus que lors de la finale de la Coupe de France le 7 mai. À l'inverse, lors du match France-Danemark du 2 juin, ce sont 650 effectifs de police, soit plus de trois fois plus d'agents, qui ont été mobilisés pour lutter contre la délinquance. C'est donc seulement à la suite des incidents que la mesure réelle de la délinquance a été prise.

À ceci s'ajoute un élément qui nous paraît essentiel. Nous savons que la querelle des chiffres a beaucoup occupé les premiers temps de nos auditions à la suite des affirmations du préfet de police et du ministre de l'intérieur relatives aux 36 000 personnes venues sans titre ou avec de faux titres au stade de France. Or ce nombre, dont le préfet de police nous a dit qu'il pouvait tout aussi bien être de 24 000, n'a pas l'importance que la communication des pouvoirs publics a voulu lui prêter.

Le dispositif mis en place a été débordé sur un point précis : le préfiltrage situé dans la continuité de la sortie du RER D. Il n'a fallu que 10 000 à 15 000 personnes pour rendre ce préfiltrage intenable. Même s'il n'y avait pas eu plus de supporters que de places dans le stade, la situation aurait pu être la même, causer le même chaos et conduire à des drames, que nous avons, par chance, évités. Cet échec tient aux décisions prises par la préfecture de police.

Conçu pour prévenir les attaques terroristes, le dispositif de préfiltrage instauré par la préfecture de police a été combiné à un contrôle de validité des billets par les stadiers. Ceci a créé un goulot d'étranglement. L'espace disponible était réduit à quatre ou cinq mètres de large par la présence de véhicules destinés à faire obstruction aux voitures béliers.

Notons d'abord que le préfet Michel Cadot a pointé, dans son rapport remis à la Première ministre, le manque de fondement juridique de la combinaison d'un dispositif antiterroriste et d'un contrôle des titres d'accès par les organisateurs. Pour défendre ce choix, la préfecture de police a fait porter la responsabilité de la saturation sur le nombre de supporters de l'équipe de Liverpool munis de billets falsifiés ou qui tentaient de s'approcher du stade sans billet. Ceux-ci auraient saturé le précontrôle, lequel a fait apparaître jusqu'à 70 % d'erreurs, puis créé l'encombrement de personnes présentes dans l'accès au point de filtrage.

Toutefois, l'accord donné à la mise en place d'un contrôle de validité des billets au niveau du préfiltrage, qui n'avait été essayé qu'une seule fois auparavant et n'avait pas donné pleinement satisfaction, était d'emblée inopportun. Il a conduit tant à négliger le risque de délinquance sur le parvis entourant le stade - puisque les « indésirables » démunis de billets n'auraient pas dû y accéder - qu'à ralentir le flot entrant de personnes.

De plus, la préfecture n'a pas prévu un moyen d'évacuer les personnes refoulées et qui ne pouvaient reculer du fait de l'étroitesse de l'accès et de la foule massée dans l'attente du passage.

À ce défaut premier dans la conception du dispositif s'ajoutent les difficultés survenues dans la gestion des flux de personnes. La SNCF a indiqué avoir transporté le jour du match 12 000 personnes de plus que pour d'autres événements de ce type, mais c'est moins ce surnombre en soi que le déséquilibre entre les flux venant des deux lignes de RER qui a été source de difficultés.

En effet, l'infrastructure du Stade de France peut accueillir un flot de près de 100 000 personnes pour certains événements. Ce fut le cas pour le concert d'Indochine, qui a rassemblé 110 000 personnes. Le surnombre établi par la SNCF aux sorties les plus proches des tribunes destinées aux supporters du club de Liverpool était donc inhabituel, mais pas disproportionné par rapport aux accès au stade.

Cependant, dès lors que s'était constitué un encombrement de 10 000 à 15 000 personnes, selon l'estimation du préfet de police, le préfiltrage menaçait de conduire à un risque d'écrasement. Ce seuil de saturation semble relativement bas tant au regard du flux normal du RER D pour un match de ce type qu'au regard du report lié à la grève sur la ligne du RER B.

Il y a également eu de la part des autorités un manque de réactivité.

Les flux de passagers en provenance de chacune des lignes de RER étaient communiqués toutes les demi-heures à partir de 18 heures 05 par la SNCF au poste de commandement du stade. D'emblée, et surtout à partir de 18 heures 30, l'important écart de fréquentation entre la ligne D et la ligne B était connu. Or cette situation n'a suscité aucune réaction rapide de réorientation des flux : ni de la part des transporteurs, qui ont indiqué ne pas avoir été sollicités pour ce faire, ni de celle des organisateurs, ou encore de la préfecture de police, qui a mis en oeuvre cette réorientation seulement à 19 heures 18, soit trop tard, en pratique, pour permettre un maintien du dispositif de préfiltrage. En effet, la pression se constituait déjà depuis près d'une heure.

Les supporters venus au Stade de France et se présentant au point de préfiltrage prévu dans le prolongement de la sortie du RER D ont fait face à deux risques. Le premier était le risque d'écrasement du fait du blocage du préfiltrage. Le second était celui de subir les effets du gazage à l'approche des grilles du stade.

Face à ces risques, la préfecture de police a d'abord pris la décision de lever, temporairement, le préfiltrage à 19 heures 39, puis a assumé le recours au gaz lacrymogène pour faire reculer les personnes proches des grilles du stade. Ce second choix découlait non de la nécessité de protéger les personnes, mais de celle d'éviter d'abord la chute des grilles et l'envahissement du stade qui aurait eu incontestablement des conséquences dramatiques.

Les décisions prises par le préfet de police, si elles ont peut-être évité un drame ou l'annulation du match, sont la conséquence directe de défauts d'anticipation et ont été la cause d'incidents qui ont choqué l'opinion publique nationale et internationale et terni l'image de notre pays.

La décision de lever le préfiltrage a créé un espace sur le parvis du stade dans lequel ont pu s'engouffrer les délinquants qui ont agressé les supporters, et qui a donc rapproché ceux qui cherchaient à s'introduire illégalement dans le stade de leur objectif.

Face au risque d'intrusion, les forces de sécurité ont eu recours au gaz lacrymogène pour faire reculer la foule. Cette méthode, qui affecte les personnes présentes au-delà de celles qui sont directement visées a paru particulièrement agressive aux supporters venant de pays où elle n'est pas pratiquée. Elle a contribué au sentiment des supporters d'avoir été exposés à un usage excessif de la force, voire peut-être à certaines violences policières.

Cependant, le préfet de police a d'autant plus assumé le recours au gaz lacrymogène qu'il a considéré qu'il s'agissait, à moins de la charger, du seul moyen à la disposition des forces de sécurité pour faire reculer une foule. Il a également indiqué que, dans la même situation, il préconiserait à nouveau son usage, se contentant de regretter qu'au Stade de France cet usage ait conduit à exposer au gaz des personnes de bonne foi, voire des familles et des enfants.

La question de l'usage du gaz lacrymogène montre des contradictions parmi les responsables des forces de sécurité intérieure. En effet, à l'inverse des affirmations répétées du préfet de police, le ministre de l'intérieur lui-même a admis que le recours au gaz lacrymogène devait sans doute évoluer.

Ces points font l'objet de plusieurs de nos recommandations. La recommandation n° 7, adressée à l'UEFA et à la préfecture de police, tend à séparer les points de contrôle de validité des billets des points de préfiltrage installés dans le cadre de la prévention du terrorisme. La recommandation n° 8, adressée au ministère de l'intérieur, consiste à définir une doctrine d'emploi du gaz lacrymogène par les agents des forces de sécurité qui prévienne l'exposition de personnes ne présentant pas pour eux un danger immédiat. La recommandation n° 9, destinée à la préfecture de police et, le cas échéant, à la ville de Saint-Denis, tend à rétablir les effectifs d'agents publics dédiés à la circulation des flux piétons et automobiles autour du stade. La recommandation n° 10, à l'attention de la préfecture de police, vise à privilégier, en matière de gestion des foules, le prépositionnement de moyens dissuadant tout débordement. Nous pensons ici notamment aux unités équestres. La recommandation n° 11, destinée au ministère de l'intérieur et au Parlement consiste à établir, à titre expérimental, la base législative qui permettrait aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection dans les espaces accessibles au public de mettre en oeuvre des traitements d'images par intelligence artificielle permettant le comptage et la détection de mouvements de foule. Enfin, la recommandation n° 12 adressée aux préfets tend à imposer aux opérateurs des systèmes de vidéoprotection la conservation des images captées le jour des grands événements sportifs pendant la durée légale d'un mois dans les espaces accessibles au public, à l'intérieur ou aux abords des équipements.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Ces événements soulèvent des interrogations quant à la capacité de notre pays à accueillir de grands événements sportifs, notamment la Coupe du monde de rugby de 2023 et les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Nous formulons donc quelques recommandations visant à éviter que de tels incidents ne se reproduisent.

Nous ne partageons pas l'avis selon lequel les enjeux seraient différents, compte tenu en particulier de la nature des épreuves et du public attendu.

Les auditions ont mis en évidence le fait qu'il n'y avait pas de hooligans parmi les spectateurs et que les troubles ont été la conséquence de dysfonctionnements multiples, aggravés par la présence d'un très grand nombre de délinquants. Ces différentes circonstances peuvent tout à fait se reproduire et il est donc indispensable de s'y préparer, y compris pour les grands événements sportifs que je mentionnais à l'instant.

Concernant l'organisation des futurs grands événements sportifs attendus dans les années à venir - une vingtaine, en sus des deux que nous venons de citer -, nous pouvons nous interroger sur l'intérêt de maintenir le rapprochement opéré entre la Dijop et la Diges. En effet, plus nous nous rapprocherons de la date du début des jeux Olympiques et Paralympiques, plus l'attention de la Délégation interministérielle aux jeux Olympiques et Paralympiques devrait être mobilisée sur cet événement exceptionnel.

A contrario, l'organisation de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France a montré un déficit de coordination entre les différents acteurs concernés. C'est pourquoi nous proposons - il s'agit de la recommandation n° 14 - de mieux distinguer les fonctions de Diges et de Dijop afin de faire du Diges le responsable opérationnel de l'organisation des grands événements sportifs internationaux et de lui reconnaître un rôle de coordination des différentes autorités concernées : préfets - dont, bien sûr, les préfets départementaux -, forces de l'ordre, transporteurs, fédérations sportives, collectivités territoriales. Ces deux services, mieux différenciés dans leurs attributions et leurs rôles, auraient vocation à interagir étroitement pour partager leurs expertises respectives.

Néanmoins, il apparaît nécessaire qu'une organisation dédiée puisse se concentrer de manière opérationnelle tant sur les grands événements sportifs prévus d'ici 2024 que sur ceux qui sont programmés entre 2024 et 2026, qui nécessitent le plus souvent plusieurs années de préparation.

Les commissions de la culture et des lois du Sénat organiseront dans les mois à venir un suivi précis des modalités de préparation des prochains grands événements sportifs au regard des enjeux de sécurité qui y sont associés et des dysfonctionnements que nous avons pu observer.

Par ailleurs, nous souhaitons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur l'organisation de la sécurité lors des grands événements sportifs avant la fin de l'année 2022. Il s'agit de notre dernière recommandation.

M. Michel Savin. - Je tiens à remercier les présidents des commissions de la culture et des lois de s'être emparés à bras-le-corps de ce sujet et de leur volonté de faire toute la lumière sur ces événements. Une nouvelle fois, nous constatons que le Sénat a parfaitement assuré son rôle de contrôle de l'action du Gouvernement.

Je salue vos constats ainsi que les préconisations que vous nous présentez. Ces dernières doivent permettre de mieux anticiper l'accueil des événements sportifs internationaux, particulièrement en 2023 et 2024.

Les dysfonctionnements ont été nombreux le 28 mai : absence de communication entre services, défaut d'information, manque d'anticipation, notamment de la grève des transports, etc. Force est de constater toutefois que les acteurs auditionnés ont chacun montré une vision différente des événements et tenté de minimiser leur propre responsabilité dans le fiasco survenu au Stade de France. Le ministre de l'intérieur a d'ailleurs pointé du doigt le comportement des supporters de Liverpool, le soir même du match, quand toute la presse internationale et les syndicats de police présents indiquaient au contraire qu'ils s'étaient bien comportés.

Je tiens néanmoins à saluer la nouvelle ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques, d'avoir reconnu, dès les premières heures, l'existence de difficultés et d'avoir eu un mot de soutien pour les supporters privés de ce moment de fête. Je regrette cependant l'insistance du ministre de l'intérieur à désigner comme responsables 30 000 à 40 000 spectateurs anglais sans billet ou munis de faux billets, alors même que personne ne les a vus sur place à l'heure où aurait dû débuter la rencontre. A contrario, il a minimisé les agressions commises par des délinquants. Le fait que les enregistrements vidéo de ces actes de violence aient tous été supprimés pose d'ailleurs problème, d'autant que le ministre de l'intérieur et le préfet de police se trouvaient au PC de sécurité le soir du match. Pourquoi les autorités n'ont-elles pas demandé les images de vidéosurveillance de ces événements, qui ont pourtant choqué le monde entier ?

Nous espérons que les recommandations nos 11 et 12 du rapport apporteront des réponses sur ce point.

Il a fallu attendre plus d'un mois pour que le ministre de l'intérieur reconnaisse sa part de responsabilité dans cet échec.

Tout en partageant ses préconisations, je regrette que deux points n'aient pas été assez abordés dans le rapport qui nous a été présenté. Il me semble tout d'abord nécessaire de renforcer la place et le rôle du préfet de département aux côtés du préfet de police dans l'instance de coordination nationale pour la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques 2024 et des grands événements sportifs internationaux (CNSJ). Représentant de l'État, connaissant parfaitement le terrain, il est en effet le mieux placé pour mobiliser les services, en amont, en matière de surveillance, de renseignement et d'alerte. Il est donc essentiel d'améliorer l'entente entre ces deux acteurs.

En outre, il conviendrait de ne pas réitérer la prise de décision solitaire qui a été à l'origine de l'accueil par la France, dans des délais inédits - trois mois, contre douze à dix-huit en temps ordinaire - de la finale de la Ligue des Champions. Cette décision a en effet été prise par le Président de la République seul. Or une telle décision doit être partagée et validée par la fédération chargée de l'organisation de la manifestation concernée ainsi que par le délégué interministériel aux grands événements sportifs. En effet, l'absence d'association de tous les partenaires concernés est l'une des raisons de l'échec sécuritaire de cette soirée.

J'espère que les propositions du Sénat seront rapidement reprises. Nous devons tout faire pour améliorer la sécurité de ces événements et lutter contre la délinquance afin d'éviter que de tels incidents se reproduisent lors des prochaines grandes manifestations sportives accueillies par notre pays.

M. Jérôme Durain. - Le Sénat et ses commissions sont ici dans leur rôle de contrôle. Nous sommes allés sur le terrain, nous avons organisé les auditions nécessaires et nous avons mis notre intelligence collective au service de la compréhension des faits. Toutefois, le titre d'un journal du soir, « Autopsie d'un fiasco sécuritaire », illustre ma frustration : il ne s'agit pas d'un sujet législatif ou réglementaire, mais d'un échec politique majeur qui a entraîné un préjudice réputationnel pour notre pays.

Peut-être n'y a-t-il eu ni morts ni blessés graves, mais des supporters ont été gazés, molestés et dépouillés. Nous avons constaté sur place l'inquiétude des responsables du Stade de France qui ont craint que la situation ne dégénère bien plus gravement.

Au-delà des recommandations que nous formulons, nous relevons un défaut d'anticipation, un défaut d'information, un problème d'exécution lié à la doctrine d'emploi des forces - incapacité à juguler la délinquance, préfiltrages et filtrages défaillants, usage des gaz lacrymogènes, problème de communication entre la préfecture et la Diges -, un défaut d'adaptation en temps réel, un défaut de réaction après l'événement - je pense aux fameuses vidéos qui n'ont pu être exploitées - et un défaut de communication avec un recours récurrent et assez pénible à des chiffres erronés...

Au final, le préfet de police s'apprête à quitter ses fonctions le 20 juillet prochain avec presque les félicitations du jury et le ministre de l'intérieur semble vaguement contrit... Que peut penser un supporter de Liverpool qui observe cette situation de l'extérieur ? Le sujet politique, malgré nos efforts, n'a pas été traité.

Par ailleurs, on peut disposer de tous les outils, encore faut-il bien les utiliser. Si l'on fait le même usage de l'intelligence artificielle, que nous évoquons dans notre recommandation n° 11, que celui qui a été réservé aux vidéos du Stade de France, nous n'avancerons pas.

Nous avons bien traité notre sujet, mais la question politique reste sur la table avec un gouvernement, un ministre de l'intérieur et un préfet de police qui n'ont pas été à la hauteur avant, pendant et après ces événements.

M. Jean-Jacques Lozach. - Je souhaite tout d'abord saluer l'efficacité et la réactivité de nos deux commissions. Les auditions que nous avons engagées sans délai et qui ont été diffusées très largement ont permis non seulement de révéler certaines défaillances organisationnelles - gestion des flux, dispositif de sécurité, défaut de communication, non-conservation des images de vidéosurveillance dans l'enceinte du stade... - et certaines lacunes doctrinales, mais aussi d'éclairer une partie des responsabilités de chacun. Sans nos travaux, toute une part de vérité n'aurait sans doute jamais émergé.

Nos quinze recommandations rejoignent en grande partie celles du préfet Cadot. Il me semble toutefois que la recommandation n° 3, relative à la formation des stadiers, ne va pas assez loin. Ce qui est en jeu, c'est la professionnalisation, le recrutement, le financement et le positionnement des agents de sécurité privée.

En ce qui concerne les recommandations nos 11 et 12, relatives à l'intelligence artificielle ou à la vidéoprotection, il faudra préciser ce que recouvrent les termes « espaces accessibles au public ».

La recommandation n° 14 est la toile de fond sur laquelle inscrire la gestion de ces événements, à savoir la relation entre des organismes sportifs internationaux comme l'UEFA, la FIFA, le CIO ou toute autre fédération internationale, c'est-à-dire des organismes de droit privé, souvent richissimes et installés en Suisse, et les États qui accueillent ces manifestations avec l'appui des fédérations nationales.

Il me semble indispensable de rééquilibrer ces relations au profit des acteurs étatiques et de la puissance publique. Le problème s'était déjà posé lors de l'Euro 2016 : malgré la parfaite organisation de l'événement, de très sérieuses crispations étaient apparues entre l'UEFA et le Diges de l'époque, Nicolas Desforges.

Dans le football, la violence apparaît dans des circonstances particulières et identifiées : absence de résultat du club, difficultés financières, comme avec Bordeaux et Saint-Étienne cette saison, ou grands derbys comme les matchs PSG-OM. Il est donc largement possible d'anticiper les choses.

Pour autant, il ne faut pas céder au catastrophisme. La quasi-totalité des rencontres sportives se déroule dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, la nouvelle ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques n'échappera pas à une large réflexion sur la sécurité dans les stades, voire au vote d'un nouveau texte, la loi Larrivé ayant peut-être déjà atteint ses limites. Il faut également se pencher sur la place et le rôle du supportérisme dans la vie des clubs sportifs professionnels.

Enfin, j'appelle à la prudence en ce qui concerne la cérémonie d'ouverture des JO 2024 sur la Seine et en bords de Seine. Entendre un spécialiste des problèmes de sécurité comme Alain Bauer, qui vient d'être mandaté sur ces questions par la Ligue de football professionnel, employer l'expression de « folie criminelle » est un sérieux message d'alerte. Nul doute que ces sujets seront examinés lors de la réunion du 25 juillet prochain organisée par le Président de la République.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je voudrais remercier les présidents Lafon et Buffet d'avoir mis en place cette mission, qui a permis de dénoncer un certain nombre de dysfonctionnements. Sans ce travail, les supporters anglais seraient encore considérés comme responsables de ces événements.

Au-delà de notre rôle de contrôle, nous avons aussi assumé un rôle politique en montrant aux supporters anglais et au monde entier que notre ministre de l'intérieur était dans le déni. Nous avons su obliger un certain nombre de personnalités politiques à prendre leurs responsabilités et à revenir sur leurs propos.

Comme l'a souligné M. Lozach, il est légitime de se poser des questions sur les jeux Olympiques. Alain Bauer a exprimé très rapidement ses interrogations et ses inquiétudes à la suite de ce fiasco. Cette mission aura permis de poser des questions essentielles sur l'organisation des grands événements. Comme nos présidents l'ont souligné, la France est tout à fait capable d'organiser de telles manifestations, encore faut-il y mettre les moyens, accepter les forces et faiblesses de notre pays et savoir anticiper les problèmes qui peuvent survenir.

Mme Céline Brulin. - Cette mission a permis à la fois d'entendre des regrets et d'atteindre une partie de la vérité. L'écho qu'ont rencontré nos travaux montre qu'il s'agissait d'un vrai besoin.

Pour autant, ces événements ne peuvent se résumer à une succession de dysfonctionnements. Si nous nous retrouvons dans les recommandations du rapport, nos travaux montrent qu'il faut penser l'organisation de tels événements internationaux « à 360 degrés ». Il faut aussi gérer les personnes qui ne se trouvent pas au stade et qui veulent participer à l'événement d'une manière ou d'une autre. Vous avez souligné à juste titre que l'ouverture de fan zones avait été décidée très tardivement. Il s'agit d'une forme de réponse, mais on peut certainement en imaginer d'autres dans la perspective des jeux Olympiques.

Nos travaux nous poussent également à nous interroger sur la doctrine d'engagement des forces entre sécurité publique et maintien de l'ordre. Je reste encore sans voix en pensant aux mots du préfet, qui nous a expliqué très froidement et rationnellement qu'en cas de risque d'écrasement d'une foule, le choix se résumait à l'emploi des gaz lacrymogènes ou à une charge. Je me rappelle les paroles très fortes des supporters de Liverpool, dont certains handicapés, nous décrivant comment ils avaient vécu cette soirée. On ne peut en rester à cette doctrine. Il faut explorer d'autres pistes.

Après la crise sanitaire, après l'incident de l'usine Lubrizol, je pense que la question de la gestion de crise se pose dans notre pays. Nous avons de grandes difficultés à aborder cette gestion dans tous ces aspects, de la communication à la sécurité. Le fait que les services de l'État, les autres institutions, les partenaires privés aient tendance à travailler en silos et à se laisser envahir par une forme de technocratie nous fait perdre le sens premier de ce qui doit nous mobiliser.

M. Thomas Dossus. - Ce rapport va largement dans le bon sens. Les difficultés organisationnelles du fiasco ont bien été identifiées, notamment le défaut d'anticipation et la vision datée des supporters anglais.

Si ce raté est devenu un fiasco, puis quasiment une crise internationale, c'est grandement en raison de l'incompétence politique de notre ministre de l'intérieur et des méthodes inadaptées du préfet de police en matière de maintien de l'ordre. Nos auditions ont permis de mettre en lumière l'arrogance et le caractère inconsidéré des déclarations du ministre de l'intérieur, ainsi que la brutalité des méthodes de Didier Lallement.

Le rapport formule plusieurs recommandations en matière de maintien de l'ordre, notamment pour diminuer l'usage des gaz lacrymogènes dont le recours permet difficilement de séparer le bon grain de l'ivraie. La mise en oeuvre sera sans doute difficile, dans la mesure où l'action indiscriminée des gaz n'en fait pas un bon outil pour ramener le calme. La France en fait d'ailleurs un usage immodéré.

Le rapport du préfet Cadot est un peu plus précis sur le changement de doctrine qu'il faudrait opérer. Il parle ainsi de « maîtrise de l'escalade ». Il ne va pas encore jusqu'à envisager la désescalade, doctrine utilisée dans plusieurs pays européens, mais c'est déjà un changement. La désescalade suppose un véritable renversement de doctrine : on n'attend plus d'être au contact pour envisager des méthodes de dispersion. Nous espérons que les grands événements sportifs permettront d'arriver à ce changement de doctrine.

Le rapport formule également des recommandations sur l'usage de l'intelligence artificielle dans le domaine de la vidéosurveillance. Il s'agit d'une escalade techno-sécuritaire, notamment avec l'usage des drones et de la reconnaissance faciale, que nous ne partageons pas. Nous ne souhaitons pas que les jeux Olympiques ou les grands événements sportifs deviennent un showroom de technologies de surveillance. J'émets donc des réserves sur ces dernières recommandations.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Le travail du Sénat a permis de faire la lumière sur les dysfonctionnements constatés dans l'organisation de cette finale. Je voudrais saluer le travail de fond de nos deux présidents de commission, qui ont su mener des auditions pertinentes dans un délai restreint.

Nous espérons que le Gouvernement prendra nos recommandations en considération à la veille d'autres manifestations sportives internationales. Il serait inconcevable que de pareils incidents se reproduisent. Il me semble nécessaire d'imposer aux organisateurs d'événements d'une telle ampleur un contrôle des personnes et de leurs effets personnels. Accueillir 80 000 personnes dans un lieu qui a déjà été la cible d'attentats terroristes ne peut se faire sans s'assurer que chaque participant ne constitue pas une menace. Lors de son audition, le ministre de l'intérieur m'avait répondu que, à un certain moment, ni les personnes ni les billets n'avaient été contrôlés, ce qui me paraît effrayant.

Participer à un événement culturel ou sportif en France ne doit pas susciter l'inquiétude. Au contraire, il faut rassurer les spectateurs afin de leur permettre de profiter de la manifestation en toute sécurité, gage de succès pour notre pays.

M. David Assouline. - Je reste sur ma faim, car je ne voudrais pas que nous alimentions l'idée que la France ne sait pas organiser de grands événements. Les incidents du Stade de France trouvent leur origine dans un problème de pilotage politique. Nous avons montré notre savoir-faire en gérant la crise terroriste en plein coeur de Paris et en organisant l'Euro 2016, alors même que la menace terroriste était particulièrement prégnante.

Nous méritons ces jeux Olympiques. Je rappelle d'ailleurs que la commission de la culture a mis en place une mission permanente de suivi des Jeux, dont je suis l'un des deux rapporteurs. Nous avons récemment auditionné les responsables des Jeux : ils font preuve d'une grande sérénité, car ils ont conscience de leur responsabilité. À partir du moment où chacun assume ses responsabilités, le professionnalisme peut s'exprimer. Si la crise a éclaté après les événements du Stade de France, c'est d'abord parce que le ministre de l'intérieur s'est défaussé en accusant les supporters anglais au lieu d'assumer la responsabilité des dysfonctionnements. S'il l'avait fait, tout aurait été réglé assez vite.

Le Sénat n'a pas non plus été complètement respecté : nous avons demandé aux responsables de nous fournir certains documents que nous n'avons jamais reçus ! Si nous nous étions constitués en commission d'enquête, je n'aurais pas laissé passer ces manquements. Le ministre et le préfet s'étaient pourtant engagés à nous transmettre les instructions des responsables sur place et les ordres donnés aux moments clés. De même, nous n'avons pas pu voir les images qui n'avaient pas été détruites...

En ce qui concerne la cérémonie des jeux Olympiques, qui sera un moment magnifique le long des vingt-quatre ponts de la Seine, la préfecture pense que 600 000 personnes y assisteront, alors que près de 2 millions de personnes ont participé au jubilé de la reine Elizabeth II. Il serait bon de disposer de prévisions un peu plus resserrées...

Quoi qu'il en soit, les responsables des Jeux m'ont affirmé qu'ils avaient la capacité de gérer en temps réel les flux. L'intelligence artificielle est déjà à l'oeuvre, ce qui montre bien que le fiasco du Stade de France relève d'un problème de pilotage.

Pourquoi recommander de garder les images de vidéosurveillance pendant un mois ? Cela coûte cher et ne sera sans doute pas suivi d'effet, puisqu'il s'agit d'une simple recommandation... Il me semblerait plus logique de les conserver seulement en cas d'incident, comme l'a fait la SNCF. Je me demande d'ailleurs encore pourquoi les images du Stade de France n'ont pas été gardées. Il me semble que l'incompétence a beau jeu...

Nous avons fait oeuvre de restauration de l'image de la France, mais il faut aller au bout des choses. J'aimerais que nous adoptions une recommandation visant à soutenir les démarches des supporters anglais pour obtenir réparation et indemnisation.

Appuyons-nous sur la mission de suivi des jeux Olympiques. Ce sera un moment de fête, qui fera honneur à notre pays. Il faut appréhender le maintien de l'ordre de manière positive. La doctrine du préfet de police a été de voir dans tout supporter un hooligan, dans tout participant à une manifestation, quelle qu'elle soit, une menace potentielle. Si nous ne changeons pas cette doctrine, si nous ne faisons pas confiance aux populations venues se rassembler et fraterniser, nous devrons de nouveau faire face à ce type de problème.

M. Jacques Grosperrin. - Comme cela a déjà été souligné, les supporters anglais n'étaient pas des hooligans. Nous avons assisté à un scandale d'État, au plus haut niveau. Tout le monde peut se tromper, mais il est inadmissible de mentir au monde entier. Je n'ose croire à la moindre corrélation entre ces mensonges et les élections législatives qui avaient lieu quinze jours plus tard...

J'ai été frappé par les propos des présidents d'associations de supporters qui ont décrit leur peur au moment des incidents et qui ont dit ne plus vouloir revenir en France après les propos blessants du ministre de l'intérieur. Si cela s'était passé dans certains pays d'Europe du Nord, je suis persuadé que le ministre concerné aurait démissionné : on peut se tromper, mais on n'a pas le droit de mentir.

Pourquoi ne pas imaginer une recommandation n° 16 demandant des excuses publiques de la part du ministre de l'intérieur ? L'analyse des faits a montré que ces délinquants venaient de Seine-Saint-Denis et d'ailleurs, et qu'il n'y avait pas de propos nauséabonds...

Des plaintes ont été prises en Espagne et en Angleterre. Ne pourrait-on recommander la mise en place d'une cellule de fonctionnement plus fine entre les différents pays, en amont et en aval de tout événement sportif de grande ampleur ?

Quant à la destruction des images du Stade de France, je ne sais que comprendre, sinon qu'on a voulu cacher la vérité.

La recommandation n° 7 vise à séparer les points de contrôle, ce qui est intéressant. Ne pourrait-on imaginer un contrôle sur les billets par le pays de départ en cas de transports groupés ?

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Il est évident que la France est capable d'organiser de grands événements et d'accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques ou la Coupe du monde de rugby. Nous l'avons prouvé et nous le prouverons encore. Il n'est pas question d'abîmer l'image du pays parce que des difficultés sont apparues au cours d'un match pour des raisons que nous connaissons aujourd'hui.

La recommandation n° 12 ne doit pas apparaître comme un principe général absolu. Les images doivent être conservées au cas par cas, à la demande du préfet, mais pas de façon systématique. Nous pourrions le préciser dans le corps du texte et adapter la recommandation en conséquence.

Les recommandations sont adoptées.

La commission de la culture et la commission des lois adoptent, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorisent la publication.

La réunion est close à 11 h 25.