Mercredi 6 juillet 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 h 05.

Contrôle budgétaire - Obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes - Communication

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de notre collègue Jérôme Bascher, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », sur les obligations assimilables du Trésor (OAT) vertes.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Alors que le Gouvernement ne cesse de présenter de nouvelles mesures en réponse à l'inflation, nous assistons à un retour dans le débat public - le ministre Bruno Le Maire s'en est fait l'écho récemment - de la question de la dette publique et de son coût.

J'ai choisi de mener un travail de contrôle budgétaire sur les OAT vertes, que M. Anthony Requin, alors directeur général de l'Agence France Trésor (AFT), était venu présenter devant notre commission en février 2018 après le lancement du programme. S'intéresser aux OAT vertes conduit rapidement à s'intéresser à la finance verte, avec une question primordiale, celle de définir ce qui est « vert » et ce qui ne l'est pas. C'est peut-être là le coeur du sujet.

Les obligations vertes sont en effet des obligations dont le produit de l'émission est exclusivement utilisé pour financer les projets verts. Il s'agit d'un marché mondial de 1 600 milliards de dollars qui a longtemps été tiré par les émetteurs souverains.

Si la France est le premier pays à s'être engagé à émettre une obligation verte souveraine à la suite de l'Accord de Paris en 2015, elle a été battue sur le fil par la Pologne pour sa première émission, qui a eu lieu au mois de janvier 2017, contre décembre 2016 pour la Pologne. La France est toutefois aujourd'hui le premier émetteur d'obligations souveraines vertes, pour un encours qui s'élevait au mois de janvier 2022 à 42,3 milliards d'euros. Elle a de nouveau innové en émettant au mois de mars 2022 la première obligation verte indexée sur l'inflation. Dans le contexte actuel, ce produit, qui a été émis pour quatre milliards d'euros, a été très apprécié des investisseurs.

Conserver la qualité des titres de la dette de l'État est un impératif au regard du volume de la dette française. Cet objectif implique d'une part de respecter les critères énoncés, c'est-à-dire faire du « vert », et, d'autre part, de diversifier les produits obligataires, une nécessité absolue. C'est le sens de la première recommandation que je formule.

Si les OAT vertes répondent à une demande exprimée par les investisseurs, elles présentent surtout un avantage pour la France. Émettre une obligation verte permet de bénéficier de ce que l'on désigne sous le terme de greenium, c'est-à-dire une prime verte de quelques points de base, entre un et trois, ce qui, compte tenu du volume de la dette, n'est pas négligeable. L'existence de cette prime verte repose toutefois sur la mise en place d'un cadre exigeant pour l'émission des obligations vertes.

Or la France s'est certes montrée pionnière en émettant une obligation souveraine verte, mais aussi en construisant un cadre de contrôle et d'évaluation parmi les plus rigoureux du monde. Le document-cadre des OAT vertes françaises s'appuie sur les quatre piliers identifiés par l'International Capital Market Association (ICMA) dans les Green bond principles (GBP).

Le premier pilier correspond à l'utilisation des fonds. Les dépenses éligibles aux OAT vertes doivent contribuer à l'un des quatre objectifs : atténuation du changement climatique, protection de la biodiversité, réduction de la pollution de l'air, du sol et de l'eau et adaptation au changement climatique. Elles sont réparties en six secteurs : les bâtiments, le transport, l'énergie, les ressources vivantes, l'adaptation et la pollution.

Le deuxième pilier est celui de la sélection et de l'évaluation des dépenses. En France, les dépenses éligibles sont identifiées par chacun des ministères, arbitrées par un comité interministériel, puis soumises à l'avis du Conseil d'évaluation des OAT vertes et à l'avis d'un tiers indépendant, que l'on appelle un fournisseur de « seconde opinion ». Pour la France, ce tiers est Moody's ESG Solutions.

Le troisième pilier est la gestion des fonds. L'AFT produit chaque année un rapport d'allocation des OAT vertes, soumis à une seconde opinion, tandis que les comptes présentés dans ce rapport sont soumis à un audit.

Le dernier pilier est le reporting. La France publie chaque année un rapport d'analyse de l'impact d'une dépense éligible à laquelle était adossée l'OAT verte. Ce fut le cas pour le crédit d'impôt pour la transition énergétique en 2018, pour Voies navigables de France en 2019, et ce sera le cas pour Météo France en 2022. Le rapport est rédigé sous la supervision de deux référents académiques et soumis à l'avis du Conseil d'évaluation des OAT vertes. Ce n'est donc pas l'État qui se juge lui-même.

Ce cadre est exigeant, c'est même le plus exigeant au monde. Il est vrai que nous avons une dette publique parmi les plus élevées d'Europe. Pour conserver notre niveau d'exigence, nous allons sans doute devoir adopter le standard européen sur les obligations vertes. Ce standard prévoit des modalités d'évaluation renforcées, ce que la France a déjà mis en place pour ses propres émissions, mais, surtout, il suppose un alignement sur la taxinomie européenne.

Pour rappel, une activité sera considérée comme alignée sur la taxinomie européenne des actifs durables si elle contribue à l'un des six objectifs environnementaux identifiés dans la taxinomie - atténuation et adaptation au changement climatique, protection des ressources aquatiques, économie circulaire, prévention et réduction de la pollution, biodiversité -, si elle ne cause pas de préjudice significatif sur l'un des six autres objectifs et si elle est exercée dans le respect de garanties minimales en matière de droits de l'homme et de droit du travail.

Je ne propose évidemment pas une mise en oeuvre « aveugle » de ce standard européen, qui est trop exigeant. Il est notamment très important qu'une poche de flexibilité soit conservée pour les émetteurs souverains. Les discussions à l'échelon européen portaient sur un ordre de grandeur de 20 % des émissions ; c'est un minimum.

Le contenu du texte, à l'issue des discussions en commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen, ne semble pas aller dans ce sens. Les députés européens ont une vision, je le crains, trop restrictive en la matière, ce qui risque de mettre à mal la finance verte. À force de vouloir être « plus vert que vert », l'on risque de voir fleurir de nouveaux standards moins exigeants mais plus faciles à mettre en oeuvre par les acteurs financiers et non financiers.

Il faut, me semble-t-il, des étapes intermédiaires. C'est notamment le cas s'agissant des collectivités territoriales ou des établissements publics qui émettent de la dette verte, et pour qui le standard européen n'est pas forcément le plus adapté.

Je l'ai indiqué, les OAT vertes fonctionnent et sont prisées des investisseurs. Elles doivent servir à financer non pas uniquement ce qui est vert, mais tout ce qui permet la transition écologique, dont le coût est colossal. Étant moins efficace économiquement, la transition écologique est plus chère et source d'inflation.

Mes recommandations nos 6 à 10 insistent donc sur un double impératif pour l'émission des OAT vertes : faire plus et faire mieux.

Faire plus, c'est demander à l'ensemble des administrations et des opérateurs publics de présenter un plan de moyen terme permettant d'identifier toutes leurs dépenses qui pourraient être éligibles aux OAT vertes. Pour l'instant, elles ne le font pas. Sachant qu'en 2021, 60 % des dépenses de l'État ont été financées par des recettes et 40 % par de la dette, il serait intéressant d'examiner les dépenses vertes que l'on pourrait financer par une dette moins chère.

Faire mieux, c'est faire coïncider les dépenses éligibles aux OAT vertes avec celles qui sont évaluées comme favorables à l'environnement dans le budget vert. J'estime que la dette est faite pour financer de l'investissement et je préconise donc également d'exclure des dépenses éligibles aux OAT vertes les dépenses de fonctionnement, à l'exception de celles qui sont destinées à installer ou à entretenir des infrastructures favorables à l'environnement. Je pense par exemple à des dépenses de protection de la biodiversité.

Globalement, la France se comporte bien. L'État doit se comporter mieux.

Mon travail sur les OAT vertes m'a conduit à m'intéresser aux définitions qui existaient aujourd'hui du « vert », aux données disponibles pour identifier ces dépenses dites vertes et les certifier ainsi qu'aux instruments financiers à même d'accompagner les acteurs financiers et non financiers dans leur transition. Je vais présenter cette problématique autour de trois axes.

Le premier axe concerne la donnée et sa certification. La taxinomie européenne est, en quelque sorte, le dictionnaire de ce qui est « vert ». Nous ne disposons toutefois pas, mondialement, de toute la donnée nous permettant de dire qu'une activité est verte et de mesurer son impact environnemental. Nous avons besoin de travailler sur la disponibilité de la donnée pour avoir une notation extra-financière qui soit standardisée.

La Commission européenne a tenté d'apporter une première réponse à cette difficulté, avec la future directive sur le reporting de durabilité des entreprises. Les entreprises de plus de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 40 millions d'euros devront, à compter de 2024, détailler leur stratégie environnementale et sociale, se fixer des objectifs sur les six axes environnementaux retenus dans la taxinomie européenne et réaliser un bilan carbone de leurs activités. Simplement, là encore, il nous faut disposer de standards harmonisés pour procéder à ce reporting enrichi.

Deux acteurs sont en concurrence pour assurer la standardisation. D'un côté, l'European Financial Reporting Advisory Group (Efrag) travaille déjà sur le sujet. De l'autre côté, le bureau international des normes comptables pour le reporting durable, créé au sein de l'organisme des normes comptables internationales, les International financial reporting standards (IFRS), devrait faire ses propositions au mois de novembre. Il y a un véritable risque de concurrence des normes, avec des conséquences potentiellement fortes sur les acteurs financiers et sur les entreprises.

Les deux organismes s'opposent sur le choix de la simple ou de la double matérialité. La simple matérialité consiste à tenir compte de l'impact des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur l'entreprise tandis que la double matérialité prend en plus en compte l'impact des activités de l'entreprise sur l'environnement et sur la société. Il nous faut gagner cette bataille de la norme, la double matérialité étant plus à même de permettre d'apprécier les engagements des acteurs financiers et non-financiers en faveur de la transition environnementale.

La directive sur le reporting de durabilité des entreprises prévoit en outre que celui-ci soit soumis à l'avis d'un tiers indépendant, qui pourra être l'auditeur habituel de l'entreprise ou un auditeur différent. Les commissaires aux comptes (CAC) pourraient certifier ces données. Mais, pour cela, il faut qu'eux-mêmes soient formés. Aujourd'hui, tout est « vert », mais personne n'est formé pour savoir ce qui est « vert » et comment le définir. Il faut donc mettre en place des formations et des certifications.

Le deuxième axe recouvre la mobilisation des produits financiers les plus appropriés pour les investisseurs et les entreprises. Ce sont les recommandations nos 14, 15, 17 et 18. Le principe est simple : la politique financière doit démontrer la transformation d'un acteur. Il me semble à cet égard que les sustainability linked bonds (SLB) constituent l'un des meilleurs outils, à condition d'être encadrés. Les SLB sont des obligations par lesquelles l'émetteur s'engage à atteindre des cibles d'impact environnemental et, s'il ne les atteint pas, à payer plus cher les investisseurs. Simplement, comme il fixe lui-même ses objectifs, le risque est qu'il opte pour un objectif déjà atteint, et fasse ainsi du greenwashing, c'est-à-dire de l'écoblanchiment. Il faut donc encadrer encore plus ces SLB. Je propose que l'Autorité des marchés financiers (AMF) joue un rôle plus important en la matière.

Sur les produits également, il ne me semble pas forcément nécessaire de créer aujourd'hui de nouveaux labels, avec le risque de contribuer à un manque de lisibilité. Il existe aujourd'hui un label pour la finance durable : le label ISR. Un rapport de l'inspection générale des finances (IGF) a conclu voilà plus d'un an que ce label ne fonctionnait pas bien et qu'il fallait le réformer. La réforme engagée est prometteuse : chaque investisseur devrait ainsi respecter des exigences minimales sur les trois dimensions de l'ESG que sont l'environnement, le social et la gouvernance, mais pourrait ensuite s'engager à être plus ambitieux sur un objectif donné, tel que le climat ou la transition. Ce système par « brique » semble plus judicieux, ne serait-ce que pour conserver une certaine lisibilité pour les épargnants.

Le troisième axe concerne le carbone. C'est la seule chose que nous sachions parfaitement mesurer et pour laquelle les pays ont pris des engagements, avec l'objectif de limiter la hausse de la température de la Terre à 1,5° C maximum d'ici la fin du siècle. Le carbone ne peut plus être aujourd'hui considéré simplement comme une externalité, mais doit être intégré au bilan de l'entreprise. Je propose - et d'autres l'ont suggéré avant moi, y compris des gens très libéraux - que toutes les entreprises, en commençant par les plus grandes, adoptent une comptabilité carbone. C'est essentiel pour assurer la transparence et la crédibilité des engagements des entreprises, et pour soutenir les efforts entrepris pour décarboner les portefeuilles. L'introduction d'une comptabilité carbone ouvre par ailleurs un « champ des possibles ». On pourrait ainsi envisager, à terme, de moduler l'impôt sur les bénéfices dû par les entreprises en fonction de leur efficience énergétique et de leur trajectoire en la matière. Il y a des modalités nouvelles à inventer.

Pour conclure, je rappellerai les mots de Mark Carney en 2015, qui, lorsqu'il était gouverneur de la Banque d'Angleterre, avait appelé à « briser la tragédie des horizons ». C'est aujourd'hui tout à fait nécessaire si nous voulons financer la transition écologique et notre dette, qui, à défaut, sera plus chère et moins efficace.

M. Claude Raynal, président. - Malgré la qualité de vos travaux, le sujet est d'une complexité rare. Vous proposez vingt-deux recommandations, et je vous ai trouvé un certain talent pour passer de la mission « Engagements financiers de l'État » à une vision mondiale de la question.

Votre intervention sera suivie de l'audition de M. Ophèle, président de l'AMF, qui reviendra sur les difficultés posées par le marché des obligations vertes.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous remercie pour ce rapport dense, qui mêle une satisfaction toute française à une certaine prudence. Il vise peut-être, si vous me permettez cette image, à faire de M. Bascher l'architecte permettant de passer d'un jardin à l'anglaise à un jardin à la française, où les enjeux seraient clairement énoncés.

Je veux également saluer le travail réalisé par l'Agence France Trésor sur les OAT vertes.

Notre commission a organisé plusieurs auditions au sujet de la finance verte, dont le ton était souvent celui de la satisfaction. Pour autant, pour certains, dans la presse économique en particulier, il y a un décalage entre cette satisfaction et l'efficacité réellement constatée de cette finance verte.

Nous partageons la plupart de vos recommandations, en particulier les recommandations nos 6 et 10.

Je voudrais toutefois émettre une alerte sur la recommandation n° 4, au terme de laquelle les départements de plus d'un million d'habitants et les régions devraient produire un « budget vert ». Pourquoi, au lieu d'une telle obligation, ne pas mettre en place une expérimentation dans quelques départements volontaires avant de généraliser cette exigence ?

Pouvez-vous également nous en dire plus sur la mise en oeuvre par les entreprises d'une comptabilité carbone, qui s'ajouterait à la comptabilité des recettes et des dépenses ? Nous dirigeons-nous vers une simplification, avec une évaluation menée par un tiers indépendant sur leur reporting de durabilité, ce qui me semble positif, ou ajoute-t-on d'autres contraintes alors que les produits financiers ne sont dans le même temps pas encore parvenus à maturité ?

Pourriez-vous enfin nous préciser comment pourrait être concrètement mise en oeuvre la recommandation n° 21, qui vise à introduire une composante d'efficience énergétique au sein du calcul de l'impôt sur les sociétés ?

Nous devons être attentifs aux aspects opérationnels de ces dispositifs complexes.

M. Claude Raynal, président. - Je propose que notre débat se concentre sur les questions du budget et des OAT vertes françaises, les questions plus larges pouvant être conservées pour l'audition de M. Ophèle.

M. Pascal Savoldelli. - Une phrase du rapport m'a particulièrement plu : « les capitaux existent, mais ils ne sont pas à la bonne place. »

Le rapport est clair : la finance verte est un nouveau marché. M. Bascher nous dit qu'il y aurait un problème de standardisation et d'objectivité des critères, mais la loi objective de tous les marchés financiers, c'est d'abord de se développer et de créer des profits.

Favoriser le financement des marchés est susceptible d'aggraver les déséquilibres, au détriment de trois ensembles d'acteurs : les petites collectivités territoriales voulant s'investir dans l'écologie, les très petites entreprises (TPE), qui souffrent face aux plus grosses entreprises et enfin les ménages. Parler de « verdissement » n'est pas suffisant et n'est pas au niveau des enjeux climatiques auxquels nous devons répondre.

Il faudrait qu'une évaluation des conséquences de la finance verte sur le niveau de l'emploi soit réalisée. Il faut sept fois moins de chiffre d'affaires pour créer un emploi dans une TPE que dans une très grande entreprise ! Si les petites entreprises pouvaient accéder au dispositif des obligations vertes, cela pourrait avoir des conséquences positives pour l'emploi, comme le développement de filières professionnelles dans des secteurs liés aux enjeux écologiques.

M. Vincent Delahaye. - Plusieurs questions demeurent après la présentation de ce rapport. Les obligations vertes permettent-elles à l'État de réaliser des économies par rapport aux obligations « conventionnelles » ? Par ailleurs, sont-elles assorties de contraintes réelles, ou s'agit-il simplement d'un affichage permettant de réunir davantage d'investisseurs ? Des agences comme Moody's ont-elles évalué les coûts de ces obligations ?

Si elle ne sert qu'à renforcer encore les obligations des collectivités, je partage les réserves du rapporteur général concernant la recommandation n° 4. S'il s'agit de rajouter encore davantage de contraintes, cela vaut-il en effet la peine de promouvoir l'émission d'obligations vertes ou durables ?

Je souhaiterais par ailleurs que le qualificatif « vert » soit placé entre guillemets.

M. Roger Karoutchi. - Ma question sera simple : depuis que ces obligations vertes existent, en quoi ont-elles réellement participé à la transition écologique ? S'agit-il simplement d'un marché financier supplémentaire, ou ces obligations ont-elles des effets mesurables pour la transition écologique ?

M. Michel Canévet. - Certains acteurs financiers ont annoncé leur intention d'orienter leurs investissements vers la finance verte. Le fait d'avoir proposé une obligation verte indexée sur l'inflation ne comporte-t-il pas le risque de conduire à une augmentation de la charge de la dette française ? Pour l'année 2022, l'inflation provoquerait une augmentation de la charge de la dette de près de 15 milliards d'euros.

Le rapporteur a indiqué qu'il fallait promouvoir le financement par les obligations vertes, en identifiant le maximum de dépenses éligibles. La recommandation n° 10 indique toutefois que les dépenses de fonctionnement ne doivent plus être éligibles aux OAT vertes. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

M. Christian Bilhac. - Je m'interroge également sur l'efficacité réelle de ces fonds : quelles sont leurs véritables conséquences sur l'environnement ?

Une approche particulière doit concerner les petites communes rurales, où les artisans sont souvent désemparés face à cette politique de lutte contre le réchauffement climatique. Il ne faut pas leur faire subir de nouvelles contraintes, alors que leurs moyens sont bien inférieurs à ceux des grandes entreprises.

Quelle est l'efficacité réelle des aides écologiques ? Laissez-moi vous donner deux exemples : il y a une dizaine d'années, j'ai installé des panneaux photovoltaïques sur mon toit. Au cours des travaux, une aide de l'État de 4 000 euros a été supprimée, mais le prestataire m'a proposé de réduire sa facture de la même somme, du jour au lendemain. Autre exemple : les viticulteurs sont poussés à acheter des interceps afin de nettoyer entre les pieds de vigne. Ces outils sont facturés le double de leur prix, mais les fournisseurs nous disent que ce n'est pas grave, car il est possible de bénéficier d'une aide de l'État pour compenser.

Il y a là matière à réflexion : il faut aider pour financer la transition écologique, mais cela ne doit pas devenir un puits sans fonds pour les finances de l'État, et les subventions devraient être limitées.

Mme Christine Lavarde. - Je souhaiterais revenir sur la recommandation n° 4. La collectivité de Boulogne-Billancourt, à laquelle j'appartiens, a mis en place un « budget vert », en suivant la dernière nomenclature budgétaire travaillée en particulier par l'association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, France urbaine et d'autres associations directement concernées.

Le travail demandé par la recommandation n° 4 a déjà été réalisé il me semble. À Strasbourg, ville dirigée par des écologistes, et à Boulogne-Billancourt, les structures d'investissement sont identiques : moins de 20 % des dépenses d'investissement ont un impact négatif sur l'environnement, les seules dépenses considérées comme négatives étant des dépenses informatiques, que la nomenclature a décidé de classer ainsi.

Cette recommandation ne me semble donc pas pertinente. Pour l'appliquer, il faudrait à nouveau changer la nomenclature budgétaire des collectivités, alors qu'elle vient d'être modifiée. Il me paraît difficile de voter cette recommandation en l'état.

L'idée de mettre en place une comptabilité carbone dans les entreprises s'éloigne de l'action des entreprises. Durant l'intersession, pour la commission des affaires européennes, j'ai étudié la proposition de directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. On demande beaucoup aux entreprises, y compris aux PME, alors que nous n'avons aucun standard permettant d'évaluer les conséquences positives ou négatives des actions sur l'environnement ou le droit des travailleurs.

Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs : nous devons d'abord disposer d'un cadre discuté au moins au niveau européen, et dans l'idéal à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les intentions sont louables, mais avant de faire ces recommandations, notre commission devrait engager le travail sur ce sujet.

M. Jean-François Rapin. - Sommes-nous sûrs qu'il existe un lien étroit entre l'émission d'obligations vertes et la fameuse souveraineté européenne, que l'on attend toujours sur l'industrie et sur le vert ? Est-il certain que les financements ne sont pas dirigés vers un simple verdissement à l'extérieur de l'Union européenne ?

M. Jean-Claude Requier. - Les mécanismes en jeu sont très complexes. Comment les expliquer aux citoyens, et comment rendre l'écologie populaire ?

Par ailleurs, je crains que nous n'ajoutions de la réglementation à la réglementation, comme on l'a vu avec les certificats d'économies d'énergie (CEE).

Enfin, quelle est l'efficacité réelle de ces politiques ? Il faut faire du vert, mais vu le coût des dispositifs, je n'y vois que du bleu...

Mme Isabelle Briquet. - Le sujet est en effet si complexe qu'il en devient presque opaque. Selon le rapport, il faut « définir le vert ». Mais comment, d'un point de vue administratif ou légal, déterminer la valeur verte d'un placement financier ?

M. Albéric de Montgolfier. - La question est en effet complexe. Je souscris à l'idée de faire de la France un émetteur d'OAT vertes, ce qui permettrait d'atténuer les coûts des émissions, mais je suis dubitatif concernant le fait d'imposer des contraintes nouvelles aux entreprises, dès lors qu'elles ne seraient que nationales. Obliger les entreprises à tenir une double comptabilité verte aurait des conséquences en matière de compétitivité, d'autant que la recommandation n° 19 s'appliquerait à 50 000 entreprises, et descendrait au niveau des PME ou d'entreprises intermédiaires. Je suis réticent vis-à-vis de cette recommandation. Pour l'État, les OAT permettent effectivement de diminuer les coûts et de rendre compétitive la place financière de Paris. Mais prendre des décisions unilatéralement pourrait avoir des conséquences pour les entreprises.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Je ne suis pas un ayatollah vert, cela se saurait !

Oui, il y a bien une différence entre grandes et petites entreprises. Mais c'est la banque qui prête de l'argent aux gros comme aux petits. Comme la banque serait tenue de préciser les investissements verts qu'elle a réalisés, les petits pourraient aussi bénéficier de ces investissements.

Pour pouvoir se financer, les États ont eux aussi un intérêt à proposer des OAT vertes. Soit les États et les banques démontrent que leurs investissements sont verts, soit ils payent plus cher : voilà la vérité qui est en train de se mettre en place, avec ou sans nous.

J'ai entendu les critiques et les points d'alerte sur la double comptabilité carbone. La Banque centrale européenne (BCE) a indiqué en début de semaine qu'elle tiendra compte, à partir de l'automne prochain, du changement climatique dans ses achats d'obligations d'entreprise, puis dans son dispositif de garantie et dans ses exigences de déclaration et de transparence en matière climatique applicables aux garanties reçues lors de ses opérations de crédits.

Nous pouvons tous nous mettre la tête dans le sac, et dire que cela coûte trop cher ou que c'est trop contraignant. Mais alors que nous étions en avance sur ce sujet, nous risquerions de voir l'Union européenne nous imposer des critères beaucoup plus sévères !

Si nous ne sommes pas les premiers à aller vers des comptabilités vertes certifiées et à montrer que cela marche, nous serons forcés soit de le faire - avec l'imposition à terme d'exigences européennes très élevées et qui mettront un coup de massue aux entreprises européennes et au système bancaire européen - soit de laisser la place aux standards américains qui nous dépasseront. Ces standards permettront bien de faire du vert, mais je crains que ce ne soit davantage des billets verts que des projets écologiques.

Il y a des injonctions paradoxales dans l'écologie. Nous sommes en pleine contradiction : tous les pays se sont engagés sur des objectifs climatiques dans le cadre de l'Accord de Paris et des conférences de parties (COP) mais, en vérité, nous ne mettons rien en place, et nous nous exposons à des condamnations coûteuses. Nous avons peut-être signé ces engagements trop vite, en choisissant des dates que nous ne sommes pas capables de tenir, et cela nous pose problème aujourd'hui.

Je suis tout à fait ouvert à l'idée de modifier certaines recommandations en enlevant, par exemple, des dates qui ne doivent pas être considérées comme des impératifs.

À combien s'élève la prime verte perçue sur les OAT vertes par rapport aux OAT « conventionnelles » ? L'Agence France Trésor nous a indiqué que la « prime » verte était de l'ordre de deux à trois points de base, ce qui n'est pas négligeable au regard du volume de notre dette. J'ai bien sûr en tête le fait qu'il faille décompter, pour obtenir l'avantage net, le coût de la certification et du cadre mis en place par la France pour ses OAT vertes. Il est par ailleurs tout aussi important de proposer des titres diversifiés. Tous les moyens sont bons pour assurer la qualité de la dette et trouver des astuces pour ne pas qu'elle nous coûte trop chère !

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'efficience de la finance verte. Elle est certaine, mais des progrès peuvent encore être accomplis pour l'encadrer et minimiser le risque d'écoblanchiment. Reprenons l'exemple des SLB, ces obligations par lesquelles les émetteurs s'engagent sur des cibles de performance en matière environnementale ou sociale. Certains groupes ont choisi d'émettre des SLB sur des maturités très courtes, de trois ans par exemple, alors même que cela ne semble pas être l'horizon temporel d'une transition. Ils s'engagent en réalité sur des objectifs qu'ils sont sûrs d'atteindre ou qui sont déjà quasiment atteints, pour payer moins cher leurs titres. Nous devons mieux encadrer ces produits.

Là est bien le sujet : si nous ne définissons pas les standards du vert, les grands groupes et les grands pétroliers expliqueront faire du vert alors que rien n'aura finalement été fait pour lutter contre le réchauffement climatique. On peut choisir de se mentir, ce n'est pas mon choix. Il faudra certes plus de temps et de remontées d'informations pour évaluer les choses, mais on le saurait si la transition pouvait prendre cinq ans !

On retrouve cet enjeu des standards et des normes sur la double comptabilité carbone. La Société du Grand Paris émet des obligations vertes. Mais comment faire sans standard ? Les tunneliers qui creusent les nouvelles lignes de métro ne sont pas forcément électriques, et fonctionnent peut-être avec des énergies fossiles. Mais leur efficacité est certaine : ils limiteront à terme les émissions de carbone en permettant un report des voyageurs de la voiture vers les transports collectifs.

Tout l'intérêt de la double matérialité par rapport à la simple matérialité réside bien dans cette capacité, et cet impératif, de pouvoir mesurer les conséquences des activités des acteurs sur la société. Si l'on ne choisit pas cette norme, on pourra appeler vert tout ce qu'on veut, sans vraiment tenir compte de l'impact des produits, des actifs ou des activités dits « verts ».

Il faut être honnête sur ce sujet : soit on mesure vraiment, soit on dit qu'on ne sait pas le faire, et qu'il nous faut davantage de temps pour établir ces critères.

Certes, monsieur de Montgolfier, cela signifie plus de normes, mais passer à une comptabilité carbone est la seule façon d'objectiver l'affaire. Tout le reste n'est que littérature... C'est vrai, les échéances que je propose sont sans doute trop proches ; c'était une forme de provocation destinée à susciter des réactions. Mais, je le répète, sans comptabilité carbone, toutes les déclarations ne sont que du mensonge, nous nous mentons à nous-mêmes, à tous les échelons. Pour assurer la transition écologique, il faut des bilans complets, respectant les scopes d'émissions 1, 2 et 3, ainsi que la double matérialité.

Vous déplorez, monsieur Requier, que l'on « ajoute de la réglementation à la réglementation » ; c'est exact, mais c'est parce que nous ne sommes pas cohérents dans nos réglementations. Je le regrette autant que vous. C'est uniquement parce qu'on ne fait rien et que tout le monde prétend verdir son activité pour payer moins cher que nous sommes obligés de distinguer clairement ce qui est vert de ce qui ne l'est pas.

Cela étant dit, je suis prêt à discuter pour modifier les trois recommandations qui ont suscité des difficultés.

Mme Christine Lavarde. - Je me fais la porte-parole du groupe Les Républicains pour demander que le vote n'ait lieu que dans une semaine, afin de nous laisser le temps de lire cette communication, qui est extrêmement complexe. Nous ne sommes pas sûrs d'avoir compris l'intégralité des enjeux et nous avons des difficultés à l'égard de certaines recommandations.

Cela permettra d'obtenir un consensus sur ces questions.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Je suis tout à fait d'accord.

M. Claude Raynal, président. - Le rapporteur y étant favorable, j'accède à votre demande, ma chère collègue. Nous aurons d'ici là une proposition du rapporteur pour modifier ou préciser certaines recommandations.

M. Jérôme Bascher, rapporteur spécial. - Je transmettrai ces éléments en amont de notre réunion de commission.

Rapport annuel 2021 de l'AMF - Audition de M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF)

M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour la traditionnelle présentation de son rapport annuel d'activité.

Cette présentation s'inscrit toutefois dans un contexte particulier, puisque votre mandat non renouvelable de cinq ans à la tête de l'AMF, monsieur le président, arrive à échéance à la fin de ce mois. Je voulais vous dire à cette occasion tout le plaisir que notre commission aura eu à travailler avec vous et vos équipes pendant votre mandat.

Cette audition sera donc aussi l'occasion de faire un bilan de ces cinq dernières années. Si l'AMF a vu ses compétences s'accroître sur cette période, elle se trouve également confrontée à de nouveaux risques pour la stabilité des marchés financiers et pour la protection des épargnants. Il y a bien sûr eu la crise sanitaire et la récession économique qu'elle a provoquée, malgré les dispositifs de soutien ; il y a désormais le défi posé par l'inflation ainsi que les conséquences de la guerre en Ukraine et des déséquilibres géopolitiques.

Lors de votre audition devant notre commission au mois de juillet 2017, vous aviez déjà déclaré que le système financier s'apprêtait à connaître de profondes évolutions et qu'il serait très différent en 2022 de ce qu'il était cinq ans plus tôt ; c'est ce qui s'appelle avoir une certaine vision de l'avenir... Vous pourrez sans doute nous présenter les évolutions qui vous semblent les plus significatives.

M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers. - Je vous remercie de consacrer du temps à l'AMF lors de cette journée chargée pour la représentation nationale.

Cette audition, qui coïncide en effet avec la fin de mon mandat à la tête de l'AMF, sera l'occasion de rendre compte de l'activité de cette institution au cours de l'an passé, mais également de faire un rapide bilan des cinq dernières années et d'évoquer les défis actuels.

Voilà cinq ans, lorsque votre commission m'avait fait l'honneur de soutenir ma nomination au poste de président, j'avais présenté quelques priorités pour mon mandat, mais j'avais indiqué que, en tout état de cause, le système financier serait probablement, en 2022, très différent de celui que nous connaissions à l'époque. Les missions de l'AMF sont fixées par la loi, mais on peut les résumer en deux idées : protection de l'épargne et des investisseurs, d'une part, et financement de l'économie par les marchés, de l'autre.

J'avais quatre priorités au moment de ma nomination.

Premièrement, l'intégration européenne, parce que le bassin européen d'épargne est sans pareil, mais qu'il est fragmenté et mal utilisé. L'union des marchés de capitaux ne doit pas rester un concept vague faisant l'objet d'un soutien général mais souvent hypocrite ; elle doit s'incarner dans des projets concrets au bénéfice des épargnants, des entreprises et des intermédiaires financiers.

Deuxièmement, la finance durable, car le financement de la transition vers une économie plus respectueuse de notre environnement, compatible avec l'accord de Paris sur les objectifs de limitation du réchauffement climatique, est le défi de notre temps. Si la finance ne fait pas partie des solutions, cela signifie qu'elle fait partie du problème, de même que ses régulateurs.

Troisièmement, la digitalisation de la finance, car le régulateur doit anticiper et accompagner cette évolution inévitable, afin qu'elle soit facteur d'amélioration et de réduction des coûts des services financiers.

Quatrièmement, enfin, la transformation de l'AMF, rendue inévitable par ces évolutions, qui exigent le développement de nouvelles expertises pour accomplir nos missions, conformément aux orientations stratégiques que je viens de rappeler, afin d'optimiser l'utilisation de ressources financières très contraintes.

Aucun de ces chantiers n'est vraiment achevé, mais ces priorités nous ont guidés au cours des cinq dernières années, durant lesquelles nous avons subi trois chocs majeurs : le Brexit, la pandémie de covid-19 et l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Je serai bref sur les deux premiers, puisque nous avons eu l'occasion de les évoquer en détail lors d'auditions précédentes, et un peu plus long sur le dernier, qui n'est à l'évidence ni achevé ni totalement surmonté.

En juillet 2017, le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne était déjà intervenu - il date de 2016 -, mais la sortie date juridiquement du 31 janvier 2020 et, compte tenu de la période transitoire, elle n'a été effective qu'au 1er janvier 2021. Le Royaume-Uni est alors devenu un pays tiers et il a fallu en tirer toutes les conséquences, du point de vue tant réglementaire qu'opérationnel. En l'absence d'une décision d'équivalence de la Commission européenne - il n'y en a qu'une, temporaire de surcroît, relative aux chambres de compensation -, les établissements qui opéraient dans l'Union à partir du Royaume-Uni ont dû relocaliser leurs activités au sein de l'UE. Nombre d'entre eux l'ont fait à Paris, notamment pour les opérations de marché, mais nous ne sommes pas au bout du processus : les réglementations évoluent tant au Royaume-Uni que dans l'Union et, au sein de celle-ci, la localisation des effectifs n'est jamais définitive.

En mars 2020, la pandémie et le confinement qui l'a accompagnée n'étaient absolument pas anticipés. Le blocage de larges pans de nos économies et les incertitudes sur l'ampleur et la durée de la crise se sont traduits par une recherche massive de liquidité et une chute historique des valorisations. Cela a notamment mis en évidence les fragilités des fonds ouverts et en particulier des fonds monétaires en période de crise intense. Nous travaillons, à l'échelon tant international que national, au renforcement de la capacité de ces fonds à passer ces crises sans soutien public. Le confinement a également conduit à revisiter l'exercice de la démocratie actionnariale en assemblée générale. Toutes les leçons, notamment pour la tenue d'assemblées en mode hybride, le dépôt des résolutions ou le vote à distance, n'ont sans doute pas encore été tirées. Nous l'avons évoqué dans nos rapports annuels sur la gouvernance des sociétés cotées ; je vous renvoie également au rapport du Haut Comité juridique de la place financière de Paris (HCJP) qui vient d'être rendu public en début de semaine.

J'en viens désormais à la crise russe. L'année 2021 avait été à l'évidence une année d'exubérance sur les marchés financiers, dans un environnement de forte reprise économique, alimentant des pressions inflationnistes jugées alors transitoires par les banques centrales, lesquelles maintenaient leurs politiques monétaires très accommodantes. Les valorisations de la plupart des actifs ont fortement progressé et l'ensemble des marchés ont été très actifs, avec, en particulier, un nombre exceptionnellement élevé d'introductions en Bourse, partout dans le monde, mais spécialement en France.

Il serait bien trop facile de qualifier rétroactivement cette exubérance d'irrationnelle, puisque c'est bien un phénomène totalement extérieur - l'invasion de l'Ukraine par la Russie - qui a marqué la fin de cette période exceptionnellement favorable et qui a déclenché un changement profond de paradigme. La période d'inflation basse et de taux d'intérêt négatifs est révolue ; le monde se fragmente et cela affecte de façon très différenciée les différentes économies nationales et les différents secteurs économiques.

Le premier signal de ce changement de paradigme a été envoyé par les marchés de matières premières. Le bon fonctionnement de ces marchés constitue une responsabilité importante de l'AMF. Les prix des matières premières se forment non pas sur les marchés physiques, au comptant, mais sur les marchés dérivés, avec des contrats qui permettent avant tout aux producteurs et aux transformateurs-distributeurs de limiter les aléas pesant sur les prix futurs de vente de leur production pour les premiers et d'achat de leur approvisionnement pour les seconds. C'est sur ces marchés dérivés, en principe liquides, car ils permettent la rencontre d'une multitude d'acheteurs et de vendeurs financiers et non financiers, que se forment les prix. Ces marchés, dans leurs différentes composantes - plateformes, chambres de compensation ou transactions réalisées de gré à gré -, sont tous placés sous la responsabilité des superviseurs de marché.

Nous avons aujourd'hui en France un marché sensible pour tous : le marché européen du blé, avec la plateforme de négociation placée au sein d'Euronext Paris - c'est le marché à terme international de France (Matif) -, avec la compensation centrale qui y est associée - London Clearing House (LCH) SA - et l'entreposage sur 6 sites en France pour les livraisons physiques.

La guerre a eu deux conséquences immédiates : elle a engendré une situation de crise sur certains marchés et la hausse des prix de la quasi-totalité des produits. Cette situation de crise a culminé au cours de la première quinzaine de mars dernier, tout particulièrement le 7 mars. Ce jour-là, le contrat européen de gaz TTF - Title Transfer Facility - prompt future, basé à Amsterdam, au sein de ICE Europe, est passé, en quatre-vingt-dix minutes, de 200 à 345 euros le mégawattheure ; ce prix avoisinait, au cours des années précédentes, 25 euros. Aujourd'hui, il se situe autour de 170 euros, en baisse ce matin, depuis que la Norvège a annoncé qu'elle ne fermerait pas son activité malgré les grèves.

Toujours le 7 mars, le prix du blé a atteint, à Euronext, 450 euros la tonne, contre 270 euros en février, alors qu'il se situait plutôt autour de 200 euros au cours des dernières années. Aujourd'hui ce prix est autour de 330 euros.

La même date, le nickel, qui s'échangeait à 20 000 dollars la tonne en début d'année sur le LME - London Metal Exchange -, le marché mondial du métal, a atteint 100 000 dollars. Un gros producteur chinois, qui avait une importante position vendeuse sur le LME et de gré à gré avec des établissements financiers - over the counter (OTC) -, ne pouvant faire face à ses appels de marge, le marché s'est arrêté, les transactions du jour ont été annulées et le marché n'a rouvert qu'une semaine plus tard.

Au-delà de l'impact inflationniste de ces évolutions, cela a mis en évidence un problème inédit et quasi existentiel pour ces marchés : l'ampleur des appels de marge qui accompagnent ces variations de prix. Les appels de marge permettent d'assurer la robustesse des marchés, mais ils peuvent être très difficiles à constituer, notamment pour les acteurs non bancaires, qui forment une partie très importante et même le coeur du marché des matières premières. Cela peut entraîner des défauts ; cela peut engendrer un transfert des opérations de marché, compensées, vers des transactions bilatérales, non compensées mais présentant un risque de crédit plus grand ; et cela peut même conduire à l'abandon pur et simple des opérations de couverture. Ces trois évolutions potentielles seraient toutes désastreuses pour le fonctionnement de nos économies.

Le marché du blé a traversé ces moments difficiles sans drame, mais ne pensons pas que la crise soit passée. Les prix ne sont pas revenus à leur niveau antérieur et, par exemple, les incertitudes sur l'alimentation en gaz russe peuvent à tout moment aggraver la crise sur ce marché. En Europe, sur le marché du gaz, quand on conclut un contrat, la marge initiale à constituer pour se couvrir égale le prix du contrat, ce qui représente des montants considérables, donc des besoins de liquidités très élevés. En tout état de cause, la communauté des superviseurs se penche sur le fonctionnement de ces marchés pour déterminer les évolutions qui permettraient d'en renforcer la robustesse, à l'échelon européen et mondial.

Je le disais, la période de faible inflation et de taux bas est révolue. Les tensions inflationnistes du second semestre 2021 correspondaient à un choc de demande, avec la forte reprise économique ; nous connaissons désormais un choc d'offre, qui trouve sa source dans les pénuries de matières premières liées à la guerre en Ukraine, dans la persistance des problèmes sanitaires et dans les pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs.

La dépendance des différents secteurs et des différents pays aux matières premières dont le prix augmente fortement n'est pas homogène ; de même, les situations de départ et les réponses des politiques publiques sont différentes. Tout cela accroît l'hétérogénéité et la fragmentation entre pays émergents et pays développés, mais également au sein de ces deux catégories de pays. Il suffit de comparer les rythmes actuels d'inflation pour s'en rendre compte : l'indice harmonisé des prix est de 6,5 % en France, de 9 % dans le reste de la zone euro, de 20 % dans les pays baltes et de 10 % aux Pays-Bas.

Au-delà de ces différences, la tendance à une inflation forte est irrépressible et les politiques monétaires deviennent beaucoup moins accommodantes. Les taux d'intérêt augmentent et les achats de titres sur le marché par les banques centrales, qui ont peu ou prou financé les déficits publics nés de la crise covid ainsi qu'une partie significative des besoins de financement des grandes entreprises, s'arrêtent, en attendant peut-être une décrue des portefeuilles. La capacité des acteurs économiques à répercuter sur leurs prix de vente la hausse des coûts est variable, de même que la capacité des salariés à obtenir une hausse de leur rémunération pour limiter leurs pertes de pouvoir d'achat.

La conjonction de l'ensemble de ces facteurs fragilise la solvabilité de certains acteurs économiques et suscite des craintes sur la croissance au-delà de l'effet d'acquis engrangés en fin d'année 2021. Dans un tel environnement, il est normal d'observer une forte baisse des valorisations et une réapparition de primes de risque différenciées, tant pour les titres de dette que pour les actions. En effet, on actualise, à un taux plus élevé, des flux de résultats plus faibles. En outre, les risques de défaut augmentent, avec l'idée que les banques centrales n'interviendront pas comme elles l'ont fait dans le passé et que les gouvernements n'ont plus la capacité de le faire aussi massivement.

Dans ce contexte, les marchés financiers vont-ils continuer de financer l'économie ? Cette question reste ouverte. Ils ont apporté une contribution très significative au financement de l'économie, tant en 2020, sur le marché obligataire, qu'en 2021, sur le marché des fonds propres, avec le nombre exceptionnellement élevé d'introductions en bourse. Quelque 4 milliards d'euros ont en effet été collectés à cette occasion, mais des entreprises déjà cotées ont également levé des fonds, à hauteur de plus de 8 milliards d'euros ; enfin, les entreprises non cotées ont fait une collecte brute de 42 milliards d'euros.

En ce début d'année 2022, on observe une reprise du financement via l'endettement bancaire et une absence de contribution nette de l'endettement de marché, dont le coût a singulièrement augmenté pour les entreprises, surtout les bien moins notées. Nous avons donc devant nous un problème de financement de l'économie.

Je reviens, pour finir, à mes priorités de 2017.

Pour ce qui concerne la finance durable, elle a pris son essor, mais dans un cadre qui reste largement à préciser. La mobilisation de la finance en faveur d'activités économiques durables est générale mais ne se met pas encore en place de manière très structurée. Les initiatives sont foisonnantes et les institutions financières sont très actives, alors que l'information à fournir par les entreprises n'est pas encore standardisée.

Ainsi, la future directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), sur laquelle un accord vient d'être obtenu en trilogue, doit encore être mise en place, avec tout ce que cela implique au niveau de la réglementation. Les travaux engagés sous l'égide de la Fondation IFRS - International Financial Reporting Standards - pour définir des standards mondiaux devant être cohérents avec les standards européens ne sont pas encore achevés et on ne sait pas s'ils seront adoptés par des territoires aussi importants que les États-Unis ou le Japon. Par ailleurs, les nombreux prestataires de services qui proposent des notations en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ne sont pas régulés. Enfin, le positionnement des produits d'investissement en fonction du niveau d'information demandé, qui résulte du règlement Sustainable Finance Disclosure (SFDR), est souvent interprété à tort comme un label, d'où une confusion très préjudiciable à la crédibilité du processus.

Dans ce contexte, l'AMF reste résolument engagée aux côtés de la place en faveur d'une approche exigeante, que nous déclinons dans notre doctrine, dans nos rapports et dans nos contrôles. En 2021, nous avons ainsi actualisé notre doctrine pour la commercialisation de fonds mettant en avant des critères extra-financiers et avons annoncé, dans le cadre des priorités de supervision de 2022, des contrôles « spot » sur le respect des engagements. Ces contrôles sont en cours.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'AMF ont conduit une revue des engagements du secteur financier, avec un focus sur les énergies fossiles. L'AMF a également analysé les engagements de neutralité carbone repris dans les déclarations de performance extra-financière (DPEF) de sociétés cotées et a présenté les enjeux de la neutralité carbone des entreprises, au travers d'un rapport de la commission climat-finance durable. Nous avons en outre activé la certification professionnelle « finance durable », en habilitant six organismes à procéder à cette certification. Nous avons enfin développé une communication pédagogique pour les épargnants sur la finance durable et nous avons accordé nos premiers visas sur les sustainability linked bonds : depuis mai 2021, treize prospectus d'entités non financières ont ainsi été visés par l'AMF pour émettre de telles obligations, dont l'encours s'élève aujourd'hui à environ 25 milliards d'euros.

Par ailleurs, la finance durable peine à trouver un bon encadrement. Le régime européen, qui va permettre d'expérimenter des infrastructures de marché utilisant les registres distribués, a été finalisé, avec des projets qui pourront être agréés à partir du premier trimestre. La finalisation du cadre réglementaire européen dans lequel devront s'intégrer les autres cryptoactifs, c'est-à-dire le règlement MiCA, règlement européen portant sur les cryptoactifs, vient de faire l'objet d'un accord en trilogue le 30 juin, dernier jour de la présidence française de l'Union européenne, mais il faut avoir en tête que cela ne s'appliquera que dix-huit mois après l'adoption définitive et la parution au Journal officiel de l'Union européenne et qu'une phase transitoire de dix-huit mois supplémentaires a été prévue pour les régimes nationaux. Je juge nécessaire d'accélérer le processus, et, s'agissant du régime français, je pense qu'il est temps de passer du simple enregistrement - nous avons déjà actuellement plus de quarante prestataires qui ont été enregistrés par l'AMF -, à l'agrément, qui renforce l'encadrement et la sécurité des acteurs.

La digitalisation va bien au-delà des cryptoactifs : elle se diffuse dans la commercialisation auprès des particuliers de tous les produits financiers. C'est le fondement du marché unique, de la libre prestation de services financiers. Ainsi, on ne demande pas l'établissement d'une succursale dans un pays pour commercialiser ses produits. Cela signifie que la commercialisation transfrontière des produits financiers progresse rapidement. Or ce mode de régulation de ces services transfrontaliers s'appuie quasi exclusivement sur le cadre réglementaire du pays de localisation du prestataire et donc l'autorité de supervision locale. Cela n'est pas satisfaisant en l'état. Les autorités des pays où les services sont proposés, la France, par exemple, sont quasiment aveugles. Nous ne savons pas quels services sont effectivement proposés et cela encourage la délocalisation dans les pays où la régulation est la plus allégée. In fine, cela limite singulièrement la capacité des particuliers à faire valoir leurs droits, puisque ce sont les dispositifs de médiation de recours du pays d'origine qui s'appliquent. Il y a là les ingrédients d'une remise en cause fondamentale de ce principe de libre prestation de services, qui est le coeur de l'Union, et, pour le préserver, il faut absolument renforcer à la fois le rôle de l'Autorité européenne des marchés (ESMA - European Securities and Markets Authority) et celui des autorités des pays hôtes. On avait l'habitude d'être un pays exportant ses produits, et nous découvrons que nous sommes aussi un pays hôte dépendant d'une autorité tierce.

Nous arrivons au terme de notre plan stratégique. La mutation est bien avancée, mais elle n'est pas totalement achevée. L'intégration de la digitalisation et l'usage généralisé des données dont nous disposons ont progressé, mais beaucoup reste à faire dans l'analyse et la surveillance des marchés.

Nous travaillons à une politique de mise à disposition en open data de nos données. Nous en sommes aux débuts avec les autorisations de vente à découvert.

Dans le cadre de notre politique de protection des consommateurs, nous travaillons à améliorer notre surveillance des réseaux sociaux afin d'assurer une détection la plus précoce possible des arnaques. L'intégration de cette surveillance dans un cadre juridique solide est à l'étude.

Nos modes de travail et de management des équipes se modifient aussi en profondeur. Nous réduisons et repensons nos surfaces de bureaux pour travailler en flex office. Ces évolutions s'inscrivent dans le cadre d'une gestion économe des deniers publics. Pour autant, comme le montrent les comparaisons avec nos homologues au niveau européen, nous avons des moyens très limités. Aussi, j'attire l'attention de la commission sur la fragilité de nos équilibres financiers. Sans un renforcement significatif de nos moyens, l'AMF ne pourra plus assumer ses missions qui s'élargissent et se complexifient, notamment avec le MiCA. L'AMF est dans la situation assez paradoxale de collecter des contributions de ses assujettis, qui sont en partie reversées au budget de l'État. Ainsi, depuis 2015, l'AMF a contribué à hauteur de 125 millions d'euros au budget de l'État.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'associe à l'hommage que le président Raynal vous a rendu, à l'issue de votre quinquennat non renouvelable à la tête de l'AMF. Vous avez su nouer de solides relations avec les parlementaires et plus particulièrement avec notre commission.

J'ai quatre questions. Au début de votre mandat, vous aviez fait part de votre souhait que l'AMF et que les marchés financiers soient véritablement au service du financement de l'économie réelle. Estimez-vous que c'est le cas aujourd'hui ?

S'agissant du statut novateur porté par le règlement MiCA et par rapport à ce que vous avez indiqué dans votre propos introductif, pouvez-vous nous rappeler pourquoi vous estimez que l'enregistrement des prestataires n'est pas suffisant ?

Vous avez également évoqué l'encadrement des produits financiers et nous avons eu à plusieurs reprises l'occasion d'échanger avec vous sur les frais de ces produits, et, notamment, sur l'interdiction des commissions de mouvement. Vous savez que c'est un sujet qui nous tient à coeur avec mon collègue Albéric de Montgolfier, et sur lequel nous avons fait plusieurs recommandations. Quelles autres mesures sont envisageables à cet égard, notamment sur le plan européen ?

Enfin, l'AMF a déclaré conformes, en 2021, 43 offres publiques ouvertes. L'une d'elles a fait l'objet d'une attention médiatique particulière, je veux parler de l'offre de Veolia sur Suez. Une annexe lui est d'ailleurs consacrée dans votre rapport annuel d'activité. Quel est le rôle exact de l'AMF dans ce type d'opération ?

M. Robert Ophèle. - Le soutien de l'économie réelle est dans notre ADN. Il se divise en deux branches : le financement de l'économie proprement dit et la protection des investisseurs.

Sur ces cinq dernières années, j'ai le sentiment que beaucoup de choses ont progressé, autour de l'épargne salariale notamment. L'assurance vie en unités de compte est devenue le mode prépondérant d'orientation des nouveaux flux. Nous avons vu arriver beaucoup de nouveaux investisseurs, notamment des jeunes.

En période d'inflation forte, le placement le plus sécurisé sur le long terme est le placement dans l'économie réelle directement, pour peu qu'il soit bien géré dans le temps. Notre pays en a vraiment besoin actuellement pour le financement de la transition écologique.

La seconde branche de notre ADN, c'est la protection des investisseurs et des épargnants. À cette fin, nous avons besoin de transparence, avec une information qui soit accessible, utile. Il n'y a pas forcément besoin de documents touffus de cinquante pages. La transparence sur les frais fait évidemment partie de cette information nécessaire.

Les sociétés de gestion sont en train d'adapter leurs modèles de frais et nous les accompagnons dans ce mouvement. Nous leur demandons d'être plus transparentes sur leur frais et sur leur performance, nous développons des doctrines et des lignes directrices à cet effet. Par exemple, quand elles commercialisent des produits sur des fonds actifs, elles doivent vérifier que les frais ne sont pas disproportionnés par rapport aux performances attendues. Sinon, autant aller sur des fonds passifs. Nous regardons aussi de près ce qui se passe dans les autres pays européens, puisque l'une des difficultés majeures réside dans le fait que, dans chaque pays, chaque type de société de gestion a développé sa propre approche de facturation des frais.

Vous avez évoqué la loi Pacte. La France a été précurseur dans l'encadrement des prestataires de services sur actifs numériques, en se montrant prudente avec la mise en place d'un enregistrement. Cette procédure est un prérequis pour identifier les prestataires, souvent étrangers, et les localiser dans la zone de responsabilité de l'AMF. Au passage, on vérifie que les dispositifs de lutte antiblanchiment sont effectivement mis en place. À mon sens, ce n'est pas suffisant et il faut aller plus loin, avec un agrément. C'est ce qui est prévu dans le règlement MiCA, mais il faut aller plus vite. L'horizon à environ quarante mois est beaucoup trop lointain.

Il y a deux idées fortes dans MiCA : on encadre les prestataires de services et on encadre les stablecoins. Le terme lui-même de stablecoin est problématique : il y a une promesse sur ce qu'il y a derrière, comme pour le vert. Or, on ne devrait pas pouvoir faire cette promesse en dehors d'une réglementation qui s'assure qu'il y a une véritable stabilité derrière. Les stablecoins n'existaient pas quand on a travaillé sur la loi Pacte, il n'en existe encore que très peu en euros.

Enfin, vous m'interrogez sur le dossier Veolia-Suez. Vous devez savoir que l'AMF est considérée comme une autorité vraiment indépendante pour 94 % de nos parties prenantes, selon une enquête que nous avons fait réaliser. Et cela s'est vérifié dans ce dossier, dans lequel on a préservé et défendu le collectif du Collège. Quand on travaille sur des dossiers aussi sensibles, il est important de rappeler que les décisions prises ne sont pas celles du président, ce sont celles du Collège. Quand le dossier a été complètement achevé, nous avons souhaité en rendre compte dans un document annexe à notre rapport annuel d'activité 2021, pour expliquer notre logique et répondre aux questions soulevées dans le cadre de cette affaire.

M. Hervé Maurey. - Je fais partie de ceux qui pensent que les autorités indépendantes sont pour la plupart très utiles, et que leur indépendance est garantie par la nomination d'un président véritablement indépendant, avec une liberté d'esprit et d'action par rapport à ceux qui l'ont nommé.

Vous avez émis des réserves sur la finance verte, en soulignant qu'il était très difficile de contrôler les objectifs affichés. Est-ce que le cadre législatif français est suffisant et adapté et disposez-vous de pouvoirs suffisants en la matière ?

Par ailleurs, après le covid, il y a eu beaucoup de nouveaux entrants en bourse, sur les marchés financiers. Le reflux actuel de la valorisation des actifs financiers a-t-il eu un impact sur cette dynamique ? Ces nouveaux entrants risquent-ils de se tourner vers d'autres produits financiers ?

Enfin, la presse a beaucoup parlé des frais bancaires appliqués aux comptes des personnes décédées, un sujet sur lequel j'ai déposé une proposition de loi. Quel est votre regard sur cette problématique ?

M. Éric Bocquet. - J'ai lu dans votre rapport 2021 que le nombre de sanctions disciplinaires prononcées était en hausse constante sur ces cinq dernières années. Comment l'expliquez-vous ? Est-ce qu'il y a plus de cas ou avez-vous sévi davantage ?

Les prestataires financiers au sein de l'Union européenne peuvent opérer depuis n'importe quel pays membre de l'Union européenne, en choisissant plutôt les pays dans lesquels la réglementation est plus clémente. Avez-vous des échanges avec les autorités de régulation de ces pays ? Ce sujet est-il par ailleurs appréhendé au niveau européen, pour procéder à une harmonisation des règles et des sanctions ?

M. Michel Canévet. - Vous avez évoqué les moyens de l'Autorité des marchés financiers. Rencontrez-vous des difficultés pour recruter et quel regard portez-vous sur votre taux de rotation de personnel, de l'ordre de 10 % par an ?

Par ailleurs, s'agissant des cryptomonnaies, quel est, selon vous, le bon niveau de régulation s'agissant par définition d'instruments internationaux ?

Enfin, dans le contexte économique et inflationniste actuel, constatez-vous une forte spéculation sur les marchés de matières premières ?

M. Vincent Segouin. - Les détenteurs d'assurances vie en unités de compte sont victimes de la chute boursière depuis quelque temps. Ils ont le sentiment d'être toujours la variable d'ajustement des bénéfices mais aussi des pertes et pourraient vouloir davantage se tourner vers les obligations et les fonds euros. Sommes-nous maîtres de la valorisation de nos entreprises ou sommes-nous dépendants des marchés mondiaux, quitte à sous-estimer la valeur de nos entreprises ?

M. Albéric de Montgolfier. - Comme notre rapporteur général, je tiens à souligner l'excellent travail que nous menons en concertation avec l'AMF, notamment pour améliorer la législation en matière de protection des épargnants : certaines de nos propositions ont été inscrites dans le droit positif. Je pense à l'interdiction de produits financiers exotiques ou aux restrictions apportées à leur commercialisation. Aujourd'hui, au vu de la multiplicité des circuits de diffusion, certains nouveaux produits vous paraissent-ils insuffisamment réglementés ? Existe-t-il encore des zones d'ombre qui pourraient constituer de grands dangers pour la protection des épargnants ?

M. Jérôme Bascher. - Je vous remercie monsieur le Président de m'avoir convaincu de la nécessité d'encadrer ce qu'on appelle la « finance verte ».

Je m'interroge également sur la libre localisation des activités financières au sein de l'Union européenne. Nous nous vantons de lutter contre la fraude, mais il y a là un lieu potentiel de fraude ou du moins de pertes importantes pour l'État. Quelles initiatives peut-on prendre pour lutter contre ce phénomène ?

M. Claude Raynal, président. - Vous aviez évoqué à plusieurs reprises certaines questions liées au Brexit ; et notamment celle de la crainte d'une concurrence réglementaire entre les places européennes et britannique. Ce risque est-il encore avéré ?

Des questions se sont posées autour des assemblées générales de certaines entreprises, comme Shell et TotalEnergies récemment, qui ont demandé à leurs actionnaires de valider leur stratégie climat, par le biais d'une résolution soumise au vote lors de l'assemblée générale. Or, l'adoption de ces stratégies est parfois mouvementée, certains actionnaires ayant souhaité inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée générale une « contre-résolution » climatique, inscription refusée par le conseil d'administration. L'AMF, saisie par certains de ces actionnaires, s'est déclarée incompétente à statuer sur ce conflit. Estimez-vous qu'une clarification législative est nécessaire et que l'AMF devrait pouvoir se prononcer sur l'inscription de certaines résolutions à l'ordre du jour des assemblées générales d'actionnaires ?

M. Robert Ophèle. - Concernant la libre prestation de service et la localisation des prestataires financiers, selon moi, la réponse devrait être aussi simple que pour le système bancaire et les banques exerçant des activités transfrontières : quand une large partie de l'activité d'un prestataire s'exerce dans un autre pays de l'Union que celui où il est localisé, la surveillance de son activité ne devrait pas être assurée intégralement par le régulateur national : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) doit jouer un rôle de supervision, en s'appuyant sur les autorités locales. Malheureusement, personne n'en veut, à part nous ! Si ce n'est pas possible, il faut faire autre chose, toujours dans le cadre européen : d'une part, l'ESMA assure une revue par les pairs d'un certain nombre de prestataires - son rapport public s'est avéré assez dévastateur pour le régulateur d'un État membre et une demande de mise à niveau de l'outil de supervision locale a été formulée - ; d'autre part, et c'est un axe sur lequel nous travaillons encore, il faut améliorer le partage d'informations et d'indicateurs, de manière à connaître l'activité en France de tel ou tel prestataire localisé ailleurs dans l'Union, ce qui est impossible aujourd'hui. L'autorité locale devrait transmettre ces indicateurs à chacun des pays concernés. Pourquoi l'absence de ces données est-elle problématique ? Parce qu'aujourd'hui, nous recevons des réclamations auxquelles nous sommes incapables de répondre ! Nous sommes obligés de renvoyer leurs auteurs à l'autorité de supervision locale, au médiateur et aux juridictions du pays de localisation. On avance lentement dans ce domaine, mais on avance tout de même.

Dans le domaine de la finance verte, la France est aux avant-postes, notre législation est très en avance par rapport à nos voisins, voire presque trop en avance. Cela peut certes poser des problèmes mais c'est aussi bien ainsi : c'est parce que certains sont en avance que le reste avance aussi. Autrement, si personne ne prend des initiatives, on est sûr qu'il ne se passera à rien.

Mon souci aujourd'hui, c'est que l'on a commencé par la fin pour construire le cadre européen. Pour être sérieux dans un tel domaine, il faut d'abord disposer d'informations fiables de la part des opérateurs, des émetteurs et des entreprises. C'est seulement sur cette base-là que l'on pourra construire quelque chose de solide. Or, on a un peu fait l'inverse en disant qu'il fallait faire du vert, sans se poser la question de ce qu'était le vert et des informations disponibles. Chacun fait donc ce qu'il peut.

On va y arriver, mais cela requiert un cadre non seulement européen, mais même mondial. Un gros point d'interrogation demeure quant à la position des États-Unis en la matière : notre homologue, la Securities and Exchange Commission (SEC) a reçu de nombreuses réponses négatives à ses propositions, qui disaient que cela coûterait trop cher, alors même que certaines entreprises se montrent plutôt allantes sur le sujet.

Plus largement, on manque de données fiables pour les émissions indirectes, par les fournisseurs et les sous-traitants, rassemblées dans le scope 3 : en leur absence, le bilan carbone d'une entreprise est complètement faussé, aucune comparaison n'est possible. On ne peut pas faire du scope 1 et du scope 2 sans scope 3. Par exemple, si on compare deux produits de deux entreprises, et que la première sous-traite la production à un fournisseur, alors elle sera mieux notée que la deuxième entreprise qui fabrique elle-même ses produits.

Surtout, il faut que les entreprises définissent les actions capables de les amener aux objectifs qu'elles se fixent, avec des points de passage. Sur ce point, des progrès sont à attendre avec la directive CSRD ; ces éléments pourront figurer dans les documents publics extra-financiers, en annexe des documents financiers, sur lesquels les assemblées générales se prononceront. Néanmoins, récemment, nous avons eu le sujet de l'inscription de certaines résolutions à l'ordre du jour des assemblées générales. Juridiquement, le droit des sociétés ne relève pas de l'AMF, nous ne pouvons donc pas imposer une inscription à l'ordre du jour. Un tel sujet, extrêmement structurant, relèverait plutôt de la représentation nationale.

Quant au turn-over des employés de l'AMF, il varie entre 8 % et 12 %, ce qui est assez faible par rapport à d'autres autorités administratives ou à des prestataires de services de marché. Nous embauchons prioritairement des gens qui ont déjà une expérience professionnelle ; ils passent généralement entre cinq et dix ans chez nous. Rester plus longtemps les exposerait à beaucoup d'incompatibilités pour exercer des fonctions chez d'autres acteurs. Que ces derniers embauchent des anciens de l'AMF contribue à la qualité de la place de Paris et à la bonne connaissance des réglementations. Ceux qui nous quittent le font toujours pour des postes valorisants, avec des rémunérations bien supérieures à ce que nous pouvons offrir. De fait, nous sommes aujourd'hui obligés de « junioriser » nos recrutements pour cette raison, alors même que nos salaires sont convenables par rapport à la fonction publique. Cela nous permet de recruter de nouvelles expertises adaptées à nos besoins et d'offrir de meilleures capacités de progression.

Concernant les conséquences de la chute de la Bourse pour les assurances vie, je ne disposerai des données chiffrées pertinentes pour le deuxième trimestre 2022 que la semaine prochaine, ce qui m'empêche de vous répondre quant à une éventuelle fuite des épargnants. Au premier trimestre, rien de tel n'avait été observé. Le CAC 40, dividendes réinvestis, a progressé de 32 % depuis ma nomination en 2017. Un investisseur patient n'est pas perdant, et c'est bien le cas des acheteurs de produits d'assurance vie.

Le volume des sanctions évolue de manière cyclique, car les enquêtes et les contrôles prennent beaucoup de temps, surtout si elles ont une dimension internationale. L'effet des confinements se fait encore sentir. Cela dit, je ne suis pas totalement satisfait des résultats de notre filière répressive : nous sommes assez bridés quant aux outils que nous pouvons mobiliser pour nos enquêtes. Je pense notamment aux données de connexion et aux visites domiciliaires. Quand la sanction est inférieure à ce que nous avions demandé, nous pouvons faire un recours principal et nous faisons systématiquement un recours incident quand tel est le cas et que la personne sanctionnée fait un recours principal. Mon premier souci est d'envoyer des messages aux marchés, de leur faire savoir que certaines pratiques sont inacceptables et que le Collège de l'AMF n'acceptera pas certains comportements.

Quant aux nouveaux produits financiers qui ne seraient pas assez réglementés, je pense notamment à la finance digitale. Certains produits ne devraient pas être commercialisés de la sorte mais on manque encore d'outils à ce niveau. La sophistication de certaines arnaques, avec des usurpations d'identité plausibles, me préoccupe fortement. Il nous faudrait également de meilleurs outils pour balayer les réseaux sociaux et détecter les conseils abusifs de certains influenceurs... L'élaboration de tels outils juridiques est délicate, nous examinons ce que font d'autres pays de l'Union européenne, ainsi que le Royaume-Uni. Le recours à l'intelligence artificielle, une fois le feu vert juridique reçu, sera crucial.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour votre intervention devant notre commission. Nous vous souhaitons le meilleur pour les années à venir !

La réunion est close à 12 h 20.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vendredi 8 juillet 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 20.

Accueil d'un nouveau commissaire

M. Claude Raynal, président. - Je souhaite la bienvenue dans notre commission à notre collègue Daniel Breuiller, sénateur du Val-de-Marne, qui succède ainsi à notre collègue Sophie Taillé-Polian, élue députée.

- Présidence de M. Claude Raynal, président puis de Mme Christine Lavarde, vice-présidente -

Projet de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et projet de loi de finances rectificative pour 2022 - Audition de MM. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics, pour évoquer devant nous - oserais-je dire : enfin ! - le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2021 et, surtout, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022, présenté hier après-midi en conseil des ministres. Je félicite M. Le Maire pour sa reconduction dans des fonctions étendues et souhaite la bienvenue à M. Gabriel Attal, qui s'exprimera pour la première fois devant nous dans ses nouvelles fonctions. Je forme le voeu que cette audition soit le début d'échanges utiles et fructueux entre notre commission et le Gouvernement.

Comme vous le savez, notre commission regrette que le Gouvernement n'ait pas présenté le projet de loi de règlement dans les délais prescrits par la loi organique, c'est-à-dire avant le 1er juin. Ce n'est certes pas la première fois que cela arrive en période pré-électorale, mais nous aurions pu espérer qu'il en soit autrement d'un gouvernement en continuation. Il aurait été pourtant nécessaire de faire dès le mois de mai un bilan de l'exécution budgétaire avec l'appui de la Cour des comptes.

Alors que le Gouvernement n'a cessé, à juste titre et encore tout récemment lors du toilettage de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), d'inviter les parlementaires à se pencher davantage sur les résultats de la gestion publique, et que le Sénat y était prêt, nous serons contraints de réaliser cette année un examen des comptes particulièrement expéditif.

Cela est d'autant plus regrettable que nous devons examiner, également dans des délais très contraints, un important projet de loi de finances rectificative, qui bouleverse les équilibres du budget de l'État en 2022. Il acte en effet une forte révision à la baisse de nos prévisions de croissance, de 4 % à 2,5 %, et prévoit une augmentation de dépenses à hauteur de 44,2 milliards d'euros, dont 20 milliards d'euros de mesures nouvelles pour le pouvoir d'achat afin de contrecarrer les effets de l'inflation. Les estimations de recettes sont certes en hausse, mais pas suffisamment pour compenser ces dépenses nouvelles, ajoutées à des reports de crédits de 2021 qui viendront aggraver le déficit.

Vous avez estimé dans la presse que ces recettes supplémentaires sont « la démonstration qu'une politique tournée vers les baisses d'impôts et le travail produit de la richesse et du financement pour la protection des Français ». Selon moi, il s'agit surtout d'un effet de rattrapage qui n'est pas durable. Aussi, pensez-vous que l'approfondissement des baisses d'impôts, que j'ai pu qualifier de « désarmement fiscal », reste soutenable à l'heure où les conséquences de la guerre en Ukraine et les impératifs de transition énergétique et de soutien au pouvoir d'achat nécessitent un important soutien public ?

Ensuite, concernant l'articulation de vos propositions avec le redressement des finances publiques, alors que la crise sanitaire a marqué l'avènement du « quoi qu'il en coûte », vous avez annoncé récemment que la France avait atteint sa « cote d'alerte » sur les finances publiques. Cependant, ce PLFR sera encore pour l'essentiel financé par la dette : comment résoudre cette contradiction ? Quels leviers comptez-vous utiliser, au moment où la croissance pour les années 2023 et 2024 n'apparaît pas assurée ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Je tiens à vous dire le plaisir que j'ai à retrouver votre commission des finances. Nous vous devons une excuse sur le retard de la présentation du projet de loi, lié aux évènements politiques actuels.

Nous sommes au coeur du pic inflationniste, qui a commencé à l'automne dernier dans la vigueur de la reprise post-covid. Nous avons été les premiers en Europe à y répondre, avec le plafonnement de la hausse du prix de l'électricité à 4 % et le gel du prix du gaz, qui représentent une dépense de 20 milliards d'euros à ce jour. Nous avons de ce fait l'inflation la plus faible de la zone euro, car nous l'avons anticipée et avons protégé nos compatriotes avec ce dispositif unique en Europe. Sans cette action, les Français auraient vu leur facture de gaz augmenter de 50 %, et celle d'électricité de 35 %.

Cette inflation s'accélère désormais, pour des raisons conjoncturelles, dont la guerre en Ukraine, mais aussi structurelles avec les difficultés d'approvisionnement des chaînes de production, la fermeture du marché chinois et l'accélération de la transition écologique. Ce pic inflationniste devrait durer jusqu'à la fin l'année 2022 au moins, et nous anticipons une décrue durant l'année 2023, à la fin de laquelle nous reviendrons à un niveau d'inflation plus bas qu'aujourd'hui mais structurellement plus élevé que celui auquel nous étions habitués. Soyons modestes dans nos prévisions : il ne s'agit que de notre scénario central, mais les évènements géopolitiques, dont la situation en Ukraine et les conditions d'approvisionnement en hydrocarbures, pourraient largement changer nos prévisions.

Dès lors que l'inflation s'accroît, il est légitime et juste de protéger encore mieux nos compatriotes, ce que nous entendons faire avec les mesures contenues dans les textes qui seront soumis à votre examen. Nous suivons trois principes politiques.

Le premier est l'efficacité : le bouclier énergétique a permis de maîtriser l'inflation, nous le maintiendrons intégralement jusqu'à la fin de l'année 2022. Le plafonnement de l'augmentation des tarifs de l'électricité à 4 %, promis par le Président de la République, sera également maintenu jusqu'à la fin de l'année. Il en va de même pour le gel des prix du gaz. Je le redis : il n'y aura pas de rattrapage. Toute nouvelle augmentation des prix en 2022 sera bien sûr prise en compte dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, mais elle ne figurera pas sur la facture du consommateur. L'effet du bouclier énergétique est vertueux : il nous permet de ne pas atteindre les 10 ou 11 % d'inflation observés dans la zone euro, voire les 20 % parfois constatés hors zone euro. Nous avons pris cette décision en responsabilité : elle s'est avérée coûteuse, mais efficace.

Le deuxième principe est celui de la justice : il faut protéger ceux qui en ont le plus besoin, par exemple un retraité qui ne peut plus augmenter ses revenus. La revalorisation et l'indexation sur l'inflation des retraites, la revalorisation du point d'indice et celle des minima sociaux sont donc légitimes, tout comme celle des allocations familiales, car les familles supportent une grande partie du coût de l'inflation, notamment avec les dépenses d'alimentation.

Enfin, le troisième point est pour moi une ligne rouge forte : il s'agit des finances publiques. Ce paquet n'est pas financé par la dette : j'en veux pour preuve que nous avions prévu d'émettre 260 milliards d'euros de dette en 2022, et que nous n'irons pas au-delà. Nous le financerons avec les recettes fiscales exceptionnelles liées à la vigueur de la reprise et aux créations d'emplois, fruit de notre politique, avec, par exemple, un rendement plus élevé que prévu de l'impôt sur les sociétés. Les recettes sociales et celles qui proviennent de l'impôt sur le revenu représentent 20 milliards d'euros supplémentaires. Ces recettes, vous l'avez dit, sont exceptionnelles : nous les utilisons pour un financement exceptionnel lui aussi, et non des dépenses ou pertes de recettes durables comme une baisse de la TVA.

Il y a à cela deux exceptions, que nous revendiquons avec Gabriel Attal...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est tout et son contraire !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Pas du tout ! Les Républicains proposent à la fois de rétablir les finances publiques et de dépenser 50 milliards d'euros sur l'essence : voilà un exemple de tout et son contraire. Je ne parle bien sûr pas des sénateurs : j'ai ainsi repris à mon compte, hier à l'Assemblée nationale et ce matin sur France Info, les propos responsables de Mme Christine Lavarde.

Ces exceptions sont la contribution à l'audiovisuel public et, j'y tiens, les impôts de production. En effet, il faut accélérer notre réindustrialisation, et la baisse de ces impôts est réclamée par tous les industriels, de l'automobile aux semi-conducteurs. Je préfère des usines qui ouvrent en France qu'en Allemagne, et on ne pourra pas le faire alors que nos impôts de production sont sept fois plus élevés. Une baisse d'impôt est d'ailleurs plus rentable, y compris en matière de finances publiques, si elle aboutit à un investissement dans l'industrie.

Nous proposons 20 milliards d'euros de mesures supplémentaires dans le paquet pouvoir d'achat, dont la revalorisation des retraites, du point d'indice et des allocations. Trois mesures visent en outre les dépenses contraintes les plus importantes de nos compatriotes. La première concerne les loyers : nous sommes parvenus à un compromis avec les acteurs du logement social, les bailleurs privés, les locataires et les propriétaires : ni gel des loyers empêchant la construction ni hausse correspondant à l'inflation, qui aurait abouti à une appréciation de 6 % insupportable pour les plus modestes, mais une augmentation plafonnée à 3,5 % sur un an, entre le 1er octobre 2022 et le 1er octobre 2023.

La deuxième est l'indemnité carburant. Nous souhaitons passer d'un dispositif général et coûteux à un autre plus ciblé, plus économe et plus juste. Je revendique le choix politique d'aider en priorité ceux qui travaillent, y compris les alternants et ceux qui sont en recherche d'emploi via Pôle emploi. La compensation de 18 centimes passera à 12 centimes en octobre, 6 centimes en novembre et disparaîtra en décembre 2022. Tous les utilisateurs pourront déclarer l'utilisation de leur véhicule pour travailler sur le site de la direction générale des finances publiques (DGFiP), avec des contrôles aléatoires, et les personnes concernées toucheront de 100 à 300 euros selon leur revenu. Cela devra concerner toutes les personnes travaillant jusqu'au cinquième décile, soit un revenu de 1 260 euros nets par mois pour une personne seule. On peut débattre des seuils.

Ensuite, le troisième poste de dépense le plus important étant l'alimentation, nous allons mettre en place à la rentrée un chèque alimentaire de 100 euros, plus 50 euros par enfant.

Enfin, nous revaloriserons la prime activité de 4 % et baisserons les cotisations sociales des indépendants, en application d'une promesse formulée par le Président de la République à l'Union des entreprises de proximité (U2P) il y a quelques mois. Nous mettrons aussi en place une prime allant jusqu'à 6 000 euros pour les entreprises disposant d'un accord d'intéressement, dont la création sera simplifiée.

Je conclus sur deux éléments. Le premier porte sur les finances publiques : tout n'est pas financièrement possible. Nous pouvons échanger sur des mesures et réorienter des crédits, mais ajouter des milliards aux milliards ne fera que plomber nos comptes publics. Je suis garant d'une trajectoire : déficit public de 6,5 % du PIB en 2021, 5 % en 2022 et 3 % en 2027. Tout dérapage en 2022 rendrait cet objectif final inatteignable et je m'y refuse.

Second élément, le fardeau doit être équitablement partagé. L'État a beaucoup contribué, certaines entreprises comme celles des secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, ont aussi commencé à le faire. Cependant, toutes les entreprises qui le peuvent doivent augmenter les rémunérations des salariés par tous les moyens dont elles disposent, que ce soit par des primes, l'intéressement ou la participation.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics. - Cette audition porte sur le PLFR, mais aussi sur le projet de loi de règlement du budget 2021, que je vais vous présenter.

L'exécution budgétaire 2021 est celle de la protection des agents économiques, de la relance de l'activité et de la maîtrise des comptes, qui ont été nos priorités dans un contexte particulier de reprise et de surchauffe : avec 6,8 % de croissance, nous faisons mieux que la moyenne de la zone euro avec 1,4 point de plus.

Cela témoigne des moyens mis en oeuvre pour protéger entreprises et ménages, notamment les plus fragiles. Nous avons tout fait pour ne pas ajouter la vulnérabilité financière à la vulnérabilité sanitaire. Je pense aux 3,8 milliards d'euros mobilisés pour verser l'indemnité inflation de 100 euros à 38 millions de Français, ou encore aux 600 millions d'euros ayant permis de verser un chèque énergie à 5,6 millions de foyers modestes avant les fêtes de fin d'année.

Durant ces mois de stop and go pandémique, nous avons constamment adapté les dispositifs de protection des entreprises, comme l'activité partielle, dont ont bénéficié 3,5 millions de salariés. Ainsi, 34 milliards d'euros ont été déployés en 2021 dans le cadre de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », pour permettre aux entreprises de tenir le choc, d'investir et d'embaucher. Avec 72 milliards d'euros déjà engagés sur les 100 prévus au titre du plan de relance, nous avons aussi agi vite et fort en faveur de la transition énergétique, de l'industrie et de l'insertion professionnelle. Ainsi, 4 millions de jeunes se sont engagés dans le dispositif « 1 jeune 1 solution » en 2021.

Le déficit est passé de 8,9 % du PIB en 2020 à 6,4 % en 2021, et nous visons 5 % pour 2022. La dette s'établit à 112,5 % du PIB fin décembre, soit deux points de moins en un an. Le solde budgétaire de l'État s'est amélioré de 7,3 milliards d'euros pour s'établir à 170,7 milliards d'euros en comptabilité budgétaire, avec 37 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires grâce à la dynamique de l'impôt sur les sociétés, de la TVA et de l'impôt sur le revenu.

L'année 2021 est donc l'an I de la remise en ordre des comptes publics post-covid. Nous continuerons en 2022. Je rappelle que le PLFR s'inscrit dans un paquet global : il s'articule avec le projet de loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, mais aussi avec des mesures réglementaires, comme le décret adopté hier en conseil des ministres augmentant le point d'indice des fonctionnaires.

Au-delà, ce PLFR tient aussi compte du marché de l'énergie. Ainsi, le texte entérine le déplafonnement de certains contrats de fourniture d'énergie renouvelable passés entre 2016 et 2019 pour tenir compte de la hausse récente des prix de l'électricité et donc permettre à l'État de percevoir la totalité des sommes dues par les fournisseurs, soit un gain de 2,4 milliards d'euros sur l'année 2022.

Ce texte remet aussi sur les rails la généralisation de la facturation électronique, qui devrait permettre un gain annuel de 4,5 milliards d'euros pour les entreprises grâce à la simplification administrative, mais aussi générer des rentrées fiscales car cela facilitera la lutte contre la fraude à la TVA.

Enfin ce PLFR prolonge les prêts garantis par l'État (PGE) accordés en soutien à la trésorerie des acteurs économiques affectés par le conflit en Ukraine. Il prévoit aussi 1,5 milliard d'euros de soutien aux entreprises énergo-intensives, c'est-à-dire celles dont plus de 3 % du chiffre d'affaires est consacré à des dépenses d'électricité ou de gaz. En effet, leur facture a été doublée par rapport à 2021 et elles s'en trouvent fragilisées. Les demandes sur le site de la DGFiP sont ouvertes depuis le début de la semaine.

En outre, 315 millions d'euros permettront à l'Agence française de développement (AFD) d'aider l'Ukraine, à hauteur de 300 millions d'euros, et la Moldavie, à hauteur de 15 millions d'euros. Cela s'ajoute au décret d'avance du 7 avril 2022, ratifié par ce PLFR et qui avait déjà ouvert 400 millions d'euros d'aides pour financer l'accueil des réfugiés ukrainiens, avec l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et l'ouverture de centres d'hébergement.

Par ailleurs, ce PLFR ouvre des crédits pour l'apprentissage, avec 1,8 milliard d'euros pour France compétences et 750 millions d'euros pour les primes d'apprentissage. Cette politique publique de l'apprentissage est d'ailleurs une réussite, puisque nous sommes passés de 300 000 à 700 000 apprentis entre 2017 et 2022.

De plus, 2 milliards d'euros sont aussi prévus au titre de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles au vu des incertitudes économiques, rappelées par Bruno Le Maire, liées à la situation internationale.

Enfin, 500 millions d'euros sont consacrés à l'agriculture, pour soutenir les forces vives qui nourrissent la France et qui ont subi divers aléas.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'associe aux propos du président vous souhaitant la bienvenue, aussi bien au ministre Bruno Le Maire, dans la continuité de son action, qu'à Gabriel Attal. Vous savez que notre assemblée a pour habitude de travailler avec sérieux et de faire preuve d'une grande vigilance.

Comme vous, nous allons nous mettre rapidement au travail, dès lors que nous disposons - enfin ! - des éléments que nous attendions depuis un long moment. Je comprends à cet égard que la Première ministre veillera à améliorer les habitudes d'hier - vous serez toujours les bienvenus dans cette maison, messieurs les ministres !

Vous avez retenu dans votre scénario central une hypothèse d'inflation de 5 % pour l'année 2022, alors que l'Insee prévoit 5,6 %. Qu'est-ce qui motive ce choix ? À quel coût pour nos finances publiques ce différentiel correspond-il ? Je me réjouis d'entendre votre attachement au redressement des comptes, monsieur le ministre Bruno Le Maire, mais avec les effets sur les obligations indexées ou les mesures de soutien aux ménages, ce chiffre n'est pas neutre.

Vous répétez à l'envi depuis quelque temps - un peu comme un aveu - que la cote d'alerte est atteinte pour les finances publiques. Si je comprends bien, lorsqu'elle est atteinte, elle est dépassée... Vous avez affirmé hier devant la commission des finances de l'Assemblée nationale la nécessité, dans l'état actuel, de compter chaque euro, rappelant qu'il fallait tenir compte du fait que les conditions de financement ont changé. Mais je n'ai pas le sentiment que ce PLFR reflète ces propos ! Il ouvre en effet des crédits nouveaux sur une centaine de programmes du budget général, pour un total de plus de 47 milliards d'euros en montant brut, et il n'en annule que sur un seul programme, celui correspondant à la charge d'intérêt de SNCF Réseau - pour 9 millions d'euros. Certes, il s'agit en partie de rétablir les crédits annulés dans le cadre du décret d'avance pour financer la remise de 18 centimes en avril dernier. Mais cela signifie-t-il aussi que vous n'avez pas pu identifier un seul programme du budget général, en dehors de celui que je viens de mentionner, sur lequel des crédits auraient pu être annulés, de manière à compenser au moins partiellement les ouvertures de crédits nécessaires sur d'autres dispositifs ?

Quelque 12 milliards d'euros sont prévus pour les participations financières de l'État. La Première ministre, dans sa déclaration de politique générale, a annoncé son intention que l'État détienne 100 % du capital d'EDF. Vous avez indiqué hier devant nos collègues députés que les 12 milliards d'euros correspondaient à l'acquisition des actions manquantes d'EDF, ainsi qu'à d'autres opérations éventuelles. Quel est le montant exact prévu pour l'opération liée à EDF ? Selon quels critères des participations financières pourront-elles être envisagées pour d'autres opérations ?

Je voudrais évoquer également la suppression, confirmée dès 2022, de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), que vous présentez comme une mesure de pouvoir d'achat, ce qu'il convient de relativiser si l'on regarde le gain réel pour les ménages concernés et si l'on pense que près de 5 millions de foyers sont d'ores et déjà exonérés du paiement de cette contribution.

Cette suppression était largement anticipée, mais s'effectue dans un certain manque de transparence : le Gouvernement s'était engagé en 2019 à présenter un rapport au Parlement sur l'avenir de ce prélèvement, mais ce document n'a jamais été publié. En octobre dernier, une mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires culturelles devait rendre des conclusions : nous n'avons pas davantage été informés. Vous parlez de transparence : il est toujours mieux, en effet, de travailler en bonne intelligence et en portant les chiffres à la connaissance de nos assemblées. Nous avons le sentiment, sur ce sujet, d'une politique du fait accompli. Je vous reconnais le courage de vous attaquer à la modernisation du secteur de l'audiovisuel public ; mais comment allez-vous procéder pour 2023 ? Plutôt que de supprimer des ressources sans donner de choix alternatif, il eût été préférable d'agir progressivement, en concertation avec les deux assemblées.

Enfin, 4,6 milliards d'euros sont prévus dans ce texte pour la mise en place d'un dispositif de soutien aux travailleurs qui disposent d'un véhicule, à hauteur de 2 milliards d'euros, et la prolongation de la remise sur le prix des carburants à la pompe, pour 2,6 milliards d'euros. Le dossier de presse comporte des précisions sur le ciblage du dispositif, notamment en faveur des actifs, et de ceux qui font les plus longs trajets, pour remplacer la remise actuelle. Pouvez-vous nous donner des précisions supplémentaires sur ce ciblage ? Vous avez évoqué un certain nombre de catégories, l'on pourrait aussi penser aux retraités qui, dans certains territoires ruraux, ne disposent pas d'alternative à la voiture. Vous indiquez depuis hier que les parlementaires pourront faire part de leurs volontés pour déplacer, si besoin, le curseur entre les catégories de bénéficiaires. Dans quelle mesure ? Le texte ne prévoit que des crédits budgétaires, et vous savez bien que nous sommes contraints par la recevabilité financière de nos amendements ! Si nous ne disposons pas de vraies marges de manoeuvre, ce ne sera que du bavardage - cela me conduit à m'interroger sur la sincérité de votre volonté de dialogue et d'ouverture.

M. Claude Raynal, président. - Pour les questions suivantes, chacun disposera d'un temps de parole d'une minute et demie.

M. Vincent Delahaye. - Ce temps ne fait que se réduire !

M. Claude Raynal, président. - J'essaie de respecter les contraintes de chacun.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Merci pour vos questions, monsieur le rapporteur général ; je suis moi aussi très heureux de continuer avec vous pour les années qui viennent.

Nous avons retenu une hypothèse d'inflation de 5 %, quand l'Insee parle de 5,6 %. C'est tout simplement parce que nous avons une évaluation différente de l'évolution du prix du baril : l'Insee prend pour hypothèse un baril à 120 dollars, et nous à 114. Aujourd'hui, le baril est à 108 dollars.

Nous continuerons évidemment à suivre ces questions de près, mais je pense que notre hypothèse est raisonnable et correspond à la situation du marché.

La charge de la dette est la raison principale pour laquelle j'ai dit que nous avions atteint la cote d'alerte. Je revendique le « quoi qu'il en coûte », qui nous a permis d'éviter un dérapage de la dette, car il eût été plus coûteux d'indemniser des chômeurs qu'il ne l'a été de protéger les entreprises. Mais nous l'avons mis en place avec des taux d'intérêt nuls, voire négatifs. Cette situation a radicalement changé, et une partie de la dette française est indexée sur l'inflation. Nous ne pouvons donc plus continuer comme cela : ce n'est pas possible, et cela ne serait pas responsable. Je rappelle qu'un point d'inflation supplémentaire entraîne 5 milliards d'euros de charges en plus pour l'État, puisque 10 % de notre dette est indexée sur l'inflation. Je rappelle aussi que, sur cette partie de la dette qui est indexée sur l'inflation, les deux tiers sont indexés sur le niveau d'inflation moyen de la zone euro, qui est très supérieur au niveau d'inflation en France. C'est ce qui nous conduit à inscrire 12 milliards d'euros supplémentaires de charges de la dette. Et c'est ce qui doit nous conduire à faire preuve d'un grand sens des responsabilités et à faire des économies.

La première méthode, de loin la plus efficace, pour rétablir les finances publiques est d'atteindre le plein emploi, ce qui suppose de prendre des décisions structurelles, comme la réforme des retraites et de l'assurance chômage, mais aussi une réduction de certaines dépenses - pour cela, je vous donne rendez-vous au moment du débat sur le projet de loi de finances pour 2023. Selon la méthode qu'a définie la Première ministre, il est important que nous puissions travailler tous ensemble à identifier les gisements de dépenses publiques qui pourraient être réduites dans les années qui viennent, pour nous permettre de tenir notre engagement de réduire le déficit à moins de 3 % du PIB. Cette trajectoire doit être tenue, pour notre indépendance nationale. Elle ne peut l'être que s'il n'y a pas de dérapage en 2022 et que nous arrivons à créer le plein emploi dans notre pays, à engager des réformes de structure et à identifier un certain nombre de dépenses à réduire.

Sur les participations de l'État, j'ai peur de vous décevoir : comme il s'agit d'une opération en cours, je ne peux pas vous préciser le montant qui sera consacré à la nationalisation d'EDF. Il pourra y avoir d'autres opérations sur les titres de l'État si nécessaire, en fonction de l'évolution de la situation économique des entreprises que nous n'avons pas laissé tomber depuis le début de la crise, et que nous ne laisserons jamais tomber.

Sur le soutien aux travailleurs, je redis que les paramètres peuvent être discutés dès aujourd'hui pour améliorer le dispositif. Pour l'instant, il est réservé aux personnes qui travaillent : indépendants, salariés, fonctionnaires, alternants... Pour les trois premiers déciles, l'aide sera de 200 euros ; pour les deux suivants, de 100 euros, avec une majoration de 50 % si le lieu de travail est particulièrement éloigné du domicile. Faut-il aller plus loin, ou concentrer davantage cet effort ? Ce débat sera particulièrement utile pour que nous puissions améliorer ensemble ce dispositif.

Enfin, nous avons fait un choix politique, celui d'indexer les retraites : nous les augmentons de 4 %, et nous concentrons l'effort concernant les déplacements sur les personnes qui travaillent. Cette politique peut être discutée, mais c'est le choix que nous proposons aux parlementaires.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Le rapporteur général a évoqué les annulations de crédits : ce texte a principalement pour objet d'ouvrir des crédits, pour répondre à l'inflation. Compte tenu des aléas majeurs que fait toujours peser la situation géopolitique et économique internationale, c'est principalement dans le PLFR de fin de gestion que des annulations de crédit pourront éventuellement être effectuées.

Sur la CAP, il y aura un vrai débat parlementaire, qui devra porter sur la manière de compenser et d'apporter aux sociétés de l'audiovisuel public les garanties attendues. Quant aux rapports que vous évoquez, je vais me renseigner sur les raisons pour lesquelles ils ne vous ont pas été communiqués. En fait, il y a eu énormément de travaux sur le sujet, et notamment un très bon rapport de MM. Karoutchi et Hugonet.

M. Roger Karoutchi. - Merci !

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Nous avons pris l'engagement, dans le cadre de la campagne présidentielle, de supprimer cet impôt, parce qu'il n'est pas très juste : tout le monde paye la même chose. Et, quand on prend des mesures, les Français nous demandent souvent ce qu'ils en verront, eux-mêmes, concrètement. Pour le coup, c'est très clair : si le Parlement adopte cette mesure, ils ne payeront pas leur CAP à l'automne.

Dans le projet de loi figurent deux garanties importantes : la création d'une mission budgétaire spécifique, et le fait que la subvention aux sociétés de l'audiovisuel public sera versée intégralement dans un délai d'un mois à compter de l'ouverture de la gestion, et non plus mensualisée.

Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, nous serons capables de donner aux sociétés de l'audiovisuel public de la visibilité sur leur budget pour le quinquennat, et les contrats d'objectifs et de moyens devront être pleinement déployés.

M. Jérôme Bascher. - Rexecode dit dans un rapport publié le 5 juillet que, pour endiguer le déficit public, il faut commencer par retenir des hypothèses économiques prudentes. Monsieur le ministre de l'Économie, ici, à la commission des finances, c'est dès le printemps 2021 que nous avons dit que l'inflation augmentait. D'ailleurs, si vous regardez la courbe en glissement, vous verrez que sa pente est restée la même. Il fallait écouter le Sénat !

M. le ministre du budget nous dit que, pour le rebond de croissance en 2021, nous avons fait mieux que les autres. Certes, mais nous avons fait pire en 2020 ! Finalement, c'est fin 2021, comme l'ensemble des pays européens, que nous avons retrouvé le niveau de PIB de la fin 2019. Pas de cocorico, donc.

Nous devons nous focaliser sur l'accroissement de la croissance potentielle, par des mesures structurelles visant à mobiliser davantage de force de travail, car c'est de cela que toutes les entreprises que nous visitons nous parlent : elles cherchent à peu près 10 % de salariés en plus, ce qui n'est pas rien ! Nous devons prendre des mesures sur les heures supplémentaires, et augmenter légèrement ce qu'on appelle le point salarial. Or vous augmentez le revenu de solidarité active (RSA) de 4 %, mais le point d'indice de la fonction publique de 3,5 % : c'est l'inverse d'une bonne politique de croissance potentielle pour l'emploi !

Comment comptez-vous juguler l'inflation avec des mesures de demande ? Je ne comprends pas votre politique, monsieur le ministre de l'Économie.

Monsieur le ministre des comptes publics, en 2021, comme en 2020, il n'y avait pas de suppressions d'emplois dans le budget. Or nous avons eu, à chaque fois, des suppressions d'emplois dites de constatation, avec, par exemple, 3 500 emplois supprimés sur l'exercice 2021. Ne croyez-vous pas que ce serait au Parlement de décider de supprimer des emplois, dans le cadre d'une politique transparente, dès le vote du projet de loi de finances ? Au lieu de cela, nous avons là une sorte de politique à bas bruit pour réduire la masse salariale.

Pouvez-vous me confirmer qu'avec ce PLFR la deuxième mission de l'État sera de rembourser la dette, avant la défense nationale, au moment où l'Europe est en guerre ?

M. Roger Karoutchi. - Monsieur le ministre de l'économie, quand vous êtes au Sénat, vous débattez avec les sénateurs, et pas avec les députés, et ce qui a pu être dit à l'Assemblée nationale n'est pas ce qui se dit ici. J'ai cru comprendre que la Première ministre souhaitait débattre davantage avec les sénateurs - ayant sans doute compris que c'était ici que les choses se passeraient sur le fond.

Je rêverais d'accepter votre scénario central, mais permettez-moi de vous rappeler qu'il y a de nombreux aléas... En 2017, vous nous avez dit que le scénario central était d'atteindre l'équilibre complet en 2022. Nous avions espéré avec vous. Mais il y a eu la covid-19, la crise énergétique... De même, le scénario le plus optimiste est-il le plus crédible ? Non, parce que la guerre en Ukraine continue, que la pandémie de covid-19 n'est pas finie, tant s'en faut, parce que la situation internationale reste très troublée - en tout état de cause, vous avez accepté de tenir à partir de septembre des concertations avec les syndicats, avec les organisations agricoles, qui vont naturellement vous demander davantage de dépenses, davantage de salaire, davantage de traitement, sans que vous puissiez refuser. Bref, les dépenses prévues sont nettement supérieures à vos rentrées fiscales cette année, ce qui nous laisse quelque peu sceptique quant au déficit de 5 % que vous annoncez.

Il semble que les agences de notation soient inquiètes et envisagent d'abaisser la note de la France à l'automne. Avez-vous des informations en ce sens ? Ce matin a d'ailleurs été annoncé, pour le mois de mai, un niveau record de déficit commercial, à hauteur de 13 milliards d'euros.

M. le ministre des comptes publics a cité à juste titre le rapport que j'ai rédigé avec M. Hugonet, mais nous prenions acte dans celui-ci de la suppression de la CAP à contrecoeur ! Nous déplorions qu'une fois de plus, on ne parle pas d'abord du périmètre et des missions, mais du financement, ce qui n'est pas acceptable. Voilà des années que nous réclamons un vrai débat sur l'audiovisuel, et voilà des années qu'on ne parle que de financement, et pas des missions.

Le Sénat a proposé la création d'un organisme indépendant de contrôle de ce financement public. Je ne vois cela nulle part dans ce texte, où ces sommes deviennent une simple mission budgétaire, avec tous les aléas correspondants : je comprendrais qu'il y ait des inquiétudes dans l'audiovisuel public. Êtes-vous prêts à avancer sur ce sujet ?

M. Vincent Delahaye. - Je regrette qu'on ne nous laisse qu'un si court temps de parole. Je déplore de surcroît qu'on mélange dans une même audition la loi de règlement et le PLFR.

M. le ministre des comptes publics a parlé pendant à peine cinq minutes de la loi de règlement. Pourtant, analyser le passé éclaire l'avenir. Il serait bon qu'on passe beaucoup plus de temps sur les lois de règlement. Je regrette que nous ne disposions pas d'un document synthétique, d'autant plus qu'arrivés en fin de quinquennat, nous aurions pu dresser un bilan de cinq ans de la politique financière et budgétaire de la France.

J'aimerais disposer de plus d'indications sur la manière dont les prévisions ont été construites, monsieur le ministre de l'économie, notamment sur la charge de la dette et l'impact de l'inflation. Avec une inflation de 1,6 % en 2021, et une dette indexée à hauteur de 10 %, je suis surpris de la hausse de 5 milliards d'euros de la charge d'intérêts. En 2022, avec un niveau de 55 milliards d'euros, nous allons commencer à sentir vraiment le coût de l'endettement, que nous dénonçons depuis des années.

Vous expliquez les bonnes recettes fiscales par un rebond de l'activité. Je ne crois pas à cette explication, et j'y vois plutôt le résultat d'une sous-évaluation des recettes dans la loi de finances initiale. Pourriez-vous nous fournir une note synthétique décrivant les prévisions et la réalisation pour l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la TVA ? J'avais dit dès le vote de la loi de finances initiale que les recettes de TVA y étaient largement sous-évaluées. Comme la croissance réalisée n'est pas très différente de celle qui avait été prévue, je ne comprends pas le résultat.

Quand arriverons-nous à maîtriser le déficit de France compétences ? En termes d'annualité budgétaire, tout ce qui devait être pris en 2021 l'a-t-il été ?

Combien avons-nous dépensé en 2021 en dépenses protocolaires ? Il est toujours difficile d'obtenir les chiffres. Il s'agit des dépenses de communication, des frais de déplacement, de relations publiques... Quelle est la variation par rapport à 2020 ?

Enfin, quel est le montant de l'épargne supplémentaire que les Français ont mise de côté en 2020 et 2021 ? Pensez-vous qu'il y ait un vrai problème de pouvoir d'achat pour tous les Français ? Pour ma part, je ne le pense pas : ce problème est concentré sur un certain nombre de Français.

Encourager la consommation, au détriment de l'investissement, est-ce compatible avec ce qu'on essaye de faire passer comme objectif de sobriété auprès de nos compatriotes ?

M. Pascal Savoldelli. - Messieurs les ministres, vous nous avez parlé bilan, pouvoir d'achat, loi de règlement, PLFR... Sur le bilan, vous avez un petit problème d'écoute. Il y a un problème de sincérité sur le projet de loi de règlement, et même de surdité : vous ne pouvez pas ne pas voir que ce bilan a suscité peu d'engouement, et qu'il a même été en partie sanctionné.

Le Président de la République a annoncé que les collectivités territoriales devaient faire 10 milliards d'euros d'économies nécessaires sur le quinquennat - vous êtes sous tutelle. Les résultats que vous nous présentez montrent que 6,2 milliards d'euros de crédits n'ont pas été utilisés pour le plan de relance. Arrêtez donc de penser qu'il faut prendre 10 milliards aux collectivités territoriales !

Ou bien est-ce à dire que la croissance économique, pour vous, ne vient que de l'entreprise ? Bien sûr que l'entreprise contribue. Mais le capital des entreprises a-t-il contribué autant que les ménages et les administrations publiques ? En 2021, les ménages ont trois fois plus contribué à la croissance qu'en 2019, et cinq fois plus qu'en 2018. Quant aux administrations publiques, elles ont multiplié par six leur contribution à la croissance par rapport à 2018.

Les recettes ont augmenté de 10,2 milliards d'euros entre le dépôt du projet de loi de finances, le 3 novembre 2021, et le 21 décembre 2021. Cela interroge sur la sincérité de ce document.

Vous avez dit, monsieur Le Maire, qu'il ne fallait pas mettre de dépenses durables en face de recettes exceptionnelles. Cela signifie qu'il y a une face cachée. Jouons plutôt cartes sur table, et dites-nous dès maintenant ce qu'il en est, afin que nous puissions préparer bien en amont la loi de finances. Quelles sont des dépenses de politiques publiques qui ne pourront pas être pérennes ?

M. Didier Rambaud. - Nous connaissons, hélas, un regain de l'épidémie de covid-19. D'autres aléas pèsent sur la croissance économique. Comment entendez-vous faire face à ces aléas ?

Les collectivités locales seront dans une impasse financière au second semestre, parce qu'elles n'ont pas pu prévoir, lorsqu'elles ont voté leur budget en début d'année, l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires et la hausse très importante du coût de l'énergie. Quelles réponses entendez-vous apporter à cette situation inattendue pour les collectivités ?

Le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution budgétaire 2021 évoque des atteintes aux principes d'annualité et de spécialité budgétaires et un manque de pilotage des dépenses, notamment des dépenses fiscales. Partagez-vous le point de vue de la Cour des comptes ?

Mme Christine Lavarde. - Je ne suis pas certaine que votre enthousiasme, monsieur le ministre de l'Économie et des finances, soit pleinement partagé : nous avons chuté plus fort en 2020, il est donc assez logique que nous remontions plus fort...

De manière plus générale, où sont les mesures d'économies structurelles qui permettraient d'atteindre les objectifs de réduction du déficit public ? J'ajoute que, dans son rapport sur le programme national de réforme de la France, la Commission européenne a mis en avant des risques élevés sur la soutenabilité de la dette à moyen terme.

Par ailleurs, lorsque le 30 mars nous avons auditionné Olivier Dussopt, alors ministre délégué chargé des comptes publics, sur le projet de décret d'avance, j'avais relevé que le Gouvernement prévoyait des annulations de crédits assez fortes dans le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », qui finance les primes à la conversion et le dispositif MaPrimeRénov'. Or, dans le projet de loi de finances rectificative qui a été déposé, il est prévu d'augmenter les crédits de ce programme...

Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, que ce soit l'obligation d'achat ou le complément de rémunération, représentent un budget important - 8,5 milliards d'euros. Vous avez évoqué votre volonté de « caper » certains de ces contrats. Mais qu'en est-il des contrats signés dans le cadre de l'ancien régime ? Attendez-vous la délibération de la Commission de régulation de l'énergie qui doit intervenir en juillet ? Comptez-vous présenter un amendement en séance publique pour tirer, le cas échéant, les conséquences de cette délibération ?

M. Michel Canévet. - Tout d'abord, le groupe Union Centriste souhaite vous féliciter pour vos nominations. Votre tâche est ardue, car la situation est préoccupante.

Sur le fond, je regrette que nous passions si peu de temps sur le projet de loi de règlement, parce que nous terminons tout de même l'exercice 2021 avec un déficit de 170,7 milliards d'euros et un niveau d'émission de dette également considérable.

Nous sommes évidemment favorables aux baisses d'impôts, mais nous devons aussi faire attention à assurer l'autonomie fiscale et financière des collectivités locales et le retour à l'équilibre des finances publiques.

Nous partageons l'essentiel des orientations du projet de loi de finances rectificative, mais je voudrais à ce stade évoquer deux sujets. D'une part, je rejoins les interrogations de Vincent Delahaye quant au déficit et à la dette de France compétences. D'autre part, je rejoins l'idée que chaque euro compte et qu'il faut aider ceux qui travaillent ou se forment ; dans cette logique, il faut arrêter le plus rapidement possible l'aide généralisée pour privilégier des dispositifs ciblés.

M. Philippe Dominati. - Nous retrouvons, à chaque début de quinquennat, la même situation : nous prenons acte du fait que les engagements pris cinq ans avant n'ont pas été respectés ! Vous pratiquez donc aujourd'hui un exercice difficile qui suscite peu d'emballement. Pour autant, cette année est un peu originale, puisque nous retrouvons le même ministre de l'économie et des finances, ce qui est rare... Il est vrai qu'il y a toujours des aléas, mais chacun sait bien que, de toute façon, vous ne tiendrez pas vos objectifs.

Vous avez évoqué la revalorisation de certains barèmes, en particulier ceux de l'impôt sur le revenu. Allez-vous également revaloriser les barèmes liés aux dispositifs de défiscalisation ?

Vous aviez un objectif de suppression d'emplois publics lors du précédent quinquennat, moitié sur l'État, moitié sur les collectivités locales. Il n'a pas été respecté et nous constatons simplement une légère réduction. Vous communiquez maintenant très peu sur ce sujet. Qu'en est-il pour les années à venir ?

Mme Isabelle Briquet. - Le Gouvernement s'accorde un certain satisfecit dans le cadre du projet de loi de règlement pour 2021. Or les comparaisons entre 2020, année tout à fait particulière du fait de la pandémie, et 2021 sont hasardeuses : de nombreux indicateurs s'améliorent sans que cela corresponde à une véritable amélioration des politiques menées. D'ailleurs, la Cour des comptes ne partage pas vraiment l'enthousiasme affiché par le Gouvernement.

Dans le projet de loi de finances rectificative, la suppression de la contribution à l'audiovisuel public est présentée comme une mesure de pouvoir d'achat, mais comment entendez-vous financer ce service public et garantir l'accès à une information de qualité et indépendante ?

Enfin, je souhaite vous alerter sur la situation financière des collectivités locales qui s'est nettement dégradée du fait de l'augmentation des coûts de l'énergie et des matières premières. Quels mécanismes de soutien comptez-vous mettre en place ?

M. Daniel Breuiller. - On peut lire, dans le projet de loi de règlement, que le budget « vert » ne représente que 7 % des dépenses. Je souhaite que nous allions bien au-delà ; c'est essentiel si nous voulons être cohérents avec l'ambition affichée par Mme la Première ministre en termes de transition écologique et si nous voulons que notre pays respecte ses engagements internationaux. Nous devons aussi mettre en place les outils de pilotage nécessaires à cette volonté politique.

Comme le dit Michel-Édouard Leclerc, y a-t-il des « profiteurs de crise » ? Selon l'Insee, les taux de marge sont passés de 61 % à 74 % dans les domaines de l'énergie, de l'eau et des déchets et de 39 % à 47 % pour les transports, des secteurs qui se situent en amont des chaînes de valeur et qui contribuent largement à amplifier l'inflation.

Par ailleurs, ce n'est pas l'accélération de la transition écologique qui favorise l'inflation ; c'est plutôt l'accélération de la crise climatique ! Et la transition écologique est indispensable pour répondre à cet enjeu.

Nous soutenons bien évidemment la revalorisation anticipée des pensions : elle est insuffisante, mais indispensable. Pour les travailleurs, les mesures ponctuelles ne sont pas non plus suffisantes, c'est d'abord le salaire qui doit être augmenté. De ce point de vue, je voudrais savoir combien de salariés n'ont pas bénéficié de la prime dite Macron. Ce chiffre est plus intéressant que celui des salariés qui en ont bénéficié... Le versement de cette prime crée une profonde inégalité entre les salariés.

Je voudrais faire, pour conclure, une proposition qui j'imagine ne pourra être que consensuelle, notamment au sein de notre commission... Je suggère que l'enveloppe de 12 milliards d'euros prévue pour renationaliser et recapitaliser EDF soit affectée au développement des énergies renouvelables. Cet argent sera alors mieux utilisé en faveur de notre indépendance, de la résilience des territoires et du respect de nos engagements internationaux.

Mme Sylvie Vermeillet. - Certaines entreprises dégagent actuellement des profits exceptionnels. Réfléchissez-vous à une taxation temporaire de ces super-profits ? Je pense naturellement à TotalEnergies, mais d'autres entreprises sont concernées. Plusieurs pays européens, notamment l'Italie et le Royaume-Uni, avancent dans cette voie. N'est-ce pas une piste à creuser dans un souci d'équité et de justice ?

Par ailleurs, quelle est la déclinaison concrète de la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires dans les collectivités locales ?

M. Vincent Segouin. - Chacun sait qu'il y a beaucoup d'emplois vacants dans notre pays et que leur nombre s'est plutôt accru ces derniers temps. Néanmoins, notre taux de chômage reste largement supérieur à celui de la plupart des pays de la zone euro.

Vous l'avez dit, la croissance actuelle crée des recettes exceptionnelles pour le budget de l'État. La solution réside donc bien dans le travail et l'emploi. Pourtant, si certaines mesures sont favorables aux travailleurs, ce qui est positif, vous augmentez dans le même temps - toujours le « en même temps » ! - les minima sociaux et je ne vois pas, dans votre politique, de mesures d'incitation à l'emploi et visant à diminuer le chômage. Comment entendez-vous résoudre ce problème ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Tout d'abord, il n'est aucunement question de cocorico ! La France a beaucoup souffert en 2020 de la crise liée au covid-19, mais elle s'est redressée plus vite que ses voisins : nous sommes le premier pays à avoir retrouvé son niveau de PIB d'avant la crise. C'est d'abord la preuve du dynamisme des Français et des entreprises et cela devrait être une fierté nationale. Je ne dis pas cela en faveur du Gouvernement, mais en pensant à tous ces salariés, par exemple les caissières de supermarché, qui sont allés travailler durant la crise, à toutes ces entreprises qui ont refusé de fermer, qui se sont adaptées, etc. Ce sont ces salariés et ces entreprises qui nous ont permis de rebondir si vite.

Ensuite, le fait est que nous maîtrisons mieux l'inflation que les autres pays : elle est la plus basse de la zone euro. Nous avons tenu compte des alertes qui nous ont été adressées, en particulier en provenance du Sénat, et nous avons pris des mesures depuis plusieurs mois.

Notre politique économique reste une politique de l'offre - prime d'activité, baisse des impôts de production, défiscalisation des heures supplémentaires, réforme de l'assurance chômage, etc. Chacun sait qu'aujourd'hui le premier problème des entreprises est la pénurie de main-d'oeuvre - c'est le cas dans les secteurs de la distribution, de l'industrie agroalimentaire ou du BTP. En déplacement en Vendée récemment, je voyais partout des appels pour pourvoir des emplois. Nous devons vraiment nous concentrer sur ce problème ; la réponse passe par une politique de l'offre pour inciter au retour à l'emploi.

M. Pascal Savoldelli. - Et par les salaires !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Absolument, cela passe également par les salaires. D'ailleurs, la plupart des secteurs prennent en compte cette dimension, par exemple l'hôtellerie-restauration. Ce secteur nous montre aussi que le salaire n'est pas la seule variable à actionner ; il faut dans le même temps améliorer les conditions de travail, notamment en termes d'aménagement des horaires. Nous devons répondre aux nouvelles attentes qui se font jour, en particulier de la part des plus jeunes, qui ne veulent peut-être plus travailler comme cela se faisait auparavant - ils ont d'ailleurs raison !

Je partage naturellement la prudence de Roger Karoutchi : je vous présente un scénario central sur lequel pèsent plusieurs incertitudes - la guerre en Ukraine, l'attitude de Vladimir Poutine, les approvisionnements énergétiques, etc. Vous savez, le précédent quinquennat m'a appris la prudence et l'humilité... Ce scénario central est raisonnable, il est cohérent avec le consensus actuel des prévisionnistes, mais je ne peux pas en exclure d'autres. Cela rend d'autant plus nécessaire de tenir une ligne claire sur les fondamentaux : rétablissement des finances publiques, politique de l'offre, poursuite des réformes structurelles, notamment la réforme des retraites et celle de l'assurance chômage. Nous devons savoir où nous allons quelles que soient les circonstances.

Il est vrai que les chiffres du commerce extérieur ne sont pas bons, mais il faut aussi avoir en tête que l'Allemagne connaît elle-même, pour la première fois depuis fort longtemps, un déficit commercial, ce qui montre bien l'ampleur des défis à relever.

Nous devons être attentifs à la situation financière de France compétences et à la manière dont les crédits sont dépensés.

Je suis également d'accord avec vous, monsieur Delahaye, sur le fait que la question du pouvoir d'achat et l'impact de l'inflation sont très différents selon les niveaux de revenus des Français. Les chiffres globaux montrent que nous protégeons bien les Français, mais ils constituent évidemment des moyennes qui ne doivent pas masquer les grandes disparités qui existent en la matière. C'est pourquoi nous devons cibler les dispositifs...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas faute de vous l'avoir proposé !

M. Bruno Le Maire, ministre. - ... et c'est pourquoi je revendique le choix que nous faisons sur les carburants. Plutôt que de dépenser près de 1 milliard d'euros par mois au bénéfice de tous les Français, je préfère que nous basculions sur un dispositif plus ciblé en faveur de ceux qui en ont réellement besoin - ce dispositif sera mis en oeuvre à compter du 1er octobre.

Monsieur Savoldelli, je vous rassure, je ne suis pas sous tutelle, comme vous le dites. Je travaille sous l'autorité du Président de la République pour appliquer le projet sur lequel il a été réélu : 40 milliards d'euros d'économies, dont 20 milliards pour l'État, 10 milliards sur les retraites et 10 milliards pour les collectivités locales.

En ce qui concerne les collectivités locales, certaines ont plutôt de bonnes surprises ces derniers temps, mais la situation est plus difficile pour d'autres, en particulier pour les plus petites et pour les communes rurales. Je vous propose de travailler ensemble sur ce sujet.

De manière générale, je crois que le Gouvernement et le Parlement doivent travailler ensemble et en amont pour trouver les pistes d'économies structurelles qui sont nécessaires au respect de nos objectifs.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - C'est la révolution !

M. Bruno Le Maire, ministre. - C'est peut-être révolutionnaire, monsieur le rapporteur général, mais c'est indispensable dans les circonstances actuelles !

Madame Lavarde, nous atteindrons l'objectif de 3 % de déficit d'abord par le plein emploi. On sous-estime complètement les vertus du plein emploi - il est vrai que nous ne l'avons pas atteint depuis un demi-siècle ! - ; ce sont des vertus d'ordre économique bien sûr, mais aussi d'ordre politique et social et en termes de confiance en soi pour notre société. Au-delà, nous devons réaliser des réformes structurelles et le Président de la République a été très clair sur le fait que la réforme des retraites devait s'appliquer à compter de 2023.

La revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu est indispensable, ne serait-ce que pour éviter que des ménages non imposables le deviennent. Elle sera inscrite dans le projet de loi de finances pour 2023, mais elle s'appliquera à compter des revenus de 2022.

La prime dite Macron a été perçue par 5 millions de salariés pour un montant moyen de 500 euros. Il reste donc environ 15 millions de salariés qui ne l'ont pas touchée et je ne saurais trop inciter les entreprises à utiliser cet outil qui est mis à leur disposition. Les entreprises sont dans des situations très différentes selon leur secteur d'activité et leur taille. Dans les secteurs profitables ou qui bénéficient de la période actuelle, comme les transports, je souhaite que les entreprises augmentent les salaires quand elles le peuvent - beaucoup le font et je les en remercie. Dans des secteurs moins favorables ou dans les entreprises qui craignent un retournement de conjoncture, je peux comprendre qu'on n'augmente pas les salaires, mais ces entreprises peuvent alors verser une prime - cela ne menace pas la survie de l'entreprise en cas de retournement de conjoncture.

Les entreprises doivent aussi se saisir des procédures d'intéressement et de participation qui permettent de récompenser les salariés. Nous avons simplifié les dispositifs et le nombre de salariés concernés a augmenté, mais il faut aller plus loin.

En ce qui concerne les éventuels profiteurs de crise, nous voulons contrôler et sanctionner. Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) vont être renforcés et nous lançons une mission de l'inspection générale des finances (IGF) sur la question du seuil de revente à perte - je propose d'ailleurs aux représentants du monde agricole et aux parlementaires qui le souhaitent de participer à cette mission. Vous le savez, je suis très attaché à ce que les producteurs agricoles soient correctement rémunérés pour leur travail.

Il me semble préférable que les entreprises qui font des profits particuliers en cette période de pic inflationniste les redistribuent directement aux Français, par exemple par des remises à la pompe, plutôt que de les taxer spécifiquement. Une taxe va dans le budget général de l'État, pas dans la poche des Français ! Nous ferons les comptes à la fin de l'année, car il faut que cette redistribution soit suffisante. Je pense aux entreprises du secteur de l'énergie, mais aussi à celles des secteurs bancaires, des assurances ou du transport maritime - CMA-CGM a déjà fait un effort que je salue.

- Présidence de Mme Christine Lavarde, vice-présidente -

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - En ce qui concerne les reports de crédits, nous avions fait d'importants efforts depuis 2017 pour les limiter, mais le contexte des deux dernières années et les aléas - situation sanitaire, crise ukrainienne, etc. - expliquent qu'ils sont plus élevés d'une année sur l'autre entre 2020 et 2021 et entre 2021 et 2022.

Je vous donne deux exemples. Les crédits non consommés se sont élevés à 37,5 milliards d'euros en 2020, dont 28,8 milliards sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Vous aviez pris de la marge...

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - C'est vrai, mais c'était une crise historique ! Dans de telles circonstances, il vaut mieux prévoir large plutôt que de ne pas pouvoir payer telle ou telle dépense urgente - je pense aux tests, aux différents dispositifs de soutien à l'économie, etc.

En 2021, les crédits non consommés - 24,6 milliards d'euros - étaient moins élevés et largement dus au plan de relance dont la mise en oeuvre devait s'étaler sur deux ans.

En ce qui concerne la charge de la dette, nous proposons d'ouvrir, dans ce projet de loi de finances rectificative, 11,886 milliards d'euros sur la mission « Engagements financiers de l'État ». Cette inscription nouvelle résulte à la fois de la hausse des taux et de celle de l'inflation, une partie de notre dette étant indexée sur cette dernière. Je précise que l'indice pris en compte est européen ; la hausse est donc plus élevée que si nous prenions en compte l'indice français. La charge d'intérêts liée à la dette indexée s'élèverait à 15,6 milliards d'euros en 2022, soit 30 % du total de la charge de la dette et 10,8 milliards d'euros de plus que le sous-jacent de la loi de finances initiale - 4,8 milliards d'euros. On peut ainsi estimer que plus de 90 % de l'augmentation de la charge de la dette par rapport à la loi de finances initiale provient de l'inflation.

Dans la loi de finances initiale, la charge de la dette s'élevait à 38,7 milliards d'euros ; avec l'augmentation dont je viens de parler, nous atteignons 51 milliards. Ce poste de dépenses dépasse donc effectivement les crédits de la mission « Défense ». Cela montre la nécessité, d'une part, de réduire le déficit public, d'autre part, de faire progresser le budget de la défense ; c'est ce que nous ferons.

En ce qui concerne les collectivités locales, deux grandes questions ont été abordées : l'impact de la hausse de 3,5 % du point d'indice des fonctionnaires sur les budgets locaux et la participation des collectivités à notre objectif de maîtrise de la progression des dépenses publiques.

Sur le premier sujet, il me semble que chacun conviendra qu'il était nécessaire d'augmenter le point d'indice des fonctionnaires dans le contexte actuel d'inflation. Cette augmentation représente un coût de 1 milliard d'euros en 2022 pour les collectivités locales et de 2,1 milliards d'euros en année pleine.

Mais le contexte actuel, qui justifie cette augmentation du point d'indice, a aussi un impact sur les recettes des collectivités locales : sur les cinq premiers mois de l'année 2022, leurs recettes réelles de fonctionnement progressent de 4,8 milliards d'euros par rapport à la même période de 2021. Nous pourrons refaire le point au moment de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.

Sur le second sujet, je rappelle que, dans le cadre de la campagne électorale, le Président de la République a mis en avant un objectif de maîtrise de la progression des dépenses publiques et qu'il a estimé que les collectivités locales pouvaient participer à cet effort à hauteur de 10 milliards d'euros. Il ne s'agit pas, comme cela a été fait entre 2014 et 2017, de baisser les recettes des collectivités. J'insiste, les recettes comme les dépenses des collectivités locales vont continuer de progresser durant ce quinquennat. Avant la crise épidémique, nous avions mis en place un outil pour maîtriser l'évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités - les contrats dits de Cahors. Nous débattrons ensemble et sans tabou, en particulier dans le cadre des prochains débats budgétaires, sur la manière de remplir cet objectif.

Je n'ai pas de tabou non plus sur les voies et moyens pour remplacer la contribution à l'audiovisuel public. L'indépendance des sociétés de l'audiovisuel public me semble d'ores et déjà garantie par la loi. Devons-nous mettre en place une nouvelle commission pour cela ? C'est souvent un réflexe en France de créer une nouvelle commission à chaque fois que se pose une question ; ce n'est pas toujours nécessaire.

Je note simplement que l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), une autorité indépendante, a déjà un certain nombre de compétences en la matière, par exemple grâce aux contrats d'objectifs et de moyens qui lient l'État à chacune de ces sociétés.

M. Roger Karoutchi. - Les responsables de l'Arcom estiment qu'elle n'est pas compétente en la matière.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Peut-être pas directement, mais elle n'est quand même pas complètement étrangère à cette question.

Il faut aussi prendre en compte le travail réalisé par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat et par le Parlement dans son ensemble qui vote les crédits de l'audiovisuel public.

Nous aurons naturellement ce débat lors de l'examen des prochains textes budgétaires.

En ce qui concerne les frais protocolaires, il me semble que de nombreuses informations sont disponibles dans les annexes aux projets de loi de finances, en particulier dans le « jaune » budgétaire sur les personnels affectés dans les cabinets ministériels. S'il faut aller plus loin dans l'information du Parlement, nous sommes à votre disposition pour avancer dans le sens d'une plus grande transparence.

Sur France compétences, le chiffre de 5 milliards d'euros de déficit en 2022 est surestimé, nous tablons plutôt sur 4,6 milliards d'euros dont 2,6 financés par l'emprunt et 2 par une subvention exceptionnelle de l'État, ouverte dans le PLFR. Ce déficit est lié à la hausse des dépenses d'apprentissage, qui prouve la dynamique de notre politique dans ce domaine. Cela ne nous empêche pas de rechercher des pistes d'économies. Nous avons ainsi demandé aux centres de formation d'apprentis (CFA) de rationaliser leurs coûts de fonctionnement, avec un objectif de -10 % d'ici à 2023 pour entre 0,7 et 0,8 milliard d'euros d'économies à terme. Nous réfléchissons à d'autres mesures de maîtrise des dépenses : nous pourrons en débattre à l'occasion du PLF pour 2023.

M. Rambaud a mentionné les dépenses fiscales : sur le précédent quinquennat, nous en avons supprimé une soixantaine, en ayant mené d'importants chantiers comme celui sur le dispositif Pinel. Nous avons aussi amélioré la documentation budgétaire avec le budget vert. Les obligations déclaratives ne suffisent pas cependant pour avoir un chiffre, il faut une évaluation qualitative des dispositifs. Nous aurons ce débat dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques. Notre volonté constante reste de « faire le ménage » dans ces dépenses fiscales inefficientes.

Sur le déplafonnement des contrats, l'État soutient les énergies renouvelables via un complément de rémunération des risques pris par les producteurs pour compenser l'écart entre le tarif de rachat et les prix du marché. Dans le contexte inflationniste actuel, on a le risque d'un effet d'aubaine pour des énergéticiens : l'écart entre prix garanti et de marché se résorbe voire s'inverse dès l'automne 2021, ce qui implique la restitution d'un différentiel à l'État. Toutefois, certains contrats signés entre 2016 et 2019 plafonnaient ce montant restitué à hauteur des sommes déjà versés, avec un manque à gagner pour l'État. C'est pourquoi nous proposons un déplafonnement pour l'ensemble de l'année 2022 soit un gain pour l'État de 2,4 milliards d'euros.

Pour finir, monsieur Bascher, nous mesurons toujours le solde des suppressions d'équivalents temps plein (ETP), qui atteint 3 951 sur le projet de loi de règlement pour 2021, surtout du fait du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en raison d'un plus grand nombre de départs à la retraite que prévu et de difficultés de recrutement et d'attractivité. C'est pourquoi, sous la responsabilité de mon collègue ministre de l'éducation nationale, nous ouvrons un chantier majeur du quinquennat qui est celui du choc d'attractivité du métier d'enseignant : hausse des rémunérations, annoncée par le Président de la République, et transformation du métier.

Certaines suppressions sont aussi liées à des transformations : le ministère de l'économie et des finances est ainsi l'un des principaux contributeurs, le prélèvement à la source et la suppression de la taxe d'habitation et de la CAP lui permettent de dégager les ETP consacrés à leur recouvrement. La trajectoire fera l'objet des débats autour du programme de stabilité. Le mandat qui m'est donné par la Première ministre est la stabilité des effectifs publics sur le quinquennat, ce qui n'empêche pas des évolutions : le Président de la République s'est ainsi engagé sur la création de 8 500 postes au ministère de la justice et sur le doublement de la présence des forces de l'ordre sur la voie publique, objectif du Beauvau de la sécurité. Cette dernière ne dépend d'ailleurs pas seulement d'une hausse des effectifs, mais aussi, par exemple, de la transformation des cycles horaires et du transfert de détenus en milieu hospitalier. Le ministère des armées est aussi concerné, avec une hausse de moyens prévus par la loi de programmation militaire.

M. Philippe Dominati. - Sur le dernier quinquennat, le Président de la République, que vous citez souvent, avait annoncé la suppression de 50 000 emplois dans la fonction publique d'État et autant dans la fonction publique territoriale. Qu'est-ce qui a changé entre les deux mandats pour parler de stabilité désormais ?

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Nous aurons ce débat dans le cadre de l'examen de la loi de programmation des finances publiques. En effet, en 2017, le Président de la République, candidat à l'époque, s'était engagé sur une réduction chiffrée. La crise des « gilets jaunes » a acté un renforcement des services publics sur le territoire, avec un engagement de déconcentration et de relocalisation qui nous a conduits à abandonner un objectif chiffré.

Ensuite, il y a eu la campagne présidentielle elle-même, au cours de laquelle le Président de la République a indiqué ne plus considérer un objectif chiffré mais avant tout des réformes structurelles qui conduisent à des économies. Je reprends l'exemple du prélèvement à la source.

Je constate que les autres candidats, dont une qui prévoyait une baisse de 150 000 ETP, n'ont jamais pu préciser où ces fonctionnaires devaient être retirés.

M. Daniel Breuiller. - M. Dominati nous le dira !

Mme Christine Lavarde, présidente. - Vous nous avez donné des rendez-vous pour l'avenir, monsieur le ministre ! Discuter et disposer des documents le plus en amont possible nous permettra de débattre dans les meilleures conditions dans l'hémicycle.

La réunion est close à 11 h 05.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.