Mardi 21 juin 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 05.

Effets indésirables des vaccins contre la covid-19 et système de pharmacovigilance français – Présentation du rapport fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

La commission entend la communication de Mmes Sonia de La Provôté et Florence Lassarade relative au rapport sur les effets indésirables des vaccins contre la covid-19 et le système de pharmacovigilance français, établi au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, nous accueillons cette après-midi nos collègues Florence Lassarade et Sonia de La Provôté en leur qualité de rapporteurs de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).

Le 12 janvier 2022, une pétition demandant la création d’une commission d’enquête sur les effets secondaires des vaccins contre la covid-19 a été déposée sur la plateforme e-pétitions du Sénat. Compte tenu de la forte dynamique des signatures enregistrées, la conférence des présidents du Sénat a décidé d’y donner suite sans attendre l’obtention des 100 000 signatures normalement nécessaires, ainsi qu’elle avait déjà précédemment procédé pour la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Lors de sa réunion du mardi 8 février 2022, elle a décidé de transmettre cette pétition à notre commission, afin que celle-ci puisse déterminer les suites à lui donner.

En application de l’article 6 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, la commission a décidé de saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l’état des lieux des effets indésirables consécutifs à la vaccination contre la covid-19, ainsi que du système français de pharmacovigilance.

Je remercie très sincèrement le président de l’Office, Cédric Villani, son premier vice-président, Gérard Longuet, et les rapporteurs, d’avoir mené à bien cette mission difficile dans un contexte tendu et de nous éclairer sur une question délicate et très attendue.

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – Depuis maintenant plus d’un an, la vaccination fait partie de nos instruments de lutte contre la pandémie de covid-19. À l’heure actuelle, près de 80 % de la population française a reçu une primo-vaccination complète et plus de 59 % une dose de rappel. Cette campagne vaccinale d’une envergure sans précédent a toutefois été source d’inquiétude pour une partie de la population, notamment en ce qui concerne la sécurité des vaccins, qui ont été développés à une vitesse inédite et grâce à de nouvelles plateformes vaccinales.

À la suite d’une pétition déposée au Sénat, notre commission des affaires sociales a saisi l’Opecst, afin d’établir un état des lieux des effets indésirables consécutifs à la vaccination contre la covid-19, ainsi que du système français de pharmacovigilance. Mes collègues et moi-même avons conduit 23 auditions sous forme d’entretien, qui nous ont permis d’entendre plus de 50 intervenants, du 28 mars au 30 mai 2022, ainsi que d’organiser une audition publique dans un format contradictoire le 24 mai 2022.

Nous vous présentons aujourd’hui un rapport d’étape, qui rend compte de ces travaux et s’intéresse au dispositif de surveillance et d’évaluation des produits de santé, aux effets indésirables induits par les vaccins contre la covid-19 et à la communication ayant entouré ces effets indésirables tout au long de la campagne de vaccination.

Afin d’accélérer la mise à disposition des vaccins contre la covid-19 au vu des conséquences sanitaires des premiers temps de la pandémie, l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency – EMA) a mis en place un système d’évaluation en continu appelé rolling review, qui a permis d’analyser les données fournies par les laboratoires initiateurs des vaccins au fur et à mesure de leur transmission à l’Agence.

La mise à disposition des vaccins a également été accélérée par l’attribution d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle. Cette procédure permet l’octroi d’une AMM sur la base de données cliniques momentanément incomplètes si, et seulement si, le bénéfice de la disponibilité immédiate l’emporte sur le risque représenté par les données manquantes.

Cet aspect conditionnel a été source de nombreuses critiques, certains citoyens ayant le sentiment de faire partie d’une expérimentation. Pourtant, l’octroi d’une AMM conditionnelle n’est pas un procédé nouveau et il est particulièrement légitime dans un contexte de besoin médical non couvert, comme c’était le cas en 2020. En outre, le choix du régime d’AMM conditionnelle permet de laisser la porte ouverte à de nouveaux vaccins.

Si les données de sécurité des vaccins dont l’Agence européenne a disposé pour les AMM avaient peu de recul, il faut souligner qu’historiquement les effets indésirables liés à des vaccins sont toujours apparus dans les mois suivant leur administration et que les essais cliniques ne sont de toute façon pas en mesure de déceler les effets indésirables rares et inattendus, en raison de leurs effectifs limités.

Une fois les vaccins utilisés en population générale, le système de pharmacovigilance a assuré la détection des effets indésirables y étant associés. Ce système s’est remarquablement mobilisé pour accompagner la campagne vaccinale, d’une échelle inédite.

Cela s’est fait tout d’abord à l’échelon des Centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), qui ont examiné les déclarations d’événements indésirables dans un volume tout aussi inédit et qui ont fait remonter une centaine de signaux à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ils réalisent à la fois un examen individuel des cas cliniques et une analyse d’ensemble des événements indésirables déclarés à la suite d’une vaccination contre la covid-19.

L’efficacité de ce dispositif, quasi unique en Europe, a été soulignée. La France est l’un des pays qui contribuent le plus aux bases de données internationales. Le réseau mérite d’être conforté, alors que les financements n’ont pas été à la hauteur du surplus d’activité et que des réformes structurantes menacent son fonctionnement.

Ce système reposant sur la déclaration des événements constatés, il importe que la procédure de déclaration soit accessible à tous, professionnels de santé comme personnes directement concernées, et rendue plus facile. En effet, les professionnels de santé n’ont majoritairement pas la culture de la déclaration et ont très peu de temps à consacrer à cette tâche, qu’ils considèrent souvent comme administrative. Cependant, les déclarations doivent rester suffisamment informatives et s’appuyer sur une présentation des cas cliniques détaillée, pour que les centres qui les analysent puissent établir l’existence ou l’absence d’un lien avec la vaccination.

Une forte mobilisation a également été constatée à l’ANSM, qui a fait montre d’une transparence inédite en publiant régulièrement les rapports de pharmacovigilance sur son site internet.

Si la pharmacovigilance repère des signaux à partir de l’observation d’un nombre de cas qui peut être relativement réduit, la pharmaco-épidémiologie est en mesure de déceler si, à l’échelle de larges groupes de personnes ou à l’échelle populationnelle, un symptôme survient plus fréquemment qu’attendu, à la suite d’une vaccination. Les deux démarches sont donc très complémentaires. L’exploitation par le groupement d’intérêt scientifique (GIS) Epi-Phare des bases de données de santé médico-administratives – qualifiées de « trésor national » –, complétées par les systèmes d’information ad hoc de dépistage (SI-DEP) et de vaccination (VAC-SI), a effectivement permis de quantifier des signaux observés par la pharmacovigilance, mais également d’apporter des informations sur l’efficacité des vaccins en vie réelle, utiles à l’estimation de la balance bénéfices-risques associée à chaque vaccin.

Cette balance est un élément central dans l’élaboration des recommandations vaccinales, permettant de garantir le meilleur niveau de sécurité des vaccins. Elle n’est pas le résultat rigoureux et objectif d’une formule mathématique, mais le produit d’une appréciation collégiale prenant en compte de multiples paramètres et les incertitudes qui y sont liées. Elle est au cœur des discussions d’experts qui conduisent à formuler les recommandations vaccinales.

À cet égard, elle doit être régulièrement actualisée, au vu des connaissances apportées par la pharmacovigilance et la pharmaco-épidémiologie sur la sécurité et l’efficacité des vaccins, mais également parce qu’elle dépend du contexte épidémique – circulation actuelle et prévue du virus, et évolution de la maladie. Cette dépendance au contexte épidémique rend son appréciation difficile alors que les mesures prises par les autorités doivent être cohérentes avec la situation sanitaire et que les citoyens doivent percevoir cette cohérence. À ce sujet, nous souhaitons saluer le récent avis de la Haute Autorité de santé (HAS), qui, en ce sens, anticipe différents scénarios de reprise épidémique à l’automne prochain.

De plus, si elle est appréciée à l’échelle populationnelle, la balance bénéfices-risques doit être évaluée différemment pour les différents sous-groupes de la population –selon l’âge, la présence de comorbidités, etc. –, qui sont concernés par des bénéfices et des risques variés.

L’aspect qualitatif et populationnel de la balance bénéfices-risques et les nombreux paramètres dont elle dépend la rendent difficile à appréhender par la population. Ils peuvent aussi entraîner des incompréhensions, voire créer de la défiance. Aussi, un effort d’objectivation et de transparence est nécessaire afin d’éclairer le bien-fondé des décisions prises par les instances sanitaires.

Les vaccins contre la covid-19 utilisent deux nouvelles technologies vaccinales : les vaccins ARN et les vaccins à adénovirus. Tous deux consistent à faire produire la protéine virale de spicule à des cellules humaines, ce qui a suscité de l’inquiétude.

Cependant, il semblerait que ce soit plutôt la technologie vaccinale qui soit susceptible d’induire des effets indésirables – ARN encapsulé dans une nanoparticule lipidique, ou adénovirus. En effet, parmi les effets les plus marquants, les thromboses atypiques sont associées aux vaccins à adénovirus – les vaccins d’AstraZeneca et de Janssen -, quand les myocardites sont majoritairement liées aux vaccins à ARN – les vaccins de Pfizer/BioNTech et Moderna. Nous présentons dans le rapport le traitement de certains des principaux effets indésirables, dont, notamment, ces thromboses atypiques et ces myocardites qui ont conduit à une modification des recommandations vaccinales.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. – L’adhésion à la vaccination dépend de nombreux facteurs. La crainte d’effets indésirables, qui existent pour tout produit de santé, demeure cependant la principale raison de non-adhésion, dans un contexte où les vaccins utilisés en France reposent sur de nouvelles technologies. Ce dernier point constitue le fait marquant de la pandémie, au-delà des incertitudes relatives à la nature du virus et du constat de la rapidité de son évolution, qui a pris de court l’état des connaissances scientifiques.

Beaucoup ont redouté qu’une partie du génome viral soit intégrée au génome des cellules humaines, mais cette crainte se serait atténuée au fur et à mesure de l’utilisation de ces vaccins, la démonstration de leur efficacité prenant le pas sur les doutes exprimés. Des clarifications ont en outre été apportées sur le fait que l’ARN ne pouvait être intégré au génome humain. De manière générale, l’état des connaissances scientifiques de la population a constitué un facteur important pour l’appropriation de l’utilité vaccinale.

L’adhésion à la vaccination a beaucoup fluctué au cours de la pandémie de covid-19, en raison d’un contexte épidémique changeant, du ressenti de la population à l’égard de la pandémie et du traitement médiatique de la question de la vaccination – ce dernier point pouvant faire varier l’adhésion sur des échelles de temps très courtes.

Nous pouvons souligner à ce propos que, par contraste avec le scénario catastrophe auquel nous avons pu assister lors des premières vagues, marqué par un grand nombre de décès et de personnes en réanimation, l’aspect modéré de la situation sanitaire actuelle est notable. En effet, le nombre de personnes hospitalisées pour des formes graves de la covid-19 et de décès demeure faible, alors que les gestes barrières sont moins respectés, que les confinements ont été levés et qu’aucun traitement antiviral réellement efficace n’a encore été trouvé contre la maladie. Or l’arrivée de la vaccination constitue l’événement majeur de la période qui sépare ces deux moments.

Si la couverture vaccinale est aujourd’hui bien supérieure aux intentions initiales pour la primo-vaccination, l’adhésion à la dose de rappel est en revanche moins élevée. Plusieurs facteurs ont contribué à diminuer les bénéfices perçus de la vaccination. Cela tient notamment au fait que la balance bénéfices-risques collective, sur laquelle reposent les politiques de santé publique, s’articule toujours avec l’appréciation personnelle de la balance bénéfices-risques individuelle, celle-ci pouvant prendre le pas sur l’autre.

Parmi les facteurs susmentionnés, nous pouvons citer la moins grande dangerosité intrinsèque du variant Omicron et des variants qui en sont proches. La déception quant à l’efficacité des vaccins contre la transmission du virus, notamment observée dans le contexte de la circulation de ces derniers variants, a également joué un rôle, alors que la possibilité de tendre vers une immunité collective était ce qui avait amené à se faire vacciner une partie des personnes non exposées à un risque de forme grave de la covid-19 – dans le rêve d’un retour à la vie d’avant. En effet, au fil des mois, l’immunité collective s’est transformée en chimère.

Le rôle de l’information dans l’adhésion est important et le fait que peu de médias majeurs aient questionné ouvertement l’intérêt et la sécurité de la vaccination a vraisemblablement contribué au succès de la campagne. Les réseaux sociaux, qui ont permis à des entrepreneurs de la défiance de véhiculer des messages décourageant la vaccination, auraient finalement eu une influence limitée. Alors que la défiance vaccinale était annoncée comme très importante en France, nous sommes en effet parvenus à un taux de vaccination bien supérieur à celui d’autres pays.

La prise de parole de scientifiques dans les médias, tels que le Pr Axel Kahn militant pour la vaccination des professionnels de santé, a également été très bénéfique à l’adhésion. Plus généralement, la place des scientifiques dans la gestion de cette crise a été importante : la mise en place de comités scientifiques créés spécialement pour la crise de la covid-19 a pu envoyer une image de proximité des gouvernants avec la science et de recherche du conseil scientifique le plus pertinent. Cependant, elle a aussi marginalisé les institutions établies qui constituaient pourtant la référence de la parole publique en matière de politique sanitaire, d’autant que les missions des comités ad hoc étaient parfois redondantes avec celles desdites institutions, ce qui a donné une impression de cacophonie, voire de hiatus entre la parole officielle de l’exécutif et celle de ces structures – notamment s’agissant de la vaccination des enfants. Je pense particulièrement à la HAS et à l’ANSM.

Comme l’Opecst l’avait souligné dans son rapport de décembre 2020 sur la stratégie vaccinale contre la covid-19, la communication qui accompagne une campagne vaccinale de cette ampleur est tout autant essentielle que délicate à mettre en œuvre. Il a été regretté que la campagne vaccinale ait été menée par des acteurs politiques et non par les institutions telles que la Direction générale de la santé (DGS) et Santé publique France, qui ont, dans les faits, été à la manœuvre, mais au second plan. La campagne de vaccination risquait en effet de pâtir de la défiance qui perdure à l’égard des gouvernants en France, ravivée à plusieurs reprises, notamment au début de la crise sanitaire par la polémique sur les masques.

D’autres épisodes ont instauré un doute sur l’articulation effective de la décision publique avec les meilleures connaissances scientifiques disponibles. Nous pouvons citer ainsi les promesses du retour à la vie normale qui serait entraîné par la vaccination, qui ont été formulées alors que les connaissances scientifiques à cette date ne permettaient pas de l’affirmer avec certitude. Encore aujourd’hui, nous ne pouvons rien affirmer avec certitude. Une grande humilité est donc requise dans la parole publique. Nous pouvons citer également la non-prise en compte de la capacité du virus de se transmettre par aérosol ou encore le débat sur la pertinence d’un allongement du délai entre les deux premières doses de vaccin.

La portée limitée des données cliniques obtenues par les industriels et la prise en compte, en conséquence, d’études observationnelles ou dites « de vie réelle », jugées moins robustes que des études cliniques, pour établir certaines recommandations vaccinales ont aussi été mal perçues, de nombreuses personnes s’estimant considérées comme des sujets d’expérimentation.

Le recours aux AMM conditionnelles a aussi été mal compris par le public, d’autant que les contrats d’achat des vaccins n’ont pas été rendus publics. Cette procédure n’est pourtant pas inédite et présente un certain nombre d’avantages dans le contexte de la pandémie de covid-19, comme la possibilité d’une mise sur le marché bien plus rapide. L’extension des recommandations vaccinales à des populations – enfants, femmes enceintes – qui ne figuraient pas dans les essais cliniques initiaux a également surpris. Si l’on sait que les études observationnelles offrent un niveau de preuve moindre, elles ont concerné en l’espèce une partie très significative de la population générale – non seulement nationale, mais aussi mondiale.

Ces décisions sanitaires ont été motivées par l’urgence et les bénéfices supposés de la vaccination. Le bien-fondé de nombre d’entre elles est aujourd’hui avéré. Il n’en reste pas moins que cela a donné le sentiment à de nombreuses personnes de faire partie d’un essai clinique grandeur nature. Les auditions menées ont permis de constater que cet argument est sans cesse repris, même un an et demi après le début de la vaccination.

Dans le cas présent, il était important d’emporter l’adhésion de la population pour réduire rapidement la morbi-mortalité associée à la covid-19, directement, en vaccinant les personnes à risque de forme grave, et indirectement, en réduisant la circulation du virus – les vaccins permettant bien de limiter cette circulation, sans toutefois bloquer la transmission à l’échelle individuelle. Ne pas souligner ce dernier point a d’ailleurs probablement constitué une imprudence dans la communication publique.

Le début de la campagne vaccinale a été marqué par une bonne dynamique d’adhésion. À la fin du printemps 2021, alors que l’efficacité de la vaccination contre la transmission du virus apparaissait satisfaisante et que la dynamique de vaccination baissait, les autorités ont mis en place un passe sanitaire pour protéger certains lieux du virus, mais aussi pour inciter la population hésitante à se faire vacciner. Cette politique a été efficace – la menace de ne pas pouvoir participer à la vie publique en l’absence de passe sanitaire a porté – et a atteint ses objectifs sanitaires.

Puis, pour tenter de faire aller à la vaccination les 5 % à 10 % de personnes qui s’en tenaient à l’écart, un passe vaccinal a été mis en place au début de 2022. Force est de constater que ses objectifs n’ont pas été atteints, et il est à craindre que cette politique plus contraignante ait des conséquences sur l’adhésion à la vaccination en général, d’autant qu’elle est apparue tardivement et a été rapidement arrêtée.

La communication institutionnelle sur les effets indésirables a été relativement discrète par rapport à la communication incitant à la vaccination. Ces deux aspects a priori antagonistes quant à leur propension à faire aller à la vaccination n’ont pas été rassemblés au sein de la campagne de communication. Il a peu été question des effets indésirables, sauf, par exemple, lorsqu’il a été question de ceux, graves, associés au vaccin Vaxzevria. Cet épisode a d’ailleurs illustré le coût de la transparence en matière d’adhésion à la vaccination, puisque la réputation du vaccin a été définitivement entachée, ce qui a conduit à ce qu’il soit sous-utilisé, à un moment où la France ne disposait pas encore de suffisamment de doses pour protéger sa population et alors que la balance bénéfices-risques restait positive pour la majorité des personnes.

S’agissant des autres effets indésirables, si l’information est disponible dans les rapports publiés par l’ANSM sur son portail – une démarche de transparence par ailleurs saluée –, il faut connaître leur existence pour les consulter et leur contenu n’est pas adapté au grand public. En témoigne la mésinterprétation qui conduit à penser, à tort, que les événements indésirables rapportés sont tous attribuables à la vaccination. Dans la mesure où la portée des moyens de communication de l’ANSM est limitée, le fait que l’Agence soit seule responsable de cette communication ne permet pas une bonne appropriation de la notion d’effet indésirable. Or le fait de connaître l’existence des effets indésirables – normale, pour tout produit de santé –, mais aussi leur fréquence contribue à la bonne information des citoyens.

La déclaration d’effets indésirables suspectés d’être dus à un produit de santé n’étant pas dans les habitudes des médecins, il convient d’encourager la pratique dans le cadre d’une campagne vaccinale conduite avec des vaccins sur lesquels le recul est relativement faible. C’est la démarche qui a été entreprise par les autorités sanitaires. Néanmoins, les associations et collectifs ont dénoncé le refus de certains médecins de déclarer des effets indésirables.

Au-delà de la communication visant à inciter à la déclaration, il était important d’organiser la bonne transmission de l’information sur les effets indésirables avérés, suspectés et en cours d’étude auprès des professionnels de santé, pour s’assurer de leur vigilance, mais aussi les guider dans leur pratique.

L’information ayant trait aux effets indésirables, pourtant disponible sur le site internet de l’ANSM, mais aussi aux différents schémas vaccinaux – les doctrines ayant évolué à plusieurs reprises, par exemple, au sujet des délais préconisés –, aurait dû être fournie de manière active aux professionnels de santé. La fréquence quasi quotidienne des messages « DGS-urgent » dont c’était la vocation les a rendus inefficaces, voire contre-productifs. Ces messages étaient en outre parfois complètement abscons et incompréhensibles, et il était difficile d’identifier, dans leur masse, ceux qui pouvaient traiter d’un effet indésirable.

L’adoption d’un discours de vérité par les autorités, en accord avec les avis émis par les agences sanitaires, était nécessaire pour éviter que tout interstice entre les recommandations nationales et l’état des perspectives scientifiques soit investi par les désinformateurs. Dans un contexte où tant l’agent pathogène que le vaccin sont relativement nouveaux, cela implique également de ne pas trop s’avancer sur les connaissances à moyen et long terme – en témoigne la déception suscitée par l’efficacité finalement modeste du vaccin sur la transmission du virus.

Une communication transparente et complète sur l’existence d’effets indésirables, une action vigoureuse pour encourager les professionnels de santé à déclarer des événements indésirables, mais aussi un soutien adapté au système de pharmacovigilance dans son ensemble sont nécessaires pour garantir les conditions de la confiance des citoyens dans la capacité des autorités sanitaires à assurer leur sécurité. C’est d’autant plus important que les plateformes vaccinales utilisées pour faire face à la pandémie de covid-19 ont montré leur pertinence et qu’elles seront certainement à nouveau mobilisées si un nouvel agent pathogène émerge.

Enfin, la confiance se construisant sur la reconnaissance, il semble important de reconnaître l’existence de certains effets indésirables, qu’ils prennent une forme bénigne, comme c’est le cas le plus souvent, ou grave. À ce titre, nous regrettons que l’ANSM ne se soit pas prononcée à l’échelle nationale sur l’existence d’un lien entre les troubles menstruels et certains vaccins contre la covid-19, en l’absence de prise de position du Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance européen (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee – PRAC), alors que les CRPV ont reconnu la pertinence de ce signal. En effet, leur non-reconnaissance alimente la défiance des citoyens dans le système tout entier. De manière générale, la dualité entre les pharmacovigilances française et européenne complexifie également la communication publique sur ces sujets.

La reconnaissance des personnes souffrant d’effets indésirables est également essentielle, d’autant plus qu’une partie d’entre elles se trouve marginalisée et parfois en situation d’errance médicale. Alors que le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale alertait les pouvoirs publics sur le risque d’une stigmatisation des personnes non vaccinées dans sa note publiée le 3 février 2022, il apparaît essentiel que les autorités prennent la mesure de cette autre stigmatisation. Entendre les personnes, les accompagner et les prendre en charge constitue une reconnaissance de leur souffrance qui nous paraît importante.

En dernier lieu, nous tenons à affirmer solennellement que nul ne peut accepter une telle polarisation de la société entre les défenseurs du vaccin et ceux qui craignent que celui-ci ne soit la cause d’effets indésirables nombreux et graves, et qui l’affirment même parfois. La vérité scientifique, qui n’exclut pas les nuances et peut évoluer, doit être la référence qui guide les décisions politiques et permet d’apaiser les trop nombreuses tensions. Une communication claire, simple et accessible à tous constituera en outre le gage de la transparence et de la confiance des citoyens.

Mme Laurence Cohen. – Merci pour cet exposé fouillé et équilibré. Le sujet est complexe, non seulement en raison de la spécificité des données traitées, mais également au vu du besoin de transparence qui s’exprime et de la nécessité qui s’impose aux pouvoirs publics d’y répondre de manière renseignée et scientifique, afin de ne pas risquer d’obtenir d’effet contraire à celui qui est recherché. L’exemple des effets secondaires du vaccin d’AstraZeneca est à cet égard très révélateur. Cette information, délivrée rapidement, sans explication, a suscité une forte défiance à l’égard de ce vaccin à un moment où nous en avions pourtant besoin.

La question est donc de savoir comment faire preuve de transparence sur les effets indésirables des vaccins sans risquer d’éloigner les populations concernées par ces derniers.

L’ANSM se voit confier un nombre croissant de missions, alors qu’en parallèle ses moyens ne cessent de se réduire. Comme vous l’avez souligné, le fait qu’elle soit seule chargée de cette communication paraît donc disproportionné. Qui pourrait prendre en charge cette information ?

Le fait que la transparence ait parfois un effet contraire à celui qui est recherché s’explique par ailleurs par un certain nombre de scandales qui ont éclaté dans le pays et qui ont suscité de la défiance. Le contraste entre les milliards d’euros engrangés par les laboratoires et le manque de vaccins disponibles n’a pas non plus favorisé la confiance de la population pendant la pandémie.

Il est en outre regrettable, s’agissant par exemple de la remise en cause des adjuvants, que soient renvoyés dos à dos les antivax, avec lesquels il est impossible de discuter, et des personnes qui, pourtant favorables à la vaccination, ont subi des effets secondaires et n’ont pas réussi à savoir si elles pouvaient ou non se faire vacciner en toute sécurité.

Ma question est donc la suivante : qui peut être chargé de l’information relative aux effets indésirables des vaccins, sachant qu’il y a aussi beaucoup à faire en matière d’information des professionnels de santé, notamment des médecins généralistes ?

Mme Corinne Imbert. – La Cour des comptes a souligné également la fragilité des financements de l’ANSM. Avez-vous évalué les besoins en financement nécessaires pour garantir le bon fonctionnement des CRPV ?

En réponse à la présidente de la HAS, qui insistait lors de son audition devant nous sur le besoin de transparence concernant les effets secondaires des vaccins, j’ai indiqué qu’une telle intention était louable, mais que cette démarche risquait d’être contre-productive. Il est difficile de manière générale de garantir la transparence de la communication relative à de nouveaux vaccins, sans que cela provoque de l’inquiétude et de la peur.

S’agissant des messages « DGS-urgent », leur diffusion a placé les professionnels de santé dans une posture très inconfortable, car leur contenu changeait en permanence.

Sur le terrain, nous avons également eu parfois l’impression que certaines des hésitations gouvernementales attribuées à un souci de rigueur scientifique tenaient en réalité au souci de gérer la pénurie de stocks de vaccins. Cela a pu être mal vécu et accroître l’inquiétude de certains patients.

Par ailleurs, les bases de données de santé médico-administratives sont-elles suffisamment bien renseignées ?

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. – Non.

Mme Corinne Imbert. – J’ai donc ma réponse !

Enfin, est-il prévu que l’Office s’intéresse dans la suite de ses travaux à la réticence particulière des outre-mer à l’égard de la vaccination, cet élément ne ressortant pas du rapport que vous nous présentez ce jour ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – Oui.

Mme Pascale Gruny. – Je remercie tout d’abord mes collègues sénateurs médecins et pharmaciens d’avoir répondu aux questions que je me posais concernant la vaccination.

La semaine dernière, j’ai reçu le témoignage d’une personne qui m’a dit qu’elle avait eu des symptômes après la troisième dose qu’elle n’avait pas eus après les deux premières, et qu’elle se demandait si les trois contenaient les mêmes produits. Or je n’ai pas su quelle réponse lui apporter.

Si le concept de bénéfice-risque est maîtrisé par le monde médical, il n’est pas du tout compris par la majorité des Français. Il faut rappeler également la place qu’occupe, dans notre pays, le principe de précaution.

Mettons-nous à la place de personnes dubitatives à l’égard du vaccin, qui n’auraient pas la chance de bénéficier des explications de nos collègues : devant les réponses imprécises, peu transparentes et surtout contradictoires qui leur étaient données, chaque matin, à la télévision, par des personnes inconnues dont elles découvraient jusqu’au métier, il est normal que certaines en viennent à refuser, encore aujourd’hui, de se faire vacciner.

Autre exemple : je sais que certains hôpitaux ont créé des observatoires de patients suspectés de covid long, mais j’ignore si cette démarche a été généralisée et s’il en existe un suivi.

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – C’est le cas.

Mme Pascale Gruny. – Le fait est que nous l’ignorons. Nous n’avons pas davantage d’informations sur les effets supposés de la vaccination sur le système hormonal, notamment sur les règles.

Je fais le même constat que Sonia de La Provôté : la crise sanitaire a été gérée uniquement sur un plan politique. Les décisions ont été prises – il faut bien l’admettre – en fonction des élections, d’où la perte de confiance des citoyens. En matière de gestion des stocks, on n’a pas su reconnaître, par exemple, la pénurie de masques.

Enfin, les médecins généralistes – j’en connais qui reçoivent encore 60 à 70 patients par jour – n’ont pas le temps de s’informer et de consulter les revues médicales. Il est nécessaire de leur apporter une information précise et concise.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Et pourtant, le signalement par les professionnels est une question majeure.

Mme Élisabeth Doineau. – Il est très intéressant que l’Opecst ait pu mener ces travaux, tant nous sommes souvent sollicités sur ces questions.

Quelle information transparente peut-on apporter aux populations des DOM-TOM en particulier, qui sont très sceptiques à l’égard des vaccins ?

Par ailleurs, pensez-vous que nous disposons, à l’échelle nationale, mais aussi européenne et mondiale, des moyens suffisants pour croiser l’ensemble des informations disponibles sur les effets indésirables des vaccins ? Ces données sont-elles mises en commun et à la portée de tous ?

Enfin, je le confirme : les médecins, même s’ils le veulent, n’ont pas le temps de prendre connaissance des données de l’ANSM ou d’autres organismes.

M. René-Paul Savary. – Au-delà du bilan, il faut penser à l’avenir. Or les propositions qui sont faites dans la partie « Une confiance à restaurer » – « S’en tenir aux vérités scientifiques » et « Reconnaître la souffrance liée aux effets indésirables » – me semblent antinomiques.

Mme Catherine Deroche, présidente. – C’est en effet maladroit.

M. René-Paul Savary. – Pour revenir aux adjuvants des vaccins mentionnés par Laurence Cohen, ils causent, en France, des effets secondaires beaucoup plus importants que dans les pays voisins. Cela ne correspond pas à la vérité scientifique européenne : ces effets ne sont pas reconnus, mais sont particulièrement ressentis en France. Dans ces conditions, on peut difficilement appeler à s’en tenir aux vérités scientifiques et, en parallèle, reconnaître la souffrance liée aux effets indésirables.

Par ailleurs, pourquoi ne pas proposer, comme nous l’avons fait au sein de la Délégation à la prospective, de mettre en place un Crisis Data Hub consacré aux effets secondaires ? Cela permettrait de compiler et de croiser efficacement les données et, en cas de nouvelle crise, de ne pas repartir d’une page blanche.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Plusieurs personnes m’ont demandé des chiffres sur les myocardites chez les jeunes. Si la covid peut donner lieu à des formes légères, la myocardite est en revanche toujours une inflammation sérieuse. Quel est alors le bénéfice-risque ?

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure. – En matière de communication d’abord, nous avons assisté à une prise en main du politique sur la communication publique, mais aussi à des moments de grande ambiguïté, quand, sur la partie médicale, ce fut le ministre – et néanmoins médecin – qui s’exprimait. Il en est résulté une confusion, voire une collusion, entre la dimension médicale et scientifique d’un côté, la communication politique de l’autre. Si l’on ajoute à cela les débordements sur les réseaux sociaux et les joutes de plateau entre scientifiques de qualité diverse, sûrs de leurs certitudes avant d’être démentis quinze jours plus tard par la réalité médicale, on peut dire que la parole publique a totalement manqué de cohérence.

Finalement, ce sont surtout le directeur général de la santé (DGS), le ministre et le Président de la République, au travers de son conseil de défense sanitaire, qui ont communiqué de manière ponctuelle. Dans le même temps, des institutions qui pourtant ont fait leurs preuves ou, du moins, ont tiré les conséquences de moments difficiles – notamment l’ANSM après l’affaire du Mediator – sont restées relativement silencieuses. Alors qu’elles revendiquent leur indépendance et qu’elles ont été créées pour cela, elles n’ont pas été chargées d’exprimer la parole scientifique.

La multiplication des intervenants et de comités ad hoc – professeur Delfraissy, professeur Fischer, élus, DGS, scientifiques, médecins – n’a pas permis d’identifier un corpus de communication chargé de la partie médicale et scientifique. Il était dès lors difficile de s’y retrouver dans cet afflux de communications, dont on ignorait si elles reposaient sur des bases scientifiques ou, au contraire, sur du sable, voire sur des motivations malveillantes...

La leçon à tirer de tout cela est que nous disposons en France, avec la HAS et l’ANSM, d’instances compétentes sur lesquelles nous appuyer pour communiquer. Qu’un ministre de la santé soit médecin n’est pas un problème, mais il faut séparer la parole médicale de la parole politique.

Par ailleurs, si la communication en faveur de la vaccination a été très active, celle consacrée aux modalités concrètes de déclaration et aux effets secondaires a été très modeste voire, par moments, inexistante. Elle ressemblait parfois à de la transparence jetée dans un océan d’incertitudes.

De nombreuses personnes ont témoigné de leurs difficultés à déclarer leur arrêt de travail ou exprimé le sentiment de ne pas avoir été reconnues. Comprendre la souffrance, l’entendre ou encore accompagner la déclaration ne revient pas à reconnaître l’imputabilité. En revanche, ne pas le faire est une faute. Dans la situation que nous avons traversée, les gens avaient besoin d’être accompagnés, et nous avons entendu, au-delà des revendications, beaucoup de souffrance.

J’en viens à présent aux données de santé. En réalité, le système national des données de santé (SNDS) qui regroupe les données issues de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), des hospitalisations et des mutuelles, ne recouvre pas l’ensemble des données. Les troubles menstruels par exemple, ne donnent pas nécessairement lieu ni à hospitalisation ni à déclaration ni à prise en charge sanitaire ni à consultation gynécologique. Ils font partie de ces nombreux symptômes et syndromes qui n’apparaissent pas dans les données pharmaco-épidémiologiques.

En revanche, les événements rares, mais détectables, sont clairement identifiables par ce système robuste et efficace. Cela a été le cas pour les myocardites Il faut que le groupement d’intérêt scientifique Epi-Phare soit capable de procéder à une revue complète des données de santé afin d’observer les phénomènes émergents.

Les troubles menstruels concernent aujourd’hui tellement de personnes que le fait de ne pas les reconnaître revient à agiter un chiffon rouge alertant sur le fait qu’on ne dit pas tout. Nous devons renforcer les moyens de la pharmacovigilance et libérer la parole sur les effets indésirables. Naturellement, il ne s’agit pas de lancer des informations au grand public sans anticiper les politiques publiques nécessaires, ni de compromettre la politique de santé publique. Tout doit être coordonné, mais la pharmacovigilance doit prendre la parole sur ces sujets, au même titre que les autres intervenants.

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – Laurence Cohen faisait le parallèle entre transparence et inquiétude. L’époque est révolue où il suffisait d’appeler à la vaccination pour que les gens vaccinent leurs enfants. Aujourd’hui, moins on en dit, plus cela se sent et plus la confiance disparaît. Dans le rapport sur l’hésitation vaccinale que nous avions remis, en janvier 2018, avec Cédric Villani, nous avions bien mis en évidence ce phénomène.

Toute la question est de savoir qui prend en charge l’information. Avant que l’information ne soit diffusée dans les médias, il revient selon moi à la HAS de donner des préconisations claires.

Souvenons-nous que le scandale du Mediator a également jeté l’opprobre sur le système de pharmacovigilance, pas seulement sur les laboratoires eux-mêmes.

Concernant les laboratoires, il faut rappeler que développer un vaccin nécessite d’y mettre les moyens. C’est parce que la Biomedical Advanced Research and Development Authority (Barda) a mobilisé 10 milliards d’euros, ce que nous n’avons pas réussi à faire en Europe, qu’un vaccin a été obtenu.

Les techniques utilisées dans les vaccins contre la covid sont très différentes de celles des vaccins classiques. Elles n’utilisent pas d’adjuvants à base d’aluminium. Le rapport détaille ces « plateformes vaccinales » : les vaccins ARN sont portés par des nanoparticules-lipidiques, elles-mêmes composées de quatre lipides différents. De son côté, AstraZeneca utilise comme plateforme l’adénovirus, qu’on modifie en lui introduisant un gène destiné à fabriquer le spicule.

Il est donc possible d’expliquer que l’on recourt non plus à des adjuvants, mais à ces plateformes, qui semblent néanmoins être à l’origine des accidents vaccinaux que sont les phénomènes inflammatoires de type thrombose ou myocardite. Reste à en déterminer la cause exacte.

Corinne Imbert a souligné la fragilité de l’ANSM. Les différents centres de pharmacovigilance nous ont expliqué que, dans la période de crise, les rallonges budgétaires n’ont pas été à la hauteur du surplus d’activité. J’ai trouvé remarquable que la pharmacovigilance ait signalé les troubles menstruels à l’Agence européenne du médicament, laquelle a négligé dans un premier temps ce signalement, avant de finalement le reconsidérer.

Or nous considérons, en tant que rapporteures, qu’il y a là un véritable sujet, corroboré par les témoignages des associations « Où est mon cycle » et « Les navigants libres », que nous avons reçues. Certaines hôtesses de l’air ont été très ennuyées par des saignements et se sont vu retirer leur licence. Il est vrai qu’un gynécologue lambda ne verra pas une gravité extrême dans ce type d’effets secondaires et que ces derniers ne constituent pas nécessairement un motif de consultation. L’utérus étant une zone très inflammatoire, nous disposons de quelques pistes d’explication concernant les mécanismes à l’origine de ces effets, mais nous n’avons pas encore toutes les réponses.

Je vous rejoins sur la politique de communication : nous avons eu, dans un premier temps, une gestion de pénurie. Puis, alors que les vaccins devenaient excédentaires et que l’adhésion à la vaccination marquait le pas, on a voulu passer à la vaccination des enfants et des adolescents. Cela a été mal expliqué : on a invoqué la recherche d’une immunité collective qui n’est toujours pas arrivée. Nous prévoyons d’ailleurs de nous pencher, si nous poursuivons ce travail, sur la vaccination de l’enfant et sur les effets secondaires en fonction des tranches d’âge.

Concernant l’aspect territorial, nous ne disposons pas pour l’heure de chiffres spécifiques aux outre-mer. Assurément, le contexte social y est différent et la part de la non-adhésion à la vaccination due à une méfiance dans les institutions est peut-être plus importante que dans l’hexagone, mais nous y travaillerons.

En réponse à Pascale Gruny, qui évoquait les rappels mal supportés, il semblerait que si la deuxième dose est mal supportée, le rappel pourrait l’être encore moins. En revanche, le fait de bien supporter un vaccin lors des deux premières doses incite au contraire à poursuivre les vaccinations.

Les cas de covid long après vaccin que nous avons recensés seraient survenus, selon les explications scientifiques qui nous ont été données, sur de premières contaminations qui seraient passées inaperçues et que le vaccin aurait réactivées. Les personnes souffrant de covid long ont été incitées à se faire vacciner quand même. Or une première dose mal supportée aurait dû être un signal pour ne pas administrer la deuxième dose.

Avec le recul, j’ai acquis la conviction que c’est au médecin traitant de déterminer quel est le vaccin le mieux adapté à chaque patient. Son rôle est primordial. D’ailleurs, les médecins se sont bien prêtés à l’exercice de la déclaration : les plateformes ont reçu beaucoup plus de déclarations qu’en temps normal et les CRPV disent préférer de loin celles qui sont faites par des médecins à celles qui sont réalisées par des patients, lesquelles sont moins rigoureuses scientifiquement.

En ce qui concerne l’exploitation des données de santé, Epi-Phare a constitué un outil somme toute assez performant qui complète bien le dispositif de pharmacovigilance classique. Même si celle-ci a souffert du discrédit causé par l’affaire du Mediator, elle, qui a été pionnière dans les années 1980, reste l’un des systèmes les plus performants du monde.

Il serait inexact de dire que les pays européens ne se sont pas penchés sur les effets indésirables de la vaccination. Toutefois, nous aurions intérêt à comparer nos données avec les données américaines, israéliennes et australiennes, quand bien même la situation des États-Unis, qui se caractérise par une forte proportion d’obésité, est particulière. Cela explique peut-être que la vaccination des enfants de 6 mois à 5 ans y a déjà débuté.

Concernant enfin les myocardites, le rapport contient des chiffres assez précis page 43. Ainsi, à partir des données obtenues entre le 15 mai et le 31 octobre 2021, il a été déterminé que pour 100 000 secondes doses de vaccin Spikevax administrées, on constate un excès de 17 cas de myocardite chez les hommes de 18 à 24 ans. Un excès de risque a également été signalé chez les jeunes hommes âgés de 12 à 17 ans. Des morts subites ont pu survenir, car, jusqu’ici, on ne recherchait pas les signes d’alerte et on ne donnait pas de consignes particulières aux hommes vaccinés. On sait désormais détecter les myocardites, et cette population est aujourd’hui particulièrement surveillée.

Mme Pascale Gruny. – Au sein de la commission des affaires européennes, nous travaillons avec Laurence Harribey sur la question des médicaments. Il est difficile d’établir des comparaisons avec la Barda, dans la mesure où l’Union européenne n’exerce qu’une compétence d’appui en matière de santé. C’est déjà un exploit que d’avoir permis aux pays qui le souhaitaient de procéder à des commandes de vaccins groupées.

Par ailleurs, le règlement général sur la protection des données (RGPD) constitue un frein important en matière de recueil de données de santé.

Point d’étape sur l’unification du recouvrement – Examen du rapport d’information de la Mecss

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous passons à l’examen du premier rapport d’information résultant de nos travaux de contrôle de cette année, avec un rapport, au nom de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), de nos collègues René-Paul Savary et Cathy Apourceau-Poly sur l’unification du recouvrement social.

Ce sujet peut paraître terriblement technique, mais nos rapporteurs en éclaireront les enjeux, qui dépassent le jeu des acteurs auxquels ils ont été confrontés tout au long de leur mission.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Le sujet qui nous occupe cet après-midi peut paraître technique, voire austère, mais ses enjeux sont lourds en termes d’organisation de la protection sociale, de ressources humaines et d’accès au droit pour les assurés.

Le projet d’unification du recouvrement des cotisations sociales remonte à la fondation de la sécurité sociale elle-même. À partir de 1952, les Urssaf se sont progressivement substituées aux caisses primaires de sécurité sociale et aux caisses d’allocations familiales pour assurer la collecte des cotisations du régime général, les autres régimes sociaux gérant eux-mêmes le recouvrement de leurs cotisations. Cette situation induisait une grande complexité pour les cotisants et une relative inefficience de la collecte.

Compte tenu de la performance des Urssaf et des prérogatives spécifiques dont elles disposent, notamment la capacité de diligenter des contrôles sur pièces et sur place, le projet de leur confier le recouvrement de l’ensemble des cotisations et contributions sociales a progressivement émergé.

C’est ainsi que plusieurs transferts de recouvrement ont été mis en œuvre au cours de la dernière décennie, à commencer par celui des contributions d’assurance chômage, assuré successivement par les Assédic et par Pôle emploi, puis confié aux Urssaf en 2011.

Nous avons constaté au cours de nos travaux que cette réforme ne s’était pas traduite par une amélioration notable de la performance du recouvrement ni par la réalisation d’économies de gestion substantielles. Sur plus de 1 300 salariés affectés au recouvrement, seuls 13 ont été transférés aux Urssaf, tandis que Pôle emploi a repositionné les autres sur des activités en lien avec son cœur de métier, notamment l’accompagnement des demandeurs d’emploi. L’intégration des contributions d’assurance chômage aux contrôles Urssaf a cependant permis de dégager 100 millions d’euros de recettes annuelles supplémentaires, ce qui reste relativement maigre au regard du produit du recouvrement, de l’ordre de 39 milliards d’euros en 2019.

Du reste, l’Unédic ne dispose plus des statistiques détaillées relatives à sa population cotisante, pourtant nécessaires au pilotage du régime, et a récemment subi les conséquences en termes de conditions d’accès à l’emprunt de la non-certification des comptes des Urssaf par la Cour des comptes.

D’autres transferts ont également été effectués à la fin de la dernière décennie. Le transfert de l’activité de recouvrement du régime social des indépendants (RSI), intervenu en 2018 à l’occasion de sa suppression, a permis d’améliorer sensiblement la performance du recouvrement, mais aussi la qualité de service, comme l’a démontré l’action des Urssaf auprès des travailleurs indépendants pendant la crise sanitaire.

Bien que 2 000 salariés du RSI aient été accueillis par les Urssaf, il découlerait de la réforme une économie nette de frais de gestion de 110 millions d’euros sur la période 2018-2022 et une économie nette pérenne de 110 millions d’euros à compter de 2023.

Malgré certains dysfonctionnements désormais réglés, le transfert du recouvrement des cotisations des artistes-auteurs, voté en 2017 et effectif depuis 2019, a permis de remédier aux défaillances de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) et de la Maison des artistes (MDA), qui ne disposaient pas des moyens de recouvrer effectivement les cotisations de retraite de la plupart des artistes, les privant ainsi de droits à pension.

Mené en parallèle d’une réforme en profondeur des règles de fonctionnement du régime visant à les rapprocher de celles qui sont applicables aux travailleurs indépendants, le projet a permis de multiplier par six le nombre d’affiliés, non sans susciter des difficultés pour les cotisants.

Des problèmes persistent toutefois en termes de coopération entre les organismes chargés de l’affiliation au régime et l’Urssaf Limousin, qui a affilié indûment près de 5 000 cotisants en dépit du rejet de leur demande par l’Agessa et la MDA.

Notons qu’aucune convention régissant les relations entre ces deux organismes et l’Urssaf Caisse nationale n’a encore été signée à ce jour.

Pour éviter ce type de situation à l’avenir, nous recommandons de définir impérativement un cadre conventionnel préalablement à tout transfert de recouvrement.

Voici le contexte dans lequel le Gouvernement a souhaité relancer le mouvement de centralisation du recouvrement au début du dernier quinquennat, avec l’objectif de constituer une agence unique chargée du recouvrement social, mais aussi fiscal. Si les ambitions gouvernementales ont été revues à la baisse du fait, notamment, des différences de statut entre les agents des deux sphères et des coûts qui découleraient d’un alignement par le haut, le projet de système universel de retraite, abandonné depuis lors, a justifié l’élaboration d’un calendrier d’unification du recouvrement social échelonné entre 2020 et 2023.

Dès 2018 ont ainsi été adoptés le transfert de la collecte de la contribution due au titre de la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés à compter de 2021 et celui du recouvrement des contributions légales de formation professionnelle dès 2022.

En parallèle a été instauré, à titre dérogatoire et à compter de 2022, un système de reversement des cotisations aux attributaires des Urssaf sur la base des sommes dues et non plus des sommes collectées. En contrepartie de cette mesure visant à assurer la prévisibilité des recettes des régimes concernés par l’unification du recouvrement, les Urssaf appliquent aux sommes reversées un taux forfaitaire pour frais de non-recouvrement et de gestion.

Cette accélération de la réforme a été favorisée par la généralisation de la déclaration sociale nominative (DSN), qui a remplacé la quasi-totalité des formalités déclaratives des employeurs du secteur privé en 2017 et du secteur public en 2022, en instaurant un standard de déclaration harmonisé. Tandis qu’ils devaient auparavant adresser une déclaration sociale spécifique à chaque organisme intéressé, les employeurs ne doivent plus établir qu’une seule déclaration, dont les données sont réparties entre ses destinataires en fonction de leurs besoins.

Bien que la DSN ait constitué à la fois une simplification majeure du processus déclaratif et un progrès considérable en termes de fiabilité, puisqu’elle est directement réalisée à partir du bulletin de paie, une proportion non négligeable d’erreurs est encore constatée. À titre d’exemple, la CNAF estime qu’environ 2 % des DSN alimentant ses bases de données contiennent une anomalie. L’enjeu majeur des transferts programmés réside donc dans la fiabilisation la plus poussée possible des données individuelles véhiculées par ces déclarations, afin de garantir le paiement à bon droit des cotisations et prestations sociales.

La bascule en DSN n’est d’ailleurs pas toujours un processus aisé. Ainsi, le transfert aux Urssaf du recouvrement des cotisations des marins, effectué en 2020, a déchargé les services de l’État et l’Établissement national des invalides de la marine (Enim) du calcul des cotisations dues, désormais assumé par les employeurs. La norme DSN n’étant pas adaptée aux spécificités du régime, le processus déclaratif est fortement complexifié et quantité d’anomalies en découlent. Nous proposons par conséquent de normaliser, à l’avenir, les modalités de calcul et de recouvrement des cotisations sociales de tout régime avant sa bascule en DSN.

La Caisse d’assurance maladie des industries électriques et gazières (Camieg) et la Caisse nationale de retraite des industries électriques et gazières (Cnieg), dont l’activité de recouvrement a été confiée aux Urssaf en 2020 et en 2022, ne font pas état de problématiques de ce type et ont pu procéder au transfert dans d’excellentes conditions, par exemple en adaptant les règles de calcul de leurs cotisations aux standards de recouvrement des Urssaf lorsque cela s’avérait nécessaire.

Pour autant, il n’en résulte aucune avancée particulière, dans la mesure où le taux de recouvrement atteignait déjà 100 % et où les frais facturés aux caisses sont supérieurs à ceux qu’elles supportaient auparavant.

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Il nous faut désormais regarder vers l’avenir. Or la prochaine étape du projet d’unification se révèle à la fois la plus importante et la plus risquée : je veux parler du transfert du recouvrement des cotisations du régime de retraite complémentaire des salariés du privé, géré par l’Agirc-Arrco, qui représente une collecte de quelque 80 milliards d’euros chaque année.

Il s’agit d’un régime tout à fait particulier, et ce à deux égards.

D’une part, il repose assez largement sur des taux de cotisation spécifiques ; ainsi, 20 % des salariés bénéficient d’un taux supérieur au taux standard, tandis que 17 % des entreprises appliquent une répartition plus favorable aux salariés entre parts salariale et patronale au profit de 5 millions de salariés.

D’autre part, le régime fonctionne selon un système par points et est fondé, à ce titre, sur le recalcul systématique des cotisations déclarées, salarié par salarié, « à la maille individuelle » et au fil de l’eau. Le montant des régularisations qui en découle s’élève à environ 850 millions d’euros par an. La fiabilité des données individuelles est d’autant plus indispensable à l’Agirc-Arrco que le premier euro cotisé y ouvre des droits, et ce jusqu’à 8 fois le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS), soit 329 088 euros. Les enjeux ne sont pas les mêmes que dans un régime par annuités tel que le régime général, où une erreur déclarative n’a qu’une influence limitée sur les droits acquis. De fait, quatre trimestres y sont validés dès lors que l’assuré justifie d’une rémunération d’au moins 600 fois le SMIC horaire brut. Une éventuelle anomalie affecte donc surtout le montant du salaire porté au compte, mais de façon très relative : celui-ci n’est pris en compte que dans la limite du PASS, soit 41 136 euros, et seules les 25 meilleures années sont retenues pour le calcul de la pension.

Initialement prévu pour 2022, mais reporté d’un an en raison des conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises, le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco aux Urssaf vise un triple objectif : amélioration de la performance du recouvrement, notamment par l’extension des contrôles Urssaf aux cotisations de retraite complémentaire ; réalisation d’économies de gestion ; simplification des démarches des entreprises, qui disposeraient d’un interlocuteur unique pour la quasi-totalité des cotisations dont elles sont redevables.

Après bien des difficultés liées à un fort déficit de coopération entre l’Agirc-Arrco et les Urssaf, nous avons établi que les taux de recouvrement des Urssaf étaient effectivement légèrement supérieurs à ceux de l’Agirc-Arrco. Pour autant, les avantages allégués du transfert nous semblent largement surestimés.

Tout d’abord, les économies potentielles sont extrêmement faibles : seuls 7,6 % des effectifs chargés du recouvrement à l’Agirc-Arrco seraient transférés, tandis que les autres seraient réaffectés en interne.

Ensuite, les entreprises ne devraient bénéficier d’aucune simplification majeure : la coexistence de deux flux de paiement ne suscite en effet aucune difficulté ; en l’espèce, la véritable simplification, c’était l’unification des déclarations sociales.

Par ailleurs, le transfert devra se traduire par l’ajout à la DSN des données agrégées relatives à la retraite complémentaire, c’est-à-dire des données calculées à l’échelle de l’entreprise à partir de la masse salariale, car le système d’information des Urssaf repose très largement sur ce type de données, tandis que l’Agirc-Arrco, dans une démarche de simplification, reconstitue elle-même les données agrégées à partir des données individuelles depuis 2017. Les démarches incombant aux employeurs en seraient donc alourdies.

Enfin, et surtout, le projet emporte un certain nombre de risques de grande ampleur : en premier lieu, tandis que l’Agirc-Arrco fiabilise les données déclarées à la maille individuelle en recalculant systématiquement et au fil de l’eau les cotisations de ses assurés, les contrôles des Urssaf reposent traditionnellement sur la maille agrégée à l’échelle de l’entreprise. Des contrôles de cohérence sont certes menés de plus en plus fréquemment, mais essentiellement au travers de campagnes ciblées diligentées a posteriori.

L’Urssaf Caisse nationale a donc développé une nouvelle « cinématique » déclarative, actuellement expérimentée par deux Urssaf régionales, qui permettra de contrôler les données DSN au fil de l’eau via une série d’échanges avec le déclarant en vue de la correction par ce dernier des anomalies détectées. En cas d’inaction de sa part, la loi prévoit que le collecteur pourra émettre une DSN de substitution régularisant les données déclarées et adressée à l’ensemble des destinataires de la DSN. De fait, à ce jour, en cas de non-correction par l’employeur, les Urssaf ou l’Agirc-Arrco modifient les données erronées dans leurs propres fichiers, mais ces corrections restent cantonnées au régime concerné. D’où des discordances entre données de retraite de base et données de retraite complémentaire pour les assurés.

Au terme du transfert, l’Agirc-Arrco conserverait la charge de la fiabilisation des données relatives à la retraite complémentaire, qui servira de base au reversement par les Urssaf des cotisations dues. Du reste, une phase pilote est menée avec les éditeurs de logiciels depuis janvier dernier afin de tester les modalités de contrôle retenues dans le cadre du transfert.

Néanmoins, le processus déclaratif proposé est encore trop récent pour permettre à l’Agirc-Arrco de disposer du recul nécessaire pour juger de son adéquation. De plus, la répartition des compétences en matière de contrôle et de relation avec les cotisants n’est pas encore clarifiée : l’Agirc-Arrco craint d’être privée, à terme, du contrôle de l’assiette et de la quotité de travail pour ne plus conserver que celui de la bonne application des taux spécifiques à ses cotisations. Au surplus, elle devrait perdre son rôle de « point de contact » pour les entreprises au profit des Urssaf, qui se tourneraient vers elle pour toute question relative aux cotisations de retraite complémentaire.

S’ajoute à ces problématiques l’alignement des dates d’appel des cotisations sur celles des Urssaf, qui se traduirait par une anticipation de dix ou vingt jours et pèserait à hauteur de 6 milliards d’euros sur la trésorerie des entreprises. Ce n’est évidemment pas le moindre des enjeux en période de reprise, après une crise d’une telle ampleur.

Enfin, la phase pilote est jugée encore trop peu représentative de la diversité des cas particuliers à la fois par l’Agirc-Arrco et par la Cour des comptes, ce qui ne contribue pas à rasséréner les acteurs du transfert.

Dès lors, nous préconisons de demander au Gouvernement de reporter par décret la date de mise en œuvre du transfert à 2024, comme la loi le lui permet, dans l’attente, a minima, de progrès en termes de fiabilisation des données individuelles de la part des Urssaf, afin d’atteindre un niveau de garantie suffisant. Nous souhaiterions que la Cour des comptes se prononce sur l’atteinte de cet objectif avant qu’une décision ne soit prise pour la suite. Dans le cas où le Gouvernement le refuserait, nous suggérons de modifier les textes à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2023 de façon à repousser la date du transfert.

Enfin, nous préconisons d’inclure dans ce moratoire les transferts programmés de l’activité de recouvrement de la Caisse des dépôts et consignations et de la Caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac). La Caisse des dépôts collecte en effet les cotisations dues à divers organismes, notamment la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), l’Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec), la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP) et le Fonds pour l’emploi hospitalier. En l’espèce, ses taux de recouvrement sont supérieurs à ceux des Urssaf et les perspectives d’économies sont extrêmement maigres. Surtout, elle procède, comme l’Agirc-Arrco, au recalcul systématique et à la maille individuelle des cotisations dues à l’Ircantec, régime par points, et développe des capacités de fiabilisation des données individuelles en ce qui concerne les cotisations dues à la CNRACL et au RAFP. À cet égard, elle se trouve donc confrontée aux mêmes risques que l’Agirc-Arrco.

La Cavimac, quant à elle, gère le régime des cultes. Intégrée au régime général, elle procède à l’affiliation des ministres du culte et recouvre leurs cotisations sociales, calculées selon des règles spécifiques, pour les reverser aux Urssaf. Le projet actuel prévoit que la gestion du recouvrement lui soit toujours déléguée, seule la responsabilité juridique étant in fine transférée aux Urssaf. À nos yeux, ce transfert – qui n’en est pas un – illustre par l’absurde la volonté d’« unifier pour unifier » qui inspire le Gouvernement.

Nous ne nous opposons pas, en revanche, à ce que les Urssaf prennent en charge à compter de 2023 le recouvrement des cotisations de retraite des professionnels libéraux affiliés à la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav), cette caisse étant confrontée à des difficultés extrêmement lourdes depuis de nombreuses années, et celui des cotisations de retraite des clercs et employés de notaire. Bien que ce dernier ne présente pas d’intérêt notable en matière de performance, de simplification ou d’économies, leur caisse de retraite et de prévoyance, la CRPCEN, n’y a pas formulé d’objection et travaille dans ce sens en parfaite coopération avec les Urssaf.

Quel que soit l’avenir de l’unification du recouvrement social, nous tenons à rappeler que l’attachement des Urssaf à la maille agrégée ne doit pas faire obstacle à leur progression en matière de fiabilisation des données individuelles. En effet, la DSN sert désormais de base au calcul à la fois de l’impôt sur le revenu et d’un certain nombre de prestations sociales, notamment les aides personnelles au logement (APL) et la prime d’activité.

Or, celles-ci étant recalculées tous les trois mois sur la base des revenus des douze derniers mois glissants, une anomalie non détectée en DSN peut conduire au versement d’un indu ou à la diminution, voire à l’interruption du versement, ce qui serait absolument dramatique pour les bénéficiaires. Ces erreurs peuvent également produire des conséquences sur les droits à pension, dans la mesure où le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU), qui doit servir, à terme, au calcul des pensions des assurés de l’ensemble des régimes de retraite, est alimenté, entre autres, par les flux DSN. Nous attendons donc de la part des Urssaf les avancées nécessaires, qui constituent un préalable indispensable à l’instauration du versement à la source des prestations sociales porté par le Président de la République durant la campagne.

Il convient enfin que les éditeurs de logiciels de paie participent à l’effort collectif de fiabilisation. En effet, la DSN est directement issue de la paie et les anomalies qu’elle peut contenir semblent très largement liées à des erreurs de paramétrage des logiciels de paie. Certains d’entre eux incluent des contrôles embarqués, mais uniquement dans le cadre de versions premium. Au regard de l’ampleur des conséquences d’une erreur déclarative sur les droits des salariés, nous considérons qu’un niveau minimal de fiabilité doit être assuré dès l’édition de la DSN et suggérons à cet effet que les logiciels fassent à l’avenir l’objet d’une labellisation publique visant à garantir le respect de standards techniques.

Telles sont les grandes perspectives que nous vous proposons de tracer pour les prochaines années, en gardant toujours pour objectif le paiement à bon droit des cotisations et prestations sociales. Il en va de la sécurité des droits des assurés, donc du consentement à la cotisation.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Je salue le travail courageux mené avec persévérance par les rapporteurs sur ce sujet très technique.

En tant que rapporteure générale, je reprendrai les conclusions de ce rapport lors de l’examen du prochain PLFSS. Ce report est tout à fait bienvenu, une première évaluation de l’unification du recouvrement étant nécessaire.

De fait, une anomalie non détectée en DSN peut être source de multiples erreurs et placer les assurés dans des situations très difficiles. D’où la nécessité d’agir sur les logiciels de paie. D’autant que, comme cela a été indiqué au cours d’une audition, les procédures que les assurés lésés doivent suivre pour signaler une anomalie sont extrêmement longues et complexes.

L’unification du recouvrement aura des conséquences sur le quotidien des assurés : c’est pourquoi il conviendrait de communiquer en des termes compréhensibles pour le grand public sur ce sujet. Je ne doute pas que vous y parviendrez !

Mme Catherine Deroche, présidente. – Un communiqué de presse sera diffusé.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Je remercie les rapporteurs de ce travail de bénédictin sur un sujet aussi technique.

René-Paul Savary en conviendra : l’Agirc-Arrco n’était guère favorable à cette unification du recouvrement. Bien que la retraite par points ne semble plus d’actualité, vous estimez néanmoins qu’il faut maintenir ce processus, tout en le reportant à 2024 au moins. C’est sage, car, comme vient de le souligner Mme Doineau, tout repose sur la DSN, y compris la lutte contre la fraude aux prestations sociales.

Il s’agit là d’un outil fantastique grâce auquel on peut « en temps réel » calculer le nombre de points de retraite acquis ou déterminer le montant des prestations dues, ce qui permettra de lutte contre le non-recours, puisqu’il est question, si j’ai bien compris, de rendre automatique le versement des prestations sociales.

L’audition par notre commission de M. Fabrice Lenglart, directeur de la Drees, nous avait fait prendre conscience que tout reposait effectivement sur le niveau de fiabilité de cette DSN et sur l’unification du système déclaratif. Par conséquent, les propositions contenues dans ce rapport vont dans le bon sens, notamment le report de l’unification à 2024, si tant est que l’Urssaf fasse des progrès dans la fiabilisation des données individuelles et que les responsabilités soient clairement partagées avec l’Agirc-Arrco.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Ce sujet est en effet très complexe. Quand une erreur survient dans le calcul des droits à prestations sociales, les conséquences peuvent être terribles pour les pensionnés concernés : ainsi, le versement des APL peut, par exemple, être suspendu de façon injustifiée.Le report de l’unification du recouvrement social est donc une mesure sage.

Quant aux logiciels de paie, c’est un véritable maquis ! Il existe plusieurs centaines d’éditeurs de logiciels.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Les logiciels ne sont pas agréés ?

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Une charte de partenariat est proposée aux éditeurs par le GIP-MDS, mais elle n’est pas obligatoire et n’est donc pas signée par l’ensemble des éditeurs.

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Tout repose sur la DSN, qui contient tous les renseignements. D’où l’intérêt du recalcul systématique, à partir de la fiche de paie, des cotisations déclarées « à la maille individuelle », comme le fait l’Agirc-Arrco. C’est particulièrement important dans le cas d’une retraite par points. L’Urssaf Caisse nationale, quant à elle, utilise traditionnellement les données agrégées, c’est-à-dire calculées à l’échelle de l’entreprise, à partir de la masse salariale. Ce mode de fonctionnement n’est pas neutre : : si une entreprise est redevable de 200 euros de cotisations pour 2 salariés dont la paie est identique, soit 100 euros pour chacun, et qu’elle verse 110 euros pour le premier et 90 pour le second, elle paye bel et bien la somme globale due, mais les données individuelles sont erronées. Dans le cadre d’un contrôle opéré à la maille agrégée, l’anomalie sera invisible, ce qui ne sera pas le cas à la maille individuelle. D’où l’importance de détecter ces potentielles anomalies, de sorte que les salariés bénéficient des prestations auxquelles ils ont droit, surtout dans un régime contributif par points comme le régime de retraite complémentaire des salariés du privé.

Monsieur Vanlerenberghe, vous disiez que l’Agirc-Arrco était défavorable à l’unification au moment de la réforme ; à présent, elle y est totalement opposée ! Elle ne veut pas en entendre parler tant que la répartition des compétences avec les Urssaf n’est pas clarifiée et que des garanties suffisantes ne sont pas apportées sur le plan de la fiabilisation des données individuelles. Un transfert à tout prix présente peu d’intérêt, mais des risques importants.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – L’Urssaf sera-t-elle prête pour 2024 ?

M. René-Paul Savary, rapporteur. – Nous suggérons de lui laisser le soin de faire la preuve de la qualité de ses dispositifs de fiabilisation des données individuelles, ce qui sera d’ailleurs utile pour le calcul d’autres prestations que la retraite complémentaire. Je vous renvoie aux préconisations que nous avons faites.

Si, au final, le degré de fiabilité que nous attendons n’est pas atteint, l’unification serait contre-productive. Il appartiendra à la Cour des comptes, par exemple, de donner son feu vert. Certes, l’Urssaf a engagé des expérimentations, mais trop récentes pour que nous disposions du recul suffisant. C’est pourquoi nous proposons ce délai supplémentaire.

Vous avez évoqué la fraude sociale. En effet, si les données transmises via la DSN ne sont pas fiables, on n’évitera pas les indus. A contrario, certaines personnes pourraient se voir priver de prestations diverses auxquelles elles ont droit. Ainsi, selon la CNAF, environ 2 % des DSN alimentant ses bases de données contiennent une anomalie, ce qui n’est pas acceptable, d’autant que les APL et la prime d’activité sont désormais calculées tous les trois mois, sur la base des revenus des douze derniers mois glissants. En l’absence de réactivité, certains allocataires pourraient se voir priver indument de telle ou telle prestation. Si l’instauration du versement à la source des prestations sociales demeure bien l’objectif du Gouvernement, alors il faudra impérativement que les DSN soient fiabilisées.

En conclusion, nous devons veiller à ce que cette unification présente une véritable valeur ajoutée. À ce jour, le bénéfice financier ou logistique de cette opération ne va pas de soi, ni pour les employeurs, ni pour les caisses déchargées de leur activité de collecte. Nous y reviendrons lors de l’examen du prochain PLFSS. Je pense d’ailleurs que le Gouvernement procèdera de lui-même à ce report d’un an par décret, comme la loi le lui permet.

Voici nos propositions.

Premièrement, mener à bien la fiabilisation des données individuelles de la DSN, afin de sécuriser le paiement à bon droit des cotisations et prestations sociales.

Deuxièmement, surseoir au transfert aux Urssaf de l’activité de recouvrement de l’Agirc-Arrco, de la Caisse des dépôts et consignations et de la Cavimac tant qu’un niveau suffisant de fiabilisation des données individuelles n’est pas garanti. Pour la Cavimac, cette unification ne présente aucun intérêt. Idem pour la Caisse des dépôts.

Troisièmement, poursuivre le transfert aux Urssaf de l’activité de recouvrement de la Cipav et de la CRPCEN, lesquelles n’y voient aucun inconvénient.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. – Quatrièmement, élaborer préalablement à tout transfert la convention régissant les relations entre l’organisme gestionnaire du régime et l’Urssaf Caisse nationale.

Cinquièmement, labelliser les logiciels de paie, afin d’assurer autant que faire se peut la fiabilité des données sociales dès leur émission.

Sixièmement, assurer la normalisation des modalités de calcul et de recouvrement des cotisations sociales de tout régime avant sa bascule en DSN.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je vous remercie, et j’adresse toutes mes félicitations à nos rapporteurs.

La commission approuve les recommandations et autorise la publication du rapport sous la forme d’un rapport d’information.

La réunion est close à 17 h 00.

Mercredi 22 juin 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Obésité dans la région européenne de l’OMS - Audition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le rapport 2022

Mme Catherine Deroche, présidente. – Dans le cadre des travaux qu’ont engagés nos collègues Chantal Deseyne, Michelle Meunier et Brigitte Devésa sur l’obésité et l’alimentation, travaux qu’elles nous restitueront la semaine prochaine, nous entendons ce matin des représentants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le rapport 2022 sur l’obésité dans la région européenne de l’OMS.

J’ai le plaisir d’accueillir en visioconférence le Dr Kremlin Wickramasinghe, conseiller « Nutrition, activité physique et obésité » de l’OMS-Europe, le Dr Julianne Williams, responsable « Maladies non transmissibles » de l’OMS-Europe, le Dr Chizuru Nishida, chef de l’unité « Alimentation saine, sûre et durable » de l’OMS, ainsi que Mme Katrin Engelhardt, scientifique, membre de l’unité « Alimentation saine, sûre et durable » de l’OMS.

Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Je vais vous laisser la parole, mesdames et messieurs, pour un bref propos liminaire, avant un échange avec les commissaires.

Dr Kremlin Wickramasinghe, conseiller "Nutrition, activité physique et obésité" de l’OMS-Europe. – La région européenne de l’OMS est composée de cinquante-trois États, les États membres de l’Union européenne notamment.

Ma collègue Chizuru Nishida fera ensuite état des principes directeurs que nous définissons au niveau mondial.

L’obésité représente un facteur majeur de risque pour de nombreuses maladies non transmissibles dans la région européenne, comme le montre l’observation des charges de morbidité des grands groupes de maladies. Ce phénomène a de surcroît pris une ampleur sans précédent au cours des trois dernières décennies, depuis 1990 ; il convient donc d’accélérer notre action pour changer la donne.

Le tabac, l’alcool et l’obésité figurent en tête des principaux facteurs de risque. L’obésité doit donc être combattue pour améliorer la santé dans notre région.

On note que ce problème se pose avec toujours plus de vigueur dans tous les groupes d’âge, enfants, adolescents, adultes : 30 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire souffrent d’obésité et 60 % des adultes sont soit en surpoids, soit en situation d’obésité. Ce rapport permet à la fois de faire un état des lieux et de fournir des pistes d’action.

Il y a dix ans, nous avions établi un objectif : celui de réduire l’obésité d’ici à 2025 ; or il s’avère qu’aucun pays de la région n’est en mesure d’atteindre cet objectif. L’obésité et le surpoids ont partout augmenté . Figure, dans le rapport, une synthèse concernant l’impact de l’obésité sur la santé. Ses effets sur le diabète sont bien connus, mais nous travaillons également avec le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) à la recherche de corrélations entre obésité et cancer ; de telles corrélations sont par exemple établies, à un niveau élevé, pour des cancers comme ceux du sein ou de l’endomètre.

On constate en outre que la pandémie et les fermetures d’établissements scolaires ont provoqué une croissance des cas d’obésité ; l’information du public, en la matière, est décisive.

Nous abordons également, dans ce rapport, d’autres sujets associés à la nutrition et à l’obésité : je citerai la gestion clinique et la prévention.

J’ajoute que, dans la région européenne, de nombreux individus qui ont dû être admis en soins intensifs ou placés sous assistance respiratoire pendant la période pandémique présentaient des symptômes d’obésité.

Un mot, maintenant, sur les politiques que nous recommandons : plus de la moitié des pays de la zone disent avoir mis en place des stratégies inspirées de ces recommandations. Nous avons par ailleurs mis sur pied des plans au niveau national pour informer les populations et promouvoir un environnement sain ; des politiques publiques dédiées sont indispensables.

J’en viens à l’étiquetage des produits alimentaires : c’est un facteur supplémentaire d’information au public. Huit États membres de cette région ont mis en place un tel système ; ils sont vingt-sept à s’être dotés de protocoles et de normes de gestion de l’obésité.

Pour ce qui est de fournir des services adaptés aux enfants, il faut préparer les systèmes sanitaires et former les professionnels de santé.

Nous abordons aussi, dans ce rapport, la question des taxes sur les produits sucrés : seuls deux pays de la zone mettent en œuvre des politiques fiscales de ce genre. Des constats que nous dressons, nous tirons l’enseignement suivant : une politique à elle seule ne saurait permettre de lutter efficacement contre l’obésité ; il faut une combinaison de différents types de stratégies relatives à la commercialisation des produits alimentaires malsains, à l’information, à la promotion de l’activité physique, etc. Des données de bonne qualité sont nécessaires pour effectuer le suivi de nos avancées et de l’effet des politiques que nous préconisons.

Il est indispensable également de hiérarchiser les différentes actions en fonction des contextes, qui peuvent différer fortement, dans les divers pays de la région ; taxer seulement les produits sucrés, par exemple, peut ne pas suffire.

Dans ce rapport, nous évoquons aussi la nécessité de mettre en œuvre des politiques spécifiques tout au long de la vie – je pense aux femmes enceintes. Comment, par exemple, promouvoir l’allaitement ou agir sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires recommandés aux nourrissons âgés de 0 à 24 mois ?

Je précise enfin que le rapport contient un plan de mise en œuvre de ces politiques, condition de leur succès.

Dr Chizuru Nishida, chef de l’unité "Alimentation saine, sûre et durable" de l’OMS. – Un événement très important a eu lieu le mois dernier, la soixante-quinzième assemblée mondiale de la santé ayant adopté les recommandations émises par nos unités concernant la prévention et la gestion de l’obésité tout au long de la vie, ainsi qu’un plan d’accélération visant à mettre un terme à l’obésité.

J’en viens à la question de la « cible de résultats » que nous avons définie, à savoir mettre un terme à la progression de l’obésité chez les enfants et chez les adultes avant 2025 – cible adoptée en 2012 en ce qui concerne les enfants de moins de cinq ans, en 2014 pour les adolescents et les adultes. Une approche plus globale figurait aussi, au titre des objectifs de développement durable (ODD) énoncés par l’Organisation des Nations unies (ONU), parmi les cibles adoptées par l’OMS : mettre fin à toute forme de malnutrition infantile avant 2030. Il était question également de réduire la prévalence de l’obésité à moins de 3 % chez les enfants de moins de cinq ans.

L’Assemblée mondiale de la santé a de surcroît adopté des cibles de résultats intermédiaires, au nombre de trois : réduire l’ingestion de sucre ; augmenter le taux d’allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie des nourrissons ; réduire de 15 % l’inactivité physique au niveau mondial. Cinq cibles s’ajoutent à ce tableau pour le compléter : améliorer la capacité des services de soins à diagnostiquer et à gérer le surpoids, jusqu’au traitement ; accroître la densité nutritionnelle des aliments ; renforcer les mesures de contrôle de la commercialisation des produits alimentaires et des boissons nocifs ; promouvoir l’activité physique via des campagnes nationales ; mettre en place des protocoles nationaux pour prodiguer des conseils à la population.

Afin d’atteindre ces cibles, nous avons également élaboré un « plan d’accélération » pour mettre un terme à l’obésité, sur la base des principes généraux de l’approche systémique, pangouvernementale et pansociétale.

L’OMS met notamment en avant, dans ce rapport, différentes recommandations déjà émises qui ont pour objet l’activité physique, l’alimentation, l’ingestion de sodium et de sucre, les services de santé à l’école, qui fait partie intégrante de l’éducation à la nutrition. D’autres directives sont en cours d’élaboration concernant les politiques d’environnement alimentaire : politiques fiscales, étiquetage, prise en charge de l’obésité chez les enfants et les adolescents, politiques restreignant le marketing alimentaire visant les enfants – sur ce dernier point, je suis heureuse de vous informer que le projet de recommandation sera soumis à consultation publique à partir du 30 juin prochain.

Nous travaillons aussi à élaborer d’autres outils de mise en œuvre. Six briefings relatifs aux politiques d’environnement alimentaire sont ainsi disponibles. Nous avons conçu des guides concernant les politiques d’étiquetage, des manuels concernant les commandes publiques, et recensé les facteurs contextuels qu’il faut prendre en compte en matière de politiques d’environnement alimentaire. Tous ces documents sont consultables sur notre site internet.

De plus en plus de pays, par exemple, travaillent à rendre visible l’étiquetage nutritionnel en rendant obligatoire son inscription sur la face avant des emballages. Je me félicite par ailleurs qu’existent désormais des instruments fournissant une base scientifique au développement de ces politiques – je pense à notre modèle de profilage nutritionnel des aliments. Plus généralement, les États membres doivent se saisir des outils de mise en œuvre que nous élaborons à leur intention.

Dr Julianne Williams, responsable "Maladies non transmissibles" de l’OMS-Europe. – Voici, en quelques mots, la conclusion de notre rapport : aucune intervention ne peut à elle seule stopper la propagation de cette épidémie d’obésité. Il faut adopter des approches politiques complètes et multisectorielles, ciblant les personnes tout au long de la vie et donnant toute sa place à la lutte contre les inégalités. L’important est de ne laisser personne sur le bord de la route !

Mme Michelle Meunier, rapporteure. – Il ne faut surtout pas se décourager, ai-je envie de dire pour commencer : éradiquer l’obésité est un but qui reste à atteindre – et cela fait des dizaines d’années que nous échouons.

J’aimerais vous entendre sur les inégalités de genre. En France, on constate que ce sont les femmes et les filles qui sont les plus touchées par l’obésité ; or vos données tendent à montrer le contraire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Concernant la santé tout au long de la vie et dès le plus jeune âge, avez-vous des recommandations spécifiques ? Je pense à des programmes d’éducation et de prévention tels que le programme Malin, qui visait y compris les parents et s’assortissait non seulement de conseils, mais aussi d’une aide financière permettant d’accompagner les familles dans l’achat de produits spécialement destinés à la toute petite enfance.

Une remarque générale : il manquait à votre présentation, me semble-t-il, un volet économique relatif à la politique commerciale et au secteur agroalimentaire, dont on sait combien il peut se montrer redoutable pour certaines tranches d’âge et catégories sociales – les industriels savent très bien comment amener le consommateur là où il ne faudrait pas qu’il aille.

Dr Ivo Rakovac, conseiller du programme de surveillance des maladies non transmissibles de l’OMS. – S’agissant des inégalités entre les sexes, il existe des différences selon les pays. Bien évidemment, il faudrait effectuer une analyse en profondeur, dans chaque pays, selon le groupe d’âge, mais aussi selon le sexe, pour mieux connaître les catégories de population les plus exposées au risque.

Très souvent, la prévalence est plus élevée chez l’homme, alors que les femmes ont plus tendance à développer une obésité tout au long de leur vie. On observe également des inégalités importantes au regard de l’activité physique.

Le problème est complexe, et les résultats peuvent être différents selon les pays et les régions du monde. Je vous suggère de vous intéresser aux données détaillées dont vous disposez.

Dr Chizuru Nishida. – S’agissant du soutien financier apporté par le gouvernement français aux parents, pour leur permettre d’acheter les produits les meilleurs pour la santé, je considère qu’une telle mesure est vraiment fantastique ! Toutefois, il est également très utile d’expliquer ce qui fait qu’un aliment est bon pour la santé, afin de guider des changements de comportement.

Pour ce qui concerne le marketing, nous sommes tout à fait conscients des stratégies de l’industrie agroalimentaire.

Mme Katrin Engelhardt, scientifique, "alimentation saine, sûre et durable", OMS. – Concernant les recommandations en matière de politique fiscale, nous avons examiné l’impact économique des taxes mises en œuvre dans un certain nombre de pays. Aucune perte économique n’a été observée à cet égard. Ainsi, au Mexique ou aux États-Unis, nous n’avons pas observé d’impact négatif sur l’économie après l’établissement de mesures fiscales.

S’il est difficile de combattre l’obésité, c’est qu’il s’agit d’une forme de malnutrition. Toute une industrie doit changer d’état d’esprit et développer des produits alimentaires beaucoup plus sains. Nous souhaitions, à l’origine, travailler main dans la main avec l’industrie. Finalement, nous avons compris que les gens achèteraient toujours des produits alimentaires, même si une période d’adaptation est nécessaire.

Le marketing constitue une activité très importante pour l’industrie agroalimentaire, puisqu’il permet de mieux vendre les produits et d’augmenter les bénéfices des entreprises. Toutefois, il pourrait être orienté vers des produits meilleurs pour la santé.

Il ne faudrait pas laisser les industries agroalimentaires mettre sur le marché des produits qui ne sont pas bons pour la santé. Il ne faudrait pas non plus qu’elles puissent faire de la publicité pour ces produits, en manipulant le public auquel elles s’adressent.

Mme Chantal Deseyne, rapporteure. – Dans votre dernier rapport, vous alertez sur l’expansion de cette épidémie en Europe et sur ses conséquences. Nous partageons votre constat. Estimez-vous que les politiques de santé publique, en France, ne sont pas à la hauteur des enjeux et qu’il faudrait introduire une plus grande coercition ?

Quels outils préconisez-vous pour faire adhérer la population, en particulier celle qui est la plus éloignée des recommandations ? En effet, une fois le constat posé, nous n’avons pas forcément à notre disposition d’outils pour lutter contre l’obésité.

Enfin, pensez-vous que l’évolution des modes de vie, l’industrialisation, l’abandon de l’alimentation traditionnelle, ont un impact sur le surpoids et l’obésité ?

Dr Chizuru Nishida. – Le gouvernement français a mis en œuvre des taxes sur les boissons sucrées. D’après nos informations, ces politiques ont été révisées, afin de les rendre plus restrictives. Par ailleurs, ce gouvernement évalue l’impact de cette politique fiscale. C’est formidable ! En effet, très souvent, l’évaluation périodique de l’impact des différentes mesures prises n’est pas faite. Or il est extrêmement important d’évaluer les politiques mises en œuvre et de les ajuster, afin d’atteindre les cibles déterminées.

S’agissant de l’industrialisation et de la mondialisation, il est vrai que les habitudes alimentaires ont changé, en France, en Europe, mais aussi partout dans le monde. Ainsi, un plus grand nombre de produits hautement traités, qui sont plus riches en sucre et en sel, sont désormais disponibles pour de nombreux groupes de population. Il convient d’être bien conscients de ces changements d’habitudes alimentaires.

La mise en œuvre d’une politique ne suffit pas : il faut également suivre l’évolution de l’environnement en cours de transformation.

Mme Katrin Engelhardt. – Je souhaite évoquer l’importance de l’allaitement et d’une alimentation saine dès le plus jeune âge. Il faut réfléchir non seulement au contenu, c’est-à-dire à la quantité de sucre et de sel, mais aussi aux produits alimentaires destinés aux jeunes enfants. Il s’agit de jeter les bases, au cours de l’enfance et de l’adolescence, d’une réduction de l’obésité et du surpoids. En effet, il est très difficile de réussir à atténuer le problème à l’âge adulte.

Il faut donc élaborer des normes et garantir que les produits alimentaires disponibles dans le cadre du système scolaire sont conformes à ces normes.

Les recommandations et les principes directeurs concernent tous les groupes de population. Ainsi, pour ce qui concerne la transformation des environnements alimentaires, les taxes sur les boissons sucrées doivent être payées par tout le monde ! C’est possible si des produits plus sains sont fournis à des prix abordables. C’est la raison pour laquelle l’OMS recommande un changement de l’environnement alimentaire, afin de toucher tous les groupes de population. Je pense notamment aux produits alimentaires disponibles dans l’environnement scolaire.

Dr Julianne Williams. – Nous sommes très reconnaissants à la France de jouer le rôle de chef de file en la matière. Vous avez des données extrêmement solides sur la prévalence de l’obésité chez les enfants âgés de six à neuf ans. Vous disposez également du système Nutri-Score : nous aurions souhaité qu’il soit obligatoire ; toutefois, nous comprenons que les règlements européens rendent difficile une telle mesure.

Nous sommes préoccupés par la commercialisation des produits de substitution au lait maternel. Ce secteur utilise des influenceurs. Dans ce domaine, nous pourrions intervenir et fournir un soutien dans différents pays.

Dr Ivo Rakovac. – Pour ce qui concerne la taxe sur les boissons sucrées, l’industrie change très souvent les niveaux de sucre. Ainsi, au Royaume-Uni, les populations qui achètent ces boissons achètent désormais des boissons moins sucrées.

Les politiques fiscales bénéficient aux populations les plus pauvres ; elles protègent bel et bien les populations que l’on souhaite protéger !

Mme Jocelyne Guidez. – Ne pensez-vous pas qu’il faudrait faire de la prévention, en intervenant dès les classes élémentaires ?

Comment changer les régimes alimentaires pour qu’ils deviennent plus sains et plus durables ? En effet, à chaque fois qu’on fait un régime, on prend ensuite dix kilos par rapport au poids initial...

Dr Chizuru Nishida. – Pour ce qui concerne les politiques alimentaires et nutritionnelles en milieu scolaire, il est très important d’introduire des normes et de garantir que les repas servis s’alignent sur ces normes, notamment dans les écoles primaires et secondaires, ainsi que dans toutes les institutions publiques.

En matière de régime alimentaire, la situation est compliquée. Il existe différents programmes de régime alimentaire. Perdre du poids ou gérer un surpoids revient à atteindre un équilibre en termes d’énergie.

Aux États-Unis, l’épidémie d’obésité a commencé avec la popularisation des produits à faible teneur en matières grasses, qui présentent un niveau de sucre plus élevé. Il convient donc d’étudier attentivement les étiquettes, pour bien comprendre ce que le produit contient et ce que l’on choisit de manger.

Je le répète, les politiques d’étiquetage sont très importantes. Le Nutri-Score, qui figure à l’avant et à l’arrière des emballages, permet aux consommateurs de mieux comprendre ce qu’ils mangent.

Par ailleurs, il convient d’améliorer la culture alimentaire des consommateurs, en les encourageant à bien lire l’étiquetage figurant sur les emballages.

Mme Katrin Engelhardt. – À l’âge adulte, réduire l’obésité est très compliqué. Pour rendre les régimes alimentaires plus sains, les gouvernements disposent d’options politiques. Ils peuvent être proactifs, pour reformuler ou garantir que les produits sont moins riches en sel, en sucre et en graisse.

Souvent, c’est le marketing qui fait que nous sommes attirés par certains produits alimentaires. Parfois, on nous présente des produits commercialisés comme étant « sains ». Ces tactiques du secteur agroalimentaire, auxquelles il faut s’attaquer, sont destinées à vendre des produits.

Dr Ivo Rakovac. – Les régimes alimentaires durables et sains sont très importants, notamment dans les écoles maternelles et primaires.

Nous avons élaboré un guide juridique des achats publics pour ce qui concerne l’alimentation scolaire, qui prend en compte le caractère sain des produits alimentaires. Ce guide est évidemment compatible avec les règles régissant la concurrence au niveau de l’Union européenne.

Dr Julianne Williams. – Nous avons demandé aux États membres de l’Union européenne quelles étaient leurs priorités. Nous pourrons partager ces informations avec vous après cette réunion.

Pour ce qui est de la politique de reformulation, nous souhaiterions collaborer avec vous concernant le benchmark des niveaux de sel et de sucre. La France pourrait être un très bon exemple pour l’Union européenne. Nous serions heureux de vous apporter notre soutien en la matière.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Ne faudrait-il pas élaborer des indicateurs supplémentaires, comme cela se fait au Chili ? Le Nutri-Score est un indicateur synthétique qui ne précise pas les apports énergétiques du produit, s’il contient trop de sucre, de sel ou de matières grasses. Cet indicateur qui devrait être obligatoire n’est que très peu utilisé, le consommateur devant souvent lire l’étiquette pour s’informer.

Dr Julianne Williams. – Chaque pays décide de ses indicateurs. Les recherches sur les comportements des consommateurs dans votre pays indiquent peut-être qu’il faut modifier l’étiquetage.

Dr Chizuru Nishida. – En effet, au Chili, après une analyse des comportements des consommateurs, il a été décidé que les étiquettes devaient comporter un dispositif spécifique afin de favoriser la consommation d’aliments à faible teneur en sucre, sel et matières grasses.

Mais les choses dépendent des connaissances et des comportements des consommateurs dans chaque pays. L’étiquetage dépend des objectifs que l’on se fixe, et de ce que les populations peuvent facilement comprendre. On ne peut pas dire quel système est le meilleur, car chaque pays connaît une situation particulière.

Dr Ivo Rakovac. – Le Nutri-Score est probablement l’un des systèmes les plus efficaces. Il a été évalué de façon très rigoureuse, et son influence sur les comportements des consommateurs a été démontrée.

Tous les systèmes peuvent certes être améliorés, mais vous devez faire attention à ne pas faire plus de mal que de bien, car le Nutri-Score est déjà très performant.

Mme Catherine Deroche. – Nous vous remercions. Nous allons consulter les documents disponibles sur le site de l’OMS, et je vous invite à regarder le rapport que nous publierons la semaine prochaine.

Nous avons vu durant la crise sanitaire à quel point les personnes obèses étaient plus fragiles, l’obésité favorisant de nombreuses pathologies. Compte tenu de la surcharge qui pèse actuellement sur l’hôpital et la médecine de ville, la prévention de l’obésité et des maladies qu’elle génère est d’autant plus importante.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 45.