Mardi 7 juin 2022

- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -

La réunion est ouverte à 17 h 05.

Examen du rapport d'information

M. Stéphane Piednoir, président. - Mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de la mission d'information sur la redynamisation de la culture citoyenne, mise en place le 1er décembre dernier à l'initiative du RDS. En vue de la réunion d'aujourd'hui, un rapport provisoire vous a été communiqué mercredi 1er juin.

Ce rapport s'appuie sur 27 auditions plénières et sur 12 auditions de notre rapporteur, ouvertes à l'ensemble de la mission. Au total, nous avons entendu 66 personnes en réunions plénières, dont quatre membres du Gouvernement, et 22 personnes au format « rapporteur ».

Nos trois déplacements - à Dunkerque, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool, puis dans le Maine-et-Loire et dans l'Hérault - ont confirmé le dynamisme des acteurs de terrain dans les domaines couverts par la mission.

Les élus locaux que nous avons consultés sur la plateforme en ligne du Sénat ont été nombreux à nous adresser témoignages et suggestions. Ils sont abondamment cités dans le rapport, auquel est annexée une synthèse de leurs contributions. Qu'ils soient chaleureusement remerciés pour leur participation.

Je me réjouis que l'une de nos réunions se soit tenue en association avec la délégation sénatoriale aux outre-mer. Il est toujours valorisant de créer des synergies avec d'autres structures du Sénat sur des thématiques communes.

Nos travaux, en écho à une actualité marquée par des échéances électorales importantes, se sont inscrits dans un questionnement plus général sur l'abstention, notamment parmi les jeunes - un phénomène mis en lumière par les élections départementales et régionales de l'année dernière. Comment donner envie aux jeunes de voter ? Comment éduquer les électeurs et futurs électeurs à la citoyenneté ?

Au cours de nos auditions et déplacements, nous avons veillé à donner la parole aux jeunes : volontaires du service national universel (SNU) et du service civique, jeunes élus locaux, membres de conseils de jeunes de métropole et des outre-mer, lycéens et responsables associatifs.

Une note de la division de la Législation comparée sur le service civique a complété notre information sur le sujet. Annexée au rapport, cette étude montre que les politiques publiques encourageant l'engagement des jeunes ne sont pas propres à la France : d'autres pays partagent cette préoccupation, notamment l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Par ailleurs, la situation en Ukraine, qui prouve que la guerre sur notre continent n'est plus une hypothèse d'école, jette à mon avis un éclairage nouveau sur la formation à la citoyenneté. Formons-nous des citoyens qui seraient prêts à s'engager pour défendre leur pays - étant entendu que cette défense peut revêtir bien d'autres aspects que le maniement des armes ? Y serions-nous prêts nous-mêmes ? Nous avons beaucoup parlé d'engagement pendant cette mission d'information : il est légitime de s'interroger sur cette dimension de la citoyenneté, même si le rapport traite de l'ensemble des dimensions de cette vaste question.

Après l'exposé du rapporteur et le débat qui s'ensuivra, nous procéderons au vote sur les recommandations. Les groupes pourront adresser au secrétariat de la mission, jusqu'au jeudi 9 juin à midi, leurs éventuelles contributions écrites, destinées à faire état, le cas échéant, de positions spécifiques ; ces contributions seront annexées au rapport.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Mes chers collègues, cette mission d'information est partie pour moi d'une conviction forte : si la distance entre les élus et les citoyens s'est creusée d'élection en élection, si la défiance s'est accrue, comme le montre le taux d'abstention, c'est notre responsabilité de faire en sorte que la politique réponde aux attentes de nos concitoyens, même si cela passe par une mise en question de nos pratiques et de nos méthodes.

Face à cette distance croissante entre les citoyens et les élus, j'ai souhaité réfléchir à ce que cela signifie aujourd'hui, être citoyen. J'ai choisi d'aborder cette question à travers la notion de « culture citoyenne » : la « culture citoyenne » est en effet ce qui permet à chacun de s'inscrire dans un projet commun par des références partagées. Or aujourd'hui, notre pays connaît tant de fractures et de défis que l'on a du mal parfois à trouver quelles références nous partageons vraiment tous et toutes. Il faut donc redynamiser cette culture citoyenne, qui s'est affaiblie. C'est une responsabilité collective.

J'ouvre une parenthèse sur la définition de la citoyenneté. Le sens de cette notion a évolué avec le temps et a intégré des dimensions diverses : solidarité, civisme et respect de l'environnement notamment.

Je voudrais rendre hommage ici à nos prédécesseurs qui, en 1997, débattant de ce que devait devenir le service national avec la professionnalisation des armées, avaient proposé la mise en place d'un « rendez-vous citoyen » d'une semaine, obligatoire pour tous les jeunes, garçons et filles, afin qu'ils découvrent les armées et la gendarmerie ainsi que les différentes formes de service volontaire et de réserves. Malheureusement, ce projet de loi n'a pas perduré et finalement ce « rendez-vous » a été réduit à une petite journée, dont la journée défense et citoyenneté (JDC) est aujourd'hui l'héritière.

Pour ma part, je regrette que ce « rendez-vous citoyen » n'ait pas été mis en place. Il y avait là un usage intéressant du mot « citoyen » : a contrario, je trouve à titre personnel le combat de l'association « Alliance citoyenne » assez peu « citoyen ».

J'ai souhaité aborder la culture citoyenne dans une double approche. D'une part, comment le citoyen est-il éduqué, formé à la connaissance des valeurs communes qui sont le socle de la citoyenneté ? Cette éducation à la citoyenneté fonctionne-t-elle ?

D'autre part, qu'est-ce qui doit évoluer dans les pratiques démocratiques pour rapprocher le citoyen des institutions ? J'en suis convaincu, c'est à un changement de culture politique que nous invite la situation actuelle.

J'ai fait le choix de structurer le rapport dans la logique d'un « parcours citoyen » inscrit dans une continuité, dès l'école et à toutes les étapes de la vie. Ce parcours, dans sa logique chronologique, inspire la structure du rapport. Vous en avez une illustration sur l'infographie qui vous a été distribuée, et qui sera insérée au rapport.

Les 23 recommandations que je vous propose sont assorties d'un tableau de suivi, annexé au rapport, dans l'esprit des préconisations issues du rapport du groupe de travail du Sénat sur la modernisation de ses méthodes de travail dont Pascale Gruny, vice-présidente, était rapporteure.

La première partie du rapport concerne l'éducation à la citoyenneté, et plus particulièrement le socle de connaissances sur lequel doit s'appuyer la culture citoyenne : l'enseignement moral et civique (EMC) est une dimension importante de cette analyse.

Les deux premières recommandations tirent les conséquences des constats suivants : les programmes d'EMC sont très (trop) ambitieux et rédigés de manière confuse ; l'ampleur des thématiques qu'ils contiennent contraste avec la demi-heure hebdomadaire réservée à l'EMC dans les emplois du temps ; l'article L. 312-15 du code de l'éducation, qui détermine ces programmes, a été modifié une fois par an en moyenne entre 2017 et 2022 (et deux fois pour la seule année 2021) ; paradoxalement, si les programmes sont surdimensionnés, les manuels, qui appliquent ces programmes, sont plutôt pauvres en informations ; ils contiennent des documents bruts, beaucoup de photographies et d'images en couleurs, mais peu de texte permettant d'accéder aux connaissances ; on constate des redites d'année en année, liées à la structuration des programmes par cycle pluriannuel et non par classe ; sur le plan sociétal enfin, c'est une approche assez négative et pessimiste qui domine ; par exemple on parle beaucoup des discriminations, mais pas de l'édifice juridique construit depuis des décennies dans notre pays sur le principe d'égalité ; on parle des « scandales politico-financiers » et de la défiance à l'égard de la représentation politique, mais sans préciser qui sont ces responsables politiques et quelles sont leurs fonctions !

Le bilan de cet enseignement est sans appel : nous avons entendu maints témoignages de l'ignorance des jeunes - y compris d'étudiants en première année de droit - sur le rôle et le fonctionnement des institutions. Il y a dans le rapport des citations très explicites, notamment d'une jeune élue qui s'est adressée à nous via la plateforme des élus locaux. Je vous invite à prendre connaissance de ces témoignages. En d'autres termes, l'EMC ne prépare pas les jeunes à exercer leur droit de vote et ils sont nombreux à ressentir à cet égard un sentiment d'illégitimité. Ce n'est pas acceptable.

En conséquence, la recommandation n° 1 vise à recentrer la définition législative de l'EMC sur ce qui devrait être son objectif premier : tout d'abord la connaissance des institutions et des principes de la République, et ensuite la transmission d'outils permettant de comprendre les grands enjeux du monde contemporain (environnementaux, sociétaux et internationaux). L'article L. 312-15 du code de l'éducation doit donc être modifié en ce sens et nous devrons, en tant que parlementaires, nous astreindre à cesser de le modifier au gré de l'actualité législative, comme cela a été le cas ces dernières années.

La recommandation n° 2 concerne l'élaboration des programmes par l'Éducation nationale : ils doivent être revus sur cette base et conçus dans une logique annuelle, classe après classe, et non dans une approche par cycle.

Ensuite, nos auditions ont mis en lumière une formation insuffisante des enseignants à l'EMC, qui repose le plus souvent, dans le secondaire, sur les professeurs d'histoire-géographie. Pourtant, l'EMC ne figure pas au programme des concours de recrutement de ces enseignants. Il faut donc que ces concours comprennent une question d'EMC. Quant aux professeurs des autres disciplines qui peuvent être chargés de cours d'EMC, il faut qu'ils puissent être y formés dans le cadre de la formation continue. Tel est l'objet de la recommandation n° 3.

Afin d'accompagner les enseignants, la recommandation n° 4 vise à élaborer à leur attention des outils pédagogiques clairs et objectifs sur le rôle des institutions. Il est extrêmement difficile pour les enseignants de s'y retrouver dans la masse d'outils pédagogiques disponibles en ligne, sans aucun accompagnement. L'élaboration de ces outils pédagogiques serait confiée à l'Éducation nationale, en lien avec les institutions (associations d'élus, services du Parlement français et du parlement européen, services du Premier ministre...). Le Sénat a mis en place en 1999 un site dédié, Sénat junior : il s'agit de s'inspirer de cette démarche et de la généraliser à l'ensemble des institutions, locales, nationales et européennes dans une approche coordonnée.

Dans le même esprit, la recommandation n° 5 a pour objet de généraliser des rencontres entre élus et élèves, dans les classes ou lors de visites d'institutions locales et nationales. Les élus locaux consultés par la mission d'information ont spontanément suggéré cette pratique pour rapprocher les citoyens (ou plutôt futurs citoyens) des institutions. Montrer concrètement le travail des élus sur la base de contacts directs est en effet un levier intéressant : nous l'expérimentons tous et toutes lorsque nous allons dans les classes échanger avec les élèves. De même, les visites d'institutions (mairies, conseils départementaux, régionaux...) par les élèves doivent être encouragées. Des conventions entre l'Éducation nationale et les institutions (mairies, conseils départementaux, généraux, etc.) devraient être conclues pour favoriser ces échanges et ces visites.

Enfin, la recommandation n° 6 vise à mieux connaître le niveau des élèves en EMC en y étendant l'évaluation des acquis qui a lieu en classe de 6e et de seconde.

Autre étape importante du parcours citoyen : la journée défense et citoyenneté (JDC), lointaine héritière du service national obligatoire. Elle doit retrouver sa vocation initiale de rendez-vous unique, dans la vie d'un jeune, avec les armées et avec toutes celles et ceux qui assurent la défense de notre pays. Cet objectif avait été défini en 1997 lorsque la conscription a été suspendue. Or son socle juridique a été modifié douze fois depuis 1997, et certaines années deux fois (en 2004 et 2011). Le programme de la JDC intègre aujourd'hui des problématiques très diverses (don d'organe, de sang, de gamète, de plaquettes, sensibilisation à la sécurité routière, dangers des addictions, etc.) certes intéressantes, mais en parallèle, le temps dédié aux questions de défense et de sécurité s'est contracté (moins de trois heures sur huit), ce qui est paradoxal.

La base législative de la JDC doit donc être rédigée dans une logique de recentrage. Tel est l'objet de la recommandation n° 7. Là encore, nous devrons nous astreindre à éviter par la suite de modifier trop fréquemment cette disposition.

L'éducation à la citoyenneté concerne aussi les formations citoyennes délivrées en dehors de l'école, dans une logique de rattrapage.

La recommandation n° 13 concerne ainsi l'exclusion temporaire des élèves : il faut que cette sanction soit l'occasion pour le jeune d'une prise de conscience citoyenne. Le risque est que ces jeunes se retrouvent privés de tout repère pendant plusieurs jours, en dehors du cadre structurant de leur établissement scolaire. Nous avons observé pendant notre déplacement dans l'Hérault une bonne pratique mise en place à Montpellier par l'association Uni'sons. Cette initiative gagnerait, j'en suis convaincu, à être généralisée sur une base partenariale, avec les acteurs locaux.

J'ai aussi souhaité mettre l'accent, dans cette première partie, sur l'éducation à la citoyenneté dans les dispositifs d'insertion sociale et professionnelle. J'ai découvert combien les structures qui accompagnent les jeunes en difficulté, souvent en situation de décrochage, attachent d'importance à l'éducation à la citoyenneté.

On ne peut attendre d'un jeune qu'il se sente citoyen s'il a le sentiment de ne pas avoir sa place dans la société. Et inversement la formation citoyenne est un vrai levier d'intégration.

Le rapport traite plus particulièrement des missions locales de l'Épide et, dans une moindre mesure, du service militaire volontaire : ces constats valent également pour les écoles de la deuxième chance.

S'agissant plus particulièrement de l'Épide, les auditions ont montré que la notoriété de cet établissement devrait être renforcée. Sa visibilité sur la plateforme « 1 jeune, 1 solution » devrait tout d'abord être améliorée, car il est difficile de trouver cet établissement en ligne, sauf si l'on connaît déjà son existence. En outre, deux points me semblent souhaitables : premièrement, il y a une vraie difficulté pour des jeunes qui n'ont obtenu aucun de leurs choix sur Parcoursup et qui se retrouvent sans perspective. L'Épide devrait donc faire partie, en dernier recours, des options proposées par les commissions d'accès à l'enseignement supérieur (CAES) aux jeunes dont le profil correspond à celui des volontaires à l'insertion (recommandation n° 15) ; deuxièmement, il faudrait assouplir la durée pendant laquelle l'Épide peut offrir une solution d'hébergement à des jeunes qui, bien qu'ayant un contrat de travail, ne peuvent encore accéder à un logement autonome. Cet hébergement est actuellement de trois mois maximum après la fin du contrat de volontaire à l'insertion. Je propose de le porter à une durée totale de six mois pour que l'Épide puisse jouer pleinement son rôle d'accompagnement vers l'autonomie (recommandation n° 16).

Enfin, les « stages de citoyenneté » effectués à la demande du parquet, par exemple comme mesures alternatives à des poursuites pénales et aux frais des stagiaires, gagneraient à être évalués par le ministère de la justice afin que l'on puisse apprécier leur impact en termes de prévention de la récidive (recommandation n° 14).

Ensuite, pour être vivante, la culture citoyenne peut s'incarner dans un engagement aux modalités très diverses, du délégué de classe aux très nombreuses formes de bénévolat. Tel est l'objet de la deuxième partie du rapport.

Nous avons entendu parler pendant nos auditions de « soif d'engagement » à propos des jeunes. Mais cet engagement n'est peut-être pas celui auquel nos générations sont habituées. Nous l'avons vu, les jeunes s'engagent différemment, pour une cause plus que pour une structure, et souvent dans une logique de « zapping » qui est un vrai défi pour les acteurs de la vie associative.

Il y a bien des façons d'être engagé au service de la collectivité, notamment par son métier ou par l'exercice d'un mandat d'élu. La deuxième partie du rapport se concentre plus particulièrement sur les politiques publiques qui encouragent et encadrent l'engagement, et en priorité sur celui des jeunes.

La cohérence de ces politiques publiques doit aujourd'hui être renforcée, et cela passe d'abord par la définition d'objectifs clairs concernant le service national universel (SNU) qui est censé constituer le socle du service civique.

Sur ce point, le rapport constate que le SNU peine à se mettre en place. Pour le moment, les efforts du Gouvernement ont surtout porté sur le séjour de cohésion. Mais les objectifs fixés par le précédent Gouvernement pour 2022 (50 000 jeunes) ne semblent pas en passe d'être atteints. La phase 2 (mission d'intérêt général) reste quant à elle le « parent pauvre » du SNU.

Cette politique publique reste en effet marquée par de réelles incertitudes.

Il y a tout d'abord une ambiguïté sur la nature du SNU. Nous l'avons constaté à Dunkerque : certains jeunes sont attirés par une dimension militaire qui ne correspond pas à la réalité du séjour de cohésion. La communication doit donc être plus claire sur ce point afin d'éviter des déconvenues : le séjour de cohésion n'est pas le « rendez-vous citoyen » envisagé par nos prédécesseurs en 1997.

Il faut donc faire des choix sur le socle juridique du SNU. Quel doit être le statut des jeunes : volontaires, comme c'est le cas actuellement, ou « appelés » répondant à une obligation légale, comme autrefois dans le cadre du service national ? Si l'on considère, en bonne logique, que pour être universel, le SNU doit être obligatoire, il est possible qu'une révision constitutionnelle soit nécessaire. Enfin, quel doit être le périmètre du SNU : faut-il le réserver aux jeunes Français et Françaises ou doit-il être ouvert, comme le service civique, à certains ressortissants étrangers volontaires ?

Le Parlement n'a jamais été saisi de cette politique publique, sauf dans le cadre du projet de loi de finances. Il est grand temps que la représentation nationale donne enfin son avis et qu'un débat parlementaire associe les deux assemblées à l'élaboration des grands axes de cette politique publique, en amont de la définition de son cadre législatif et, le cas échéant, de sa base constitutionnelle (recommandation n° 8). C'est la priorité, avant toute réflexion sur les missions d'intérêt général, dont le rapport montre bien qu'elles sont très perfectibles.

J'en viens au service civique, auquel sont consacrées trois recommandations. Il constitue en théorie la phase 3 du SNU.

Nous avons constaté au cours de nos auditions combien cette forme d'engagement était plébiscitée par les jeunes. Depuis sa création en 2010, le service civique a accueilli environ 600 000 jeunes, soit presque l'équivalent d'une classe d'âge. Mais parallèlement à ce succès, des marges de progression existent.

La recommandation n° 9 vise à sanctuariser les moyens dégagés par le plan de relance, qui a permis de financer 100 000 missions supplémentaires en deux ans. Or, le plan de relance a une vocation temporaire. Ce serait regrettable de compromettre cette dynamique, que le rapport appelle à poursuivre.

La recommandation n° 10 concerne le service civique en milieu rural. Il a été fléché par le comité interministériel aux ruralités de novembre 2020 comme un vrai potentiel, à la fois pour donner aux jeunes des territoires ruraux des perspectives d'engagement, et pour que les jeunes des autres territoires puissent découvrir le milieu rural. Il y a eu une vraie progression et le nombre de volontaires en milieu rural a bien augmenté. Cet effort doit se poursuivre.

Or, la mobilité des jeunes est un frein au développement du service civique en milieu rural : cela nous a été confirmé lors des auditions. Il se trouve que les dépenses afférentes aux frais de transport engagés dans le cadre de la mission ne peuvent être assurées par l'Agence du service civique. Je plaide donc pour qu'un financement de l'État prenne en charge les contraintes particulières inhérentes au service civique en milieu rural.

Par ailleurs, la recommandation n° 11 concerne l'augmentation du nombre de jours de formation civique et citoyenne des volontaires du service civique, dont le minimum est actuellement fixé par décret à deux jours.

S'agissant de l'engagement associatif, nous avons pu mesurer les défis auxquels est aujourd'hui confrontée la vie associative. Le maintien du dynamisme du secteur associatif, qui est réel, dépend de la capacité des associations à s'ouvrir à de nouveaux bénévoles - notamment à des jeunes. Il faut aussi que les associations soient prêtes à faire de la place à ces nouveaux membres dans leurs instances de gouvernance.

La recommandation n° 12 vise à accompagner les évolutions de la gouvernance des associations, qui s'appuie régulièrement, depuis quelques années, sur l'exercice de responsabilités en binômes (co-présidents, par exemple) : notre attention a été attirée sur l'intérêt d'une mise à jour des formulaires administratifs, qui s'en tiennent toujours à une conception classique, alors que la loi de 1901 autorise des formules d'organisation très diverses.

J'en arrive à la troisième partie du rapport.

Dynamiser la culture citoyenne implique une participation active des citoyens à la décision politique, ce qui passe par une modernisation du processus électoral et une meilleure association des citoyens aux décisions. Les outils de démocratie participative, que nous connaissons bien dans nos territoires, sont variés.

Encore faut-il que l'on n'y ait pas recours pour des motifs de communication, d'image politique, mais dans un esprit sincère, avec une méthode faisant une large place au dialogue puis au retour d'expérience et à l'évaluation.

Dans cette partie, un premier axe de recommandations vise à « dépoussiérer le processus électoral » et à mieux informer les électeurs avant chaque scrutin. C'est une urgence : l'abstention a atteint 28 % au second tour de l'élection présidentielle d'avril ; elle a donc encore progressé depuis 2017 (25,4 %).

Généraliser la possibilité pour une personne de détenir deux procurations, qui a été en vigueur jusqu'en 1989 et qui a été réactivée pendant la crise sanitaire, semble incontournable. Il faut donc modifier l'article L. 73 du code électoral en ce sens (recommandation n° 17).

Ensuite, les professions de foi des candidats, dont l'envoi postal est soumis depuis quelques années à de fortes turbulences, doivent pouvoir être adressées de manière dématérialisée aux électeurs qui le souhaitent. Notre commission des lois l'a d'ailleurs prévu dans un de ses rapports récents. Cette amélioration suppose de revoir les articles L. 165 et L. 166 du code électoral (recommandation n° 18).

Enfin, nous devons absolument prévoir des campagnes d'information « grand public », en amont de chaque scrutin, pour que chaque électeur puisse mesurer l'enjeu de l'élection à venir et connaître le rôle des instances qui vont être élues. Ces campagnes doivent être faites sur tous les supports, avec une attention particulière pour ceux qui touchent les jeunes, c'est-à-dire les applications et les réseaux sociaux (recommandation n° 19).

Par ailleurs, la recommandation n° 20 concerne le vote électronique. J'ai bien conscience que nous sommes nombreux à être attachés au cérémonial républicain de l'isoloir ; de plus, le rapport fait état des nombreux obstacles qui doivent être levés, notamment sur le plan de la sécurité, avant que le vote en ligne puisse être une réalité. Tout récemment, la presse s'est fait l'écho de difficultés concernant l'élection des députés des Français de l'étranger, qui autorise le vote électronique. Malgré ces réserves et difficultés, il me semble que l'évolution vers le vote en ligne est inéluctable ; il faut donc s'y préparer dès maintenant. C'est pourquoi je vous propose de nous prononcer en faveur d'expérimentations du vote électronique lors de scrutins locaux, dans les collectivités qui le souhaitent, puis de lancer une vaste réflexion sur ce sujet, à partir du bilan de ces expérimentations. Les dysfonctionnements constatés lors de l'élection des députés représentant les Français de l'étranger devraient plutôt inciter à travailler davantage pour renforcer la fiabilité du processus de vote électronique.

Nous en sommes tous conscients, aucune de ces mesures ne saurait à elle seule suffire à donner envie de voter à des personnes qui affirment n'avoir aucun intérêt pour la politique. Il n'y a pas, dans ce domaine, de « recette miracle ». Mais on peut quand même alléger des contraintes qui peuvent encourager l'abstention.

Outre l'abstention, il y a la question du vote blanc, qui relève d'une autre démarche. Sa reconnaissance est un débat récurrent. On peut comprendre la frustration des électeurs : en 2022, le nombre de bulletins blancs au second tour a dépassé deux millions, ce qui est comparable au nombre de voix recueillies par certains candidats au premier tour.

La frustration de ces électeurs n'est pas atténuée par le fait que, depuis 2014, les bulletins blancs sont décomptés séparément des bulletins nuls. À titre personnel, je suis favorable à la prise en compte des votes blancs dans le calcul des suffrages exprimés (sauf lors de l'élection présidentielle et des référendums où cela se heurterait à des difficultés constitutionnelles) ; j'ai d'ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens.

J'en viens aux dernières recommandations, qui concernent les jeunes. Il faut qu'ils puissent être des acteurs à part entière de la vie démocratique. Il en va de l'avenir de notre démocratie. Cela commence, comme le rapport le souligne à plusieurs reprises, par l'échelon local : ce n'est pas au Sénat que l'on entendra le contraire ! Du reste, nous avons pris connaissance des nombreuses initiatives prises à l'échelon territorial à l'attention des jeunes. Entre autres exemples, je citerai le dispositif « Tremplin citoyen » de l'Essonne, sur lequel notre collègue Laure Darcos a, à juste titre, attiré notre attention.

J'ai entendu comme vous un jeune élu nous dire : « Nous ne sommes pas l'avenir, nous sommes le présent ». Cela m'a beaucoup marqué. Des élus locaux consultés sur la plateforme du Sénat se sont exprimés en ce sens : « il faut ouvrir aux jeunes la porte des institutions » et « leur faire confiance ». Dans le même esprit, les membres de conseils de jeunes que nous avons reçus ont attiré notre attention sur le fait qu'ils ne sont pas là « pour la photo », mais veulent jouer un rôle et participer à la vie de la collectivité.

Dans cette perspective, je propose de créer un statut de l'élu étudiant. Il faut modifier le code général des collectivités territoriales pour que les conseillers municipaux, départementaux et régionaux inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur bénéficient d'aménagements de scolarité qui facilitent la conciliation de leurs études et de leur engagement d'élu (recommandation n° 21). Des aménagements existent pour les salariés : il faut les étendre aux étudiants.

Dans la même logique, il me semble utile d'inviter les collectivités territoriales où ont été mis en place des conseils d'enfants et de jeunes à essayer de leur confier de vrais projets. Cette démarche est très exigeante pour les élus, car l'accompagnement des jeunes suppose d'y consacrer beaucoup d'énergie. Mais je pense que l'effort est gratifiant.

La recommandation n° 22 appelle aussi les collectivités territoriales, lorsque c'est possible, à confier aux jeunes élus des responsabilités au sein des exécutifs locaux.

Elle suggère également de généraliser les bonnes pratiques telles que les « journées citoyennes », dont nous avons vu qu'elles sont un vecteur intéressant de solidarités intergénérationnelles, ce qui est important en termes de cohésion sociale.

Enfin, j'en viens à la question du devoir de mémoire. Nous y avons beaucoup travaillé, et c'est l'un des points originaux de ce rapport. Le devoir de mémoire fait partie intégrante de ce qui nous permet de nous projeter dans un avenir commun. Il est pour moi au coeur de notre sujet. Les cérémonies et commémorations sont des temps forts de la vie locale. Or la disparition progressive des derniers témoins des deux guerres mondiales impose de réfléchir au passage de relais pour que cette mémoire reste vivante.

L'un des axes de réflexion dans ce domaine est que les jeunes puissent jouer un rôle actif dans ces cérémonies et commémorations. Nous avons été plusieurs à le faire observer lors des auditions : les cérémonies prennent une dimension intéressante lorsque les classes peuvent y participer avec leurs professeurs. Les organisateurs des cérémonies devraient y travailler avec l'Éducation nationale. Dans certains cas, ces cérémonies pourraient être programmées pendant le temps scolaire. Tel est l'objet de la recommandation n° 23.

Mes chers collègues, je tiens à vous remercier pour votre participation à nos travaux. Nos collègues Guy Bennaroche et Bernard Fialaire n'avaient pas vocation, en tant que membres suppléants de la mission, à assister à cette réunion, ce que je déplore car ils ont été impliqués et assidus.

Mme Laure Darcos. - Nos travaux ont été passionnants.

Monsieur le rapporteur, je constate une pointe de regret sur le fait que le vote blanc ne soit pas mieux pris en compte. Il a son importance, particulièrement parmi les jeunes.

Les Épide font un travail remarquable : votre proposition de mieux les intégrer dans Parcoursup pour les jeunes dont aucun souhait n'a été accepté me parle beaucoup.

Ce rapport est primordial pour lancer une dynamique en faveur des jeunes, mais aussi des adultes, dont certains auraient aussi besoin d'une remise à niveau en matière citoyenne et constitutionnelle...

Les auditions nous ont redonné du baume au coeur, car nous avons rencontré de nombreux jeunes très engagés. Nous attendons les mesures à venir du Gouvernement sur le SNU : il représente certes un coût mais, mieux organisé, il constituerait un dispositif très prometteur pour redonner du sens à l'idée de patrie auprès des jeunes.

M. Hervé Gillé. - Les auditions ont été très riches. Les travaux de la mission sont à la croisée d'autres réflexions menées, par exemple, à l'Assemblé nationale, et, plus généralement, sur le « décrochage citoyen » et l'abstention. Je crains que les élections à venir ne confirment nos craintes. Quand les enjeux ne sont pas perçus, le décrochage citoyen augmente : notre organisation démocratique et républicaine manque de lisibilité.

Il nous faut accompagner tous ceux qui risquent de décrocher. En « raccrochant les wagons », si vous m'autorisez cette expression, nous éviterons des errances dramatiques en matière d'insertion sociale et professionnelle. Les recommandations du rapport visent à lutter contre toutes ces errances, et je m'en félicite.

Mme Catherine Belrhiti. - Les professeurs d'histoire-géographie sont à mon avis bien formés à l'EMC ; les problèmes surviennent quand cette matière est confiée à des professeurs d'autres disciplines.

Les propositions du rapport sont très intéressantes, et j'espère qu'il sera lu et utilisé par les enseignants et les inspecteurs.

J'émettrai néanmoins une réserve. Nombre de jeunes s'engagent, et cet engagement mériterait d'être reconnu, par exemple sur le plan scolaire : à nous de trouver la formule pertinente pour les mettre à l'honneur, par exemple par la remise de diplômes. Qu'il en résulte une forme d'« injonction à l'engagement » ne me poserait pas de problème.

Dans le rapport, vous écrivez qu'il faut « réparer le lien entre les citoyens et les institutions » : l'expression est forte et très juste. Oui, nous devons réconcilier les jeunes, mais aussi les adultes, avec les institutions et le monde politique, aujourd'hui décrédibilisé. Enfin, il faut passer au vote en ligne si l'on veut amener au vote la jeune génération.

Mme Marie-Pierre Richer. - Cette mission fut riche d'enseignements. Notre jeunesse est bien citoyenne : si elle s'engage de manière différente des autres générations, les chiffres de l'engagement sont encourageants.

Je suis tout à fait d'accord, il est important de mettre en avant les Épide sur la plateforme « 1 jeune, 1 solution ». Les développements du rapport sur ce sujet sont vraiment éclairants. Pourrions-nous trouver pour ce rapport un titre marquant l'intérêt que nous avons porté à la jeunesse pendant nos travaux ?

Mme Patricia Schillinger. - Pour faire comprendre à quoi sert un vote, il faut mieux expliquer le contexte institutionnel. Récemment, une banque alimentaire a affiché devant ses locaux un panneau indiquant d'où viennent ses ressources, qui sont publiques : c'est là faire oeuvre utile de pédagogie. Quand on comprend où va l'argent public, dans une école, un collège ou un lycée, l'engagement démocratique est mieux compris. Partout, nous devons montrer qui fait quoi, pour que les jeunes s'engagent.

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Il est vrai que le SNU a un coût. Cette dimension était présente dans les débats sur la suppression du service militaire. Un débat parlementaire est nécessaire sur le SNU, ce sujet le mérite.

J'espère que ce rapport sera exploité. Les parlementaires, ainsi que les membres du Conseil économique, social et environnemental, réalisent des travaux très intéressants et importants, mais ils sont trop souvent peu utilisés, ce qui est frustrant. Puissent les parties prenantes tirer profit de ce rapport.

Je souhaite, moi aussi, valoriser l'engagement. Cependant, les territoires ne sont pas tous égaux devant les politiques publiques encourageant l'engagement des jeunes. Au regard de la situation des territoires ruraux, le service civique doit évoluer dans le sens d'une plus grande équité entre les territoires. Au reste, l'engagement est déjà pris en compte à travers les épreuves optionnelles du brevet.

Le chantier de la redynamisation de la culture citoyenne auprès des adultes est gigantesque ! Toutefois, se focaliser sur les jeunes reste le bon choix.

L'engagement des jeunes est réel : c'est un constat très positif de notre rapport. Toutefois, les pratiques d'engagement ont évolué.

Certaines de nos 23 recommandations ne dépendent que de notre bonne volonté pour être appliquées, et j'espère que nous pourrons changer la donne en recentrant sur des priorités claires les fondements législatifs de l'EMC et de la JDC.

M. Stéphane Piednoir, président. - L'engagement des jeunes sapeurs-pompiers et des jeunes réservistes est déjà valorisé, par exemple lors de cérémonies officielles. Il faut cependant rester vigilant, car je ne suis pas certain que nous voulions valoriser l'engagement au sein d'associations comme « Alliance citoyenne »...

Avant que nous procédions à l'adoption du rapport, quel titre proposez-vous, monsieur le rapporteur ?

M. Henri Cabanel, rapporteur. - Je propose de donner au rapport d'information le titre suivant, qui reflète bien l'esprit de nos travaux : « Jeunesse et citoyenneté : une culture à réinventer ». Le sous-titre pourrait être « 23 propositions pour redynamiser la culture citoyenne ».

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité et la mission d'information autorise la publication du rapport.

M. Stéphane Piednoir, président. - Le rapport étant adopté, je vous rappelle que la conférence de presse aura lieu demain à 14 heures.

La réunion est ouverte à 18 h 00.