Mardi 29 mars 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Mission d'information sur le contrôle des Ehpad - Audition de Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie

Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons cet après-midi Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs le 26 janvier dernier.

Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes mais sur les établissements, et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public. C'est pourquoi notre commission a choisi de s'intéresser à la question du contrôle.

Depuis la parution du livre, différentes investigations ont été lancées, dont une mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF). Le Gouvernement a fait différentes annonces, notamment celle du lancement d'un vaste programme de contrôle et du renforcement des moyens juridiques des contrôleurs.

Nous avons souhaité que cette audition intervienne à quelque distance de la parution du livre, une fois l'émotion légitime un peu retombée, afin de disposer non seulement d'une enquête journalistique, fût-elle de qualité, mais aussi du rapport des inspections.

Depuis lors, les événements se sont succédé : le Gouvernement a annoncé la saisine de la justice et le groupe Orpea a présenté des excuses.

Madame la ministre, nous souhaiterions cet après-midi que vous nous présentiez les principaux éléments de ce rapport, afin de comprendre comment les services contrôleurs, qu'il s'agisse de l'État, de la sécurité sociale ou des départements, ont pu passer à côté de tels dysfonctionnements.

J'aurai, pour ma part, trois questions.

Le Gouvernement indique que le rapport des inspections relève du secret des affaires, ce qui explique notamment qu'il ne m'ait été communiqué que tardivement. Pouvez-vous nous indiquer ce qui a motivé ce « classement » ? Puisque ce secret protège les entreprises, pouvez-vous nous confirmer que le groupe Orpea pourrait demander sa levée, ce qu'il semble par ailleurs souhaiter ?

Pouvez-vous nous indiquer sur quel fondement le Gouvernement envisage de saisir la justice ?

Dernière question, en forme de remarque : pensez-vous que la puissance publique soit aujourd'hui correctement équipée pour gérer et contrôler, au service de l'intérêt général, une relation contractuelle de cette nature avec un groupe privé de dimension internationale ? N'y a-t-il pas matière à rassembler les forces et à renforcer, par exemple, l'intervention de la Cour des comptes ?

Je demanderai à chacun d'être concis aussi bien pour les questions que les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander, madame la ministre, de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Brigitte Bourguignon prête serment.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. - Avant de commencer mon propos liminaire, je voulais vous remercier de vous être constitués en commission d'enquête, à la suite à la parution du livre Les Fossoyeurs. Je salue la qualité des travaux de la représentation nationale et sa capacité à aller, sans polémique ou outrance, au fond de ce sujet grave et essentiel pour les familles, les résidents ou les proches de résidents, lesquels, je le sais, nourrissent une angoisse légitime. Car les accusations portées contre le groupe Orpea les ont choqués, comme nous toutes et tous ici.

C'est bien un ensemble de faits graves que je dénonce, organisés au niveau du groupe Orpea, dans le seul objectif de la recherche du profit.

Ces faits graves, tels que décrits par les inspections, ont conduit au reniement de l'accompagnement des personnes âgées, notamment en matière alimentaire. Ils soulèvent également des questions de sécurité, avec de probables sous-déclarations d'événements indésirables graves. Ce système présente également des pratiques financières présumées irrégulières, en particulier de surfacturation d'achats de produits de santé et de surcapacité des Ehpad.

Ces faits présumés sont retranscrits dans le rapport d'inspection de I'IGAS et de I'IGF. Nous avons demandé aux inspections de vous le transmettre dans les meilleurs délais, en respectant les règles de sécurité et de secret des affaires qui régissent en droit ces travaux. Le Gouvernement a signalé au Procureur de la République ces faits, pour qu'il puisse procéder à leur instruction et les qualifier.

Le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la publication du rapport d'inspection. Seul le groupe Orpea peut l'empêcher, notamment au titre du secret des affaires. J'ai lu ce dimanche dans un quotidien que le président du groupe Orpea regrettait la non-publication du rapport.

Si les regrets exprimés par M. Charrier se confirment, alors je lui demande, comme je l'ai fait hier à deux reprises par courriel, de lever le secret des affaires sur tout le rapport. Pour l'instant, le directeur général France d'Orpea m'a répondu qu'il ne voulait pas lever ce qui est couvert par le secret des affaires. Je regrette ce recul par rapport aux propos tenus ce dimanche. Vous lui poserez sans doute cette question demain.

Dans ces conditions, n'ayant aucune intention de laisser s'installer une ambiguïté qui viendrait alimenter les mauvais procès politiques, j'ai décidé, avec Olivier Véran, de publier le rapport d'ici à quelques jours, en veillant à occulter les parties qui doivent l'être, si Orpea confirme ne pas vouloir lever totalement le secret des affaires.

La saisine du Procureur ne sera pas la seule action du Gouvernement pour ce qui concerne ce que l'on appelle désormais l'« affaire Orpea ».

L'État demandera le remboursement des financements publics qui auraient été irrégulièrement employés, en enclenchant, pour la première fois après un rapport de l'inspection des finances, une procédure de demande de remboursement de fonds publics.

Par ailleurs, j'ai demandé un vaste programme de contrôles et d'enquêtes flash par les agences régionales de santé (ARS) sur l'ensemble des Ehpad qui avaient connu des signalements, et en particulier sur les Ehpad gérés par des groupes privés lucratifs.

Entre février et mars, outre les contrôles habituels inopinés sur signalement, plus de 230 établissements particulièrement signalés, appartenant principalement au groupe Orpea, ont été contrôlés de manière inopinée par les ARS, avec, le plus souvent, le concours des conseils départementaux.

Grâce à ces contrôles, plusieurs dysfonctionnements majeurs ont été identifiés, conduisant, pour 70 d'entre eux, à des injonctions ou des sanctions. Dans certains cas, nous avons été jusqu'à la mise sous administration provisoire et même la fermeture.

Une telle décision était nécessaire, car il fallait rétablir la confiance de nos concitoyens dans des établissements qui fournissent un service essentiel à notre nation.

Je ne peux que regretter l'opprobre qui s'est abattu sur tout un secteur, en faisant payer les agissements inacceptables d'un groupe à tous les professionnels, à tous les directeurs, à toutes les structures.

Je veux ici rendre hommage aux professionnels de l'immense majorité des établissements, qui s'investissent au quotidien dans la bientraitance. Nous leur devons beaucoup.

La confiance, cela ne se décrète pas. Pour la rétablir, il nous fallait des actes forts à destination de ces établissements, pour ne plus jamais vivre de telles dérives systémiques de quelques acteurs d'un secteur accompagnant les plus vulnérables d'entre nous.

Il nous fallait un « choc de transparence », au service d'un meilleur accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie.

C'est pourquoi nous avons annoncé le 8 mars dernier, avec Olivier Véran, le déploiement de mesures nouvelles, pour prévenir et lutter contre la maltraitance et les abus décrits dans le rapport des inspections.

Tout d'abord, nous avons décidé d'augmenter et de renforcer les contrôles dans les établissements, pour lutter contre la maltraitance. Tous les Ehpad seront soumis à un contrôle systématique dans les deux prochaines années. Nous investissons dans les moyens humains des ARS, avec 150 embauches supplémentaires, pour qu'elles soient, dans la durée, capables d'assumer cette tâche essentielle.

Aussi, nous renforcerons les possibilités de signalement et leur suivi par l'ensemble des services de l'État et des départements compétents au niveau territorial, de façon à bien cibler notre politique de contrôle et à garantir un suivi adapté à ces opérations.

Je crois également que nous devons rendre aux résidents et aux familles le pouvoir d'agir sur leur choix d'établissement. Il faut les aider à sortir d'un choix par défaut, en mettant en place une véritable cure de transparence. Nous avons ainsi décidé de publier chaque année dix indicateurs clés permettant d'évaluer et de comparer les établissements, pour éclairer le choix.

Seront concernés les taux d'encadrement, de rotation des professionnels, d'absentéisme, le profil des chambres et du plateau technique de l'établissement ou encore le budget quotidien pour les repas par personne. Un décret sera pris à cet effet avant le 1er mai ; il a déjà été concerté avec l'ensemble du secteur.

Renforcer les contrôles et la transparence, c'est bien sûr oeuvrer à améliorer l'accompagnement en établissement. Mais il nous fallait entamer une démarche plus structurelle, embarquant les collectifs de travail, pour renforcer la qualité de l'accompagnement.

C'est pourquoi il était nécessaire de refondre le système d'évaluation externe des établissements, pour le rendre totalement indépendant, plus régulier, avec une évaluation tous les cinq ans, contre sept ans à l'heure actuelle. Un nouveau référentiel publié par la Haute Autorité de santé (HAS) le 10 mars dernier, donne toute sa place à la parole des personnes et des familles. Bien évidemment, nous n'avons pas attendu l'affaire Orpea pour y travailler. Les travaux étaient engagés depuis de longs mois, mais la crise du covid avait conduit à du retard.

Nous sommes désormais prêts, et je me réjouis de cette refondation de l'ambition de qualité pour tous les établissements médico-sociaux, qu'il faudra naturellement accompagner dans cette démarche nouvelle, exigeante et motivante pour les équipes.

Les évaluations seront rendues publiques sur la fiche internet de I'Ehpad et une mesure de la satisfaction sera affichée dans tous les établissements.

Pour faire vivre ces démarches, j'ai en outre la conviction que la libération de la parole des résidents, des familles et des personnels est un puissant moteur, et un gage in fine de qualité pour nos concitoyens.

Je souhaite que nous soutenions la libération de cette parole, en renforçant la démocratie au sein même des établissements et en agissant pour plus de médiation, à l'instar du secteur sanitaire. C'est notamment le sens de la réforme des conseils de la vie sociale (CVS). Nous en simplifions les procédures et les ouvrons à un plus grand nombre d'acteurs. Je pense aux élus locaux, mais aussi aux bénévoles, aux personnels soignants de l'établissement et aux résidents et à leurs familles.

Les CVS doivent être des lieux de dialogue, de démocratie, mais aussi, parfois, des lieux de contre-pouvoir contre les pratiques de certains groupes commerciaux. Là encore, un décret sera pris avant le 1er mai, après concertation avec l'ensemble du secteur.

Car c'est bien cette question qui est la plus importante dans le scandale qui nous a toutes et tous marqués. Que des groupes commerciaux sacrifient l'accompagnement de personnes vulnérables à la rentabilité de leurs entreprises et aux dividendes versés à leurs actionnaires ne peut plus être acceptable et ne sera plus accepté.

Concrètement, nous mettrons en place une réponse globale avec des outils juridiques et comptables pour mieux contrôler et réguler les pratiques tarifaires de ces groupes.

D'abord, le droit de la consommation doit protéger particulièrement les personnes vulnérables. Ensuite, nous oeuvrons en faveur d'une plus grande transparence visant à garantir le bon usage des fonds publics dont ces groupes bénéficient.

Nous proposerons donc d'élargir par la loi les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État et de la Cour des comptes non plus aux seules dotations publiques, mais bien aux sommes qui sont payées par les résidents de ces établissements.

Ces mesures essentielles, que nous avons annoncées avec Olivier Véran, prendront effet, pour beaucoup d'entre elles, avant la fin de ce quinquennat.

Il aurait été en effet inacceptable de se limiter à des effets d'annonce avant une élection présidentielle. Toutes les modifications réglementaires seront ainsi prises, grâce à la mobilisation sans faille des services du ministère des solidarités et de la santé.

Pour finir, mesdames, messieurs les sénateurs, cher Bernard Bonne - vous êtes l'auteur d'un rapport qui a beaucoup inspiré mon action et qui fera date -, je souhaite partager avec vous un voeu.

L'action publique et les enjeux qui nous rassemblent aujourd'hui, ceux du grand âge, de la perte d'autonomie et de la transition démographique, ne sauraient se limiter à la réponse à un scandale, à des propos de tribunes, caricaturaux et convenus, à un intérêt trop passager. La réforme de l'accompagnement de la perte d'autonomie dans notre pays nécessite bien plus que cela. D'autres pays, en particulier le Danemark, nous ont ouvert la voie.

Les changements qu'implique la transition démographique appellent à une action invariable, centrée sur le soutien à domicile de nos concitoyens âgés.

C'est cette priorité qui m'a fait mener des combats pour revaloriser les salaires des aides à domicile, pour débloquer des financements historiques pour ces services, pour lancer des transformations structurelles de ce secteur, en vue d'une meilleure qualité pour les personnes et les professionnels.

C'est cette priorité qui nous a conduits à investir dans une plus grande médicalisation de nos établissements, en rénovant nos établissements publics, en revalorisant les salaires de ces professionnels, en augmentant le temps de médecin dans tous les établissements et en les ouvrant sur leurs bassins de vie et sur la vie sociale de leur commune.

Cette réforme pour l'autonomie de nos concitoyens âgés ne s'arrêtera pas quand l'attention médiatique pour ce secteur s'estompera. Elle continuera grâce à la création de la cinquième branche de la sécurité sociale, grâce à l'affectation de moyens nouveaux, et grâce à la mobilisation des conseils départementaux, acteurs essentiels du virage domiciliaire.

Dans ce combat, vous pourrez toujours compter sur mon engagement. C'est dans cet état d'esprit que je me soumets bien volontiers à vos questions.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Madame la ministre, Michelle Meunier et moi-même vous poserons nos questions une par une. En effet, lors des auditions menées par l'Assemblée nationale, j'ai constaté qu'un trop grand nombre de questions posées en même temps n'amenait aucune réponse.

Nous avons mis en place une mission de contrôle du contrôle. Il ne s'agit absolument pas de jeter l'opprobre sur les personnels des établissements qui s'occupent de nos aînés.

Le livre Les Fossoyeurs a permis de faire bouger des choses complètement anormales. Il a mis en relief, tout d'abord, le manque de moyens de la plupart des établissements, que tout le monde reconnaît depuis longtemps. Nous attendons la loi sur le grand âge, qui devrait permettre, avec des moyens supplémentaires, de doter les établissements en personnels. Surtout, il a fait ressortir l'opacité, et toutes les déviances qu'on peut imaginer, des structures privées à but lucratif et, peut-être, d'autres structures.

Cette opacité a permis à ces groupes d'échapper au contrôle des départements et de l'État. Permettez-moi de revenir sur la notion de secret des affaires, qui me surprend quelque peu. En effet, dans la mesure où le président d'Orpea s'est étonné que le rapport n'ait pas été rendu public, nous devrons faire la clarté sur ce sujet.

Il faut le dire, le journaliste des Fossoyeurs a souvent rencontré des difficultés pour obtenir des renseignements de la part des ARS, qui lui opposaient le secret des affaires. Fort heureusement, les départements ont bien voulu ouvrir leurs documents, ce qui a permis de dévoiler certains faits. Le refus des ARS de transmettre ces éléments devra être clarifié.

Vous dites qu'il sera enjoint au groupe Orpea de restituer des financements publics irrégulièrement employés. Cela signifie-t-il que ce sujet ne relèvera pas d'un contentieux ? Une telle mesure ne concernera-t-elle qu'Orpea ou bien tous les établissements à but lucratif, y compris les petits groupes, sur lesquels il faudra aussi faire des contrôles.

Il est de votre devoir et de notre devoir de faire toute la clarté sur ces sujets, en rendant public, le plus vite possible, ce rapport.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Je le répète, le Gouvernement ne s'est jamais opposé à la transmission et à la publication de ce rapport. Toutefois, le secret des affaires étant invoqué par le groupe, nous nous devons de le respecter. Nous rendrons donc ce rapport public, avec la précaution d'usage.

Le plus important, à mes yeux, c'est que tous ceux qui ont eu à souffrir de cette situation soient entendus. Rien ne doit venir empêcher l'équilibre et la justice. Par conséquent, si on m'affirme qu'un élément pourrait venir perturber le déroulement d'une procédure judiciaire, je m'en tiens à la prudence la plus élémentaire.

Je tiens à votre disposition les mails échangés avec le groupe Orpea sur ce sujet.

S'agissant des contrôles, nous n'avons pas visé un groupe en particulier, même si cette affaire nous a précipités vers une inspection rapide. À partir du moment où un scandale était révélé, nous devions bien évidemment agir.

À l'heure actuelle, nous menons un travail en profondeur de réforme des inspections et des contrôles, dont nous avons constaté l'insuffisance, dès lors qu'il s'agit d'un système aboutissant à des formes de maltraitance des personnels et des résidents. Cela n'est pas aussi simple qu'un contrôle sur la base d'un signalement de maltraitance !

Nous devons accentuer nos efforts s'agissant des groupes privés commerciaux en matière de transparence. Nous suivrons à cet égard la recommandation de la Cour des comptes, en permettant que la « boîte noire » liée à la section hébergement ne fasse plus l'objet d'un système de vases communicants. Il convient donc de sacraliser la section « soins », de manière qu'il n'y ait plus d'interactions entre les sections.

Nous commençons avec Orpea, puisque nous disposons d'un travail assez poussé sur trois ans. Nous avons voulu renforcer le contrôle des ARS, grâce aux autorités indépendantes que sont l'IGAS et l'IGF. Ce travail, mené tambour battant par douze inspecteurs, nous permet de saisir aujourd'hui la justice.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - L'IGAS et l'IGF ont réalisé un travail remarquable, que nous n'avons pas encore eu le temps de lire entièrement. Il est d'ailleurs étonnant qu'une synthèse n'ait pas été faite.

Pourquoi le contrôle des Ehpad et des groupes n'a-t-il été mis en place que récemment ? Les ARS auront-elles désormais les moyens de mener ces contrôles ? En effet, les syndicats des médecins, des pharmaciens et des inspecteurs nous ont dit clairement que, d'une part, le nombre des fonctionnaires affectés au contrôle avait diminué depuis un certain nombre d'années et, d'autre part, qu'il n'existait pas d'affichage réel d'une volonté de contrôler.

En 2014, Claude Évin, en tant que directeur de l'ARS de l'Île-de-France, avait signalé un problème de marges arrières concernant les établissements Korian. Or rien n'a été fait. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de réaction de la part des ARS ? Certes, le livre permet de bousculer le fonctionnement des contrôles. Toutefois, on ne peut que regretter que rien ne se soit passé auparavant. Nous devons pouvoir dire aux résidents et à leurs familles : « nous avons failli ; nous allons y remédier rapidement, et nous nous excusons profondément. »

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Chaque année, 10 % des établissements sont contrôlés. Plus précisément, 634 contrôles ont été menés en 2014 ; 708 en 2015 ; 649 en 2016 ; 668 en 2018 et 671 en 2019.

Nous voulons renforcer ces contrôles grâce à un renforcement des moyens humains : 150 équivalents temps plein (ETP) seront affectés aux ARS. Surtout, les départements seront systématiquement associés à ces contrôles.

À l'heure actuelle, 62 ETP sont dédiés aux contrôles, contre 61 en 2015. En ajoutant les effectifs dévolus au traitement des signaux, événements ou alertes, 150 ETP étaient consacrés au contrôle des Ehpad en 2018. Nous allons doubler ces effectifs, en embauchant 150 ETP supplémentaires.

Entre 2003 et 2015, l'offre de places en Ehpad a augmenté d'un tiers, tandis que l'offre des seuls Ehpad commerciaux a augmenté de plus de 50 %.

En 2010, avant l'entrée en vigueur de la loi Bachelot, le développement des Ehpad commerciaux connaissait son âge d'or. Cette loi a introduit le mécanisme d'appel à projets obligatoire, pour réguler l'attribution des autorisations.

Par ailleurs, pour mettre en perspective l'historique de cette évolution, je souligne que l'article 63 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a libéralisé les tarifs d'hébergement, en supprimant l'obligation de retracer les charges et les produits dans des comptes distincts, ce que la Cour des comptes a récemment critiqué.

En 2014, M. Evin, alors directeur de l'ARS d'Île-de-France, avait alerté la ministre de l'époque sur les rétrocommissions financières opaques mises en place par le groupe Korian. Rien n'a été fait alors, et l'ARS a dû se débrouiller seule pour trouver un accord financier avec Korian, consistant en des dotations moindres.

Il faut noter qu'en 2015 a été votée la loi ASV (loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement), qui n'interdisait pas ces pratiques. Pire, elle ouvrait deux possibilités, que je tiens à dénoncer aujourd'hui, favorisant encore plus les groupes privés. Il s'agit, tout d'abord, de la possibilité de ne pas reverser des excédents financiers tous les ans, ce qui a conduit Orpea aux manoeuvres aujourd'hui critiquées. Il s'agit, ensuite, de la possibilité pour les groupes d'Ehpad commerciaux de faire des états des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD) simplifiés. Ainsi, l'ARS n'avait plus connaissance du budget consacré à l'hébergement.

En outre, la loi ASV a entraîné la convergence tarifaire, qui a beaucoup bénéficié aux Ehpad commerciaux, le public donnant au privé ! Cela a entraîné une baisse des financements dépendance des Ehpad publics de 125 millions d'euros. Ainsi, plus de 40 % des Ehpad publics ont vu leur financement baisser.

Alors que j'étais présidente de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, j'avais demandé un rapport immédiat, une mission « éclair », à deux députées, qui ont dressé un état des lieux. À aucun moment, la situation d'Orpea n'y est évoquée.

Vous le savez comme moi, au cours de ces dix dernières années, ces établissements ont changé de nature. En termes de dépendance, les pathologies traitées sont beaucoup plus lourdes. La médicalisation croissante de ces établissements s'est avérée nécessaire. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 puis pour 2021, nous avons prévu le financement de 8 000 puis de 10 000 postes supplémentaires. Entre-temps, ne l'oublions pas, nous avons connu une crise sanitaire majeure.

Mme Catherine Deroche, présidente. - La semaine dernière, Le Monde faisait état d'une synthèse du rapport avant contradictoire. En avez-vous eu connaissance ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Non, je n'ai pas eu ce document.

En revanche, j'ai eu connaissance des suites proposées par les inspecteurs, au vu des dysfonctionnements graves observés. Ils ont confirmé qu'il y avait matière à saisir la justice.

Pour être très précise, vendredi soir dernier, la mission d'inspection nous a informés, premièrement, que nous ne disposerions pas du rapport, du fait de contraintes de cryptage, deuxièmement, qu'il y avait matière à poursuites, troisièmement, que le rapport relève, pour une large part, du secret des affaires.

Dans la même soirée, la mission d'inspection transmettait à Orpea le rapport final.

Lundi matin, le Gouvernement et le Parlement ont reçu le rapport définitif. Je laisse à votre disposition la note de suite rédigée par la mission d'inspection.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Pour ma part, je n'ai eu ce rapport, qui fait plus de 500 pages, qu'hier vers 17 heures. Avouez-le, il n'est pas possible de travailler dans ces conditions, d'autant que vos propos rassurants en termes de transparence paraissent décalés par rapport aux faits.

Le rapport pointe un pouvoir de contrôle amoindri des ARS lié à l'adoption de la loi ASV. Envisagez-vous de remédier à cet état de fait ? De quelle manière ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Vous évoquez essentiellement le manque de transparence concernant la section « hébergement ». Du fait du secret commercial, les Ehpad privés bénéficient d'un modèle de document budgétaire simplifié à transmettre aux autorités, ce qui les a privées d'une vision d'ensemble des finances de ces établissements.

Le 8 mars dernier, nous avons annoncé des mesures pour plus de transparence financière. Nous allons renforcer les règles budgétaires et comptables. Certaines mesures, qui concernent notamment le siège des groupes, relèvent de la loi. Toutefois, nous souhaitons agir vite, et nous ferons donc tout ce qu'il nous est permis de faire par la voie réglementaire.

Un décret a déjà été soumis à la concertation des parties prenantes, pour améliorer la transparence financière. Il mettra fin aux EPRD simplifiés et contraindra les Ehpad commerciaux à transmettre les éléments relatifs à la section « hébergement ». Ce sera la fin de cette « boîte noire ». Il imposera également une compatibilité analytique propre à chaque Ehpad, attestée par un commissaire aux comptes.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Cela se fera par voie réglementaire ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l'autonomie. - Absolument !

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Le secret des affaires ne pourra pas empêcher une telle évolution ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Non !

Ce décret imposera également qu'une rétrocession ne pourra être conservée au niveau du siège. Elle sera obligatoirement répercutée dans le budget de l'établissement dédié aux seuls soins. Ce terme de « soins » est très large ; il comprend également la dépendance.

Cela renforcera l'obligation de transparence des contrats entre Ehpad et autorités.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - S'agissant de la base de données Prisme (Prévention des risques, inspections, signalements des maltraitances en établissement), depuis le 30 décembre 2015, les établissements ont l'obligation légale de signaler « tout dysfonctionnement grave dans leur gestion », ce qui inclut les situations de maltraitance. Quel est le caractère opérationnel de cette plateforme ? À votre connaissance, est-elle utilisée ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Les bilans annuels de la mission de veille et d'alerte, que nous menons depuis 2017, font état d'une faible remontée de ces signalements au niveau national. Les pratiques sont très hétérogènes selon les ARS et les conseils départementaux.

D'abord, le circuit de repérage et d'alerte au sein des structures est assez peu visible. Les conseils départementaux ont des systèmes de remontée inégaux.

Bien avant les annonces du 8 mars dernier, un plan d'action a été déployé en 2019 par la DGCS. Il a été structuré en quatre actes visant à améliorer le repérage, le signalement et le traitement d'événements indésirables graves. Il s'agit d'accompagner les établissements concernés dans la généralisation des circuits d'alerte internes, de clarifier et illustrer les motifs et les critères des formulaires de remontée des signalements, de préciser les objectifs et les modalités de remontée au niveau national et d'optimiser les outils et les systèmes d'information, pour faciliter la transmission et le traitement des signalements.

Nous allons également renforcer les moyens de la plateforme du 3977, qui n'était pas suffisamment outillée pour effectuer la remontée des signalements dans les meilleures conditions.

Un nouveau circuit d'alerte sera également établi au sein des établissements, afin d'améliorer le traitement de chaque signalement.

Je me suis aperçue, en auditionnant la Défenseure des droits, qu'elle faisait état de 9 000 signalements, dont il était impossible de connaître la nature. Il était également impossible de savoir si ces signalements avaient été transmis aux ARS. J'ai aussi voulu savoir si ces signalements aboutissaient toujours à des affaires graves. Or tel n'est pas toujours le cas, car la médiation peut s'avérer utile pour renforcer le lien entre familles, soignants et résidents.

Enfin, j'ai voulu préciser la définition de la maltraitance, afin de permettre à des plaintes éventuelles d'être suivies d'effets.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Lors de votre audition par l'Assemblée nationale le 8 mars dernier, vous avez annoncé votre volonté de mettre en oeuvre, dans les Ehpad, « une cure de transparence », en rendant publics et accessibles « dix indicateurs clés permettant d'évaluer les établissements et de les comparer, pour éclairer le choix ». Il s'agit notamment du taux d'encadrement, du taux de rotation des professionnels, de l'absentéisme, du budget quotidien alloué aux repas par personne et de la présence d'un médecin coordonnateur.

Comment comptez-vous vous organiser pour rendre cette « cure » opérationnelle ? Selon quel calendrier ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Nous avons déjà commencé à travailler sur ces dix indicateurs, dans le cadre d'une concertation de l'ensemble du secteur du grand âge. Ils seront bientôt rendus publics. Nous avons également renforcé et rendu obligatoires les enquêtes de satisfaction des résidents, en fonction de ces indicateurs. Le questionnaire a été élaboré par la Haute Autorité de santé. Ces enquêtes seront affichées dans les Ehpad.

Nous renforcerons également les obligations des établissements pour ce qui concerne la lisibilité des contrats contre les pratiques tarifaires abusives.

Je l'ai dit tout à l'heure, le décret sera publié avant le 1er mai.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Nous parlons bien des contrats privés qui ne sont pas soumis au secret des affaires ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Je parle des contrats de séjour, entre l'établissement et la personne.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Il n'y aura donc plus de raison d'avoir un secret des affaires !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Ne mélangeons pas ce qui relève de l'Ehpad et ce qui relève du système d'un groupe privé !

S'agissant de la transparence de ces groupes, nous mènerons des inspections inopinées, y compris de la Cour des comptes. Quant aux contrats de séjour des établissements, ils permettent aux parents et aux résidents d'avoir une parfaite information.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - S'agissant des moyens, on le sait, un tiers des Ehpad n'ont pas de médecin coordonnateur et les équipes sont éreintées et, souvent, incomplètes. Par ailleurs, vous annoncez la création de 150 ETP affectés au contrôle.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Nous donnons des moyens, puisque nous prévoyons 150 ETP supplémentaires pour les ARS, qui seront affectés à une mission de contrôle.

Pour ce qui concerne les établissements, depuis 2018, et malgré la pandémie - je rappelle que les personnes âgées dépendantes ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire -, nous avons financé, par le biais du PLFSS pour 2018, 10 000 postes supplémentaires et, dans le cadre du PLFSS pour 2021, 10 000 nouveaux postes supplémentaires. Par ailleurs, avec le Ségur de la santé, nous avons investi pour rénover le parc public, en raison d'une vétusté des locaux ne favorisant pas la qualité de vie au travail.

L'attractivité de ces métiers passe également par une revalorisation salariale, ce que nous avons fait dans le cadre du Ségur et du PLFSS.

Par ailleurs, nous avons mis en chantier les dossiers de la validation des acquis, de l'apprentissage et de l'alternance. Nous devons continuer de travailler ensemble sur l'attractivité de ces métiers. Notre projection, c'est 50 000 postes supplémentaires dans les années qui viennent, dans le cadre de la trajectoire que vous avez définie dans vos rapports. En effet, nous devons construire le schéma de l'approche domiciliaire. Car les Ehpad ne sont plus les maisons de retraite que nous connaissions ; ils ont besoin d'être davantage médicalisés.

Quand j'évoque des moyens supplémentaires, je parle bien de soignants. Il est difficile de définir un ratio minimum d'encadrement. Celui-ci ne peut être fixé que par le besoin d'accompagnement des résidents. Certes, on peut toujours annoncer la création de postes. Mais si l'on ne crée pas les conditions de l'attractivité, à savoir une meilleure qualité du travail, des conditions matérielles plus favorables et des salaires plus décents, nous n'y arriverons pas.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - S'agissant du transfert d'exploitation des Ehpad, les élus du département n'ont souvent pas leur mot à dire et sont placés devant le fait accompli. Comment comptez-vous réguler en la matière ?

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Les établissements privés associatifs, mais aussi les établissements publics, rencontrent des difficultés financières, qui les font se tourner vers les établissements privés à but lucratif et leurs millions d'euros. C'est la raison pour laquelle, si on a assisté à une augmentation de 17 % du nombre de places en Ehpad, le nombre des établissements privés à but lucratif a, quant à lui, doublé. Ils ont en effet racheté des établissements déjà existants.

Pourrons-nous empêcher une telle évolution ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - C'est bien le but que nous poursuivons ! Quand nous investissons 2 milliards d'euros dans la rénovation du parc public, c'est bien pour contrecarrer une telle évolution.

Permettez-moi de rappeler les termes de l'article D. 313-10-8 du code de l'action sociale et des familles, introduit par le décret du 13 mars 2020, qui prévoit les modalités de cession et d'autorisation des établissements, ainsi que les conditions d'examen de la demande.

En résumé, la demande de cession doit être déposée par le cessionnaire et non par le cédant aux autorités compétentes, qui ont toute latitude pour demander tout document permettant de s'assurer des capacités de gestion du cessionnaire, au regard des établissements qu'il gère, si c'est le cas. Le dossier est réputé complet, si, un mois après l'avoir reçu, l'autorité compétente n'a pas fait connaître au demandeur la liste des pièces manquantes. Dans le cas d'un rejet, l'ARS doit rédiger un avis motivé, qui repose sur l'incapacité du nouveau gestionnaire à remplir les conditions de gestion de l'Ehpad.

J'ai demandé, le 2 février, une vigilance accrue à tous les directeurs généraux des ARS en la matière.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Il s'agit surtout d'éviter une stratégie !

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Bien évidemment, nos questions ne constituent pas une remise en cause des personnels des Ehpad, lesquels, nous le savons tous, sont dévoués.

J'ai lu plusieurs rapports syndicaux faisant état, entre 2014 et 2020, d'une diminution de 117 médecins inspecteurs, de 11 pharmaciens inspecteurs et de 256 inspecteurs de l'action sanitaire et sociale.

Pensez-vous que les 150 ETP que vous annoncez aujourd'hui seront suffisants face à l'ampleur du travail à accomplir ? En effet, dans les deux ans à venir, 7 500 maisons de retraite, regroupant 600 000 résidents, devraient être contrôlées.

Si nous sommes favorables à ces contrôles, n'oublions pas que les structures du groupe Orpea ont déjà été contrôlées par le passé, sans que des mesures d'avertissement ou de sanction soient prises. Faire du chiffre pour ce qui concerne le contrôle n'aurait pas de sens si cela ne débouchait sur rien.

Les organisations syndicales des inspecteurs ont appelé de leurs voeux le recrutement d'experts médicaux, pour les accompagner lors des contrôles et vérifier les prescriptions, qui doivent être en adéquation avec les besoins.

Enfin, vous avez évoqué les élus locaux, les résidents et les familles. Mais à aucun moment je ne vous ai entendu parler des organisations syndicales. Nous avons reçu la CGT, qui a dénoncé, au sein du groupe Orpea, l'organisation d'un dialogue social fondé sur « un trucage des élections professionnelles, la mise en avant d'un syndicat maison, la discrimination syndicale, la répression sociale, le travail dissimulé et l'escroquerie caractérisée par le fait d'avoir obtenu des fonds publics ».

Allez-vous soutenir les organisations syndicales ? Prendrez-vous des mesures préventives pour assurer l'exercice du droit syndical, qui est un droit constitutionnel ?

M. Laurent Burgoa. - Je vous remercie de vos informations concernant le nombre de contrôles. Vous avez également annoncé un recrutement de 150 personnes.

Les Ehpad, à ce jour, sont contrôlés par les ARS et les conseils départementaux. Peut-on envisager de les contrôler par un organe indépendant ?

En outre, le Gouvernement envisage le remboursement des fonds publics octroyés à des Ehpad commerciaux qui n'auraient pas utilisé à bon escient ces financements. Dès lors, ces derniers pourront se retrouver dans des situations financières compliquées conduisant à la fermeture de chambres. Quelle serait alors la solution pour les résidents ?

Mme Pascale Gruny. - Venant du milieu de l'audit, je reviendrai sur la question du contrôle.

Vous avez dû recevoir des écrits sur ces problèmes. Comment avez-vous réagi ? Pourquoi a-t-il fallu attendre la publication d'un livre pour faire bouger les choses ?

Le contrôle n'est pas la délation, il est important de le préciser. Quand j'ai signalé certains problèmes à l'ARS et au conseil départemental, j'ai vu la difficulté de ces organismes à aller sur le terrain pour effectuer un contrôle, car ils n'ont pas la culture du contrôle.

Par ailleurs, s'agissant de la formation, les personnels des Ehpad doivent avoir une certaine empathie.

Je veux également le souligner, si les familles sont présentes, il n'y a pas de problème ! Dans le cas contraire, les personnes vulnérables peuvent être menacées.

Une personne de ma famille est hébergée dans un établissement Orpea, dans la ruralité. Or le personnel de l'établissement habite dans le canton, voire dans la commune, ce qui crée une proximité avec les résidents. Les problèmes sont donc surtout liés aux milieux urbains.

Je le souligne également, les personnes souhaitent rester à domicile le plus longtemps possible. Par conséquent, celles qui arrivent dans les Ehpad sont déjà bien malades.

M. Olivier Henno. - Ma question concerne les rétrocessions, également appelées marges arrières. Je l'avoue, lors de l'audition de l'auteur du livre Les Fossoyeurs, j'ai découvert l'importance de ces pratiques, que je connaissais dans la grande distribution, et non dans le domaine médico-social.

Si j'ai bien compris, vous voulez, dans un souci de transparence, faire apparaître ces marges arrière dans la comptabilité de chaque établissement, et non plus au niveau du siège, ce qui crée bien évidemment une forme d'opacité. N'y aurait-il pas d'autres solutions en la matière, par exemple l'interdiction pure et simple des marges arrières dans le domaine médico-social ? Je crains en effet la créativité des groupes à cet égard !

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Jusqu'où remontrez-vous pour obtenir le remboursement des sommes indûment perçues ?

Estimez-vous normal que des personnels de l'ARS puissent ensuite être embauchés par des structures privées ? Un meilleur contrôle ne serait-il pas nécessaire ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Madame Apourceau-Poly, les syndicats ont été auditionnés, notamment pour préparer nos annonces sur le renforcement des contrôles. De fait, nous avons aussi mobilisé les inspections du travail pour les faits que vous avez évoqués.

S'agissant des effectifs supplémentaires dédiés aux ARS, ils seront suffisants dans la mesure où ils se consacreront exclusivement aux Ehpad, ce qui n'est pas le cas des ETP actuels. Nous souhaitons également faciliter les liens avec les départements et lever les obstacles qui auraient pu être soulevés.

Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) que j'ai signés en 2019 avec les 18 ARS, appartiennent à la troisième génération. Leur philosophie est fondée sur des indicateurs de résultats et non pas de moyens. Il s'agit de renforcer la garantie de la qualité et de la sécurité de la prise en charge au sein des objectifs prioritaires de chaque ARS. Ces objectifs sont matérialisés par cinq indicateurs, en lien avec les signalements d'événements indésirables. Un indicateur concerne le traitement des réclamations des usagers, tandis que les autres indicateurs sont liés au contrôle, avec une insistance sur la qualité du suivi de ces contrôles.

Monsieur Burgoa, la récupération des financements publics concernera les groupes privés et ne mettra pas en danger les Ehpad.

S'agissant d'un organisme indépendant que vous avez évoqué, je recherche toujours la bonne solution, à savoir la plus opérante et la plus efficace. Les ARS ont la compétence. Elles ont par ailleurs prouvé qu'elles pouvaient s'adapter, dans un contexte difficile de crise.

Nous élargissons les capacités de contrôle des services d'inspection de l'État pour ce qui concerne non pas les seules dotations publiques, mais aussi les tarifs payés par les résidents. J'ai mentionné la Cour des comptes, qui apporte une garantie d'indépendance.

Madame Gruny, le ministère a reçu un grand nombre de courriers, auxquels nous avons répondu. Lorsque j'ai été nommée, j'ai demandé à ce que le confinement soit levé, afin que les personnes puissent retrouver une certaine liberté en matière de visites. Il s'agissait de protéger sans isoler, pour revenir aux droits des résidents et à leurs familles. J'ai mis en place un groupe de travail « éthique », afin de trouver le bon équilibre entre la protection sanitaire et le droit des résidents et des familles.

Nous avons rappelé à l'ordre certains directeurs d'Ehpad ; nous avons également écrit à des ARS en diligentant des enquêtes supplémentaires. Nous n'avons pas attendu la parution du livre pour agir. Rien ne serait pire que de laisser penser qu'il n'y avait pas de contrôle ! Nous sommes dans un climat de défiance envers les soignants et les gestionnaires de ces établissements, et ce n'est pas simple à gérer au quotidien !

S'agissant de la formation du personnel, je suis entièrement d'accord avec vous, ce ne sont pas des métiers comme les autres. On ne le dit pas assez, les personnels adorent leurs métiers et en parlent très bien. Selon moi, leur formation doit inclure des modules de bientraitance. Nous avons déjà des modules, pour les hôpitaux, qui concernent la dignité des personnes. Il convient de les renforcer. Nous avons ainsi demandé aux organismes de formation de revoir leurs logiciels de référents de compétences et de qualité, en incluant la bientraitance.

Monsieur Henno, pour lutter contre les rétrocessions, nous demanderons aux Ehpad et aux groupes de transmettre leurs comptes sous forme de comptabilité analytique, afin d'avoir une vision claire et sincère de l'affectation des recettes et des dépenses, établissement par établissement, pour ce qui concerne tant les personnels que les consommables.

Permettez-moi de vous donner lecture du décret : « Les rabais, remises et ristournes obtenues sont imputés sur les budgets sur lesquels ils ont été obtenus. Lorsqu'ils portent sur plusieurs budgets, ils sont répartis proportionnellement au montant des charges correspondantes. »

M. Bernard Bonne, rapporteur. - C'est bien !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Monsieur Bonne, j'en viens à la collusion que vous avez évoquée. Si les faits étaient avérés, ce serait grave et inacceptable. Bien sûr, cela sera vérifié.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Nous demanderons aux opérateurs de nous fournir nominativement et de façon exhaustive toutes les personnes qui sont passées d'une structure à une autre.

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Dans le livre, il s'agit d'une seule personne !

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Il paraît qu'il y en a beaucoup plus !

Par ailleurs, pourquoi ne remontez-vous qu'à 2017 en matière de remboursement des financements ?

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Avant 2017, il y a prescription.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Mais on peut mettre des amendes !

Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. - Oui ! Je dénonce comme vous cette collusion. Les règles de déontologie de la fonction publique permettront sans doute d'éviter désormais ce genre de travers.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 50.

Mercredi 30 mars 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Mission d'information sur le contrôle des Ehpad - Audition de MM. Philippe Charrier, président directeur général d'Orpea, et Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France

Mme Catherine Deroche, présidente. - Dans le cadre de la mission d'information sur le contrôle des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), nous entendons ce matin M. Philippe Charrier, président-directeur général d'Orpea, et Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution, le 26 janvier dernier, de l'enquête journalistique Les Fossoyeurs.

Cet ouvrage pointe notamment l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés, non pas sur les groupes, mais sur les établissements, et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.

C'est pourquoi nous avons choisi de nous intéresser à la question du contrôle.

Nous avons souhaité que cette audition intervienne à quelque distance de la parution du livre, une fois l'émotion, légitime, un peu retombée et surtout afin de disposer non pas seulement d'une enquête journalistique, fût-elle de qualité, mais aussi du rapport des inspections.

Depuis, les événements se sont succédé : le Gouvernement a saisi la justice ; le groupe Orpea a présenté des excuses et a fait de nouvelles annonces.

Je voudrais, avant toute chose, rappeler quelques éléments.

Cette commission d'enquête n'est pas un tribunal. Nous sommes ici pour comprendre et formuler des préconisations de politique publique.

Il ne s'agit pas non plus de jeter l'opprobre sur tout un secteur, dont nous connaissons très bien les problématiques : l'état de dépendance accrue des résidents ; la difficulté, en raison d'un déficit important d'attractivité, à recruter, former et fidéliser des personnels ; la question non résolue du financement.

Nous savons aussi la grande sensibilité du sujet, confirmée par le succès du livre : chacun se sent concerné pour ses proches ou anticipe la question de sa propre vulnérabilité.

En votre nom à tous, je voudrais redire notre confiance dans l'engagement des professionnels du secteur comme notre volonté de soutenir les résidents et leurs proches.

Nous savons enfin quelle peut être la vulnérabilité d'une entreprise au risque de réputation. C'est aussi pourquoi nous avons été surpris qu'une entreprise puisse elle-même se mettre en danger par des pratiques risquant de lui porter gravement atteinte.

Nous avons voté la loi d'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 dans une logique de confiance, de souplesse et de convergence tarifaire. Faut-il aujourd'hui réexaminer cet état d'esprit ? Nous espérons que les auditions d'aujourd'hui permettront notamment d'apporter une réponse à cette question.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Philippe Charrier et Jean-Christophe Romersi prêtent serment.

M. Philippe Charrier, président-directeur général d'Orpea. - Le 30 janvier dernier, j'ai accepté de prendre la direction générale du groupe Orpea, dont je présidais jusqu'alors le conseil d'administration, parce qu'il était indispensable de permettre à l'entreprise de continuer à assurer sa mission dans les meilleures conditions. Je me suis porté volontaire pour faire face et assumer les responsabilités éthiques, morales et juridiques de notre groupe dans ce moment difficile, alors que je n'y étais pas tenu et qu'il n'y avait pas pléthore de candidats. J'ai fait ce choix simplement, en responsabilité, parce que je suis attaché à cette entreprise, à la suite d'une histoire personnelle qui m'a permis d'en connaître la valeur et l'expertise, notamment dans l'accompagnement des personnes les plus fragiles, en particulier ceux atteints de troubles psychiatriques.

C'était aussi mon devoir à l'égard des familles qui ont choisi de nous confier leurs aînés, dans cette mission si difficile, mais essentielle de l'accompagnement en fin de vie des personnes fragiles et dépendantes. Selon le rapport Jeandel-Guérin, 80 % des résidents d'Ehpad souffrent de troubles de la cohérence, associés à des comorbidités qui aggravent leur état, sans qu'ils puissent toujours le réaliser en raison d'une fréquente anosognosie.

Il était aussi de mon devoir de protéger et de défendre l'honneur et la fierté de nos 70 000 collaborateurs, qui ont choisi de réaliser au quotidien ce métier exigeant en rejoignant les rangs d'Orpea dans l'un des 1 000 établissements que nous opérons à travers 23 pays.

Depuis plusieurs semaines, nous sommes pris dans la tourmente. Fin janvier paraissait Les Fossoyeurs, un livre à charge rédigé à la suite d'une enquête de trois ans, dont je n'ai appris l'existence que le 23 janvier dernier. Le 1er février, cinq jours après que le conseil d'administration d'Orpéa eut lui-même mandaté deux cabinets d'audit internationaux pour faire toute la lumière sur les allégations contenues dans cet ouvrage, le Gouvernement annonçait le lancement d'une double enquête confiée à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et à l'Inspection générale des finances (IGF), avant même que nous n'ayons pu faire valoir notre droit au contradictoire sur le rapport provisoire. Nous en découvrions la semaine dernière les conclusions dans la presse et recevions le rapport définitif le 27 mars en fin de soirée.

En parallèle, les contrôles se sont intensifiés sur nos établissements, qui ont fait l'objet de plus de 150 visites d'inspection depuis la fin du mois de janvier, soit sept fois plus en deux mois qu'en une année normale. Mais cela n'est pas choquant en soi dans le contexte émotionnel et politique que nous connaissons.

Le 28 mars, sur la base du rapport de la mission des deux inspections, le Gouvernement a publié un communiqué annonçant notamment le signalement de certains faits au procureur de la République, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Nous contestons la matérialité de ces éléments. Il résulte de cette circonstance que certains faits que nous sommes appelés à examiner aujourd'hui seront très certainement également analysés par le parquet, et peut-être par un juge d'instruction. Je n'ai pas d'inquiétudes à ce sujet. Au contraire, je crois à l'examen approfondi des faits par des experts et aux vertus du contradictoire, mais cette circonstance m'amènera à m'exprimer avec prudence sur certains sujets, par exemple la question de l'usage des dotations publiques, un sujet très technique qui dépasse très largement le cas d'Orpea. Elle donne manifestement lieu à des interprétations variables, notamment de la doctrine comptable.

J'ai pleine conscience de l'importance cardinale de votre mission et de la nécessité d'offrir une totale transparence devant la représentation nationale, mais je ne veux pas me livrer à des appréciations qui pourraient dépasser mes compétences et mettre en danger le groupe que je représente.

Après cette exposition factuelle du déroulé des événements tels que nous les avons vécus, vous saisirez sans doute l'ampleur du choc qui nous a affectés, même si je mesure parfaitement en parallèle l'émotion que ces informations ont suscitée parmi les familles de nos résidents, dans le grand public et auprès des élus et des pouvoirs publics.

Les faits qui nous sont reprochés sont graves, et j'ai conscience de l'exigence de réponses et d'actions que l'on attend de ma part et de celle de Jean-Christophe Romersi, notre directeur général pour la France, présent à mes côtés ce matin. Je mesure également la gravité, la souffrance, l'émotion et la colère ressenties par les collaborateurs d'Orpea, mais aussi la stigmatisation et l'opprobre qu'ils subissent à tout instant depuis des semaines alors qu'ils doivent prendre soin des aînés que nous leur confions.

Je ne vous dirai pas que le groupe Orpea n'a rien à se reprocher, je ne vous dirai pas que nous ne sommes coupables de rien. La mission conjointe de l'IGF et de l'IGAS nous fait des reproches graves et précis. Nous avons répondu point par point à ces questionnements légitimes, nous avons reconnu des dysfonctionnements, pour certains inacceptables, même si le rapport définitif permet de conclure qu'il n'y a pas de système organisé qui aboutirait à une maltraitance généralisée et dément clairement les allégations les plus choquantes du livre.

Nous regrettons profondément ces dysfonctionnements et nous tenons à présenter nos sincères excuses aux résidents et à leurs familles. Mais il y a aussi dans ces attaques et ces reproches beaucoup de choses inexactes et injustes, et c'est aussi notre devoir de le dire, de le démontrer, comme nous l'avons fait dans les réponses au rapport de la mission conduite par les deux inspections. Les semaines et les mois qui viennent seront, je l'espère, l'occasion pour notre groupe de nous expliquer, de nous défendre, mais aussi de nous amender et de prendre des décisions pour repartir de l'avant.

Ma tâche et ma responsabilité sont de sortir le groupe Orpea de la tourmente dans laquelle il est plongé aujourd'hui. Toutes les irrégularités qui nous ont été reprochées, dont certaines sont avérées, trouveront des réponses et des solutions : changement de comportement, changement parfois de lignes directrices... Et, bien entendu, nous nous conformerons à toute injonction administrative et judiciaire.

Nous ne limiterons pas nos efforts à réagir ou à nous défendre. Dès aujourd'hui, j'annoncerai une série de mesures précises et concrètes pour rétablir un fonctionnement efficace et fiable d'Orpea vis-à-vis de toutes les parties prenantes, et ainsi redonner confiance à nos résidents, à leurs familles, à nos salariés, aux pouvoirs publics et à nos actionnaires. Ces mesures sont la première amorce d'un plan plus vaste de transformation du groupe que nous allons annoncer en mai prochain à la lumière des résultats de nos audits externes. Le sujet du vieillissement de la population, de la dépendance et de la perte d'autonomie sont des sujets de débat et d'intérêts nationaux. Vous le savez mieux que quiconque, puisque sur les territoires dont vous vous êtes les élus, vous êtes en contact régulier avec des maisons de retraite et des établissements de santé. Vous y consacrez beaucoup de temps et d'efforts, et vous savez que le sujet dépasse le cas d'Orpea, qui ne peut être le bouc émissaire de toutes les difficultés du secteur.

Je remarque d'ailleurs que le Gouvernement engage un mouvement visant à renforcer les contrôles, la transparence et la qualité pour l'ensemble des Ehpad privés et publics. Nous sommes face à un enjeu de société majeur. Vous êtes suffisamment expérimentés et avisés pour savoir que les sanctions éventuelles contre Orpea ou les mesures de correction que nous prendrons ne régleront pas tous les problèmes associés aujourd'hui à l'accompagnement de la fin de vie de nos aînés. Soyez assurés en revanche que nous contribuerons pleinement à élaborer les solutions de demain.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - En préambule, je souligne que notre mission ne vise pas seulement Orpea, mais tous les Ehpad, même si une attention particulière sera portée aux établissements privés à but lucratif.

Monsieur Charrier, dans Le Figaro du 26 mars, vous regrettiez que le rapport des deux inspections ne soit pas rendu public. Or Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie nous a confié hier que la publication du rapport s'était heurtée à l'opposition d'Orpea, courriel à l'appui.

Ma question est donc simple : le groupe Orpea autorise-t-il la publication du rapport IGAS-IGF ?

M. Philippe Charrier. - La réponse est oui.

Nous n'avons jamais sollicité la non-publication de ce rapport.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Le rapport peut donc être publié dès demain, sous réserve du respect du secret des affaires...

M. Philippe Charrier. - Le secret des affaires se limite aux règles du droit de la concurrence. Nous ne pouvons pas publier le contenu de nos contrats en intégralité, par exemple. Mais tout le reste mérite d'être largement diffusé.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Pourquoi n'avoir à ce jour déposé aucune plainte contre l'auteur du livre Les Fossoyeurs ?

Pourquoi les contrôles menés par les ARS n'ont-ils pas pleinement rempli leur rôle ? Comment les améliorer ?

M. Philippe Charrier. - Des dysfonctionnements financiers et dans la prise en charge sont pointés dans le rapport.

Ils sont pour l'essentiel attribuables à un manque constant de personnel soignant.

Le rapport IGF-IGAS ne fait que confirmer ce qui est dit dans le rapport de la Cour des comptes, que vous avez eu la grande pertinence de réclamer, madame la présidente.

S'agissant de la diffamation, nous essayons d'être aussi professionnels que possible. Nous avons mandaté deux cabinets de renom international pour répondre à toutes les allégations du livre. Sur la base des réponses qui nous seront fournies, nous déciderons ce qu'il convient de faire au regard de la diffamation.

D'ores et déjà, bien des allégations du livre se sont avérées infondées. La mission d'inspection le confirme.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Selon Victor Castanet, le groupe Orpea a organisé un système de rationnement des repas désigné sous l'acronyme « CRJ ». Vous auriez recours à des compléments alimentaires pour pallier la dénutrition qui toucherait un tiers de vos résidents. Est-ce le cas ? MM. Le Masne et Brdenk ont confirmé l'existence de ce CRJ.

M. Jean-Christophe Romersi, directeur général d'Orpea France. - Le « coût résident jour » (CRJ) existe, mais il n'est pas le fruit d'une décision immédiate, et il ne porte que sur le volet alimentation.

Nos résidents sont en situation de dépendance et présentent le plus souvent des états dépressifs et des troubles cognitifs. La question de la nutrition impose beaucoup de travail et de concertation. Les régimes, les textures doivent être adaptés en fonction des pathologies.

La moitié des résidents sont dénutris avant d'entrer en Ehpad. Une année après, près des deux tiers ne le sont plus.

Les menus sont établis en partant des besoins des résidents et en appliquant les recommandations de la HAS et de l'Anses en matière d'apports protéino-énergétiques. Sur cette base, un travail est effectué par les médecins nutritionnistes et les chefs de cuisine. La restauration n'est pas sous-traitée : nos chefs sont salariés et nos repas produits dans les établissements. Des menus sont alors établis sur cinq semaines, avec quatre cycles correspondant aux saisons.

C'est seulement sur la base de ces menus que nous procédons aux achats. Nous servons plus de 13 millions de repas par an dans les Ehpad Orpea, et les négociations avec nos fournisseurs en amont nous permettent d'obtenir des tarifs intéressants basés sur le volume de commandes.

S'agissant des compléments alimentaires, lorsqu'une personne est en situation de dénutrition, son alimentation est enrichie, soit de manière naturelle dans ses repas, avec de la crème, du fromage, soit, si nécessaire, en cas de dénutrition plus sévère, à l'aide de compléments nutritionnels oraux qui font l'objet d'une prescription médicale.

Nous luttons contre la dénutrition en suivant, par des pesées mensuelles, l'albumine, l'indice de masse corporelle et la perte de poids dans le temps. En cas de dénutrition, une surveillance accrue de l'alimentation et des pesées hebdomadaires sont mises en place. La mission IGF-IGAS a relevé ces éléments.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les membres de la commission des affaires sociales connaissent bien le fonctionnement des Ehpad, ce qui peut éventuellement vous épargner votre effort de pédagogie, monsieur Romersi.

Pour les repas, confirmez-vous le chiffre de 4,73 euros hors taxes par jour cité par M. Brdenk ?

M. Jean-Christophe Romersi. - Le coût alimentaire hors taxes est aujourd'hui de 4,80 euros.

Nous avions, constat d'huissier à l'appui, réalisé en 2018 des courses dans des enseignes de grande distribution pour confectionner nos menus. Nous obtenions une différence d'un peu plus d'un euro par rapport aux tarifs que nous pouvions obtenir après négociations auprès de nos fournisseurs.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Entre les recommandations établies par le groupe d'étude des marchés de restauration collective et nutrition (GEM-RCN) et les pratiques d'Orpea, le rapport IGAS-IGF relève des différences comprises entre 10 % et 30 %.

D'où la question : y a-t-il vraiment une volonté de réduire au maximum le coût journalier de la nourriture ?

M. Philippe Charrier. - La réponse est non. Nous ne rationnons absolument pas.

La moitié des résidents sont dénutris à leur arrivée. Un an après, la moitié d'entre eux ont retrouvé un profil bien meilleur.

Je n'accepterai jamais de rationner la nourriture de nos aînés ; j'en prends formellement l'engagement sous serment !

M. Bernard Bonne, rapporteur. - On a beaucoup parlé des rétrocessions ou des réductions de fin d'année (RFA) qui étaient consenties par les groupes Bastide, Hartmann et par des laboratoires de biologie médicale.

Vous avez dit que ces RFA correspondaient à des prestations de service. Quelles sont-elles ? Cet argent bénéficiait-il aux résidents ?

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Par ailleurs, vos prestataires pouvaient-ils refuser ces RFA ?

M. Philippe Charrier. - Nous avons arrêté de recourir aux RFA ; nous utilisons des prestations de service.

La mission a considéré que certaines prestations de service étaient imprécisément décrites dans les contrats, une appréciation discutable à nos yeux.

Ces prestations de service peuvent concerner le développement de nouveaux produits qui peuvent être très utiles pour nos résidents. Nous travaillons ainsi avec Hartmann sur des changes connectés, avec Bastide sur un nouveau matelas anti-escarres.

L'allégation du livre scandaleuse selon laquelle nous dégradons la qualité des changes pour économiser de l'argent est absolument fausse. Au contraire, nous avons listé le change le plus coûteux fourni par Hartmann. J'en souffre de lire cela, voyez-vous.

Autre type de prestations : on peut aider des fournisseurs comme Bastide à s'internationaliser, car nous sommes présents dans 23 pays, de la Chine jusqu'au Brésil.

Malgré cela, nous avons désormais décidé d'exclure de l'assiette du calcul des redevances dues au titre des prestations de service le montant des commandes de produits relevant du secteur des soins et de la dépendance. J'ai pris cette décision pour éviter toute ambiguïté.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Vous n'êtes pas les seuls à avoir pratiqué ce type de rétrocessions. On peut les concevoir, mais à condition qu'elles profitent aux résidents, puisque c'est de l'argent public. Il est dommage de ne pas les avoir arrêtées auparavant.

M. Philippe Charrier. - Je n'arrête pas les prestations de service, qui peuvent améliorer l'accueil des résidents. Je les écarte de l'assiette pour éviter la confusion.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Le forfait dépendance est-il vraiment fait pour favoriser l'internationalisation de vos fournisseurs ?

M. Philippe Charrier. - Cela permet des économies d'échelle et des réductions de coût considérables.

Nous payons par exemple nos changes 45 % de moins que sur internet et entre 13 % et 21 % de moins qu'auprès des grossistes qui fournissent les établissements de santé.

Enfin, madame Meunier, je n'avais pas répondu à votre question : nous représentons nettement moins de 1 % du chiffre d'affaires du groupe Hartmann. Nos prestataires ont donc vraiment le choix.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Est-il avéré, comme Victor Castanet l'affirme dans son livre, que vous choisissez les laboratoires d'analyses médicales en fonction des réductions qu'ils vous accordent ? Les laboratoires « locaux » semblent avoir été écartés.

M. Philippe Charrier. - Non, nous n'écartons pas certains fournisseurs pour gagner plus d'argent.

J'ai dirigé un groupe de biologie médicale européen : les prestations de service existent.

Notre échelle étant nationale, il est plus simple et plus efficace pour nous de travailler avec un grand groupe qui peut répondre à l'ensemble de nos besoins.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Il est intéressant parfois de travailler avec un laboratoire de proximité qui peut répondre immédiatement aux demandes du médecin.

M. Jean-Christophe Romersi. - Les laboratoires de biologie médicale se sont regroupés en grands groupes, mais ils disposent d'antennes proches de nos établissements.

Pendant la crise sanitaire, avoir une discussion au niveau national nous permettait aussi d'avoir un meilleur service localement, une plus grande réactivité.

M. Philippe Charrier. - Partout dans le monde, nous avons assisté à une consolidation du secteur de la biologie médicale, afin de disposer de plateaux techniques performants qui alimentent un grand nombre de laboratoires.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Avez-vous des taux d'occupation supérieurs à 100 %, comme le prétend M. Castanet dans son livre ?

M. Jean-Christophe Romersi. - L'IGF et l'IGAS ont analysé ces éléments : aucune suroccupation n'a été programmée ou demandée, mais de telles situations peuvent se produire, par exemple lorsqu'une personne en court séjour reste un peu plus longtemps que prévu, et qu'une entrée programmée a été réalisée entre-temps.

Cette suroccupation temporaire doit être déclarée aux autorités et, en effet, elle ne l'a pas toujours été. S'il y a eu des consignes locales, nous les dénonçons.

Enfin, la surcapacité au sein des établissements d'Orpea en France sur l'année 2019, base de l'IGAS dans cette analyse, représente 0,016 % des journées facturées. Ce n'est donc pas une politique, mais une exception.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Ces taux sont surprenants, en effet. On constate le plus souvent des taux inférieurs à 100 % dans les Ehpad en raison des hospitalisations et des décès.

M. Philippe Charrier. - Les taux d'occupation des résidences Orpea sont les suivants : 86 % au 27 mars 2022 et au 31 décembre 2021, 90 % au 31 décembre 2020 et 92 % au 31 décembre 2019.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - On le sait, les établissements ont intérêt à avoir un taux d'occupation maximum. La politique d'Orpea consistait-elle à faire en sorte que le taux d'occupation ne descende jamais sous un certain seuil ?

M. Philippe Charrier. - Dans les états prévisionnels des recettes et des dépenses (EPRD), les ressources sont attribuées pour une norme d'occupation de 95 %.

Le paradoxe, c'est que nous avons parfois sous-budgété, du fait de la modulation, parce que nous n'étions pas à 95 % d'occupation. Mais en même temps, on nous reproche cette sous-budgétisation...

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - S'agissant de la qualité de l'accueil, chaque établissement du groupe possède-t-il un conseil de la vie sociale qui fonctionne ?

M. Jean-Christophe Romersi. - Ces conseils sont obligatoires et doivent se réunir au moins trois fois par an. La loi exige un représentant des familles, un représentant des résidents et de la direction.

Oui, les conseils de la vie sociale sont constitués. Nous vérifions leur conformité lors des contrôles, ce qui était le cas de 80 % d'entre eux. Il arrive toutefois qu'un poste soit vacant, et les conseils ont eu beaucoup de mal à se réunir pendant la crise sanitaire.

Les conseils de la vie sociale peuvent se réunir à huis clos, avec les seuls représentants élus. J'ai toujours demandé pour ma part qu'ils se tiennent de façon ouverte, afin que l'ensemble des familles et des résidents puissent y assister.

Les commissions d'animation et de restauration permettent aussi de discuter collectivement des activités et des menus proposés. Il nous semble nécessaire de renforcer la représentation de ces instances très importantes.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Les contrôles se font au niveau de chaque établissement. Or, dans un groupe comme Orpea, tout est réglé au niveau régional. Les ARS ne peuvent pas contrôler le groupe et contrôlent mal les établissements. Il faudra certainement modifier la réglementation, pour éviter une forme d'opacité.

Par ailleurs, les directeurs d'établissement ont-ils une autonomie suffisante ?

La loi ASV repose sur la confiance, mais elle a permis aussi certaines des dérives que l'on constate aujourd'hui.

M. Philippe Charrier. - Les contrôles locaux sont très utiles pour la prise en charge, et nous prenons soin de mettre en oeuvre les recommandations qui y figurent. Nous ne sommes absolument pas opposés à des contrôles supplémentaires réalisés au niveau du groupe.

La réglementation du secteur est très complexe, sa mise en oeuvre délicate. Il faudrait pouvoir entrer dans le détail. Il est difficile par exemple pour une société d'élaborer son budget pour octobre ou novembre avec des EPRD approuvés fin juillet. Comment anticiper correctement la modulation tarifaire mise en oeuvre par la loi d'adaptation de la société au vieillissement ?

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Les départements et l'ARS déterminent précisément le nombre de personnels pour chaque établissement.

Y avait-il au niveau des ressources humaines une volonté délibérée de ne pas remplacer les personnels absents ? Le groupe a-t-il explicitement formulé de telles demandes aux établissements ?

M. Philippe Charrier. - Il n'y a pas de volonté de ce type au niveau du groupe. Je n'ai vu aucun mail émanant de la direction générale du groupe donnant ce type de consignes.

Il y a eu des erreurs, mais cela reste des exceptions. Nous allons être extrêmement vigilants à l'avenir. Je m'en porte garant.

Mais n'oublions pas le vrai sujet de société : je rappelle qu'il y a eu 40 % de candidats en moins aux derniers concours d'aide-soignant.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Les « directeurs nettoyeurs » évoqués par M. Castanet font-ils partie de ces « erreurs » que vous évoquez ?

M. Philippe Charrier. - Cette expression est odieuse. Le rapport IGF-IGAS est très clair sur ce point : il n'y a jamais eu de directeur nettoyeur.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Avez-vous mis en place des procédures pour vous assurer que les dépenses imputées sur le forfait soin relèvent exclusivement de dépenses de soin ?

Le livre estime par ailleurs que certains établissements sont peu regardants sur les critères d'accueil des résidents relevant de la psychiatrie. Que répondez-vous ?

M. Philippe Charrier. - Le rapport IGF-IGAS dit que 50 millions d'euros ont été imputés à tort aux budgets soins et dépendance, sur un total de 1,4 milliard d'euros pour la période considérée.

Une grosse part de cette somme vient des auxiliaires de vie faisant fonction d'aide-soignante. Le rapport de la Cour des comptes est extrêmement clair sur ce point. Orpea doit progresser. L'écart de salaire entre une auxiliaire de vie et une aide-soignante est insuffisant, par exemple. On va également travailler sur les carrières.

L'autre élément concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) : doit-on oui ou non imputer la CVAE à la dotation soins ? Le personnel soignant est financé par les dotations. S'il était mis à notre disposition, nous n'aurions pas à payer de taxe sur la valeur ajoutée. Mais comme ces personnels sont rémunérés par les opérateurs, nous devons acquitter une taxe sur la valeur ajoutée. Les sociétés doivent-elles la prendre sur leurs profits, comme un coût, ou peuvent-elles l'imputer sur la dotation soins ? La justice est saisie, nous verrons, mais c'est un vrai sujet.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Nous sommes d'accord sur ce dernier point.

Autre question : pourquoi un turn-over si important parmi vos directeurs ?

M. Jean-Christophe Romersi. - À ce jour, nous avons quatre postes de direction vacants sur l'ensemble des établissements français.

Le turn-over est de 12 % cette année, et l'ancienneté moyenne des directeurs de sept ans.

Dans ce secteur infiniment humain, mais également infiniment réglementé, le travail d'un directeur est extrêmement compliqué.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Quelle formation exigez-vous de vos directeurs ?

M. Jean-Christophe Romersi. - Nous exigeons un master 2 en lien avec le secteur, conformément à la loi. Nous accompagnons nos salariés qui n'en disposent pas à travers une formation. Ceux de nos directeurs qui n'auraient pas encore de master sont en cours de formation pour se mettre en conformité. Quand des personnes sont capables et ont envie de faire ce métier, il est de notre devoir de les accompagner pour qu'ils obtiennent le diplôme permettant de l'exercer.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Combien d'établissements ont-ils été créés ou rachetés en France par Orpea depuis 2005 ?

Combien d'anciens fonctionnaires des ARS ou des départements avez-vous embauchés depuis une dizaine d'années ? Quelles fonctions exercent-ils - ou ont-ils exercées - chez Orpea ?

Je souhaiterais avoir des chiffres très précis en la matière, et je vous demanderai de bien vouloir me les communiquer par écrit si vous ne pouvez pas le faire aujourd'hui.

M. Philippe Charrier. - Nous répondrons précisément à votre question par écrit.

Il n'y a aucune volonté d'établir des connivences chez Orpea. La lecture des rapports d'inspection de l'ARS peut d'ailleurs en attester.

Enfin, nous ne sommes pas acheteurs en France depuis de nombreuses années déjà.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Vous annoncez des mesures à venir, notamment des enquêtes de qualité faites par des cabinets renommés indépendants. En quoi consistent ces enquêtes ? Quel est le degré d'indépendance de ces cabinets par rapport au conseil d'administration du groupe Orpea ?

M. Philippe Charrier. - Ces enquêtes trouvent leur origine dans la découverte par le conseil d'administration, le 23 janvier à dix-neuf heures, de l'existence d'une longue enquête menée par un journaliste depuis trois ans. Nous voulions comprendre et apporter une réponse complète à toutes les allégations du livre. Nous avons mandaté des cabinets de réputation mondiale, dont l'éthique leur commande de répondre scrupuleusement à l'ordre de mission, celui-ci ayant lui-même été rédigé par un avocat extérieur spécialisé, et non par le conseil d'administration. Je vous en transmettrai une copie.

Nous aurons dans quelques jours les résultats de ces travaux.

Mme Laurence Cohen. - Comme cela a été dit, nous ne devons pas nous focaliser exclusivement sur le groupe Orpea, mais interroger la prise en charge de nos aînés de manière globale.

Vous dites avoir fait appel à deux cabinets de renommée internationale. J'attire votre attention sur les travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur le recours intempestif auxdits cabinets, et je vous encourage à faire preuve de la plus grande vigilance. On l'a vu avec McKinsey : c'est souvent beaucoup d'argent dépensé pour pas grand-chose...

Nous avons évoqué aussi les RFA. Notre collègue député Pierre Dharréville, co-auteur d'une mission flash sur les Ehpad, a déjà soulevé ce problème, et le journal Les Echos critiquait un pilotage par la masse salariale préjudiciable à la qualité de prise en charge des résidents, ce système ayant abouti à un cumul de 20 millions d'euros de dotations non consommées entre 2017 et 2020. Allez-vous rembourser cette somme à la sécurité sociale ?

Vous avez souligné vos difficultés de recrutement. Toutefois, devant les députés, les représentants syndicaux du groupe Korian ont été unanimes à dire que votre groupe constituait une zone de non-droit social : recours excessif aux CDD, licenciements abusifs, pratiques antisyndicales... Or une entreprise ne peut fonctionner correctement sans contre-pouvoirs.

Avec l'appui du Centre for International Corporate Tax Accountability and Research (Cictar), la CFDT et la CGT ont montré que votre groupe a créé une cascade de sociétés au Luxembourg afin d'y transférer la propriété des murs d'une bonne partie de vos établissements. Avez-vous eu recours à l'optimisation fiscale afin de ne pas payer d'impôts en France ?

Nous avons tous été choqués par le livre de Victor Castanet et par différents témoignages, notamment celui de la famille de Françoise Dorin, qui est morte dans des souffrances terribles faute de matelas anti-escarres. Il est difficile de ne voir que diffamation dans ce livre.

En pleine pandémie, en 2021, votre groupe a versé 58 millions d'euros à ses actionnaires et a attribué un parachute doré de 2,7 millions d'euros à l'ancien directeur général Yves Le Masne. Monsieur Charrier, vous avez parlé de « marché », avant de vous reprendre. N'est-il pas indécent de faire des profits sur l'or gris ?

M. Philippe Charrier. - Je parlais de « marché » seulement pour l'achat de fournitures, pas pour l'ensemble de nos missions.

La priorité doit aller à l'accueil, je vous rejoins. Mais nombre de nos résidents souffrent de maladies neurodégénératives ou de dépression, et le simple fait de se nourrir est déjà difficile pour eux, indépendamment des quantités qu'on leur propose.

S'agissant des cabinets que nous avons mandatés, il fallait bien répondre aux allégations contenues dans le livre Les Fossoyeurs. Leurs prestations seront payées par les actionnaires, considérant que la réputation d'une société est son plus grand capital.

Les 20 millions d'euros d'excédents que vous mentionnez n'ont nullement été intégrés aux profits. Nous avons passé une écriture comptable pour les neutraliser ; cet argent est donc toujours disponible.

S'agissant du syndicat Arc-en-ciel, le rapport IGF-IGAS ne nous impute aucun tort. Ce syndicat a été créé par deux anciens membres de FO. Cependant, oui, il faut plus de dialogue syndical dans le groupe, et j'ai donné des instructions très claires en ce sens. Nous pouvons faire beaucoup mieux.

Le Cictar a lui-même conclu qu'il n'existait pas de fraudes dans notre système. Nous avons en effet des SCI au Luxembourg, mais elles ne contiennent que des actifs internationaux ; aucun bâtiment français n'y est logé. Cela ne diminue en rien les impôts liés à nos opérations françaises.

Nous n'avons pas payé de dividendes aux actionnaires lors de la crise du covid. Nous avons été la première société à prendre cette décision.

M. Jean-Claude Brdenk avait un contrat, approuvé par l'assemblée générale des actionnaires, qui prévoyait deux ans de rémunération. Nous l'avons respecté.

M. Jean-Christophe Romersi. - L'excédent de 20 millions d'euros est certes important, mais ramené au nombre de postes qui n'ont pas été déployés dans les établissements, il représente 0,56 ETP par jour et par établissement en moyenne.

Dans le cadre de l'EPRD, nous prévoyons un ratio d'encadrement et, lors de l'état réalisé de recettes et de dépenses (ERRD), le 30 avril de l'année suivante, nous déclarons les moyens réellement utilisés. Les taux d'encadrement que nous avons déclarés dans les ERRD ont toujours été supérieurs aux EPRD.

La mission IGAS-IGF relève enfin que les salaires pratiqués au sein du groupe Orpea sont légèrement supérieurs à ceux du secteur.

M. Philippe Charrier. - Pourquoi ces excédents ? Ils ont été réalisés au cours des années 2020 et 2021, pendant la crise du covid. Avec des taux d'occupation de 86 % en 2021 et de 88 % en 2020, nous étions nettement en dessous des EPRD. Durant les deux années précédant la crise sanitaire, nous étions soit en perte, soit proche de l'équilibre.

On l'a oublié, mais nous avons vécu deux années terribles dans les Ehpad, avec l'impossibilité d'hospitaliser nos résidents. Orpea a été la première société à acheter des masques au prix fort en Chine, avant leur livraison massive, sans aucune certitude d'être remboursée.

Mme Laurence Cohen. - J'ai cité le témoignage de la famille de Françoise Dorin : il est choquant, qui plus est dans un établissement haut de gamme, qu'il n'y ait pas de matelas anti-escarres !

M. Philippe Charrier. - Il est très délicat de parler de faits couverts par le secret médical. Nous avons demandé à un juge de désigner un expert médical pour examiner chacun des cas cités dans l'ouvrage. Cela nous a été refusé. Nous verrons si nous engageons une autre forme de procédure.

La mission IGF-IGAS relève que le taux d'escarres est plutôt plus faible chez Orpea qu'ailleurs, ce qui veut dire aussi que la nutrition n'est pas aussi mauvaise que cela.

M. Jean-Christophe Romersi. - Si un matelas anti-escarres est inadapté ou mal-positionné, c'est bien entendu une erreur qu'il est de notre responsabilité de corriger. Mais il ne s'agit pas d'une volonté délibérée.

M. René-Paul Savary. - C'est en effet un secteur infiniment humain et complexe, mais aussi financier. Reconnaissons-le : il y a un marché de la personne âgée. Et les derniers développements donnent l'impression que le système a permis des dérives ou des erreurs.

Vous avez pris beaucoup d'engagements lors de cette audition. Cela prouve bien qu'il y avait des dysfonctionnements. Pourquoi ne pas avoir pris ces décisions plus tôt ?

On assiste à une forme d'industrialisation de la prise en charge des personnes âgées par le secteur médico-social, avec des directeurs d'établissement davantage au service de leur groupe que de leurs résidents.

EPRD, GIR moyen pondéré, forfait soins, forfait hébergement : toutes ces dotations publiques ne sont-elles pas trop élevées finalement ? Leur vocation n'est pas de vous permettre d'accroître vos bénéfices.

Ce secteur a-t-il vraiment vocation à s'industrialiser ? Ne faut-il pas changer le système en profondeur pour éviter ces dérives ?

M. Philippe Charrier. - On n'industrialise pas l'accompagnement de la fin de vie. Cela n'a pas de sens. C'est un métier extraordinairement difficile humainement. On s'attache aux résidents, on les voit partir...

Il s'agit en revanche de grouper les moyens. Le rapport de la Cour des comptes reconnaît d'ailleurs que les groupes ont une plus grande capacité à faire face aux difficultés du secteur.

Y a-t-il une volonté financière ? En 2020, le rendement sur les capitaux propres de notre groupe s'est élevé à 5 %. Nos actionnaires ne cherchent pas le rendement, mais une croissance régulière et une récurrence.

Mme Élisabeth Doineau. - Après le choc créé par ce livre-document et les témoignages bouleversants qui ont été recueillis, c'est la société dans son ensemble qui est placée face à ses responsabilités. On ne devrait plus utiliser le terme de silver economy, tant il s'avère inacceptable de faire de l'argent sur le dos des anciens.

Il est toujours difficile pour les familles de dénoncer une maltraitance soupçonnée. Quand elles osent néanmoins le signaler, quel protocole appliquez-vous ?

Votre groupe s'est-il engagé dans une démarche qualité ou une démarche de responsabilité sociale des organisations (RSO). La démarche prend du temps, mais elle fait souvent le plus grand bien à l'entreprise.

Enfin, vous appuyez-vous sur des ressources externes comme les associations de retraités, de malades ou de consommateurs ?

M. Jean-Christophe Romersi. - Nous avons en effet un protocole de traitement des plaintes, car nous devons accorder la plus grande attention à chacune d'elles. Deux tiers des plaintes sont adressés directement à la direction de l'établissement, un tiers à la direction régionale ou au siège. Quand une plainte nous arrive, nous commençons par en accuser réception, puis la direction prend rendez-vous avec la famille. Si le problème n'est pas résolu, la direction régionale peut intervenir, avec une personne spécialement dédiée au suivi des plaintes.

Mais il faut aller encore plus loin. Nous allons mettre en place un numéro vert, avec au bout du fil des psychologues formés à l'écoute de la souffrance, mais aussi un médiateur au niveau national pour les problèmes qui ne trouvent pas de solutions.

La démarche qualité existe depuis vingt ans au sein d'Orpea. De nombreux critères sont évalués sur la base de référentiels et de protocoles qui concernent aussi bien les soins, l'accompagnement et la prise en charge que la restauration, l'hébergement, les locaux ou la sécurité.

Le groupe Orpea compte 82 % de sites avec médecin coordonnateur, ce qui est largement supérieur à la moyenne du secteur. Mais nous avons aussi au niveau régional des médecins coordonnateurs, des référents qualité et des infirmières coordonnatrices, car l'oeil externe est extrêmement important. Le danger, c'est toujours le huis clos.

Nous sommes engagés dans la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Nous disposons d'une fondation, dont nous avons décidé d'augmenter les moyens.

Il est extrêmement important de s'appuyer sur un réseau pour ne pas s'isoler. Nous avons travaillé par exemple avec France Alzheimer pendant de nombreuses années et mis en place des conférences ainsi que le café des aidants.

Enfin, j'ai moi-même été directeur d'établissement, et mon action consistera toujours à faire en sorte que les directions bénéficient de suffisamment d'autonomie et de confiance, mais aussi d'accompagnement, tant le champ de leurs responsabilités est large.

M. Philippe Charrier. - Nos enquêtes de qualité sont réalisées par un tiers, elles sont complètement indépendantes de la direction du groupe. Les familles et les résidents y participent. Nous avons un taux de réponse de l'ordre de 50 %. Ces enquêtes sont réalisées tous les ans et prennent en compte 400 critères.

M. Jean Sol. - J'ai quelques questions, notamment concernant les ratios agents, lits et places sur lesquels vous vous adossez pour prendre en charge les résidents, en particulier la nuit. Combien de personnels soignants pour combien de résidents ? Vous évoquiez le dispositif de signalement. Selon vous, deux tiers étaient traités au niveau de vos directions et un tiers était reporté sur les tutelles. Quantitativement, qu'est-ce que cela signifie ? Pourriez-vous être précis ?

Concernant les postes dont vous avez besoin au sein de vos établissements, les prérequis en matière de formation et de compétences sont-ils respectés ? Vous nous disiez tout à l'heure que vous remplaciez beaucoup d'aides-soignantes par des auxiliaires de vie. Ce n'est pourtant pas le même métier. En termes de prestations, de fonctionnement et de compétences mises à la disposition des résidents, il doit y avoir quelques failles...

M. Jean-Christophe Romersi. - Plus de 80 % de nos établissements comptent désormais trois agents la nuit. C'est une demande que nous avions faite auprès de nos établissements avant même la réforme de la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV). À l'époque, c'était le département et les ARS qui fixaient le nombre d'agents par nuit, en général deux. Nous avions décidé d'anticiper et de porter ce chiffre à trois. Nous voulions absolument avoir une personne dédiée, en particulier dans les unités où les personnes souffrent de troubles cognitifs. Peut-être faut-il même prévoir davantage de personnel.

M. Jean Sol. - S'agit-il d'infirmiers ou d'aides-soignants ?

M. Jean-Christophe Romersi. - Les infirmiers de nuit relèvent d'expérimentations qui n'ont pas été généralisées. Dans quelques endroits, il y a effectivement des infirmières de nuit, soit dans l'établissement, soit mutualisé, soit d'astreinte. Mais les agents que j'évoque sont des aides-soignants. Il y a deux aides-soignants et une auxiliaire de vie la nuit. C'est ce que veut la réglementation, mais les besoins de prise en charge évoluent largement avec le vieillissement de la population et la dépendance.

M. Charrier faisait référence tout à l'heure aux auxiliaires de vie qui imputaient la dotation soin. Nous avons reçu 1,2 milliard d'euros de dotation soin sur ces quatre années, dont 28 millions imputés aux auxiliaires de vie. Le montant n'est donc pas si important, même s'il reste encore trop élevé. Évidemment, ces auxiliaires ne correspondent pas à la description du code de l'action sociale et des familles (CASF), mais quand vous êtes directeur d'établissement et qu'il vous manque du monde le matin, vous prenez le personnel disponible : ce qui compte avant toute chose, c'est d'apporter l'accompagnement et le soin.

Nous devons tous collectivement travailler, notamment au travers de la validation des acquis de l'expérience (VAE), à améliorer le dispositif de formation des auxiliaires de vie. Parfois, ces personnes échouent à leur diplôme pour un simple module. Or bon nombre de compétences des aides-soignants pourraient être portées par des auxiliaires de vie diplômés d'un niveau intermédiaire. Je pense au bac pro accompagnement, soins et services à la personne (ASSP), par exemple, qui donne cinq modules sur huit.

M. Alain Duffourg. - Nous vous avons posé des questions assez précises sur les manquements et dysfonctionnements ; vous les avez reconnus. Vous avez évoqué des changements de comportement pour l'avenir. Au regard des reproches qui vous ont été adressés, qu'envisagez-vous de faire pour modifier votre façon de fonctionner, notamment au niveau des établissements ?

M. Daniel Chasseing. - Pendant le Covid, nous avons localement pris en charge des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous avons donc l'habitude. Votre prix de journée alimentaire est extraordinaire. Dans nos Ehpad à moins de 2 000 euros par mois, le prix de la journée est le double du vôtre. Vous ne devez pas acheter beaucoup de produits alimentaires français !

Vous nous avez dit qu'il fallait un laboratoire avec un plateau technique national pour plus d'efficacité. C'est complètement faux. On a souvent besoin d'analyses de base. Il est utile de pouvoir disposer d'un laboratoire de proximité.

Pour ma part, l'existence de parachutes dorés me semble complètement indécente. C'est un traitement industriel. Notre société va devoir accepter des changements à l'avenir. Les directeurs au niveau régional ne sont-ils pas choisis pour faire de la rentabilité ?

Enfin, vous nous avez indiqué que si l'on voulait remplacer une aide-soignante par une auxiliaire de vie, cela ne fonctionnait pas par rapport au budget soin. C'est totalement faux. On peut, en cas d'absence d'une aide-soignante, la remplacer momentanément par une auxiliaire.

J'espère qu'une autre philosophie émergera à l'avenir pour la prise en charge des personnes âgées. Nul ne doit faire de l'argent sur le dos des familles ou des personnes dépendantes.

M. Jean-Luc Fichet. - Quel est le coût mensuel le plus faible pratiqué au sein d'Orpea et quel est le coût mensuel le plus élevé ? Qu'est-ce qui justifie une telle différence dans la prise en charge des résidents ? Avez-vous des critères d'évaluation économique par établissement ? De la même manière, avez-vous des critères d'évaluation qualitative dans la prise en charge ?

M. Philippe Charrier. - Alain Duffourg nous a interrogés sur les améliorations à apporter. Nous parlons d'un secteur et d'une mission qui ne peut atteindre la perfection, même si nous en avons la volonté. Quelles sont les grandes actions ? La première est de donner plus d'autonomie à nos directeurs d'établissement sur beaucoup de sujets. Nous y veillerons, c'est un élément essentiel. Notre deuxième objectif concerne les résidents et les familles. Au-delà des études qualitatives, qui visent à recueillir leur opinion de façon indépendante par un tiers, nous mettrons en place un numéro vert pour les résidents, les familles et les proches. Nous nommerons des médiateurs et créerons des comités d'éthique proches des établissements.

Par ailleurs, au niveau des salariés, nous voulons progresser dans le dialogue social. Beaucoup de choses restent à faire et nous allons commencer maintenant dans ce domaine-là. Nous travaillerons notamment à la fidélisation des équipes, en mettant l'accent sur les parcours professionnels. Il s'agit de développer les politiques de rémunération pour valoriser les parcours de carrière de nos soignants. Nous devons également recruter beaucoup plus de jeunes talents. Nous envisageons d'engager 500 apprentis aides-soignants. Nous allons décentraliser notre fonction ressources humaines vers les établissements et vers les régions.

Pour répondre à Daniel Chasseing, nous achetons bien sûr également des produits alimentaires français. En ce qui concerne les laboratoires, j'ai entendu votre remarque ; nous allons l'examiner. Encore une fois, nous voulons donner plus d'autonomie aux directeurs d'établissement. Vous avez évoqué le traitement industriel en citant le versement d'une forte prime de départ. Il s'agit d'un groupe mondial. Nous sommes implantés dans vingt-trois pays. Le marché des dirigeants est ce qu'il est, avec une très grande complexité. Je suis assez heureux pour mon pays qu'une entreprise comme la nôtre puisse être une forme de signatures en dehors de nos frontières : un développement si rapide est la preuve que nous avons su apporter quelque chose hors de France pour l'accompagnement de nos seniors.

Au niveau des directeurs d'établissement et des directeurs régionaux, la qualité demeure l'objectif numéro un. D'ailleurs, quand la qualité n'est pas au rendez-vous, on supprime immédiatement la moitié des bonus. Rien n'est plus important que la qualité, c'est fondamental.

M. Jean-Christophe Romersi. - Monsieur Duffourg, les mesures d'avenir évoquées par M. Philippe Charrier, même si elles interviennent aujourd'hui, sont des notions que nous avons travaillées ces derniers mois et ces dernières années. C'est exactement ce que je veux dans l'entreprise, c'est-à-dire des équipes opérationnelles. Je connais parfaitement ce métier, je sais ce que méritent les équipes dans l'accompagnement et l'autonomie.

Monsieur Chasseing, nous respectons la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim. Celle-ci fixe des obligations nouvelles. Nous avons été entendus par le ministère en charge de cette transition pour savoir où nous en étions. Il semblerait que nous en sommes à un stade plus avancé que bon nombre d'autres acteurs.

Concernant les remplacements des auxiliaires de vie, Mme la ministre a dit elle-même sur France Inter samedi matin que les auxiliaires de vie pouvaient être admises au vu de la pénurie des personnels soignants en remplacement. Nous ne remontons pas les postes vacants en bénéfices, mais nous avons des auxiliaires de vie qui pallient toutes les difficultés sectorielles du recrutement des aides-soignants.

Monsieur Fichet, le tarif moyen en France dans les établissements Orpea est de 84 euros par jour. Dans dix-sept de nos établissements, le tarif mensuel est inférieur à 2 000 euros. Nous avons quatre établissements, soit 1,77 % d'établissements, dont le tarif mensuel est supérieur à 6 000 euros.

M. Jean-Luc Fichet. - Quel est le coût le plus faible et le coût maximum ? J'aimerais avoir un chiffre très précis.

M. Jean-Christophe Romersi. - Je compléterai ma réponse par des éléments que nous vous transmettrons pour vous répondre de manière très précise. Le tarif le moins cher est inférieur à 70 euros par jour. Quant à l'établissement de Neuilly, mais il ne s'agit que de quelques chambres faisant plus de 50 mètres carrés, certains tarifs sont supérieurs à 10 000 euros. Je le répète, le nombre d'établissements dont les tarifs sont supérieurs à 6 000 euros par mois en France sont au nombre de quatre.

Ces différences de prix s'expliquent tout simplement la localisation des établissements. Quand Orpea construit un établissement, l'achat du terrain et la construction du bâtiment ne relèvent d'aucun financement public, d'aucune aide. C'est l'entreprise qui assure cette charge. Or la charge foncière et le prix au mètre carré sont absolument différents selon qu'il s'agisse d'un établissement dans le centre de Paris ou en province et en zone rurale.

Depuis dix ans, Orpea a construit et rénové en France de nombreux établissements. Il en a assuré la maintenance. Orpea a repris beaucoup d'établissements vétustes, d'ailleurs M. le ministre Véran a annoncé des mesures pour le secteur public. Orpea en dix ans a investi plus de 1 milliard d'euros dans des établissements en France, y compris pour améliorer les qualités d'accueil, de prise en charge et d'accompagnement, sans oublier, bien sûr, la qualité de travail pour les équipes.

M. Jean-Luc Fichet. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur les critères d'évaluation économique et les critères d'évaluation qualitative par établissement.

M. Jean-Christophe Romersi. - Comme nous l'avons souligné précédemment, nous disposons dans les établissements de critères qualité qui font l'objet d'auto-évaluations par les équipes. Nous les vérifions formellement deux fois par an, en dehors de l'accompagnement des équipes - infirmières coordinatrices régionales, médecins coordonnateurs régionaux, référents qualité régionaux. Les critères qualitatifs reposent sur 400 points de contrôle extrêmement larges, allant du soin, de l'accompagnement, de la prise en charge, jusqu'à la restauration, l'hébergement, les conditions d'accueil, le suivi des dossiers administratifs, le respect des droits et des libertés, le bon suivi des contrats de séjour, des contrats de travail, etc. Cet ensemble-là est vérifié tout au long de l'année.

Des plans d'action sont établis en cas d'écart via un logiciel spécialement dédié à ce suivi, avec des dates d'échéance. L'ensemble des inspections ou des contrôles dans nos établissements figurent également dans ce plan d'action. Ils sont suivis par les directions d'établissement, leurs équipes et les équipes d'appui au niveau régional. Comme l'a rappelé M. Charrier, si les critères qualitatifs ne sont pas atteints, cela a un impact immédiat sur les critères de performance financière de l'établissement. Il est en effet absolument important que la performance ne se fasse pas au détriment de la qualité.

M. Philippe Charrier. - Madame la présidente, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de nous séparer, je voudrais vous remercier de la qualité de votre écoute.

J'espère que nous avons répondu le plus précisément possible à vos questions et que nous avons été à la hauteur de vos attentes. Je mesure parfaitement le chemin qu'il nous reste à parcourir pour redonner confiance en notre groupe. Cela passera par des efforts, des explications, des réformes, mais aussi par de l'innovation et de l'initiative.

À cet égard, je voudrais vous faire part de deux décisions que j'ai prises, et qui contribueront à donner la bonne direction à Orpea.

La première est de maximiser la décentralisation des décisions et des responsabilités vers les établissements, de renforcer leur autonomie, de nous appuyer plus encore sur les directeurs d'établissement, les personnels qui travaillent au quotidien pour les résidents. Ce chantier va être prioritaire pour nous. Nous allons notamment, entre autres améliorations, instaurer des médiateurs famille, rapprocher les comités éthiques du terrain et améliorer le fonctionnement de notre plateforme d'alerte.

Dans le même esprit, la deuxième décision que je tenais à vous annoncer aujourd'hui est celle d'ouvrir les portes de tous nos établissements et de faire au mois de mai, si la Covid le permet, une journée d'états généraux du grand âge dans chacun de nos établissements : résidents, familles de résidents, élus, membres de la représentation nationale, personnel, presse locale, chacun sera convié à participer, à s'exprimer, à débattre pour faire émerger à la fois des critiques, mais aussi des solutions.

Je m'engage à ce que ce grand débat ait lieu partout en France et soit suivi d'un compte rendu, d'une synthèse de propositions concrètes, dont tous les participants seront destinataires, ainsi que la représentation nationale.

À la rentrée, la deuxième étape de ces états généraux donnera lieu à une réunion nationale associant les représentants de toutes les parties prenantes afin de présenter les grands axes et les propositions qui pourraient être menées à bien, précisément pour améliorer l'accueil, la prise en charge et les soins de nos résidents. Voilà comment nous voulons procéder.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Je vous remercie de vos réponses, qui ont été complètement différentes de celles de l'Assemblée nationale, cela tient sans doute à l'organisation choisie par notre présidente.

Je remercie également Victor Castanet. Sans son ouvrage, nous n'aurions pas les modifications attendues aussi bien en ce qui concerne vos groupes privés à but lucratif, mais aussi en ce qui concerne la prise en charge de nos aînés. J'espère que la remise de nos rapports en juin débouchera sur une loi grand âge, avec des moyens supplémentaires. Il importe d'en affecter partout : il ne s'agit pas seulement de parler des difficultés au niveau de vos résidences, mais de toutes les résidences pour personnes âgées.

Vous recevrez peut-être d'autres questions écrites d'ici à la fin de notre mission, auxquelles vous répondrez aussi sous serment, bien entendu. Vous nous annoncez des changements. Vous avez été nommés tous les deux depuis très peu de temps, c'est-à-dire depuis la sortie du livre. Mais quid des autres ? En voiture, si on fait un dépassement de vitesse minime, on a une petite sanction. S'il est plus important, on a une grosse sanction et s'il est très important, on a une suppression de permis. Or il semblerait, puisque vous l'admettez, que de nombreux changements vont s'opérer et que les responsables précédents ont commis beaucoup de fautes. Force est de reconnaître que la gestion des structures privées à but lucratif, en particulier la vôtre, a davantage visé le profit que le bien-être des résidents. Qu'en sera-t-il des précédents responsables de votre structure ? Que faut-il faire ? Des poursuites seront-elles engagées ? Pensez-vous les engager vous-mêmes ? Estimez-vous normal que le Gouvernement ou d'autres les engagent ? Il faudra bien que l'on trouve une solution. Bien sûr, je ne vous demande pas de me répondre aujourd'hui, c'est un peu trop compliqué.

Vous avez parlé des changements à venir, c'est important. Ce que vous nous dites est capital. Effectivement, l'autonomie des établissements me paraît indispensable. Il est également indispensable de redonner confiance à nos résidents. Nous serons sans doute amenés à proposer des modifications au niveau des établissements à but lucratif, à la fois dans les transferts d'autorisation, mais aussi dans l'application de ce que l'on souhaite pour nos personnes âgées. Peut-être faudra-t-il voir comment les systèmes public, privé, associatif ou privé à but lucratif peuvent fonctionner correctement ensemble sans dérives ou risques de dérives.

Vous évoquez aussi la journée de mai. Je rappelle que notre rapport sera publié fin juin. Notre objectif est de faire des préconisations et d'avancer des propositions, à la fois par rapport à vos structures à but lucratif, mais surtout pour l'ensemble des personnes âgées, notamment dans le cadre de la loi grand âge.

Vous avez prêté serment, j'espère que la sincérité de vos déclarations, notamment en ce qui concerne les changements, est réelle. En tout état de cause, nous condamnons fermement la façon dont ont été gérés précédemment certains établissements.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Nous avons pris bonne note de votre communication très bien préparée et léchée pour redorer l'image d'Orpea. Nous serons néanmoins très attentifs, car ce sont les actions que vous allez mener qui seront déterminantes. Comme l'a souligné Bernard Bonne, c'est le modèle des Ehpad qu'il convient de questionner. Nous aurons des propositions en ce sens.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Avant de terminer cette audition, je vous rappelle que nous attendons la communication de vos réponses écrites au questionnaire dans les meilleurs délais. Vous nous avez proposé également de nous transmettre les réponses aux interrogations des corps d'inspection. Nous souhaitons aussi que vous nous communiquiez à la fois l'ordre de mission et les résultats fournis par ces cabinets de réputation internationale qui font l'actualité.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mission d'information sur le contrôle des Ehpad - Audition de Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian, et de M. Nicolas Mérigot, directeur général France de Korian

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons à présent Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian, premier acteur français du secteur des Ehpad, ainsi que M. Nicolas Mérigot, directeur général France de Korian.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je salue ceux de nos collègues qui participent à cette réunion à distance.

Notre commission a mis en place cette mission d'information dotée des prérogatives de commission d'enquête à la suite de la parution de l'enquête journalistique Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés le 26 janvier dernier.

Cet ouvrage pointe, notamment, l'inadéquation de la forme actuelle des contrôles opérés non pas sur les groupes, mais sur les établissements et la grande difficulté des autorités à s'assurer du bon emploi de l'argent public.

C'est pourquoi notre commission a choisi de s'intéresser à la question du contrôle. Comme je l'ai rappelé en préambule de l'audition précédente, nous sommes ici pour comprendre et pour formuler des préconisations de politique publique.

Par ailleurs, il ne s'agit pas pour nous de jeter l'opprobre sur tout un secteur dont nous connaissons très bien les problématiques : l'état de dépendance accrue des résidents, la difficulté, dans un secteur de main-d'oeuvre qui souffre d'un déficit d'attractivité, à recruter, à former, à fidéliser des personnels et la question, non résolue, du financement.

Nous savons aussi la grande sensibilité du sujet, confirmée par le succès du livre, qui touche un public très large, chacun se sentant concerné pour ses proches ou anticipant la question de sa propre vulnérabilité.

En votre nom à tous, je voudrais redire notre confiance dans l'engagement des professionnels du secteur, comme notre volonté de soutenir les résidents et leurs proches.

Nous savons enfin quelle peut être la vulnérabilité d'une entreprise au risque de réputation. Nous avons voté la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 dans une logique de confiance, de souplesse et de convergence tarifaire. Faut-il aujourd'hui réexaminer cet état d'esprit ? Nous espérons que les auditions d'aujourd'hui permettront notamment d'apporter une réponse à cette question.

Je demanderai à chacun d'être concis dans les questions et les réponses.

Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Sophie Boissard et M. Nicolas Mérigot prêtent serment.

Mme Sophie Boissard, directrice générale de Korian. - Je vous remercie de nous donner l'occasion aujourd'hui, avec Nicolas Mérigot, directeur général de Korian France, de nous exprimer devant votre commission.

Nous connaissons le travail approfondi que vous menez de longue date au sein de cette commission, notamment sur les sujets liés aux politiques publiques de l'autonomie et de la dépendance. Il me semble essentiel aujourd'hui pour un acteur comme Korian, qui est l'une des entreprises actives dans ce secteur en France, mais aussi dans six autres pays européens, de pouvoir échanger avec vous lucidement, en responsabilité et, je l'espère, dans un contexte un peu plus apaisé que celui d'il y a quelques semaines.

Cette audition nous donnera l'occasion de revenir sur la situation dans les maisons de retraite de notre réseau et, au-delà, sur la conception que nous nous faisons, en tant qu'entreprise responsable, de notre rôle au côté des personnes âgées et des aidants. Il importe que nous étudiions ce qui fonctionne et ce qu'il convient d'améliorer incontestablement.

Deux mois après la sortie du livre Les Fossoyeurs, l'émotion reste encore légitimement très vive. Elle est très vive pour toutes les personnes qui ont été directement concernées par les révélations du livre sur Orpea, bien sûr, mais elle est très vive, plus largement, pour toute l'opinion publique. Vous l'avez souligné, madame la présidente, le sujet de la vieillesse et de la fin de vie touche intimement chacun d'entre nous, à la fois comme parent, comme aidant et aussi, évidemment, à titre personnel, pour soi-même.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire publiquement à plusieurs reprises, j'ai personnellement été très choquée par les faits et par le système très cynique décrit dans l'ouvrage de Victor Castanet. Je considère - c'est la raison pour laquelle que je suis là aujourd'hui - qu'être un acteur privé actif dans le secteur du soin et de l'accompagnement des fragilités suppose une éthique, une culture d'entreprise, des valeurs, mais aussi des garde-fous internes à la hauteur des responsabilités exercées, et ce à tous les niveaux de l'entreprise : dans les établissements, mais aussi dans l'état-major et à tous les niveaux qui soutiennent le fonctionnement des établissements au quotidien. C'est à tout le moins ce que je m'efforce de faire prévaloir et de mettre en oeuvre chez Korian depuis 2016.

Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de vous dire que tout est parfait. Je vous dis juste quel est vraiment et très profondément mon état d'esprit, mais aussi celui de toutes celles et de tous ceux qui travaillent avec moi chez Korian.

Pourtant, au-delà du cas de l'entreprise mise en cause dans ce livre, le débat né des révélations suscite aujourd'hui un choc de défiance globale, comme vous l'avez très largement abordé, madame la présidente. Depuis plusieurs semaines, le fonctionnement des maisons de retraite, notamment des maisons de retraite privées, est devenu la cible de critiques parfois virulentes, au point que certains appellent aujourd'hui à leur suppression pure et simple.

Sur le terrain, je mesure combien ces critiques sapent la confiance aussi bien du côté des familles et des résidents que du côté des personnels, notamment des soignants. Je vous avoue que cette situation m'inquiète. Je passe beaucoup de temps sur le terrain, je circule énormément, j'écoute les résidents et les collaborateurs : ces dernières semaines, ce qu'ils me disent, c'est leur découragement et leur désarroi de se sentir directement ou à travers l'entreprise à laquelle ils appartiennent - en l'occurrence Korian - stigmatisés et mis en cause parce qu'ils travaillent dans une entreprise privée.

La semaine dernière, j'étais à Toulouse où j'ai entendu des infirmières et des médecins travaillant chez nous depuis longtemps et donc expérimentés dire, alors qu'ils n'avaient jamais pensé à baisser les bras au cours des deux années de pandémie extrêmement éprouvantes que nous avons traversé, qu'ils avaient le sentiment d'être face à la crise de trop. Ils m'ont exprimé leur envie de raccrocher et de quitte le secteur. Je crains cet effet de découragement et de désengagement irréversible, même parmi les plus fidèles et les plus expérimentés, alors qu'on a tant besoin d'eux pour accompagner nos aînés, mais aussi pour transmettre leur savoir et mettre le pied à l'étrier des jeunes soignants qui s'engagent dans la carrière, et dont nous avons un besoin impératif.

Je voudrais partager avec vous un message qui me tient à coeur. Si nous voulons faire progresser le grand âge et réformer ce qui doit l'être impérativement, il faut le faire non contre, mais avec les soignants et avec les institutions, publiques et privées, aujourd'hui investies dans le secteur.

Par ailleurs, les critiques qui se sont exprimées aujourd'hui ont le grand mérite de remettre la question du grand âge au coeur du débat public. Ce sujet a souvent été oublié alors même que nous savons que notre pays sera confronté, comme tous les pays européens, à ce défi démographique sans précédent. D'ici à 2030, le nombre de personnes âgées de plus de soixante-quinze ans augmentera de 40 % dans notre pays. C'est dès maintenant que, tous ensemble, nous devons nous organiser pour que chacun puisse être accompagné et entouré comme il ou elle le souhaite, pour que les aidants, qui sont en première ligne et qui sont souvent bien seuls, soient soutenus. C'est maintenant surtout - j'insiste - qu'il importe de planifier le nombre de soignants supplémentaires à former et c'est maintenant qu'il faut promouvoir la lutte contre l'isolement ainsi que les permanences des soins dans les territoires.

Nous avons commencé chez Korian, à notre échelle, modestement, à être actifs sur ces sujets, notamment en ce qui concerne la formation et l'accompagnement à domicile - j'y reviendrai dans le courant des échanges -, mais nous sommes évidemment prêts à y travailler beaucoup plus activement avec les pouvoirs publics.

Avant de répondre à vos questions, il est utile que je vous présente ce qu'est Korian, dont j'ai la responsabilité depuis six ans.

Korian, c'est d'abord une communauté humaine. C'est 56 000 femmes et hommes, dont 26 000 en France, qui ont choisi de se mettre au service des personnes âgées ou fragiles et des aidants, et qui font du respect de la dignité et du libre choix de chacun une valeur cardinale.

Nous sommes aussi, on l'oublie parfois, avant tout une communauté de soignants. Je n'en suis pas une, je le dis, modestement. Quoi qu'il en soit, 70 % des personnes qui travaillent pour Korian sont des professionnels de santé, paramédicaux ou médecins. Parmi les douze membres du comité de direction générale qui m'entourent, il y a quatre médecins de quatre nationalités différentes - un Français, un Allemand, un Belge, une Italienne -, qui ont tous une longue expérience clinique dans la gériatrie ou dans les spécialités qui y concourent.

Vous me croirez si vous le voulez, mais aucun des collaborateurs dans le groupe, quel que soit son rôle, quel que soit son parcours, n'est là par hasard. Plus important encore, aucun d'entre nous n'est là pour « faire du fric », pardonnez-moi la vulgarité de l'expression. Si tel était le cas, nous serions ailleurs.

Au-delà des maisons de retraite, qui est l'activité dans laquelle le groupe s'est historiquement développé, nous nous sommes efforcés ces dernières années de nous investir aussi dans la prévention des fragilités, dans le maintien à domicile, sous toutes ses formes. Certains d'entre vous connaissent peut-être le réseau des colocations Âges & Vie dans les territoires ou le réseau national d'aide à domicile Petits-fils ? Sans parler des cliniques et établissements de santé spécialisés, qui sont de plus en plus présents en matière de suivi ambulatoire des patients chroniques. Aujourd'hui en France, 80 % des personnes - patients, résidents, personnes fragiles - qui sont en contact avec l'une de nos structures le sont, en réalité, à travers l'un de ces réseaux d'aides de maintien ou de retour à domicile.

Notre dernier trait caractéristique est notre investissement dans la formation, l'alternance et l'insertion professionnelle. J'en ai fait l'un des objectifs principaux du groupe puisque nous avons pris l'engagement ferme de parvenir à 10 % de collaborateurs engagés dans une formation diplômante. Cela va du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) au diplôme universitaire d'approfondissement pour les médecins. Nous avons pris ces engagements en 2019 où ce taux s'élevait à 4 %. L'année dernière, j'ai eu la joie de constater que nous avions déjà atteint notre objectif de 10 %, notamment en France. Nous avons énormément mis l'accent sur l'alternance et les formations d'approfondissement. Nous avons désormais nos propres écoles, nos propres centres de formation en alternance et nous avons noué des partenariats avec des universités, en particulier de médecine, dans chaque pays.

Nous faisons aussi du dialogue, notamment, social une priorité. L'une des caractéristiques de Korian en France est que 7 % des collaborateurs ont un mandat, ce qui est énorme. Il s'agit de représentants de proximité et des comités sociaux et économiques (CSE) pour les structures régionales. C'est un comité central et c'est aussi un comité européen, avec les quatre principales organisations syndicales, très actives dans le groupe.

Nous dialoguons également avec les familles et les élus locaux à travers les conseils de la vie sociale (CVS), on y reviendra dans la discussion, mais aussi à travers un conseil des parties prenantes, en France, aux Pays-Bas et en Belgique. L'objectif est qu'il y en ait dans chaque pays. On y retrouve à la fois des représentants des associations de familles, des organisations syndicales, des principales organisations de médecins et d'infirmiers ainsi qu'un certain nombre de personnalités qualifiées. C'est Françoise Weber, ancienne directrice générale de Santé publique France, qui préside depuis maintenant trois ans ce conseil des parties prenantes. Elle nous a aussi beaucoup accompagnés pendant le Covid pour trouver le bon réglage entre fermeture et protection des maisons, maintien des contacts avec les familles et organisation des visites.

Dernier trait caractéristique, l'ancrage territorial est au coeur de notre projet. Nous sommes un groupe local, décentralisé, présents dans 700 bassins de vie, à travers 1 000 établissements et réseaux de soins. Par ailleurs, 50 % nos implantations sont situées en milieu rural. C'est là que nous nous développons aujourd'hui le plus vite. À l'heure actuelle, nous ouvrons une collocation Âges & Vie par semaine et l'on constate que ces structures résidentielles de proximité correspondent à un besoin énorme dans les territoires.

Cet ADN de la proximité et de l'investissement durable dans les territoires, nous le devons à notre premier actionnaire, qui est Crédit Agricole assurances. Crédit Agricole assurances soutient le développement de Korian depuis l'origine. Avec Malakoff Humanis, il détient aujourd'hui un tiers de notre capital. Nous le devons aussi à notre collaboration avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et la Banque des territoires, qui sont nos partenaires avec le Crédit Agricole pour développer Âges & Vie, et qui sont aussi des actionnaires significatifs.

Parmi les acteurs privés du grand âge, nous sommes aujourd'hui les seuls à compter de tels acteurs institutionnels et de long terme à nos côtés. Cela fait la différence par rapport à un certain nombre de fonds d'investissement, qui ont des visions beaucoup plus financières et de court terme.

La mention de ces principaux actionnaires m'amène enfin à dire quelques mots sur le modèle d'activité, qui fait partie des questions que vous vous posez, et des profits.

En tant qu'entreprise, nous nous devons évidemment par nature d'avoir une activité profitable : c'est la seule manière d'assurer la pérennité de nos missions, pour les patients et les résidents au premier chef, et de garantir à nos collaborateurs des conditions d'exercice de qualité.

Compte tenu de la nature même de notre mission, qui participe du bien commun, j'en suis pleinement consciente, les profits que nous réalisons sont un moyen au service d'une prise en charge de qualité. Ils ne sont en aucun cas - j'insiste - une fin en soi. Plus encore, nos profits se doivent d'être raisonnables.

Il y a, sur ce point, un complet alignement avec nos principaux actionnaires et avec nos parties prenantes. C'est ce qui nous a conduits, d'ailleurs, après un cheminement qui a pris plusieurs années, à opter pour le statut d'entreprise à mission, qui nous permettra d'ancrer ces facteurs-là dans nos statuts afin d'en faire des éléments opposables et contraignants. Nous allons préparer ce statut d'entreprise à mission avec l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise et des parties prenantes externes pour le soumettre à l'assemblée générale des actionnaires en 2023.

Ce sont les profits que nous réalisons qui nous permettent aujourd'hui d'investir dans nos établissements, dans nos structures d'accueil, et d'améliorer l'accompagnement ainsi que la prise en charge que nous pouvons offrir. Je citerai quelques chiffres précis pour appuyer mon propos. En France, nous avons généré en 2020 un peu plus de 1,8 milliard d'euros de revenus. Sur cette somme, presque 60 %, soit 1,1 milliard, ont été consacrés aux salaires et aux charges des collaborateurs. Près de 500 millions ont été dépensés en achats externes et en loyer. Le résultat net de 74 millions a représenté 4 % du chiffre d'affaires français.

Dans le même temps, les actionnaires ont perçu sur la totalité du périmètre du groupe, c'est-à-dire 3,8 milliards d'euros de chiffre d'affaires - donc pas seulement sur la France, qui est aujourd'hui une partie un peu minoritaire -, 30 millions de dividendes, soit moins de 1 % du chiffre d'affaires total du groupe. Sur ces 30 millions, ils en ont réinvesti 15 millions dans l'entreprise, soit la moitié.

Au cours de ce même exercice 2020, nous avons pu investir 400 millions dans le seul réseau français. Nous avons engagé depuis 2017 un plan de rénovation très vaste sur le parc médico-social, qui sera terminé d'ici à 2025, soit plus de 1 milliard d'euros dans les 270 établissements médico-sociaux du groupe. Il s'agit de les adapter aux situations de grande dépendance, notamment cognitives, madame la présidente, de revoir complètement la configuration des bâtiments et de prévoir des espaces de vie aux étages. Je n'oublie pas non plus les grandes salles à manger du rez-de-chaussée qui ne fonctionnent pas du tout et les investissements en termes de domotique pour détecter les chutes. Repenser ces établissements est un gros travail, c'est long, les établissements sont évidemment exploités et l'investissement est considérable. Nos actionnaires soutiennent financièrement et politiquement, année après année, le déploiement de ce programme. C'est pour moi essentiel.

Nous pouvons le faire sans nous endetter de manière déraisonnable et - j'insiste - sans recourir à des ventes à la découpe. Nous n'avons pas recours chez Korian - cela se pratiquait avant mon arrivée - aux fameuses locations meublées professionnelles (LMP). Nous recevons tous, en tant qu'épargnants, de telles publicités qui offrent des rendements invraisemblables. Je considère aujourd'hui que ce n'est pas le bon dispositif pour investir durablement. Nous ne voulons pas risquer de nous retrouver dans des situations de propriétés morcelées, avec des loyers exorbitants, ce qui pourrait nous mettre dans l'incapacité totale d'assurer durablement l'activité.

Dernier point de ce propos liminaire, je voudrais insister sur un élément qui me paraît essentiel : nous ne réalisons aucune marge sur les dotations publiques perçues au titre du soin et de la dépendance allouées à nos maisons de retraite en France.

Sur chacun des quatre exercices de la période 2017-2020, soit après l'entrée en vigueur de la loi ASV, les dépenses réalisées à ce titre ont été chez Korian supérieures aux financements alloués. Cela se traduit dans l'évolution comparée des dotations soin, d'une part, qui ont progressé d'un peu plus de 12 % sur ces quatre exercices sous l'effet de la convergence tarifaire, c'est-à-dire de l'effort consenti par la représentation nationale pour le grand âge, et de la masse salariale sur cette section, d'autre part, qui a progressé dans le même temps de 16 %, ce qui traduit l'augmentation du taux d'encadrement moyen qui est d'un peu moins de 0,7 % aujourd'hui, la progression des salaires et le renforcement du temps des médecins, le recrutement d'infirmiers référent, de psychologues ou d'ergothérapeutes. Bref, le renforcement du soutien médical et paramédical de proximité.

J'ai bien conscience que cette question du bon usage de l'argent public est essentielle dans le rétablissement du climat de confiance. De ce point de vue, les mesures de transparence, de clarification et de contrôle renforcé qui ont été annoncées par le Gouvernement il y a quelques jours sont les bienvenues. Elles permettront, je l'espère, de lever les doutes pour l'avenir. C'est indispensable. Bien entendu, nous y contribuerons pleinement, c'est d'ailleurs notre devoir.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Notre mission a pour volonté de contrôler les contrôles afin d'étudier ce qui a failli dans le système. Comment corriger le tir ? Quelles propositions ou préconisations permettront-elles demain d'éviter de telles dérives ?

L'intérêt du livre de Victor Castanet est d'abord d'avoir dévoilé les pratiques des groupes privés à but lucratif. Je dis bien « les » groupes privés à but lucratif. Cela signifie qu'il n'y a pas qu'Orpea. Tous les groupes privés à but lucratif, y compris Korian, sont concernés. Ce n'est pas à nous d'en juger aujourd'hui, mais il va falloir revoir un peu toutes ces pratiques. L'aspect lucratif de ces entreprises nécessite des précisions. Au niveau législatif ou autre, il faudra certainement revoir le système pour l'améliorer.

Vous admettez vous-même, comme les représentants d'Orpea tout à l'heure, que des modifications sont à apporter et qu'il y a eu des erreurs dans le passé. Vous voulez trouver des solutions, c'est ce que vous nous avez dit. Depuis que vous avez été nommée, vous avez apporté des modifications. Cela signifie que le système n'était pas tout à fait au point et qu'il fallait contrôler un peu mieux ce qui se faisait dans ces établissements.

Autre gros avantage pour nous du livre, c'est qu'il a mis l'accent sur les difficultés des établissements qui reçoivent des personnes âgées en général. On sait pertinemment qu'il y a un manque de moyens, on sait pertinemment que la loi grand âge devrait arriver avec des moyens supplémentaires que tout le monde attend. C'est un point qui nous paraît extrêmement important. J'espère que les propositions que nous ferons d'ici au mois juin, donc en dehors de tout contexte politique, permettront au nouveau Gouvernement de prendre des mesures réelles pour accélérer un peu la mise en place de la loi grand âge, ainsi que les moyens qui vont avec. Toujours est-il que ces établissements à but lucratif ont nécessité des enquêtes de la part de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF).

Nous n'auditionnerons pas toutes les structures privées à but lucratif, mais un grand nombre d'entre elles seront entendues, soit en commission plénière, soit en commission rapporteur. Toutes s'exprimeront sous serment. Si besoin, nous les reconvoquerons.

Des difficultés ont été constatées. Les rétrocessions de fin d'année (RFA) ont été largement évoquées ; nous attendons des clarifications à ce sujet. M. Mérigot nous avait indiqué que les RFA n'existaient pas. Madame la directrice générale, vous avez soutenu que celles-ci avaient été supprimées à votre arrivée. Si le livre de M. Castanet comporte des inexactitudes, il vous revient de nous le dire !

Comment les prestations effectuées par les sociétés sont-elles effectuées ? Les résidents en bénéficient-ils réellement ? Je rappelle que celles-ci sont financées par de l'argent public.

Vous répondrez aux différentes questions que nous vous avons adressées par écrit, puis nous aimerions connaître le fonctionnement interne du groupe Korian. Quel est le nombre de vos directeurs régionaux ? Quel est leur rôle par rapport aux directeurs locaux ? Ces derniers disposent-ils d'une certaine autonomie ? Dans quelle mesure le groupe influence-t-il les achats effectués auprès des sociétés ?

J'en viens au prix de journée. Dans une émission, vous avez déclaré que le prix de revient des repas journaliers s'élevait à 4,35 euros, ce qui est insuffisant pour nourrir une personne correctement - d'autant que bien manger représente l'un des plaisirs des personnes âgées. Or vous pratiquez des prix de journée relativement importants. Comment expliquez-vous cette situation ?

Entre 2005 et aujourd'hui, combien de lits ont-ils été créés ou rachetés par Korian, via des transferts d'autorisation ? Je souhaiterais disposer d'un chiffre exact, car nous souhaiterions faire des propositions afin d'encadrer ces pratiques des établissements privés à but lucratif.

Mme Sophie Boissard. - Depuis mon arrivée en 2016, je n'ai pas eu connaissance de pratiques de marges arrière ou de remises de fin d'année. À l'époque, l'ARS Île-de-France n'avait pas rejeté le compte de régulation - la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement n'avait pas encore été votée - et n'avait pris aucune mesure à l'encontre de notre groupe. Je n'ai pas retrouvé de traces plus précises de cette procédure.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Lors d'une audition qui s'est tenue à l'Assemblée nationale le 9 mars dernier, M. Yves Le Masne, alors directeur général d'Orpea, déclarait : « La marge du résultat d'exploitation avant loyers - la plus proche du résident - était en 2018 de 26,2 % pour Korian et de 26,7 % pour nous, la légère différence s'expliquant notamment par le fait que nous avons des établissements en Suisse. En 2019, elle était à nouveau de 26,2 % pour Korian, contre 26,3 % pour nous, soit moins de 0,1 point d'écart - je ne fais pas là de publicité pour Korian... ». Madame la directrice générale, cette marge existe donc bien.

Mme Sophie Boissard. - Monsieur Le Masne compare les marges des groupes, c'est-à-dire les activités réalisées à l'échelle européenne. Or les rapports annuels des deux groupes nous indiquent que Korian a réalisé une marge opérationnelle avant loyers de 24,8 % en 2020, contre 26,8 % pour Orpea, sur le périmètre France-Benelux, le Benelux représentant une petite activité. J'ai donc constaté un écart de deux points, considérable pour une activité comme la nôtre. Ce même écart se retrouve en 2017, 2018 et 2019. Je récuse donc l'analyse de M. Le Masne, selon laquelle, en France, la rentabilité de Korian serait équivalente à celle d'Orpea, qui a réalisé durablement une marge significative.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Pouvez-vous affirmer aujourd'hui que vous ne pratiquez pas de rétrocessions ou des prestations de service ?

Mme Sophie Boissard. - J'affirme que les achats font systématiquement l'objet d'appels d'offres sur le fondement de cahiers des charges très détaillés recensant des caractéristiques précises pour chaque type de produit. Plusieurs sociétés sont ensuite mises en concurrence. Nous établissons une liste de prix avec les entreprises retenues. Nous veillons à ce que ceux-ci soient inférieurs aux prix pour les achats en détail : en 2019 et 2020, l'écart moyen constaté s'élève à 20 %. Nos établissements ont accès à cette liste et peuvent passer commande directement auprès des fournisseurs référencés. La direction du siège n'intervient pas dans ce processus. Les établissements choisissent d'utiliser ce portail ou de commander directement auprès d'un distributeur local.

Le volume de livraison de certains de nos fournisseurs est très important. Dès lors, le siège de Korian internalise le suivi de certaines opérations, telles que la facturation. Nous réalisons une prestation de service pour ces gros fournisseurs, qui, en échange, nous rémunèrent. Ces contrats, sur lesquels nous payons la TVA, sont déclarés et ne sont pas clandestins.

Sachez par ailleurs que 55 collaborateurs du siège de Korian accomplissent un certain nombre de prestations de soins au profit des établissements. Ces prestations ne sont pas refacturées ou prises en compte dans les dotations relatives aux soins.

Deux mondes coexistent. Premièrement, les établissements disposent de leur dotation et de leur personnel propre et peuvent acheter des produits de qualité à des prix préférentiels. Deuxièmement, les fonctions du siège ne bénéficient de dotations d'aucune sorte et ne font pas l'objet d'un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM). Elles interviennent en soutien des établissements.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Ce matériel est payé avec de l'argent public. Est-ce à dire que lorsque vous payez le matériel 80 euros au lieu de 100 euros, Korian récupère les 20 euros restants ?

M. Nicolas Mérigot. - Non. Les tarifs facturés aux établissements et les charges transmises aux agences régionales de santé (ARS), dans les états réalisés des recettes et des dépenses (ERRD), correspondent aux tarifs négociés, c'est-à-dire les tarifs obtenus après la remise de 20 %. La collectivité profite donc de notre capacité de négociation, puisque la remise consentie par les fournisseurs bénéficie aux établissements, en plus des subventions publiques dont ceux-ci disposent.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - C'est donc l'inverse de ce que pratique Orpea ?

M. Nicolas Mérigot. - Je ne connais pas les pratiques d'Orpea.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Je suis sûr que vous les connaissez bien.

M. Nicolas Mérigot. - Je connais les pratiques de mon groupe. Je vous le répète : les établissements ont majoritairement recours à la centrale de référencement, qui propose des tarifs plus intéressants que les prix publics. Les fournisseurs facturent directement chaque établissement afin d'assurer la traçabilité des consommations dans les ERRD.

M. Bernard Bonne. - Quel degré d'autonomie Korian accorde-t-il aux directeurs d'établissements par rapport aux directeurs régionaux ? Les directeurs locaux sont-ils suffisamment autonomes ?

M. Nicolas Mérigot. - Le directeur d'établissement est autonome : il établit le projet d'établissement et il prépare le budget, qui fait ensuite l'objet d'échanges avec le siège afin de le consolider. Il est libre de passer commande auprès de la centrale de référencement ou de tout autre fournisseur de son choix. Il valide les recrutements et il dispose d'une grande latitude lorsqu'il doit remplacer des absents : je n'adresse aucune instruction visant à limiter les remplacements.

Cela dit, il existe un partage de compétences entre l'établissement et le siège, qui apporte son expertise et assure le contrôle de la qualité du service rendu. Le directeur d'établissement doit respecter les manuels opératoires et les bonnes pratiques définis par le siège.

M. Bernard Bonne. - Les normes que vous évoquez sont-elles édictées par les autorités de tutelle ou par les directions régionales de Korian ?

M. Nicolas Mérigot. - Ce sont les directions régionales qui s'en chargent dans le cadre du CPOM et qui assurent la régulation des financements complémentaires.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Madame la directrice générale, avez-vous eu accès au rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale des finances (IGF) ?

Mme Sophie Boissard. - Non.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Vous insistez sur le fait que votre groupe est fortement décentralisé, contrairement au groupe Orpea.

Mme Sophie Boissard. - Le livre de M. Castanet insiste longuement sur ce point. Korian se caractérise par une organisation décentralisée, à tel point que cela engendre parfois trop de procédures hétérogènes : nous devons veiller à établir des règles identiques pour l'ensemble de nos établissements.

Mme Michelle Meunier. - Pouvez-vous nous donner les chiffres des personnes recrutées en CDD et en CDI ? Quel est le niveau du turnover et de l'absentéisme des personnels, notamment au niveau de la direction ?

M. Nicolas Mérigot. - Le taux de recours aux CDD est stable : il s'élève à 19 % en 2021, contre 18,69 % en 2020. Nous souhaitons que ce taux diminue. En 2019, nous avons proposé de transformer 900 postes de CDD d'aides-soignantes en CDI ; finalement, seules 400 personnes ont accepté. Le CDI ne représente pas nécessairement le Graal d'une carrière. Certaines personnes préfèrent conserver plusieurs employeurs afin de disposer d'un niveau de vie plus élevé.

Le recours aux CDD s'explique également par le taux d'absentéisme, qui s'élève à environ 12 %. Celui-ci a fortement augmenté durant la pandémie de covid-19.

Mme Sophie Boissard. - Lorsque nous avions engagé cette démarche de transformation de CDD en CDI, nous espérions que chaque établissement puisse disposer de deux équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, afin de simplifier le travail des directeurs en diminuant le recours aux remplacements pour pallier les absences imprévues. Or nous avons constaté que les personnes en CDD disposaient déjà d'un CDI dans d'autres structures : c'est aujourd'hui une réalité dans l'univers des soins. Il convient de doubler le nombre de personnels médicaux et paramédicaux pour faire face aux besoins, sinon nous devrons affronter des situations terribles.

Nous avons également constaté que les personnels étaient attachés à conserver un poste permanent et souhaitaient éviter de changer de service régulièrement.

Dans l'idéal, le taux de personnes en CDI devrait s'élever à 90 %.

La validation des acquis de l'expérience (VAE) pour les aides-soignants a été multipliée par trois depuis 2018, avec des taux de succès de 70 %, contre 30 % en moyenne. Malheureusement, les capacités des jurys sont insuffisantes : en 2022, seules 60 personnes pourront se présenter à l'examen dans la région Île-de-France. À lui seul, notre groupe présentera 20 candidats.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Cette difficulté sera abordée dans la loi consacrée au grand âge, que nous attendons tous avec impatience.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Vous avez insisté à juste titre sur les difficultés de recrutement. Toutefois, je conserve le souvenir de l'émission Cash investigation durant laquelle une journaliste, qui ne dispose d'aucune formation, est recrutée au pied levé pour assurer un remplacement. Or c'est le manque de personnel et l'absence de formation qui entraînent les situations de maltraitance des personnes âgées. Quels sont les garde-fous prévus par votre groupe à cet égard ?

Mme Sophie Boissard. - Je suis moi-même intervenue dans cette émission. La journaliste en question, Marie Maurice, a déposé sa candidature dans un établissement en très grande difficulté : sa directrice était décédée d'un cancer quelques semaines auparavant et plusieurs membres du personnel souffraient du covid-19. Dans son CV, vraisemblablement faux, Mme Maurice avait indiqué disposer d'une expérience de trois ans auprès des personnes âgées dépendantes. Cette pratique est indigne. Elle a été recrutée non pas en tant qu'aide-soignante, mais en tant qu'auxiliaire de vie. Je reconnais toutefois un dysfonctionnement au niveau de la traçabilité du médicament au sein de l'établissement. Des sanctions ont ensuite été prises. Je souscris à votre analyse : les pratiques alors constatées ne sont pas acceptables.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Elles sont même dangereuses.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - On ne peut pas se contenter du seul CV lors de l'examen d'une candidature. Une personne peut très bien se présenter avec un faux diplôme d'infirmière par exemple.

M. Nicolas Mérigot. - Nous vérifions systématiquement les diplômes pour tous les emplois réglementés. En l'occurrence, Mme Maurice évoquait dans son CV non pas un diplôme, mais une expérience. Je reconnais que nous aurions dû vérifier ses références.

Fréquemment, nous mettons un terme à des périodes d'essai lorsque des personnes récemment recrutées sont incapables de produire un diplôme dont elles prétendaient être titulaires. Nous avons parfois été contraints de licencier des personnels qui nous avaient fourni de faux diplômes ou qui avaient fait l'objet d'une interdiction d'exercer.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Dans ce documentaire, il est aussi question de directives des ressources humaines pour ne pas remplacer certaines personnes pendant leur absence - congé, maladie, etc. Qu'en est-il ? Comment mener les contrôles pour éviter ce risque de dérives et d'écart entre les personnels annoncés et ceux effectivement présents ?

M. Nicolas Mérigot. - Pour mesurer les effectifs, il faut s'appuyer sur l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD), l'état réalisé des recettes et des dépenses (ERRD) et l'annexe sur les personnels. Régulièrement les services des conseils départementaux ou les ARS réalisent des tests ou nous demandent de fournir les contrats de travail. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes d'Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) ont d'ailleurs réalisé des contrôles à ce sujet, nous demandant à plusieurs reprises de justifier les effectifs figurant dans les EPRD et ERRD. La Cour n'a émis aucune remarque à ce sujet.

Il n'existe pas de directive visant à ne pas remplacer les personnes absentes. Il est possible dans la matrice budgétaire de déterminer des taux de remplacement des personnes. Il y a deux manières de les utiliser : la mauvaise vise à les employer comme des variables d'ajustement budgétaire ; la bonne consiste à les utiliser pour anticiper les absences inopinées qu'il sera difficile de remplacer. On sait en effet qu'à certaines périodes il est impossible de remplacer les absents à 100 % : on a ainsi enregistré de nombreux arrêts maladie entre Noël et le jour de l'an à cause de la vague omicron ; il est aussi difficile de trouver des remplaçants au mois d'août. Il est donc raisonnable d'anticiper ces difficultés et de prévoir une répartition des tâches adaptée au cours de l'année pour ne pas surcharger certaines périodes.

Mme Sophie Boissard. - J'indique aussi que les dotations soins et dépendance, essentiellement destinées à couvrir la masse salariale des soignants, sont totalement consommées.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Avez-vous procédé à des rachats d'autres établissements ces dernières années pour augmenter votre nombre de lits ?

M. Nicolas Mérigot. - Nous vous transmettrons la liste exacte des structures qui ont été rachetées. De mémoire, on n'a racheté aucun établissement associatif ou issu du secteur public depuis 2017.

M. Bernard Bonne. - J'aimerais savoir ce qu'il en est depuis 2005 pour pouvoir apprécier quelle a été l'évolution entre les secteurs public et privé. Votre groupe semble enregistrer une forte progression du nombre de lits depuis 2005.

M. Nicolas Mérigot. - Depuis la canicule de 2003, des créations de lits ont eu lieu et le privé a investi et a financé les investissements immobiliers nécessaires à ces créations. Nous n'avons pas eu de nouvelles autorisations depuis 2017, si ce n'est des autorisations relatives à des lits complémentaires ou à des autorisations d'accueil de jour en plus de l'accueil permanent. Je vous transmettrai le compte exact des lits par année et par département.

Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Quel est l'écart de prix entre l'établissement le moins cher et le plus cher ?

M. Nicolas Mérigot. - L'établissement le moins cher est à 60 euros par jour, le plus cher est autour de 180 euros par jour, quant au prix moyen par jour, il s'élève à peu près à 86 euros. J'ajoute que 12 % du parc est habilité à l'aide sociale.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Dans ce cas, les départements peuvent réaliser des contrôles plus facilement : sont-ils nombreux ? prévus ou inopinés ? L'habilitation entraîne-t-elle davantage de contrôles ?

M. Nicolas Mérigot. - En 2018, nous avons eu 13 contrôles des ARS ou des départements dans la toute la France, 10 en 2019, 7 en 2020 et 7 en 2021. On n'observe pas une fréquence de contrôles plus élevée en cas d'habilitation à l'aide sociale. Ces contrôles sont de qualité. Ils peuvent s'accompagner de recommandations ou d'injonctions.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Les contrôles sont-ils prévus ou inopinés ?

M. Nicolas Mérigot. - Il est très rare d'avoir un contrôle inopiné le jour même ; les contrôles sont annoncés quelques jours à l'avance pour s'assurer que les responsables de l'établissement seront là.

Nous regrettons que ces contrôles ne donnent pas lieu à des rapports de clôture. Entre 2018 et 2021, nous n'avons reçu qu'un seul rapport de clôture, alors que nous avons répondu à toutes les remarques faites.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Il faut revoir le système. J'ai en tête un rapport de 2018, qui ne concerne pas votre établissement, dont les préconisations n'ont toujours pas été réalisées.

M. Nicolas Mérigot. - Outre les contrôles externes des ARS et des conseils départementaux, nous avons mis en place des contrôles internes, des audits à 360 degrés, menés par des auditeurs internes venant du siège et qui sont séparés des directions opérationnelles. Nous avons comme objectif de réaliser un audit complet des établissements tous les deux ans ; quand des établissements sont classés C ou D dans notre grille, qui va de A à D, nous organisons des visites de contrôle interne tous les six mois et la direction de la qualité aide l'établissement à construire son plan d'amélioration de la qualité.

Un autre élément de contrôle réside dans les autoévaluations sur les médicaments ou l'hygiène par exemple. Enfin, nous nous sommes engagés depuis 2019 dans le processus de certification selon la norme ISO 9001 ; 41 Ehapd ont été certifiés en 2021, et nous prévoyons d'obtenir la certification de tous nos établissements en France par l'Afnor d'ici trois ans. Nous sommes très satisfaits de ce système de certification fondé sur une norme opposable, comme cela existe dans le domaine sanitaire défini avec le référentiel défini par la Haute Autorité de santé. Nous poussons le Syndicat national des établissements et résidences privés et services d'aide à domicile pour personnes âgées (Synerpa) à devancer l'appel du Gouvernement. Nous pourrions parvenir à un système fondé sur des contrôles externes régaliens en cas de dénonciation ou de risque important, sur une certification de qualité afin de rassurer les tutelles, les médecins prescripteurs, les patients et les familles sur les performances de chaque établissement, et enfin sur des audits internes menés par les groupes.

Mme Michelle Meunier. - Vous avez l'objectif de certifier l'ensemble de vos établissements en 2023 : cela s'accompagnera-t-il d'embauches d'évaluateurs ?

Mme Sophie Boissard. - Nous devons installer dans chaque établissement médico-social un référent qualité. C'est pour cela que nous embauchons des infirmiers référents et complétons les équipes pour que chaque équipe soignante soit dotée d'un référent qualité. Nous avons aussi déjà une équipe d'audit interne importante ; enfin nous nous appuyons aussi sur organismes de certification spécialisés, comme l'Afnor ou Bureau Veritas, qui nous offrent un regard extérieur.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Dans la mesure où les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) sont définis au niveau des groupes et des régions, ne faut-il pas y voir une source d'opacité pour les contrôles au niveau des établissements ? Le risque est de ne pas déceler des fautes au niveau d'un établissement.

Mme Sophie Boissard. - Définir les CPOM au niveau départemental permet de constituer des réseaux entre les établissements, en mutualisant certaines fonctions d'expertise : à l'échelle d'un département, un établissement peut ainsi se spécialiser dans la prise en charge des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, d'autres dans l'accueil de jour, etc. Cette possibilité de mutualisation, y compris des dotations, me paraît bénéfique.

En revanche, on n'a pas été assez loin pour définir, avec les autorités, ce qui doit être restitué, et avec quel degré de précision, dans les ERRD, ni pour définir les modalités du dialogue de gestion aux niveaux des établissements, départemental, voire régional. Il ne faut évidemment pas masquer ce qui se joue au niveau de chaque établissement, mais il faut conserver la fluidité d'organisation. Les CPOM sont un bon outil, la mutualisation permet de travailler en réseau, ce qui semble indispensable si l'on veut aider les gens à rester à domicile et privilégier la prévention. En revanche, un CPOM ne se réduit pas à un simple document de papier, il doit constituer le socle d'un dialogue de gestion qui doit avoir lieu avec chaque établissement de manière régulière.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Et vous trouvez que ce dialogue de gestion est dynamique en ce moment ?

Mme Sophie Boissard. - Les CPOM datent de 2017 pour notre secteur. À peine ont-ils été signés, en 2018 ou 2019, que la crise sanitaire a éclaté ! Il existe évidemment des marges de progrès, mais l'essentiel désormais est de regarder l'avenir, en exploitant au mieux le potentiel du CPOM. Certaines fonctions - pilotage de la qualité, orientation médicale, formation, recrutement, etc. - relèvent d'un niveau plurirégional ou national. Il serait sans doute pertinent de créer une agence référente pour définir un contrat-cadre. Le problème est que l'on n'a pas tiré toutes les conséquences des règles existantes : ce manque de clarté est pénalisant tant pour les pouvoirs publics que pour nous.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Sur quel budget imputez-vous la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ou la taxe sur les salaires ? En cas de remplacement d'une aide-soignante par une auxiliaire de vie, opérez-vous un glissement du salaire vers le forfait soins ? Enfin, arrive-t-il que le taux d'occupation soit supérieur à 100 % dans certains établissements ?

M. Nicolas Mérigot. - La taxe sur les salaires est imputée sur les sections « soins » et « dépendance » ; la CVAE et la C3S sont imputées sur la section « hébergement ». Cette imputation a fait l'objet de contrôles réguliers par les ARS dans le cadre du dialogue de gestion. Elle a aussi fait partie du contrôle réalisé par la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes d'Occitanie et de PACA.

Quand une personne remplace quelqu'un qui relève du forfait soins, son salaire est imputé sur le forfait soins. Les personnes exerçant des professions réglementées sont imputées par défaut sur le budget des sections « soins » et « dépendance » ; il appartient au directeur d'établissement d'imputer nominativement les remplaçants et d'opérer les reclassements entre les sections « hébergement » et « soins ».

Enfin, nous n'avons pas de suroccupation à plus de 100 % dans nos établissements.

M. Jean-Luc Fichet. - Ma première question portait sur la démarche qualité et la certification. Vous avez répondu, je n'y reviens pas. Je souhaiterais connaître les montants minimal et maximal facturés mensuellement aux usagers, et ce qui explique la différence de tarifs.

M. René-Paul Savary. - Quel a été le taux d'occupation moyen d'occupation dans votre groupe au cours de ces dernières années ? Quel est le coût repas journalier (CRJ) par résident ?

Mme Annie Le Houerou. - Je voulais également vous interroger sur le CRJ. Certaines prestations sont prises en charge au niveau national dans le domaine médical : de quelles natures sont ces fonctions ? Comment les financez-vous et comment les répercutez-vous sur les établissements ?

Quelle est la durée moyenne des CDD dans votre groupe ? Quel est le taux de travail moyen en CDI et en CDD ? Enfin, comment traitez-vous les plaintes ou les réclamations ?

Mme Chantal Deseyne. - La parution du livre dénonçant certaines pratiques chez Orpea vous a-t-il menés à analyser vos pratiques ou à les modifier ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous avez nié la réalité de certaines allégations parues dans la presse : avez-vous engagé des poursuites ?

M. Nicolas Mérigot. - Les prix mensuels facturés aux résidents varient entre 1 800 et 5 400 euros. Il convient toutefois de ne pas oublier le ticket modérateur sur la dépendance, qui correspond à une perte d'autonomie évaluée en GIR 5 et 6, d'un montant de 5 euros par jour environ. Les prestations supplémentaires - coiffure, manucure, etc.  - sont à la charge des résidents.

M. Jean-Luc Fichet. - Comment expliquer cette différence de prix ?

M. Nicolas Mérigot. - La différence s'explique par la qualité de l'hébergement : hébergement en chambre simple ou double ; taille plus ou moins grande de la salle de restaurant ou des salons d'étages ; présence ou non d'un jardin, etc. La différence de prix est directement liée à la différence de qualité des prestations ou d'emplacement des établissements : les établissements les plus chers sont ceux situés à Paris intra-muros, car le foncier est plus cher.

Avant la crise sanitaire, notre taux d'occupation s'élevait à 92 ou 93 % ; le 31 décembre 2021, il s'élevait à 87 %.

Le CRJ est de l'ordre de 5 euros. Ce montant inclut uniquement les coûts d'achat de denrées brutes non transformées. Nous n'achetons pas de plats cuisinés ni de préparations industrielles. Les repas sont préparés sur place par des cuisiniers salariés de Korian. Nous sommes très vigilants sur l'apport nutritionnel quotidien, environ 2 100 calories par jour, sur l'apport en protéines - alors que la norme prévoit un apport de 1,1 gramme de protéines par kilogramme en fonction du poids de la personne, l'apport dans notre groupe s'élève à 1,2 gramme.

M. René-Paul Savary. - Pratiquez-vous un rationnement ?

M. Nicolas Mérigot. - Non. Je cite des grammages, car lorsque les cuisiniers mettent au point des recettes, ils s'expriment en grammes. Les cuisiniers sont libres de leur approvisionnement ; en revanche, nous fixons les menus pour veiller à la qualité nutritionnelle et à la variété. Les cycles de menus sont changés toutes les quatre semaines. Nous sommes aussi très attentifs à ce que la préparation des menus soit adaptée à la situation des personnes. Nous sommes vigilants à ce que les compléments alimentaires reposent sur des prescriptions médicales, dans le cadre de régimes. Ils ne sont en aucun cas une solution de facilité. De même, les mixés et les texturés, destinés à faciliter l'alimentation des personnes ayant des troubles de la déglutition, doivent faire l'objet d'une prescription médicale. Nous travaillons aussi sur des enrobés, des « bouchées gourmande », pour les patients ayant des troubles cognitifs puissent s'alimenter sans avoir à tenir des couverts.

Si la dimension économique est évidemment importante, dans la mesure où nous gérons des quantités importantes, environ 30 millions de repas par an, elle ne se fait pas au détriment de la quantité ni de la qualité : nous avons ainsi renégocié dans notre dernier appel d'offres sur l'alimentation des garanties sur la qualité : la viande est issue en majorité de labels de qualité français, de même que nos poissons sont issus en majorité de la pêche raisonnée ; 30 % de nos fruits et légumes sont consommés à moins de 100 kilomètres de l'endroit où ils ont été produits. Notre but est que les repas restent un plaisir. Les enquêtes de satisfaction montrent qu'il s'agit d'un point à travailler : nous devons réfléchir sur les textures, les couleurs, le goût, les horaires des repas, etc. L'aide aux repas est fondamentale ; en jouant sur les horaires, on peut prévenir la dénutrition, même si elle s'avère irréversible en cas de démence.

Mme Sophie Boissard. - L'important est que les produits sont préparés sur place : nous n'achetons pas de madeleines à l'extérieur par exemple, celles-ci sont préparées l'après-midi pour le goûter. On essaie de faire en sorte que les repas deviennent un élément de partage en commun entre les résidents. Nous travaillons avec Gault et Millau : une cinquantaine d'établissements sont labellisés Gault et Millau. Notre groupe compte 900 chefs cuisiniers et comporte un centre de formation des apprentis (CFA) des Chefs. Nous organisons un concours des recettes, ce qui crée une émulation entre les établissements.

M. Nicolas Mérigot. - Sur le temps de travail, 82,6 % de nos contrats sont des contrats à temps complet. La durée moyenne du CDD est de 11 jours ; la loi nous oblige à rédiger un contrat par mission ; plusieurs contrats peuvent donc s'enchaîner.

Nous sommes très vigilants sur les évènements indésirables graves (EIG). Tout professionnel de santé doit déclarer un EIG dont il a connaissance. La plupart du temps, c'est le directeur d'établissement qui centralise et transmet les informations.

M. Bernard Bonne. - Vous transmettez directement aux ARS ?

M. Nicolas Mérigot. - Oui. Il n'y a aucun filtre. Notre groupe a aussi une plateforme interne de déclaration des EIG. Nous possédons des indicateurs sur le niveau de fréquence et de gravité des incidents. Je porte autant d'attention aux établissements qui déclarent de nombreux problèmes, qu'à ceux qui n'en déclarent aucun. La direction de la qualité aide les établissements concernés à établir un plan d'action correctif. Tout cela est récapitulé dans notre plateforme Pélican, où nous recensons les EIG et les plans d'action. Les EIG sont classés en fonction de leur gravité. Je vérifie chaque mois le taux de clôture des EIG pour m'assurer que les établissements suivent bien leurs plans d'action.

De même, les établissements déclarent les réclamations sur cette même plateforme, selon le même dispositif : déclaration, plan d'action, etc. Les familles peuvent appeler un service dédié, séparé de l'opérationnel pour garantir son indépendance, qui reçoit les réclamations, les suit et les traite. Nous avons créé un comité pour suivre les incidents, toutes les semaines pour la partie Ehapd et tous les quinze jours pour la partie sanitaire.

Nous avons aussi installé cette année un médiateur, qui est un ancien magistrat, pour résoudre les conflits. Cette voie permet de mieux écouter les personnes, d'échanger, de mieux se comprendre : une trentaine de médiations ont eu lieu cette année ; seules deux réclamations se transformeront probablement en contentieux judiciaire.

Mme Sophie Boissard. - Nous avons enregistré environ 600 réclamations l'an dernier : 80 % se règlent dans le dialogue au niveau des établissements ; seuls 20 % d'entre elles nécessitent une remontée au siège.

Le livre Les Fossoyeurs pointe le système d'une entreprise. À sa lecture, j'ai été choquée par certains faits : les entraves - supposées - au dialogue social ; le système managérial, car les objectifs donnés aux directeurs d'établissement semblent tournés exclusivement vers la performance économique ; et enfin la dimension relative à l'éthique des affaires.

Korian a une longue tradition de dialogue social : 7 % des salariés exercent un mandat dans ce cadre. Des instances de dialogue social existent à tous les niveaux, car nous considérons que le dialogue social de proximité participe à la détection et à la résolution des difficultés. Nous formons les représentants du personnel et les directeurs d'établissement au dialogue social pour l'animer et le faire fonctionner.

La culture d'entreprise est importante : nos résidents sont souvent des personnes fragiles ; il faut respecter l'intimité des familles, etc. Notre métier est très délicat sur le plan humain et exige une grande maturité émotionnelle et affective. C'est pourquoi l'existence d'une culture d'entreprise, de valeurs, de lieux de dialogue ou de supervision est cruciale, tant pour garantir la bientraitance que pour l'équilibre moral et mental des salariés.

La crise sanitaire a constitué un choc inédit. Nous avons organisé un retour d'expérience après le premier confinement, pour savoir comment chacun l'avait vécu, et comprendre pourquoi nos personnels étaient restés. On a découvert finalement que chacun avait le sens de sa mission. Ce travail est une vocation. Je me souviens d'une aide-soignante qui m'expliquait qu'elle ne pouvait pas ne pas venir travailler, alors même que les transports en commun étaient perturbés, car elle ne pouvait laisser seuls ses patients.

Nous avons beaucoup travaillé sur nos valeurs : au fond la confiance - celle que les familles nous font, celle qui existe au sein des membres d'une équipe - est fondamentale, de même que le sens des responsabilités et la capacité d'initiative. Nous avons travaillé sur les attitudes et lancé une formation entre pairs : les établissements et les équipes s'auditent mutuellement pour améliorer les pratiques ; c'est ce que nous appelons le projet « le soin à coeur ». On peut multiplier les audits, tout commence par l'attitude humaine au sein des équipes ; l'exemplarité depuis le plus haut niveau est fondamentale.

Peu de CVS sont vraiment actifs malheureusement. Il faut proposer systématiquement aux élus de participer, car nos maisons de retraite s'inscrivent avant tout dans un territoire.

Qu'allons-nous changer ? Je souhaiterais d'abord disposer d'une vision centralisée des audits de qualité ; un comité se réunit déjà tous les mois pour vérifier que le système de gestion de la qualité fonctionne. Nous allons sans doute réunir sous l'autorité de la directrice de l'audit comptable et financier du groupe l'animation de tous les audits, financiers et de qualité, pour développer une communauté d'auditeurs internes. Cette directrice, qui intervient déjà devant le comité d'audit du conseil d'administration, interviendrait aussi devant le comité d'éthique et de qualité.

En ce qui concerne la gouvernance de l'entreprise, le conseil d'administration a décidé que toutes les parties prenantes, notamment les familles, devaient être mieux associées à tous les niveaux. Les salariés sont déjà représentés par le biais des deux représentants des salariés et du secrétaire du comité d'entreprise français. Un conseil des parties prenantes pourrait être le garant du respect de nos engagements en termes de qualité de prise en charge ou de politique sociale. Il pourrait faire intervenir un organisme auditeur tiers. C'est pourquoi nous voulons devenir une entreprise à mission ; cette démarche nous permet de définir aussi quel est notre apport spécifique, ce qui nous distingue, et comment on peut l'évaluer. Nous travaillons avec les associations de patients ou les syndicats dans ce sens ; ces derniers peuvent devenir des tiers de confiance et nous aider à progresser. Nous nous donnons un an pour y parvenir. Nous consulterons largement les patients, les salariés, nos partenaires, etc. Ce n'est pas parce qu'une entreprise est cotée que sa logique est exclusivement financière.

Lorsque j'ai été nommée en 2016, les objectifs des directeurs d'établissement étaient exclusivement financiers. Cela a changé ; nous avons introduit des objectifs de qualité : nous tenons compte de la qualité des soins, des résultats des enquêtes menées auprès des familles par des organismes externes, d'indicateurs sociaux, notamment concernant la santé et la sécurité au travail, car les taux d'absentéisme ou d'accidents du travail sont trop élevés - un accord a d'ailleurs été signé l'année dernière pour les faire reculer, etc. Les objectifs que m'a fixés le conseil d'administration sont pour moitié non financiers. Cette démarche permettra d'ancrer les bonnes pratiques dans notre culture d'entreprise.

Enfin, pour répondre à la question sur l'absence de poursuites en diffamation : il était surtout important pour nous de répondre aux questions de Victor Castanet. M. Mérigot l'a reçu et nous avons répondu à son questionnaire dans une note écrite. Il nous semble que le livre en tient compte. En ce qui concerne l'émission Cash Investigation, j'ai exigé de m'expliquer en direct. Nous avons ensuite publié un communiqué de presse très précis.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - Je vous remercie. Notre rôle est de nous intéresser à ce qui ne fonctionne pas et de faire des préconisations. Nous vous adresserons un questionnaire complémentaire. Je voulais vous demander aussi si vous aviez embauché d'anciens responsables d'ARS ou de services départementaux ?

M. Nicolas Mérigot. - Non.

M. Bernard Bonne, rapporteur. - L'intérêt de chacun est d'améliorer la prise en charge des personnes âgées et d'éviter les maltraitances.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13 heures.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

Audition de Mme Fabienne Bartoli, candidate proposée pour la direction générale de la Haute Autorité de santé

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous accueillons cet après-midi Mme Fabienne Bartoli, candidate aux fonctions de directrice générale de la Haute Autorité de santé (HAS). En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, sa nomination doit être précédée de son audition par les commissions compétentes du Parlement.

Comme vous le savez, la Haute Autorité de santé est une autorité indépendante ; c'est pourquoi cette nomination nous est proposée, non pas par le Premier ministre, mais par le professeur Dominique Le Guludec, présidente de la HAS.

La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a procédé à l'audition ce matin.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.

Je vous laisse la parole, Madame, pour présenter votre parcours et les perspectives que vous envisagez pour le poste que la présidente de la HAS souhaite vous confier, avant que nos collègues ne vous posent des questions.

Mme Fabienne Bartoli, candidate aux fonctions de directrice générale de la Haute Autorité de santé. - Je suis très honorée de me présenter aujourd'hui devant vous dans le cadre de la procédure de nomination de directrice générale de la Haute Autorité de santé. Rejoindre une institution au coeur des enjeux de qualité, de pertinence et d'efficacité de notre système de santé représente pour moi une perspective enthousiasmante et un très beau défi. J'entends également participer à la poursuite de la progression de la notoriété et de la voie de l'excellence scientifique que cette institution a toujours suivie.

En préambule, je souhaiterais évoquer brièvement mon parcours professionnel et évoquer les perspectives que je compte tracer à ce poste de directrice générale. J'ai débuté ma carrière en tant qu'enseignant-chercheur à l'université Paris-Dauphine. Ma formation et cette première expérience m'ont permis non seulement d'appréhender les exigences d'une démarche scientifique reposant sur les données, mais aussi de travailler avec la communauté médicale. Travailler à l'interface avec des personnes venant de formation et d'horizons professionnels différents était déjà l'une des raisons ayant motivé mon choix de l'économie de la santé. Plus précisément, mes travaux de recherche m'ont plongée dans la régulation du médicament, tant pour les incitations industrielles à l'innovation que pour les conséquences en matière de santé publique, de régulation et de dépenses de santé.

Ce premier socle m'a permis de participer à l'écriture du premier rapport du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM), consacré à la régulation du médicament et à la création d'une politique de développement de médicaments génériques, lors de mon passage à la direction générale du Trésor, puis à sa mise en oeuvre par l'accompagnement de la loi de réforme de l'assurance maladie en 2004 au sein des cabinets de plusieurs ministres de la santé. J'ai ainsi pu me familiariser à la négociation avec les professionnels de santé et les industriels du secteur du médicament et des dispositifs médicaux, mais aussi avec les acteurs hospitaliers, au travers de la réforme de la rétrocession hospitalière.

À l'inspection générale des affaires sociales, j'ai eu l'occasion de traiter de nombreux sujets de régulation dans le domaine de la santé, tels que les dépassements d'honoraires médicaux, la tarification à l'activité et ses conséquences sur les finances des établissements de santé privés à but non lucratif, la régulation du secteur des cliniques privées ou encore l'évaluation du plan national contre les perturbateurs endocriniens, conjointement avec nos homologues du ministère de l'agriculture et de l'environnement.

J'ai la chance d'avoir pu compléter cette expérience d'évaluation des politiques publiques et de gestion économique des produits de santé par la régulation sanitaire de ses produits, en tant que directrice générale adjointe, puis directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, aujourd'hui l'ANSM - l'Afssaps à cette époque. Cela m'a apporté une bonne connaissance des acteurs et de la réglementation française et européenne en matière de médicaments, d'accès au marché et d'alerte sanitaire. Les sujets communs avec la HAS étaient déjà nombreux. J'avais participé dans mes fonctions antérieures à la rédaction de programmes de travail qui permettaient d'optimiser la place de chaque agence dans la production - entre autres - de recommandations et de bonnes pratiques. Chaque année, une liste de recommandations était dévolue à chacune des deux agences. J'ai alors mesuré à quel point une autorité scientifique indépendante permettait au système français de bénéficier d'un panier de soins optimisé. Ses avis sont déterminants pour la prise en charge de la négociation des prix de remboursement par le Comité économique des produits de santé (CEPS).

Lors de mon mandat de directrice générale, j'ai été marquée par l'expérience du management d'une structure de près de 1 000 agents. J'ai favorisé la valorisation des compétences humaines et scientifiques d'excellence parmi ces agents. À cette occasion, j'ai constitué un groupe de travail sur le métier d'évaluateur dans les agences sanitaires. Je souhaitais favoriser le développement et la valorisation d'une capacité d'expertise publique d'excellence interne, complémentaire aux expertises externes, afin d'optimiser l'évaluation scientifique réalisée par l'ensemble des agences sanitaires.

La HAS dispose également d'une organisation rénovée, grâce à l'inclusion du secteur médico-social. Une bonne articulation entre les différentes directions métier dans la gestion des dossiers transversaux est primordiale à la HAS, car ce sont souvent les mêmes données qui sont utilisées pour évaluer les produits de santé en vue du remboursement, mais aussi pour diffuser les meilleures pratiques auprès des professionnels de santé, ou encore pour améliorer la qualité des soins à l'hôpital et en ville, ainsi que la prise en charge dans le secteur médico-social.

Enfin, exercer des responsabilités dans le secteur de la santé rime avec la préparation et la gestion de crises sanitaires. Qu'il s'agisse du premier plan de préparation aux pandémies grippales, prévu par la loi de santé publique du 9 août 2004, des retraits ou des ruptures d'approvisionnement des produits de santé à l'ANSM, ou encore de la crise Ebola ou de la lutte contre le choléra en Haïti lorsque j'étais conseillère pour les affaires sociales à la représentation permanente des Nations unies à New York, mes expériences antérieures me permettront de m'insérer dans la gestion post-crise à laquelle la HAS sera confrontée dans les prochains mois. L'ensemble de ces éléments ont joué un grand rôle pour présenter ma candidature à ce poste.

Durant cette période de crise, la HAS et ses équipes ont fait preuve d'une adaptabilité exemplaire au service des patients et des usagers du système de soins. Comme l'ensemble des acteurs de santé, la HAS a été confrontée à ce choc inouï de notoriété, de réactivité et de production. La feuille de route de la HAS se compose des axes stratégiques de travail définis par la présidente et par les précédents directrices et directeurs généraux.

L'innovation constitue le premier axe de travail. Elle se situe au coeur des missions de la HAS. Si le développement de la médecine personnalisée se poursuit au travers de combinaison de dispositifs médicaux et de médicaments, de biothérapies ou de thérapies géniques, d'autres innovations ont émergé à l'occasion de la crise sanitaire. La HAS devra relever plusieurs défis, qu'il s'agisse du développement de nouveaux vaccins, ou encore de l'émergence de la télémédecine et de l'accélération de la présence de l'intelligence artificielle dans les dispositifs médicaux. En 2020, malgré la crise sanitaire, la HAS a investi en faveur d'une stratégie pluriannuelle sur les données, qui a déjà donné des résultats, s'agissant notamment de la valorisation de données internes et de la fluidification des bases de données de gestion de conflits d'intérêts. Il nous faut poursuivre le développement de cet axe majeur.

Par ailleurs, l'adoption en décembre dernier du nouveau règlement européen sur l'évaluation des technologies de santé marque une nouvelle étape pour offrir un accès accéléré et de meilleure qualité aux produits de santé dans toute l'Europe.

Nous avons également mis en place l'accès précoce à des médicaments ou à des dispositifs médicaux, à l'interface du premier axe consacré à l'innovation et du deuxième axe portant sur les patients.

Le deuxième axe de travail porte sur le renforcement de l'intégration des usagers et des patients, acteurs à part entière des décisions et des recommandations de la HAS. Cela constitue l'ADN de notre institution. L'avis de l'usager et du patient participe de l'évolution de la qualité des soins. Ce positionnement explique le boom de notoriété de la HAS, qui s'est encore renforcé durant la crise sanitaire. Par exemple, notre site internet a reçu plus de 11 millions de visites en 2021, contre 6,6 millions en 2020 et 4,8 millions les années précédentes. Les sollicitations directes auprès de la HAS se multiplient. Les sondages montrent que les usagers - les médecins ou les patients - ont une bonne perception de la HAS : ce pourcentage s'élève à 66 % pour les médecins généralistes et 82 % pour les patients participant à nos commissions.

J'en viens au troisième axe de travail : la qualité et la pertinence des parcours de soins demeurent des enjeux essentiels. Le processus de recueil des données doit être amélioré au cours du processus de certification des établissements de santé. Si les professionnels plébiscitent ce processus et l'utilisation de ces indicateurs, la tension sur les personnels de santé représente un poids difficile à supporter pour les équipes. Créer des indicateurs de qualité plus faciles à renseigner pour les professionnels de santé constituera un défi important pour notre institution dans les années à venir. La publication, le 10 mars dernier, du référentiel d'évaluation de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, ainsi que de son manuel d'évaluation, marque une nouvelle étape dans la création d'un cadre national unique, homogène et commun aux 40 000 établissements et services répartis sur le territoire. Le référentiel, que les équipes devront s'approprier, se concentre sur les souhaits et les besoins de la personne.

Le Parlement a confié de nouvelles missions à la HAS - nous nous réjouissons de cet honneur. Toutefois, nous avons assumé cette nouvelle charge de travail à effectif constant, voire légèrement décroissant. Il en va de même pour le budget de la HAS. De nombreux efforts de productivité ont été accomplis. Les moyens devront être en adéquation avec les missions qui nous sont confiées.

La HAS est donc une autorité indépendante de référence dans le domaine de la santé. Je serais honorée de m'atteler au défi de l'excellence promue par l'ensemble de ses experts et de ses collaborateurs. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche maladie. - Au mois de novembre dernier, la HAS a modifié son organisation en créant un service dédié à l'évaluation dans le domaine de la santé publique et des vaccins. Quelles sont les missions exactes confiées à cette nouvelle entité ?

De nouvelles adaptations de l'organisation interne de la HAS sont-elles nécessaires afin de prendre en compte le nouveau régime d'accès précoce ?

Vous avez évoqué la question de l'innovation. La proposition de loi relative à l'innovation en santé de nos collègues Catherine Deroche et Annie Delmont-Koropoulis ouvrait la voie à des possibilités nouvelles de réorganisation. Pouvez-vous nous donner quelques éléments à ce sujet ?

La HAS a également créé une mission internationale placée sous l'autorité directe de la présidence et la direction générale. Comment concevez-vous l'exercice de cette mission ?

J'allais vous poser une question sur les moyens, mais vous y avez déjà répondu. Tout en maintenant une qualité d'expertise reconnue, où se situent les limites de votre capacité d'action ? J'ai bien noté que vous comptiez sur l'aide du Sénat en vue du renforcement de vos moyens.

Parfois, le paysage des agences et des autorités sanitaires peut sembler confus, de même que la répartition des missions est difficile à appréhender. Vous avez la chance de connaître l'ANSM : comment comptez-vous assurer une bonne coordination entre cette agence, la future agence de l'innovation en santé et la HAS ?

La prévention des conflits d'intérêts ne figurait pas dans le projet stratégique 2019-2024. Pourtant, vous nous avez indiqué qu'une base de données avait été créée à cette fin. Considérez-vous que ce sujet est pratiquement réglé ? Les règles déontologiques et les méthodes de travail sont-elles pleinement satisfaisantes ?

J'ai pris bonne note de votre souhait d'intégrer les patients et les usagers aux travaux de la HAS. Peut-être vais-je vous choquer, mais je n'attends pas la recherche de la notoriété de la part d'une autorité comme la vôtre, qui doit avant tout assurer son indépendance et être pleinement efficace.

Enfin, l'une des missions de la HAS consiste en l'élaboration de protocoles et d'appui à la formation des parcours de soins et de prise en charge. Estimez-vous que ces productions sont suffisamment connues et appliquées par les professionnels de santé ? Pensez-vous que la HAS assume un rôle suffisant dans l'appui à la décision publique concernant la transformation de notre système de santé ?

Les hôpitaux rencontrent des difficultés lors de la procédure de certification des établissements de santé. Avez-vous identifié des pistes d'amélioration à ce sujet ?

Le secteur médico-social connaît actuellement une période dramatique. Le Sénat travaille ardemment sur ce sujet. Eu égard aux attentes en la matière, quelles sont vos ambitions à ce sujet ?

Mme Fabienne Bartoli. - L'accès précoce est un chantier ayant largement occupé les équipes. Je me réjouis de la fluidité mise en place avec l'ANSM à ce sujet. Chacun doit pouvoir mener ses missions en utilisant les mêmes données que celles utilisées lors des essais cliniques, grâce auxquelles des gold standards et l'evidence-based medicine peuvent être établis. Les règles juridiques auxquelles sont soumises les agences ne sont pas les mêmes : contrairement à la HAS, l'ANSM est habilitée à recevoir des informations entrant dans le champ du secret des affaires. Un processus d'orfèvre a donc été mis en place, afin que les patients reçoivent le traitement innovant au moment idéal. Il en va de même pour les dispositifs médicaux et certains actes biologiques, comme en témoigne le référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN). Cette nouvelle procédure, dont la création était complexe, peut désormais se déployer avec, je l'espère, de nouveaux moyens financiers.

À l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, notre mission internationale a produit ses premiers résultats avec l'adoption du règlement consacré à l'évaluation des technologies de santé. Celui-ci vise à établir une normalisation des règles d'évaluation à l'échelle européenne, tout en permettant, au nom de la subsidiarité, à chaque État de fixer les modalités de fixation des prix et des remboursements comme il l'entend. Les équipes de la HAS, qui ont accompli un travail considérable, négociaient au nom de la France et ont joué un rôle majeur dans l'adoption de ce règlement, qui sera mis en oeuvre dès cette année et dont le déploiement séquencé s'étendra jusqu'en 2027.

Nous ne pouvons plus assurer l'ensemble de nos missions sans disposer de moyens financiers supplémentaires. Les attentes en matière de santé publique et d'évaluation sont grandes après la crise sanitaire. Même si les équipes de la HAS ne prennent pas en charge directement les malades, leur implication a été totale. Nous comptons sur l'aide du Parlement pour que notre voix soit entendue et pour que nous puissions relever tous ces défis.

Vous avez évoqué l'articulation entre la HAS et la future agence d'innovation en santé. La nature de leurs missions respectives n'est pas exactement similaire. Toutefois, la HAS produit elle aussi une évaluation de l'innovation : une découverte médicale ne devient une innovation que lorsqu'elle est évaluée et validée scientifiquement par la communauté médicale. La HAS joue un rôle fondamental dans cette expertise. L'articulation entre les agences se traduit également par la mission consacrée aux données de santé. C'est la révolution du big data : notre utilisation des bases de données doit évoluer radicalement. Cette nouvelle étape, enthousiasmante, constitue un défi majeur, car le nombre de données disponibles est aujourd'hui beaucoup plus important. Certes, nous devrons faire face à des difficultés techniques ou juridiques. Nous ne savons pas encore comment nous pourrons optimiser ces données médicales. En tout état de cause, nous devrons veiller à leur confidentialité.

Il est important d'assurer la fluidité des relations entre les agences. Je tiens à rappeler que le législateur a multiplié le nombre d'agences afin d'éviter les conflits d'intérêts, non seulement les conflits financiers, mais aussi les conflits de jugement et de loyauté. Nous devons éviter d'être à la fois juge et partie. La prévention des conflits d'intérêts reste essentielle pour la HAS. À cet égard, la législation américaine a inspiré certaines dispositions de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, votée en 2011. La vigilance reste de mise, car c'est un sujet essentiel pour asseoir l'indépendance des agences et la crédibilité de leurs avis.

Vous m'interrogez sur la recherche de notoriété dont ferait preuve la HAS. Longtemps, il a été reproché aux agences de fonctionner dans des cercles fermés et médico-centrés. L'ouverture aux malades et aux usagers est essentielle, vingt ans après le vote de la loi Kouchner relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Renforcer la place des usagers permet de consolider les décisions et les avis rendus par ces autorités scientifiques.

Vous évoquez la lourdeur des protocoles de certification. La HAS se penchera sur ce sujet important, tout en veillant à faire perdurer la qualité des soins.

Les professionnels doivent s'approprier le référentiel établi pour le secteur médico-social. Le système d'accréditation doit être progressivement déployé pour que ce protocole prenne vie.

M. René-Paul Savary. - Il convient de développer des indicateurs légers et pertinents, afin que les personnels des établissements ne passent pas plus de temps à remplir des papiers qu'à être au chevet des patients.

Vous avez indiqué que les usagers qui vous contactaient directement recevaient une réponse sous six jours. Il n'en va pas de même pour les parlementaires, puisque j'ai reçu voilà quelque temps une réponse négative de la HAS au sujet de la cryothérapie. Nous devrions songer à introduire la possibilité d'une saisine de la HAS par les parlementaires. Si vous comptez sur nous pour vous aider à renforcer vos moyens financiers, nous comptons sur vous pour que vous nous apportiez votre expertise.

Le dossier médical partagé (DMP) facilitera l'accès aux données, dont la sauvegarde devrait être selon nous assurée par un hébergeur européen. Alors que les pandémies ne manqueront pas de se multiplier, ne devrions-nous pas créer un crisis data hub ? Tel était l'une des propositions de la délégation sénatoriale à la prospective.

Vous avez évoqué l'accès précoce aux traitements innovants. Avec l'appui de la présidente Deroche, nous avions proposé de favoriser l'utilisation testimoniale éclairée et surveillée, notamment pour les personnes souffrant de troubles cognitifs. Quel est votre avis à ce sujet ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la prise en charge de l'homéopathie, qui suppose une évaluation différente par rapport aux médicaments ?

Avez-vous engagé une réflexion sur la vaccination concomitante contre la grippe et le covid-19 ? Celle-ci pourrait se tenir dès l'automne prochain.

Mme Fabienne Bartoli. - Je souscris à votre analyse sur la nécessité de disposer d'indicateurs légers et pertinents. Le professeur Le Guludec soutient pleinement cette démarche.

Je vous laisse le soin d'introduire, si vous le souhaitez, un droit de saisine officiel de la HAS pour les parlementaires.

M. René-Paul Savary. - L'article 45 de la Constitution limite parfois notre action.

Mme Fabienne Bartoli. - Dans mon propos liminaire, j'ai évoqué les difficultés entourant la question de la gestion des données. Nous attendons encore les évolutions techniques permettant de profiter pleinement des bases de données, conformément à l'utilisation que pourrait en faire la HAS. Vous soulignez à juste titre qu'il s'agit d'un axe de travail fondamental pour la HAS, monsieur le sénateur.

L'utilisation testimoniale d'un médicament supposerait une évolution législative.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous avions voté à plusieurs reprises un amendement en ce sens, mais il n'a pas été repris par l'Assemblée nationale.

M. René-Paul Savary. - Je ne vous demande pas une prise de position immédiate, mais je vous serais reconnaissant de bien vouloir accorder une attention particulière à ce sujet important pour de nombreux malades. Nous devons privilégier la recherche, sans quoi le coût sociétal de certaines pathologies sera immense.

Mme Fabienne Bartoli. - La question de l'homéopathie a été largement débattue et des décisions ont été prises. La perte de chance est toujours opposée au traitement homéopathique.

Le sujet de la vaccination concomitante contre la grippe et le covid-19 est très important. Des évaluations ont été menées sur les publics à risque, notamment les personnes souffrant de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie pour la présentation et les réponses que vous avez apportées aux nombreuses questions qui vous ont été posées.

Je souhaite revenir sur le thème de la pertinence des soins. Certaines personnes, pour de multiples raisons, n'ont pas accès aux soins, et subissent ainsi une perte de chance. À l'inverse, d'autres sont hypocondriaques et consultent un médecin à tout bout de champ et multiplient les actes médicaux. Je vous encourage à travailler sur le parcours de soins, qui est source non seulement d'économies, mais aussi d'une meilleure prise en charge pour les personnes les plus éloignées du monde médical. Chacun mérite un accès à des soins de qualité.

Je tiens par ailleurs à vous féliciter pour la qualité de votre site internet.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Notre commission créera prochainement une mission d'information relative aux données de santé. Nous déplorons le retard dans l'informatisation des dossiers. Un patient admis à l'hôpital est conduit à repasser des examens qu'il a pourtant subis en ville. Bien souvent, les informations sur les patients ne sont ni partagées ni consultées, engendrant autant de temps perdu pour les soignants et suscitant un sentiment de pagaille.

Alors que, par exemple, l'Espagne ou le Portugal ont avancé facilement sur le sujet des données de santé, je suis toujours effarée de la lenteur avec laquelle nous progressons dans ce domaine. Un travail important doit être mené à cet égard.

Mme Fabienne Bartoli. - Je souscris à votre analyse. Ces systèmes d'information souffrent d'un problème d'interopérabilité. Des solutions existent, nous y travaillons. Je tiens à souligner que nous avons été capables d'accomplir des actions rapidement en temps de crise.

M. René-Paul Savary. - Oui, nous en sommes capables.

Mme Fabienne Bartoli. - Une fois encore, nous devons rendre les données compatibles, mais aussi veiller à leur confidentialité.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 30.