Mercredi 30 mars 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 20.

Institutions européennes - Session extraordinaire de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) des 14 et 15 mars 2022 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Notre collègue Claude Kern, avec lequel j'ai échangé à l'occasion de l'intervention du président ukrainien Volodymyr Zelensky devant le Parlement français, m'a fait part de son souhait de nous présenter ce qui s'est passé lors de la session extraordinaire de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) qui s'est tenue les 14 et 15 mars, et qui a été l'un des moments importants ayant conduit au retrait de la Fédération de Russie de cette organisation.

Notre collègue Alain Milon, premier vice-président de la délégation française à l'APCE, qui accueille le Président du Sénat, ne peut être présent parmi nous aujourd'hui.

Il me paraissait important que nous puissions avoir rapidement un retour sur cette session extraordinaire et sur les développements éventuels que cela implique pour le Conseil de l'Europe.

Je remercie donc Claude Kern, qui préside la sous-commission sur les conflits entre les États membres du Conseil de l'Europe au sein de l'APCE, pour l'éclairage qu'il pourra nous apporter sur le ressenti des différentes délégations à Strasbourg et sur les enjeux qu'il entrevoit pour cette organisation.

M. Claude Kern. - Je souhaitais vous rendre compte rapidement des échanges que nous avons eus à l'APCE les 14 et 15 mars, dans le cadre d'une session extraordinaire consacrée aux conséquences de l'agression de la Fédération de Russie contre l'Ukraine. Il s'agissait d'une session hybride et nous avons été nombreux à y prendre part, soit sur place à Strasbourg, soit à distance en visioconférence.

Avant d'évoquer la session extraordinaire elle-même, je souhaite brièvement vous présenter les réactions du Conseil de l'Europe à la suite de l'invasion de l'Ukraine par les armées de la Fédération de Russie, deux États membres de l'organisation au moment des faits.

Dès le 24 février, jour de l'agression de l'Ukraine, le président de l'APCE a convoqué une réunion d'urgence du Comité mixte entre le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, afin de coordonner la réaction des instances. Il avait également souhaité que l'APCE tienne en urgence une session plénière.

Le Comité mixte s'est réuni le 25 février et, à l'issue de sa réunion, le Comité des ministres a décidé de suspendre les droits de représentation de la Fédération de Russie, en raison de violations graves du statut du Conseil de l'Europe.

Ainsi, à partir du 25 février, la Russie n'a plus été autorisée à siéger dans les organes statutaires du Conseil de l'Europe, c'est-à-dire l'Assemblée parlementaire, le Comité des ministres et leurs comités subsidiaires. Cette décision a été étendue à d'autres instances, y compris le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.

Devant la détérioration de la situation en Ukraine et les multiples violations des droits de l'homme, les délégations au Comité des ministres se sont montrées majoritairement favorables à la mise en oeuvre d'une procédure d'exclusion de la Fédération de Russie, qu'il ne faut pas confondre avec une suspension. Cette procédure prévoyant que l'Assemblée parlementaire soit formellement consultée, le Comité des ministres a pris le 10 mars la décision de consulter formellement l'Assemblée parlementaire sur une potentielle utilisation plus poussée de l'article 8 du statut de l'organisation.

Si la formule permettait à l'APCE de se prononcer sur d'éventuelles mesures dans le cadre de la suspension, la majorité des délégations attendait un avis sur l'opportunité d'« inviter la Fédération de Russie à se retirer de l'organisation ».

La session extraordinaire qui s'est tenue les 14 et 15 mars a ainsi permis à l'APCE de rendre son avis. La participation à cette session extraordinaire a été très forte et environ 170 orateurs se sont exprimés, un nombre record ! La moitié de la délégation sénatoriale a pris la parole au cours du débat : André Gattolin, Christian Klinger et Alain Milon en distanciel, Nicole Duranton, Jacques Le Nay et moi-même en présentiel.

Cette session a été marquée par des interventions fortes de la présidence italienne du Comité des ministres, de la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe et, en visioconférence, du Premier ministre ukrainien, Denys Chmyhal. Mais elle a aussi été marquée, du côté de la délégation française, par une rencontre tendue - c'est le moins que l'on puisse dire - avec notre ambassadrice, représentante permanente de la France auprès du Conseil de l'Europe. Je le dis, car c'est inhabituel : l'ambassadrice a relayé les éléments de langage venant, dixit son collaborateur, du « Château », qui invitaient à prendre le temps de la réflexion, à bien mesurer les conséquences d'une éventuelle exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, qui priverait en particulier les citoyens russes de la faculté de saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et pourrait également permettre à la Fédération de Russie de rétablir la peine de mort.

La France proposait que des États membres de l'Union européenne prennent l'initiative d'une requête interétatique à l'encontre de la Russie ou interviennent en soutien d'une requête introduite par l'Ukraine, si celle-ci devait intervenir rapidement. Avec un brin d'ironie, nous avons ainsi découvert que la Fédération de Russie portait une grande attention à la mise en oeuvre des arrêts de la CEDH, même si elle en contestait les décisions les plus emblématiques...

Notre ambassadrice a également évoqué les enjeux budgétaires liés au retrait éventuel de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe, celle-ci contribuant pour 33 millions d'euros au budget de l'organisation. Ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ! Ce discours n'a malheureusement pas échappé aux autres délégations nationales, qui se sont interrogées sur la stratégie française. Il n'est pas du tout passé auprès de la délégation française à l'APCE et, pour être clair, notre ambassadrice a été quelque peu « secouée ». Les méthodes pressantes de la représentation permanente vis-à-vis des parlementaires ont été particulièrement peu appréciées, quelle que soit notre appartenance politique.

Nous avons unanimement considéré que l'agression armée de la Fédération de Russie contre l'Ukraine ne lui permettait plus de rester membre du Conseil de l'Europe. Et je le dis avec d'autant plus de force que je suis dorénavant le président de la sous-commission sur les conflits entre les États membres de cette organisation, qui va se réunir tout à l'heure à Paris, et qui traite en particulier du processus de règlement transnistrien, du processus de règlement chypriote et du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabakh. Le conflit impliquant la Géorgie est d'ailleurs inscrit aujourd'hui à l'ordre du jour. Or, la Russie est fortement mêlée à tous ces conflits.

La dimension de cette guerre en Ukraine, les atrocités commises et les attaques frontales contre les valeurs du Conseil de l'Europe ne permettaient plus l'entre-deux.

Les autorités de la Fédération de Russie elles-mêmes ont tenu des propos très durs à l'encontre de l'évolution du Conseil de l'Europe. Le ministère russe des affaires étrangères a publié un communiqué estimant que « les États de l'Union européenne et de l'OTAN, hostiles à la Russie, abusant de leur majorité absolue au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, poursuivent la politique de destruction du Conseil de l'Europe et de l'espace humanitaire et juridique commun en Europe. L'évolution des événements devient irréversible. » Le président de la délégation russe à l'APCE, Piotr Tolstoï, par ailleurs vice-président de la Douma d'État, a également affirmé que « le Conseil de l'Europe est depuis longtemps passé de la plus importante plate-forme internationale pour un dialogue égal à une structure fantoche utilisée pour promouvoir la russophobie », ajoutant que « la Russie ne correspond en rien à leur image du monde, nous n'accepterons jamais les valeurs occidentales. Laissons-les mijoter dans leur jus. Sans nous. » J'ajoute qu'un député de la délégation russe à l'APCE, Leonid Sloutski, placé de longue date sous sanctions européennes, est l'un des membres de l'équipe russe de négociation avec l'Ukraine.

L'Assemblée parlementaire ne pouvait donc pas rester sans réagir, et elle l'a fait avec force, en appelant à l'unanimité, par 216 voix pour et 3 abstentions, au retrait immédiat de la Fédération de Russie du Conseil de l'Europe.

Quelques heures avant le vote, pour ne pas en être dépendant, le Gouvernement de la Fédération de Russie a officiellement informé la Secrétaire générale du Conseil de l'Europe de son retrait de l'Organisation et de son intention de dénoncer la Convention européenne des droits de l'homme.

Le Comité des ministres a donc décidé que la Fédération de Russie cessait d'être membre du Conseil de l'Europe à compter du 16 mars 2022. Celle-ci est censée s'acquitter de l'ensemble de ses obligations financières vis-à-vis du Conseil de l'Europe jusqu'à cette date, même si l'on peut fortement douter de la volonté de la Russie de régler les sommes qu'elle doit.

La Russie cessera d'être partie à la Convention européenne des droits de l'homme le 16 septembre 2022. Jusqu'à cette date, le juge russe continuera à siéger à la Cour. La CEDH demeure par ailleurs compétente pour traiter les requêtes dirigées contre la Fédération de Russie concernant les actions et omissions susceptibles de constituer une violation de la Convention qui surviendraient jusqu'au 16 septembre. Selon les données communiquées par la Cour, au 1er janvier 2022, on comptait près de 17 000 affaires pendantes concernant la Russie. En 2021, 232 arrêts ont été rendus, dont 219 concluant à au moins une violation de la Convention européenne des droits de l'homme. Reste à savoir comment les arrêts seront ensuite appliqués, lorsque la Russie ne sera plus partie à la Convention, sachant qu'elle conteste déjà l'autorité de la Cour.

Cet épilogue, le premier depuis l'exclusion de la Grèce des colonels, est évidemment triste. Il était toutefois inévitable compte tenu des actions russes et de la volonté affichée du gouvernement russe de contester les valeurs du Conseil de l'Europe.

L'APCE continuera à suivre de près l'évolution de la situation en Ukraine et je dois vous dire que nous avons été impressionnés par le courage de nos collègues députées ukrainiennes, massivement présentes à Strasbourg, et qui sont retournées dans leur pays, une fois la session extraordinaire achevée.

Le sujet sera évidemment au coeur des débats de la prochaine partie de la session qui aura lieu du 25 au 28 avril prochain. Le Conseil de l'Europe devra inévitablement s'adapter, voire se réinventer, après cette crise majeure.

Voilà ce que je voulais porter à votre connaissance, en l'exprimant de manière très modérée.

M. Jean-François Rapin, président. - Cet échange était important et nous a fait comprendre quelle était l'atmosphère durant cette session. Merci pour votre modération, cher collègue.

M. Jacques Le Nay. - Il est vrai que l'atmosphère était pesante. La présence des députées ukrainiennes, alors que leurs homologues masculins étaient au combat, était poignante.

L'exclusion des Russes était indispensable : l'unanimité a prévalu.

M. Jean-François Rapin, président. - Le président de la Rada, la chambre des députés ukrainienne, s'est exprimé hier devant les présidents de nombreux parlements de l'Union européenne réunis à Brdo en Slovénie : ce fut émouvant.

Par ailleurs, la démission de la Russie au cours des débats me semble avoir démontré une forme de fragilité de ce pays.

M. André Reichardt. - Merci à Claude Kern pour cette présentation.

Pour avoir siégé à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe jusqu'au dernier renouvellement, je suis admiratif de l'unanimité qui a prévalu. Par le passé, les droits de la Fédération de Russie avaient été suspendus et cela avait donné lieu à de longs et difficiles débats. Ce pays a toujours eu des amis au sein du Conseil de l'Europe : il a fallu cette guerre pour les faire changer d'avis.

Autant je suis d'accord avec cette exclusion, autant je regrette que les Russes ne puissent plus, à l'avenir, saisir la CEDH. Avec 17 000 recours pendants, la Russie est le pays qui connaît, de très loin, le plus de contentieux.

Je souhaite enfin que la question budgétaire n'en soit pas une : par le passé, nous avons suspendu les droits de la Russie mais dès qu'il a fallu équilibrer les comptes, nous avons rétabli ce pays dans ses prérogatives. Ne nous préoccupons pas du seul aspect financier !

M. Claude Kern. - Les 33 millions d'euros évoqués par l'ambassadrice française ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les 46 autres pays qui siègent à l'APCE devraient être à même de régler cette question financière.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci à Claude Kern pour cette présentation qui démontre toute l'utilité du Conseil de l'Europe et l'importance de la diplomatie parlementaire. Il est satisfaisant de voir que les parlementaires parviennent à faire bouger les lignes. Le respect du droit et des valeurs du Conseil de l'Europe ne sont pas de vains mots.

M. Claude Kern. - La Géorgie, la Moldavie, l'Arménie sont accompagnées par la Commission de suivi. Je suis moi-même corapporteur sur la Géorgie. Ces instances permettent de rappeler les valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour cette présentation et pour les propos échangés.

La réunion est close à 8 h 40.

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Agriculture et pêche - Pacte Vert et autonomie alimentaire de l'Union européenne au regard de la guerre en Ukraine - Examen de la proposition de résolution européenne

M. Jean-François Rapin, président. - L'invasion de l'Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, est un événement historique majeur, dont les conséquences humanitaires, politiques et géostratégiques se précisent chaque jour davantage. Il en va ainsi, en particulier, dans le domaine agricole, face au risque désormais réel de crise alimentaire mondiale d'ici à seulement quelques mois.

Dans ce contexte, nos deux commissions des affaires économiques et des affaires européennes se réunissent aujourd'hui pour examiner une proposition de résolution européenne qui s'inscrit dans le prolongement de nos quatre précédentes résolutions européennes sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) depuis 2017.

Nous regrettons que la réforme pour la PAC 2023/2027, finalement adoptée à la fin de l'année dernière, diverge fondamentalement des orientations défendues par le Sénat. Cette réforme majeure entrera en vigueur le 1er janvier 2023, sans préjudice des dispositions qui interviendront prochainement au titre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » destiné à décliner concrètement le « Pacte vert ». Or les stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » augurent d'un tournant radical qui équivaut à une seconde réforme de la PAC.

Le double constat d'une menace d'une famine mondiale, du fait de la guerre en Ukraine, et de l'autolimitation de la production agricole européenne nous conduit à vous proposer de prendre une nouvelle fois position dans ce débat, afin que la voix du Sénat soit entendue et que les autorités françaises la relaient.

Pour ce faire, la présidente Sophie Primas et moi-même vous proposons d'adresser un message politique fort. La ligne générale de ce message serait la suivante : au regard de l'impératif d'autonomie stratégique, la guerre en Ukraine implique nécessairement de réévaluer les orientations politiques fondamentales de l'Union européenne en matière agricole. Si la promotion d'objectifs environnementaux est nécessaire au regard des enjeux liés au changement climatique, elle doit se faire en cohérence avec les objectifs économiques, sociaux et géopolitiques du continent, qui requièrent la production d'une alimentation de qualité en quantité suffisante pour les Européens et le monde entier. Il n'est donc pas envisageable de défendre une vision décroissante de notre agriculture.

Dès le printemps 2020, certains acteurs du débat public faisaient part d'inquiétudes et d'objections. La Commission européenne les a ignorées, donnant priorité à l'exemplarité de l'Union en matière climatique, afin d'entraîner la communauté internationale. Depuis, plusieurs études universitaires indépendantes, notamment celles des universités de Kiel et de Wageningen, ainsi qu'une étude partielle réalisée par le propre centre de recherche de la Commission européenne, ont estimé que la mise en oeuvre des deux stratégies précitées exposerait l'Union à un risque avéré de diminution de la production agricole. Cette baisse attendue, dans des proportions de 5 à 20 %, voire davantage selon les filières, s'expliquerait par la chute des rendements des surfaces cultivées et du volume des récoltes, conjuguée à la diminution des revenus des producteurs.

Il s'ensuivrait également un fort recul des exportations européennes et surtout un développement des importations venant se substituer aux productions domestiques, devenues trop chères pour nombre de consommateurs : il s'agirait d'une substitution inédite de denrées produites selon le plus haut standard environnemental du monde par des productions importées, transportées sur des centaines de kilomètres, ne respectant pas nos normes exigeantes. Cette stratégie, évinçant des agriculteurs de nombreux territoires européens à l'heure d'un vaste renouvellement des générations, prend donc le risque d'aboutir à une désastreuse réduction du potentiel agricole européen, sans parvenir à réduire l'empreinte environnementale de l'alimentation du continent.

Dans un monde incertain, l'alimentation est facteur de paix et de stabilité : c'est pourquoi on ne peut envisager sereinement un déclin de la production agricole du continent sans mettre à mal notre autonomie stratégique, notre indépendance alimentaire et notre capacité à nourrir les autres continents.

La guerre en Ukraine oblige donc à débattre de la soutenabilité politique économique et sociale des objectifs du « Pacte vert ».

Cette proposition de résolution européenne vise précisément à demander un aggiornamento de la stratégie agricole de l'Union européenne qui apparaît désormais comme une priorité absolue : une remise à plat des deux stratégies dites « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité » est indispensable, au regard des impératifs d'autonomie stratégique et d'indépendance alimentaire de l'Union européenne.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le président Rapin vient de souligner, à la lumière de la guerre en Ukraine, l'urgence de lancer un débat public sur les conséquences agricoles du « Pacte vert ». Bien sûr, nos avis pourront diverger mais c'est aussi cela le travail parlementaire : discuter, débattre et faire valoir nos arguments.

Je souhaite, en préalable, évacuer un écueil dans lequel notre assemblée ne doit pas tomber. S'interroger sur la pertinence de la stratégie « De la ferme à la fourchette » dans le monde qui vient, c'est se poser la question de la vocation nourricière de notre agriculture. Se demander comment nourrir le monde à l'heure où 30 % des exportations mondiales de blé peuvent disparaître du jour au lendemain, ce n'est pas profiter d'un drame humain pour abandonner cyniquement des objectifs environnementaux. C'est tout simplement prendre ses responsabilités politiques pour concilier des impératifs, en rappelant que le développement économique ne s'oppose pas à l'atteinte d'objectifs environnementaux.

Pour les atteindre, plusieurs visions s'opposent : celle de la décroissance, qui a largement présidé à l'élaboration de la stratégie « De la ferme à la fourchette », pour qui la réduction de notre empreinte environnementale passe par une baisse de notre production, quitte à exporter nos problèmes environnementaux ailleurs en promouvant des importations alimentaires, sans jamais s'interroger sur les difficultés de production que pose le changement climatique dans de nombreux pays du Sud. À cette vision, que je ne partage pas, s'oppose une ambition qui croit en l'innovation, au progrès, à l'ingéniosité des hommes qui pourront, demain, sans réduire leur production, réinventer des manières de produire plus respectueuses de l'environnement, permettant d'allier développement économique, environnemental et social au profit d'un vrai développement durable.

Avec cette résolution que nous vous présentons, nous vous proposons, en conscience, de prendre position dans ce débat. Cet engagement nous paraît nécessaire, non en raison du calendrier électoral - le débat n'est pas là - mais bien en raison du bouleversement colossal que la guerre en Ukraine va provoquer sur les marchés alimentaires mondiaux.

Dans un contexte où le secrétaire général des Nations unies, le président de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le président américain, la présidente de la Commission européenne, de nombreux chercheurs alertent sur une crise alimentaire mondiale inéluctable dans les mois à venir si tous les grands pays producteurs ne se mobilisent pas pour augmenter leur production agricole, notre débat sur la pertinence de la stratégie « De la ferme à la fourchette » est central.

Force est de constater, en effet, que malgré nos avertissements, la Commission européenne a fait preuve d'une extrême réticence, depuis le printemps 2020, à admettre publiquement le risque d'une diminution de plus de 10 % de la production agricole européenne due à l'application de cette stratégie. Réduire les intrants brutalement d'ici à 2030, sans s'interroger sur les alternatives à disposition, revient mécaniquement à réduire la production agricole européenne. Or, moins que jamais dans les conditions géopolitiques actuelles, nous ne pouvons envisager pareille perspective. À l'inverse, nous devons faire en sorte d'adapter la transition agroécologique pour la rendre compatible avec la souveraineté et l'autonomie alimentaire de l'Union européenne.

Avec cette proposition de résolution, nous vous proposons d'oeuvrer en ce sens, en prenant une position claire.

Les quatre premiers considérants rappellent, au préalable, les principales données du problème. En résumé, « l'objet de la stratégie "De la ferme à la fourchette" consiste à décliner, d'ici à 2030, le « Pacte vert » à l'agriculture européenne, sur la base d'une diminution de 50 % de l'utilisation des pesticides et de ventes d'antibiotiques pour les animaux d'élevage, d'une baisse de 20 % de celle d'engrais et d'un quadruplement des terres converties à l'agriculture biologique ».

En outre, « la stratégie "Biodiversité" vise, quant à elle, à ce que 10 % de la surface agricole consiste en des particularités topographiques à haute diversité biologique, ce qui peut inclure un taux minimal de mise en jachère défini au sein des plans stratégiques nationaux en application de l'architecture de la nouvelle PAC ».

Dans ce contexte, « de nombreux acteurs politiques, économiques et sociaux européens » ont formulé des demandes insistantes, « à partir de l'été 2020, tendant à obtenir qu'une étude d'impact exhaustive soit présentée par la Commission européenne, pour mesurer les conséquences de cette stratégie ». Toutefois, le résultat de ces démarches concordantes n'a pas été à la hauteur de nos attentes, loin de là, car les études n'ont été publiées qu'a posteriori.

Leurs conclusions sont édifiantes : la Commission européenne s'est bornée à publier une étude très partielle au coeur de l'été 2021 qui témoigne, tout de même, d'une baisse de la production en raison de l'application des mesures prônées par lesdites stratégies. Les autres études publiées par des sources tierces, notamment celle du ministère de l'agriculture des États-Unis, celle de l'université de Kiel et celle de l'université de Wageningen, mettaient en évidence « un risque avéré de diminution de la production agricole européenne dans des proportions de 10 % à 20 %, voire davantage suivant les filières et les scénarios étudiés ».

Face à cette problématique, la proposition de résolution ambitionne d'aller au coeur du sujet. Tout d'abord, en constatant que « la guerre en Ukraine représente un changement de paradigme dont l'Union européenne doit, dès à présent, tirer les conséquences dans de multiples domaines, en particulier ceux de l'agriculture et de l'alimentation, sauf à prendre le risque de ne pouvoir garantir par elle-même l'approvisionnement alimentaire des populations européennes, d'ici quelques années seulement ». Ensuite, en soulignant que le « nouveau contexte international implique de remettre au premier plan les objectifs de souveraineté alimentaire et d'autonomie stratégique pour l'Union européenne, dont le Sénat avait souligné toute la pertinence, par plusieurs résolutions européennes depuis 2017 ».

Plus précisément, notre proposition de résolution regrette, en particulier, « que l'avertissement représenté par la crise sanitaire de la covid-19 [...] n'ait entraîné qu'une prise de conscience très éphémère quant aux risques pesant sur l'approvisionnement en nourriture des citoyens européens et n'ait finalement pas infléchi la stratégie "De la ferme à la fourchette" ».

Nous constatons ensuite que « le "Pacte vert" et plus particulièrement les stratégies "De la ferme à la fourchette" et "Biodiversité" amplifient les effets de la réforme 2023/2027 de la PAC, au point d'équivaloir à une seconde réforme ». Nous constatons aussi que « les exigences environnementales accrues que le "Pacte vert" imposerait aux productions agricoles dégradent la compétitivité de l'agriculture européenne, et impliquent un surcroît inévitable d'importations alimentaires, dont le respect des normes de production agricoles requises en Europe n'est pas garanti en l'état actuel ».

Notre proposition de résolution juge « plus que jamais inopportune, dans les circonstances internationales actuelles, toute diminution forte de la production agricole européenne, qui placerait l'Union européenne à contre-courant des autres puissances agricoles ». En effet, il en résulterait un renchérissement des prix des produits agricoles et une baisse de production « qui serait inéluctablement compensée à due concurrence par des importations de substitution extra-européennes, ce qui alourdirait l'empreinte environnementale de notre alimentation, à rebours des objectifs du "Pacte vert" ». Au surplus, la « perte de production attendue [...] amplifiera la baisse des volumes disponibles sur les marchés alimentaires mondiaux et participera ainsi aux phénomènes d'inflation attendus ».

Le texte rappelle, en outre, « qu'une telle déstabilisation des marchés agricoles a abouti, il y a moins de dix ans, à des soulèvements populaires contre l'envolée du prix du pain dans le pourtour méditerranéen », alors que le prix du blé était très inférieur à celui que l'on connaît actuellement.

Au regard de ces éléments, nous proposons d'inviter l'Union européenne à « participer, à court terme, à l'effort alimentaire mondial pour limiter les effets de la crise ukrainienne sur les marchés mondiaux ». Cela nécessite « la mise en place d'une dérogation aux règles du verdissement » dès la campagne 2022, dans la mesure où certaines de ces règles « aboutiraient à une augmentation des surfaces non productives, en particulier un accroissement des mises en jachère ».

À moyen terme, la proposition de résolution demande à la Commission européenne « une nette inflexion de sa politique en matière agricole » pour enfin « consacrer à nouveau la PAC comme priorité géostratégique pour l'ensemble de l'Union européenne et de ses États membres et, le cas échéant, d'en tirer les conséquences financières ».

Enfin, notre proposition de résolution considère que des objectifs environnementaux ambitieux « peuvent être atteints autrement que par une réduction volontaire du potentiel productif agricole, en particulier par un effort substantiel dans l'innovation, la recherche, la modernisation des équipements agricoles et la diffusion plus rapide des nouvelles technologies auprès de plus grand nombre de producteurs ».

La proposition de résolution invite donc à « reconsidérer sans délai les termes des stratégies dites "De la ferme à la fourchette" et "Biodiversité", afin de les réorienter au service des objectifs de production agricole garantissant l'autonomie alimentaire et l'indépendance agricole de l'Union européenne ».

Tels sont les points saillants du texte que nous vous proposons d'adopter. Si nous nous réjouissons que la Commission européenne ait très récemment assoupli sa position sur la mise en jachère des terres productives, il ne s'agit cependant que d'une mesure technique : nous souhaitons, pour notre part, aller au-delà, en traitant ce sujet dans son ensemble.

M. Jean-François Rapin, président. - Notre objectif se situe dans la droite ligne de la lettre que nous avons envoyée à la présidente de la Commission européenne. À la suite des échanges que nous avons pu avoir lors du Salon de l'agriculture, nous sommes d'autant plus convaincus qu'il nous faut agir, et vite.

M. Jacques Fernique. - Comme vous, nous estimons que la guerre en Ukraine hypothèque l'accès à l'alimentation, à la fois pour les Ukrainiens mais aussi pour le reste du monde. Les prix risquent d'augmenter de façon catastrophique.

En revanche, nous ne partageons pas les orientations de cette proposition de résolution. Faut-il, pour libérer le potentiel productif de l'agriculture européenne, suspendre les exigences environnementales ? Pour mon groupe, c'est non.

Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est limpide : pour parvenir à une agriculture durable, les mesures environnementales sont vitales. En effet, la productivité agricole diminue sous l'effet des dégradations environnementales. Le GIEC affirme que si rien n'est fait, un tiers des terres agricoles pourraient devenir impropres à l'agriculture d'ici à 2100. Il est indispensable de préserver des écosystèmes sains pour atténuer le choc climatique. Ce ne sont pas les réglementations environnementales qui pèsent le plus sur les rendements mais bien l'effondrement des pollinisateurs et la dégradation des sols. Le prix du blé a certes flambé, mais bien avant la crise ukrainienne : souvenez-vous du dôme de chaleur canadien, de la sécheresse en Amérique du Nord et au Kazakhstan !

Vouloir cultiver plus avec plus d'intrants ne fera que dégrader davantage la capacité productive des agrosystèmes. C'est pourtant la ligne que défend cette proposition de résolution. Avant même la guerre en Ukraine, vous estimiez que la stratégie du « Pacte vert » faisait fausse route, avec une décroissance annoncée, un recul des exportations, des productions bio coûteuses ouvrant la porte à des importations bas de gamme. Nous connaissons ces arguments.

Sur les 40 points de cette résolution, seuls sept ont trait à la guerre en Ukraine. Les 33 autres reprennent les propositions passées de la majorité sénatoriale. Vous voulez mettre en culture les jachères prévues par la PAC pour préserver la biodiversité. Mais cette mise en culture ne concernerait que 2 % des terres arables françaises avec un faible potentiel de production. Pour ce faire, vous seriez prêts à sacrifier des avancées environnementales et des espaces de biodiversité ! Avec une telle politique, ce serait autant d'intrants et d'engrais azotés de synthèse en plus, alors que leurs prix explosent. En outre, ces achats accroîtraient notre dépendance au gaz russe.

Cette proposition de résolution défend des solutions qui n'en sont pas : mon groupe ne la votera donc pas.

M. Jean-Yves Leconte. - Comme vous, nous estimons que la crise ukrainienne aura des conséquences sur la capacité de divers pays, notamment au Moyen-Orient, à assurer leur approvisionnement en blé dans un futur proche. Pourtant, je ne suis pas à l'aise avec cette proposition de résolution. De nombreux considérants reprennent en effet ceux que vous avez formulés de longue date à l'encontre de la réforme de la PAC. Ainsi, vous estimez qu'en réduisant nos capacités de production agricole, nous importerions davantage de produits non vertueux, ce qui serait globalement néfaste à l'environnement. Mais ces débats, nous les avons déjà eus, notamment il y a quelques semaines lors de l'examen d'une proposition de résolution sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». On remet sur le métier le point d'équilibre auquel nous étions parvenus.

Nous avons le sentiment qu'il s'agit d'une réaction d'opportunité. Se pencher sur la question agricole maintenant, compte tenu de l'évolution de l'actualité, n'est pas à la hauteur des enjeux.

On pourrait réfléchir dans les prochains mois aux impacts agricoles et énergétiques des événements en Ukraine et aux conséquences que nous devrions en tirer, mais préparer en quinze jours un texte qui remet en cause ce que nous avons fait sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » me met mal à l'aise.

Nous ne pourrons donc vous suivre dans votre démarche.

M. Jean-François Rapin, président. - Le débat est libre, mais je ne peux vous laisser dire que nous avons utilisé l'opportunité que constitue la situation actuelle en Ukraine pour faire passer cette proposition de résolution.

Mme Pascale Gruny. - Très bien !

M. Jean-François Rapin, président. - Nous sommes dans l'urgence, mais également dans l'anticipation. Je suis d'accord pour faire un travail de long terme, mais la famine menace !

M. Jean-Yves Leconte. - Rappelez-vous les propositions de résolution que nous adoptions en urgence il y a deux ans pour soutenir Nord Stream 2 !

Voilà ce qui arrive quand on travaille dans l'urgence...

M. Jean-François Rapin, président. - Êtes-vous capable de me dire aujourd'hui combien de temps va durer le conflit en Ukraine ?

Il faut aussi savoir travailler dans l'urgence : la situation est grave !

M. Jean-Yves Leconte. - Je suis d'accord mais on ne doit pas travailler dans ces conditions.

M. Jean-François Rapin, président. - La stratégie « Farm to fork » devrait se traduire par une diminution de la production. Nous n'avons jamais eu de réponse de la Commission à nos demandes de clarification sur la productivité. Il a fallu que nous trouvions nous-mêmes des enquêtes réalisées par les Américains. On nous a caché des choses.

J'y insiste, le monde risque la famine demain !

M. Yves Bouloux. - Absolument !

M. Laurent Duplomb. - Je m'étais étonné, lors de l'examen le 24 février dernier de la proposition de résolution sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », de la teneur de nos interventions au vu de ce qui se passait le même jour : l'entrée en guerre de la Russie contre l'Ukraine.

Il n'est pas facile pour ceux qui agitent le drapeau rouge de penser qu'ils ont pu se tromper. Je ne dis pas qu'il ne faut pas mener une politique favorable à l'environnement. Mais pas une politique surréaliste de pénalisation permanente de toute activité pour protéger l'environnement !

Pendant des années, j'ai entendu dire que la PAC et les politiques nationales devaient contribuer à la montée en gamme de notre alimentation. Aujourd'hui, plus de la moitié des produits biologiques sont revendus en conventionnels parce qu'ils ne trouvent pas preneurs... C'est la réalité du marché actuel ! C'est comme si nous nous trouvions dans une voiture folle sans frein, sans feux, sans moteur qui va droit dans le mur : le crash est assuré.

D'autres pays réagissent avec force. Lorsque le conflit a éclaté, le gouvernement allemand a pris des décisions peu écologiques : ouvrir tous les ports de la Baltique à l'importation de gaz de schiste américain, alors que nous nous interdisons de faire quelque recherche que ce soit en Europe ; annuler la fermeture des centrales nucléaires, même si cette mesure n'a tenu que trois jours - mais la Belgique a, elle, pris la même décision.

Le dogmatisme nous a conduits à faire preuve d'une naïveté coupable. M. Fernique estime que l'inflation du prix des céréales pendant les huit mois précédant le conflit ukrainien s'explique par le réchauffement climatique, alors qu'elle découle en réalité d'un chaos mondial savamment orchestré. La Chine n'a eu de cesse pendant ces huit mois de se protéger, en important des volumes colossaux de blé, de soja, d'orge et de maïs.

Lorsque M. Jadot nous explique que, par fraternité et humanisme, les stocks mondiaux devraient être mis à disposition des quinze pays d'Afrique dépendant à plus de 50 % des importations russes et ukrainiennes, il oublie que la moitié des stocks de blé sont dans les mains de la Chine, qui n'est pas du tout prête à les céder. La Chine a des stocks qui couvrent plus de 90 % de sa consommation annuelle !

Idem pour l'énergie : la Chine a conclu un contrat supplémentaire avec la Russie le 4 février dernier pour plus de 10 milliards de mètres cubes de gaz.

De là à penser que ce pays était au courant de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il n'y a qu'un pas. Les Américains l'ont d'ailleurs dit !

Selon moi, la proposition de résolution européenne ne va pas assez loin. Il faut revoir la réforme de la PAC, les aides contracycliques, le mécanisme de régulation de l'offre pour l'adosser à une politique de stockage que l'on s'est évertué à tuer au cours des dernières années et éventuellement mettre en place des quotas pour favoriser la production et les exportations.

Mme Pascale Gruny. - Quel dommage qu'il ait fallu la guerre en Ukraine pour se rendre compte des difficultés qu'entraînera une baisse de la production agricole au vu des besoins mondiaux !

Je suis d'accord avec la proposition de résolution européenne. Les Européens que nous sommes se comportent vraiment comme de grands égoïstes. On va respirer un air sain et bien manger, tandis que les autres habitants du monde n'auront que ce qui reste, sans les mêmes normes environnementales. Est-ce cela l'Union européenne ?

L'Europe ne nous écoute pas. Nous devons mesurer les efforts faits par les agriculteurs depuis des décennies ! Il faut les accompagner dans les changements, mais en laissant du temps au temps... Si nous avions tous fait les mêmes efforts, on respirerait mieux ! Certains sont très écolos mais ne sont pas concernés : imposer des normes environnementales aux agriculteurs ne leur pose pas de problème. Mais ceux-ci sont de moins en moins nombreux et quand nous aurons tué la profession, nous n'aurons plus rien du tout ! Les agriculteurs doivent nourrir la planète, mais il ne faut pas oublier de leur donner les moyens de vivre.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Sur la forme, je suis surpris que cette proposition de résolution européenne arrive en débat sans qu'il y ait eu une grande concertation et sans que - et je parle là en mon nom propre - la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable y ait été associée. Nous aurions pu faire un travail conjoint puisque le texte évoque la biodiversité et le Green Deal, comme nous l'avons fait de manière très consensuelle sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Je sais qu'une table ronde a été organisée par la commission des affaires économiques, le 15 mars dernier sur l'impact de la guerre en Ukraine sur le marché agricole et la souveraineté alimentaire, et qu'elle a donné une orientation. Néanmoins, cette précipitation me gêne. Nous devons faire confiance à l'Europe : elle est pragmatique, puisque la Commission européenne a pris un certain nombre de mesures le 23 mars dernier pour autoriser de façon dérogatoire et temporaire la mise en culture de 4 millions d'hectares qui devaient être exclus de la production pour une mise en jachère ou réservés compte tenu de leur impact écologique. L'Union européenne a aussi prévu une enveloppe de 500 millions d'euros pour aider les producteurs.

Sur le fond, nous sommes conscients de l'urgence alimentaire dans un certain nombre de pays extrêmement dépendants du blé russe ou ukrainien. Mais on constate que les crises sont révélatrices de dysfonctionnements de nos systèmes d'organisation. Sur le plan industriel, la Covid nous a fait prendre conscience que notre souveraineté avait des limites dans le contexte d'une économie mondialisée externalisant vers des pays à bas coût des productions à faible valeur ajoutée ou concentrant sur certains lieux hyperspécialisés d'Asie la fabrication de produits de haute technicité, comme les composants électroniques. La crise remet en cause le modèle d'une agriculture productiviste et mondialisée, soumise à des marchés spéculatifs. Elle révèle la fragilité de notre souveraineté alimentaire.

La guerre en Ukraine aura un impact important sur l'approvisionnement en blé des pays extrêmement dépendants. Je fais confiance à l'Union européenne pour prendre des mesures temporaires dérogatoires qui soient adaptées. Il faudra peut-être aussi agir dans le cadre des discussions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Rendre la stratégie agricole européenne "De la ferme à la fourchette" responsable d'une future amplification de la crise me semble être un raccourci quelque peu fallacieux : il peut servir d'effet d'aubaine à ceux qui contestent les orientations européennes.

N'oublions pas que cette stratégie réserve une place importante à la sécurité alimentaire en Europe. Notre sécurité alimentaire peut être remise en cause par une multitude d'autres facteurs : le non-renouvellement des générations agricoles ; l'augmentation régulière des terres agricoles soustraites à l'alimentation au profit de cultures destinées à la production de carburant ou d'énergie ; les mutations de terres agricoles entre filières. Par exemple, les transformateurs de la filière lait normande manquent à l'heure actuelle de matières premières à valoriser.

Sans remettre en cause la stratégie et les orientations de l'Union européenne, il sera peut-être nécessaire de prendre des mesures conjoncturelles : je fais confiance à l'Europe. Il ne faudrait pas couper la branche sur laquelle on est assis : d'où la nécessité de poursuivre une exigence forte en matière, à la fois, de protection de l'environnement, de qualité des aliments et de santé publique.

Je voterai contre la proposition de résolution.

M. Pierre Cuypers. - Je suis heureux que cette proposition nous soit présentée dans des délais aussi rapides.

Il faut mesurer la fragilité et l'urgence de la situation. Notre faiblesse de réactivité au niveau européen est affligeante. La situation actuelle est dramatique : les volumes de stocks sont au plus bas, les prix sont élevés alors même qu'il s'agit de récoltes antérieures. On ne parle pas encore de la récolte à venir, d'autant que le gel peut détruire les productions et que l'absence de pluie peut en réduire le volume.

J'aurais souhaité que soit ajouté dans cette proposition un point sur les coûts de production : si nous ne sommes pas capables de produire à des coûts compétitifs, harmonisés au niveau européen, nous serons dans une situation encore plus grave demain. Nous devons réarmer nos outils de production agricole pour faire des biocarburants, de l'alimentation, de la chimie, des fertilisants dont le coût de production a été multiplié par quatre ou cinq. Dans mon département, des fertilisants ne seront pas utilisés parce qu'ils ne sont pas disponibles ou que leur coût trop élevé conduirait à produire à perte.

J'espère que la récolte de 2022 nous donnera satisfaction. Pour le moment, nous avons raison de nous inquiéter et de réagir tout de suite.

M. Daniel Gremillet. - Avec cette proposition de résolution européenne, nous ne sommes pas dans une réaction d'opportunité : nous faisons preuve de responsabilité. La sécurité alimentaire n'est pas gravée dans le marbre : elle est, on s'en rend compte, très fragile. L'agriculture s'inscrit dans un temps long. Beaucoup avaient oublié les risques. À l'école primaire, on nous apprenait que l'Ukraine était le grenier à grains de l'Europe : cette réalité historique est toujours bien réelle. Nous avions déjà alerté sur le danger de voir l'Europe baisser les bras en termes de souveraineté alimentaire. La forêt et l'agriculture sont deux surfaces en capacité de reproduction : ce sont des ressources inépuisables et je fais confiance aux nouvelles technologies pour permettre de relever les défis environnementaux. On voit bien que les pratiques évoluent en fonction des connaissances.

Nous sommes face à un défi alimentaire : il est incroyable de parler de chèques alimentaires en 2022. Aujourd'hui, 30 % des ménages font leurs courses à l'euro près. On parle de précarité énergétique. Un rapport a été remis en 2021 sur la méthanisation, la production de gaz vert sur notre territoire. Il faut apporter des réponses qui satisfont avant tout les besoins de nos concitoyens mais qui permettent aussi de relancer des productions industrielles abandonnées.

La surface agricole et forestière doit être la plus productive possible tout en respectant la biodiversité, souvent sauvegardée par la présence de l'homme et les cultures.

Je soutiens complètement la proposition de résolution européenne. Je trouve même que les alinéas 35 et 36 ne vont pas assez loin car les conflits nécessitent d'utiliser au mieux les surfaces agricoles et forestières de nos territoires.

Enfin, il faut revenir à la réalité : nous avons la chance que l'ensemble des productions mises sur le marché par les agriculteurs et les entreprises correspondent aux exigences sociétales des Français et des Européens. Lorsqu'on parle de montée en gamme, c'est en termes non pas de qualité - la sécurité alimentaire est apportée par les services de l'État à qui je rends hommage, et il serait bien qu'ils aient la même exigence pour les produits d'importation -, mais de respect des cahiers des charges s'agissant des conditions de production. Une telle montée en gamme a atteint ses limites puisqu'elle induit des contraintes et des coûts de production pour les agriculteurs qui ne sont pas couverts par l'augmentation des prix. Par ailleurs, cette exigence ne permet pas à un certain nombre de familles de se nourrir correctement.

Nous avons une obligation de réaction : c'est ce que nous faisons avec cette proposition de résolution. Je remercie les présidents des deux commissions, car ce texte permet au Sénat d'afficher sa responsabilité à un moment historique, que personne n'aurait pu imaginer. Nous avions déjà alerté sur la situation de crise que pouvait engendrer la stratégie « De la ferme à la fourchette » - une crise amplifiée par la guerre. Nous devons apporter une vision de long terme, parce que, j'y insiste, l'agriculture, c'est du temps long.

M. Patrick Chauvet. - Il aura fallu la Covid-19 et cette guerre dont on souhaite tous et toutes qu'elle se termine au plus vite pour se souvenir que l'agriculture a une vocation nourricière et alimentaire. Il ne s'agit pas d'une question d'opportunité et il faut d'ailleurs essayer de se déconnecter de la conjoncture pour examiner cette question qui est structurelle.

Je remets en cause en l'espèce la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette ». N'ayons pas la mémoire courte : dans les années 1990, des jachères de 5 à 10 puis à 15 % ont été mises en place. Un taux de 15 % en macroéconomie, c'est à tomber à la renverse ! En même temps, l'Amérique du Sud déforestait d'autant... Le bilan environnemental, si l'on sort de nos frontières européennes, n'est pas très heureux.

L'OMC et la stratégie du flux tendu constituent également un sujet. En économie, on dit que les stocks coûtent cher, mais regardez ce que nous coûte aujourd'hui le flux tendu... Il faut savoir financer des stocks. La Chine, en faisant fi des recommandations de l'OMC, a fait de larges stocks, parce qu'elle a connu les famines il y a encore pas si longtemps.

Se posent aussi des enjeux géopolitiques. Le réchauffement climatique a des conséquences encore plus dures dans les pays pauvres. L'Europe, qui a la chance d'avoir un potentiel agronomique fort, a une responsabilité en la matière.

Arrêtons d'opposer économie et environnement : les deux peuvent être pris en compte. Il faudrait aussi remettre de l'humain dans la question alimentaire. La petite musique de l'autonomie, de l'autosuffisance, de la baisse des intrants qu'on entend parfois est assez égoïste : d'un point de vue géopolitique, on sait que les pays qui n'auront pas l'autosuffisance alimentaire « généreront » soit des conflits, soit des flux migratoires importants.

Le réchauffement climatique entraîne des conséquences aussi chez nous. La France a la chance d'avoir un littoral plus épargné que d'autres par les effets du réchauffement, mais la situation est terrible dans certains pays. La Tunisie connaît déjà des problèmes alimentaires : quand il fait 48 degrés pendant plusieurs semaines, il n'y a plus rien. On ne peut pas ne pas réagir !

Je suis très favorable à la proposition de résolution. Le sujet mérite peut-être un débat plus large, mais il y a urgence.

Nous souhaitons tous que la guerre s'arrête le plus vite possible, mais je ne voudrais pas que cette réflexion fasse aussitôt « pschitt ». Car elle reviendra sous d'autres formes, par le biais soit d'incidents climatiques, soit de conflits.

M. Bernard Buis. - Face aux nouveaux enjeux géopolitiques que nous subissons, la stratégie « Farm to fork » est clairement critiquée par de nombreux responsables politiques. Pour autant, il me semble important de ne pas remettre en cause les objectifs ambitieux en faveur d'une transition agroécologique à l'échelle de l'Europe.

Certes, alors que la guerre est à nos portes, on peut s'interroger sur une philosophie agricole consistant à faire baisser notre production et augmenter nos importations. Ainsi, la proposition de résolution européenne qui nous est soumise vise dans son alinéa 40 à reconsidérer sans délai les termes de la stratégie « De la ferme à la fourchette » pour redonner la priorité aux objectifs de production agricole.

Si j'entends parfaitement les craintes relayées par cette proposition de résolution, le ministre, auditionné par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale vendredi dernier, a été clair : il faut maintenir l'objectif d'opérer une transition agroécologique en Europe.

Du reste, cette transition doit être complémentaire d'une stratégie de résilience et d'indépendance. Cette stratégie a été réaffirmée par le plan d'investissement « France 2030 » et l'initiative « France Relance ». Beaucoup d'investissements sont déployés massivement dans les engrais, la recherche et développement, et la méthanisation dans les élevages.

Dans le contexte géopolitique actuel particulièrement troublé, il faut désormais y adjoindre des objectifs de production à l'échelle européenne et d'investissement pour limiter notre dépendance s'agissant des engrais et des protéines. Ces enjeux sont poursuivis par le Gouvernement, et en particulier par le ministre de l'agriculture, qui n'a pas attendu cette proposition de résolution pour agir.

Au final, nous sommes assez partagés sur la finalité d'une telle proposition.

Sur la forme, nous nous interrogeons sur un tel texte dont de nombreux considérants ont été pris en compte par le Gouvernement. Certains d'entre eux trahissent une forme d'opportunité de la part de leurs auteurs : je pense par exemple à l'alinéa 26.

Sur le fond, nous sommes sceptiques sur quelques recommandations rétrogrades qui remettent en cause les exigences environnementales du « Pacte vert ». Nous devons en effet maintenir notre appareil de production, voire produire plus pour assumer notre mission nourricière mais sans tendre aveuglément les bras à la philosophie productiviste, dénuée de toute exigence environnementale comme au bon vieux temps des Trente Glorieuses.

Par conséquent, nous voterons contre cette proposition de résolution.

M. Jean-Claude Tissot. - Sur la forme, nous examinons aujourd'hui une proposition de résolution européenne qui nous a seulement été transmise en début de semaine, sans aucune concertation ni volonté d'associer plus largement, notamment au sein de notre commission des affaires économiques. Je suis étonné de la tournure de certaines phrases utilisées, qui semble assez caricaturale. Vous évoquez notamment une vision décroissante de la stratégie agricole européenne : nous n'avons pas dû lire les mêmes documents !

Sur le fond, sans nier les conséquences de la guerre en Ukraine sur le monde agroalimentaire et l'autonomie alimentaire, il me semble important que ce conflit ne serve pas de prétexte pour revenir en arrière sur les rares avancées environnementales européennes et qu'il ne soit pas un « pont d'or » pour l'agriculture ultra-productiviste.

Face aux crises successives que nous traversons, nous avons besoin de solutions de court terme et d'un changement de modèle à plus long terme.

À court terme, il existe d'autres réponses qui ne constituent pas des retours en arrière environnementaux : la redirection des aides de la PAC vers les filières les plus touchées, la réduction temporaire de la production de biocarburants et la réinstauration des stocks alimentaires.

À plus long terme, comme tentait très modestement de le faire la stratégie « De la ferme à la fourchette » qui est décriée dans la proposition de résolution, il faut associer les améliorations environnementales à la priorité d'une autonomie alimentaire.

Au lieu de critiquer les quelques avancées européennes, profitons de cette période de crise pour prendre conscience de la nécessité d'aller vers un modèle agroalimentaire et agricole plus durable, plus résilient, qui nous permettrait de produire plus localement avec des produits de meilleure qualité.

Les réponses à l'urgence climatique et à la souveraineté alimentaire ne sont pas incompatibles : elles sont au contraire des leviers de développement pour faire évoluer notre agriculture.

Notre groupe ne votera pas la proposition de résolution.

M. Alain Chatillon. - La France est passée de 10 milliards d'euros d'exportations il y a cinq ans à 3 milliards aujourd'hui. Nous n'avons plus que 320 000 agriculteurs, dont 30 % ont plus de 50 ans. Nous laissons entrer des milliers de tonnes de produits agricoles des États-Unis et du Canada sans contrôles, pendant qu'on impose des normes très importantes à nos agriculteurs. Il faudra aborder ce point rapidement.

S'agissant des 4 millions d'hectares de jachère que l'on pourrait utiliser pour produire des céréales, soyons clairs : ce n'est pas au mois d'avril qu'on va planter du blé !

Par ailleurs, on peut s'interroger sur l'unité européenne quand on voit que les Allemands vont acheter 35 avions F-35 aux États-Unis, en ignorant Airbus. Je suis favorable à la proposition de résolution, mais il faudrait la renforcer pour demander aux Allemands de coopérer avec l'Europe plus qu'avec d'autres pays.

Je ne suis pas contre le bio - j'ai travaillé 38 ans dans l'agroalimentaire. Je dis simplement qu'aujourd'hui, il faudrait davantage d'unité européenne. Je prendrai l'exemple du dossier Siemens-Alstom, sujet sur lequel j'ai rédigé un rapport avec un de mes collègues. Il est regrettable de ne pas avoir créé le premier opérateur européen, comme on a su le faire avec Airbus. La Commission européenne joue-t-elle son jeu au bon moment ? Il faudrait peut-être revoir le système des réglementations et d'application de celles-ci.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La proposition de résolution vise bien à répondre et à s'adapter aux conséquences durables de la guerre sur la souveraineté alimentaire. Quand on regarde l'état des infrastructures aujourd'hui en Ukraine, on sait très bien qu'il faudra de longs mois, voire un certain nombre d'années, pour reconstituer l'appareil productif. Compte tenu des impacts géopolitiques de cette guerre, la donne des relations commerciales et de l'approvisionnement en sera bouleversée pour des temps assez longs.

L'un de nos collègues affirmait qu'il fallait faire confiance à l'Europe. Mais l'Europe, c'est aussi nous ! Il en va de notre responsabilité de nous préoccuper de la manière dont l'Union va réagir face à ces nouveaux éléments. Si nous tardons trop, je m'interroge sur les conséquences d'une famine d'un point de vue évidemment humain, mais également géopolitique, avec le risque de déstabilisation des objectifs que nous avions fixés en matière de lutte contre le changement climatique.

Notre responsabilité consiste à nous adapter au nouvel ordre du monde, à tout le moins en matière alimentaire.

Nous soutiendrons cette proposition de résolution.

Mme Florence Blatrix Contat. - La proposition de résolution me pose problème parce qu'elle ne distingue pas le court terme du long terme.

À court terme, il faudra faire face aux risques de pénurie. Mais à long terme, le réchauffement climatique accroîtra ces pénuries et la dépendance de certains pays. Il ne faut pas revoir à la baisse les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique ; on ne doit pas revenir à des méthodes plus productivistes. Or, il me semble que c'est le sens dans lequel va cette proposition de résolution.

Les objectifs initiaux de diminution des pesticides doivent être conservés. Il faut prévoir la résilience de notre modèle à long terme. Nous devrons aussi accompagner les pays complètement dépendants de la Russie et de l'Ukraine pour leur approvisionnement en céréales afin qu'ils réduisent leur dépendance : c'est indispensable pour éviter les conflits.

Permettez-moi de résumer mon propos en poussant un cri du coeur : « Ne changeons pas de paradigme ! ». Il faut peut-être un changement de stratégie à court terme. Mais nous devons lutter contre le réchauffement climatique et notre agriculture doit s'y adapter.

Enfin, je souligne que le gaspillage alimentaire représente le tiers de la production agricole. Là aussi, il y a beaucoup à faire.

M. Serge Mérillou. - Cette proposition de résolution me met très mal à l'aise parce qu'elle est trop radicale et qu'elle n'a pas fait l'objet d'une concertation à la hauteur de son importance. Autant je comprends la nécessité d'augmenter la production alimentaire pour nourrir les populations, notamment les populations les plus fragiles dans les pays du pourtour méditerranéen et donc de s'affranchir temporairement des règles de soutien à la biodiversité contenues dans la stratégie « De la ferme à la fourchette », autant je ne souhaite pas que la guerre en Ukraine soit l'occasion ou l'opportunité de remettre en cause durablement le rôle et la place de l'agriculture dans la lutte contre le réchauffement climatique et le maintien de la biodiversité. Cela me paraît dangereux, parce que le réchauffement climatique aura, dans les années à venir, des conséquences très dures.

Je réitère la demande d'un débat sur le CETA (Accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada), sujet pour lequel des engagements ont été pris.

M. Jean-Michel Arnaud. - Une erreur politique aurait été de ne pas se prononcer, au travers de cette proposition de résolution européenne, sur la question de la souveraineté alimentaire de l'Europe, un sujet issu, à la fois, de la crise de la Covid et de la situation en Ukraine. C'est la raison pour laquelle je voterai ce texte.

Néanmoins, il ne faudrait pas que la rudesse de certaines formules donne le sentiment que nous sommes contre l'Europe. L'Union a été capable ces dernières semaines et ces dernières années, à l'occasion des crises traversées, de surprendre, avec des propositions en rupture avec l'idéologie que nous connaissons, et de s'adapter à l'urgence.

Cette proposition de résolution européenne nous permet aussi de faire un geste à l'égard des territoires : nos agriculteurs souffrent et se posent des questions vitales, dans tous les sens du terme. La Haute Assemblée doit montrer aux agriculteurs qu'elle ne les abandonne pas : nous sommes derrière eux pour les accompagner dans les nécessaires transitions.

Enfin, il est important de ne pas envoyer de signaux contradictoires - certaines formules radicales de la proposition de résolution s'opposent aux efforts mis en oeuvre par les agriculteurs en matière de transition écologique. Il faut maintenir un effort de haut niveau en la matière et ne pas trop lâcher la bride.

Malgré ces faiblesses de la proposition de résolution, il me semble nécessaire de l'adopter pour envoyer un signe fort à l'Union européenne et à la Commission à l'occasion des crises que nous vivons.

M. Jean-Marc Boyer. - Nous avons tous lu le rapport du GIEC. Certes, nous devons être vertueux, mais également réalistes. La France représente aujourd'hui 0,8 % des émissions de COet l'Europe 9 %, contre 28 % pour la Chine et 15 % pour les États-Unis. Les pays européens font partie de ceux qui mettent en oeuvre le plus de normes de réduction de CO2. Les autres pays ne font pas du tout les efforts nécessaires pour réduire leurs émissions. C'est la double peine pour nos agriculteurs : non seulement on veut réduire nos émissions, mais en plus on s'applique des normes que les autres pays n'appliquent pas...

J'ai été choqué de voir que des irresponsables en France avaient bloqué un train et jeté 1 500 tonnes de blé au bord d'une voie ferrée, alors que 3 ou 4 millions de réfugiés d'Ukraine vivent dans la misère totale et souffrent de la faim.

Je le redis, nous devons certes être vertueux, mais surtout réalistes par rapport à l'urgence de la situation de ces populations en détresse.

Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai écouté avec attention les positions des uns et des autres. En effet, l'urgence de la situation nécessite une réaction urgente de notre assemblée. Je le redis, il n'y a pas de contradiction entre la production et des objectifs environnementaux ambitieux, qui constituent une absolue nécessité. Simplement, les politiques qui nous sont proposées aujourd'hui au niveau européen traduisent une erreur de méthode, sur laquelle cette proposition de résolution européenne attire l'attention.

Le développement durable que nous attendons tous, c'est le développement environnemental mais aussi social. Comme l'a dit Patrick Chauvet, nous ne pouvons pas nous contenter d'avoir une vision hexagonale, voire européenne de ces questions.

L'alinéa 38 de notre proposition de résolution rappelle que « les objectifs environnementaux peuvent être atteints autrement que par une réduction volontaire » : c'est le principe de l'appareil productif, et la question de la méthode sur laquelle nous attirons l'attention. L'alinéa 40 rappelle, je souhaite le préciser, ni plus ni moins qu'une demande formulée par le Président de la République lui-même : la nécessité de reconsidérer les termes des stratégies « afin de redonner priorité aux objectifs de production agricole garantissant l'autonomie et l'indépendance alimentaire ».

M. Jean-François Rapin, président. - À la suite de la demande de Pierre Cuypers, je propose d'ajouter un alinéa 34 bis ainsi rédigé : « Plaide en faveur de la mise en place de mesures endiguant l'augmentation des coûts de production ; ».

La proposition de modification est adoptée.

La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.

La réunion est close à 10 h 30.