Mercredi 9 mars 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde avec des actrices, réalisatrices et productrices de films pornographiques

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser ma participation à distance : je me devais d'être en Charente-Maritime pour présenter le rapport d'information Femmes et ruralités : en finir avec les zones blanches de l'égalité. Je présiderai donc notre réunion à distance.

Nous travaillons depuis plusieurs semaines sur le thème de la pornographie. Nous nous intéressons au fonctionnement et aux pratiques de l'industrie pornographique, aux conditions de tournage, aux représentations des femmes et des sexualités véhiculées, ainsi qu'à l'accès de plus en plus précoce des mineurs aux contenus pornographiques et à ses conséquences en matière d'éducation à la sexualité.

Nous sommes quatre sénatrices rapporteures pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Pour la bonne information de toutes et tous, je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo accessible sur le site Internet du Sénat en direct, puis en VOD.

La pornographie et les représentations qui en sont issues occupent une place croissante dans notre société, et ce notamment depuis l'avènement d'Internet, des réseaux sociaux et des tubes - ces plateformes qui proposent gratuitement des dizaines de milliers de vidéos pornographiques.

D'après les chiffres récents dont nous disposons, les sites pornographiques affichent une audience mensuelle de 19 millions de visiteurs uniques, soit un tiers des internautes français. En outre, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques et, à 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à de telles images.

Par ailleurs, les graves dérives du milieu pornographique français dont la presse s'est récemment fait l'écho nous amènent à nous interroger sur les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages. Nous avons également entendu des associations féministes, qui considèrent que ces derniers relèvent de la prostitution filmée et du proxénétisme.

Pour nourrir nos réflexions, nous accueillons aujourd'hui quatre professionnelles du secteur pornographique : Nikita Bellucci, actrice, réalisatrice et productrice ; Knivy, actrice et Cam girl, également membre de la commission Pornographies et webcam du Syndicat du travail sexuel (Strass) ; Carmina, actrice et réalisatrice revendiquant la réalisation de contenus alternatifs plus inclusifs et plus féministes ; et Liza Del Sierra, ancienne actrice, aujourd'hui productrice et réalisatrice.

Je vous souhaite à toutes la bienvenue.

Nous vous laisserons d'abord nous présenter votre parcours personnel et les circonstances de votre entrée dans la pornographie. Vous nous donnerez ensuite votre vision des pratiques actuelles du secteur. Nous nous interrogeons notamment sur les changements entraînés par la massification de la pornographie en ligne. Quelles évolutions avez-vous constatées à la fois dans les pratiques des professionnels du secteur et dans les contenus proposés, qui semblent de plus en plus extrêmes et dégradants. Partagez-vous cette vision ?

Nous nous inquiétons aussi des conséquences de ces évolutions sur les mineurs. Nikita Bellucci, vous vous exprimez régulièrement sur la nécessité de mieux protéger ces derniers face aux contenus pornographiques en ligne. Vous avez-vous-même été contactée sur les réseaux sociaux par de très jeunes garçons : vous pourrez nous exposer votre regard sur ce sujet.

En ce qui concerne les conditions d'exercice des personnes filmées, avez-vous été surprises par les pratiques dénoncées dans la presse ou étaient-elles largement connues ? Sont-elles fréquentes ? Vous faites partie des quelques actrices connues, et certainement armées, pour défendre vos droits et vos choix, mais qu'en est-il des dizaines de femmes anonymes que seule la précarité économique et sociale pousse dans ce secteur ?

Par ailleurs, quelle est l'approche de la réalisatrice et de la productrice que vous êtes sur les conditions de tournage des films pornographiques ?

Nous nous intéressons aux chartes déontologiques mises en place par plusieurs producteurs français. Liza Del Sierra, vous avez piloté l'élaboration d'une telle charte : vous nous expliquerez comment vous avez procédé pour la rédiger, ce qu'elle contient et quelles actions vous menez pour la faire appliquer.

Plus généralement, nous sommes intéressés par les recommandations que vous pourriez formuler en faveur des personnes filmées.

Nikita Bellucci, actrice, réalisatrice et productrice. - Je travaille en tant qu'actrice depuis douze ans, essentiellement pour l'industrie pornographique. Depuis 2019, je suis productrice de mes propres contenus. Je suis également coréalisatrice d'un long métrage diffusé en septembre dernier sur Canal+.

Je prends régulièrement la parole dans les médias et les réseaux sociaux pour alerter sur les dangers de l'accessibilité du X aux mineurs. J'ai abordé ce sujet dès 2018, après avoir reçu des messages à caractère sexuel de la part de mineurs âgés de 11 à 15 ans. J'ai publié mes échanges avec leurs parents, lorsque j'arrivais à remonter jusqu'à eux.

Je collabore actuellement avec l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique sur le lancement d'une grande campagne de sensibilisation.

Nous allons également nous adresser aux adolescents afin de déconstruire certaines idées reçues sur la pornographie, de cibler les sources d'influence sexualisées qu'ils croisent sur les réseaux sociaux, de leur éviter de s'enfermer dans des stéréotypes, d'aborder la question du consentement et du rapport au corps et de réfléchir au respect de l'altérité.

En février dernier, j'ai été conviée par le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance Adrien Taquet à une table ronde pour évoquer les mesures à prendre concernant Internet et la protection de l'enfance. J'ai notamment rappelé qu'il n'est pas rare de trouver du contenu pornographique non flouté sur Twitter, même après plusieurs signalements. Twitter ne propose aucun dispositif pour réguler ces contenus, pas plus que Google, puisqu'il suffit de taper un mot-clé à caractère sexuel dans la barre de recherche images pour découvrir des milliers de contenus pornographiques sans même avoir ouvert la moindre page d'un site porno.

J'ai encore rappelé, lors de cette table ronde, que des stars de téléréalité proposent leurs photos et vidéos à caractère intime à leur public, largement composé de mineurs, sans la moindre prévention. Je ne cesse de marteler que le genre pornographique est un spectacle cinématographique fait par des adultes pour des adultes, qui n'a donc pas vocation à faire l'éducation sexuelle des enfants. Il ne s'agit pas d'un reflet de la réalité.

Nous sommes moins définis par la notion de travailleurs du sexe que par nos fonctions d'acteurs et d'actrices. Non, nous ne sommes pas dans la satisfaction de nos partenaires, comme le serait une prostituée ou un prostitué. Notre travail n'existe que par le prisme de l'écran et de la caméra, pour la seule satisfaction émotionnelle des adultes qui regarderont nos images. Nous sommes des acteurs, des actrices, des techniciens de l'industrie cinématographique dans sa globalité.

J'ai commencé à une époque où de multiples sociétés de production, de petite ou moyenne importance, existaient encore. Elles ont aujourd'hui toutes disparu ou ont été absorbées par les deux entités que sont Dorcel et Jacquie & Michel. Les tournages en France se font rares : la plupart des productions se font avec l'aide de Canal+, diffuseur historique. Les actrices ne font plus carrière, puisqu'il n'y a pratiquement plus d'écosystème économique.

Qu'en est-il des récentes mises en examen ? Oui, j'ai croisé, au cours de ma carrière, ces réalisateurs - les  « Pascal OP », « Matt Hadix » ou encore « Oliver Sweet ». Et oui, j'ai été victime de l'un d'entre eux. Attention, ce ne se sont pas les pratiques sexuelles filmées ce jour-là qui me posent problème. J'ai fait des performances bien plus audacieuses ailleurs. La scène en question m'a laissé l'impression d'avoir été, un soir de 2012, victime d'un abus de faiblesse et d'un non-respect évident de mon consentement. J'ai été la victime d'une façon de faire, d'une méthode de fabrication, qui n'a rien à voir avec le métier qui est le mien, qui fait tache avec l'industrie que je défends. Pis encore, ces gens sont les rejetons d'un système, d'une méthode de production qui n'a que faire des actrices, ou plutôt des amatrices qui rêvent d'une carrière glamour à la Clara Morgane. Ces filles sont, comme je l'ai été, victimes de rabatteurs, de manipulateurs, de prédateurs portés par un diffuseur qui doit sa réussite économique à la seule exploitation de la candeur des victimes et de leur corps.

Comment ce groupe a-t-il pu laisser carte blanche à ces petites mains qui lui fournissent quotidiennement les contenus dont il a besoin ? Tout simplement parce qu'il n'existe aucun véritable statut, aucune légitimité, aucune existence légale pour les acteurs et les actrices qui oeuvrent dans la pornographie en France. Si elles sont actrices, pourquoi n'y a-t-il pas de syndicat interprofessionnel pour défendre leurs intérêts ? Si elles sont actrices, pourquoi n'existe-t-il pas d'agences pour protéger les débutantes ? Si elles sont actrices, pourquoi n'existe-t-il pas d'associations d'artistes et de techniciens autres que les associations féministes pour les soutenir lorsqu'elles ont été abusées, à l'exception des activistes anti-porno qui les feront culpabiliser ?

Tout simplement parce que les actrices ne sont définies que par le travail du sexe, ce qui revient, aux yeux de l'État, à flirter avec la notion de proxénétisme. Pourquoi ai-je dû pousser la porte de cinq commissariats pour que ma plainte soit prise en compte ? Pourquoi avoir dû entendre des propos tels que : « Vous comprenez, Mademoiselle Bellucci, ce que vous décrivez, ce sont les risques du métier et vous avez signé pour ça. » ?

Mon métier n'existe pas. Les acteurs et actrices n'existent pas. Pourtant, les consommateurs et consommatrices existent bel et bien et constituent même l'essentiel du trafic Internet mondial.

Je vous remercie de nous accueillir au sein de cette institution. Oui, notre profession a besoin d'être reconnue pour se structurer, besoin d'être encadrée pour se professionnaliser et besoin d'un droit du travail en relation avec sa réalité. Non, il ne s'agit pas d'une énième invention de l'industrie cinématographique dite « capitaliste » et « patriarcale » pour réaliser un magnifique washing en ces périodes agitées. Nous agissons parce que nous sommes concernés par toutes ces questions, parce que nous sommes également parents et citoyens de ce pays, attachés aux valeurs républicaines et défenseurs d'un genre cinématographique et d'une industrie à part entière.

Knivy, actrice, Cam girl, membre de la commission Pornographies et webcam du Strass. - Je représente la commission pornographique du Syndicat des travailleurs du sexe.

Nous sommes en train de travailler à la rédaction de conventions collectives pour améliorer la sécurité des actrices. Nous dénombrons de très nombreuses victimes. Je suis en contact avec une des commissaires de police qui gère l'affaire « Pascal OP-Matt Hadix ». Nous sommes plus d'une soixantaine à avoir subi, à nos débuts ou en cours de carrière, des actes de manipulation divers et variés. J'ai aussi été victime de certains incidents. Ces personnes savent comment nous piéger pour nous faire tourner des scènes qu'on ne désire pas faire ou qui ne figurent dans aucun contrat.

À cet égard, il nous faut établir des contrats non pas seulement pour les diffuseurs, mais aussi pour les actrices. Nous aimerions également que le Strass soit destinataire d'une copie pour en conserver une trace.

Nous avons plusieurs propositions à formuler pour la sécurité et le bien-être des actrices à la suite des chartes mises en place par Jacquie & Michel et Dorcel.

La commission du Strass dédiée à la pornographie travaille actuellement sur ces contrats. La question du tarif minimum est aussi évoquée, car le travail est sous-payé. Certains producteurs s'enrichissent en revendant leurs films aux grosses sociétés.

Nous souhaitons également que le scénario soit envoyé avant le tournage et que les noms des acteurs y figurent. Toutes les démarches doivent être faites de manière professionnelle. Un coup de téléphone de dix minutes ne doit plus suffire pour engager une actrice sur un tournage, sans aucune trace officielle.

Comme l'a souligné Nikita Bellucci, les actrices n'ont aucun statut. Nous réfléchissons à nous rapprocher de celui des intermittents du spectacle.

Nous souhaitons aussi mener une réflexion sur le droit à l'image. Il s'agit de définir une durée d'exploitation avec les entreprises et les diffuseurs. Un acteur ou une actrice doit pouvoir demander que les vidéos dans lesquelles il apparaît soient retirées au bout de cinq ou dix ans, par exemple. De même, les droits doivent être renouvelés, car les plateformes gagnent de l'argent avec les vidéos postées alors que les acteurs sont seulement payés à la scène ou au film.

Il faut également réfléchir à la rédaction de contrats spécifiques en cas de collaboration entre acteurs et actrices via des plateformes personnelles comme Onlyfans, par exemple.

Carmina, actrice et réalisatrice. - J'ai plusieurs casquettes au sein de l'industrie pour adultes : je suis actrice, réalisatrice et productrice de courts-métrages pornographiques alternatifs. Je suis également rédactrice en chef du magazine en ligne Le Tag Parfait, spécialisé dans les cultures pornographiques. Je suis une des organisatrices du festival Snap, dédié aux autoreprésentations artistiques et politiques des travailleuses du sexe et j'ai également coréalisé un documentaire sur les métiers du sexe en ligne.

Mon parcours est un peu particulier : j'ai commencé voilà huit ans comme journaliste spécialisée dans l'industrie pour adultes. J'ai donc à la fois une vision globale et individuelle de l'industrie. Je ne suis pas là pour condamner les pornographies puisque j'en regarde, j'en produis et j'en crée. Je milite pour les droits des travailleurs et travailleuses du sexe et pour créer des espaces où ils et elles peuvent s'exprimer.

Toutefois, comme mes collègues, j'affirme qu'il faut dénoncer certaines entreprises et certains individus et leurs mauvaises méthodes de tournage, de production et de distribution.

J'ai commencé à écrire pour Le Tag Parfait en 2013. Ce métier de journaliste m'a amené à réfléchir sur l'industrie du X, sur sa richesse culturelle, artistique et politique et sur la façon très ambivalente dont elle est perçue par le grand public. J'ai beaucoup appris sur le milieu, sur les gens qui y travaillent, mais aussi sur ses dérives.

Je suis devenue modèle érotique en 2014 dans une démarche de réappropriation de mon corps et de ma sexualité. J'ai commencé par des shows webcam érotiques sur de grandes plateformes de streaming pour adultes. En parallèle, j'ai raconté cette expérience enrichissante dans un blog. Ce sont ces billets qui m'ont valu d'être sollicitée par des médias pour mon témoignage de travailleuse du sexe, puis d'être invitée à prendre la parole en public dans des tables rondes et des conférences politiques. Durant toutes ces années, j'ai pris conscience de la difficulté d'être une femme, surtout dans ce milieu, mais aussi du stigmate social : j'ai subi du harcèlement en ligne ; j'ai vécu de la discrimination dans mon emploi plus « classique » ; j'ai perdu des amis ; j'ai également été la proie de réalisateurs malhonnêtes, qui voulaient profiter de mon statut de débutante en me faisant miroiter des tournages grassement payés...

Le travail du sexe a éveillé ma conscience politique. Il m'a fait comprendre les enjeux féministes et politiques qui se jouent dans la pornographie et dans les autres métiers du sexe.

En travaillant pour ce magazine, j'ai découvert une partie des coulisses de l'industrie. J'ai appris les rumeurs qui circulaient sur plusieurs marques françaises de porno qui produisaient des films dans de mauvaises conditions. J'ai aussi entendu parler de réalisateurs qui ne respectaient pas les actrices ni leur consentement. Dès 2015, Le Tag Parfait dénonçait les premiers acteurs américains accusés de violences envers leurs partenaires de tournage. Cependant, à l'époque, il paraissait très difficile de faire de même dans le milieu français : dès que nous osions critiquer certains comportements, des membres de la rédaction et leur entourage subissaient des pressions permanentes, soit directement par téléphone ou par mail, soit à travers des menaces plus insidieuses venant de comptes anonymes sur Internet - j'ai moi-même été frontalement insultée par le groupe Jacquie & Michel en public sur Twitter, car j'avais osé émettre un avis négatif sur l'une de leurs campagnes promotionnelles.

Dans le même temps, j'ai eu la chance de faire des reportages sur des festivals dans le milieu du porno dit « alternatif », encore trop méconnu. Ces festivals présentent beaucoup de styles de pornographie différents. J'ai visionné des centaines de films, tantôt politiques, tantôt éducatifs, tantôt drôles, tantôt dramatiques. J'ai pu constater qu'il y avait beaucoup de productions respectueuses, éthiques, féministes et inclusives qui faisaient avancer les pornographies dans le bon sens, ainsi que des événements subventionnés et sponsorisés qui les mettaient en avant.

J'ai rencontré des actrices, des réalisatrices et des artistes passionnants, intéressants et très impliqués. Le milieu alternatif produit un porno différent de celui qu'on voit dans les médias, un porno qui s'écarte de la norme. C'est un milieu qui dénonce les agressions sexuelles qui se produisent dans notre métier et les mauvaises conditions de travail, qui lutte contre les productions sexistes et racistes et qui oeuvre pour changer les représentations des minorités et des sexualités. C'est un milieu qui respecte l'humain avant tout.

Cette rencontre avec le monde alternatif m'a inspirée et, à mon tour, j'ai voulu faire évoluer les choses de l'intérieur en produisant en France un porno différent, dans lequel on pourrait mettre en avant les regards et les désirs féminins. J'ai décidé de produire et de réaliser seule mon premier court-métrage pornographique alternatif en 2017, dans lequel je me suis mise moi-même en scène. À ce moment, j'avais parfaitement conscience de la réalité complexe du secteur et de l'impact inévitable que cette décision aurait sur ma vie.

Par la suite, j'ai créé ma société et mon label pour pouvoir produire de la manière la plus éthique possible. Mon projet, depuis le début, consiste à faire des films qui portent mes valeurs féministes intersectionnelles, respectueux des acteurs et des actrices et de leur consentement, mais aussi des techniciens et des techniciennes qui participent à la création des films. Je souhaite mettre en avant le plaisir et les fantasmes féminins et montrer que la femme peut-être sujet d'une représentation pornographique plutôt qu'un objet. Je m'efforce d'être la plus inclusive possible, de mettre en avant les minorités visibles, les personnes LGBTQ+, de représenter des corps, des expressions de genre et des sexualités différents. Je souhaite que mes films puissent exister comme une alternative aux productions culturelles - je dis bien culturelles et pas uniquement pornographiques - trop souvent sexistes et racistes qui pullulent dans notre environnement médiatique.

Mes films s'adressent à toutes les personnes qui ne se sentent pas représentées ailleurs ou qui attendent un peu plus de la pornographie qu'un simple divertissement.

Pour produire un film, je m'entoure le plus possible de femmes et de personnes LGBTQ+, que ce soit devant ou derrière la caméra. Je choisis toujours des personnes enthousiastes à l'idée de participer à un tournage de films pour adultes et qui partagent mes valeurs féministes et mon éthique de travail. Les actrices et acteurs sont toujours au courant des personnes avec lesquelles ils vont tourner. Je demande si le choix des partenaires convient, ainsi que le contexte et le scénario du film. J'informe les acteurs et actrices qu'ils peuvent venir accompagnés s'ils le souhaitent. Je demande, bien évidemment, les dépistages nécessaires à la sécurité de chaque participant à la scène. Aucune pratique sexuelle n'est imposée ni chorégraphiée, tous les actes sont laissés libres aux actrices et aux acteurs. Ils peuvent d'ailleurs en discuter et en décider seuls avant la scène sans que ni ma présence ni ma validation soient nécessaires. Ma priorité, à chaque tournage, est que chacun et chacune se sente en sécurité, soit satisfait de sa journée et du résultat et se sente à tout moment en position de dire non.

Mes films sont payants et accessibles uniquement sur Internet et sur mon propre site. Je fais également signer des contrats établis par une professionnelle du droit.

En tant qu'actrice, j'ai eu la chance de tourner pour des productions en France et au Royaume-Uni, dans des conditions excellentes. J'ai pu être écoutée, respectée et payée correctement. J'ai beaucoup apprécié ces expériences.

Je filme également régulièrement du contenu amateur avec des collègues que je choisis avec précaution et avec lesquels je définis toujours au préalable les conditions de notre collaboration. Ces contenus sont en train de devenir une vraie tendance dans l'industrie, qui connaît une mutation profonde. En monétisant des contenus de manière indépendante, les plateformes comme Onlyfans ou même certains tubes permettent à qui le souhaite de se lancer facilement. On assiste à une diversification des contenus et des manières de filmer.

Aujourd'hui, il existe autant de points de vue sur le sexe que de créateurs et de créatrices de contenus pornographiques. Dans cette configuration, il n'y a plus de producteur ou de tierce personne : on est libre de filmer ce que l'on veut et de travailler avec qui l'on souhaite. La plupart des indépendants travaillent seuls ou en couple avec leur partenaire de la vie réelle et ce qu'on voit à l'écran est un instant mis en scène de leur propre sexualité.

J'ai conscience d'être privilégiée, puisque j'avais assez de contacts dans l'industrie pour savoir de qui me méfier à mes débuts. Je pouvais me permettre de refuser des propositions de travail car j'avais un salaire grâce à mon emploi classique. Mais il n'en va pas de même pour toutes les personnes qui arrivent dans le secteur. Or il n'existe pas de guide, pas de formation, pas d'organisme de soutien pour se lancer comme professionnelle de films pour adultes. Une actrice débutante, qui arrive souvent en n'y connaissant rien ou pas grand-chose, n'est pas assez entourée. Personne ne lui explique comment naviguer dans ce milieu difficile. Elle n'a pas le droit de prendre un agent pour la protéger ou pour défendre ses intérêts en raison de la loi sur le proxénétisme. Elle se retrouve donc seule face à des entreprises et des individus focalisés sur l'argent et les profits dont elle peut être la source, sans aucun pouvoir de négociation, sans connaissance sur le milieu, sans savoir ce qu'elle est en droit d'exiger ou non.

De plus, comme l'ont souligné mes collègues, si jamais elle subit une agression sexuelle, comment porter plainte en tant que travailleuse du sexe dans un monde qui peine déjà à entendre les victimes ? Vers qui se tourner lorsque toute la société nous tourne le dos. Les seules structures prétendument féministes qui pourraient accompagner des actrices veulent soit nous « sauver » soit nous voir disparaître plutôt que de nous aider et de nous soutenir.

Les lois et les débats publics autour de la pornographie sont responsables de la situation très difficile dans laquelle nous nous trouvons en tant que travailleuses du sexe. Légiférer et débattre pour ou contre le porno contribue au stigmate social et au statut de paria qui pèsent sur les personnes évoluant dans ce secteur. Cela expose les actrices à des situations de domination, contrairement à d'autres secteurs où elles pourraient accéder à des informations et seraient écoutées et accompagnées. Cette situation a permis les abus qui ont été constatés ces derniers mois.

C'est grâce à notre solidarité que nous survivons aujourd'hui. On m'a plusieurs fois fait comprendre qu'on ne souhaitait pas travailler avec quelqu'un qui produisait de la pornographie : comptables, banquiers, avocats, divers prestataires, j'ai essuyé de nombreux refus sans aucune raison valable. Produire des films pornographiques est pourtant une activité parfaitement légale en France et je m'efforce justement de tout faire dans les règles, en portant des valeurs féministes et humaines.

On me refuse également les subventions du Centre national du cinéma, alors que ma société y cotise. Ma banque ne veut pas m'accorder de prêts... Dès lors, comment peut-on produire dans de bonnes conditions ? Je fais mes films de manière artisanale, sur un marché dominé par de grandes multinationales, dont le modèle de fonctionnement ne laisse pas de place à l'humain et privilégie toujours l'argent. J'ai choisi, autant que possible, de ne pas travailler avec elles pour respecter mes valeurs. Mais tout le monde n'est pas toujours en mesure de refuser cet argent. On doit alors choisir entre travailler avec des personnes ou des sites dont on ne partage pas les valeurs ou ne pas travailler du tout.

Faire de la pornographie n'est pas une violence en soi. Ce peut être un métier dans lequel on s'épanouit. C'est mon cas et celui de beaucoup de collègues. Je le constate tous les jours dans mon métier de journaliste et dans celui d'actrice ou de réalisatrice, la quasi-totalité des personnes que je côtoie depuis mes débuts sont heureuses de travailler dans ce milieu et de pouvoir s'exprimer en tant qu'artiste, à travers la réalisation de films pornographiques.

Comme dans toute industrie, des hommes commettent des violences sexistes et sexuelles. Ils doivent être condamnés. Je me réjouis que les victimes soient aujourd'hui entendues. Nous assistons enfin au #MeToo du porno, à l'instar des autres genres de cinéma et d'autres secteurs comme le théâtre, la télévision, la mode, la publicité, les directions des grandes écoles ou le journalisme. Mes collègues ici présentes et moi-même faisons partie d'un groupe de personnes qui veulent faire un porno plus éthique et respectueux qui puisse incarner le futur de cette industrie. Nous avons besoin de l'écoute et du soutien des instances politiques. J'espère que tel sera le cas aujourd'hui.

Liza Del Sierra, ancienne actrice, productrice et réalisatrice. - J'ai 36 ans, je suis en couple, je suis maman et je suis issue de la classe moyenne, d'une fratrie de cinq enfants. Dans le X depuis maintenant dix-huit ans, j'ai travaillé en France, en Europe de l'Est et aux États-Unis. J'ai tourné plus de 1 000 films pour une bonne centaine de productions. J'ai arrêté ma carrière en 2013. J'ai alors fait le choix de privilégier ma vie privée et amoureuse. Les compétences et aptitudes acquises lors de ma carrière ne furent pas reconnues lors de mon retour à la vie réelle. Inspirée par ma maman, je suis devenue auxiliaire de vie, puis aide-soignante et enfin infirmière diplômée d'État - le tout en étant également réalisatrice et productrice.

Je suis une femme qui porte de nombreuses identités : maman, soignante, productrice, réalisatrice, créatrice de contenus et militante.

Ma carrière a commencé en 2004. J'ai débuté par hasard, pas du tout de manière préméditée. J'ai vécu cette expérience comme une performance, un spectacle, un show parfaitement asexué. À 19 ans, je n'avais pas beaucoup d'expérience. C'est au fur et à mesure que j'ai investi les tournages, que j'ai habité Liza Del Sierra, que j'ai assumé mes fantasmes et, surtout, que j'ai pris du plaisir dans ma carrière. J'ai arrêté en 2013, par envie d'exclusivité, mais aussi pour permettre à Émilie d'exister.

Je suis revenue en 2017. J'ai repris le chemin des tournages pour quelques scènes. À l'époque, célibataire meurtrie, le X m'a permis, maquillée, coiffée, désirable et désirée, de me réapproprier ma vie et de retrouver confiance en moi.

Comme beaucoup de comédiens mainstream, j'ai ressenti le besoin de passer derrière la caméra. L'occasion m'en a été donnée et ce fut une révélation. Productrice et réalisatrice, j'ai beaucoup de satisfaction à être le chef d'orchestre, à réunir jusqu'à vingt-cinq personnes sur un tournage pour pouvoir laisser libre cours à ma créativité.

Mon métier m'amène à négocier avec des partenaires historiquement masculins, les diffuseurs, qui m'ont accueillie d'égal à égal et qui me font confiance. À l'aube de mes 40 ans, j'ai le sentiment d'avoir réussi ma vie professionnelle. Ce n'est pas un sentiment nouveau car je l'ai aussi ressenti en tant qu'actrice, aide-soignante et infirmière.

Je voudrais profiter de cette audition pour apporter publiquement mon soutien aux victimes. Je condamne fermement ces actes odieux. Pour autant, ils ne sont pas du tout représentatifs de la pornographie que je connais depuis dix-huit ans. Je suis bien placée pour comprendre et partager, tout comme vous, la souffrance des victimes. Mais je me porte en faux contre ceux qui veulent profiter de ces souffrances et ces abus pour censurer une forme d'art.

Refuser de voir que les choses se passent très bien dans de nombreux cas reviendrait à un manque d'honnêteté intellectuelle. Nous pouvons avoir ce débat, mais il faut le mener sérieusement. Il est important de respecter les choix assumés de femmes et d'hommes souvent synonymes de libération et d'épanouissement.

Le X est une industrie, un business à caractère capitaliste. Comme dans tout autre secteur, on y rencontre des problèmes, des dérives et des abus. Pourquoi ne pas y répondre en donnant aux actrices, et plus largement aux travailleurs du secteur, des moyens légaux pour exercer dans de meilleures conditions à travers des structures syndicales, des négociations collectives, un encadrement médical et un contrôle de l'inspection du travail ?

La pornographie est un divertissement pour adultes. À charge pour les pouvoirs publics de faire en sorte qu'elle le reste et qu'elle le devienne concrètement. Ce n'est pas aux actrices de régler les failles de l'État et des instances de contrôle concernant la régulation des contenus pour les mineurs. Pour autant, je ne méconnais pas le rôle dévastateur de la pornographie sur les plus jeunes.

L'éducation à la sexualité relève notamment du domaine du politique. Nous serons toujours pour le blocage des contenus et les sanctions de la justice, surtout s'il s'agit de protéger les plus jeunes et de condamner les criminels. Par contre, je m'y opposerai si ces sanctions visent à empêcher les gens de faire un métier qu'ils choisissent.

La question des conditions de travail est au coeur de mon engagement. À mes débuts, je n'avais pas d'expérience professionnelle, mais j'ai toujours été vigilante à mes contrats - transports, hébergement, choix de mes collaborateurs... - pour ne laisser place à aucun amateurisme.

Devenue réalisatrice, j'ai eu à coeur de mettre en scène le plaisir, simulé ou non, dans le cadre de rapports toujours consentis. Aujourd'hui productrice, je suis aussi infirmière. Je travaille tous les jours dans des conditions difficiles. Je me suis donc interrogée sur les conditions de travail que je proposais.

J'ai alors décidé d'élaborer une charte déontologique. Je suis partie du constat que moi, Liza Del Sierra, star du X, forcément privilégiée, je n'étais pas à même d'identifier les problèmes actuels ni d'apporter des solutions. J'ai donc fait appel au sociologue Alexandre Duclos pour auditionner les personnes qui vivent ce métier aujourd'hui - actrices, acteurs, réalisateurs, producteurs, diffuseurs, directeurs de production, photographes, maquilleuses, coiffeuses, community managers, chefs-opérateurs, assistants-réalisateurs... - ainsi que les consommateurs et le représentant d'une association liée aux travailleurs du sexe. Durant quatre mois, nous avons mené des entretiens, recueilli et analysé les attentes et suggestions faites librement, sous couvert d'anonymat, par trente et une personnes.

Toutes ces données nous ont permis d'élaborer une première version sur laquelle ont pu revenir les participants puis Matthieu Cordelier, avocat spécialisé dans la e-réputation et le cyberharcèlement. Le 21 avril 2021, nous avons publié la charte déontologique et ses dix-huit recommandations concrètes. Il s'agit d'un travail perfectible, mais sérieux et honnête, d'un acte de responsabilité.

C'est avec fierté que je peux dire que de nombreuses actrices réclament l'application de la charte déontologique pour se présenter en tournage. Diverses productions semblent la mettre en oeuvre et le revendiquent. Les deux plus grands diffuseurs français que sont Canal+ et Dorcel ont contractualisé l'application de la charte. Tout cela démontre une envie généralisée d'instaurer un cadre et une reconnaissance pour toute une industrie trop souvent niée, ce qui a probablement permis à une minorité de perpétrer des abus.

La pornographie a toujours existé mais elle n'est une industrie que depuis quelques décennies. Jeune, en pleine évolution, elle doit encore devenir mature et responsable. Nous devons y arriver ensemble. La charte ne constitue que la première étape. Nous en appelons à vous pour étoffer, en co-construction, un cadre réglementaire dans lequel cette industrie légale pourra se développer comme tout autre secteur d'activité.

Je vous remercie donc d'avoir organisé cette table ronde. Je vous en remercierai d'autant plus si elle permet d'aboutir à un cadre réaliste et efficient.

La dignité des femmes est en danger dans tous les recoins de la société. La pornographie, en tant que divertissement pour adultes, ne doit pas devenir le centre d'un pseudo-débat empreint d'une certaine moralité. Le travail ne doit pas déroger au consentement à disposer de son corps. Je ne comprends pas la position conservatrice et prohibitionniste en matière de pornographie. S'il est question ici d'égalité entre les hommes et les femmes, il faut réglementer, faire de la pédagogie et protéger les plus faibles.

Quoi de plus beau que les mains d'un paysan, la jambe effilée d'une danseuse ? Pourtant, la terre abîme et la danse aussi. Le travail abîme autant qu'il façonne. L'effort fait les beaux métiers ; ce qui est violent, c'est l'effort non consenti ou un lien de subordination abusif.

Nous avons besoin de vous pour réglementer. Nous avons besoin de conventions collectives pour l'industrie. Nous avons besoin de syndicats pour faire entendre les voix des performeurs et des techniciens sur le long terme. Nous avons besoin d'audits pour vérifier que le cadre est bien respecté. Nous avons besoin de groupements d'employeurs pour professionnaliser le secteur.

Reconnaître aujourd'hui l'importance d'un encadrement, d'une réglementation et d'une éthique de la pratique - je parle ici d'une éthique minimaliste : ne pas nuire aux autres, considérer chacun de manière égale et accepter que ce que l'on se fait à soi-même ne relève pas de la morale -, c'est aussi nous reconnaître et reconnaître les plus de 70 % de Françaises et de Français qui consomment de la pornographie aujourd'hui.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie de vos témoignages. Vous avez chacune vécu la pornographie de manière différente : certaines d'entre vous ont parlé de travailleurs du sexe, de métiers du sexe, d'autres ont évoqué l'art et la culture.

Un encadrement est nécessaire. La voie commence à être tracée avec l'élaboration de certaines chartes déontologiques.

Les sénatrices et sénateurs engagés sur ce sujet ne veulent pas d'un pseudo-débat et ne cherchent pas à s'ériger en censeurs ni en défenseurs de la morale. Nous sommes là pour travailler, pour voir les faiblesses et les écueils du milieu de la pornographie et faire des propositions. Il ne s'agit pas ici d'être pour ou contre la pornographie.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Merci, Mesdames, de vos témoignages. C'est la première fois que la délégation aux droits des femmes s'intéresse au sujet de la pornographie et nos différentes auditions dressent un tableau à plusieurs facettes : vos témoignages diffèrent de ceux des sociologues, des associations féministes ou des différentes instances de contrôle que nous avons entendus. C'est très bien d'avoir ces approches multiples.

Certaines d'entre vous ont employé les termes de « travailleuses du sexe », ce qui, pour moi, renvoie à la prostitution. J'aimerais connaître votre point de vue sur la porosité, ou non, entre pornographie et prostitution. Carmina, vous avez vous-même évoqué l'impossibilité pour les actrices d'avoir un agent en raison de la législation sur le proxénétisme.

On légifère pour la majorité. Or vos témoignages me semblent différer de ceux que j'ai pu lire ou entendre de la part de personnes ayant été la proie de véritables prédateurs. Vous demandez la création d'un cadre légal et la signature de contrats, mais je m'interroge sur la notion de consentement, qui est assez complexe et qui peut fluctuer pour les signataires de tels contrats.

Un certain nombre de personnes ayant été filmées souhaiteraient pouvoir retirer les contenus sur lesquels elles apparaissent, sans y parvenir. Comment répondre à cette situation ?

Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question de la protection des mineurs. Aujourd'hui, n'importe qui, quel que soit son âge, peut avoir accès à la pornographie. Les enfants y sont exposés de plus en plus tôt. Ils assimilent alors pornographie et réalité des rapports sexuels, ce qui engendre des pertes de repère avec le réel. Je ne pense pas que le travail des acteurs et des actrices et celui des politiques puissent être totalement hermétiques entre eux.

Carmina. - Aujourd'hui, le travail du sexe, ce n'est plus seulement la prostitution, mais tous les métiers liés à la sexualité : la prostitution, l'escorting, la domination, le téléphone rose, le strip-tease, les modèles webcam, les actrices X...

Mes productions, dans la mesure où il s'agit de cinéma, sont par essence culturelles. Mes acteurs, qui réalisent les actes sexuels pour mes films, sont, à mon sens, des travailleurs et travailleuses du sexe. Cela étant dit, chacun est libre de s'auto-représenter et s'auto-dénominer comme il le souhaite.

Le consentement est effectivement une notion qui peut fluctuer. C'est la raison pour laquelle on discute avant la scène de ce que les acteurs et actrices souhaitent faire ou ne pas faire. Les envies peuvent changer d'un jour à l'autre, en fonction du partenaire, par exemple. L'important est de respecter ce qui a été décidé le jour même. C'est de cette manière que je fonctionne, ainsi que toutes les personnes que je côtoie dans le milieu alternatif. Je sais qu'il en va de même dans les productions de Liza Del Sierra ou de Nikita Bellucci, par exemple.

Je n'ai encore jamais eu d'acteur ou d'actrice souhaitant retirer les vidéos que j'ai pu tourner. Mon éthique personnelle me pousserait à accéder à une telle demande, malgré la perte d'argent que cela pourrait représenter, contrairement à ce que font les grosses entreprises.

En ce qui concerne la protection des mineurs, je pense qu'il est nécessaire de mettre en place une éducation aux médias, au cinéma. Le porno, c'est de la fiction, et il faut l'expliquer aux enfants, aux ados, aux jeunes adultes. C'est un manque cruel aujourd'hui.

Les violences sexuelles et sexistes ne sont pas que dans le porno. On les retrouve dans toutes les productions culturelles et médiatiques. Dans le film Star Wars, par exemple, Han Solo veut embrasser la princesse Leia qui refuse et recule. L'acteur la rattrape et l'embrasse tout de même de force : ce n'est pas du porno, mais la scène montre bien une violence sexuelle et sexiste que tous les gens de ma génération ont vue sans que personne ne soulève la moindre objection.

Liza Del Sierra. - Je m'attendais à votre question sur la prostitution et j'avais donc préparé ma réponse.

Le proxénétisme est défini aux articles 225-5 et suivants du code pénal comme « le fait d'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui, de tirer profit, de partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution, d'embaucher ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire ». Autrement dit, pas de prostitution, pas de proxénétisme.

La loi et les tribunaux n'ont jamais assimilé les acteurs et les actrices X à des prostitués, ni l'activité des producteurs et des réalisateurs à du proxénétisme. Au contraire, nous signons un contrat d'artiste-interprète parfaitement cadré juridiquement afin de tourner des scènes cinématographiques audiovisuelles au sein desquelles un jeu d'acteur prend place, et non d'avoir des rapports sexuels avec les clients de la production.

La pornographie est parfaitement légale dans les pays occidentaux et n'est pas assimilée à de la prostitution.

La charte déontologique s'est emparée de la question des contrats et du consentement. Nous évoluons dans un petit milieu et nous étions régulièrement embauchés sur la foi d'un SMS. Or ce n'est plus possible. Une fois sur place, des pressions pouvaient s'effectuer sur des comédiennes et des comédiens pour réaliser des pratiques non prévues.

La charte déontologique prévoit que le contrat soit signé en amont et que les acteurs et les actrices doivent se doter de leur Do/Don't, à savoir la liste de ce qu'ils acceptent de faire ou non. Cette liste doit être confirmée au moment de la scène, car on peut avoir changé d'avis entre-temps. Un garant du consentement est présent sur le tournage en la personne de la coordinatrice ou du coordinateur d'intimité, dont la fonction exclusive est de s'assurer du consentement et du bien-être non seulement des acteurs et des actrices, mais aussi des techniciens, des maquilleurs et des coiffeurs, par exemple, qui n'ont pas forcément banalisé certaines choses et qui peuvent se sentir mal à l'aise sur un plateau.

Sur mes premiers tournages, je choisissais toujours une actrice plus expérimentée pour servir de « marraine » aux plus novices. La charte a permis d'intégrer aux contrats de nombreux distributeurs la présence d'un tiers de confiance, indispensable si l'on souhaite vendre notre film.

Tout au long de ma carrière, j'ai dû signer environ 1 500 contrats dans lesquels je cédais mon droit à l'image pour 99 ans. Autrement dit, après ma mort, des gens continueront de se masturber sur moi ! De tels contrats sont inacceptables. Les contrats que je fais signer, comme le préconise la charte déontologique, sont d'une durée de cinq ans, à tacite reconduction. Par simple courrier recommandé, un acteur ou une actrice peut demander, au bout de cinq ans, le retrait des scènes pornographiques, qui seront coupées au montage.

En ce qui concerne la protection des mineurs, j'espère que des organismes comme l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ou la Plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) font leur travail avec la meilleure volonté possible. Nous sommes des performeurs. Sophie Marceau n'a jamais décidé si un de ses films serait interdit aux moins de 16 ans ou aux moins de 18 ans. Cette question ne la concerne pas et on ne viendra pas lui demander des comptes. Des instances existent pour s'occuper de cette question, ce n'est pas à nous de le faire.

Knivy. - C'est pour défendre ces notions de consentement et de droit à l'image que le Strass est en train d'établir un exemple de convention collective pour nos métiers. Il s'agit de mettre en place, sur tous les tournages, des coordinateurs d'intimité pour s'assurer du consentement des acteurs le jour J ou de la réalisation d'éthylotests, par exemple, ou de tests salivaires. En effet, certaines actrices ont parfois été droguées à leur insu.

Nous voulons soutenir les actrices et les aider, le cas échéant, à porter plainte. Notre travail doit être mieux reconnu.

En ce qui concerne le droit à l'image, nous voulons également mettre en place des contrats d'une durée de cinq ans renouvelable.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Vous vous inspirez donc de la charte déontologique que Mme Del Sierra a contribué à élaborer ?

Knivy. - Oui, ainsi que de celle de Jacquie & Michel. Mais certains points ne coïncident pas totalement avec ce que nous cherchons à construire : Liza Del Sierra était actrice professionnelle, elle a beaucoup d'expérience ; nous voulons, quant à nous, aider aussi les personnes qui entrent dans le métier, les sécuriser et les renseigner sur leurs droits, sur ce qu'elles peuvent faire et refuser de faire.

Nikita Bellucci. - Pour ce qui est de la notion de « travailleurs du sexe », je considère, simplement, que nous sommes des acteurs et des actrices qui mettons en images des fantasmes. En ce qui me concerne, je ne suis pas sur un tournage pour prendre du plaisir sexuel. Et mon partenaire n'est pas là pour prendre du plaisir avec moi ; il ne s'agit aucunement de satisfaire un client.

Quant à encadrer la pratique des jeunes actrices, nous le faisons déjà. Nous n'avons pas attendu les scandales récents pour accompagner et donner des conseils aux jeunes actrices. Je n'ai jamais vu un membre de la direction du Strass assister à un tournage ; j'ai pourtant travaillé pendant douze ans dans l'industrie pornographique.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Vos analyses vont au-delà du témoignage ; elles attestent d'une véritable réflexion sur vos activités d'actrices, de réalisatrices, de productrices. Je partage l'indignation exprimée par Nikita Bellucci quant aux difficultés que rencontrent les actrices de l'industrie pornographique lorsqu'elles souhaitent porter plainte. La résistance qui s'exerce à leur égard porte à son paroxysme celle que connaît toute femme qui cherche à porter plainte pour viol, d'autant qu'elles sont présumées consentantes. Ces plaintes doivent impérativement être reçues et traitées.

Vous disiez que l'éducation à la sexualité est du domaine du politique ; je pense, moi, que l'éducation à la sexualité concerne toute la société. Le politique n'administre pas tout, en tout cas pas dans notre société. Les sociétés dans lesquelles le politique administre tout, nous n'avons pas envie d'y vivre, ni les unes ni les autres ! L'éducation à la sexualité relève de tous les environnements dans lesquels un enfant, un adolescent et même un adulte évoluent : famille, médias, école.

Vous promouvez un porno éthique, ou une éthique du porno. J'ai compris que cette éthique passait par des dispositifs de type charte régissant les rapports entre les acteurs, les actrices, le réalisateur et l'ensemble des personnes présentes sur le tournage.

Portez-vous la réflexion éthique jusqu'aux contenus ? La production pornographique est accessible à tous - je suis perplexe sur la possibilité, en démocratie, de concevoir un système empêchant totalement l'accès des mineurs à la pornographie ; mais la question de l'éthique se pose, y compris pour les adultes. Bon nombre de réalisations sont racistes et sexistes. Vous me rétorquerez que c'est vrai dans tout le cinéma... Mais, pour le cas qui nous concerne aujourd'hui, la portée est différente, puisque le sexisme est parfois l'objet même de la fiction proposée, sans même parler des images pédocriminelles dont la diffusion prospère sur Internet...

L'une d'entre vous a dit : « C'est du cinéma, donc c'est faux. » Oui et non ! Faux, ça ne l'est pas tant que ça. Dans un film policier, si un voyou tombe mort, l'acteur, lui, ne meurt pas vraiment. Or a contrario, ce qui caractérise la pornographie, c'est que la pénétration a lieu, que l'éjaculation a lieu : l'image n'est pas jouée, elle est réelle.

En quoi le point de vue que vous défendez sur votre art serait-il modifié si la pénétration était simulée, l'éjaculation imaginée, etc. ? Serait-il porté atteinte à votre vision dudit art sans passage à l'acte, sans pénétration, sans éjaculation ? Serait-il encore possible de faire des films mettant en scène les fantasmes ? Quid de l'éthique des fantasmes que j'évoquais précédemment ?

Autre question : vous êtes, pour trois d'entre vous, productrices ; quel pourcentage de la production française, et de ce qui se voit en France, représentez-vous ?

Vous n'avez pas été surprise par les mises en examen qui ont eu lieu aujourd'hui. Vous connaissez sans doute, à un titre ou à un autre, les personnes incriminées ; connaissez-vous d'autres producteurs, réalisateurs ou acteurs qui pourraient être poursuivis pour des crimes ou délits similaires ?

Liza Del Sierra. - Pour ce qui est des mineurs, mon propos était peu mesuré, comme celui, en sens inverse, de certaines abolitionnistes ; je le regrette. Il faut être mesuré, c'est l'affaire de tous. Je suis maman : j'aurai moi-même à expliquer à ma fille ce dont ma vie a été faite, et vous n'aurez pas à intervenir, Mesdames les Sénatrices ! Cette question concerne bel et bien tout le monde, les gens qui évoluent dans le milieu de la pornographie, les politiques, mais aussi les parents, l'Éducation nationale, les publicitaires, etc.

Vous avez parlé d'« éthique du fantasme ». En fait d'éthique du contenu, j'ai travaillé à travers le monde pour des sociétés qui se doivent de respecter les conditions édictées par leurs distributeurs. Canal+, par exemple, ici, en France, impose de nombreuses clauses pour une éthique du contenu.

Je ne soutiens pas ni ne participe à ce type de pratique mais n'oublions pas non plus qu'il y a une offre et une demande. S'il existe une offre et une demande pour une scène de bondage où une femme suspendue au plafond est arrosée de Nutella, qu'y trouver à redire ?

La question du consentement est centrale mais c'est bien sur l'existence d'une offre et d'une demande qu'ont surfé les grandes plateformes voleuses de contenus et diffuseuses de masse en proposant tout et n'importe quoi, hors de tout contrôle, au gré de hashtags de niche. C'est ce cadre qui peut permettre la diffusion d'images pédocriminelles. Quant à moi, je travaille et j'ai toujours travaillé avec des gens majeurs qui fabriquent des contenus pour adultes. Les plateformes de masse, elles, ne font aucune distinction entre les publics ; c'est à elles qu'il faut poser la question de l'éthique du fantasme plutôt qu'à nous qui travaillons sur le territoire français, avec des personnes majeures, en respectant le droit du travail et des règles de déontologie.

Pourquoi ne pas faire des films érotiques ? Il se trouve que nous tournons chaque film en version hard, avec pénétration, et en version soft, sans pénétration. Nous le faisons donc déjà, pour des raisons économiques. L'érotisme, ce n'est pas le même public, ni le même fantasme, ni le même contenu. Les 70 % de Français qui consomment de la pornographie ne s'en satisferaient sans doute pas - offre et demande, encore une fois...

Souvenez-vous de l'émission télévisée Jackass : au début de chaque épisode, il était précisé que les cascades avaient été réalisées par des professionnels, et ne devaient pas être reproduites chez soi... J'ai pris le parti, de même, de préciser au début de mes films que nous sommes des professionnels, que nous avons subi des tests médicaux, que le consentement de chacun et une charte déontologique ont été respectés. En tout cas, nous faisons de notre mieux pour nous responsabiliser. Ce que nous faisons est certes perfectible, mais nous travaillons énormément sur nos conditions de travail tout en restant à l'écoute des critiques.

Nikita Bellucci. - Vous avez demandé si, à notre connaissance, d'autres personnes de l'industrie pornographique pourraient être incriminées. Des enquêtes sont en cours ; j'ai été moi-même auditionnée par la section de recherche voilà deux semaines.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Vous n'êtes pas obligée de répondre : nous ne sommes pas au tribunal.

Nikita Bellucci. - D'autres personnes devraient être bientôt inquiétées, oui, et ces personnes n'ont pas pris la mesure de ce qui est reproché à celles qui se trouvent actuellement en détention.

Knivy. - Oui, en effet, certains vont bientôt devoir rendre des comptes concernant leurs agissements passés. Toutes les personnes concernées n'ont pas encore été mises en examen, mais un travail est en cours.

Carmina. - Vous disiez que l'éducation sexuelle ne relevait pas que de l'État. J'observe néanmoins, comme bien d'autres avant moi, qu'il existe une loi sur l'éducation sexuelle à l'école et que cette loi n'est pas appliquée. Si l'on pouvait consacrer à l'application de cette loi les moyens nécessaires, un pas énorme serait déjà franchi. Je précise que je parle d'éducation au sexe et non d'éducation à la reproduction. J'ai moi-même suivi ces heures d'éducation sexuelle ; j'y ai appris comment les couples hétéros faisaient les bébés, mais à aucun moment il n'y a été question de sexe ou de consentement, et ce dans le cadre d'un propos absolument hétéronormé.

Pour ce qui est de l'éthique des contenus et de l'éthique du fantasme, je rejoins absolument ce que disait Liza Del Sierra : chacun a le droit de fantasmer. Ce n'est pas à nous de juger ce que les gens ont envie de regarder et ce qu'ils ont envie de tourner, y compris s'il s'agit de fantasmes hors du commun. Ce dont il est question ici, rappelons-le, c'est de mise en scène et de fiction. À ce compte, pourquoi ne régule-t-on pas les films d'horreur ? On n'a pas à réguler les contenus sur lesquels les gens ont envie de fantasmer, comme on n'a pas à réguler les contenus sur lesquels les gens ont envie de se faire peur, de rire ou de pleurer. Nous sommes là pour faire plaisir aux gens, pour les sortir de leur quotidien, pour leur permettre d'explorer des choses qu'ils ne peuvent pas explorer dans la vraie vie - je pense aux personnes LGBTQ+ qui manquent cruellement de représentation dans les médias.

Vous disiez que, dans la plupart des films, ce qui était montré ne se passait pas vraiment. Mais il y a des films sur le tournage desquels des cascadeurs font des choses absolument incroyables, très dangereuses, beaucoup plus dangereuses que ce que nous faisons dans le porno : ces cascadeurs risquent leur vie dans le cadre d'un choix artistique. Dans les films grand public, les scènes de sexe montrent des prothèses génitales ; pourquoi pas ? Si le réalisateur fait ce choix, dont acte, mais s'il choisit de montrer de véritables actes sexuels, il doit pouvoir le faire. L'érotisme, cela existe ; ce n'est pas ce que j'ai envie de mettre en scène.

Quelle part représentons-nous dans l'industrie pornographique ? J'évolue dans un milieu relativement différent de celui de mes collègues : un porno minoritaire, objet politique, portant un message et des revendications forts. La masse des productions se trouve gratuitement sur Internet, alors que les films que je produis, comme les nombreuses productions existantes qui se trouvent être non sexistes, féministes, éthiques, sont payants.

L'industrie a profondément changé ces dernières années, à cause du Covid : avec la mise à l'arrêt des plateaux, les personnes qui travaillent dans le milieu ont autoproduit leurs propres contenus, d'où l'essor de plateformes comme Onlyfans. Il y a désormais énormément de contenus produits de façon indépendante et dans des conditions de consentement total, très loin des grosses productions de masse. Ces contenus sont nouveaux, modernes ; ainsi se trouvent multipliés les points de vue sur le sexe et sur la pornographie. Ces nouveaux indépendants qui produisent de chez eux rééquilibrent les choses en direction de contenus beaucoup plus soft : on n'a pas fini d'en voir les effets.

M. Bruno Belin. - Merci de vos témoignages, dans lesquels on a parfois ressenti beaucoup de souffrance.

Plusieurs sujets de fond et de forme nous intéressent. Sur la forme, j'ai bien compris qu'il fallait organiser la profession ; nous sommes demandeurs de vos contributions. On parle de porno éthique : des choses sont faites. L'objectif est d'abord de vous protéger vous, actrices. Il me semble qu'aucune de vous quatre n'a employé le terme de « violence ». Vous défendez une protection, une éthique, vous dites vous-mêmes que dans ce qui est mis en scène on trouve des pratiques non consenties, mais à aucun moment vous ne faites état de violences ; or on sait très bien que de tels faits existent.

Vous avez parlé de droit au retrait de certains contenus ; doit-on aller vers un droit à l'oubli ? Même si les contrats prévoient un tel droit au bout de cinq ou dix ans - faut-il encore qu'ils soient opposables... -, est-il possible de disparaître totalement de tout enregistrement ? En tout état de cause, le droit à l'oubli me paraît une cause à défendre.

Sur le fond, vous avez évoqué un droit au fantasme. Je rejoins ma collègue Laurence Rossignol : quid des contenus ? Par exemple, avez-vous un droit de regard sur les titres ? On trouve parfois, au gré des titres, des mots qui renvoient à des actes clairement prohibés par le code pénal - viol, inceste. Quelle est votre réaction devant une scène qui peut être décrite comme lesbophobe ?

La pornographie est dans les cours des collèges, vous n'en êtes pas responsables, nous sommes bien d'accord. Les autorités de régulation font leur office ; l'Arcom a d'ailleurs cette semaine saisi la justice en vue de bloquer cinq sites. Les législateurs que nous sommes ne sauraient transiger sur la protection des mineurs.

Knivy. - Concernant le droit à l'oubli, le problème est que tout ce qui est sur Internet y reste, d'une manière ou d'une autre. Aux États-Unis, par exemple, le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) permet d'apposer une vignette sur nos contenus et de demander le retrait des vidéos en cas de piratage par des sites étrangers. Cette petite protection sous forme de simple logo n'existe pas en France ; elle change pourtant la donne. Il faudrait réfléchir à une version française de cette protection pour les sites pornographiques qui volent massivement les contenus et dupliquent les vidéos des centaines de fois.

Un mot sur les titres : j'ai été victime de certains titres racistes - beaucoup faisant référence au terme de « beurette » -, eu égard à de supposées origines que je n'ai pas, mais passons... Nous sommes nombreux à subir racisme ou lesbophobie par le biais de titres très violents, y compris lorsque le contenu n'est pas à l'avenant. Je précise que nous découvrons le titre quand le film sort.

Liza Del Sierra. - Une réponse sur le poids relatif de mes productions : je suis principalement diffusée sur Canal+ ; je produis deux des vingt-quatre films qui y sont diffusés chaque année. J'ai fait le choix de travailler peu, mais bien.

Le droit à l'oubli reste une utopie. J'ai moi-même tenté, au moment de l'obtention de mon diplôme d'infirmière, de faire supprimer les contenus piratés sur des plateformes de masse auxquelles je n'ai jamais cédé mes droits à l'image. Mon avocat est toujours sur le coup : il continue d'envoyer un recommandé par semaine... La possibilité du déréférencement existe, mais la procédure est très longue et très fastidieuse.

Pour ce qui est des titres, lorsqu'on se présente sur un tournage, le titre du film figure sur le contrat de travail. Le titre peut certes être amené à changer : j'ai réalisé l'année dernière Petits culs et crustacés et Canal+ a récusé ce titre, lui préférant Un été entre filles. Les diffuseurs, qui connaissent leur marché, ont leur mot à dire. Mais quand le film est piraté et redistribué sous le titre Trois salopes sur la plage, alors que le contenu est très « sage », je ne peux rien faire : malgré les mises en demeure à l'encontre des plateformes, je n'ai aucun moyen de protéger mes productions. L'État ne protège pas mes créations ; je suis pourtant inscrite à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), je touche des droits de réalisatrice, scénariste, dialoguiste, je remplis mes obligations auprès du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

Carmina. - Le droit à l'oubli me paraît impossible dans la configuration actuelle de l'Internet mondial. Cela dit, notre génération et les suivantes en ont conscience ; c'est important. Les choses ont dû être beaucoup plus difficiles pour les générations précédentes - je pense à Ovidie par exemple, qui a signé des contrats pour tourner des films qui devaient être édités sur des VHS diffusées à quelques milliers d'exemplaires et s'est retrouvée, avec l'avènement des tubes, exposée auprès de millions de personnes, ce à quoi elle n'avait pas consenti. Désormais, nous savons qu'un contenu peut devenir viral du jour au lendemain. Beaucoup de ceux qui se lancent dans la pornographie aujourd'hui en ont conscience.

Le DMCA, qui existe aux États-Unis depuis la fin des années 1990, permet assez facilement de signaler les contenus piratés. J'en ai eu l'expérience lorsque j'étais modèle webcam : la quasi-totalité des shows sont captés et les contenus revendus par des pirates informatiques. Pour lutter contre ce genre d'agissements, le DMCA marche très bien : les contenus sont supprimés assez rapidement, en tout cas sur certains tubes.

J'ai beaucoup pratiqué le déréférencement auprès de Google, en signalant les URL de contenus piratés. Google représentant 95 % des recherches sur Internet, cela marche aussi relativement bien : une fois qu'un site ne ressort pas sur Google, il est bien moins visible.

Un mot sur les titres : ceux de mes films figurent dans les contrats que je fais signer. Moi qui cherche à mettre en avant les minorités visibles, je n'embaucherais pas un acteur noir pour ensuite choisir un titre raciste ; ça n'aurait aucun sens. La personne qui tourne avec moi reçoit un mood board avant d'accepter, et le titre est le plus souvent définitif, puisque personne n'a de droit de regard sur mes productions. Il y va du respect des acteurs et des actrices ; le contexte du tournage et le scénario du film participent aussi du caractère éthique du contenu.

Pour ce qui concerne le blocage de gros sites, je n'y suis pas favorable, bien que cette position soit plutôt minoritaire : bloquer les gros tubes peut se retourner contre nous, car cela ne fera que déplacer le trafic. Sur les sites qui, parce qu'ils ont pignon sur rue, ont eu intérêt à nettoyer leur image de marque, les contenus sont très surveillés ; Pornhub a supprimé neuf millions de vidéos en 2019. Je crains donc que le blocage ne se révèle contre-productif et ne profite à des sites moins contrôlés, moins propres. Attention également à ne pas provoquer, par déplacement du trafic, une escalade dans les contenus « limites ».

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Le blocage des sites ne vise pas à les interdire en totalité, mais à les obliger à appliquer la législation sur l'interdiction de l'accès aux mineurs.

J'ai cru, à distance, percevoir chez certaines d'entre vous, dans vos témoignages, beaucoup d'émotion et de souffrance. La seule possibilité d'exercer votre métier sereinement est-elle de devenir votre propre productrice et réalisatrice ? Vous avez eu un parcours, une carrière, qui vous ont appris à dire non. Mais vu les dérives de l'industrie du sexe, n'avez-vous jamais envisagé de changer de métier ?

Je vous fais part de mon ressenti, en précisant qu'étant à distance j'ai pu me tromper : j'ai entendu beaucoup de précautions et de préparation dans vos expressions respectives. Ces précautions oratoires seraient-elles liées à la puissance de l'industrie pornographique dont vous êtes les représentantes cet après-midi ?

Une troisième question : aux dires de certains témoins que nous avons auditionnés, les hommes deviennent souvent acteurs pour prendre du plaisir avec plusieurs partenaires, les femmes pour exercer un métier. Vous dites que le plaisir n'est pas l'objet de ce métier ; mais nous avons entendu autre chose...

Je reviens enfin sur la question du contenu éthique en évoquant le phénomène d'addiction aux vidéos pornographiques. Il semble que cette addiction provoque le besoin d'une gradation dans les types de contenus pornographiques « consommés », donc dans la violence filmée, jusqu'à l'apologie de la pédocriminalité, de l'inceste, de l'homophobie, du racisme. Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Marc Laménie. - Merci beaucoup pour vos témoignages, Mesdames. Vos parcours forcent le respect. Je note que la question des magazines et revues pornographiques n'a pas été abordée. Quant à l'incompréhension des forces de sécurité qui reçoivent des plaintes, je la déplore.

Knivy. - La question du plaisir a été posée ; mais cela nous plaît de créer du contenu ! Pourquoi ne pas changer de métier ? J'étais auparavant cheffe de cuisine, j'évoluais dans un milieu très sexiste. J'aimais mon métier ; ce n'est pas parce que je faisais face au sexisme que j'ai décidé d'en changer : lorsque je l'exerçais, je me battais pour me faire entendre. Je me suis reconvertie dans un milieu qui me plaît tout autant, dans lequel je m'épanouis, qui m'apporte beaucoup malgré certaines mauvaises expériences. Si je ne quitte pas mon métier d'actrice, c'est tout simplement parce que je l'aime.

Nikita Bellucci. - Tant que nous ne serons pas considérées par la société en général, les forces de police ne nous entendront pas. Quand nous faisons état de violences, on nous répond la plupart du temps que nous avons signé et que nous savions où nous mettions les pieds : nous ne sommes jamais prises au sérieux.

Vous évoquiez les souffrances que les actrices peuvent rencontrer sur les tournages. J'ai vécu une telle expérience en 2012 ; je n'ai pas pour autant changé de métier. J'ai simplement le désir d'améliorer l'industrie dans laquelle je travaille en dénonçant les abus et en encourageant les victimes à porter plainte.

Carmina. - Vous dites que vous avez entendu beaucoup de souffrance dans nos témoignages ; ce n'est pas du tout ce que j'ai entendu. Au contraire, nous sommes toutes des femmes épanouies dans notre travail et très heureuses de l'exercer. L'une d'entre nous a été violée : c'est une souffrance. Mais auriez-vous demandé à une journaliste qui a été violée pourquoi elle n'a pas changé de métier ? Je ne pense pas...

Dans le même sens, vous avez évoqué nos efforts de préparation. Je ne peux m'empêcher d'y reconnaître l'image que notre métier véhicule : nous ne sommes jamais prises au sérieux. Invitée au Sénat, oui, je me prépare ; c'est la moindre des choses !

Les hommes qui travaillent dans ce milieu le font-ils simplement pour prendre du plaisir ? Ce n'est pas du tout le cas des hommes que j'ai rencontrés. Ceux avec qui je travaille le font pour créer des films qui, de surcroît, dans mon cas, font évoluer la représentation des masculinités.

Il est dommage de réduire nos propos à l'expression d'une souffrance : nous sommes toutes là parce que nous aimons notre métier et voudrions le faire dans de bonnes conditions.

Liza Del Sierra. - Je ne reviendrai pas sur la question de la souffrance, qui touche au corps et à des choses très personnelles. Il existe 1 000 parcours différents d'acteurs et actrices... Je suis probablement privilégiée : ma seule souffrance, depuis toutes ces années, c'est le stigmate social, le manque de reconnaissance. J'ai fait des études, je suis mère, belle-fille, amie, marraine, témoin de mariage ; tout cela est affecté par l'image qu'on se fait des actrices X, dont le métier est banni des professions reconnues. Et comme j'aime la facilité, j'ai choisi par ailleurs un métier qui n'est reconnu que depuis la crise du Covid...

Si j'ai préparé cette audition comme je l'ai fait, c'est par respect envers vous. Infirmière, j'ai soutenu un mémoire : je sais me présenter devant des gens. De surcroît, c'est une occasion unique qui nous est offerte aujourd'hui : habituellement, nous ne sommes pas consultées - les associations féministes, qui sont, contrairement à nous, une grosse machine capable de beaucoup de choses, le sont plus souvent qu'à leur tour. Nous sommes indépendantes, nous n'avons pas de syndicats pour nous représenter.

Je suis devenue productrice car j'avais foi en cette profession. Je pense que chacun peut s'épanouir et avoir le sentiment d'une réussite professionnelle dans ce milieu. Si je suis devenue productrice, ce n'est pas parce que je souffrais en tant qu'actrice. Simplement, je me plais davantage à écrire des histoires, à les mettre en scène et à « chapeauter » ; j'ai mis dix ans à le découvrir. Reste que j'ai beaucoup apprécié mes années de tournage : il n'y a pas eu de souffrance.

Pour ce qui est des addictions, on ne passe pas de Jolie blonde avec jolie blonde à Enfant de cinq ans avec un énorme black sous prétexte qu'on a besoin de toujours plus. Je ne supporte pas l'amalgame avec la pédophilie : la pédocriminalité ne nous concerne pas. Nous sommes tous des majeurs consentants. Avec les addictions, c'est toujours la même histoire : il faut se soigner. J'essaie d'arrêter de fumer, voyez-vous...

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Malheureusement, Annick Billon, présidente de la délégation, a dû suivre cette réunion à distance, ce qui est toujours délicat. Sa question ne suggérait nulle remise en cause de votre préparation ; elle voulait dire, me semble-t-il, qu'il est difficile de s'exprimer sur ce sujet et que la préparation avait peut-être bridé la spontanéité de vos propos. Mais nous vous remercions vivement du travail que vous avez fourni : nous en avons besoin pour écrire notre rapport.

Vous représentez une partie de la profession ; chacune a un vécu très spécifique. Nous avons auditionné d'autres personnes qui ont subi des crimes ou des choses très « hard » : viol, exploitation, humiliation, abus de faiblesse. C'est une autre histoire que vous racontez ; il était important que nous l'entendions, car tout n'est pas uniforme.

Je précise pour finir que les procès qui ont lieu actuellement sont le fait de la mobilisation d'associations féministes. Celles-ci sont loin d'être de grosses machines : elles manquent de moyens et nous interpellent sans arrêt à ce propos. Elles n'ont pas que des qualités, mais elles vous aident et nous aident à progresser sur le chemin de l'égalité des droits. Il existe des divergences mais je suis bien placée, en tant que membre d'un groupe parlementaire minoritaire, pour savoir que, même quand les désaccords sont profonds, c'est en s'écoutant qu'on avance ensemble, pas en se mettant les uns les autres dans des cases. Si les associations féministes n'étaient pas là, le paysage serait bien différent et il n'y aurait pas eu de procès.

Un grand merci à vous quatre !