Mardi 22 février 2022

- Présidence de MM. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes et de Stéphane Le Rudulier, vice-président de la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique -

La réunion est ouverte à 14 h 50.

Justice et affaires intérieures - Audition de M. Jean-Claude Bonichot, conseiller d'État, juge français à la Cour de justice de l'Union européenne

M. Stéphane Le Rudulier, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi M. Jean-Claude Bonichot, conseiller d'État, juge à la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) depuis 2006.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation à venir vous exprimer devant la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique et devant la commission des affaires européennes.

Je vous prie d'excuser l'absence de la présidente de notre mission d'information, notre collègue Cécile Cukierman, qui est retenue en ce début d'après-midi. Elle prendra, bien sûr, connaissance de nos échanges, qui font l'objet d'une captation vidéo et qui seront consultables sur le site internet du Sénat.

Notre mission d'information s'intéresse à la place, qui lui semble grandissante, prise par les juridictions, nationales et européennes, dans la production de la norme et dans la prise de décision publique et à ses conséquences sur le fonctionnement de notre démocratie. Nous réfléchissons aux nouveaux mécanismes de dialogue et de régulation qui pourraient éventuellement être mis en place pour surmonter les tensions ou les incompréhensions qui naissent parfois entre les juges et les politiques, dans le respect de l'indépendance des magistrats.

Il s'agit d'enjeux importants en matière d'équilibre des pouvoirs, de droits fondamentaux et de libertés publiques. Il nous faut trouver un équilibre entre responsabilité des politiques et responsabilité des juges, pour consolider notre État de droit. Les juges doivent pouvoir travailler en toute indépendance et de manière efficace.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a notamment pour mission d'interpréter le droit de l'Union européenne, afin de garantir son application uniforme dans les 27 États membres. Peu de domaines échappent aujourd'hui au champ d'activité de l'Union, ce qui donne à votre institution une place considérable et peut occasionner, de temps à autre, des frictions avec les États membres - nous aurons l'occasion d'y revenir.

Avant de vous céder la parole, je la laisse à notre collègue Jean-François Rapin, qui va vous apporter quelques précisions concernant les thèmes de réflexion qui intéressent plus particulièrement la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président. - Je sais gré à la présidente de la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique d'avoir accepté que cette audition soit commune à nos deux structures.

Monsieur le juge, la commission des affaires européennes vous remercie de vous être rendu disponible pour cet échange, qui nous intéresse particulièrement, au vu des développements récents de l'actualité européenne.

Mercredi dernier, la CJUE a validé le nouveau dispositif, introduit fin 2020, qui lie le versement des fonds européens au respect de l'État de droit. Cette décision conforte donc ce nouveau « régime de conditionnalité » que contestent la Hongrie et la Pologne. Ces deux États membres y ont vu, l'un, une décision politique, l'autre, une attaque contre sa souveraineté.

Même si ces réactions peinent à cacher les atteintes avérées que ces pays portent de fait à l'État de droit, elles raniment une tension entre les États membres et le droit européen, dont votre institution est la gardienne. Cette tension n'est pas nouvelle. Elle est en fait inhérente à la construction européenne, qui procède d'un double mouvement, les États membres acceptant de partager leur souveraineté dans l'exercice de certaines compétences, mais dans le respect de leur identité constitutionnelle.

Cette tension connaît toutefois un regain évident ces dernières années, surtout depuis qu'en mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a pris un arrêt contestant la décision de la CJUE qui avait validé le programme de rachat de dette publique de la Banque centrale européenne (BCE). Depuis, d'autres frictions ont surgi avec la France, la Hongrie, la Pologne ou la Roumanie.

C'est pourquoi notre commission a consacré une table ronde, en juin dernier, au sujet de l'articulation entre droit national et droit européen. Au titre du respect de l'État de droit dans l'Union, la présidente von der Leyen a depuis affirmé - c'était en octobre dernier - que la législation européenne primait sur la législation nationale, y compris sur les dispositions constitutionnelles. Le commissaire Reynders, que notre commission a auditionné en décembre, nous l'a encore confirmé sans ambages.

Aussi, je suis tenté de vous poser d'emblée cette question centrale : souscrivez-vous à une telle affirmation, qui semble oublier que l'Union européenne n'existe que par la volonté du pouvoir constituant dans les États membres?? La primauté du droit européen est un principe essentiel pour permettre son application uniforme, mais une lecture rigoriste de ce principe ne risque-t-elle pas de cabrer les États membres, qui peuvent y voir la négation de leur identité constitutionnelle et, finalement, ne risque-t-elle pas, paradoxalement, de fragiliser l'édifice européen ?

Sans doute le dialogue des juges fait-il partie de la solution ; une approche par la subsidiarité pourrait aussi être éclairante, afin de distinguer, au sein du droit européen, entre une part qui mérite une application strictement uniforme à l'échelle européenne et une autre qui pourrait s'accommoder d'une interprétation par les juges constitutionnels nationaux, afin de respecter l'histoire, la culture, les choix de société, bref, l'identité de chaque État membre.

Comment envisagez-vous cette idée d'une forme de subsidiarité dans l'application du droit européen, et non plus seulement au stade de son élaboration ?

Dans cette perspective, voyez-vous une place pour les Parlements nationaux, dans une forme de symétrie par rapport à la mission qu'ils ont reçue d'assurer le respect du principe de subsidiarité dans les initiatives législatives que prend la Commission européenne ?

M. Jean-Claude Bonichot, conseiller d'État, juge français à la Cour de justice de l'Union européenne. - Je réponds tout de suite à votre question sur la primauté. Rien de neuf sous le soleil, même si l'on en parle beaucoup aujourd'hui, puisque les cours constitutionnelles émettent certaines critiques.

En 1964, la Cour a expliqué que la Communauté a bénéficié de transferts de compétences, et que ces compétences sont donc exercées en commun. En 1978, la Cour a aussi rappelé que, dans les domaines en question, les États ne peuvent pas aller à l'encontre de ce qui a été décidé en commun. Ce principe est consubstantiel à l'Union européenne ; décidé il y a presque cinquante ans, il était alors parfaitement admis.

Comme le montre sa jurisprudence, la Cour fait preuve de beaucoup d'attention et de souplesse dans l'application de ce principe.

La Cour a par exemple rendu deux arrêts successifs qui concernaient l'Italie. Elle avait été saisie pour savoir si les règles limitant la durée d'un procès pénal dans ce pays, fixant entre autres une durée maximale du délai raisonnable de jugement, ne risquaient pas de porter atteinte à la bonne gestion financière de l'Union européenne : en cas de fraude à la TVA, cela risquait d'aboutir à une prescription des poursuites, voire du procès et des procédures. Dans un premier temps, la CJUE a estimé que les règles italiennes allaient trop loin, mais la Cour constitutionnelle italienne a alors rappelé que ces règles de prescription faisaient partie du principe même de la légalité des délits et des peines, du moins en Italie. La Cour de justice a alors constaté que la sécurité juridique des poursuites pénales en Italie pouvait être remise en cause, et qu'il appartenait à la Cour italienne d'approfondir le sujet. La CJUE a donc su faire un pas en arrière, faisant preuve de beaucoup de prudence et de modération dans l'application du principe de primauté.

Dans son arrêt du 5 mai 2020, la Cour de Karlsruhe critique non le principe de primauté, mais le fait que la CJUE n'aille pas assez loin dans le contrôle des pouvoirs de la BCE.

J'en viens à mon propos liminaire. Vous excuserez mon ton parfois direct ; il est le fruit de l'expérience.

Il faut faire attention à bien distinguer la Cour de Luxembourg de celle de Strasbourg. La CJUE n'est pas une cour des droits de l'homme. Son rôle est bien plus comparable à celui des juridictions suprêmes nationales, comme le Conseil d'État ou la Cour de cassation.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) applique les dispositions de fond de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des différents protocoles, ce qui représente une trentaine de dispositions générales.

La CJUE, elle, applique une énorme masse de dispositions, une législation européenne très importante, formée de centaines de règlements, directives et actes administratifs, à l'image de la Cour de cassation française face au code civil, au code de la consommation ou au code pénal.

La fonction de la CJUE est triple.

Premièrement, contrôler la légalité des actes pris par l'Union européenne, via le recours en annulation. Cette compétence est partagée avec le Tribunal de l'Union européenne. La CJUE est alors un peu dans la position du Conseil d'État vis-à-vis des actes administratifs.

Deuxièmement, veillerons à ce que les États respectent leurs obligations, via les recours en manquement, qui ont fortement diminué en raison du contexte sanitaire. La Cour, dans ce domaine, a un pouvoir considérable, car elle peut infliger astreintes et amendes aux États, comme, dernièrement, à la Pologne, avec une décision en référé de fermeture de la mine de Turow.

Troisièmement, la Cour préserve l'unicité du droit européen, via la question préjudicielle, mécanisme qui fonctionne très bien. La procédure est très simple, et nous permet de répondre efficacement aux demandes des juges nationaux.

J'en viens à la substance des traités. Les traités ont un sens : ils visent à fabriquer un espace commun, économique, de sécurité, de liberté et de justice - voyez le cas du mandat d'arrêt européen, qui permet, en dehors de tout mécanisme d'extradition, de récupérer un malfaiteur qui est passé en Allemagne ou en Italie, simplement par un dialogue d'autorité judiciaire à autorité judiciaire. « Les juges sont les gardiens des promesses du projet communautaire », dit M. Didier Reynders, commissaire européen à la justice.

Les traités sont souvent très clairs et univoques. La Cour applique donc des dispositions claires, validées par les gouvernements nationaux à la suite de ratifications. Ainsi, le juge applique la loi comme il le fait dans les juridictions nationales. Loin du cliché de la complexité, la législation de l'Union européenne est bien pensée. Elle n'a pas toujours grand-chose à envier à la législation française ! Les textes commencent par un préambule, les notions principales sont définies, la structure est claire. Des dispositions de compromis, parfois moins bonnes, existent, mais c'est un fait commun à toutes les normes.

La Cour a dégagé les principes généraux du droit européen. Mais cela n'est pas nouveau : le règlement a un caractère général obligatoire et est directement applicable dans tous les pays de l'Union européenne. Depuis 1950, les actes européens fonctionnent comme des actes nationaux. Aux États-Unis, dans le premier tiers du XIXe siècle, Daniel Webster a dit que, si une seule fois un État se prenait à invalider une législation fédérale, il en serait fini de la construction fédérale.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la mission d'information sur la judiciarisation de la vie publique. - Ma première série de questions concerne le rôle de la CJUE. La seconde portera sur le rôle des Parlements nationaux.

Quel est le rôle de la CJUE ? Quelle place occupez-vous dans le panorama juridique européen, et quelle liberté vous accordez-vous ? La CJUE n'est-elle qu'un pur interprète des traités ? Crée-t-elle des normes ? Êtes-vous la « bouche des traités », pour paraphraser Montesquieu, ou assumez-vous un rôle plus large, celui d'un « gardien des promesses » ?

J'en viens à l'identité constitutionnelle nationale : l'information n'était peut-être pas parvenue au niveau national aussi nettement que vous le pensiez quant au fait que la Constitution n'était plus forcément la norme juridique supérieure. Selon vous, qui est le décideur de cette identité ? Le pouvoir constituant, le Conseil constitutionnel, la CJUE ? La CJUE pourrait-elle vouloir définir ce qu'est l'identité constitutionnelle de la France ou de l'Allemagne??

M. Jean-Claude Bonichot. - Je vous donnerai un point de vue très personnel. Nous avons souvent entendu dire que la CJUE était un moteur de l'Union européenne. Or je pense que le juge n'a pas à être moteur : il doit seulement appliquer les traités de bonne foi, dans la lettre et dans l'esprit - construire un espace commun -, sans vouloir ajouter à ce que les États ont voulu. Au fil des traités, les États sont plutôt allés de l'avant - voyez la citoyenneté européenne, dont la CJUE a tiré toutes les conséquences, par exemple en matière de circulation des personnes. Je n'ai jamais eu l'impression d'une Cour qui voulait forcer les étapes.

J'en viens à la question de la définition de l'identité constitutionnelle nationale. Je risque de vous décevoir : je ne suis pas moi-même au bout de la réflexion sur la question. La formulation exacte du traité sur l'Union européenne renvoie à « l'identité nationale des États, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles ».

L'identité constitutionnelle nationale est une réalité. Par exemple, dans son arrêt Ilonka Sayn-Wittgenstein, la Cour a reconnu comme faisant partie de l'identité de l'Autriche la suppression absolue de tous les titres nobiliaires.

Il arrive qu'un pays invoque l'identité nationale, mais la Cour a presque toujours considéré qu'il n'y avait pas d'atteinte à celle-ci, sans aller plus loin. Prenons le cas d'un Belge qui épouse un Roumain de même sexe, et souhaite s'installer en Roumanie avec lui. La Roumanie refuse de les considérer comme mariés, au nom de son identité constitutionnelle. La Cour se contente de constater que, au titre de la liberté de circulation, des personnes valablement mariées dans leur pays ont le droit de circuler en Roumanie ou de s'y installer - rien de plus.

Il y a ensuite la question de la définition de l'identité nationale et celle, qui lui est connexe, du respect de celle-ci. Dans deux décisions, le Conseil constitutionnel a considéré que, si ce qui fait partie de l'identité nationale pouvait bénéficier d'une protection équivalente au nom des principes de l'Union européenne, l'identité nationale n'était pas opposable. C'est une manière de voir, mais je ne suis pas sûr de sa portée ou des conséquences à en tirer.

À ce stade de ma réflexion, en matière d'identité nationale, j'estime que la compétence est partagée. Il appartient aux États de dire ce qui fait partie de leur identité nationale - la laïcité, en France, en est un bon exemple. Lorsque ce point est contesté devant la Cour, je ne crois pas qu'il appartienne à celle-ci de trancher ; en revanche, elle doit exercer un contrôle souple, sur la question de l'inclusion d'un principe donné dans l'identité nationale d'un État membre. Il n'est pas possible de laisser des États décider purement et simplement de ce qui fait partie de leur identité nationale et en étendre indéfiniment le domaine.

Dire que le droit de l'Union européenne l'emporte sur la Constitution, c'est, en apparence, aller très loin : les juridictions françaises, Conseil d'État et Conseil constitutionnel, ont répété que la Constitution est le sommet de l'ordre juridique français.

Cependant, il arrive que la Cour se heurte à des jurisprudences constitutionnelles d'États membres. Elle peut alors s'opposer à ce qu'une cour constitutionnelle nationale étende indéfiniment le domaine de sa Constitution, réduisant d'autant celui de la compétence européenne.

Je ne vous cache pas que la question est redoutable... Je n'ai pas trouvé, en doctrine, de réponse parfaitement satisfaisante à la question. La Cour fait preuve, en ce domaine, d'une extrême prudence.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Vous aviez bien compris la question sous-jacente : qui a le dernier mot ?

Après le dialogue entre les juges, je souhaite évoquer le dialogue entre les juges et la société - en particulier les juges et le Parlement. Quelle pourrait être, à votre sens, l'action d'un Parlement national à cet égard ? Des dispositions constitutionnelles nous confient le contrôle de subsidiarité et de proportionnalité. Considérez-vous que ce contrôle de subsidiarité comprend le contrôle des compétences de la Cour, qui consiste à vérifier si elle est intervenue dans un domaine qui relève des compétences de l'Union ?

Dans une décision d'une infinie subtilité, à la suite de l'arrêt Quadrature du Net de la CJUE, le Conseil d'État ne s'était pas donné la compétence de contrôler si le niveau européen agissait, ou non, ultra vires. Dans ce cas, qui, au niveau national, peut exercer ce contrôle ? Si c'est, au contraire, une prérogative exclusive de la CJUE, lui est-il arrivé d'estimer que l'Union européenne agissait ultra vires, ou a-t-elle toujours considéré, dans la logique des promesses de la construction européenne, que la Commission était restée dans le cadre des traités ?

L'article 88-6 de la Constitution donne au Parlement la faculté, jamais utilisée à ce jour, d'agir devant la Cour en annulation d'un acte législatif européen qu'il juge contraire au principe de subsidiarité ou pris ultra vires. Aux termes de l'article 88-6, le recours doit être transmis par le Gouvernement à la Cour. En revanche, rien n'est dit sur la nature de ce recours. Sur le plan des principes, comment un Parlement ou une chambre peut-il agir en annulation devant la CJUE ? Comment pourrait fonctionner ce recours ?

Dès lors que la CJUE tranche des questions essentielles, comme le temps de travail des militaires ou la collecte de données de connexion dans le cadre de l'antiterrorisme, ce qui a provoqué de vives interrogations, pourquoi le Parlement n'exprimerait-il pas le point de vue de la société civile ? Peut-on imaginer, devant la Cour, une contribution extérieure d'un Parlement, à la manière des contributions extérieures - les « portes étroites » - du Conseil constitutionnel ? Votre technique procédurale le permettrait-elle ? Le cas échéant, sous quelle forme ?

Ces trois questions sont articulées autour du dialogue entre la Cour et les Parlements. Sans porter atteinte à votre indépendance, accepteriez-vous, vous et vos collègues, des invitations à des conférences, colloques académiques ou parlementaires pour partager votre expérience et prendre le pouls des Parlements et sociétés nationaux ?

M. Jean-Claude Bonichot. - Je souhaite revenir un instant aux relations entre le droit de l'Union européenne et la Constitution. La CJUE a rendu ce matin même un arrêt à propos d'une mise en cause par la Roumanie de la validité d'un acte de l'Union européenne. Les juridictions roumaines voulaient l'appliquer en écartant la loi nationale, qui était incompatible avec cet acte. La Cour constitutionnelle de Roumanie a estimé que, dès lors que la règle nationale était jugée constitutionnelle, un tribunal roumain ne pouvait l'écarter au motif qu'elle serait contraire au droit communautaire. La CJUE a jugé que cela était contraire à sa position : tout juge national doit pouvoir la saisir à propos de la validité d'une règle européenne, et éventuellement écarter la loi nationale si elle lui est contraire.

La Cour a estimé que, si jamais la règle selon laquelle on ne peut écarter la loi nationale était considérée comme faisant partie de l'identité nationale du pays concerné, il faudrait la saisir à nouveau pour qu'elle statue sur ce point. En effet, la CJUE est la seule à pouvoir statuer sur la validité d'une règle communautaire - si on laisse les juridictions nationales statuer sur ce point, il n'y a plus de droit communautaire. Ce principe remonte à 1987.

J'ai consacré à la question de la subsidiarité un article dans l'ouvrage offert à mon collègue italien, le professeur Tizzano, à l'occasion de son départ de la Cour. J'y explique que la subsidiarité est un principe constitutionnel de l'Union européenne parce qu'il touche à la répartition des compétences, et, dans une construction juridique comme celle-ci, qui est une sorte de pré-fédération, cette question est au sommet de l'ordre juridique.

Devant la Cour, la subsidiarité est assez peu souvent invoquée. Elle l'a été dans le cadre d'un recours contre la législation sur le tabac ; il n'est pas difficile de montrer que, dans un marché unique, une législation européenne réalise mieux les objectifs de libre circulation et de protection de la santé qu'une législation prise par chaque État individuellement.

Il convient de distinguer subsidiarité et proportionnalité. La subsidiarité consiste à déterminer si, raisonnablement, une action donnée sera mieux conduite au niveau européen qu'au niveau national. La proportionnalité consiste à déterminer si cette action est excessive.

Les questions de la conservation des données et du temps de travail dans les armées ont donné lieu à des arrêts très importants de la Cour et du Conseil d'État. La conservation des données a fait l'objet de directives en 2002 et 2006. La question doit être examinée au regard de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. L'Union européenne est certainement l'espace où l'on accorde le plus d'importance au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles. Le règlement général de protection des données (RGPD) est un texte phare dans le monde.

Cet exemple montre comment la jurisprudence de la Cour peut évoluer à partir du dialogue entre juge national et juge communautaire. Dans l'arrêt Digital Rights Ireland Ltd de 2014, la Cour a estimé, de manière tranchée, qu'une rétention générale des données était impossible, même avec des conditions d'accès extrêmement strictes - sur autorisation juridictionnelle ou sous la surveillance d'un organisme indépendant, par exemple.

En France, on admettrait aisément une rétention générale de données pendant un an, puis un accès limité sur autorisation, du tribunal judiciaire par exemple. Mais ces garanties seraient-elles assurées partout dans l'Union européenne ? Rien n'est moins sûr.

En 2016, un deuxième arrêt est rendu, Tele2 Sverige, sur renvoi d'une juridiction suédoise. Une grande partie des États membres ont exprimé, à cette occasion, leur désaccord avec l'arrêt de 2014, jugé trop restrictif et susceptible d'entraver les enquêtes pénales. Or la Cour a fait évoluer sa position, admettant, par exemple, des rétentions ciblées, territorialisées, dans certains espaces menacés.

Enfin, en 2020 est arrivé l'arrêt Quadrature du Net, qui apporte de nouveaux assouplissements. Il permet une rétention générale de données liées à la sécurité nationale pour une durée raisonnable, notamment pour lutter contre la criminalité grave. Le Conseil d'État a pu s'inscrire dans cette évolution, se démarquant notamment de la Cour de Karlsruhe, en affirmant qu'il exercerait non pas un contrôle ultra vires, mais un contrôle sur les garanties apportées à l'exigence constitutionnelle de sécurité. Cette décision du Conseil d'État permet de ne pas s'inscrire en faux vis-à-vis des principes généraux du droit de l'Union européenne, tout en avertissant la Cour de ce qui ne fonctionne pas.

Les États ont deux mois pour intervenir sur une question préjudicielle. Une vingtaine l'ont fait pour l'arrêt relatif à la rétention de données. Dans le cas de l'arrêt sur le temps de travail des militaires - à la suite d'une question préjudicielle posée par la Cour suprême de Slovénie -, seuls quatre États sont intervenus : la Slovénie, l'Espagne, la France et l'Allemagne. Cette dernière a déclaré que l'application de la directive ne lui posait pas de problème. L'Espagne est réticente, et la France s'y refuse. Ainsi, un problème qui peut paraître très important pour un Etat membre n'a pas le même retentissement ailleurs.

L'arrêt aurait-il pu être différent ? Je le crois. En l'état, est-il aberrant ? Non. En effet, la directive a un champ d'application extrêmement large : elle s'applique à toutes les activités publiques et privées, et il n'y a de restrictions que pour certaines activités spécifiques.

Sur la base de ce texte de 1989, la Cour a bâti une jurisprudence sur laquelle elle n'a pas souhaité revenir. Consciente des difficultés que cela pouvait poser, elle s'est montrée très nuancée. Le Conseil d'État en a tiré les conséquences de manière très raisonnable.

Cet exemple nous montre à quel point il importe de circonscrire, dès le départ, le champ d'application d'un texte. Au moment de la négociation de la directive, la France aurait peut-être pu obtenir que l'armée en soit exclue.

Les possibilités d'intervention des États auprès de la Cour sont larges. Les questions préjudicielles leur sont communiquées. Les États peuvent également intervenir dans le cadre des recours en manquement, à l'appui ou en défense aux côtés d'un État poursuivi.

Quant aux Parlements, le droit de l'Union européenne ne leur réserve un sort particulier que dans le cadre des protocoles sur la subsidiarité et la proportionnalité. Un Parlement ne peut intervenir en tant que tel devant la Cour : cela appartient aux États, représentés par leurs agents. En admettant que tous les Parlements puissent intervenir, qui le ferait, de l'Assemblée nationale ou du Sénat ? Le Parlement français est considéré - à juste titre ! - comme respectueux de l'État de droit ; d'autres auraient-ils la même attitude vis-à-vis de la Cour ?

En France, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, l'action gouvernementale, en particulier l'action extérieure dont fait partie la représentation de l'État dans les juridictions internationales, revient au Gouvernement. Si un État veut prendre l'avis de la commission des affaires européennes de son Parlement sur une question donnée, c'est une question interne.

L'article 88-6 reprend la formulation du Protocole : le recours est « transmis à la Cour de justice de l'Union européenne par le Gouvernement ». En France, nous n'avons pas de règles plus précises, et je ne sais si d'autres États s'en sont dotés. Ce point mériterait une étude comparative.

Si soixante députés ou sénateurs décidaient de saisir la Cour, le recours serait transmis au Gouvernement, qui plaiderait l'affaire. La France est remarquablement défendue devant la Cour par la direction des affaires juridiques du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Celle-ci intervient dans 130 ou 140 affaires par an, des questions préjudicielles pour la plupart.

M. Jean-Yves Leconte. - En matière de conservation de données, considérez-vous que, si les compétences de l'Union européenne avaient été élargies, notamment à certains domaines de la sécurité nationale, le jugement de la CJUE aurait autant tenu compte de cette exigence que de la Charte des droits fondamentaux ou du RGPD ? Paradoxalement, à force de refuser la compétence de l'Union européenne sur la sécurité nationale, on finit par ne juger que par rapport aux compétences de l'Union, qui sont aujourd'hui très larges.

En matière fiscale, l'Union européenne, s'appuyant sur les directives, considère la cotisation sociale généralisée (CSG) et la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) comme des prélèvements sociaux, puisqu'elles financent des actions de protection sociale. Le Conseil constitutionnel les considère comme des impositions de toute nature.

Nous arrivons ainsi à des différences de traitement entre des personnes qui vivent en Europe, qui bénéficient de la protection de la Cour, et des personnes hors de l'Europe, qui se retrouvent dans des situations instables. Faut-il des évolutions sur le sujet ?

M. Jean-Claude Bonichot. - La différence de traitement entre les personnes qui vivent dans le cadre communautaire et celles qui n'y vivent pas est inévitable.

Si l'on considère que la jurisprudence de la Cour en matière de rétention des données ne donne pas assez de marge aux États, il faudrait modifier le droit primaire, c'est-à-dire les traités eux-mêmes. On est toujours réticent sur ce chapitre, mais, lorsqu'il faut le faire, on le fait !

Pour ma part, je ne crois pas à l'intangibilité du droit de l'Union européenne. C'est un ordre juridique comme un autre, même s'il est intégré. En cas de consensus entre les États, il est possible de modifier les traités : n'excluons pas cette idée. Cette question n'est pas technique ; elle est politique.

Dans ce domaine de la rétention des données, les préoccupations ne sont pas les mêmes dans tous les États membres : certaines populations ont gardé un vif souvenir de la surveillance étroite dont elles ont été l'objet pendant des décennies. La question est sensible.

Faut-il donner plus de compétences à l'Union européenne en matière de sécurité nationale ? Il est difficile de gérer ces questions à un autre niveau que celui de l'État. En revanche, une règle fixée en commun n'est pas à exclure.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Quelle forme pourrait prendre le dialogue entre la CJUE et les Parlements nationaux ? Le dialogue des juges fonctionne très bien, grâce au mécanisme de la question préjudicielle. En revanche, nous ne voyons pas de dialogue entre les Parlements nationaux et la Cour.

M. Jean-Claude Bonichot. - La réponse est très simple : il faut venir à la Cour ! Nous avons déjà reçu des délégations parlementaires, et nous nous apprêtons à recevoir la commission des affaires juridiques du Parlement européen.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Il y a le dialogue, et il y a les excursions !

M. Jean-Claude Bonichot. - Le Conseil d'État s'est rendu auprès de la Cour à la fin de l'année dernière pour une journée de travail, avec un ordre du jour fourni. Nous pouvons procéder de même avec les délégations parlementaires.

Vous dialogueriez ainsi avec mes collègues italienne, finlandais, etc. Tous parlent très bien le français, puisque c'est la langue de travail de la Cour. Ils vous donneront d'autres réponses que moi aux questions que vous m'avez posées. Je vous invite donc à venir, et à assister à une audience de grande chambre. Cela n'aurait rien d'une excursion !

M. Stéphane Le Rudulier, président. - Je vous remercie, monsieur le juge, pour vos réflexions sur le sujet très sensible de la judiciarisation de la vie publique. Nous prenons bonne note de votre invitation à un dialogue constructif entre le Sénat et votre juridiction !

M. Jean-François Rapin, président. - Merci beaucoup pour cet échange, qu'il serait effectivement intéressant pour la commission des affaires européennes de prolonger à Luxembourg.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 05.

Jeudi 24 février 2022

- Présidence conjointe de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Environnement et développement durable - Paquet « Ajustement à l'objectif 55 » - Examen d'un projet de proposition de résolution européenne

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Ce format de réunion est un peu particulier. Cette réunion conjointe de la commission des affaires européennes, de la commission des affaires économiques et de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable constitue le point d'aboutissement du processus de rédaction conjointe d'une proposition de résolution européenne (PPRE) sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui décline les objectifs climatiques de l'Union européenne en une douzaine de propositions de directives et de règlements européens.

Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte avaient présenté fin janvier une analyse d'ensemble devant chacune des trois commissions concernées. Depuis lors, de nombreux rapporteurs des trois commissions ont travaillé pour nous proposer aujourd'hui un texte d'ensemble consensuel, sur ce paquet particulièrement complexe. Ce projet de texte résulte de compromis entre différentes approches - c'est aussi cela, la méthode européenne - ; des compromis qui nous proposent, me semble-t-il, une démarche ambitieuse, mais réaliste, qui fait clairement ressortir l'enjeu de l'acceptabilité sociale de la transition climatique et du besoin d'accompagnement de celle-ci. Ces compromis ne sont pas des renoncements et ne mènent pas à une position incohérente ou « à l'eau tiède ».

Le travail de nos rapporteurs peut être salué. Il m'apparaît maintenant essentiel de conserver cet état d'esprit pour faire aboutir cette démarche concertée entre nos commissions et finaliser, ensemble, une position claire du Sénat sur ce paquet législatif. Ce paquet est en haut de l'agenda législatif de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Il aura des répercussions très concrètes sur nos concitoyens et nos entreprises.

Je vous propose, en accord avec la présidente Sophie Primas et le président Jean-François Longeot, auxquels je vais successivement céder la parole, que les rapporteurs puissent s'exprimer pendant deux minutes chacun. Nous aurons ensuite, si vous le souhaitez, une phase de débat sur l'ensemble du texte, avant d'évoquer de manière précise le contenu du projet de proposition de résolution.

Certains d'entre vous ont d'ores et déjà exprimé des demandes hier, devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ou devant la commission des affaires économiques pour modifier ce projet. J'ai moi-même reçu une demande d'ajout de visa de la part de Louis-Jean de Nicolaÿ. Je ne doute pas non plus que les groupes politiques auront des propositions de rédaction à soumettre.

Je précise la méthode d'examen de ces propositions, qu'elles soient d'ores et déjà formalisées ou qu'elles soient formulées à l'oral de manière plus spontanée : tous les commissaires, quelle que soit leur commission d'appartenance, peuvent naturellement prendre part au débat et formuler des propositions. S'agissant du vote en revanche, la procédure la réserve aux membres de la commission des affaires européennes. L'objectif est donc d'échanger autant que possible entre nous, en amont de ce vote, pour le préparer au mieux.

Après les propos de mes collègues présidents, je passerai la parole à Didier Marie, vice-président de la commission des affaires européennes, qui a suivi avec moi le processus collectif inédit qui a permis l'élaboration du projet de proposition de résolution européenne qui vous est soumis.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je suis très heureuse que nos trois commissions se retrouvent aujourd'hui, pour examiner une proposition de résolution sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». C'est un beau travail commun, concret et ambitieux, qui doit permettre au Sénat de faire entendre sa voix sur ce dossier majeur pour notre transition et notre souveraineté énergétiques. Je tiens ici à remercier chaleureusement le président Jean-François Rapin, le président Jean-François Longeot et l'ensemble des rapporteurs pour l'avoir rendu possible.

Notre commission s'est plus spécifiquement penchée sur le volet « Énergie » du paquet, qui a trait aux énergies renouvelables, à la performance et à l'efficacité énergétiques, aux biocarburants et à l'hydrogène, sans oublier la fiscalité énergétique. Dans l'examen préparatoire de ce volet, très dense et très technique, notre commission a souhaité rappeler plusieurs exigences, qui conditionnent à notre sens l'applicabilité du paquet et donc son atteinte.

Tout d'abord, le contexte de grave crise des prix des énergies impose de tenir compte de l'incidence du paquet sur le pouvoir d'achat des ménages, la compétitivité des entreprises ou la soutenabilité financière des collectivités territoriales. Plus encore, sans une complète neutralité technologique, accordant toute sa place à l'énergie nucléaire, la décarbonation de notre économie ne pourra pas être réalisée. En sus, davantage de stabilité et de lisibilité sont attendues de la législation européenne, car l'incertitude nuit toujours aux investissements des acteurs économiques. Enfin, les compétences souveraines des États membres doivent être respectées, notamment dans la définition de leur mix énergétique, ainsi que dans le soutien à l'efficacité énergétique et la lutte contre la précarité énergétique.

La compensation financière, la neutralité technologique, la stabilité normative et une subsidiarité effective sont des prérequis indispensables pour réaliser concrètement la transition énergétique à l'échelle européenne. Les recommandations proposées par nos rapporteurs vont dans ce sens ; elles confortent l'ambition du texte, tout en facilitant son application. C'est une ardente obligation, pour diviser par deux nos émissions d'ici à 2030 et atteindre la « neutralité carbone » à l'horizon 2050, car les secteurs de l'énergie et du logement représentent 40 % des émissions européennes.

Pour que l'application du paquet soit une réussite, je forme le voeu que l'Europe relève trois défis. Le premier défi est celui de l'indépendance énergétique, car les turbulences actuelles, économiques, mais aussi géopolitiques, sur le marché européen du gaz, démontrent la nécessité de réduire notre dépendance au gaz, émissif et importé. Cela suppose de relancer l'énergie nucléaire, mais aussi de développer les énergies renouvelables et leur stockage.

Le deuxième défi est celui de l'autonomie minière, car la transition énergétique repose sur une très forte consommation de métaux rares, dont l'approvisionnement doit être sécurisé et les émissions maîtrisées. La fabrication de nos panneaux solaires, nos pales d'éoliennes, nos batteries électriques ou nos électrolyseurs d'hydrogène en dépend.

Le dernier défi est celui de la relocalisation industrielle, car la décarbonation de notre économie repose sur des industries énergétique, automobile, agroalimentaire ou du bâtiment actives, sources d'emploi, de recherche et d'innovation. Nous devons d'urgence relocaliser nos chaînes de valeur et consolider notre autonomie stratégique.

À ces conditions, la transition énergétique pourra être considérée non comme une contrainte juridique, mais comme une opportunité économique, à même de placer l'Europe aux avant-postes de la décarbonation.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous voici donc réunis ce matin pour débattre de l'aboutissement d'un travail considérable sur ce paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Je remercie les présidents de commission, particulièrement le président Jean-François Rapin, pour l'organisation souple qui nous a permis de nous appuyer sur l'expertise de chaque commission et de nous assurer de la cohérence du message sénatorial avec les travaux précédemment menés. Je remercie également l'ensemble des rapporteurs.

La proposition de résolution, dans la version qui vous est présentée ce matin, est le fruit d'un travail d'auditions et de consultations menées depuis le début du mois de janvier. Cette réflexion a été prolongée par un déplacement enrichissant à Bruxelles, où notre commission a pu échanger avec Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, et la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. Ce texte est le résultat d'un compromis : cette tâche n'était pas simple, mais vous êtes parvenus, mesdames, messieurs les rapporteurs, à nous proposer un projet équilibré.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a souhaité que cette résolution soit à la hauteur de nos engagements climatiques. Nos rapporteurs ont donc été particulièrement vigilants au maintien de la cohérence climatique de la résolution : l'ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55 % en 2030 par rapport à 1990 devait être maintenue en pratique - et non seulement en théorie - sur l'ensemble du texte, en dépit d'oppositions parfois légitimes à certaines propositions de la Commission. Cet équilibre me semble globalement préservé dans le projet proposé, même si notre commission a fait un certain nombre de concessions. J'en suis évidemment satisfait et j'y vois le signe d'un consensus croissant sur la finalité du paquet : la lutte contre le réchauffement climatique.

M. Didier Marie, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Je veux saluer le travail de nos rapporteurs, qui nous permettent d'aboutir ce matin à une proposition de résolution européenne qui est, dans l'ensemble, équilibrée. La lutte contre le changement climatique et ses effets est un sujet majeur à l'échelle mondiale. Elle s'inscrit dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat que le Sénat a soutenu à plusieurs reprises.

Au travers du Pacte vert pour l'Europe, dont ce paquet est l'une des déclinaisons opérationnelles, l'Union européenne entend jouer un rôle moteur dans cette lutte, en développant un nouveau modèle de croissance durable et vertueuse. Ce paquet législatif aura des effets très concrets sur la vie de nos concitoyens et sur nos entreprises, sur l'évolution des énergies, des transports ou encore du bâtiment. Il était donc nécessaire que le Sénat prenne position à une étape pertinente des négociations.

L'enjeu politique essentiel, bien mis en relief par le texte qui nous est soumis, est celui de l'accompagnement de la transition climatique. Cette transition doit être socialement inclusive. L'acceptabilité sociale de ce paquet est un sujet clé, de même que son volet d'accompagnement budgétaire et financier. À cet égard, nous proposons une approche critique de la démarche de la Commission européenne, qui doit présenter une stratégie de financement de la transition adaptée aux enjeux. Il y a assurément sur ce point des marges de progrès et je pense que nous pourrions l'interpeller encore davantage sur la mise en oeuvre de nouvelles ressources propres. Le financement du Fonds social pour le climat est un sujet important, notamment pour la solidarité intra-européenne et la capacité des États membres de l'Europe de l'Est à accepter la démarche. Je citerai également l'inclusion des secteurs du bâtiment et des transports routiers au mécanisme de marché carbone. Nos débats interviennent à un moment d'envolée des prix de l'énergie, mais, plus fondamentalement, le fonctionnement actuel du marché européen de l'électricité doit être réformé. La proposition de résolution souligne les risques liés à la réforme du marché carbone et propose des garde-fous qui sont des points d'équilibre.

Nous retrouvons cette démarche d'équilibre concernant les puits de carbone et la mise en oeuvre du règlement sur la répartition de l'effort entre les États membres - la solidarité est au coeur de la démarche européenne -, tout comme en matière de commercialisation des véhicules neufs en Europe, puisque la résolution confirme la fin de la commercialisation des véhicules à moteur thermique en 2035, tout en demandant la mise en place d'une dérogation jusqu'en 2040 pour les véhicules hybrides.

La lutte contre le dérèglement climatique est un enjeu mondial. L'Union européenne ne produit que 8 % des gaz à effet de serre ; elle se doit d'être moteur. Ce pacte doit constituer le pilier de sa diplomatie climatique et elle doit utiliser sa politique commerciale pour faire progresser ses normes, ses valeurs et ses règles de durabilité, dans un monde malheureusement perturbé.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure de la commission des affaires européennes. - Je me félicite de la démarche initiée par nos trois commissions pour permettre au Sénat de prendre position sur ce sujet majeur de la mise en oeuvre de la loi européenne sur le climat. L'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici à 2030 par rapport à 1990 n'est pas qu'un chiffre en l'air : cela va devenir une réalité tangible pour nos concitoyens. Nous en avions déjà conscience lors de l'examen du projet de loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, mais je crois que notre démarche permet à chacun d'entre nous de bien le mesurer et de préciser les enjeux à l'échelle de l'Europe.

Nous avons tous cherché une voie d'équilibre par rapport aux propositions de la Commission européenne : une voie d'équilibre éminemment sénatoriale, ce qui nous conduit à mettre l'accent sur l'acceptabilité sociale, économique et territoriale de ce paquet. C'est un point essentiel. La transition sera lourde. Prenons garde aux contestations possibles si les mesures sont mal calibrées ou mal accompagnées. Nous avons connu les « gilets jaunes » en France et, clairement, cette préoccupation sociale, économique et territoriale est au coeur du texte que nous présentons aujourd'hui. Je veux ainsi, une nouvelle fois, souligner devant vous la nécessité d'un portage politique au plus haut niveau de cette politique de lutte contre le changement climatique. Il faudra faire oeuvre de pédagogie et dialoguer avec nos concitoyens pour mettre en oeuvre les mesures de manière efficace et harmonieuse.

Nous avons également exprimé des points de vigilance sur la compétitivité de nos entreprises : nous soutenons l'objectif global, mais demandons à veiller à l'accompagnement de la transition et à pallier certaines failles, comme celles qui ont été identifiées sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui pénaliserait en l'état les entreprises exportatrices, ce qui n'est pas acceptable.

Nous mettons l'accent sur les moyens d'accompagnement et sur le Fonds pour l'innovation, que nous souhaitons renforcer. Cela me paraît constituer un point d'équilibre par rapport à des mesures qui insistent plus sur la solidarité intra-européenne, évoquée par Didier Marie. Les alinéas 94, 95 et 119 de la proposition de résolution me paraissent ainsi essentiels. Ce paquet de mesures est d'une grande complexité et la Commission européenne en joue assurément. J'ai pu le constater lors de deux déplacements à Bruxelles. La France préside aujourd'hui le Conseil de l'Union ; c'est une chance que nous devons saisir, même si cette présidence va être hachée par la période électorale qui s'ouvre. Je forme le voeu que le Gouvernement intègre nos préoccupations, celles du Sénat.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Il est heureux qu'au sein de nos trois commissions ainsi qu'au Conseil européen, les objectifs ne soient pas remis en cause et qu'il s'agisse maintenant de savoir comment nous parviendrons aux objectifs que nous nous sommes collectivement fixés. Cette volonté européenne est essentielle. L'analyse des propositions de la Commission européenne indique combien notre vie quotidienne, nos activités économiques, nos politiques publiques seront impactées par la loi européenne sur le climat, en matière d'énergie, de transport, d'industrie ou de logement. Je ne suis pas sûr que nous mesurions l'ampleur des changements essentiels à venir et qui bousculeront nos comportements ainsi que nos référentiels de valeurs.

Nos référentiels, comme celui de la « richesse argent » comme seule mesure de la croissance, sans tenir compte de l'impact de l'activité économique sur notre capital environnemental, sont à remettre en cause. Or aujourd'hui, alors que nous sommes en pleine campagne présidentielle, ces changements ne sont pas au coeur de nos débats. Ceci est inquiétant.

Les enjeux financiers et techniques du défi que nous nous fixons sont considérables ; il va falloir investir dans l'innovation et la recherche pour trouver des solutions. Il ne faut négliger aucune direction de recherche, tant que nous n'avons pas la certitude d'avoir une solution globale. Se posent aussi des questions en matière de normes RSE, de délégation aux États membres d'un certain nombre de politiques de compensation des coûts engendrés par les dispositifs retenus, à l'instar de l'usage du Fonds social pour le climat.

Enfin, je me réjouis que la résolution insiste sur le fait qu'il s'agit d'un projet européen majeur et ambitieux, Il faudra en assurer le financement dans le temps, après le plan de relance, mais aussi « dans l'espace », pour entraîner nos voisins, principalement ceux qui sont liés par des accords d'association, une union douanière ou un processus d'élargissement dans cette démarche et que ceci soit pris en compte dans la mise en place du Mécanisme de compensation carbone aux frontières. Les efforts et la transformation de notre continent, qui représente moins de 10% des émissions carbone du monde, ne seront utiles que ni nous arrivons, avec succès, en utilisant tous les outils dont nous disposons, à entraîner nos partenaires dans la même direction.

M. Daniel Gremillet, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Au terme de ses travaux préalables sur le volet « Énergie » du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », notre commission propose d'infléchir les différents textes dans plusieurs directions.

Tout d'abord, nous souhaitons garantir une neutralité technologique, entre l'hydrogène nucléaire et l'hydrogène renouvelable, partout où les textes du paquet y font référence. C'est une position cohérente avec la résolution européenne sur l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte, que nous avons adoptée en décembre dernier. Elle est indispensable à l'essor de la filière française de l'hydrogène.

Ensuite, nous entendons favoriser davantage les bioénergies : les biocarburants, le biogaz et le bois-énergie. Naturellement, ces bioénergies doivent respecter des critères de durabilité et ne pas entraîner de conflits d'usages. Pour autant, elles ne doivent pas être omises, car elles sont très utiles pour faire aboutir la décarbonation jusque dans les territoires ruraux.

Dans le contexte très dégradé de crise des prix des énergies, il est crucial de soutenir les ménages en situation de précarité énergétique, ainsi que les entreprises énergo-intensives, en veillant notamment à ce qu'ils bénéficient de soutiens fiscaux ou d'aides budgétaires idoines.

Plus encore, nous voulons consolider la place des autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE), c'est-à-dire des collectivités territoriales exerçant une compétence en matière d'énergie, en tenant mieux compte de ces acteurs dans la réforme de la taxation de l'électricité, l'application des projets d'énergies renouvelables ou encore l'électrification des quais.

Enfin, un dernier point d'attention est de garantir la compétence des États membres, tant dans la définition de leur mix énergétique que dans la lutte contre la précarité énergétique. Cela est fondamental pour permettre à la France de conserver son parc nucléaire, atout majeur de sa décarbonation, et utile pour garantir aux Français des politiques publiques au plus près des territoires.

Je forme le voeu que ces recommandations, concrètes, techniques, ponctuelles, qui facilitent l'application du texte sans toucher à sa portée, recevront l'assentiment de chacun.

Au-delà du paquet « Ajustement pour l'objectif 55 », deux difficultés doivent encore être levées : d'une part, il faut inclure pleinement l'énergie nucléaire à la « taxonomie verte », qui l'assimile à une activité transitoire et non durable ; d'autre part, il faut réformer réellement le marché européen de l'électricité, car la tarification de l'électricité selon le principe du « coût marginal » lie malheureusement la valeur de l'électricité décarbonée aux fluctuations du gaz fossile.

Je souhaite que la PFUE permette de progresser réellement et rapidement sur ces enjeux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Dans le cadre du volet « Énergie » du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », notre commission émet aussi des recommandations sur les enjeux de performance et d'efficacité énergétiques des bâtiments.

En premier lieu, nous proposons d'appliquer un principe de neutralité technologique entre les différentes sources d'approvisionnement en énergie des bâtiments, en revalorisant la place de l'électricité par rapport à celle du gaz et des énergies renouvelables de réseaux par rapport à la production sur site dans la définition des bâtiments faiblement émissifs. C'est, en somme, le modèle énergétique français que nous souhaitons conserver.

Nous suggérons également que l'application des nouvelles normes de performance énergétique s'accompagne d'une aide financière pour les propriétaires, les bailleurs ou les locataires. C'est une nécessité pour leur permettre de faire face aux surcoûts induits, dans le contexte de crise des prix des énergies.

De plus, nous souhaitons que les contraintes spécifiques auxquelles sont confrontés les bailleurs sociaux soient prises en compte. En effet, ces acteurs majeurs de la solidarité nationale doivent être accompagnés, et non déstabilisés, pour adapter le parc d'habitations à loyer modéré (HLM) aux nécessaires standards de la décarbonation.

Par ailleurs, nous proposons de permettre l'expérimentation du biogaz pour l'alimentation en énergie des bâtiments, comme s'y est d'ailleurs engagé le Gouvernement auprès de la filière biogaz, lors de la révision récente des normes nationales de performance énergétique.

Enfin, nous recommandons de garantir la compétence des États membres pour définir les principes et les modalités de la politique d'efficacité énergétique nationale. C'est une nécessité pour bien prendre en compte les spécificités nationales existantes, et répondre ainsi aux besoins identifiés localement.

Pour conclure, je partage les points d'attention indiqués par la présidente Sophie Primas et mon collègue Daniel Gremillet sur la stabilité normative, la compensation financière et la neutralité technologique : ce sont des prérequis indispensables pour faire en sorte que la transition énergétique soit effective, car acceptée. Or, dans le domaine du logement, je regrette les changements incessants de législation, nationale comme européenne ; sur ce point, je rappelle que nous venons tout juste de réformer la réglementation environnementale 2020 (RE2020), applicable aux bâtiments neufs, et le diagnostic de performance énergétique (DPE), prévu pour les bâtiments existants.

Il est déplorable que, trois ans après la loi « Énergie-Climat » de 2019, et six mois après la loi « Climat-résilience » de 2021, nous devions encore légiférer sur ces sujets.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteure de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - J'aimerais rappeler quelques positions structurantes de notre commission dans cette résolution. Je ne serai évidemment pas exhaustive.

Concernant la réforme du marché carbone européen - le SEQE ou ETS -, notre appréciation est globalement positive, notamment puisque la réforme envisagée accélérera la transition bas carbone des industries européennes. Nous avons aussi jugé pertinente la proposition de consolidation de la réserve de stabilité du marché (MSR) pour renforcer la stabilité du prix de la tonne de COsur le marché carbone. Nous aurions toutefois apprécié que cet outil soit complété par l'instauration d'un prix plancher et d'un prix plafond, croissant dans le temps, afin de renforcer la visibilité pour les acteurs économiques et de crédibiliser à long terme l'augmentation du prix de la tonne de CO2. Cette proposition n'a pas été retenue dans la proposition de résolution européenne.

Concernant la création d'un nouveau marché carbone pour le transport routier et le bâtiment, nous avons relayé les nombreuses inquiétudes sociales, mais également environnementales, autour du dispositif proposé par la Commission européenne, tout en insistant sur la nécessité de préserver la cohérence générale du paquet « Climat ». C'est pourquoi nous avons proposé un certain nombre de garde-fous - prix plafond sur ce nouveau marché, limitation du dispositif aux professionnels et moyens accrus pour l'accompagnement des plus précaires - au lieu de nous opposer frontalement à la proposition de la Commission européenne. Notre commission est très attachée à cet équilibre, fidèlement retranscrit dans la résolution.

Nous nous félicitons également de l'instauration d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, même si nous pensons que son périmètre pourrait être élargi en 2026 à certains produits de base, voire à certains produits finis, pour limiter les risques de perte de compétitivité des industries européennes. Nous nous interrogeons également sur la pertinence du calendrier pour l'extinction totale des quotas gratuits, actuellement prévue en 2036, au regard de l'ambition climatique du paquet et de la nécessité de faire naître des champions industriels bas carbone au niveau de l'Union européenne. Ces points apparaissent très nettement dans la résolution.

Sur le volet transport de ce paquet, nous avons jugé que l'interdiction de vente des véhicules thermiques neufs en 2035 était ambitieuse et réaliste, compte tenu de l'accélération de la transition vers les motorisations électriques par les constructeurs français et européens et du bilan carbone favorable des véhicules électriques par rapport aux véhicules thermiques, même dans une analyse de cycle de vie, a fortiori en France, où l'électricité est peu carbonée. Nous prenons acte de la dérogation demandée dans la résolution pour les hybrides rechargeables, tout en estimant qu'il faudra encourager largement l'usage de carburants durables par ces véhicules.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je me joins aux remerciements du président Longeot à l'attention de nos collègues de l'ensemble des autres commissions, avec lesquels nous avons travaillé en bonne intelligence.

Notre commission a souhaité voir figurer certains points dans cette proposition de résolution européenne.

Nous avons tout d'abord fait de l'objectif de réduction des émissions de 55 % l'élément structurant de la résolution : il nous a semblé indispensable de préserver la cohérence d'ensemble du texte afin de coller en pratique - et non seulement en théorie - à cet objectif.

La dimension sociale est le deuxième fil rouge de cette résolution. Toutefois, nous avons rappelé que cette préoccupation ne devait pas être un alibi, qui nous conduirait à renoncer à agir fermement. Nous avons donc plutôt insisté sur la nécessité d'un accompagnement social dimensionné au défi inéluctable que représente la transition climatique du continent.

Troisième considération générale : nous avons souligné que la transition offrait des opportunités économiques considérables et devait, à cette aune, être accélérée pour développer des industries bas-carbone européennes.

Quatrième fil rouge, dans la droite ligne de nos travaux précédents et des enseignements que nous avons tirés de la COP26 : le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » devrait constituer le pilier de la diplomatie climatique de l'Union européenne, en agissant comme un levier pour le relèvement de l'ambition des États tiers.

Enfin, le dernier élément cardinal est que le niveau d'investissement particulièrement élevé requis pour atteindre les objectifs à l'horizon 2030, puis la neutralité carbone à l'horizon 2050, conduise à une réflexion approfondie sur le soutien financier, grand absent de ce paquet « Climat ». La proposition de résolution invite donc tout particulièrement la Commission européenne à adapter les règles du pacte de stabilité et de croissance - elles limitent les niveaux annuels de déficit et de dette au niveau national - pour inciter et faciliter les investissements publics verts.

M. Claude Kern, rapporteur de la commission des affaires européennes. - En tant que rapporteur de la commission des affaires européennes sur le volet « Énergie » de ce paquet, je m'associe aux propos de mon collègue Daniel Gremillet, dont je partage les conclusions et les propositions.

Le secteur de l'énergie constitue indéniablement la clé de voûte pour atteindre les objectifs très ambitieux fixés à l'ensemble des États membres par la Commission européenne. Je rappelle que 75 % des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne proviennent de la consommation et de la production d'énergie. La décarbonation du secteur de l'énergie est donc une étape essentielle pour parvenir à la réduction de ces émissions et à la neutralité climatique de l'Union prévue d'ici à 2050.

Les ambitions climatiques de l'Union européenne s'inscrivent aujourd'hui dans un contexte inédit de très haut niveau des prix des énergies, que nous devons prendre en considération. Cette situation, qui est appelée à durer, renforce les questionnements que nous avons sur le financement de la transition climatique, ses conséquences sur le coût énergétique pour les acteurs économiques, notamment pour les PME, et les inquiétudes sur le pouvoir d'achat des ménages européens.

Si nous partageons l'ambition de ce paquet, la politique énergétique européenne doit s'inscrire dans le respect de certains principes : la souveraineté des États membres sur le choix de leur bouquet énergétique, la neutralité technologique et la prise en compte de la situation des États membres dont la production d'électricité est déjà largement décarbonée.

Ainsi, nous considérons que l'ensemble des solutions décarbonées en matière énergétique doivent pouvoir contribuer à la transition énergétique, qu'elles soient issues de sources renouvelables ou non. Sur de nombreuses dispositions de ce texte, nous avons exprimé le souhait d'élargir le périmètre actuel aux carburants bas carbone ou de pouvoir valoriser une électricité autre que renouvelable, dans les règles de calcul des émissions de gaz à effet de serre. Le principe de neutralité technologique doit aussi bénéficier à l'hydrogène, qui constitue un enjeu géopolitique et de souveraineté majeur. Le directeur général de l'énergie et du climat au ministère de la transition écologique a d'ailleurs souligné, lors de son audition, le risque de passer d'une dépendance au gaz russe à une dépendance à l'hydrogène du Sahara.

Nous devrions disposer d'orientations générales sur ces textes « Énergie » à la fin du premier semestre 2022 ; une réunion du Conseil « Énergie » doit ainsi se tenir à la fin du mois de juin.

M. Pierre Laurent, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Un important travail a été réalisé ces dernières semaines, en un temps express et beaucoup trop contraint, sans donner aux commissions le temps de réaliser une évaluation contradictoire approfondie. Des éléments d'appréciation essentiels nous font défaut, tels que le niveau d'investissement nécessaire, l'impact des changements productifs et sociaux amenés par le pacte vert ou les conditions pérennes des financements massifs attendus.

La PPRE estime nécessaire de mettre en place des modalités d'implication des parlements dans le suivi des négociations et demande à la Commission européenne de présenter des études d'impact plus pertinentes. Je m'en félicite, même si nous n'avons aucune garantie en la matière. Comment serons-nous associés aux négociations, alors que le Parlement va cesser de siéger, au moment même de la PFUE ?

La PPRE nous engage de manière positive sur le paquet, non seulement sur l'objectif de 55 %, mais aussi sur les voies pour y parvenir. À ce stade, ce soutien me paraît hasardeux, prématuré et aveugle à maints égards.

Nous sommes en pleine campagne présidentielle et en pleine PFUE. Avons-nous conscience que la grande majorité de nos concitoyens ignore l'impact du paquet que nous sommes en train de soutenir ? Voyez la suppression des véhicules thermiques et hybrides en 2035 : c'est demain ! Il en est de même pour l'élargissement du marché carbone aux ménages par l'introduction du chauffage et des carburants, ou l'augmentation à 40 % de la part des renouvelables dans les mix énergétiques.

Je souligne un point clé : le caractère juste de la transition devrait se trouver en amont et au centre des décisions, pour conduire à un cadre légal de transition juste, comme le propose la Confédération européenne des syndicats (CES). Or la proposition du Sénat continue de s'inscrire dans une logique qui ne traite la dimension sociale qu'en termes d'atténuation et de compensation, alors que 50 millions de ménages européens sont déjà en précarité énergétique.

Sur la création d'un marché carbone pour le transport routier et le bâtiment, nous rendons les armes avant d'avoir mené le combat, en intégrant dans la PPRE toutes les possibilités, même les plus mauvaises, plutôt que de nous en tenir, au début des négociations, au refus de ce marché en l'état. La création du Fonds social pour le climat est conditionnée au maintien de l'élargissement du marché carbone, rendant aléatoire tout le système de compensation sociale.

La PPRE demande une révision des modalités de fonctionnement du marché de l'électricité - je m'en félicite -, mais elle ne donne aucune indication sur le sens de cette révision. S'agissant de la libéralisation du marché de l'énergie, le Sénat ne propose rien. La concurrence aberrante entre les opérateurs nationaux et les opérateurs alternatifs va donc continuer, entravant notre capacité à agir de manière planifiée et durable.

Malgré notre soutien au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, l'étroitesse du champ couvert va poser de nombreux problèmes, sans parler de son lien avec le marché carbone, qui risque d'engendrer des inégalités très importantes.

Sur la nécessité de sortir des règles obsolètes du pacte de stabilité, la vague mention dans la PPRE à ce sujet est bien trop légère par rapport au niveau des investissements à mobiliser. J'avais fait des propositions de rédaction, elles n'ont pas été retenues à ce stade. En l'état, je ne pourrai pas soutenir une telle PPRE.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes- Effectivement, le temps est contraint. Cette PPRE doit porter ses fruits au cours de la PFUE, qui subit la situation électorale et la situation de crise. Nous aurions eu de grandes difficultés à réunir les trois commissions après la suspension des travaux en séance plénière et donc à porter la parole du Sénat. Il est vrai que les parlements nationaux n'ont absolument pas été consultés. Nous n'avons pas pu travailler en amont. Au nom du Sénat français, nous nous positionnons dès lors que les textes nous sont transmis. Il ne s'agit en rien de faire passer un texte à marche forcée. Le calendrier est contraint, et nous avons dénoncé cette situation.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je ne critique pas les trois présidents de commission, je ne fais que dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas !

M. Dominique de Legge, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Les transports sont aujourd'hui responsables de 30 % des émissions totales de COde l'Union européenne. Malgré les efforts de décarbonation des filières du secteur, les émissions de gaz à effet de serre se sont accrues de près de 20 % en Europe depuis 1990, en raison du développement des secteurs routier et aérien. Ce secteur a donc un rôle essentiel à jouer dans la transition écologique. Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » fixe une trajectoire de réduction de 90 % des émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur des transports d'ici à 2050, et d'au moins 55 % en 2030. Je laisserai mes collègues, Pascale Gruny et Jean-Michel Houllegatte, évoquer plus précisément les trois textes qui recouvrent les secteurs routier, aérien et maritime et les carburants alternatifs.

Pour ma part, je souhaiterais vous faire part de quatre considérations d'ordre général.

Ces textes auront des traductions concrètes, plus spécifiquement pour les entreprises des secteurs aérien et maritime. Je voudrais rappeler qu'elles sont, pour la plupart, déjà très engagées dans la diminution de l'impact environnemental de leurs activités et qu'elles investissent dans des technologies ou procédés qui permettent une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Je déplore l'absence d'évaluation de l'impact des mesures proposées par la Commission européenne. Cela est d'autant plus regrettable qu'elles sont particulièrement complexes et que leur cumul rend difficile l'appréhension des interactions entre elles. Nous demandons à la Commission européenne, dans notre proposition de résolution, de présenter en cours de négociation des études actualisées et sectorielles. Il s'agit de s'assurer de l'impact des différentes dispositions sur les ménages, les entreprises et les territoires ainsi que de la crédibilité du calendrier.

J'en viens à l'acceptabilité sociale et économique. Le maintien de la compétitivité des entreprises françaises et l'adaptation de la transition à nos territoires sont aussi des enjeux transversaux à l'ensemble des textes du paquet ; nous devons leur porter une attention particulière. Le niveau d'investissement de la transition écologique est très élevé. Les interlocuteurs bruxellois que nous avons auditionnés nous ont d'ailleurs alertés sur la capacité de l'Union européenne à financer ces mesures.

Nous avons pris bonne note de la création d'un Fonds social pour le climat. Mais nous disposons de peu d'éléments sur la hauteur de son financement. Quels sont les critères pour sa mobilisation et sa redistribution ? Comment les disparités géographiques seront-elles prises en compte ? Quel sera son mode de gestion ?

Mme Pascale Gruny, rapporteur de la commission des affaires européennes- Permettez-moi de citer quelques chiffres pour mesurer les efforts que doit accomplir le transport routier pour contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et parvenir à la neutralité climatique à l'horizon 2050. Aujourd'hui, le transport routier représente 80 % du transport des passagers de l'Union européenne et 75 % du transport des marchandises. Les voitures et les camionnettes génèrent plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre des transports en Europe, ce qui représente 12 % des émissions européennes totales. La mobilité est bien au coeur de la transition climatique.

Je voudrais attirer votre attention sur quelques points qui me semblent importants pour engager le continent européen dans une transformation profonde de son économie, des usages des transports et des modes de comportement des citoyens. Plusieurs sujets de vigilance ont déjà été évoqués, tels que l'acceptabilité de la transition par les ménages, le maintien de la compétitivité des entreprises européennes, en particulier dans le domaine des transports, ou le financement des mesures nécessaires à cette transition. Le niveau d'ambition pour s'adapter au changement climatique nécessite, en effet, des investissements considérables dans la recherche et l'innovation. J'ai la conviction que le développement de transports décarbonés est un des enjeux forts de la transition écologique et que l'accompagnement des ménages au report modal, qui concerne en priorité les grandes métropoles, doit aussi être favorisé.

Par ailleurs, pour lever les barrières à l'achat de véhicules électriques, le déploiement d'infrastructures de recharge doit s'accélérer. C'est pourquoi nous souhaitons un renforcement des objectifs fixés par la Commission européenne, qui concerne d'ailleurs tous les modes de transport. Je ne reviendrai pas sur la proposition relative à la fin de la commercialisation des véhicules à moteur thermique qui a précédemment été exposée.

Cependant, nous devons être particulièrement attentifs à l'incidence que pourrait avoir cette mesure sur le marché des véhicules d'occasion. Il ne faudrait pas qu'elle favorise une augmentation des exportations de nos voitures anciennes et très polluantes vers des pays moins développés. J'ai donc proposé le développement d'une économie circulaire, notamment pour l'automobile, qui peut se matérialiser par le reconditionnement de véhicules - certaines entreprises se sont déjà positionnées sur ce créneau - ou la réutilisation de pièces détachées. J'invite aussi à mieux prendre en compte l'ensemble du cycle de vie au regard des enjeux de neutralité carbone.

Enfin, il me semble important d'être attentif à la superposition de mesures européennes dont l'effet cumulatif peut avoir des conséquences sur les acteurs économiques.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur de la commission des affaires européennes. - J'aborderai le volet du paquet relatif aux secteurs aérien et maritime.

L'objectif de la Présidence française est de conclure des orientations générales à la fin du premier semestre 2022 sur la quasi-totalité des textes. Force est de noter que deux des textes les plus avancés dans la négociation entre États membres concernent les projets de règlement qui visent, d'une part, à obliger les fournisseurs de carburants à accroître la part des carburants d'aviation durables, et, d'autre part, à réduire l'intensité des émissions de gaz à effet de serre de l'énergie utilisée à bord des navires. L'utilisation de carburants d'aviation durables, qui permet de réduire les émissions globales de COjusqu'à 80 % par rapport au kérosène fossile, constitue, en effet, l'un des principaux leviers de la réduction des émissions de l'aviation.

Plusieurs études montrent d'ailleurs que le transport aérien peut parvenir à la neutralité carbone à l'horizon 2050. Trois leviers de décarbonation sont actuellement identifiés : les carburants d'aviation durables (SAF), les avancées technologiques dans un avenir plus ou moins lointain - Airbus vient ainsi d'annoncer un premier test de moteur d'avion propulsé avec de l'hydrogène, qui sera réalisé en 2026, et qui pourrait être une étape importante vers la mise au point d'un avion zéro émission -, ainsi que la mise en oeuvre du ciel unique européen qui implique un effort de la part des États membres pour moderniser et rationaliser le contrôle aérien, permettant des trajectoires plus directes au-dessus du territoire européen. Ces trois points sont exposés dans la proposition de résolution telle que présentée aujourd'hui.

Je voudrais aussi vous faire part de plusieurs points de vigilance.

Premièrement, le risque de contournement par les hubs et de distorsion de concurrence pour les compagnies aériennes européennes est un premier sujet d'attention. L'aéroport d'Istanbul, par exemple, pourrait à terme devenir un concurrent pour les aéroports européens.

Deuxièmement, la recherche et l'innovation dans le domaine des carburants alternatifs pour l'aviation doivent contribuer à la réduction de l'écart des coûts entre les SAF et le kérosène.

Troisièmement, le développement de la production de carburants d'aviation alternatifs à grande échelle conditionne la décarbonation du secteur.

Quatrièmement, enfin, il faut être attentif au coût de la transition énergétique pour le secteur de l'aviation. 

L'objectif de réduction des gaz à effet de serre est également largement soutenu par les acteurs du transport maritime, mais plusieurs points de vigilance ont toutefois été identifiés, notamment la prise en compte de la disponibilité des carburants et de leur coût, alors que ce secteur repose, à l'heure actuelle, presque entièrement sur les combustibles fossiles.

M. Jacques Fernique. -Cette proposition de résolution constituera l'approche du Sénat sur le paquet « Climat » par lequel l'Europe donne corps à son nouvel objectif de réduction de 55 % des gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Il s'agit non pas d'en rester aux belles formules, mais de mettre en place des actions concrètes. Au travers de cette proposition de résolution, le Sénat prend la mesure de cet objectif en envisageant les nécessaires réformes structurelles et sectorielles pour transformer nos industries, nos transports, notre agriculture et nos conditions énergétiques. Il affirme également l'urgence de parvenir à un cadre clair et soutenable pour les ménages, les entreprises et nos territoires. On ne peut pas gagner le combat climatique dans un seul pays ou dans la seule Union européenne, qui représente 8 % du problème. Cette proposition de résolution insiste à juste titre sur la capacité d'entraînement dont l'Europe peut jouer, par l'ajustement carbone à ses frontières et par ses capacités de régulation des échanges économiques mondiaux. Les termes précis de cette proposition constituent donc un pas explicite vers la remise en cause des politiques ultralibérales de libre-échange ; les alinéas 200 et 201 sont éloquents à cet égard.

Cette PPRE pointe la nécessité d'accompagnement pour l'acceptabilité sociale, d'adaptation des politiques de formation professionnelle, de reconversion des métiers, de soutien aux territoires et aux appareils productifs affectés. Notre groupe propose de muscler la proposition de résolution en ajoutant, après l'alinéa 95, un alinéa sur le rôle clé des territoires dans la mise en oeuvre concrète de politiques déterminantes en matière climatique. Il serait bon de pointer la nécessité, pour l'Union européenne, de présenter une stratégie globale pour abonder le financement de l'action climatique des territoires. La mobilisation et la mise en cohérence des différents fonds structurels, des fonds d'investissement et des divers programmes de soutien financier, doivent s'opérer au profit des collectivités territoriales - un accord sur cette proposition de rédaction devrait se dégager au sein de la Chambre des territoires.

Voilà les avancées positives qui caractérisent la proposition de résolution européenne. Restent deux écueils majeurs qui en compromettent la bonne trajectoire. L'énergie nucléaire et les biocarburants sont deux fausses solutions. La première ne doit pas être traitée comme les énergies renouvelables. Elle est dangereuse, coûteuse et porte en elle des conséquences néfastes au-delà de nos frontières nationales. Or il ne faut pas nier les divergences d'approche entre États membres en la matière et l'importance des objectifs de sobriété énergétique et de développement des énergies renouvelables. Quant aux biocarburants, notre groupe a la conviction qu'ils ne remplaceront jamais les carburants conventionnels fossiles dans les secteurs aérien et maritime. C'est pourquoi l'alinéa 148 ne peut rester en l'état. Il convient certes de promouvoir les biocarburants, mais pas « quelle que soit leur génération ». Les agrocarburants de première génération représentent une concurrence inacceptable.

Cette proposition de résolution prend effectivement le sujet à bras-le-corps, mais deux illusions la rendent inopérante : la foi nucléaire et la croyance dans les biocarburants.

M. Daniel Salmon. - Je reviendrai sur les deux points de divergence que vient de soulever Jacques Fernique. L'énergie nucléaire, tout d'abord, est très présente tout au long de cette PPRE. Elle est très différente des autres en ce qu'elle ignore les frontières - le nuage de Tchernobyl ne s'y est pas arrêté ! En réalité, la liberté de chaque pays de se doter du mix énergétique de son choix vient affecter celle des autres. Si un accident majeur devait intervenir en France, les autres pays européens seraient impactés. De plus, cette énergie est génératrice de déchets qu'il nous faut gérer pendant des durées dépassant notre échelle humaine. Par ailleurs, à nos frontières, les bombes tombent en ce moment. Or la vulnérabilité de la France en temps de paix est indéfendable en temps de guerre ! Cette donnée doit absolument être prise en compte, car demain, nous pourrions connaître de graves difficultés liées à l'énergie nucléaire. Les biocarburants sont une partie de la solution. Compte tenu de la situation en Ukraine, la surface agricole utile en France sera à l'avenir très sollicitée : pour l'alimentation, les fibres et l'énergie. Elle ne pourra pas alimenter le transport aérien et le transport maritime, très voraces en énergie. Ces problèmes s'ajouteront à ceux du commerce international. Nous devons faire preuve d'une très grande vigilance - car ce sont, en définitive, deux fausses solutions - et placer la sobriété en tête de nos priorités.

Mme Angèle Préville. - Je salue le travail très important qui a été réalisé face aux enjeux colossaux qui sont devant nous. Je ferai une proposition de rédaction concernant les alinéas 172, 177 et 180 qui mentionnent les carburants synthétiques susceptibles d'être élaborés à partir de fossiles, de charbon, de lignite, de pétrole. Il faudrait d'emblée les exclure et ne mentionner que les carburants synthétiques provenant d'énergies renouvelables, à l'exclusion de ceux provenant d'énergies fossiles. Se trouve actuellement dans l'atmosphère un stock inédit de dioxyde de carbone, inégalé au cours des 800 000 dernières années. Afficher simplement une neutralité carbone dans notre feuille de route ne suffira pas ; il nous faudra réduire ce stock à l'origine du dérèglement climatique.

Sur les alinéas 130 et 131 relatifs au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, nous aurions pu aller beaucoup plus loin eu égard aux interpellations régulières du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) à propos de l'impact carbone des produits finis. Au lieu de dire que l'intensité carbone des produits importés « peut être évaluée », je proposerais d'écrire : « devant être évaluée ».

M. Stéphane Demilly. - Je prendrai le contrepied des propos tenus sur les biocarburants. J'ai présidé des groupes de travail sur le sujet à l'Assemblée nationale durant vingt ans, publié de nombreux rapports et participé à de multiples tables rondes et colloques. Ce sujet a toujours déclenché des débats passionnés, souvent manichéens et caricaturaux comme tout à l'heure.

Parmi toutes les études sérieuses, pas celles financées par les lobbies pro ou anti-biocarburants, celle qu'a menée l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) démontre clairement l'intérêt environnemental des bio ou agrocarburants. Ceux-ci ne sont pas exempts de défaut, mais ils sont bons pour l'environnement - moins 50 % de gaz à effet de serre pour l'éthanol, et moins 66 % s'ils sont réalisés à partir de betteraves - et pour l'agriculture, car ils sont une source de diversification, notamment pour les betteraviers qui ont perdu 100 000 hectares en trente ans. Plus d'une exploitation disparaît chaque heure dans notre pays. Les biocarburants sont également une ressource favorable au pouvoir d'achat et à notre indépendance énergétique, car nous dépendons à 99 % des importations pour le fossile. Ils sont aussi utiles à notre indépendance diplomatique et économique, qui ne peut être assurée sans indépendance énergétique. Or celle-ci est mise à mal par le contexte international actuel et notre dépendance au gaz russe...

Ces carburants n'ont jamais eu pour objet de remplacer totalement les carburants fossiles, et nos terres arables ont vocation à être nourricières, pour reprendre les propos du ministre de l'agriculture. C'est pourquoi seulement 2,3 % de notre surface agricole utile est destinée aux biocarburants, contre 3 % en moyenne en Europe. La solution miracle n'existe pas, et la méthanisation a ses défauts, de même que l'éolien et le solaire. Quant au nucléaire, je vous laisse juges. Il ne faut pas tenir des propos excessifs, et le biocarburant est une des nombreuses pistes à explorer. C'est pourquoi je suis très heureux que cette proposition de résolution européenne lui consacre un beau chapitre.

M. Ludovic Haye. - Merci pour ces interventions qui représentent les différentes sensibilités. Ce sujet me tient particulièrement à coeur : les douze propositions législatives du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » vont assurément dans le bon sens et s'inscrivent dans le droit fil des priorités françaises. Pour la présidence française, le présent semestre est crucial pour concilier investissements économiques et ambitions climatiques, avec en ligne de mire la justice sociale.

Cette approche globale correspond à celle que la France a adoptée dans le plan de relance, la loi « Énergie-Climat », puis le projet de loi « Climat et résilience ». Selon cette optique, la PPRE est compatible avec cette stratégie. Sur ce point, l'alinéa 90, qui sous-entend que nous devons nous appuyer sur le potentiel nucléaire pour valoriser nos engagements dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous satisfait.

Il en est de même pour la référence à la nouvelle taxonomie verte européenne énoncée à l'alinéa 60. Nous ne pouvons que souscrire à l'alinéa 93, en vertu duquel la transition vers une économie décarbonée ne doit pas être synonyme de décroissance. Nous sommes tous d'accord pour une écologie capable d'innovation, pourvoyeuse d'emplois, qui ne gaspille pas ni ne détruit, mais crée de la richesse.

De même, l'acceptation sociale figurant à l'alinéa 94 doit animer chaque responsable politique. Nous proposons sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières la même vision que la France a portée. C'est un paradigme indispensable si nous voulons nous tourner vers une géopolitique responsable. Cela représenterait un changement culturel majeur en Europe et une avancée diplomatique réelle.

Pour toutes ces raisons, je soutiendrai cette PPRE au nom de mon groupe.

M. Franck Montaugé. - À l'alinéa 93, il m'apparaîtrait plus adéquat d'écrire que la transition vers une économie décarbonée « doit s'inscrire dans le cadre d'une croissance mesurée par des objectifs de développement durable adaptés aux enjeux et à la planification qui en résulte. »

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Une proposition de rédaction a été proposée en ce sens. Peut-être votre proposition sera-t-elle satisfaite.

EXAMEN DES PROPOSITIONS DE RÉDACTION

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Louis-Jean de Nicolaÿ a formulé une proposition de rédaction afin de faire référence, dans les visas de la résolution, à la lettre de mission qui lui avait été adressée par le Président du Sénat en vue de la COP26. Il s'agit de préciser à nouveau l'implication du Sénat sur ces sujets, en particulier la délégation d'une mission dans ce cadre. Cette spécificité ne soulève pas de problème et ne déstructure pas la PPRE.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Lors de la réunion interparlementaire en marge de la COP26 à Glasgow, le président Larcher avait en effet souhaité qu'une motion - adoptée à l'unanimité - rappelle le rôle vital des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des politiques d'atténuation du changement climatique et d'adaptation à celui-ci, et la nécessité de leur apporter un financement suffisant. Cela doit permettre d'atteindre l'objectif de 55 %.

La proposition de rédaction est retenue.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - À l'alinéa 79, une proposition de rédaction vise à remplacer les mots : « réévaluer les modalités de fonctionnement du » par les mots : « réformer le ». La rédaction serait donc la suivante : « Considérant que les effets potentiels du paquet "Ajustement à l'objectif 55 " et la forte hausse des prix des énergies invitent à réformer le marché européen de l'électricité. » Cette formulation est un peu plus offensive ; j'y suis plutôt favorable.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Notre commission est d'accord avec cette écriture un peu plus offensive, qui devrait répondre en partie aux remarques de M. Laurent. Il y a urgence à réformer très rapidement le système de tarification de l'électricité.

M. Franck Montaugé. - Cet alinéa 79 appelle d'une certaine façon à la révision du marché de l'électricité. L'évocation d'un sujet aussi important ne devrait-elle pas figurer à la fin du texte, où l'on appelle à des actions concrètes ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Nous avons voulu mettre l'accent sur l'acceptation sociale et sociétale du dispositif. Ceci oriente notre conclusion qui propose une ouverture. Je suis favorable au maintien de cette architecture du texte.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Lundi soir, lors de l'élaboration de la rédaction du texte que nous examinons ce matin, j'ai envoyé un texte avec une série de propositions, qui ont visiblement été classées sans suite. Qu'en est-il ?

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Vous pouvez les présenter de nouveau.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je le ferai donc au moment de l'examen des alinéas concernés.

La proposition de rédaction est retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - À l'alinéa 93, nous proposons de remplacer les termes : « ne doit pas être synonyme de décroissance », par le terme : « nécessite ». La rédaction serait donc la suivante : « Affirme que la transition vers une économie décarbonée nécessite de concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale... ». La référence à la décroissance nous apparaissait un peu trop défensive ; nous proposons là aussi une version plus offensive.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - La rédaction initiale avait du sens pour ne pas accréditer une perspective décroissante par ce texte. Je ne suis donc a priori pas très favorable à cette proposition, mais je souhaiterais entendre l'avis de la présidente de la commission des affaires économiques et du président de la commission de l'aménagement du territoire.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - N'ayant pu évoquer cette question avec les commissaires, mon avis sera personnel. Dans cette PPRE, nous devons donner un cap stratégique pour l'Europe. À l'instar du président Rapin, je ne pense pas que la décroissance soit une option pour l'Europe. Je comprends le sens de la proposition de rédaction, mais j'émettrai un avis très réservé.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - La possibilité d'émettre des avis divergents fait partie de l'intérêt de ce format de réflexion.

M. Patrice Joly. - La croissance et la décroissance, déjà évoquées dans de multiples réunions, doivent à l'évidence être questionnées de nouveau. Nous nous orientons nécessairement sur une croissance différente. Si la production de biens matériels est toujours nécessaire, sa finitude se heurte à l'infini culturel et relationnel.

M. Franck Montaugé. - Je partage la position de la présidente de la commission des affaires économiques, mais la décroissance renvoie à la dimension purement économique du développement. La notion d'objectif de développement durable trouverait sa place, qui ne se limite pas à la seule dimension productive de notre société. Il s'agit d'un positionnement stratégique.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cette notion figure déjà dans l'alinéa.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - La rédaction initiale me paraissait équilibrée. Autrement, nous risquons de ne pas être au rendez-vous de l'enjeu de la transition décarbonée. La France et l'Europe doivent être présentes, tout en conciliant le développement durable, le développement économique et l'inclusion sociale. C'est un pari sur l'avenir !

M. Pierre Louault. - La croissance sera verte ou ne sera pas ; les deux notions sont liées !

M. Laurent Duplomb. - J'ai l'impression de rêver : notre continent est depuis cinq heures du matin en guerre, pour la première fois depuis 1945 - hormis la guerre de Yougoslavie. Ce n'est tout de même pas anodin ! Les conséquences seront considérables sur les prix des énergies, notamment du gaz russe, le blé ukrainien, les bourses mondiales et en particulier européennes. C'est comme si nous nous trouvions dans une voiture sans moteur, sans feux, sans frein qui va droit dans le mur, et que nous continuions à parler de tout et de rien. Sommes-nous aujourd'hui à la hauteur du débat ? En quelques minutes, Vladimir Poutine va émettre la quantité de dioxyde que nous produirions en plusieurs mois ou plusieurs années. Si demain l'Europe est en guerre, croyez-vous vraiment que l'on se posera la question de la décroissance ?

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Je suis défavorable à la proposition de rédaction. L'écriture de l'alinéa 93 est tout à fait équilibrée. Il faut au contraire maintenir le terme « décroissance » pour le distinguer des autres notions du texte.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je souhaite également le maintien de cette rédaction, pour une autre raison simple : pour financer nos objectifs, nous avons besoin de croissance. Il faut l'affirmer très clairement.

M. Daniel Salmon. - Nous sommes évidemment favorables à cette proposition visant à supprimer le terme « décroissance ». On parle souvent de sobriété. Or notre trajectoire d'une croissance infinie sur une planète finie n'est pas viable. Ce terme de « décroissance » irrite beaucoup, notamment quand nous le portons. S'il disparaissait de ce texte, ce serait mieux pour tout le monde !

M. Didier Marie, rapporteur. - Nous ne voulions pas engager un débat sur la décroissance. Nous souhaitions juste proposer une formulation plus positive que celle qui était inscrite. À l'instar de nombre de nos collègues, nous sommes pour une croissance, mais différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. Elle serait respectueuse du développement durable, du développement économique et de l'inclusion sociale. Cela étant, eu égard à l'imbroglio que cette suggestion semble susciter, nous la retirons.

La proposition de rédaction est retirée.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - À l'alinéa 94, une proposition de rédaction vise à insérer après le mot : « d'accompagnement » les mots : « et d'inclusion sociale ». La rédaction serait la suivante : « ...et à prévoir les dispositifs pertinents d'accompagnement et d'inclusion sociale de cette transition en amont... ». J'y suis favorable.

La proposition de rédaction est retenue.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je proposais d'insérer, entre les alinéas 93 et 94 un alinéa sur la question de la transition juste. Ce terme ne figure pas une seule fois dans le texte. Concernant le cadre « clair et soutenable », j'avais proposé qu'il soit « juste, clair et soutenable ». Mais cela n'a pas été retenu. Quant au terme « d'inclusion sociale », il est trop minimal et devrait s'attacher au développement économique. Il faudrait passer d'une logique de compensation à une logique de promotion sociale.

Je vous soumets donc la proposition suivante : « Demande que la transition juste s'appuie sur un cadre légal qui doit conduire les États membres à garantir les droits sociaux fondamentaux dans la période de transition, à renforcer les systèmes de protection sociale, à garantir la négociation collective des plans de transition des entreprises et des administrations, notamment pour favoriser les droits à la formation, à la requalification et au perfectionnement des travailleurs dans les domaines des nouvelles technologies propres, et à l'adaptation aux changements climatiques ». Cette idée s'inspire fortement des demandes des syndicats et d'une proposition plus détaillée de la Confédération européenne des syndicats (CES).

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - On touche aux compétences des États membres.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - L'action européenne en matière de participation et de formation doit respecter le principe de subsidiarité.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - À l'alinéa 95, une proposition de rédaction vise à insérer après le mot : « besoins » les mots : « notamment au regard du niveau des ressources propres actuelles et futures, largement en deçà des dépenses prévues. » La rédaction qui en découle serait la suivante : « S'inquiète de l'adéquation des ressources prévues aux besoins, notamment au regard du niveau des ressources propres actuelles et futures, largement en deçà des dépenses prévues, et appelle la Commission à présenter une stratégie globale de financement adaptée aux enjeux et, le cas échéant, à envisager le regroupement des différents fonds qui y contribuent ; ».

Aujourd'hui, le niveau de ressources propres de l'Union européenne est insuffisant. Des négociations sont en cours, dont le troisième volet n'a pas été engagé. Par ailleurs, le montant des investissements à réaliser est sous-estimé comme l'indique Mme Lagarde, selon laquelle ce montant est au moins égal au double de ceux qui sont déjà prévus.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Les ressources propres doivent en principe être allouées essentiellement au remboursement de l'emprunt commun. Il ne faut à mon sens pas y déroger. La proposition viserait à augmenter le volume des ressources propres pour prévoir une affectation plus importante. Compte tenu de la logique du dispositif tel que je l'ai présenté avec le rapporteur général du budget, je resterai sur cette position, à moins de prévoir en priorité le remboursement de l'emprunt commun à l'échelle européenne. Il est hors de question de puiser dans ces ressources propres pour financer ne serait-ce que le Fonds social pour le climat !

M. Didier Marie, rapporteur. - L'Europe est confrontée à deux enjeux : rembourser la dette mutualisée ayant permis de mettre en oeuvre le Fonds de relance, et investir massivement dans la transition écologique. Quelle que soit l'affectation des fonds, tant pour le remboursement de la dette que pour les investissements, ils sont insuffisants ; à moyen terme, les États devront contribuer. Il faut donc absolument poursuivre les négociations pour augmenter le niveau des ressources propres et prendre en considération la réalité du montant des investissements à réaliser. Notre proposition ne consiste pas à imaginer un vase communicant entre les deux ; c'est un paquet global que l'Europe devra mettre en oeuvre pour financer la totalité de ses engagements, aussi bien sur la dette que sur la transition écologique.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je suis d'accord sur le principe, sous réserve de bien définir l'objectif de l'utilisation des ressources propres. Sinon, cette solution va à l'encontre de ma philosophie, partagée par nombre des commissaires, selon laquelle nous allons tout droit vers un fédéralisme financier non contrôlé. Ce désaccord est légitime, mais je n'adhère pas à l'utilisation complète des ressources propres ou à leur augmentation pour financer un budget européen. Il m'apparaît essentiel que les États gardent une maîtrise budgétaire en Europe. Je suggère donc d'ajouter à la proposition les termes : « rappelle que les nouvelles ressources propres doivent être prioritairement affectées au remboursement de l'emprunt mutualisé levé pour financer l'instrument de relance Next Generation EU. » Cela vous convient-il ?

M. Didier Marie, rapporteur. - Oui, sachant qu'il s'agit d'une masse globale qui devra être affectée en fonction des besoins. Le remboursement de la dette proviendra soit de l'affectation des ressources propres, soit d'une contribution des États. Il en sera de même des investissements réalisés en matière de transition écologique.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je ne voterai pas cette proposition de rédaction. Le débat est irréel : la sous-estimation globale des niveaux de financement est considérable, bien qu'elle ne puisse être appréciée faute d'éléments probants.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est pourquoi ce garde-fou permettra en priorité de rembourser l'emprunt avec les ressources propres.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Dans ce cas, il ne faut pas dire que la priorité des priorités est de parvenir à 55 % en 2030.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est peut-être le fond du problème.

Mme Marta de Cidrac, rapporteure. - Notre proposition a le mérite d'être claire et d'évoquer justement les besoins. De quoi parle-t-on ? Nous ne le savons pas précisément. Il serait inopportun d'introduire de nouvelles subtilités susceptibles de nous échapper.

La proposition de rédaction, modifiée, est retenue.

M. Jacques Fernique. - Après l'alinéa 95, ma proposition de rédaction, qui a été travaillée avec Ronan Dantec, insiste sur le rôle clé des territoires. Elle consisterait à ajouter : « Rappelle l'importance de l'approche territoriale et enjoint la Commission européenne à présenter une stratégie globale de financement adaptée aux capacités et opportunités d'action des territoires, estime que la mobilisation et la mise en cohérence des différents fonds structurels, des fonds d'investissement européens et des divers programmes de soutien financier intéressant les collectivités territoriales est une condition nécessaire à l'atteinte des objectifs à l'horizon 2030 et à la neutralité carbone en 2050. »

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cette proposition de rédaction me semble globalement acceptable pour les deux commissions. Il est pertinent de rappeler l'importance de l'approche territoriale sur le sujet. Toutefois, nous suggérons de remplacer « enjoint » par « demande ».

M. Jacques Fernique. - C'est d'accord.

La proposition de rédaction est retenue.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteure. - Après l'alinéa 106, la proposition de rédaction de notre collègue Jean Bacci vise à rappeler que l'Europe ne parviendra pas à tenir le niveau d'adoption de carbone qu'elle s'est fixé dans le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » si elle ne lutte pas efficacement contre les feux de forêt. Il faut, pour cela, que des politiques publiques adaptées en matière de prévention des risques soient mises en place, tant au niveau national qu'au niveau européen.

La rédaction qui en découlerait serait la suivante : « Afin d'atteindre le niveau d'absorption de carbone visé par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », insiste également sur la nécessité de mobiliser une politique de prévention des risques aux échelles européenne et nationale à la hauteur de la menace que représente l'augmentation de l'intensité et du nombre d'incendies en Europe du fait du dérèglement climatique. » Notre commission a donné un avis favorable à cette proposition de rédaction.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je ne m'oppose pas à cette proposition, qui « ne mange pas de pain », si je puis dire, mais je trouve qu'elle est un peu décalée par rapport à l'objet de la PPRE. Le problème des mégafeux et de la pollution qu'ils apportent est très important : il faut le combattre au niveau européen. Toutefois, si l'on adoptait cette proposition, il faudrait également parler de la lutte contre la pollution marine, contre la pollution des eaux, contre la pollution de l'air... À nouveau, je ne m'y oppose pas pour autant.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable soutient cette proposition de rédaction, et il serait regrettable que la commission des affaires européennes ne l'adopte pas. Il vaut mieux que nous la retirions - je m'en entretiendrai avec M. Bacci. Je souligne néanmoins que, d'un point de vue environnemental, ce sujet est fondamental.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Dans les arbitrages, nous n'avions pas retenu cette proposition de rédaction, car, comme l'a dit la présidente Sophie Primas, rien n'empêcherait alors d'intégrer toutes les questions environnementales, tous les types de pollutions... Plus on ajoute à la PPRE, moins on lui donne de corps.

M. Didier Marie, rapporteur. - Je me satisfais de la demande de retrait du président de la commission des affaires européennes, parce que notre texte s'intéresse aux douze mesures législatives du paquet « Climat ». Or il n'y a pas de mesure législative concernant les feux de forêt. C'est une préoccupation importante, mais qui mériterait, effectivement, une démarche séparée.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteure. - Je retire donc la proposition de rédaction, présentée au nom de M. Bacci. Je lui ferai part de nos débats.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Rien ne l'empêche de déposer une proposition de loi sur le sujet !

La proposition de rédaction est retirée.

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Aux alinéas 107 et 108, qui portent une appréciation très positive sur le système d'échange de quotas d'émissions SEQE-1, la proposition que j'avais préparée tendait à une rédaction beaucoup plus nuancée.

Je m'en tiendrai à vous proposer de réécrire les premières lignes de l'alinéa 108 de la manière suivante : « Prend acte des évaluations de la Commission européenne sur le bilan du SEQE-1, souligne toutefois que ce bilan appelle une évaluation approfondie et contradictoire. » Cette absence d'évaluation critique du SEQE-1 est, à mon avis, très discutable, d'autant que l'appréciation très positive que l'on porte sur le SEQE-1 a des conséquences sur la manière dont est promu le SEQE-2, qui suscite encore plus de problèmes. Ce point me paraît extrêmement important.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Votre proposition ne soulève de difficultés pour aucun des présidents.

La proposition de rédaction est retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - À l'alinéa 117, nous proposons, après le mot « rurales », d'insérer une nouvelle phrase : « souhaite dès lors qu'au moins 50 % des recettes issues du nouveau système d'échange de quotas d'émissions pour les secteurs du bâtiment et du transport routier (SEQE-bis) soient allouées au fonds social pour le climat ; et ».

L'idée est simple : dès lors que l'on instaure un nouveau système, et quelles que soient les critiques dont celui-ci peut faire l'objet, nous considérons qu'il devrait alimenter le Fonds climat pour le climat, dont on sait qu'il est insuffisamment financé, pour accompagner les publics les plus en difficulté, ainsi que, éventuellement, les petites et moyennes entreprises.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je sollicite le retrait de cette proposition de rédaction : dans la mesure où l'on a peu de visibilité sur le financement du fonds social pour le climat, il paraît compliqué de s'engager sur des montants...

M. Dominique de Legge, rapporteur. - On ne peut à la fois déplorer l'absence d'impact et de visibilité du fonds et expliquer qu'on veut augmenter son budget ! Ce n'est pas très logique.

M. Didier Marie, rapporteur. - Tout au long de la PPRE, on indique que l'une des principales difficultés sera l'accompagnement social des publics susceptibles de pâtir d'une modification de la transition énergétique.

À ce jour, la Commission européenne prévoit une affectation de 25 % des nouveaux quotas au fonds climat, ce qui représente, au total, 72,2 milliards d'euros. Tout le monde considère que ce montant est insuffisant pour permettre l'accompagnement et l'acceptabilité sociale des changements à venir.

C'est pourquoi nous proposons de prélever plutôt 50 % des nouveaux quotas qui seront installés, de manière à avoir les moyens d'accompagner réellement toutes celles et tous ceux qui seront pénalisés par le changement de paradigme.

Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. - Je comprends évidemment l'objectif de cette proposition de rédaction : tout au long de la PPRE, on insiste fortement sur l'acceptation sociale de la transition énergétique.

Il me semble néanmoins que cette proposition est un peu prématurée, parce que l'on ne sait pas à quoi servent les 75 % restants. Il y a peut-être, derrière, de très bonnes intentions et de très bonnes idées. Je suis donc un peu sceptique.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Je partage ce point de vue : on peut comprendre cette proposition de rédaction, mais je crois qu'il faut que nous trouvions un consensus et que le dispositif soit affiné. Nous n'y sommes donc pas favorables.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - Aux alinéas 125, 142, 172, 177 et 180, mes cinq propositions de rédaction visent à ajouter, après le mot « biocarburants », la formule suivante : « dont le bilan carbone et énergétique est positif », afin de rassurer sur la nature des biocarburants qui seraient utilisés - je vous renvoie au débat que nous avons eu tout à l'heure.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - C'est un grand point de désaccord entre les deux commissions...

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Il ne s'agit pas d'un désaccord : nous considérons que ces propositions de rédaction sont satisfaites. En effet, les biocarburants doivent aujourd'hui respecter les critères de durabilité - c'est l'objet des directives « Énergies renouvelables 2 » (EnR 2) et « Énergies renouvelables 3 » (EnR 3). N'oublions pas que le paquet promeut déjà les biocarburants dans les objectifs des EnR et que cette promotion est d'ores et déjà conditionnée à une diminution entre 50 et 65 % des émissions liées à leurs installations - cela sera encore plus avec la nouvelle règlementation européenne.

Les propositions de rédaction ne sont pas retenues.

M. Didier Marie, rapporteur. - J'avais proposé une proposition de rédaction tendant à supprimer l'alinéa 148, mais, pour gagner du temps, je vais présenter directement ma proposition de repli : il s'agit, après le mot « biocarburants », d'insérer « dont le bilan carbone et énergétique est vertueux » et, surtout, de supprimer, « quelle que soit leur génération ».

Sans rouvrir le débat, je rappelle qu'il convient de distinguer les biocarburants d'hier et ceux d'aujourd'hui, qui n'ont pas exactement la même valeur écologique.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Cette proposition de rédaction est problématique.

Premièrement, elle enlève une protection magistrale pour nos agriculteurs concernant la référence aux importations prohibées de soja et d'huile de palme.

Deuxièmement, elle supprime la référence aux critères de durabilité, chose que, je pense, personne ne souhaite.

M. Jacques Fernique. - Nous avions soumis une proposition de rédaction tendant elle aussi à supprimer les mots « quelle que soit leur génération » - je l'ai évoqué lors de mon propos liminaire. Cela fragilise votre argument...

M. Pierre Cuypers. - Je rappelle que la première génération n'a pas encore complètement et totalement abouti. Il faut donc maintenir la rédaction en l'état.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - À l'alinéa 164, ma proposition de rédaction consiste à le rédiger de la manière suivante : « Juge que doit être appliqué un seuil d'émission, adapté, ambitieux et graduel, pour les énergies fossiles référencées dans le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 du Parlement européen et du Conseil sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088 dit règlement sur la taxonomie, et utilisées pour le chauffage et le refroidissement, plutôt qu'une interdiction sèche ; »

Il s'agit d'encadrer la possibilité de poursuivre l'utilisation d'énergies fossiles, s'agissant notamment du logement social et des bâtiments, pour le chauffage et le refroidissement, pour la limiter à la condition expresse qu'il s'agisse d'énergies fossiles référencées dans la taxonomie - soit essentiellement le gaz.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je vais répondre à la place de ma collègue Dominique Estrosi Sassone : le problème de cette proposition de rédaction est qu'elle empêcherait les logements sociaux de recourir au gaz, ce que font aujourd'hui les trois quarts du parc social.

M. Didier Marie, rapporteur. - La rédaction que nous proposons permet de considérer que ce sont les énergies fossiles qui sont aujourd'hui encore autorisées dans le règlement de la taxonomie, soit le gaz, à l'exclusion de toute autre.

On peut très bien imaginer que, dans tel ou tel pays, on continue de chauffer les logements sociaux avec des chaudières au charbon. L'idée est de s'en tenir exclusivement à ce que l'Union européenne a prévu.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - La taxonomie n'autorise que le gaz émettant moins de 100 grammes de CO2 par kilowattheure.

Il faut mesurer les conséquences qui découleraient de cette rédaction pour les logements sociaux...

M. Didier Marie, rapporteur. - C'était le sens de notre proposition de rédaction tendant à remonter à 50 % le taux des nouveaux quotas affectés au Fonds pour le climat pour accompagner les modifications.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'idée est bonne. Le seul problème est que le gaz que vous évoquez n'existe pas. Soyons concrets.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire et du développement durable sont défavorables à la proposition.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Je vous soumets une proposition de rédaction, de nature technique, qui vise à supprimer un doublon : l'alinéa 171 est en effet redondant avec l'alinéa 192, lequel concerne également la certification internationale des carburants d'aviation durables et moins bien rédigé.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cette proposition de rédaction est portée par la commission des affaires européennes. J'y suis favorable.

La proposition de rédaction est retenue.

Mme Angèle Préville. - Je propose de modifier la rédaction des alinéas 172, 177 et 180 pour rappeler que les carburants synthétiques peuvent être élaborés à partir de charbon et de lignite. Il me paraît absolument nécessaire de le mentionner, car il ne serait pas vertueux d'utiliser des matières fossiles pour fabriquer des carburants synthétiques. Il faut exclure ceux qui seraient fabriqués de la sorte.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cela est déjà pleinement intégré dans l'objectif général du texte. Vos propositions de rédaction sont satisfaites. La base moléculaire de tous les carburants restera le carbone.

Mme Angèle Préville. - En termes d'émissions de gaz à effet de serre, fabriquer des carburants synthétiques en se servant de l'électrolyse de l'eau et du dioxyde de carbone qui se trouve dans l'atmosphère est vertueux. Utiliser le charbon et le lignite ne l'est pas.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Le texte prévoit des seuils d'émission, qui excluent, de fait, le charbon et le lignite. La proposition de rédaction est donc satisfaite.

M. Daniel Salmon. - Si elle ne l'était pas, ajouter cette précision me semblerait tout à fait pertinente : ce n'est pas du tout la même chose que le carbone soit issu de matières fossiles ou des énergies renouvelables !

Mme Angèle Préville. - En effet !

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Pour les mêmes raisons, avis défavorable à votre proposition de rédaction indiquant, aux alinéas 172, 177 et 180, que les carburants synthétiques doivent être élaborés à partir d'énergies renouvelables.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

Mme Angèle Préville. - À l'alinéa 130, ma proposition de rédaction tend à aller plus loin sur l'intégration des produits supplémentaires dans le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : il s'agit d'écrire que l'intensité carbone « doit » - et non « peut » - être évaluée, et que des produits de base supplémentaires « devraient » - et non « pourraient » - être intégrés au mécanisme à l'occasion de la clause de revoyure. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous interpelle très souvent sur l'impact environnemental des produits finis importés.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je suis plutôt défavorable à cette proposition de rédaction, qui complexifie les choses. Au reste, le marché carbone doit respecter les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), et votre proposition fragiliserait cette nécessaire conformité.

Mme Denise Saint-Pé, rapporteure. - Nous en avons débattu en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Même si l'objectif est tout à fait louable, nous avons nous aussi conclu qu'il y aurait un risque d'incompatibilité avec les règles de l'OMC.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

Mme Angèle Préville. - À l'alinéa 131, nous proposons, dans le même état d'esprit, de remplacer « l'opportunité » par « la nécessité » d'une extension du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières à certains produits finis exposés à un risque de fuites de carbone. Ce serait montrer un peu plus de volontarisme sur le sujet.

La proposition de rédaction n'est pas retenue.

M. Didier Marie, rapporteur. - À l'alinéa 96, je propose la rédaction suivante : « Considère que la transition vers une économie décarbonée présente de réelles opportunités de développement économique mais que le niveau d'ambition affiché par l'Union européenne lui impose de jouer le rôle de meneur économique et de développement durable ainsi que de prescripteur de normes en matière de durabilité. »

Il s'agit d'affirmer que l'Union européenne doit imposer - par la négociation, bien évidemment - ce changement de paradigme à l'échelle internationale, notamment dans le cadre des règles de l'OMC.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Cette proposition paraît acceptable.

La proposition de rédaction est retenue.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Pour répondre au souhait que Pierre Laurent a exprimé tout à l'heure, je lui suggère une proposition de rédaction tendant à intégrer l'expression « transition juste » dans notre PPRE. Nous pourrions le faire à ce même alinéa 96, par la rédaction suivante : « souligne néanmoins la nécessité d'accompagner l'évolution des acteurs économiques, des ménages et des territoires les plus vulnérables pour permettre une transition juste. »

M. Pierre Laurent, rapporteur. - Je suis d'accord.

La proposition de rédaction est retenue.

La proposition de résolution européenne est ainsi modifiée pour être déposée dans cette rédaction par ses auteurs.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Je remercie les rapporteurs, mes deux collègues présidents et les groupes politiques. Nous avons travaillé à la façon européenne, avec beaucoup de diplomatie, en nous égarant parfois dans les réflexions, mais en étant, au final, efficaces.

La réunion est close à 10 h 55.