Mercredi 12 janvier 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Marché intérieur, économie, finances, fiscalité - Perspectives pour l'union bancaire et la réglementation prudentielle au sein de l'Union européenne - Audition de MM. Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne (BCE) et Dominique Laboureix, secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

M. Claude Raynal, président. - Avec nos collègues de la commission des affaires européennes, et son président, Jean-François Rapin, que je remercie d'avoir pris cette initiative, nous avons le plaisir d'accueillir Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne, et Dominique Laboureix, secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Nous les remercions d'avoir répondu favorablement à l'invitation de nos deux commissions pour cette audition consacrée aux perspectives de l'union bancaire et de la réglementation prudentielle au sein de l'Union européenne.

Alors que la crise que nous traversons ne manque pas de susciter des inquiétudes dans tous les domaines, nous serions tout d'abord intéressés d'entendre votre analyse de la santé financière du secteur bancaire européen et, en particulier, des banques françaises. En effet, il semble que la position des régulateurs ait évolué au fur et à mesure de la crise.

Si, au début de l'année 2020, la menace sur la santé du système bancaire apparaissait très sérieuse, faisant planer le risque, selon M. Enria, d'un « tsunami de créances non performantes », cette menace apparaît aujourd'hui moins forte et apparemment mieux maîtrisée. Les grandes banques ont d'ailleurs annoncé reprendre le versement de dividendes élevés et lancer des programmes de rachats d'actions. Selon votre analyse, les banques sont-elles sorties d'affaire ou devraient-elles faire preuve de davantage de prudence ?

Cette situation plutôt favorable pour les banques contraste, d'ailleurs, avec celle que nous avions connue en 2008. C'est bien pour répondre à la fragilité résultant du lien entre dette souveraine et bilans bancaires que l'union bancaire a été lancée en 2012, appuyée pour partie sur le mécanisme de résolution unique (MRU).

Nous avons ainsi examiné et adopté il y a quelques mois le projet de loi autorisant la ratification de l'accord modifiant le traité instituant le mécanisme européen de stabilité (MES). Il vise à instaurer un « filet de sécurité » (backstop) permettant au MES de prêter jusqu'à 68 milliards d'euros au Conseil de résolution unique (CRU), l'agence européenne chargée de la résolution des établissements de crédit. Ce dispositif constitue - il était temps ! - une avancée majeure pour l'union bancaire.

Dans son rapport sur ce projet de loi, notre collègue Jean-Marie Mizzon relevait que, si les États parties étaient convenus d'une mise en oeuvre anticipée du filet de sécurité, au 1er janvier 2022, seuls six États avaient déposé leur instrument de ratification. Nous serions intéressés de connaître l'état de la progression du processus de ratification dans les différents États membres et ses conséquences sur l'entrée en vigueur de ce nouveau dispositif, qui constitue l'un des piliers de l'union bancaire.

M. Jean-François Rapin, président. - Je remercie nos deux invités d'être venus nous éclairer sur la santé du secteur bancaire européen, dont on sait le rôle clé en matière de financement de l'économie européenne. En effet, le financement de nos entreprises privilégie traditionnellement le crédit sur les marchés financiers. Or certaines menaces planent sur ce secteur, même si le niveau d'incertitude est, semble-t-il, moins élevé qu'en 2020.

Après les deux crises successives de 2008 et 2013, les banques européennes ont entamé une décennie de restructuration, notamment au travers de l'assainissement de leurs bilans. Leurs fonds propres ont été revus à la hausse et leurs ratios de solvabilité ont progressé. Bien qu'il existe des disparités entre États membres, les banques européennes sont aujourd'hui globalement mieux capitalisées, plus liquides et moins exposées à des prêts non performants. Le secteur bancaire européen est ainsi plus stable et plus résilient, alors même que, dans un contexte de relance et d'investissements, sa solidité est particulièrement cruciale.

Cette stabilité a toutefois un prix. Avec des bilans en moyenne deux fois moins risqués que ceux des banques américaines, les banques européennes se démarquent par la faiblesse des revenus issus des actifs financiers qu'elles portent dans leurs bilans. Cette situation vous paraît-elle porteuse de risques ? Le cas échéant, lesquels seraient les plus préoccupants ? Quelles sont les perspectives en la matière ? Le système européen de supervision bancaire peut-il et doit-il appuyer les évolutions nécessaires ?

Dans un tout autre ordre d'idées, je souhaiterais connaître votre analyse du risque cyber, d'autant plus susceptible d'affecter les banques européennes que celles-ci tendent à externaliser des activités ou des fonctions importantes, voire critiques. Or ces activités et fonctions exigent la mise en oeuvre de pratiques de surveillance appropriées au sein du système européen de surveillance. La dernière cartographie des risques établie par la BCE souligne ainsi la vulnérabilité des banques face à la cybercriminalité et aux carences informatiques opérationnelles. Le cadre actuel de contrôle vous paraît-il suffisant et adapté pour y répondre ?

Au-delà, la proposition de directive dite « DORA » (Digital Operational Resilience Act), actuellement en discussion, qui établit des exigences minimales pour les tiers fournisseurs de services relevant des technologies de l'information et de la communication (TIC) considérés comme critiques, vous semble-t-elle apporter des outils suffisants et adaptés pour améliorer la résilience opérationnelle des acteurs financiers ?

Les banques européennes doivent par ailleurs affronter une multiplication sans précédent de nouveaux concurrents : néobanques, FinTechs, BigTechs, shadow banking... Ces acteurs sont actifs sur l'intégralité de la chaîne de valeur : banque de détail, banque de financement et d'investissement, solutions de paiement, produits spécialisés. Ils proposent des standards de technologie et d'expertise difficilement atteignables par les banques. Quelles conséquences voyez-vous pour le secteur bancaire européen ? La supervision de ces concurrents devrait-elle être renforcée ? Sur quels points ?

Pour terminer, je veux évoquer les crypto-actifs, qui se sont développés en dehors du secteur bancaire et offrent des solutions de paiement en phase avec certaines des attentes des utilisateurs. Ces chaînes de paiement vous paraissent-elles de nature à engendrer des défis d'importance systémique ? Le cadre réglementaire vous semble-t-il devoir être adapté ? La création annoncée de l'euro numérique est-elle susceptible de changer les choses ?

M. Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne. - Je commencerai par faire le point sur la situation dans le secteur bancaire. Dans l'ensemble, les banques européennes ont fait preuve de résilience face à la pandémie de covid-19. Cette résilience s'explique par les réformes réglementaires qui ont été introduites depuis la grande crise financière de 2007-2008, et qui ont permis de doter les banques d'une capacité d'absorption des pertes plus élevée, ainsi que par la mise en oeuvre d'un cadre institutionnel européen renforcé, y compris en matière de surveillance prudentielle des banques. Le rôle joué par la réglementation et la surveillance prudentielle pendant la pandémie montre l'importance de mener à bien les réformes réglementaires et institutionnelles dans la zone euro pour rendre le secteur bancaire aussi résistant que possible aux chocs à venir.

Le soutien public a également joué un rôle essentiel. Un niveau et un éventail inégalés de mesures de soutien, allant d'une politique monétaire extraordinairement accommodante à des moratoires sur les prêts, des garanties de prêts et des transferts fiscaux en faveur des clients des banques, ont directement et indirectement protégé les bilans de celles-ci. Par conséquent, les banques restent généralement bien capitalisées, détiennent des liquidités abondantes et sont en mesure de jouer leur rôle clé de prêteur.

Si les mesures de soutien public ont permis d'éviter une augmentation du niveau des créances douteuses, lesquelles ont continué de baisser pendant la pandémie, il est essentiel de mettre l'accent sur le contrôle des risques : l'impact de la pandémie sur la qualité des actifs ne sera peut-être complètement visible que lorsque ces mesures auront été entièrement supprimées. Le volume de prêts considérés comme sous-performants, c'est-à-dire de stade 2, reste plus élevé qu'avant la pandémie. Les prêts qui ont bénéficié des mesures de soutien liées au covid-19 semblent ainsi avoir un profil de risque légèrement plus élevé. Les risques peuvent par ailleurs être plus prononcés dans les secteurs particulièrement touchés par la pandémie, tels que l'hôtellerie-restauration ou l'immobilier commercial. En outre, l'incertitude persiste quant à l'évolution future de la pandémie et l'impact des goulets d'étranglement actuels des chaînes d'approvisionnement. C'est pourquoi l'amélioration de la gestion du risque de crédit des banques reste notre priorité absolue.

Nous craignons également que, après une période prolongée de faibles taux d'intérêt, la recherche de rendement et la prise de risque excessive des investisseurs ne rendent les marchés financiers vulnérables à des corrections intempestives du prix des actifs et à un désendettement désordonné.

Le secteur des financements à effet de levier, qui accorde des prêts à des emprunteurs très endettés, est un sujet de préoccupation particulier. Les émissions ont continué d'augmenter pendant la pandémie, du fait de l'assouplissement des critères d'octroi de ces prêts, ce qui montre que les attentes des autorités de surveillance, formulées bien avant la pandémie, ne sont guère respectées. Nous procéderons à des inspections ciblées sur site pour nous assurer que les banques renforcent leurs pratiques de gestion des risques pour ce type de prêts.

Un autre sujet de préoccupation est l'immobilier résidentiel, secteur dans lequel les facteurs de vulnérabilité s'accumulent dans plusieurs pays, comme l'ont montré les travaux récents de la BCE.

Outre ces défis conjoncturels, nos banques sont confrontées à un certain nombre de défis structurels, que la pandémie met plus encore en évidence. Les banques européennes connaissent depuis plus de dix ans de faibles niveaux de rentabilité. La valorisation et la rentabilité des banques sont ainsi généralement plus élevées aux États-Unis qu'en Europe. L'une des raisons structurelles de cette situation est que les banques européennes ont plus de mal à réaliser des économies d'échelle et de gamme que leurs homologues américaines, car elles n'opèrent pas vraiment dans un marché unique des services financiers véritablement intégré.

Les banques sont en outre confrontées à deux changements structurels majeurs : l'intensification du processus de transformation numérique et la transition environnementale.

Le processus de transformation numérique doit être considéré comme une opportunité pour les banques de devenir plus efficaces et de trouver de nouvelles sources de revenus. Certaines banques saisissent déjà cette opportunité. Nous devrons mettre l'accent, sur le plan de la surveillance prudentielle, sur les risques informatiques et cyber qui peuvent augmenter lorsque les banques lancent de nouvelles initiatives numériques. En outre, nous devons contribuer à garantir des conditions réglementaires équitables entre les banques et les BigTechs et FinTechs, notamment en ce qui concerne les risques justifiant une approche uniforme entre les différents types d'entités.

Le second changement structurel auquel le secteur bancaire est confronté est la transition verte. La crise climatique expose nos banques à des risques physiques et de transition qu'elles doivent être prêtes à gérer. Elles devront renforcer leurs cadres de gestion des risques et réévaluer leurs stratégies commerciales. Une récente étude de la BCE montre qu'elles ont fait quelques progrès dans l'adaptation de leurs pratiques de gestion de ces risques, mais qu'aucune n'est encore prête à répondre à nos attentes en matière prudentielle. Des efforts supplémentaires sont donc nécessaires. À cette fin, nous avons déjà prévu un certain nombre de mesures prudentielles spécifiques pour l'année prochaine et au-delà, notamment un examen thématique des pratiques de gestion des risques environnementaux des banques et un test de résistance sur les risques liés au climat.

En ce qui concerne le cadre réglementaire et institutionnel, nous encourageons les colégislateurs européens à adopter rapidement le récent paquet bancaire proposé par la Commission européenne, finalisant la mise en oeuvre des normes de Bâle III. La France a un rôle important à jouer à cet égard, puisqu'elle présidera les discussions au sein du Conseil de l'Union européenne pendant les six prochains mois. J'ai parfois lu que ces normes ne seraient pas bien adaptées aux banques européennes et qu'elles négligeraient certaines caractéristiques spécifiques de leur business model. Mais bon nombre des changements réglementaires proposés découlent en fait de recherches menées par l'Autorité bancaire européenne et la BCE, qui sont axées sur les problèmes de fiabilité et de cohérence identifiés dans l'utilisation des modèles internes par les banques européennes.

Nous nous félicitons du fait que le paquet présenté par la Commission propose d'aller au-delà de la mise en oeuvre des normes de Bâle III et introduise des changements souhaitables dans d'autres domaines, tels que les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et les critères permettant d'évaluer si les membres de l'organe de direction d'une banque respectent, individuellement et collectivement, les critères de compétence et d'honorabilité.

Je suis conscient que l'impact des règles de Bâle III sur le financement de l'économie de l'Union européenne suscite certaines inquiétudes, et nous entendons les demandes visant à prévoir plusieurs dérogations à ces normes. Notre propre avis, en tant qu'autorité de surveillance, est que l'Union devrait éviter tout écart substantiel par rapport à Bâle III. L'analyse de la BCE montre en effet qu'une mise en oeuvre fidèle des normes de Bâle III se traduira par un avantage net pour notre économie. Tout écart par rapport aux normes internationales, qu'il soit temporaire ou permanent, n'affaiblirait pas seulement les capacités de défense de l'Union contre une crise financière : il nuirait également à la crédibilité internationale du secteur financier européen.

L'une des propositions les plus controversées du paquet est ce que l'on appelle l'« output floor », le mécanisme plancher sur les actifs à risques pondérés, qui vise à réduire la variabilité de la mesure des risques par les modèles internes des banques ainsi que l'avantage réglementaire dont peuvent bénéficier les banques les plus sophistiquées par rapport à celles qui utilisent des approches standardisées. Nous saluons la proposition de la Commission : c'est une garantie que le mécanisme plancher fournira la protection attendue pour la mesure des risques avec des modèles internes. Nous sommes cependant préoccupés par les dispositions transitoires prévues dans son texte, en particulier celles qui concernent les expositions à l'immobilier résidentiel et aux entreprises non notées, car elles pourraient sensiblement compromettre l'impact positif qu'aurait le mécanisme plancher dans des domaines importants.

Comme le montre l'évolution actuelle des marchés financiers, des domaines clés tels que les prêts immobiliers résidentiels sont facilement sujets à l'accumulation de risques : il ne faudrait pas que l'Union impose unilatéralement des règles moins strictes. Nous restons déterminés à neutraliser l'augmentation purement arithmétique des exigences de fonds propres prudentiels résultant du mécanisme plancher : tant que les risques sous-jacents pris en compte dans le SREP (Supervisory Review and Evaluation Process) n'ont pas changé, les exigences absolues de fonds propres ne devraient pas non plus être affectées par l'augmentation des actifs à risques pondérés déterminée par le mécanisme plancher. Nous éviterons également d'exiger des fonds propres supplémentaires pour les risques liés aux modèles internes qui, selon notre évaluation, sont déjà couverts par le mécanisme plancher ou d'autres changements réglementaires mis en oeuvre avec le nouveau paquet.

Enfin, conformément à notre objectif de construire un marché bancaire véritablement intégré, nous souhaitons que le mécanisme plancher ne soit appliqué qu'au plus haut niveau de consolidation. Tout autre instrument, y compris le mécanisme de plafonnement proposé par la Commission, ne peut que segmenter davantage le marché et compliquer indûment le calcul des exigences de fonds propres au sein des groupes bancaires.

Nous saluons également les propositions législatives actuelles sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Nous soutenons fermement la proposition d'établir une autorité de lutte contre le blanchiment d'argent au niveau de l'Union. Il est indispensable que cet organisme dispose de pouvoirs et de capacités supranationaux adéquats pour prévenir efficacement l'utilisation abusive du secteur bancaire à des fins illicites. Nous sommes impatients de coopérer avec cette nouvelle autorité.

Enfin, je crois que le sentiment d'urgence pour achever l'union bancaire devrait être plus fort. Sans le troisième pilier de la construction - un système européen de garantie des dépôts à part entière, complétant le mécanisme de surveillance unique et le mécanisme de résolution unique -, le secteur bancaire restera segmenté, sur la base des frontières nationales.

La mise en place d'un marché bancaire européen véritablement intégré placerait les banques dans une bien meilleure position pour financer les transitions verte et numérique de l'économie européenne. En outre, et surtout du point de vue de la stabilité financière, cela permettrait un plus grand partage des risques privés, de sorte que les chocs frappant une région seraient plus facilement absorbés, sans qu'il soit nécessaire d'envisager des mesures de soutien public. La différence entre les règles et les pratiques locales en matière de gestion de crise est une question majeure, car elle empêche de progresser vers l'intégration bancaire transfrontalière. Une refonte des règles de gestion de crise de l'Union serait également la bienvenue, comme vous l'avez noté dans votre résolution.

Alors que de difficiles discussions politiques se tiennent sur ces sujets, il existe des options, dans le cadre existant, qui peuvent nous rapprocher de cet objectif. Les banques peuvent, par exemple, envisager de s'étendre au-delà des frontières par le biais de succursales et par la prestation directe de services transfrontaliers. La transformation numérique croissante du secteur bancaire leur permettra d'offrir plus facilement des services au-delà des frontières, tandis que le cadre de surveillance prudentielle unique devrait permettre une transition plus douce vers une structure en succursales pour toutes les entités désireuses d'emprunter cette voie. Cette solution a déjà été adoptée par de nombreuses banques non européennes qui se sont relocalisées dans la zone euro après le Brexit.

La présidence française du Conseil de l'Union européenne est une excellente occasion de progresser sur les différents sujets que j'ai évoqués. Nous souhaitons à la France tout le succès possible dans la mise en oeuvre de son programme ambitieux, et nous nous réjouissons d'y contribuer dans nos domaines de compétence et d'expertise.

M. Dominique Laboureix, secrétaire général de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. - Je vous remercie de me recevoir aujourd'hui, au moment où la France vient de prendre pour six mois la présidence de l'Union européenne.

Je veux aborder quatre points : la situation favorable des banques françaises à l'heure actuelle, l'union bancaire et ses évolutions souhaitables, la transposition équilibrée des accords de Bâle III et les défis de la transformation du secteur bancaire.

Les banques européennes se sont montrées résilientes lors de la crise liée au covid-19. C'est notamment vrai pour les banques françaises : elles ont abordé la crise sanitaire avec une bien meilleure solvabilité que lors de la grande crise financière de 2008. Entre fin 2008 et septembre 2021, le ratio de solvabilité sur fonds propres de base est passé de 5,8 % à 15,4 %.

Le renforcement des fonds propres, associé aux mesures exceptionnelles de soutien des gouvernements, des banques centrales et des autorités de supervision, a permis aux banques d'augmenter leurs concours à l'économie, malgré la conjoncture difficile. L'encours de crédit aux ménages et aux entreprises non financières des grands groupes bancaires français a ainsi progressé de 8,8 % entre fin 2019 et septembre 2021.

Le renforcement du cadre institutionnel européen permettrait toutefois de mieux faire face aux défis auxquels est confronté le secteur financier. L'achèvement de l'union bancaire renforcerait le cadre institutionnel existant ; les banques européennes seraient mieux à même de faire face aux différents défis auxquels elles sont confrontées, dont celui de la rentabilité.

Concrètement, plusieurs pistes méritent d'être suivies de manière pragmatique, sans attendre une solution globale, difficilement atteignable au regard des différentes positions existant au sein de l'Union européenne.

S'agissant du mécanisme de résolution unique, qui constitue le deuxième pilier de l'union bancaire, l'introduction prochaine d'un filet de sécurité permet de considérer que le Fonds de résolution unique disposera désormais de ressources suffisantes en capital. Les capacités d'intervention du Conseil de résolution unique seront ainsi renforcées.

Pour autant, deux sujets importants restent encore à traiter : la couverture des besoins en liquidité, dont les montants peuvent être extrêmement importants, et l'harmonisation des régimes de faillite. La BCE, en tant que banque centrale, a certainement un rôle à jouer pour ce qui concerne la fourniture de liquidité aux banques en résolution, dans des conditions qui nécessiteraient d'être définies et encadrées précisément. La question de l'harmonisation des régimes de faillite des banques représente un réel défi juridique : une banque est-elle une entreprise normale ? Jusqu'à quel point peut-on s'écarter du droit commercial ? Ce sujet est complexe : il faudrait commencer par examiner la question de la hiérarchie des déposants et des créanciers.

En ce qui concerne la garantie des dépôts, qui est le troisième pilier de l'union bancaire, compte tenu des oppositions à un véritable fonds de garantie européen, nous défendons un système plus pragmatique : un dispositif de soutien de la liquidité entre les systèmes nationaux, auquel il faudrait associer l'idée selon laquelle les filiales étrangères seraient affiliées au système de garantie des dépôts du pays d'origine, et non du pays d'accueil. Cette nouvelle approche, dont les conséquences techniques méritent d'être analysées en détail, fournirait une protection importante aux pays d'accueil.

Enfin, au-delà des évolutions législatives ou réglementaires envisageables, le renforcement de l'union bancaire repose aussi sur la pleine et entière utilisation des dispositions existantes. Je pense, en particulier, à la possibilité ouverte par la législation européenne de traiter les expositions entre pays de l'Union européenne comme des expositions domestiques pour l'identification des banques systémiques. L'annonce, par le comité de Bâle, en novembre dernier, de travaux visant à analyser les conséquences de l'union bancaire sur la méthodologie d'identification des banques systémiques est un pas dans la bonne direction, qui doit toutefois encore être confirmé. Dans un ordre d'idée voisin, l'usage encore trop limité, au sein même du mécanisme de supervision unique, des dérogations prévues par la législation européenne en matière de liquidité transfrontière est également incohérent avec l'existence de l'union bancaire.

Le renforcement du cadre institutionnel européen passe également par une harmonisation plus poussée du cadre de la lutte anti-blanchiment. C'est le sens du « paquet AML » (Anti-money laundering) proposé par la Commission. Nous soutenons les initiatives qui y figurent, en particulier la création d'une nouvelle autorité européenne. Toutefois, le projet de la Commission soulève des interrogations, dont les principales portent sur le champ de compétence de la future autorité et l'équilibre entre la supervision directe et la supervision indirecte par les autorités nationales.

S'agissant de la mise en oeuvre des accords de Bâle III, la Commission européenne a fait une proposition en octobre 2021, avec un objectif d'entrée en application au 1er janvier 2025.

Cette réforme implique une révision profonde des mesures des risques pondérés. Un des principaux objectifs est d'encadrer davantage l'usage des modèles internes, avec une limitation du gain prudentiel qu'une banque peut en retirer par rapport aux mesures standards via le mécanisme de l'output floor - un plancher externe.

La Commission propose d'appliquer ce plancher uniquement au plus haut niveau de consolidation dans l'Union européenne. L'ACPR soutient fortement cette proposition, conforme à l'esprit de l'union bancaire et de l'accord de Bâle. La proposition de la Commission applique l'output floor à toutes les exigences de fonds propres, y compris l'exigence de fonds propres complémentaires. À ce titre, je salue l'engagement de la BCE, rappelé par Andrea Enria, de neutraliser les augmentations automatiques d'exigences liées aux interactions entre le pilier 2 et l'output floor.

Les banques européennes, et notamment les banques françaises, ont critiqué ces accords, qu'elles estiment injustifiés et trop coûteux. Le message de l'ACPR est clair : notre intérêt collectif est de nous engager dans une mise en oeuvre complète des accords de Bâle. Comme le montre la bonne résilience des banques depuis le début de la crise du covid-19, le renforcement des règles internationales a conforté la solidité de notre système bancaire sans freiner en rien la distribution du crédit. Il est donc nécessaire d'aller au bout de cet effort en appliquant fidèlement cet ultime volet. Il s'agit aussi de préserver la coopération internationale et notre crédibilité européenne.

La proposition de la Commission est une transposition équilibrée et pragmatique, qui reconnaît les spécificités du secteur bancaire européen, en ménageant un certain nombre de dispositions transitoires. Ces dispositions temporaires donneront suffisamment de temps aux banques françaises pour s'adapter aux nouvelles exigences, qui, en tout état de cause, ne nécessiteront pas, de leur part, d'augmentations de capital dédié. De notre point de vue, le caractère transitoire de ces allègements est une condition nécessaire à la conformité du cadre européen avec les standards bâlois.

J'en viens maintenant à mon dernier point : les transformations du secteur bancaire. Le défi structurel du changement climatique crée des risques de portée systémique pour le secteur bancaire. Le principal défi est l'évaluation quantitative de ce risque. Ainsi, les superviseurs développent des outils pour projeter des scénarios et tenter de modéliser des impacts potentiels sur le bilan des institutions financières. L'ACPR a été précurseur en la matière avec la publication des résultats de son exercice pilote climatique qui s'est achevé en juillet 2021. Les travaux sur ce sujet se poursuivent aux niveaux européen et international, mais je note que la proposition de la Commission met déjà en avant une meilleure intégration des risques environnementaux dans les cadres de gestion des risques des banques.

L'émergence de nouveaux acteurs constitue un autre défi. La deuxième directive sur les services de paiement (DSP2) a introduit un cadre réglementaire pour de nouveaux services de paiement permettant la connexion des services tiers aux données bancaires : c'est la banque ouverte ou l'open banking. La grande majorité des banques ont décidé de développer des interfaces dédiées pour sécuriser ces accès aux comptes de paiement. La directive est donc bien entrée en vigueur, même si des améliorations sont encore possibles, qui feront certainement l'objet d'une DSP3.

L'émergence de nouveaux acteurs - les petites sociétés spécialisées appelées « FinTechs » et les grands concurrents internationaux dits « BigTechs » - auxquels les règles bancaires s'appliquent difficilement nous impose également de réfléchir aux évolutions réglementaires nécessaires pour maintenir la confiance dans l'innovation. Cela nous invite à aller dans le sens d'une régulation plus axée sur la nature des activités, selon le principe « même activité, même risque, même règle ».

La digitalisation s'est également traduite par une hausse du risque cyber, avec l'augmentation de la surface d'exposition des institutions financières aux attaques et l'accroissement de leurs interconnexions. En conséquence, le risque informatique, en particulier le risque cyber, est plus que jamais une priorité de supervision, tant pour la BCE que pour l'ACPR. De ce point de vue, le nouveau règlement en cours de finalisation dit « DORA » (Digital Operational Resilience Act) viendra harmoniser les obligations en la matière : il est donc bienvenu.

En conclusion, les réformes engagées depuis la crise de 2008, notamment l'application des premiers accords de Bâle III et l'introduction du mécanisme de supervision unique, ont largement contribué au renforcement de la stabilité du secteur bancaire. Cela étant, le système bancaire fait face à de nouveaux défis et à de multiples transformations, qui nécessitent l'attention continue du superviseur et une adaptation efficace de la réglementation. Comme toujours, il faut agir en ces domaines sans surréaction, mais sans complaisance.

- Présidence de M. Bernard Delcros, vice-président de la commission des finances, et de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes -

M. Bernard Delcros, président. - Je vous remercie pour vos interventions respectives. Avant de passer aux questions de nos collègues, je donne la parole au rapporteur général de la commission des finances.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. - Merci de vos propos introductifs sur des sujets éminemment techniques.

Ma première question porte sur le renforcement des règles prudentielles et le paquet bancaire, qui se compose de trois axes.

Le premier porte sur l'introduction graduelle de nouveaux seuils de fonds propres d'ici à 2025. Nous savons que les discussions ont été longues et difficiles : l'approche graduelle retenue par la Commission européenne n'était a priori pas celle du régulateur européen, tandis que plusieurs instances nationales réclamaient un accord « raisonnable », pour reprendre l'expression du gouverneur de la Banque de France, M. Villeroy de Galhau. La Commission européenne affirme, quant à elle, que cette proposition tient compte des spécificités du secteur bancaire européen. Pouvez-vous rappeler ces spécificités et les propositions de la Commission en la matière ? Quelles en seront les conséquences pour la France et son système bancaire ? N'y a-t-il pas de risque pour le financement de l'économie et l'octroi de crédits ? Je pense notamment à l'introduction d'une exception temporaire pour le crédit immobilier, défendue par les banques françaises.

Le deuxième axe porte sur le renforcement des pouvoirs de sanction des autorités de surveillance du secteur bancaire. Quelles sont les modalités de coopération et d'harmonisation proposées par la Commission ? Pourriez-vous détailler les risques devant être couverts par les nouvelles normes relatives aux succursales d'établissements de pays tiers ?

Le troisième axe porte sur l'intégration des risques ESG (Environnement, Social et Gouvernance) à la régulation bancaire européenne. Les établissements bancaires devraient être amenés à procéder à des tests de résistance climatiques. Quels seront concrètement les établissements concernés et comment seront fixés les critères de ces tests ? L'introduction du risque ESG ne risque-t-elle pas de défavoriser les banques européennes par rapport à leurs homologues étrangers ?

Ma deuxième question portera sur l'union bancaire, qui est une construction encore incomplète. Ce caractère inachevé pose trois difficultés : une taille de marché réduite par rapport aux perspectives offertes par la zone euro, des risques sur le plan de la stabilité financière et une insuffisante consolidation du secteur bancaire, qui pourrait pourtant permettre de mieux répondre à la concurrence des grands établissements américains. Que permet en la matière le cadre réglementaire actuel et quelles sont, selon vous, ses insuffisances ?

Ma troisième question est relative à la deuxième directive sur les services de paiement. La DSP2 n'est mise en oeuvre que depuis le printemps dernier : quel premier bilan pouvez-vous faire de sa mise en oeuvre, en particulier concernant la protection des consommateurs, le partage des données bancaires des clients des banques et la mise en oeuvre d'un « passeport européen » pour les prestataires de services ?

M. Andrea Enria. - Je vais faire de mon mieux pour tenter de répondre à toutes ces questions importantes.

Sur la gradualité de la mise en oeuvre de Bâle III et les spécificités du secteur bancaire européen, les accords de Bâle sont un paquet de normes internationales visant les banques internationales. Nous avons fait le choix - qui n'a pas été suivi par toutes les juridictions internationales - d'appliquer les normes de Bâle aux plus de 6 000 banques concernées par l'union bancaire. Nous devons adapter ces normes pour coller davantage à la plus grande diversité de l'écosystème des banques dans l'Union européenne.

Certains ajustements se comprennent bien, mais il faut bien voir que de nombreuses autorités européennes sont présentes au sein du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, à l'origine de ces nouvelles normes. Les spécificités des marchés européens ont donc bien été prises en compte dans ces normes et dans le paquet bancaire proposé par la Commission européenne. Je pense ici aux prêts immobiliers hypothécaires : leur approche différenciée dans l'Union européenne se retrouve maintenant également dans les normes internationales. En général, je suis plutôt réticent à l'idée que nous aurions tellement de spécificités en Europe qu'il faudrait mettre en oeuvre de nombreuses exemptions, qui sont autant d'écarts aux normes internationales édictées par Bâle III. Certes, ces exemptions pourraient, individuellement, être considérées comme assez mineures, mais, prises dans leur ensemble, ce sont autant de petites fissures dans la digue qui fragiliseront encore plus l'ouvrage. Il est désormais important, pour les législateurs, de résister aux pressions, issues de divers cercles, visant à affaiblir le paquet bancaire.

L'un des arguments principaux pour revoir le paquet serait les inquiétudes concernant le financement de l'économie. À la BCE, nous pensons que ces inquiétudes sont quelque peu exagérées. Notre analyse montre que l'impact sur la croissance et sur l'économie sera légèrement négatif sur les deux ou trois prochaines années, mais qu'ensuite il apportera un véritable bénéfice sur le long terme. Finalement, la transition sera plus douce, car nous saurons générer un fort taux de croissance par ailleurs.

Il convient aussi de regarder quel est l'impact sur les banques qui ont été particulièrement agressives dans leur modèle interne de calcul des actifs pondérés en fonction des risques. Certaines banques subiront un impact spécifique, mais d'autres ne ressentiront absolument rien. Le bien-fondé de l'idée qui consiste à réduire les prérequis en capital n'a pas été prouvé empiriquement. Les prêts accordés aux PME n'ont pas forcément favorisé leur situation.

Les pouvoirs de sanction des autorités de surveillance sont importants au sein des pays concernés par l'union bancaire. Certes, il existe des règles et des pratiques différentes. En tant qu'organe de surveillance prudentielle, nous avons une tâche très difficile puisque nous devons prendre en considération ces différentes législations si nous souhaitons exercer une véritable surveillance. C'est en particulier le cas avec les pays tiers, et surtout depuis le Brexit : certaines banques ou fonds d'investissement adoptent des régimes nationaux qui leur sont favorables pour attirer des clients et se doter d'un cadre moins fort et moins strict.

Nous avons beaucoup travaillé sur les risques ESG l'année dernière. Nous avons demandé à 30 à 40 banques, sous notre supervision, de mettre en place un test de résistance (stress test) à ces risques, et à toutes les banques d'améliorer leurs techniques de tests de résistance. Cette proposition a été incluse dans la nouvelle législation. Certaines banques n'avaient pas de véritable système de contrôle en interne. Elles doivent y remédier au plus vite.

En ce qui concerne l'achèvement de l'union bancaire, je pense qu'il y a une véritable question de taille de marché. Nous ne pouvons pas considérer, aujourd'hui, l'union bancaire comme un marché national. On ne peut donc pas avoir une intégration totale à ce stade. Par conséquent, avoir des réserves de capitaux et de fonds propres dans chaque pays s'impose aux banques. C'est un véritable désavantage en termes de concurrence avec les banques américaines, et cela pose aussi des questions de consolidations transfrontalières. Dans l'idéal, c'est un obstacle que nous souhaiterions lever. Voyez la manière dont les banques américaines s'investissent dans le marché européen : elles créent une succursale dans l'Union européenne, puis viennent fusionner toutes leurs activités dans une seule et même banque. Ensuite, elles investissent peu à peu le marché européen. Ce faisant, elles utilisent mieux le marché intérieur que les banques européennes. Nous devons protéger nos banques, et une véritable union bancaire peut y contribuer.

M. Thierry Cozic. - J'ai le sentiment que l'union bancaire européenne ne protège pas suffisamment. La principale digue, depuis 2000, est un fonds européen de résolution, actuellement doté de 52 milliards d'euros, et qui ambitionne de dépasser 70 milliards d'euros à l'horizon 2023. En comparaison avec le bilan de BNP Paribas, qui atteint 2 000 milliards d'euros, ces montants sont très faibles ! Nous avons un gobelet d'eau tiède pour éteindre les cendres après l'incendie... Pourquoi ce fonds est-il si modeste ? Il est alimenté par les banques, voilà le problème ! Ces dernières ont compris, au moins depuis 2008, que le contribuable européen sera mis à contribution en cas de nouvelle faillite. Elles ne jugent donc pas utile de se priver aujourd'hui pour financer demain un véritable filet de sécurité, au cas où l'une d'entre elles s'effondrerait. Par exemple, la banque italienne Monte dei Paschi di Siena, plus ancienne banque du monde, troisième banque d'Italie, a discrètement fait faillite en décembre 2016, après huit ans d'agonie.

Ne pensez-vous pas que la première mesure d'urgence, à court terme, serait de revenir sur la directive EMIR (European Market Infrastructure Regulation) et de contraindre les chambres de compensation à reconstituer leurs coussins de sécurité ?

M. Marc Laménie. - Monsieur Laboureix, vous avez évoqué le risque cyber. On voit que ce n'est déjà pas simple à l'échelle de la France : comment faites-vous pour lutter contre ces dangers à l'échelle européenne ? Il faut du personnel compétent, mais aussi des moyens financiers. Comment êtes-vous organisés ?

Mme Christine Lavarde. - Il semble que la position initiale de la BCE n'était pas une montée progressive de l'augmentation des fonds propres des banques. Quelle aurait été, selon vous, la solution idéale ?

J'ai envie de croire à l'optimisme de l'ACPR sur la capacité des banques françaises à atteindre leurs ratios prudentiels sans pénaliser le financement de l'économie- ce n'est pas forcément les retours que nous avons. Je pense, comme le rapporteur général, qu'une certaine tension existe et qu'elle va certainement se renforcer, notamment sur le marché du crédit immobilier. Hier, j'ai échangé avec la Fédération française du bâtiment, qui voit là un double effet : un renchérissement du coût de construction, avec la raréfaction des terrains, et une raréfaction de l'accès au crédit. Le marché se ferme de plus en plus pour les primo-accédants.

Vous avez évoqué la régulation des banques et des FinTechs, mais pas les cryptomonnaies. N'y a-t-il pas un risque régulatoire ou un risque sur le système financier de ce type de monnaies, un peu à l'image du risque environnemental et des autres risques que vous avez évoqués ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Où en est la ratification du filet de sécurité ? Il semblerait que l'accord portant modification du traité instaurant le mécanisme européen de stabilité (MES) prenne du temps à être ratifié dans certains pays. Quelles sont vos attentes à cet égard, sachant que 68 milliards d'euros de prêts sont en jeu ? Comment voyez-vous sa mise en oeuvre ?

M. Andrea Enria. - Effectivement, il est tout à fait dans notre intérêt que ce traité soit ratifié le plus rapidement possible : ce filet de sécurité est essentiel pour que nous ayons une véritable union bancaire.

La question des risques cyber est très importante. Nous en débattons au sein du conseil de surveillance prudentielle depuis trois ans et nous pensons que c'est un sujet d'une extrême priorité. Durant la pandémie, de nombreuses banques ont fourni des services à distance. Le risque d'attaque cyber a augmenté. Jusqu'à présent, l'impact de ces attaques cyber est relativement limité, mais nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. Une attaque pourrait créer une véritable perturbation du système. Nous avons prévu des visites sur site, ainsi que des simulations d'attaques pour voir comment les systèmes réagissent, et s'ils sont ou non résilients.

Le fait que certaines banques sous-traitent des services à des tiers, parfois même dans des pays émergents, nous interroge. De nombreux services concurrentiels des banques, comme le cloud, sont souvent sous-traités à de grandes entreprises comme Amazon ou Google. Or beaucoup d'entre eux ne sont pas réglementés et il y a un risque opérationnel associé qui devrait être supervisé par la BCE, mais qui ne l'est pas actuellement. Il faudrait élargir à ces autres parties prenantes l'application de la base de régulation prévue par DORA .

Quels intérêts souhaitons-nous protéger ? Lorsque l'on parle de blanchiment d'argent et d'activités criminelles, nous devons appliquer les mêmes contrôles aux deux types d'acteurs que sont les banques traditionnelles et les cryptomonnaies. Or ce n'est pas le cas actuellement. Il en va différemment pour la surveillance prudentielle. Si une grande banque est menacée de faire faillite, cela aura un impact majeur sur le marché. Mais, si un fournisseur de paiement fait faillite, plutôt que de passer par lui, je me tournerai vers ma banque ; cela n'entraînera pas forcément de risque systémique. Quels risques souhaitons-nous vraiment prévenir ? Il est essentiel de prendre en considération la protection des consommateurs et des clients de manière harmonisée.

Concernant l'augmentation graduelle des ratios de fonds propres, les banques européennes sont dans une position très favorable. Certaines ont décidé de lancer des programmes de rachat d'actions. La différence entre les banques européennes et américaines, c'est que, grâce au projet TARP (Troubled Asset Relief Program), les banques américaines ont été immédiatement recapitalisées et ont donc récupéré tout de suite une position conforme aux normes internationales. En trois ans, elles ont pu à nouveau être rentables et contribuer ainsi à l'économie, alors que, en Europe, il nous a fallu huit ans pour achever ce processus. Les banques ont donc moins contribué à l'économie, en accordant moins de prêts que les banques américaines.

Une fois que l'on aura pris cette décision, il faudra avancer le plus rapidement possible. Je peux accepter la proposition de la Commission européenne d'une augmentation graduelle de ces ratios, mais il faudra respecter le calendrier.

M. Dominique Laboureix. - L'accord modifiant le traité instaurant le MES n'entrera pas en application dans l'immédiat. Certains pays sont proches de la ratification, tandis que d'autres en sont encore au stade de la discussion. En Allemagne, le processus fait l'objet d'une question de constitutionnalité devant la cour de Karlsruhe ; le Parlement ne peut donc pas se prononcer pour l'instant. En Italie, les négociations viennent d'aboutir à un accord gouvernemental. L'entrée en vigueur de l'accord ne sera possible qu'au moment où le dix-neuvième pays membre de la zone euro aura ratifié cette modification fondamentale du traité sur le mécanisme européen de stabilité. Le champ d'action des autorités de résolution sera alors renforcé.

La philosophie de la gestion de crise est la suivante : lorsqu'une banque est systémique, le Conseil de résolution unique prend la décision de préserver ses fonctions critiques, au lieu de laisser l'établissement faire faillite. Les fonds des actionnaires et des créanciers sont mobilisés en premier lieu, puis, si cela est nécessaire, des sommes complémentaires sont puisées dans le fonds de résolution unique, dont le montant s'élèvera à 70 milliards d'euros en 2023. Enfin, un fonds complémentaire de soutien, d'un montant de 68 milliards d'euros, est disponible en dernier ressort. Certes, ces montants peuvent sembler modestes, mais ils constituent l'ultime filet de sécurité, après la mise en oeuvre d'autres dispositifs.

La liquidité, qui correspond à un besoin d'argent beaucoup plus élevé de beaucoup plus court terme, reste, selon nous, un problème à régler. Il faut peut-être revoir les règles d'une banque en résolution ayant besoin de liquidités auprès du système européen de banques centrales. Ce sujet, en discussion depuis longtemps, n'a pas encore abouti.

L'application de la directive DSP2 s'est traduite par une croissance de 70 % des nouveaux acteurs depuis l'année 2018. À la fin de l'année 2021, on recensait 78 établissements de paiement et de monnaie électronique agréés. Les acteurs sont plus nombreux et le marché s'est développé très rapidement.

L'accès de ces nouveaux acteurs aux comptes de paiement des banques a rencontré des difficultés au début de sa mise en oeuvre. Toutes les banques, notamment les filiales de banque à distance des grands établissements, ont développé le service d'agrégation des comptes afin de disposer d'une vue globale des comptes de paiement de leur clientèle.

Ces obstacles initiaux sont désormais surmontés. Toutefois, l'économie digitale progresse très vite ; de nouveaux besoins et services apparaissent constamment. Nous devons être vigilants : la législation et la surveillance doivent s'adapter à l'évolution des services rendus. Il faut s'attendre à de nouvelles évolutions dans le domaine des paiements au niveau européen.

Les réformes réglementaires menées en application de l'accord de Bâle III n'ont pas entraîné une réduction du financement de l'économie. Ainsi, le niveau de financement du crédit à l'habitat n'a jamais été aussi élevé en France qu'en 2021.

Toutefois, de nouvelles règles pourraient susciter un rééquilibrage. Le marché français comporte deux spécificités : d'une part, la majorité des crédits à l'habitat sont garantis par un cautionnement, par ailleurs reconnu dans l'accord de Bâle III et prochainement transposé dans la législation européenne ; d'autre part, le système présente une faible sinistralité, car le banquier dispose d'un recours et sur le bien, et sur l'emprunteur.

La mécanique du plancher minimum de capital, ou output floor, est complexe. La proposition de la Commission européenne vise à accorder une dérogation temporaire - mais très longue - à ce mécanisme, réduisant les éventuelles conséquences négatives sur le marché du crédit à l'habitat. Cela n'était pas prévu dans l'accord de Bâle III. La Commission européenne propose ainsi de reconnaître la spécificité des établissements français. Toutefois se pose la question de la pérennisation éventuelle du dispositif à la fin de la période de transition. En tout état de cause, nous y sommes favorables : cela maintient notre crédibilité dans l'application de l'accord international et laissera le temps au marché de s'adapter à ces nouvelles conditions.

M. Jean-François Rapin, président. -.

Le chemin vers l'union bancaire est encore long. Le niveau de supervision est différent selon les pays européens : en France, il est très important, notamment par rapport à l'Allemagne. C'est un sujet d'inquiétude, car cette situation est susceptible d'entraîner une concurrence déloyale, au détriment des banques françaises.

M. Andrea Enria. - L'un des plus grands avantages de la surveillance bancaire européenne est précisément de favoriser une concurrence équitable entre les banques des pays membres.

Certes, des différences subsistent entre les grandes institutions bancaires, contrôlées directement par la BCE, et les établissements plus petits, dont le suivi échoit aux autorités nationales, mais, même dans ce dernier cas, la BCE dispose de pouvoirs de surveillance. Les mêmes méthodologies de contrôle s'appliquent à tous les établissements bancaires.

Certaines résolutions de votre commission des affaires européennes font référence aux différences dans les normes comptables et le système de protection des établissements. Nous nous assurons que les exigences prudentielles soient les mêmes, quelles que soient les normes comptables utilisées, pour permettre une concurrence réellement équitable. Nous passons régulièrement en revue la conformité des dispositifs nationaux des pays membres avec les obligations très strictes prévues par la législation européenne. En cas de manquement, nous exigeons des modifications. Grâce aux actions menées conjointement avec l'autorité de surveillance allemande, la BaFin, les régimes institutionnels de protection des caisses d'épargne allemandes ont été radicalement modifiés. Cette puissante surveillance européenne assure la cohérence au niveau européen et favorise une concurrence équitable en Europe.

M. Bernard Delcros, président. - Nous vous remercions pour la qualité de vos interventions.

M. Jean-François Rapin, président. - Il était essentiel que nos deux commissions puissent aborder ce sujet important, alors que nous entrons dans une zone de turbulences sur le plan économique.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.