Mardi 14 décembre 2021

- Présidence de M Bernard Delcros, vice-président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2022 (nouvelle lecture) - Examen du rapport

M. Bernard Delcros, président. - Nous examinons ce matin, en nouvelle lecture, le projet de loi de finances (PLF) pour 2022.

Contrairement aux années précédentes, où les délais étaient toujours très contraints, le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture nous a été formellement transmis à temps pour notre examen en commission.

Je vous propose d'examiner la proposition du rapporteur général, à savoir la motion tendant à opposer la question préalable.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous examinons, ce matin, en nouvelle lecture, le PLF pour 2022. Nos collègues députés l'ont étudié pour ainsi dire au pas de course vendredi dernier.

La commission mixte paritaire (CMP) n'a pas pu établir un texte commun : ce n'est pas une surprise. En effet, en première lecture, nous avons rejeté le PLF en n'adoptant pas la première partie du texte.

Le rejet du PLF s'explique par l'opposition marquée du Sénat à un budget dont les principales caractéristiques, qu'il s'agisse en particulier des montants des dépenses ou des niveaux historiquement élevés de déficit et d'endettement, ne découlent pas uniquement de la crise épidémique, sociale et économique que la France traverse.

Ce budget traduit aussi des choix budgétaires et fiscaux du Gouvernement auxquels nous nous opposons. À l'issue de l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale, nous sommes passés d'un budget qualifié d'« incomplet » à un budget « de campagne », qui préempte les exercices budgétaires futurs.

De très nombreuses mesures ont ainsi été adoptées, qui emportent des conséquences pour les années à venir, notamment le plan d'investissement « France 2030 » de 34 milliards d'euros et le contrat d'engagement jeune. Beaucoup d'autres mesures pourraient être citées : il y en a pour tout le monde ou presque.

Plus préoccupant encore, le Gouvernement ne maîtrise en aucun cas les dépenses qui ne concernent pas les mesures d'urgence ou de relance. Ainsi - je le rappelle une fois de plus -, les dépenses primaires des administrations publiques sont supérieures de plus de 60 milliards d'euros aux engagements pris dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP). Le niveau des dépenses pilotables de l'État témoigne également de l'absence totale d'effort de maîtrise des dépenses par le Gouvernement. Nous assistons à une dérive des comptes publics, ni plus ni moins.

Le Gouvernement hypothèque ainsi sérieusement l'avenir et obère les marges de manoeuvre de la prochaine majorité gouvernementale. En somme, il ne retient pas les leçons du passé : il fait le choix de ne flécher aucune recette supplémentaire issue de l'embellie économique vers le désendettement de la France. Or les niveaux record de déficit et d'endettement ne peuvent qu'être exceptionnels et les efforts de maîtrise des comptes publics que nous pourrons réaliser aujourd'hui seraient les marges de manoeuvre de demain en cas de nouvelle crise ou de nouvelle vague.

Le texte transmis au Sénat comportait 215 articles, dont 42 articles initiaux et 166 articles additionnels.

En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a maintenu son texte dans la rédaction issue de la première lecture pour 124 articles, modifié son texte par rapport à la rédaction issue de la première lecture pour 83 articles, supprimé 8 articles et adopté 7 articles additionnels. Le projet de loi de finances pour 2022 adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture comporte donc 222 articles, dont 8 articles supprimés.

Quelles sont les principales modifications apportées par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ? Sont-elles de nature à modifier la position exprimée par le Sénat ?

Tout d'abord, l'Assemblée nationale a uniquement adopté des amendements de correction rédactionnelle ou de coordination pour 36 des 83 articles modifiés.

Ensuite, sur le fond, vous trouverez les éléments utiles pour chaque article dans mon rapport de nouvelle lecture ; je ne mentionnerai que quelques modifications.

L'Assemblée nationale a tout d'abord proposé de nouvelles mesures en répercussion de la hausse des prix de l'énergie, cette fois s'agissant plus spécifiquement de l'électricité. Ce sont là des ajouts majeurs, à défaut d'être durables.

L'Assemblée nationale a ainsi complété l'article 42 octies, qui avait initialement pour objet d'accompagner les fournisseurs de gaz dans la mise en oeuvre du bouclier tarifaire prévu pour protéger les consommateurs de la hausse des prix. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a cette fois introduit, sur l'initiative du Gouvernement, un dispositif de « bouclier tarifaire » concernant l'électricité.

Pour mémoire, l'article 8 quinquies prévoyait déjà un « bouclier fiscal », avec une réduction de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) afin de préserver les particuliers et les entreprises des augmentations inédites des prix de gros de l'électricité, en contenant à 4 % la hausse des tarifs réglementés de vente d'électricité qui doit intervenir en février 2022.

Toutefois, au cours des dernières semaines, les prix de gros de l'électricité ont poursuivi leur augmentation fulgurante : il apparaît aujourd'hui manifeste que le dispositif fiscal initialement prévu ne suffira pas à maintenir l'objectif fixé par le Gouvernement. Désormais, les experts estiment que les tarifs régulés d'électricité pourraient bondir de 20 % en février prochain.

Lorsque le Gouvernement avait prévu les mesures destinées à contenir la hausse à 4 %, il s'était fondé sur une augmentation de 10 % à 14 %. Le coût de la minoration fiscale de TICFE nécessaire pour limiter à 4 % l'augmentation des tarifs réglementés avait alors été estimé à 4 milliards d'euros, avant d'être réévalué à 5,9 milliards d'euros. Aujourd'hui, certains experts estiment que le coût de la mesure pourrait finalement atteindre 12 milliards d'euros. En toute hypothèse, il paraît plus que probable qu'il dépasse le rendement total de la TICFE attendu pour 2022, soit 7,9 milliards d'euros.

Autrement dit, même en renonçant totalement aux recettes de TICFE, le Gouvernement ne sera pas en mesure de tenir son engagement : contenir à 4 % l'évolution des tarifs réglementés de l'électricité. En conséquence, il a fait voter un autre dispositif inspiré du mécanisme prévu pour bloquer les tarifs réglementés de gaz.

Premièrement, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie pourront s'opposer aux propositions de tarifs réglementés de vente d'électricité formulées par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), si ces dernières se traduisent par une augmentation supérieure à 4 %. Lesdits tarifs seront alors fixés par arrêté conjoint des deux ministres.

Deuxièmement, à compter de la révision des tarifs réglementés de vente d'électricité de février 2023, un système de rattrapage serait introduit, sur le modèle de ce qui a été prévu pour le gaz.

Troisièmement, un dispositif d'accompagnement financier est prévu à destination des fournisseurs d'électricité. Ce dispositif sera activable dès 2022 et visera à compenser les conséquences financières, pour les fournisseurs, du blocage par arrêté ministériel des tarifs réglementés de l'électricité. Ces pertes de recettes des fournisseurs, subies entre février 2022 et février 2023, constitueront des charges imputables aux obligations de service public ouvrant droit à compensation de l'État au sens du code de l'énergie.

Quatrièmement et enfin, les fournisseurs d'électricité seront redevables à l'État, à compter de février 2023, de la composante « rattrapage des tarifs réglementés de vente d'électricité ». Ils devront restituer l'accompagnement financier accordé par l'État, lequel constitue donc une sorte d'avance pour les fournisseurs, avant que le mécanisme de rattrapage sur les consommateurs ne soit activé.

Je ne sais pas vraiment comment l'on pourra appliquer simultanément toutes ces mesures concernant les prix de l'énergie - il s'agit, en quelque sorte, d'une nouvelle déclinaison du « en même temps » -, sans que les consommateurs se retrouvent de nouveau en difficulté lors du rattrapage et en garantissant la situation des fournisseurs. Cet interventionnisme étatique « nouvelle formule » est à la fois complexe et incertain.

Ensuite, l'Assemblée nationale a répondu pour partie aux difficultés soulevées par le Sénat lors de l'examen en première lecture de l'article 3 du PLF, relatives au champ du crédit d'impôt en faveur des services à la personne. Elle a adopté un amendement présenté par le président Woerth, qui vise à exclure les services de téléassistance et de visioassistance de l'exigence d'inclusion dans une offre globale de services pour bénéficier du crédit d'impôt, dès lors que ces services sont souscrits au profit d'une personne âgée, handicapée ou atteinte d'une pathologie chronique qui a besoin de ce type de prestations.

L'adoption d'un sous-amendement du rapporteur général Laurent Saint-Martin a par ailleurs limité le champ des prestations de téléassistance et de visioassistance éligibles aux seuls services permettant la détection d'un accident à domicile, ainsi que son signalement, et le champ des personnes éligibles à cette dérogation.

Pour mémoire, je rappelle que le Sénat avait adopté en première lecture un amendement de la commission des finances destiné à exclure les services de téléassistance et de visioassistance de l'exigence d'inclusion dans une offre globale de services.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a apporté un grand nombre de corrections techniques à plusieurs dispositions adoptées en première lecture, notamment pour préciser le champ d'application des dispositifs et les sécuriser juridiquement. Je pense, par exemple, à l'article 4 ter, relatif à la neutralité fiscale des fusions de sociétés agricoles, et à l'article 5 quater, relatif à la neutralité de traitement des porteurs de parts des opérations de cantonnement d'actifs illiquides. Pour l'essentiel, ces modifications n'appellent pas de remarques ou d'oppositions particulières. Parfois, elles répondent même à des difficultés identifiées par le Sénat en première lecture.

Le Sénat est en partie satisfait à l'article 8, relatif à l'aménagement du dispositif de suramortissement destiné à favoriser le verdissement de la flotte de navires. Entre autres modifications, l'Assemblée nationale a augmenté à 85 % le taux de déduction aujourd'hui prévu à 20 % pour les biens destinés à compléter la propulsion principale du navire ou du bateau par une propulsion décarbonée. Cet amendement vise tout particulièrement à promouvoir la propulsion vélique, sujet que nous avions abordé. Le Sénat avait lui-même adopté un amendement de la commission tendant à porter ce taux de déduction à 105 %.

Le Sénat a également été entendu par l'Assemblée nationale à l'article 9 bis : le taux réduit de TVA est prolongé pour l'année 2022 pour les tenues de protection, au même titre que pour les masques. De même, à l'article 9 ter, nos collègues députés ont précisé que le taux réduit de TVA prévu pour les opérations d'acquisition-amélioration de logements locatifs sociaux financées par un prêt locatif social en cas de transformation de locaux à usage autre que d'habitation serait applicable dans le cas où les travaux sont réalisés par le vendeur de l'immeuble lui-même. Ils sont même allés plus loin, en prévoyant le cas des livraisons à soi-même.

À l'article 12, relatif à l'expérimentation de la recentralisation du revenu de solidarité active (RSA), l'Assemblée nationale a adopté, sur l'initiative du Gouvernement, un amendement visant à préciser les critères relatifs à la participation à l'expérimentation et à ajuster le calendrier de sa mise en oeuvre, compte tenu d'un possible report dérogatoire de la date limite de candidature envisagée dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS ».

À l'article 29 E, qui instaure un crédit d'impôt au bénéfice des entreprises qui concluent des contrats de collaboration avec des organismes de recherche, l'Assemblée nationale a rehaussé le plafond des dépenses retenues pour son calcul de 2 à 6 millions d'euros.

S'agissant des crédits des missions, un certain nombre de modifications ont aussi été apportées.

Il s'agit notamment de l'ouverture de 1,7 million d'euros sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement » en faveur du secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et de la future agence pour l'innovation en santé. Toutefois, cette hausse est compensée par une baisse à due concurrence des crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 ».

Il s'agit aussi de la majoration de 13,7 millions d'euros des crédits du programme « Développement des entreprises et régulations » de la mission « Économie », compte tenu notamment du relèvement de la compensation versée à La Poste au titre de sa mission de transport de la presse.

Je pense également à la majoration de 150 millions d'euros de la mission « Engagements financiers de l'État », du fait de la création d'un fonds public de garantie des opérateurs de voyages et de séjours, qui instaure une réassurance publique du marché des garanties financières de ces opérateurs.

Je signale, en outre, la minoration de 34 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 7,15 millions d'euros en crédits de paiement des crédits prévus au titre de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) au sein de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Il s'agit de prendre acte de l'amendement par lequel le Gouvernement a sollicité l'ouverture d'autorisations d'engagement et de crédits de paiement d'un montant identique pour le programme 112 de la mission « Cohésion des territoires », pour le financement de projets locaux prévus dans le cadre des pactes territoriaux. L'adoption de cet amendement conduit, de fait, à revenir partiellement sur l'engagement du Gouvernement de relever de 337 millions d'euros les crédits de la DSIL en 2022.

Enfin, je relève la majoration de 141,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 41 millions d'euros en crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », destinée à renforcer le financement des instituts de formation en soins infirmiers.

Par ailleurs, 150 millions d'euros ont été ouverts sur le compte de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». Il s'agit de tenir compte de nouvelles avances remboursables attribuées aux aéroports afin de compenser en partie la diminution du rendement de la taxe d'aéroport en raison de la crise du transport aérien.

Au total, à l'issue de cette nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, le déficit budgétaire est désormais estimé à 153,8 milliards d'euros : c'est 1,3 milliard d'euros de moins que dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.

Cette amélioration s'explique par une augmentation de recettes fiscales nettes de 900 millions d'euros, essentiellement due à la révision du scénario macroéconomique, par une hausse des recettes non fiscales de près de 900 millions d'euros également et par une diminution des prélèvements sur recettes de 28 millions d'euros.

Il a aussi été procédé au relèvement du plafond de dépenses du budget général à hauteur de 300 millions d'euros, du fait notamment de la mise en oeuvre du fonds public de garantie des opérateurs de voyages et de séjours et de la prolongation, jusqu'en juin 2022, des primes pour le recrutement d'un apprenti.

Le plafond de dépenses des comptes spéciaux est quant à lui rehaussé de 200 millions d'euros.

Les recettes fiscales nettes de l'État sont majorées de 869 millions d'euros. Tous les détails figurent dans le rapport ; j'indique simplement que la révision du scénario macroéconomique conduit à réévaluer la prévision de recettes d'impôt sur les sociétés de 520 millions d'euros. Quant à l'estimation du montant des recettes tirées de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour 2022, elle est augmentée de 1,072 milliard d'euros en raison, principalement, de la révision du scénario macroéconomique.

Les recettes non fiscales sont majorées de 893 millions d'euros. Cette augmentation s'explique par une hausse de 619 millions d'euros de l'évaluation des recettes attendues au titre des produits des participations de l'État dans les entreprises non financières et des bénéfices des établissements publics non financiers, ainsi que par une augmentation des produits divers de 274 millions d'euros, liée au report du remboursement de trop-perçus par Île-de-France Mobilités (IDFM) entre 2021 et 2022.

Les prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales se trouvent majorés de 13,3 millions d'euros.

La fraction de TVA affectée à la sécurité sociale est également actualisée, avec un point de référence revu à la baisse très légèrement, de 0,01 point.

Le prélèvement sur recettes de l'État au profit de l'Union européenne est quant à lui minoré de 41 millions d'euros : il s'agit de tenir compte de l'actualisation à la baisse des crédits du budget de l'Union européenne pour 2022, adopté en novembre dernier.

Le besoin de financement de l'État pour 2022 s'établit donc à 297,6 milliards d'euros, contre 302,5 milliards d'euros dans le PLF adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Outre la diminution du déficit budgétaire, cette réduction s'explique par la baisse du montant estimé au titre de l'amortissement de la dette à moyen et long termes.

Bref, même si elle corrige certains défauts techniques des dispositions votées en première lecture, la nouvelle lecture par l'Assemblée nationale ne modifie pas vraiment les grands équilibres et les orientations du budget pour 2022, les améliorations constatées restant mineures et principalement liées à la hausse des recettes.

Aussi, je vous propose de confirmer la position du Sénat en rejetant ce texte par l'adoption la motion n°  I-1, tendant à opposer la question préalable.

M. Gérard Longuet. - Selon moi, deux sujets justifient tout particulièrement le vote de cette question préalable.

Le premier, c'est l'enseignement scolaire. Pour une fois, l'opinion s'est intéressée aux conclusions de notre rapport : le Gouvernement aurait pu prendre le temps d'apporter un minimum de réponses supplémentaires à la situation des enseignants du secteur public en France, par rapport à leurs homologues européens. Nous avons ouvert une brèche dans les certitudes du ministre de l'éducation nationale, pour qui, du reste, j'ai de la sympathie, mais, à l'Assemblée nationale, on nous a opposé une indifférence absolue.

Le second, plus grave encore, ce sont les marchés de l'énergie en Europe, notamment le marché unique de l'électricité. En la matière, nous traversons une crise spectaculaire et, alors que la France s'apprête à présider le Conseil de l'Union européenne, l'absence de réflexion est totale.

L'actualité prouve de manière éclatante l'inanité de l'accord signé à Barcelone en 2002 : les consommateurs européens, et surtout français, doivent payer le coût de la plus mauvaise centrale allemande, alors que notre système est vertueux et viable à long terme. Les dispositions actuelles ne le protègent en rien.

Aujourd'hui, le Gouvernement invente un système d'une complexité effrayante et d'un coût prohibitif, car nous n'avons pas su anticiper l'impossibilité de faire fonctionner le marché unique de l'énergie électrique, bien qui ne se stocke pas et que l'on ne saurait réguler par les formes traditionnelles.

On ne sait rien du coût de ce dispositif pour les Français. En parallèle, EDF risque d'être sollicité pour produire plus encore de térawattheures et les vendre à bas prix, ce qui détruirait ses capacités d'investissement. Or nous n'en avons débattu à aucun moment avec le Gouvernement.

Pour des raisons idéologiques, certains pays européens récusent notre système vertueux et décarboné. C'est leur droit le plus strict, mais qu'ils n'imposent pas à la France les conséquences de leurs choix techniques absurdes - comme si les caravelles de Vasco de Gama pouvaient remplacer les Airbus.

En somme, le Gouvernement gouverne à la petite semaine, sans regarder les sujets de fond.

Mme Christine Lavarde. - Je suis frappée du nombre d'articles ayant reçu de nouvelles corrections de forme à l'Assemblée nationale. À l'évidence, ils étaient un peu brouillons lorsqu'ils les avaient adoptés en première lecture.

À l'occasion de cette nouvelle lecture, l'amendement le plus cher de l'histoire a-t-il fait l'objet de précisions ? L'affectation de ces 34 milliards d'euros était particulièrement floue. Le récent rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la situation économique de la France ne peut que renforcer nos alarmes.

M. Jérôme Bascher. - À en croire le Gouvernement, tout va mieux, grâce à une meilleure croissance dégageant de nombreuses recettes. Toujours est-il que l'on ne sait rien du coût du dispositif destiné à combler la hausse des prix de l'énergie : le Gouvernement lui-même l'a reconnu devant l'Assemblée nationale.

Nous sommes face à un PLF totalement fictif. On nous propose des mesurettes et, en somme, on nous demande de voter une ligne de recettes et une ligne de dépenses. Ce n'est que du vent : il n'y a aucune raison d'examiner ce budget.

M. Christian Bilhac. - Je ne balaie pas ces arguments d'un revers de main, bien au contraire, car le PLF nous inspire nombre d'inquiétudes.

Toutefois, les membres du RDSE ne voteront pas la question préalable. Fidèles à nos traditions, déjà rappelées par M. Requier, nous sommes favorables au débat. Nous considérons que le refus de la discussion affaiblit notre chambre. Sur le fond, nous approuvons beaucoup de ce qui a été dit, mais il s'agit pour nous d'une question de principe.

M. Vincent Segouin. - Je veux revenir à mon tour sur les nouvelles mesures gouvernementales contre la hausse des prix de l'électricité. On arrive au bout du « quoi qu'il en coûte » et du recours à la dette systématique.

Le système que l'on nous propose aujourd'hui ne fait que repousser les charges. Je ne vois pas comment les Français pourront, en 2023, en plus de la hausse des prix qu'ils connaîtront, payer l'arriéré, qui est un leurre. Nous allons aller de crise en crise et connaître des problèmes de société.

La situation est dramatique. Ce n'est même plus gouverner à la petite semaine ! Il n'y a aucune vision. On ne peut que penser à une entreprise au bord de la faillite.

Contrairement au RDSE, je pense que l'heure n'est plus à la discussion : il faut marquer les esprits et, une fois pour toutes, dire « stop ».

M. Jean-Michel Arnaud. - Le groupe Union Centriste avait souhaité, en première lecture, pouvoir examiner les deux parties du budget. Nous regrettons qu'il n'en ait pas été ainsi. En effet, nous avions, en première lecture, formulé un certain nombre de propositions sur la première partie qui permettaient d'optimiser les recettes de l'État. Certaines avaient retenu l'attention de nos collègues et même du Gouvernement. Nous aurions évidemment fait des propositions de dépenses utiles pour nos territoires.

Compte tenu de l'échec de la CMP, il me paraît totalement inutile d'envisager une relecture complète du projet de loi de finances, qui, au mieux, est un budget de transition électorale. Nous ne pourrons avoir un débat sérieux, prospectif et consolidé qu'après les élections nationales.

Vu l'ambiance générale, et compte tenu des propositions qui nous sont faites, dont on peut imaginer le fondement très contextualisé, et de la montée en puissance consolidée de l'endettement du pays, je crois qu'il vaut mieux conserver notre énergie pour la lecture, au printemps prochain, d'un budget sérieux, qui permettra, je l'espère, de remettre le pays sur les rails de l'équilibre global. Ne nous perdons pas en débats inutiles et inféconds.

M. Vincent Capo-Canellas. - Je suis sur la même ligne que Jean-Michel Arnaud. Le groupe Union Centriste avait choisi de ne pas participer au vote sur la première partie qui a interrompu l'examen du PLF. Chacun le sait, nous aurions souhaité pouvoir examiner celui-ci en entier, parce qu'il nous semblait qu'un certain nombre de mesures pouvaient ou devaient être corrigées.

Notre groupe avait notamment plaidé pour un plus grand désendettement et pour une meilleure maîtrise des dépenses primaires des administrations publiques. Je relève d'ailleurs avec satisfaction que la question préalable présentée par le rapporteur général reprend ces éléments.

La question préalable ne fait que consacrer l'échec de la CMP. Débattre du texte en nouvelle lecture ne permettrait pas de l'améliorer.

Comment renforcer l'impact de l'amélioration de la croissance, si l'on peut appeler ainsi l'espoir de retour à la situation de 2019 ? L'acquis pour 2022 peut-il nous offrir des perspectives de désendettement ?

M. Pascal Savoldelli. - Je ne répéterai pas ce qu'a dit Gérard Longuet sur les sujets de fond.

La stratégie conduite sur ce projet de loi de finances par les majorités respectives de l'Assemblée nationale et du Sénat affaiblit nos institutions. Au-delà de nos divergences, nous ne sommes pas à la hauteur de notre rôle et de nos obligations à l'égard des Françaises et des Français.

S'il n'y avait pas eu d'inversion du calendrier électoral, il y aurait eu, sur le PLF, un débat d'une autre qualité. Les Français seraient plus « propriétaires » de ce qui est dit et les personnalités politiques qui se trouvent sur le devant de la scène ne seraient peut-être pas les mêmes.

Je ne participerai pas au vote en commission ce matin. Cet après-midi, nous nous abstiendrons de nouveau ou nous voterons contre.

Sur le sujet qui a créé une impasse, nous avons du mal à trouver des différences entre la majorité politique de l'Assemblée nationale et celle du Sénat. Il est cousu de fil blanc que sur ce point, vous travaillez main dans la main. On a évité de chercher des recettes nouvelles.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je souscris aux propos de Gérard Longuet sur la question de l'énergie. On reporte le sujet à plus tard, après les élections. Et il est vrai qu'il n'y aura que des élections sénatoriales en 2023... L'échéance n'est pas la même. Nous sommes sans vision. C'est une vraie préoccupation.

Je ne peux m'empêcher de faire le lien avec la question que j'ai posée en juillet dernier au Gouverneur de la Banque de France sur le risque d'inflation. J'ai alors été gentiment éconduit : on m'a expliqué que ce n'était pas bien important et que cela ne durerait pas... Depuis, la situation a évolué. Je ne sais pas ce qui adviendra l'an prochain, mais on voit bien que ce qui se passe sur l'énergie a une influence importante.

Pour ce qui concerne l'amendement le plus cher de l'histoire, il est prévu, en termes de gouvernance, que 1,7 million d'euros et 25 équivalents temps plein travaillés (ETPT) soient transférés des crédits du plan France 2030 vers le SGPI, mais nous ne disposons pas de toutes les précisions. C'est assez surréaliste. Quand j'ai été reçu à l'Élysée avec Claude Raynal, le Président de la République a déclaré qu'il souhaitait bousculer tous les codes, tous les organigrammes, toutes les organisations, tous les ordres établis pour favoriser une vraie dynamique autour du plan France 2030. J'ignore si elle aura lieu. Toujours est-il que le temps passe, et le moins que l'on puisse dire est que l'on n'y voit toujours pas plus clair après le passage du texte deux fois à l'Assemblée nationale et une fois au Sénat.

Monsieur Savoldelli, l'affaiblissement des institutions, c'est le serpent qui se mord la queue : on ne sait pas qui fait quoi... Quoi qu'il en soit, il est certain que ce n'est pas en banalisant et en contournant les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, où s'exprime la démocratie, que l'on améliorera les choses.

M. Bascher a été radical, puisqu'il a parlé de « budget fictif ». Il est sûr qu'il y a un problème sur les grands équilibres. Il n'y a toujours pas le début d'un commencement d'effort de désendettement.

Mme Lavarde a évoqué une étude inquiétante sur la situation comparative de nos économies. Je rappelle que notre pays est entré dans la crise en n'étant pas spécialement en bonne santé. S'il n'était pas tout à fait dans le peloton de tête des nations européennes, il en sortira encore plus affaibli. Il aura quelques difficultés à refaire la course en tête.

Monsieur Bilhac, nous avons bien pris en compte votre position, mais, si ce n'est qu'une question de forme, elle pourra peut-être évoluer, même si ce n'est pas forcément aujourd'hui...

Monsieur Segouin, j'ai eu l'occasion de dire que le report à plus tard du sujet des prix de l'énergie relevait d'une forme de politique de l'autruche : n'ayant pas de solution, on annonce un système de blocage des prix et, voyant que cela ne va pas suffire, on continue de « bidouiller ». Je ne suis pas certain que tout cela soit très compréhensible, et je pense même qu'il y a un vrai danger politique. Les prix de l'énergie vont baisser un tout petit peu, mais le retour à la réalité, en 2022 et 2023, sera très douloureux. On ne sait pas quel sera l'état de la conjoncture à ce moment. Il faut donc faire attention à ne pas trop reporter.

Monsieur Arnaud, vous avez évoqué un « budget de transition électorale ». La formule est jolie... Je pense que nous sommes tous d'accord, même si nous ne voyons pas la transition de la même manière.

Monsieur Capo-Canellas, je rappelle que la croissance devrait être d'environ 6,7 % ou 6,8 %, générant environ 5 milliards d'euros de recettes supplémentaires par rapport à ce qui était prévu initialement. On pense qu'elle devrait redescendre à 3,8 % ou 4 % l'an prochain. Il me paraît préoccupant que l'on n'utilise pas ces sommes pour engager un début de désendettement. Quand on regarde le poids de la dette et le déficit de notre commerce extérieur, qui révèle les fragilités de l'économie française, je pense que nous avons malheureusement du souci à nous faire.

La motion n°  I-1 est adoptée.

En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

Projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture - Demande de saisine et désignation de rapporteurs pour avis

M. Bernard Delcros, président. - Il vous est proposé que notre commission se saisisse pour avis du projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture et désigne MM. Vincent Segouin et Patrice Joly, qui sont tous deux rapporteurs spéciaux de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », comme rapporteurs pour avis. 

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n°4758 (A.N., XVe lég.) portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture et désigne MM. Vincent Segouin et Patrice Joly rapporteurs pour avis.

La réunion est close à 9 h 50.

Mercredi 15 décembre 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président, Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Sécurité d'acheminement des communications d'urgence - Examen du rapport d'information

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous sommes réunis pour examiner le rapport d'une mission de contrôle réunissant plusieurs commissions, dont je salue les présidents. Nous entendrons leurs rapporteurs : Jean-Michel Houllegatte pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Patrick Kanner pour la commission des lois, Patrick Chaize pour la commission des affaires économiques, Marie-Pierre Richer pour la commission des affaires sociales et Jean Pierre Vogel pour la commission des finances.

Comme vous le savez, une panne sur le réseau d'Orange, le 2 juin dernier, a fortement perturbé les communications d'urgence, causant la mort de quatre personnes. Cette mission a procédé à l'audition de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure au nom de la commission des affaires sociales. - Le 2 juin dernier, une panne massive sur le réseau de l'opérateur Orange a fait obstacle à l'acheminement de 10 000 communications d'urgence ayant, vraisemblablement, causé la mort d'au moins quatre personnes.

Devant les risques vitaux que font courir de telles pannes, le Sénat a souhaité prendre toute la mesure du dysfonctionnement survenu en instituant la présente mission d'information composée de MM. Jean-Pierre Vogel et Patrick Chaize, de M. Jean-Michel Houllegatte et moi-même, respectivement nommés par les commissions des finances, des affaires économiques, du développement durable et des affaires sociales. La commission des lois a nommé Mme Françoise Dumont et MM. Loïc Hervé et Patrick Kanner, tous trois rapporteurs de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi « Matras », dont l'article 17 modifie les obligations à la charge des opérateurs en matière d'acheminement des communications d'urgence.

Afin d'établir la lumière sur les faits survenus, la mission a procédé aux auditions de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Anssi. Par ailleurs, l'Anssi a publié, le 19 juillet dernier, un rapport sur la panne du 2 juin, en lien avec l'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des affaires sociales, le commissariat aux communications électroniques de défense et le conseil général de l'économie.

Ces auditions et la lecture de ce rapport ont été particulièrement instructives : les communications d'urgence sont certes soumises à un régime juridique spécial, mais sont transmises via une technologie relativement classique qui n'est pas distincte de celle qui est utilisée pour les appels ordinaires.

Le code des postes et des communications électroniques (CPCE) les définit comme des communications entre un utilisateur final et le centre de réception des communications d'urgence, dont le but est de demander et de recevoir des secours d'urgence de la part des services d'urgence qui sont chargés de la sauvegarde des vies humaines, des interventions de police, de la lutte contre l'incendie et de l'urgence sociale, comme le précise le même code.

En France, les numéros d'urgence sont relativement nombreux : on n'en compte pas moins de 13. Certains sont connus de tous, tels que le 17, le 15 ou le 18, mais d'autres le sont moins, comme le 114 permettant l'accès des services d'urgence aux personnes à déficience auditive ou le 191 pour les urgences aéronautiques.

Les obligations des opérateurs en matière de communications d'urgence sont prévues à l'article 33-1 du CPCE, qui a connu de nombreuses modifications en un temps relativement limité. Il prévoyait initialement des obligations en lien avec « les conditions de permanence, de qualité, de disponibilité, de sécurité et d'intégrité du réseau et du service qui incluent des obligations de notification à l'autorité compétente des incidents de sécurité ayant eu un impact significatif sur leur fonctionnement » ainsi que « l'acheminement gratuit des communications d'urgence ».

Toutefois, cet article a été réécrit par l'ordonnance du 26 mai 2021 transposant la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. Dans la rédaction issue de cette transposition par ordonnance, seul un critère de gratuité de l'acheminement des communications d'urgence a été retenu et il n'est plus fait mention des conditions de permanence, de qualité, de disponibilité et d'intégrité du réseau. Cet article a ensuite été modifié par la loi « Matras » à la suite de la panne.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - D'un point de vue technique, ces treize numéros d'urgence formulés sous forme courte, tels que le 17, le 18 ou le 15 sont, en réalité, convertis en un numéro long, à dix chiffres, attribué au centre de traitement de l'appel d'urgence correspondant le plus proche géographiquement du lieu d'émission de l'appel.

Ainsi, une victime souhaitant joindre les pompiers à la suite d'un accident se produisant à Bordeaux verra son appel au 18 transmis, en réalité, au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde via un numéro à dix chiffres à plusieurs égards semblable au numéro attribué à un particulier par un opérateur.

La transmission des appels passés par le biais des numéros d'urgence est assurée grâce à différentes technologies, et 85 % d'entre eux sont utilisés par des centres qui ont un raccordement en RTC, c'est-à-dire via le réseau téléphonique commuté qui assure historiquement le service de téléphonie par un réseau « cuivre ».

L'acheminement de la grande majorité des communications d'urgence par le réseau « cuivre », dont l'opérateur historique est Orange, présente des fragilités. La première est inhérente à la phase de transition de ce réseau, qui permet le raccordement de la téléphonie fixe, vers les réseaux en VoIP, qui assurent notamment l'accès à une offre internet à haut débit.

L'année 2021 constitue une année historique de croisement des courbes : le nombre d'abonnés utilisant les réseaux de fibre optique a dépassé le nombre d'abonnés utilisant le réseau « cuivre ». Dans une perspective de mutation technologique et d'amélioration de la connectivité sur notre territoire, un plan stratégique d'extinction progressive du réseau cuivre à l'horizon de 2030 a été mis en place par l'opérateur. Des tests sont réalisés actuellement dans certaines zones.

Dans son rapport d'information relatif à l'examen des crédits dédiés au numérique et aux télécommunications du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, la commission des affaires économiques insistait sur le fait que l'extinction progressive du réseau cuivre et les investissements réalisés dans le déploiement des réseaux de fibre optique ne devaient pas se traduire par un désengagement de l'opérateur en matière de qualité de service et d'entretien des réseaux pour les très nombreux abonnés dont la connexion dépend encore du réseau « cuivre ».

Rapporteur pour avis de ces crédits, j'ai également insisté sur l'importance de l'entretien du réseau « cuivre » ; des injonctions pourraient être adressées à Orange pour rappeler que le réseau « cuivre » a toute son utilité et qu'il est important de continuer à s'y intéresser.

Au regard de l'importance des enjeux, le Gouvernement a annoncé un « plan Cuivre » en mai dernier, qui précise les engagements supplémentaires qui doivent être pris par Orange, notamment le maintien d'un investissement annuel à hauteur de 500 millions d'euros pour l'entretien du réseau sur l'ensemble du territoire.

Toutefois, ce « plan Cuivre », tout comme le plan stratégique d'extinction du réseau « cuivre » d'Orange, ne semble pas contenir de dispositions spécifiques relatives aux centres de traitement des appels d'urgence et à la transition de leur raccordement du réseau cuivre vers les réseaux en VoIP.

Des engagements spécifiques et supplémentaires doivent être pris afin que les interventions sur le réseau « cuivre » ne conduisent pas de nouveau à des dysfonctionnements significatifs dans l'acheminement des appels d'urgence. Ces préoccupations sont accentuées dans les territoires ruraux dans lesquels on constate des difficultés d'accès géographique aux soins - du fait d'un éloignement de l'offre médicale - et un temps d'intervention des services de secours en moyenne plus élevé qu'en zone urbaine. Il faut absolument leur éviter la double peine en y ajoutant des difficultés à contacter les services d'urgence.

La seconde fragilité est liée à la période suivant l'extinction du réseau cuivre puisque la multiplication des opérateurs qui vont émerger sur le réseau risque de diluer leur responsabilité en cas de panne. Dans cette perspective, nous appelons à une clarification du régime de responsabilité.

M. Patrick Kanner, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. - Je parlerai également au nom de mes collègues rapporteurs Françoise Dumont et Loïc Hervé, qui n'ont pu être présents aujourd'hui.

Le rapport de l'Anssi du 19 juillet 2021 a pu établir une chronologie très précise des évènements qui corrobore les explications fournies par le PDG d'Orange quant à la source de la panne. La panne a été initiée à 16 heures par une opération de maintenance sur les équipements de VoIP d'Orange, à Lille, à laquelle a fait suite une modification de configuration de l'ensemble des call servers d'Orange permettant l'interconnexion entre les réseaux IP et le RTC.

Selon ce même rapport, cette modification de configuration a très rapidement entraîné « une hausse des échecs de communications vers les numéros des services d'urgence » sur le réseau Bouygues Télécom, une « chute soudaine » des appels entrants auprès du SAMU du Nord ainsi que des difficultés rencontrées par le SAMU de Paris et par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Seize minutes après les modifications de configuration ayant engendré la panne, les services techniques d'Orange ont identifié le problème et mobilisé des experts en interne. Toutefois, le rapport souligne une « insuffisante réactivité ».

En effet, à partir de l'identification du problème intervenue à 17 heures, il aura, par exemple, fallu à Orange : plus d'une heure pour effectuer un signalement interne faisant état du fait que les services d'urgence d'Île-de-France, du Grand Est et du département du Nord étaient injoignables ; près de deux heures pour signaler cet incident majeur au Centre opérationnel interministériel des crises ; près de trois heures pour organiser la première réunion de la cellule de crise interne à Orange ; près de quatre heures pour établir un premier contact avec un autre opérateur pour signaler un dysfonctionnement sans préciser l'impact particulier sur les numéros d'urgence et dix-sept heures trente pour organiser la première réunion avec les opérateurs tiers.

De leur côté, les différents services d'urgence concernés ont fait part d'une grande réactivité que nous tenons à saluer en diffusant, notamment, des numéros de contournement à dix chiffres permettant de les contacter.

Particulièrement touchés par la panne, plusieurs SAMU ont fait preuve d'efficacité et d'initiative. C'est notamment le cas des SAMU du Nord et d'Île-de-France, qui ont été parmi les premiers services d'urgence concernés et qui ont rapidement relayé l'information à l'association nationale des SAMU-Urgences de France, afin de mettre en place une cellule de crise informelle. Cette association a joué un rôle clé dans la remontée d'informations.

En outre, le SAMU du Nord a très rapidement contribué à diffuser un numéro à dix chiffres, y consacrant jusqu'à dix postes dans le cadre de sa cellule de crise, qui sera, par la suite, mise à profit pour réceptionner les appels à destination du SDIS du Nord et à destination du 17. Les numéros à dix chiffres des SAMU de chaque département seront finalement diffusés à la population par le ministère de la santé via son site internet et les agences régionales de santé (ARS). Ils ont aussi été relayés par les médias en continu.

Malgré les efforts fournis, à leur niveau, par les services d'urgence concernés, la panne a conduit à ce que 10 000 appels d'urgence n'aient pu aboutir, selon l'estimation fournie par Stéphane Richard.

Les conséquences ont été lourdes puisque quatre décès ont été attribués à cette panne par le ministère de l'intérieur. Au-delà de ce chiffre, il semble particulièrement difficile, à l'heure actuelle, d'établir avec certitude les conséquences réelles de cette panne tant elles peuvent être multiples, notamment en matière de perte de chance pour les victimes n'ayant pas réussi à joindre un service d'urgence ou l'ayant joint après plusieurs tentatives rendues infructueuses par la panne.

M. Patrick Chaize, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. - La panne du 2 juin 2021 a fait l'objet de plusieurs mesures d'enquête et d'évaluation visant à en analyser les causes et les conséquences afin d'en prévenir les apparitions futures. Ainsi, l'opérateur Orange a, de lui-même, mis en place un audit interne « sans délai », comme nous l'indiquait son PDG, Stéphane Richard.

Le rapport d'évaluation le plus complet sur la panne est le rapport de l'Anssi du 19 juillet dernier. Nous saluons la qualité de ce document qui aboutit à une série de recommandations opérationnelles.

Sa recommandation « Clarifier et renforcer les obligations de service public qui s'imposent à l'acheminement des services d'urgence » s'est déjà partiellement traduite par la modification des dispositions législatives applicables aux opérateurs en matière d'appels d'urgence. En effet, l'article 17 de la loi « Matras » réintroduit une obligation de continuité de l'acheminement des communications d'urgence, obligation qui avait été récemment supprimée.

Cette évolution législative est à mettre en perspective avec les évolutions réglementaires récentes prises dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 11 décembre 2018. Ces deux étapes marquent donc un premier pas dans la mise en oeuvre de la recommandation du rapport précité.

Toutefois, ces avancées concernent les dispositions générales applicables aux opérateurs de télécommunications, mais pas leurs obligations de service public. En effet, cette directive européenne ne considère pas que l'acheminement des communications d'urgence fasse partie des obligations du service universel des communications électroniques.

La portée d'une obligation générale applicable aux opérateurs est moindre que celle d'une obligation de service public.

L'état actuel du droit, ainsi que la panne massive intervenue sur les réseaux d'Orange, nous conduit à nous interroger sur l'avenir du service universel des communications électroniques. Depuis la fin de l'année 2020, le Gouvernement n'a toujours pas désigné de nouveau prestataire pour assurer ce service universel. Nous appelons donc à la mise en oeuvre rapide d'une nouvelle procédure de désignation du prestataire de service universel avec des obligations renforcées en matière d'acheminement des communications d'urgence renvoyant a minima aux dispositions de l'article L. 33-1 du CPCE, qui consacre une obligation générale de continuité de l'acheminement des communications d'urgence.

Comme de coutume, le Sénat veillera à ce que le décret d'application prévu par l'article 17 de la loi « Matras » soit publié dans des délais raisonnables et qu'il respecte tant la lettre de la loi que la volonté du législateur.

Nous veillerons également à utiliser nos prérogatives en matière de contrôle pour nous assurer que le Gouvernement favorise l'émergence de solutions technologiques permettant d'améliorer la fiabilité des transmissions des appels d'urgence, comme le recommande le rapport du 19 juillet.

En tant que parlementaires, nous veillerons à contribuer à une réflexion d'ensemble sur l'avenir du secteur des télécommunications. Cette panne souligne l'ampleur des défis à relever dans ce secteur. Ces défis sont nombreux, liés et interconnectés : ils ne devraient pas être examinés séparément. Pour les années à venir, c'est d'une stratégie globale dont nous avons besoin.

S'interroger sur les raisons de la panne du 2 juin dernier, c'est poser la question des obligations de service public des opérateurs et de l'avenir du service universel des communications électroniques.

S'interroger sur ce service universel, c'est poser la question de la transition technologique du réseau « cuivre » vers les réseaux fibre pour garantir un accès internet haut débit sur l'ensemble du territoire.

Cette transition ne doit laisser personne de côté, la qualité de service doit être assurée jusqu'au dernier mètre et jusqu'au dernier abonné.

Nous voulons que le plan Cuivre du Gouvernement et que les engagements pris sur ce sujet par Orange intègrent des dispositions spécifiques relatives à la transmission des appels d'urgence et au raccordement des centres de traitement de ces appels.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur au nom de la commission des finances. - Il convient de développer de nouvelles possibilités d'informer les populations en cas de panne des numéros d'urgence. Les développements de mon rapport de 2017 sur le volet mobile du système d'alerte et d'information des populations (SAIP) et l'intérêt pour la technologie de Cell Broadcast sont de nouveau d'actualité.

Il convient de prédéfinir les moyens alternatifs par le biais desquels les services de secours pourraient être contactés en cas de panne des numéros d'appel d'urgence. À ce titre, la mission d'information appelle à une réflexion profonde ouverte à l'ensemble des technologies disponibles.

Enfin, nous tenons à formuler une mise en garde des plus solennelles : alors que la panne du 2 juin a permis de prendre conscience des enjeux vitaux de la transmission des appels d'urgence, nous attirons l'attention sur un autre risque majeur qui concerne le traitement de ces appels d'urgence par les services d'incendie et de secours.

Ces appels sont traités par des SDIS via des systèmes, les systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO), qui leur permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont ils disposent pour répondre à une alerte donnée. Ces systèmes sont véritablement la moelle épinière des services d'incendie et de secours et de leur capacité opérationnelle.

Or, certains SGA-SGO, devenus particulièrement obsolètes, ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs et certains systèmes anciens ne proposent pas les fonctionnalités récentes telles que la géolocalisation des appels d'urgence.

C'est la raison pour laquelle le projet NexSIS 18-112 a été initié en 2016. Il est porté par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), dont notre collègue Françoise Dumont a été présidente, afin d'offrir aux SDIS qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs SGA-SGO.

Sept services d'information et de secours devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, puis quatorze services d'incendie et de secours supplémentaires ainsi que la brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Cependant, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu.

Ce retard fait craindre des pannes lourdes des SGA-SGO obsolètes ne pouvant être remplacés dans les temps. De telles pannes auraient des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier.

Ce retard n'est pas imputable aux équipes de l'ANSC dont nous tenons à souligner l'excellence du travail et l'exemplarité de l'engagement. Mais elles ne suffisent pas à compenser le manque de moyens affectés par l'État à cette agence que le Sénat n'a cessé de souligner : d'abord dans mon rapport d'information « NexSIS 18-112 : un projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, dont l'intérêt sur les plans économique et opérationnel doit être garanti », puis dans les rapports que Françoise Dumont et moi-même avons commis sur les crédits affectés à la sécurité civile lors du dernier PLF.

J'ai souligné que le plafond d'emplois de l'ANSC a été maintenu à 12 équivalents temps plein travaillé (ETPT) dans le PLF pour 2022, malgré les demandes de moyens humains supplémentaires formulées par l'agence. Françoise Dumont a, elle, dénoncé la faiblesse de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS qui finance exclusivement l'ANSC à hauteur de 2 millions d'euros au sein du PLF pour 2022.

Alors que cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) à destination des sapeurs-pompiers volontaires, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle PFR et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, en 2020, à plus de 62 millions d'euros. Un redéploiement complet des économies déjà réalisées au travers du passage à la nouvelle PFR permettrait donc de couvrir largement les besoins de l'ANSC pour la mise en place du programme NexSIS.

Au regard des conséquences de la panne du 2 juin dernier, du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS qui assure le financement de ce programme, nous réitérons le souhait d'un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je remercie l'ensemble des rapporteurs pour ce travail.

Les commissions autorisent la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 9 h 30.