Jeudi 2 décembre 2021

- Présidence de Mme Émilienne Poumirol, présidente d'âge -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Réunion constitutive

Mme Émilienne Poumirol, présidente. - En ma qualité de présidente d'âge, il me revient de présider la réunion constitutive de notre mission d'information.

Je vous rappelle que cette mission a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Le groupe Écologiste, Solidarité et Territoires (GEST) en a formulé la demande par un courrier adressé le 25 octobre par son président, notre collègue Guillaume Gontard, et la Conférence des présidents en a pris acte. Les 21 membres de la mission, dont deux suppléants qui n'ont pas voix délibérative, ont été nommés, sur proposition de l'ensemble des groupes politiques, lors de la séance publique du jeudi 23 novembre.

Nous devons tout d'abord désigner le président de la mission. J'ai reçu la candidature de notre collègue Guillaume Chevrollier.

La mission d'information procède à la désignation de son président, M. Guillaume Chevrollier.

- Présidence de M. Guillaume Chevrollier, président -

M. Guillaume Chevrollier, président. - Je vous remercie de la confiance que vous m'accordez pour présider nos travaux.

Je vous propose maintenant de procéder à la désignation du Bureau de la mission, en commençant par le rapporteur.

Comme l'indique l'article 6 bis du Règlement du Sénat, « lorsque le groupe à l'origine de la demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sollicite la fonction de rapporteur pour l'un de ses membres, elle est de droit s'il le souhaite ». Le groupe GEST, qui est à l'origine de notre mission d'information, propose le nom de notre collègue, Mme Mélanie Vogel.

En conséquence, elle est désignée rapportrice.

La mission d'information procède à la désignation de sa rapportrice, Mme Mélanie Vogel.

M. Guillaume Chevrollier, président. - Nous allons maintenant désigner les vice-présidents, de manière à ce que, conformément à l'usage, les deux groupes ayant les effectifs les plus importants aient chacun deux représentants au Bureau - le président et le rapporteur compris - et à ce que chaque autre groupe ait un représentant - toujours président et rapporteur compris.

Compte tenu des désignations de la présidente et du rapporteur qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-président est donc la suivante : pour le groupe Les Républicains, un vice-président et un secrétaire ; pour le groupe Socialiste Écologiste et Républicain, deux vice-présidents ; pour le groupe Union Centriste, un vice-président et un secrétaire ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, le groupe Les Indépendants-République et Territoires et le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, un vice-président chacun.

La mission d'information procède à la désignation de ses vice-présidents, Mme Martine Berthet, M. Joël Bigot, Mmes Émilienne Poumirol, Anne-Catherine Loisier, Nadège Havet, Guylène Pantel, Cathy Apourceau-Poly et M. Alain Marc.

La mission d'information procède à la désignation de ses secrétaires, MM. François Calvet et Olivier Henno.

M. Guillaume Chevrollier, président. - La nouveauté, issue des travaux de notre collègue Pascale Gruny pour améliorer le suivi des missions d'information par les groupes dont l'effectif est réduit, est que notre mission comporte deux sénateurs suppléants, qui n'ont pas de voix délibérative, notamment lors de l'adoption du rapport. Il s'agit de M. Éric Gold pour le groupe du RDSE et de M. Guillaume Gontard pour le groupe GEST.

Mme la rapportrice va nous présenter les orientations qu'elle propose pour les travaux de la mission d'information.

D'une manière générale, je souligne que la préoccupation de l'environnement est largement partagée au Sénat, comme en témoignent les travaux, précurseurs, qui ont été conduits sur l'empreinte environnementale du numérique. Notre rapport d'information de juin 2020, commis au nom de la commission du développement durable, a directement inspiré la loi du 15 novembre 2021 visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que la création de la sécurité sociale nécessita un large consensus. Elle fut élaborée par le Conseil national de la Résistance, dont le programme incluait la création d'une sécurité sociale obligatoire. A la Libération, les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, signées par le général de Gaulle, voulurent englober toutes les activités économiques, mais les professions agricoles ont conservé un régime spécifique, tout comme les salariés des régimes spéciaux. La généralisation du régime général à l'ensemble des travailleurs n'est toujours pas de mise à l'heure actuelle.

L'attention semble aujourd'hui portée sur le rassemblement de la sécurité sociale et des mutuelles, lequel permettrait de faire des économies substantielles, comme l'ont proposé Martin Hirsch et Didier Tabuteau dès janvier 2017.

Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) mène actuellement une réflexion sur l'articulation entre assurance maladie et assurances santé. Quatre scénarios sont étudiés, dont celui de la « grande Sécu », qui prévoit la prise en charge par la seule assurance maladie de la plus grande partie des soins pris en charge par les complémentaires, et ce afin notamment d'éviter le double financement des mêmes soins, générant des frais de gestion parmi les plus élevés des pays de l'OCDE.

Le concept de sécurité sociale écologique semble donc proposer de passer d'une logique de soins à une logique de santé, car, si la sécurité sociale fut construite avec la menace des maladies infectieuses, elle doit désormais affronter les maladies chroniques. Ces pathologies sont liées à la dégradation de l'environnement, le changement climatique ayant une incidence sur les équilibres financiers fondamentaux de notre régime de protection sociale.

Enfin, si de nouvelles protections sont nécessaires et de nouvelles prestations envisagées, la crédibilité de nos travaux imposera bien entendu un financement équitablement réparti qui ne pénalise pas trop fortement notre économie.

Mme Mélanie Vogel, rapportrice. - Je vous remercie de la confiance qui m'a été accordée en me confiant cette mission initiée par le groupe Écologie, Solidarité et Territoires.

Le changement climatique, dont nous mesurons dès aujourd'hui les effets très concrets, n'est pas une question environnementale, c'est un problème de société. Il affecte l'ensemble de notre vie, de notre économie, l'ensemble de nos politiques. Il fait peser de nouveaux risques sociaux sur nos vies et notre système de sécurité sociale doit donc intégrer cette nouvelle contrainte.

Dans le monde, au cours des vingt dernières années, le nombre de catastrophes naturelles a augmenté de 74 % par rapport aux vingt précédentes, causant 1,2 million de décès et affectant plus de 4,2 milliards de personnes. Le groupe de réassurance Swiss Re estime que, sur le plan mondial, les catastrophes naturelles et les désastres causés par l'homme se soldent par des pertes financières annuelles supérieures à 158 milliards de dollars. Cela donne une idée des montants colossaux en jeu. La question est suffisamment sensible sur le plan financier et monétaire pour décider la Banque centrale européenne (BCE) à concevoir des modèles de « stress test » climatique.

Les efforts colossaux d'adaptation et de transition mettent en exergue les limites de notre État providence et d'un modèle fondé sur la croissance, qui a prévalu au cours de la seconde moitié du siècle dernier. Les défis environnementaux qui sont devant nous sont aussi des défis sociaux qui touchent avant tout les plus vulnérables et qui risquent de mettre en péril nos acquis et progrès sociaux. Face à cela, la puissance publique a vocation à prendre une plus grande part dans la couverture des risques et dans l'accompagnement des individus.

En effet, le dérèglement climatique et environnemental fait peser sur notre société des risques nouveaux, la nécessaire transition écologique implique un effort collectif et tout cela appelle logiquement à la création de nouvelles protections et prestations gérées par la société tout entière.

On l'a vu récemment, l'exclusion du risque pandémique de la plupart des garanties « pertes d'exploitation » souscrites par les entreprises a rappelé, parfois douloureusement, que ces garanties n'agissent que dans le cadre des engagements contractuels souscrits. Plus largement, la crise sanitaire, d'une ampleur inédite, nous a permis de nous interroger sur l'articulation du secteur assurantiel avec la solidarité nationale, leurs responsabilités respectives et doit nous amener à repenser ce lien.

Le Sénat a déjà apporté de premières réponses au versant « catastrophes naturelles » de cette question, avec la mission d'information Vaspart - Bonnefoy sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation. Publié en juillet 2019, le rapport de la mission formulait une cinquantaine de recommandations concrètes, visant à proposer un système d'indemnisation plus efficace, juste et transparent, à développer une véritable culture du risque dans notre pays, à donner aux élus locaux et aux particuliers les moyens de réduire leur vulnérabilité et à mieux protéger les agriculteurs face aux risques climatiques.

Je signale, à ce propos, qu'une proposition de loi visant à définir les dispositions préalables à une réforme de l'indemnisation des catastrophes naturelles, déposée par l'Assemblée nationale, mais qui s'inspire largement des travaux de la mission d'information et d'une précédente proposition de loi adoptée par le Sénat, améliore la transparence, sécurise et simplifie la procédure. La commission mixte paritaire se réunira le 8 décembre.

C'est là un aspect, important financièrement, mais en réalité limité du problème global.

En instaurant cette mission d'information - je sais que des personnes, ici et là, ont exprimé leur sentiment de confusion face au titre de cette mission -, les écologistes veulent s'interroger sur les fondements du système actuel. Au fond, nous voulons réfléchir à la question suivante : notre système de protection sociale a été pensé à une époque où la question des limites planétaires n'était pas intégrée du tout dans notre vision du monde. Il a donc été pensé sans, à aucun moment, considérer que notre ignorance de ces limites pouvait faire peser sur notre monde tout entier des risques incommensurables. Aujourd'hui, nous savons. Comment donc refonder notre système de protection sociale pour qu'il protège des risques, accompagne les individus, les entreprises, mais aussi qu'il soit vertueux en incitant à réduire, sur le long terme, ces risques ?

Notre mission d'information pourrait suivre trois pistes d'investigation.

Première piste, le diagnostic, c'est-à-dire comprendre la manière dont l'enjeu climatique affecte notre système actuel de protection sociale.

Nous pourrions commencer par nous demander si les risques sociaux et sanitaires dont l'origine comporte une dimension environnementale sont, ou pas, identifiés et recensés par les outils actuels. En effet, les systèmes de sécurité sociale ont toujours dû mettre en place des mesures à la fois ex ante et ex post pour répondre efficacement aux changements de l'environnement extérieur, qu'il s'agisse de l'allongement de l'espérance de vie, du défi de fournir et de financer des soins de longue durée, de l'augmentation des maladies transmissibles et des infections d'origine zoonotique.

Le concept « One Health », ou « une seule santé », permet d'appréhender les liens étroits entre la santé humaine et celle des animaux et de l'environnement global. Il vise à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires et d'encourager la collaboration effective des organismes de recherche oeuvrant en santé humaine et vétérinaire ainsi qu'en environnement. Le concept est promu par les institutions internationales que sont l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Un accord tripartite a été signé en 2010 entre ces trois organisations pour collaborer sur cette thématique. Nous les auditionnerons en janvier, avec les acteurs du dispositif correspondant de la politique régionale de recherche mis en place par la région d'Île-de-France.

Dans la mesure où notre mission d'information a une dimension prospective marquée, il pourrait être intéressant d'entendre des think tanks qui esquissent souvent des pistes novatrices - je pense en particulier à la Fabrique écologique, et à l'Institute for Climate Economics (I4CE), dédié à la recherche sur l'économie du climat, fondé par la Caisse des dépôts et consignations et l'Agence française de développement (AFD).

Nous pourrions également regarder du côté de notre sécurité sociale, en nous posant cette question : est-elle suffisamment préparée aux risques nouveaux dont nous parlons ? Aux États-Unis, la Social Security Administration a adopté, le 25 août dernier, un plan d'action climat - 2021 Climate Action Plan - pour préparer l'outil administratif de la sécurité sociale à la multiplication des événements climatiques extrêmes. Sommes-nous au même niveau de préparation, de réflexion et d'anticipation ?

La sécurité sociale sera confrontée à des demandes croissantes liées au changement climatique et, dans le même temps, à des contraintes de financement toujours plus fortes, surtout dans un contexte de stagnation à long terme de la croissance économique. Notre système de protection sociale doit pouvoir absorber le choc climatique, qui va augmenter à l'aune de l'accélération des événements météorologiques extrêmes ou de la multiplication des pandémies, dont la covid n'est qu'une amorce. Dès la semaine prochaine, je vous propose d'interroger le directeur de la sécurité sociale, un représentant du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et la directrice générale de l'Agence nationale de santé publique.

Nous pourrons nous interroger, encore, sur le fait que des risques climatiques aujourd'hui couverts par l'assurantiel vont eux-mêmes s'accroître : quelles en seront les conséquences ? Pour le secteur économique, le Gouvernement a engagé une réflexion sur le développement d'une couverture « pandémie », avec la mise en place d'un groupe de travail, piloté par la direction générale du Trésor en avril 2020. Ses travaux ont finalement été étendus à l'ensemble des risques dits « exceptionnels ». Ces risques vont augmenter, des lieux de notre territoire vont devenir inadaptés à certaines activités, en raison de sécheresses, d'inondations ; des zones peuvent devenir simplement inhabitables, entraînant d'importantes migrations, entre autres.

Le déploiement d'une couverture assurantielle contre ces risques réputés « inassurables » doit résoudre une même quadrature du cercle, à savoir comment garantir une protection maximale, tout en minimisant son coût pour les assurés. Je précise toutefois que je vous propose de ne pas aborder la question de l'assurance récolte agricole, dans la mesure où un groupe de travail de la commission des affaires économiques prépare le projet de loi sur ce sujet, dont le Sénat devrait être saisi en janvier 2022.

Après le diagnostic, je vous propose d'explorer une deuxième piste, à savoir la façon d'adapter notre système de protection pour qu'il puisse participer à la transition écologique de notre économie, de notre industrie, de nos entreprises.

Protéger de la crise climatique, cela signifie renforcer la capacité de résilience et d'adaptation de nos salariés, de nos entreprises, mais aussi compenser et encourager les mesures qui soutiennent la transition vers une société plus résiliente au changement climatique, pour créer une logique vertueuse où notre système de protection sociale protège sur le long terme.

De nouveaux dispositifs d'accompagnement des salariés doivent être mis en place. Il s'agirait particulièrement de cibler ceux qui travaillent dans des secteurs économiques dont la viabilité est remise en cause par la transition écologique. Plutôt que de subir les changements économiques, il s'agit de les anticiper en donnant aux individus les moyens et les possibilités concrètes d'être indemnisés, mais aussi formés et d'être embauchés à l'échelle d'un même territoire. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis un avis à l'unanimité de ses groupes le 23 mars 2021 : l'urgence sociale et professionnelle - autour des reconversions - est aussi écologique. Il est impératif que les politiques publiques en la matière changent d'échelle. Nous pourrons revenir sur le projet Catex, de la Fédération française de l'assurance, qui vise à couvrir les entreprises contre les conséquences économiques d'une fermeture collective imposée par les pouvoirs publics dans le cadre d'une pandémie ou d'une épidémie grâce au versement d'un « capital résilience » leur permettant de passer le cap de la crise.

Enfin, troisième piste de réflexion, je vous propose d'explorer la création de nouveaux outils garantissant l'accès des individus aux besoins fondamentaux.

La plus essentielle, la plus ambitieuse mesure serait de garantir l'effectivité du droit à une alimentation saine. La crise sanitaire a mis en évidence que les comorbidités et maladies comme l'obésité, l'hypertension ou le diabète sont à l'origine d'une surmortalité en cas d'infection par le covid-19. Par ailleurs, ces risques constituent une part importante des dépenses de santé. Une action forte en ce domaine pourrait ainsi se révéler bénéfique en termes de santé publique et de finances sociales.

Une possibilité, mais il peut y en avoir d'autres, est de verser un montant mensuel fixe sur la carte Vitale à l'ensemble de la population. Cette somme serait à dépenser dans des établissements et pour des produits tous deux conventionnés par les pouvoirs publics.

Le chèque eau, lancé en 2016, peine à émerger. Le Premier ministre avait, en 2018, annoncé la généralisation des expérimentations locales. Financé par les collectivités, l'eau étant une compétence locale, il s'élèverait en moyenne à 50 euros par an et par famille. L'aide peut aussi prendre la forme d'un tarif progressif de l'eau incluant une première tranche de consommation gratuite, modulée en fonction des revenus. Le bilan est en demi-teinte, les collectivités lui préférant d'autres formules d'accompagnement des ménages les plus précaires. En pratique, quel est le meilleur moyen d'assurer à tous un accès à l'eau ?

Enfin, se pose bien sûr la question du financement et des moyens de la sécurité sociale pour répondre aux défis qui l'attendent. Il est évident que nous nous poserons la question du financement, de l'articulation du secteur assurantiel et du secteur public, avec un choix entre la logique de cotisations et celle de l'impôt pour chaque nouvelle protection que nous aurons jugé nécessaire d'offrir.

Je ne doute pas que nous saurons nous retrouver chaque fois que cela sera nécessaire dans la recherche d'une action publique efficace au service de l'intérêt général. Je sais pouvoir compter sur notre intelligence collective et sur la sagesse du Sénat pour aboutir à des préconisations concrètes, efficaces et partagées.

M. Guillaume Chevrollier, président. - Merci pour cette présentation. Nous commencerons nos auditions dès la semaine prochaine.

La réunion est close à 11 heures.