Mardi 16 novembre 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté

M. François-Noël Buffet, président. - Madame la ministre, en l'absence du ministre de l'intérieur, il vous revient de nous présenter les crédits portés par le ministère dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, pour trois missions budgétaires.

Concernant la mission « Sécurités », les rapporteurs pour avis sont Françoise Dumont, au titre de la sécurité civile, et Henri Leroy, pour les autres programmes - ce dernier, souffrant, ne peut malheureusement pas participer à cette audition.

S'agissant de la mission « Immigration, asile et intégration », Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère sont les rapporteurs pour avis.

Enfin, Cécile Cukierman est rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Par ailleurs, Philippe Dominati et Sébastien Meurant sont respectivement rapporteurs spéciaux de la mission « Sécurités » et de la mission « Immigration, asile et intégration », au nom de la commission des finances, saisie au fond.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. -  C'est un honneur pour moi d'être avec vous aujourd'hui pour vous présenter le budget du ministère de l'intérieur. Permettez-moi, tout d'abord, d'excuser M. Gérald Darmanin, retenu par d'autres obligations.

Ce budget est porté dans le projet de loi de finances pour 2022 au travers de trois missions : « Administration générale et territoriale de l'État », « Sécurités », ainsi que le compte d'affectation spéciale (CAS) « Contrôles de la circulation et stationnement routiers » qui lui est rattaché, et « Immigration, asile et intégration ».

Vous me permettrez tout d'abord de me réjouir que, conformément à la volonté du Président de la République et du Premier ministre, le budget du ministère de l'intérieur connaisse dans son ensemble une augmentation exceptionnelle de ses crédits à hauteur de 1,5 milliard d'euros.

Avec ces moyens nouveaux, le budget du ministère de l'intérieur aura enregistré une augmentation depuis le début du quinquennat de 3,5 milliards d'euros. Cet effort budgétaire historique doit naturellement s'incarner dans des résultats sur le terrain, au bénéfice des Français et visibles par les agents du ministère.

Tout d'abord, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » enregistre cette année une progression de 351 millions d'euros, plan de relance inclus. Cette mission, en partie financée sur le programme 354, est au coeur des priorités gouvernementales.

Premier axe majeur de ce budget : pour la seconde année consécutive, les effectifs des préfectures, sous-préfectures et secrétariats généraux communs seront maintenus au même niveau, afin de soutenir l'administration déconcentrée et renforcer son action de proximité au coeur des territoires.

Cette décision inédite marque le terme de la forte déflation entamée depuis plus de dix ans, qui avait conduit le réseau à perdre 25 % de ses effectifs. Cette mesure sur les effectifs des préfectures permettra, en particulier, de renforcer les services des étrangers dans les préfectures, pour accompagner notre action résolue dans ce domaine.

Second axe important : rapprocher les services des citoyens dans les départements. Deux actions déjà engagées concourent à cet objectif. D'une part, le ministre de l'intérieur a engagé un chantier de « relocalisations » pour 1 500 emplois d'administration centrale, qui seront installés dans des villes - hors grandes métropoles et hors l'Île-de-France - qui seront candidates pour les accueillir.

Vingt-trois postes d'experts de haut niveau et de directeurs de projet sont créés auprès des préfets. Ils sont en cours de recrutement et prendront leurs fonctions au plus tard en janvier 2022.

Le budget de fonctionnement et d'investissement est également centré sur l'accompagnement de la réforme de l'administration territoriale. Il permettra d'engager une convergence sur l'action sociale et le financement des chantiers immobiliers liés à la nouvelle organisation territoriale de l'État et à la sécurisation des préfectures.

Outre l'administration territoriale, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace également les crédits nécessaires aux politiques transversales et de soutien aux missions du ministère.

Le ministère de l'intérieur continue d'investir dans le domaine du numérique et conduit des projets de grande ampleur, en priorité au bénéfice des forces de sécurité intérieure. C'est le cas, par exemple, du réseau Radio du futur (RRF) ou encore de France-Alerte pour permettre l'alerte en temps réel des populations.

Les systèmes d'information sont aussi essentiels pour la modernisation et la transformation des autres missions régaliennes. C'est le cas naturellement du déploiement de la nouvelle carte nationale d'identité, débuté en 2021. Entre le 15 mars et le 30 août, plus de 1,3 million de demandes de ce nouveau titre ont été recueillies, plus de 1 million ont été validées et 950 000 titres ont été produits.

Deuxième budget central sur lequel je voudrais insister : le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

Priorité annoncée par le Président de la République lors de la clôture du Beauvau de la sécurité, la vidéoprotection bénéficiera d'une augmentation significative. Sa progression sera de 10 millions d'euros, ouverts au titre du plan de relance, qui portera la dotation du FIPD à 79,4 millions d'euros l'année prochaine.

C'est dans cette action également que les préfets investiront le champ de la lutte contre l'islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains, en veillant à déployer sur leur territoire les outils prévus par la loi du 24 août dernier.

Enfin, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » retrace les crédits nécessaires à l'organisation des élections, au sein d'un programme dédié. Le ministère de l'intérieur a tenu compte des recommandations de la mission d'information de votre commission pour sécuriser les importantes opérations électorales de 2022. Afin que les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin dernier ne se reproduisent pas, des mesures correctives ont dès à présent été engagées.

Le 13 août dernier, par exemple, les différents lots qui liaient le ministère de l'intérieur à la société Adrexo ont été résiliés et sont en cours d'attribution. La mise sous pli ne sera plus assurée par l'administration si les conditions de sa délégation à un prestataire ne sont pas jugées suffisamment sûres. Les contrôles tout au long de la chaîne logistique seront fortement accrus.

J'en viens à la mission « Sécurités ».

L'engagement du Président de la République et du Premier ministre, à l'issue des travaux menés dans le cadre du Beauvau de la sécurité, s'est traduit par la progression des crédits pour cette mission de plus de 1 milliard d'euros, en tenant compte du plan de relance. Cela porte l'augmentation du budget de la mission « Sécurités », depuis le début du quinquennat, à 2,3 milliards d'euros.

Ces crédits permettront de mettre en oeuvre une partie importante des conclusions du Beauvau de la sécurité. Ils concourent également à mettre en place nos priorités pour la protection des Françaises et des Français. Je n'en citerai que deux : notre priorité dans la lutte intense contre les stupéfiants et notre priorité pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants. Le Président de la République en a fait la grande cause du quinquennat et, depuis un an et demi, nous déployons avec le ministre de l'intérieur un certain nombre de mesures nouvelles pour toujours mieux protéger les femmes face aux violences.

L'évolution des dépenses de personnels pour la police et la gendarmerie sera marquée par l'achèvement de la tenue de l'engagement du Président de la République de créer 10 000 postes supplémentaires sur le quinquennat. Ils permettront de renforcer la présence de policiers et de gendarmes sur le terrain, comme l'a souhaité le Président de la République. Ainsi, toutes les circonscriptions de sécurité publique connaîtront une progression des effectifs qui leur sont alloués sur la durée du quinquennat.

Nos autres priorités, notamment le renseignement, bénéficient également de ce plan de création de postes de policiers et de gendarmes.

Concernant l'augmentation des crédits de fonctionnement et d'investissement, nous avons souhaité qu'une première traduction rapide soit donnée aux axes de progrès identifiés dans le cadre du Beauvau de la sécurité.

L'un des axes forts du Beauvau de la sécurité, et que nous traduisons dès ce projet de budget pour 2022, est l'effort fait en faveur de la formation, avec deux mesures phares : l'augmentation du temps de formation initiale et continue ainsi que le lancement des travaux pour la création d'une académie de police, dans laquelle tous les policiers auront vocation à passer à un moment de leur carrière.

En termes d'équipement et d'investissement, le budget pour 2022 nous permettra de mieux répondre aux besoins de protection de la population, mais aussi d'investir dans les matériels de protection de nos policiers et gendarmes.

Avec 11 000 nouveaux véhicules en 2022 pour les forces de l'ordre, c'est la moitié du parc automobile qui aura été renouvelée au cours du quinquennat. Le budget relatif au matériel et à l'équipement est également en augmentation, principalement grâce aux crédits du plan de relance. Un effort particulier est fait pour les équipements de protection.

Le déploiement des caméras-piétons se poursuivra en 2022 afin que chaque agent sur la voie publique en bénéficie.

Le lancement de grands chantiers immobiliers et d'une remise à niveau pour l'immobilier permettra de mieux accueillir les victimes, mais aussi d'améliorer le quotidien de la police et de la gendarmerie. En plus des grands chantiers immobiliers, il nous faut engager un effort visible sur l'entretien des commissariats et des casernes.

Sur la sécurité civile, notre objectif est de renforcer notre capacité de prévention, d'anticipation et d'adaptation.

La saison de feux que nous avons connue cet été nous montre la nécessité de poursuivre ce soutien aux moyens de la sécurité civile. Je rappelle, par ailleurs, l'investissement majeur des forces de sécurité civile dans la lutte contre l'épidémie de la covid-19.

Les crédits de la sécurité civile augmenteront de 54,2 millions d'euros - relance incluse -, ce qui permet de financer, là aussi, un effort sur l'équipement et l'investissement, notamment en faveur des aéronefs de la sécurité civile.

Pour la sécurité routière, le budget pour 2022 prévoit l'achat d'un nombre important de kits de détection de stupéfiants pour la mise en oeuvre d'un grand plan de contrôle débuté dès cet automne ; la poursuite des projets numériques essentiels, dont le projet « Rendez-vous permis », qui permet de réserver en ligne les places d'examen ; et la poursuite de l'externalisation de la conduite des voitures radars, étendue dans trois nouvelles régions
- Bretagne, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire.

Enfin, j'évoquerai la mission « Immigration, asile et intégration ». Le projet de loi de finances pour 2022 autorise une augmentation des crédits à hauteur de 58,4 millions d'euros, soit une augmentation de 3,2 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) de 2021. Ces crédits sont complétés par 16 millions d'euros en crédits de paiement (CP) au titre du plan de relance, portant ainsi les crédits pour 2022 à 1,92 milliard d'euros, en hausse de 3,9 % par rapport à la LFI de 2021.

C'est donc un effort budgétaire important au service d'une politique migratoire que nous voulons maîtrisée et équilibrée, au travers des deux programmes de la mission : le programme 303, « Immigration et asile », et le programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française ».

Le programme 303 illustre la volonté résolue du Gouvernement de mieux accueillir les migrants, mais aussi de mieux lutter contre l'immigration irrégulière.

À ce titre, 143,9 millions d'euros sont inscrits au PLF pour 2022, soit une hausse de 12,5 %, pour l'ouverture de nouvelles places en centres de rétention administrative (CRA), tant en investissement qu'en fonctionnement après ouverture.

Je précise que l'armement des CRA existants et futurs pourra être optimisé grâce à l'externalisation des fonctions non régaliennes - comme le gardiennage des abords, la gestion des visiteurs, la bagagerie - exercées aujourd'hui par les fonctionnaires actifs en leur sein. Cela permettra, à terme, soit après 2023, un gain d'effectifs de l'ordre de 140 policiers.

Dès l'année 2022, avec le déploiement de l'externalisation dans les CRA de Marseille, Nîmes, Toulouse et Lyon - y compris le nouveau CRA livrable mi-janvier 2022 -, ce sont 39 policiers qui seront libérés de ces tâches.

Les autres dépenses de ce programme portent sur l'accueil et l'hébergement des demandeurs d'asile, avec notamment une hausse significative du budget consacré à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) : + 18,2 millions d'euros par rapport à la LFI de 2021, ce qui porte le budget à 473 millions d'euros. Cette hausse illustre à la fois l'effort de la Nation pour l'accueil des demandeurs d'asile et la sincérité de cette construction budgétaire.

La progression du parc d'hébergement pourrait être de 5 700 places en 2022, si l'évolution des dépenses d'allocation pour demandeur d'asile, dont le niveau demeure soumis à des aléas, n'excède pas les prévisions.

Le parc d'hébergement pour demandeurs d'asile et réfugiés atteindrait ainsi le niveau historique de 118  087 places réparties comme suit : 6 341 places en centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), avec 1 500 places supplémentaires l'an prochain ; 50 032 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), avec 3 400 places supplémentaires l'an prochain ; 51 796 places d'hébergement d'urgence - un chiffre stable par rapport à 2021 - ; et 9 968 places en centres provisoires d'hébergement (CPH), soit 800 places de plus l'an prochain.

Je voudrais également mentionner l'amélioration des délais de traitement de la demande d'asile, pour lesquels nous observons une tendance encourageante, aussi bien au niveau de l'enregistrement du dossier en préfecture que de l'instruction de la demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Cette amélioration des délais de traitement de la demande d'asile aura un impact sur le montant de l'ADA, mais également sur la fluidité du parc d'hébergement ; d'où un effort particulier en termes de moyens en direction de l'Ofpra.

Au titre du PLF pour 2022, la subvention qui lui est accordée s'élève à 93,2 millions d'euros, en hausse de 0,4 million d'euros, et le plafond d'emplois est consolidé à 1 003 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Les crédits du programme 104, « Intégration et accès à la nationalité française », illustrent la refonte de la politique d'intégration engagée par le Gouvernement depuis 2018.

L'État se donne les moyens de mener une politique ambitieuse à travers les mesures prises par le comité interministériel sur l'immigration et l'intégration (C3I) en 2018 et 2019, grâce à un budget dédié qui se maintient à haut niveau et progresse même de 1,8 %.

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) verra ainsi ses effectifs augmenter de 19 ETPT par rapport à la LFI de 2021, pour s'élever à 1 187 ETPT, tandis que ses subventions pour charges de service public connaîtront une hausse de 7,8 millions d'euros par rapport à la LFI de 2021. Si nous y ajoutons les 11 millions d'euros de crédits d'intervention - un montant identique à celui de 2021 -, cela porte les crédits de l'OFII à 256,8 millions d'euros dans ce projet de budget.

Illustrant notre volontarisme en matière d'intégration, un programme Accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) sera déployé à partir de 2022. L'objectif est de mieux accompagner quelque 8 000 réfugiés dans 27 départements via un guichet unique départemental mandaté par l'État, avec un accompagnement global et individualisé vers le logement et l'emploi, s'articulant avec le contrat d'intégration républicaine.

Le programme AGIR reposera sur trois piliers : premièrement, un accompagnement global des réfugiés grâce à la mise en oeuvre d'un binôme de référents sociaux ; deuxièmement, une coordination de tous les acteurs locaux de l'intégration ; et, troisièmement, des partenariats locaux pour garantir l'accès effectif aux droits.

Porté en interministériel afin de prendre en compte les différents volets de l'intégration, AGIR sera financé sur la mission « Immigration, asile et intégration » par redéploiement et adjonction.

En définitive, sous ce quinquennat, les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » seront passés de 1,056 milliard d'euros dans le PLF pour 2017 à 1,92 milliard d'euros dans le PLF pour 2022, illustrant la crédibilité et la solidité des réformes que je viens de vous présenter.

Ce projet de budget du ministère de l'intérieur marque donc à la fois l'achèvement des engagements du quinquennat, qui sont tenus, et la prise en compte des travaux du Beauvau de la sécurité.

Nous préparons aussi l'avenir, à la demande du Président de la République, en élaborant un projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), dont ce budget constitue, d'une certaine façon, une première marche.

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - Concernant les moyens de l'administration territoriale de l'État, qui constitue un appui pour les élus locaux et les populations, aucune baisse n'est à constater. Cependant, des remontées nous signalent des difficultés à effectuer, dans les territoires, un certain nombre de missions. C'est le cas, par exemple, pour la mission prioritaire du contrôle de légalité. Comment préserver, voire augmenter les effectifs pour répondre à cet objectif de sécurisation de l'action des élus locaux ?

Par ailleurs, il avait été annoncé en janvier 2020 que 100 sous-préfectures seraient labellisées « France Services », d'ici à la fin de l'année 2022. Cet objectif ne sera pas, me semble-t-il, atteint, puisque seules 21 sous-préfectures sont à ce jour labellisées. Quels moyens entendez-vous engager pour renforcer les dispositifs existants dans les sous-préfectures qui souhaiteraient intégrer ce réseau, mais qui ne peuvent y consacrer les deux ETP nécessaires, faute de ressources suffisantes ? J'entends ce que vous nous dites, mais un grand nombre de sous-préfectures manquent cruellement de personnels pour instaurer et animer les différentes politiques publiques.

S'agissant de l'organisation des élections - l'année 2022 est une année importante, avec l'élection présidentielle et les élections législatives -, quelles mesures le ministère de l'intérieur entend-il prendre pour assurer le bon déroulement des élections ? Quelles recommandations de la mission d'information sénatoriale sur les dysfonctionnements constatés lors des élections départementales et régionales de juin 2021 seront suivies d'effet ?

Le ministère de l'intérieur a décidé d'internaliser la mise sous pli de la propagande électorale qui sera désormais réalisée, soit par la préfecture en régie, soit par les communes via une convention liant la préfecture et la mairie. Est-ce toujours la position du ministère de l'intérieur ? Si oui, les préfectures disposent-elles des ressources humaines et matérielles suffisantes pour assurer cette mission ? Si tel n'est pas le cas, des exceptions sont-elles prévues ?

Dans le contexte mondial actuel, nous devons faire face à une pénurie de papier. Des difficultés logistiques peuvent donc entraver le bon déroulement de la mise sous pli et de la distribution de la propagande électorale. Envisagez-vous des mesures préventives pour assurer le bon déroulement des élections ?

Mme Françoise Dumont, rapporteure pour avis du programme « Sécurité civile ». - Les hasards du calendrier font que la proposition de loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile, déposée par notre collègue député Fabien Matras, est aujourd'hui même examinée à l'Assemblée nationale, afin d'être définitivement adoptée. Les évolutions législatives que ce texte contient sont à souligner. Elles doivent toutefois s'accompagner des moyens nécessaires, notamment les moyens aériens qui sont devenus des outils incontournables. Alors que la moyenne d'âge de nos 12 canadairs dépasse vingt-trois ans, pouvez-vous faire un point sur les perspectives de renouvellement de cette flotte et sur la piste d'un financement européen ?

En outre, nous savons qu'un effort est en cours pour agrandir la flotte d'hélicoptères. Pouvez-vous également faire un point sur cette démarche et préciser quelles mesures ont été prises pour améliorer le taux de disponibilité de cette flotte et plus généralement son maintien en condition opérationnelle ?

Mme Muriel Jourda, rapporteure pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - S'agissant de la politique migratoire maîtrisée que vous avez évoquée, nous avons coutume de solliciter les différentes personnes auditionnées sur le nombre d'obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées annuellement et sur le taux d'exécution de celles-ci.

Il est apparu que, sur les six premiers mois de 2021, le taux d'exécution était extrêmement bas : 5,6 %. Il nous a été répondu qu'il fallait se fier non pas au taux d'exécution, mais au nombre, en valeur absolue, d'OQTF prononcées. Confirmez-vous qu'il est pertinent d'évaluer la politique du Gouvernement sur le nombre d'OQTF prononcées sans jamais se soucier de savoir si elles ont été exécutées ?

Par ailleurs, nous avons découvert, au cours de nos auditions, qu'à l'occasion de la crise sanitaire l'Algérie avait renforcé les conditions de retour de ses ressortissants en situation irrégulière sur notre territoire. En effet, elle exige désormais que ses ressortissants soient inscrits sur une liste qu'elle établit discrétionnairement. Quelles sont les mesures que vous entendez prendre pour que nous puissions - enfin ! - avoir une politique de retour normalisée avec l'Algérie ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Ma première question concerne notre faculté à mesurer le niveau d'immigration régulière en France. Le chiffre qui est donné par votre ministère concernant ce qui est appelé le « stock de titres valides » - je vous prie de m'excuser de parler de stock, mais nous utilisons tous un langage technocratique, alors qu'il s'agit de personnes - continue d'augmenter. Fin 2020, il s'établissait à 3 454 816 titres.

Lors de l'audition du directeur général de l'Ofpra, ce dernier nous a rappelé que ses services assuraient la fonction d'officier d'état civil pour les personnes admises au droit d'asile. Ce n'est donc plus le pays d'origine, mais l'Ofpra qui établit leurs documents d'état civil. Le nombre de personnes protégées par cet office dépasse aujourd'hui les 500 000. Il s'agit de personnes qui sont en situation régulière dans notre pays, leur droit à l'asile leur ayant été reconnu.

Ne connaissant pas les modalités de construction de vos statistiques, dois-je comprendre que le nombre d'immigrés en situation régulière en France est de 3 454 816, dont 500 000 bénéficiaires d'asile, reconnus et protégés ? Ou dois-je comprendre qu'aux 3 454 816 immigrés s'ajoutent les 500 000 bénéficiaires d'asile ?

Ma seconde question est relative à la circulaire Valls de 2012. En 2020, le nombre de personnes admises au séjour au titre cette circulaire s'établissait à 28 859. Depuis l'application de celle-ci, nous avons franchi la barre des 250 000 admissions exceptionnelles. Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ? Envisagez-vous de modifier, ou non, la circulaire Valls ?

M. Philippe Dominati, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Sécurités ». - La commission des finances a constaté, s'agissant de la mission « Sécurités », un début de réponse aux questions que nous posons depuis un certain nombre d'années, notamment sur le titre II relatif aux frais de personnels, puisque, pour la première fois depuis de nombreuses années, leur part diminue par rapport aux dépenses de fonctionnement et d'investissement. Il s'agissait d'une revendication forte de notre commission qui avait entraîné plusieurs rejets des budgets précédents. Cette année, nous constatons une inversion, une inversion qui correspond à une demande de la Cour des comptes pour montrer le retard que nos forces de sécurité, aussi bien la police que la gendarmerie, avaient dans les domaines du fonctionnement et de l'investissement. Ce retard a été comblé, cette année, notamment par l'achat de voitures. Le manque de formation des agents a également été comblé par une augmentation de leur temps de formation, même si nous ne savons pas encore comment les agents seront formés pour devenir officiers de police judiciaire (OPJ), à partir du 1er mai. Enfin, nous constatons un réel investissement dans l'immobilier.

Ce budget est atypique, car il a les allures d'un budget de début de quinquennat. Le Gouvernement a-t-il enfin pris conscience de l'importance de la mission « Sécurités » ?

Le Gouvernement a connu trois ministres de l'intérieur en cinq ans - je ne reviendrai pas sur l'intérim du Premier ministre pendant plus d'un mois ; le Livre blanc n'a pas eu les mêmes effets que pour le ministère des armées ; et le Beauvau de la sécurité a été décidé à la suite du malaise ressenti par les forces de l'ordre. Le budget répond donc en partie à une crise. Telle est l'analyse de la commission des finances. Cependant, le budget est là et la réponse est positive.

C'est la raison pour laquelle la commission des finances donne un avis favorable à ce budget, dont les crédits, nous l'espérons, perdureront. Il nous faut cependant rester attentifs. Par rapport à la population, nous avons plus d'effectifs que la moyenne européenne et que nos grands voisins, et en termes d'effectifs par rapport aux moyens de fonctionnement, nous sommes encore en retard même si nous progressons. En Allemagne et en Grande-Bretagne, le ratio des dépenses de personnel par rapport aux autres dépenses est de 75 %. Or dans le budget qui nous est présenté par le Gouvernement, il est de 82 %, contre 88 % l'année dernière.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Immigration, asile, intégration ». - Permettez-moi de commencer par une remarque désobligeante. Lorsque nous avons examiné cette mission, nous avons reçu 15 % de réponses, ce qui est tout à faire anormal. Nous sommes tombés à un niveau de contrôle du Gouvernement qui est proprement inacceptable et qui ne respecte par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), puisque nous aurions dû recevoir les réponses le 10 octobre dernier. Je ne considère donc pas que nous ayons reçu un début de réponse, contrairement à mon collègue Philippe Dominati.

Concernant l'immigration maîtrisée et la lutte contre l'immigration irrégulière, le Gouvernement a prévu, en 2022, un nombre de migrants et de réfugiés supérieur à l'année 2019. C'est une drôle de façon de maîtriser les flux entrants de personnes provenant d'autres pays. L'illustration en est que plusieurs dizaines de milliers de personnes essaient de traverser la Manche. Pour la seule journée du 11 novembre, ils étaient plus de 1 000.

Par ailleurs, je m'interroge, comme notre collègue Philippe Bonnecarrère, sur les chiffres. Pour des territoires tels que la Guyane et Mayotte, les chiffres sont-ils consolidés ?

Une bonne maîtrise de l'immigration passe aussi par la bonne application des décisions d'expulsion. Et nous avons aussi sur cette question une vraie difficulté à obtenir des chiffres, pays par pays. En outre, l'application de ces décisions ne se traduit pas financièrement, puisque, depuis des années, le budget pour l'exécution des OQTF stagne aux alentours des 30 millions d'euros.

Concernant les forfaits visant à mettre à l'abri les personnes pauvres provenant de l'étranger - pour la lutte contre le trafic d'êtres humains -, les nuitées d'hôtel ont été multipliées par sept depuis une quinzaine d'années. J'ai posé la question à mon collègue des finances pour savoir combien de ces personnes étaient des réfugiés ou des migrants. Or nous constatons une absence totale de consolidation concernant ce triptyque immigration-asile-intégration. Le Parlement rencontre une vraie difficulté à contrôler, à évaluer cette mission qui devrait être divisée en trois missions : immigration, asile et intégration.

Enfin, je m'interroge sur le programme 177 : ne devrait-il pas être consolidé dans la mission « Immigration, asile, intégration » ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Concernant la mission « Administration générale et territoriale de l'État », la mobilisation dans les territoires se traduit par plus d'effectifs dans le réseau des préfectures et des sous-préfectures. Il s'agit d'un axe de travail important du ministre de l'intérieur. Le schéma d'emplois ne comptera aucune suppression d'emplois en 2022 dans les préfectures, pour la seconde année consécutive ; c'est inédit. Le Gouvernement a par ailleurs étendu cette vigilance aux effectifs des services déconcentrés des autres ministères, au-delà des préfectures et des sous-préfectures. Cela fait d'ailleurs partie des conclusions du comité interministériel de la transformation publique (CITP), qui s'est tenu en juillet dernier.

Autre mesure permettant de positionner les effectifs là où des renforts sont nécessaires : chaque préfet peut désormais décider de redéployer jusqu'à 3 % de ses effectifs d'un programme budgétaire entre les services déconcentrés de son département. Cette souplesse permet aux préfets d'ajuster leurs ressources humaines au plus près des territoires afin de poursuivre les objectifs fixés par le Gouvernement.

Cette année, nous avons créé 30 postes de sous-préfets à la relance. Les 23 experts de haut niveau que j'évoquais dans mon propos liminaire sont directement rattachés aux préfets et sont prévus dans ce budget.

Concernant la propagande électorale, je ne peux que partager vos propos, madame la rapporteure, s'agissant des dysfonctionnements dans les mises sous pli et les distributions lors des dernières élections régionales et départementales. Ces dysfonctionnements ont conduit le ministère de l'intérieur à prendre des décisions, concernant notamment l'acheminement des plis. Le 13 août dernier, les différents lots qui liaient le ministère de l'intérieur à la société Adrexo ont été résiliés. Un appel d'offres a été lancé.

Par ailleurs, une partie des problèmes liés à l'acheminement de la propagande électorale provenait de défaillances en amont, certains routeurs ayant distribué des enveloppes en retard, d'autres n'étant pas parvenus à terminer leur travail de mise sous pli, de sorte que le ministre de l'intérieur a demandé aux préfets de prendre des mesures très concrètes.

D'abord, la règle est de ré-internaliser la mise sous pli, à savoir la faire effectuer par des agents de l'État ou passer des conventions avec des communes afin de maîtriser au mieux le processus. Des exceptions existent bien évidemment, notamment si le prestataire n'est pas défaillant ou si des conditions de contrôle strictes peuvent être mises en place et diligentées au niveau de la préfecture.

Par ailleurs, un plan de contrôle et un plan de secours en cas de défaillance ont été demandés à chaque préfet pour que, quel que soit le cas de figure, nous ne nous retrouvions plus jamais dans la situation que nous avons connue lors des dernières élections régionales et départementales.

Pour répondre à Françoise Dumont, je voudrais d'abord rappeler que la flotte aérienne de la sécurité civile compte aujourd'hui 20 avions et 33 hélicoptères. La flotte des hélicoptères comptait 34 appareils du même type, mais, vous le savez, l'un a connu en Isère un tragique accident en septembre dernier, durant lequel, hélas, un mécanicien est décédé. Nous avons engagé la reconstitution de cette flotte, deux hélicoptères ayant déjà été acquis en début d'année grâce au plan de relance. De plus, comme l'a annoncé le Président de la République à Marseille, lors du Congrès national des sapeurs-pompiers de France en octobre dernier, une commande de deux autres hélicoptères sera passée avant la fin de l'année, afin que nous puissions atteindre le chiffre de 37 appareils, tout en poursuivant une cible historique de 38 hélicoptères. De plus, au vu de l'âge de la flotte, la question de la poursuite du renouvellement a vocation à être examinée, notamment dans le cadre de la future loi de programmation pour les sécurités intérieures, précédemment évoquée.

Par ailleurs, l'activité de la flotte des hélicoptères ayant connu une hausse considérable de 70 % depuis 2002, passant de 10 000 à 17 000 missions par an, la question de l'entretien devient cruciale. Ainsi, le ministère de l'intérieur consacrait 75 millions d'euros à la maintenance des aéronefs de la sécurité civile et, cette année, ce chiffre s'élève à 84,5 millions d'euros, sachant que 6 millions d'euros sont consacrés à la modernisation de ces appareils.

Pour améliorer la maintenance et l'entretien de la flotte de la sécurité civile, une politique de mutualisation est également mise en oeuvre. En effet, le marché de maintien en conditions opérationnelles des hélicoptères est mutualisé entre la gendarmerie nationale et la sécurité civile. La base aérienne de sécurité civile de Nîmes accueille ainsi deux emplacements au profit de la gendarmerie pour l'entretien de ses hélicoptères et, par ailleurs, les deux directions mutualisent pièces, outils et savoir-faire des techniciens.

Enfin, nous avons tenu à revaloriser dans ce PLF la rémunération des pilotes d'avions et d'hélicoptères, comme celle des mécaniciens opérateurs, afin de les fidéliser, mais aussi parce que, au vu des risques encourus, nous considérons qu'un rattrapage leur était dû. Dans ce budget, le Gouvernement accorde donc une importance majeure aux moyens aéroportés de la sécurité civile, qui sont absolument fondamentaux.

En ce qui concerne les OQTF, je voudrais d'abord évoquer les chiffres. En 2020, on constate une diminution de 12,5 % du nombre d'OQTF prononcées par rapport à 2019 - soit 107 488 en 2020 et 122 839 en 2019. En outre, parmi les OQTF prononcées, la catégorie enregistrant la plus forte diminution est celle des déboutés du droit d'asile, pour laquelle on observe une baisse de 23,5 % en 2020. Par ailleurs, 19 957 éloignements ont été enregistrés, ce qui représente une diminution de 36,6 % par rapport à 2019. Celle-ci s'explique essentiellement par l'impact de la crise sanitaire, la fermeture des frontières et les dispositifs mis en oeuvre par certains pays ayant rendu plus difficile l'exécution des OQTF.

Sur la question de la pertinence des calculs, il est effectivement très difficile de comparer ce qui se passe dans les différents pays, y compris au niveau européen, tant les méthodes varient. Cependant, quand on considère en France le nombre d'OQTF prononcées, il faut aussi prendre en compte le nombre d'éloignements réalisés, qu'ils soient forcés ou aidés.

Par ailleurs, je voudrais rappeler qu'une politique ferme est mise en oeuvre par le ministre de l'intérieur à l'égard des pays qui refusent de délivrer des laissez-passer consulaires. Cette politique de fermeté a d'ores et déjà commencé à porter ses fruits et sa mise en oeuvre se poursuivra au cours des mois qui viennent.

Pour répondre à la question de M. Bonnecarrère sur les stocks de titres en cours de validité autorisant accès au territoire français, je voudrais commencer par rappeler que les bénéficiaires de la protection internationale détiennent des cartes de résidence valides dix ans, et que les bénéficiaires de la protection subsidiaire disposent quant à eux de cartes de séjour pluriannuelles. Les uns comme les autres sont donc inclus dans les calculs et les chiffres que nous partageons avec vous, en tant que possesseurs de titres en cours de validité. Le nombre total de ces titres s'élève aujourd'hui à 417 903 - 60 145 pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire, et 357 758 pour les réfugiés et apatrides.

Par ailleurs, au sujet de la circulaire Valls, qui a conduit à 28 859 admissions exceptionnelles au séjour en 2020, je répondrai simplement que, à ce stade, le Gouvernement ne prévoit ni de modifier ni d'abroger la circulaire, mais plutôt de l'appliquer de façon à la fois stricte et mesurée. À cet égard, j'ajoute qu'une circulaire a été adressée aux préfets en septembre par le ministre de l'intérieur, sur la question des anciens mineurs non accompagnés (MNA), l'objectif étant de mieux prendre en compte leur situation dans leur parcours d'insertion professionnelle.

Pour répondre à Philippe Dominati, la sécurité a toujours été une priorité du Gouvernement, et le Président de la République a notamment annoncé, dès 2017, sa volonté de recruter 10 000 policiers et gendarmes. Je vous remercie pour vos propos, pour votre avis sur le budget que je présente au nom du Gouvernement et sur les solutions apportées par le ministre de l'intérieur.

À ce titre, je voudrais rappeler que dès l'été 2020, le ministre a pris à bras-le-corps le problème du manque de moyens, notamment la question des véhicules. J'étais cette semaine avec le Premier ministre à La Duchère, à Lyon, et la semaine précédente dans l'Orne, à Alençon, et je peux vous dire à quel point on se réjouit dans les commissariats, d'avoir enfin reçu des véhicules, et de bénéficier du déploiement du plan Poignées de porte, qui oeuvre à rendre les conditions de travail des forces de l'ordre plus dignes, et à leur permettre d'exercer leur difficile mission dans les meilleures conditions matérielles possibles.

M. Jérôme Durain. - Madame la ministre, vous avez évoqué le plan de relance et le Beauvau de la sécurité comme les éléments centraux de l'effort budgétaire qui nous est présenté. Pour revenir brièvement sur le Beauvau de la sécurité, il me semble que son objectif ne résidait pas seulement dans sa dimension financière, mais aussi dans sa capacité à agréger, autour de nos forces de l'ordre, des citoyens, des associations et des ONG. Qu'en est-il de cet objectif ?

Vous avez également indiqué que 2,3 milliards d'euros supplémentaires auraient été consacrés à cette mission durant le quinquennat, et je voudrais souligner que cela n'est pas linéaire. Philippe Dominati a relevé qu'en matière de formation on avait pu observer, sinon des errements, en tout cas des choix en évolution. Nous prenons acte du rattrapage des crédits de fonctionnement et d'investissement par rapport aux dépenses de personnel, mais ces dépenses ne font pas tout.

J'en viens donc à la nécessité de dépenser mieux. En effet, ces dernières années, deux commandes publiques ont conduit à des naufrages. Tout d'abord, les caméras-piétons, que même le Président de la République a raillées en disant qu'elles ne fonctionnaient que quatre heures par jour... Pourtant, 5 millions d'euros ont été investis pour les 10 000 premières caméras. Aujourd'hui, on prévoit à nouveau d'investir dans ces appareils : 17 millions d'euros pour la police et 8 millions d'euros pour la gendarmerie. Toutes les précautions ont-elles été prises afin que nous ne rencontrions pas les mêmes difficultés ?

L'abandon du logiciel Scribe pose lui aussi de nombreuses questions. En effet, la facture s'élève à 11,7 millions d'euros. Le prestataire de service a vu le contrat dénoncé, mais y a-t-il eu des pénalités ? En outre, que deviennent les fonctionnalités qui étaient adossées à ce logiciel, comme la plateforme Thésée ou le compte rendu d'enquête après identification ? Le déploiement d'un nouveau logiciel est annoncé pour 2024 ; est-ce vraiment nécessaire d'attendre trois ans ?

Enfin, un dernier sujet qui n'est pas tout à fait budgétaire. Le président de la Fédération nationale des chasseurs a récemment évoqué la possibilité de confier à ses adhérents un rôle de police de proximité. La secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, Bérangère Abba, a déclaré ne pas fermer la porte à cette proposition. Il me semble pourtant que plusieurs lois ont récemment été promulguées - dont la loi pour une sécurité globale préservant les libertés -, qui permettent une meilleure articulation des acteurs de la sécurité. Par conséquent, cette proposition est-elle toujours sur la table et la considérez-vous avec autant d'intérêt que votre collègue ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'interviendrai sur les missions « Sécurités » et « Immigration, asile et intégration », et commencerai par saluer la dynamique de ces deux missions, qui connaissent une nouvelle hausse, conformément aux engagements pris lors de ce quinquennat.

Tout d'abord, face au niveau de délinquance que connaissent certains territoires, une réforme expérimentale de l'organisation déconcentrée de la police nationale a été lancée au 1er janvier 2020 en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte, sous la forme de directions territoriales de la police nationale (DTPN). Alors que la généralisation de ces directions est prévue pour 2022, pourriez-vous, madame la ministre, en dresser un bilan, s'agissant notamment de Mayotte, mais aussi des autres territoires ?

En matière d'immigration, le contrat d'intégration républicaine (CIR), instrument important de la politique du Gouvernement, sera déployé à Mayotte en 2022. Pourriez-vous préciser les modalités de ce déploiement ? Quels en sont les effets attendus s'agissant de la situation migratoire spécifique et très difficile que connaît Mayotte ?

Mme Brigitte Lherbier. - Permettez-moi de poser une question au nom d'Henri Leroy, qui me tient également beaucoup à coeur.

J'étais à Roubaix lors de la conclusion du Beauvau de la sécurité, et j'ai constaté chez les jeunes un véritable espoir qu'il serait grave de décevoir. L'année 2022 devrait être l'année de la création de la réserve opérationnelle de la police nationale qui, à terme, emploiera environ 30 000 réservistes. Parallèlement, la réserve de la gendarmerie devrait être renforcée, passant de 30 000 à 50 000 réservistes. Chacun ici connaît la grande motivation et la disponibilité de ces réservistes opérationnels, dont nous avons besoin. Cependant, les crédits alloués à ces postes de dépenses par le PLF pour 2022 ne sont pas en augmentation ; comment expliquez-vous, madame le ministre, le différentiel entre les annonces et les crédits effectivement budgétés ? Comment votre ministère envisage-t-il la montée en charge des réserves de nos deux forces, afin qu'elles soient pleinement opérationnelles pour les événements sportifs de 2023 et 2024 ?

Mme Catherine Di Folco. - Madame la ministre, je voudrais aussi me faire porte-parole d'Henri Leroy, qui ne peut être présent, et qui est rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». Il note que, pour la première fois, les crédits prévus sont de nature à redonner des marges de manoeuvre en matière de dépenses d'investissement et de fonctionnement. Cependant, il observe un net déséquilibre entre l'augmentation des crédits alloués à la police nationale et ceux alloués à la gendarmerie nationale. En effet, les dépenses d'investissement augmenteront de 193 % en autorisations d'engagement (AE) et de 80 % en crédits de paiement (CP) pour la police nationale, mais uniquement de 65 % en AE et de 45 % en CP pour la gendarmerie. De même, les dépenses de fonctionnement augmenteront pour les deux forces, mais moins rapidement dans la gendarmerie que dans la police. Comment expliquez-vous un tel déséquilibre, alors même que la gendarmerie fait face à davantage de besoins, tant en matière d'immobilier que de véhicules ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - En ce qui concerne le Beauvau de la sécurité, les tables rondes ont été constituées par le ministre de l'intérieur conformément aux annonces faites par le Président de la République. Effectivement, l'objectif était de réunir un certain nombre de parties prenantes, notamment de la société civile, et cela a bien été le cas. J'ai moi-même participé, et présidé un certain nombre de tables rondes, notamment sur des questions sensibles telles que la place des familles des forces de l'ordre dans leur métier et leur quotidien, la prévention face au suicide, ou la qualité de vie au travail. Des associations, des médiateurs et des parlementaires ont bien été associés aux travaux du Beauvau de la sécurité qui, par nature, étaient centrés sur les forces de l'ordre elles-mêmes, pour répondre à un certain nombre de difficultés qu'elles rencontraient ou rencontrent encore.

Le Beauvau de la sécurité s'est inscrit dans la continuité du Livre blanc et a été un temps démocratique, un temps de débat, mais il a surtout été conçu comme un temps concret, et a débouché sur un certain nombre de décisions, qui ont été annoncées par le Président de la République et ont permis d'obtenir des avancées bien réelles pour les forces de l'ordre. Celles-ci nous disent d'ailleurs leur satisfaction d'avoir été entendues sur des questions difficiles, notamment sur les questions de sécurité. Je rappelle qu'il s'agit de l'un des seuls métiers dans lequel lorsqu'on part de chez soi, on ignore ce que l'on va affronter dans la journée, et j'ai une pensée pour les membres des forces de l'ordre qui sont attaqués dans l'exercice de leur métier.

Sur la question du logiciel Scribe, le projet a effectivement rencontré des difficultés majeures et c'est la raison pour laquelle le ministre de l'intérieur a pris la décision de mettre fin au déploiement du logiciel, pour le relancer sur de nouvelles bases. En attendant, les ressources sont mutualisées, notamment avec le ministère de la justice, afin de pouvoir bénéficier de tels logiciels.

En ce qui concerne la chasse, je voudrais rappeler que la police de la chasse est assurée par les agents assermentés de l'Office français de la biodiversité. Je ne sais pas ce que ma collègue Bérangère Abba a répondu précisément ni dans quel cadre la question lui a été posée, mais je pense qu'elle ne dirait pas autre chose. Il a été fait mention du fait que les parlementaires ont réalisé un certain nombre d'avancées, qui permettent d'aller plus loin dans les modalités de sécurité aujourd'hui offertes, et d'innover à cet égard. À ce stade, nous avons déjà accompli un travail important, qui permettra notamment à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés d'être appliquée partout sur le territoire.

Je voudrais rappeler que la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a institué le contrat d'intégration républicaine (CIR), notamment pour les étrangers primo-arrivants, désireux de s'installer en France. Ses dispositions devaient faire l'objet d'une mise en oeuvre progressive à Mayotte, à compter du 1er janvier 2018, date qui a été repoussée au 1er janvier 2020. L'entrée en vigueur de ces dispositions apparaissant toujours prématurée, eu égard aux caractéristiques et aux contraintes particulières de l'île, un nouveau report a été décidé à l'occasion de la loi de finances pour 2020, afin de concevoir un dispositif mieux adapté aux spécificités de ce département.

Les travaux interservices relatifs au déploiement du CIR à Mayotte ont enfin été lancés fin 2020 par la direction générale des étrangers en France, en concertation avec l'OFII, la direction générale de l'outre-mer et la préfecture de Mayotte. La prise en compte du contexte social et migratoire mahorais, mais aussi des contraintes logistiques et budgétaires liées à l'insularité, a donc conduit à retenir un dispositif adapté. Un décret en Conseil d'État doit ainsi paraître dans les prochaines semaines, et deux arrêtés viendront compléter le dispositif réglementaire, qui prévoit un entretien personnalisé d'accueil, un test de positionnement linguistique initial, une formation linguistique de 100 heures et une formation civique de deux jours. Les marchés publics des formations linguistiques et civiques de l'OFII pour Mayotte ont été publiés le 4 août 2021, les locaux ont déjà été loués pour accueillir la nouvelle direction territoriale de l'Office et je peux vous annoncer que les recrutements d'agents de l'OFII ont été lancés, afin d'assurer l'effectivité du dispositif au 1er janvier 2022. Pour la mise en place du CIR à Mayotte, 5,6 millions d'euros sont prévus dans ce PLF pour 2022.

Pour ce qui est de la mission « Sécurités » à Mayotte, la mise en place de la DTPN a permis de meilleures synergies et un véritable pilotage unifié sur l'île, en optimisant les moyens pour renforcer les capacités opérationnelles sur le terrain. Je voudrais évoquer deux éléments pour illustrer ce constat. Tout d'abord, les dernières violences urbaines ont été gérées sans renfort d'unités de gendarmerie mobile, contrairement à ce qui s'était produit l'année précédente. De plus, la filière investigation s'est professionnalisée et, au premier semestre de l'année 2021, le taux d'élucidation des affaires a augmenté de 7,84 %, passant à 50,34 %. L'augmentation la plus sensible concerne le taux des atteintes contre les personnes - 57,41 % en 2021 contre 47,75 % en 2020. Nous observons d'ailleurs des éléments similaires en Nouvelle-Calédonie et en Guyane - je suis un peu longue, mais il me semble que la situation des outre-mer mérite qu'on s'y arrête.

Au regard du bilan très positif de cette expérimentation, cette organisation sera généralisée à l'ensemble des territoires d'outre-mer en 2022. Une expérimentation, qui vise à préfigurer des directions départementales de la police nationale dans des départements de métropole, est en cours dans le Pas-de-Calais, la Savoie et les Pyrénées-Orientales. La poursuite de cette réforme et la réorganisation en profondeur des services qu'elle entraînera constitueront une modernisation majeure de la police nationale, qui était attendue.

Pour répondre à la question des moyens de la gendarmerie, je souhaiterais rappeler que la France s'appuie sur ses deux forces de l'ordre, et que nous les traitons avec la même volonté de protéger les Français, quel que soit l'endroit où ils vivent. Chacune de ces forces à une histoire particulière, des singularités, une identité et, à cet égard, nous veillons à préserver le statut militaire de la gendarmerie. J'étais hier en déplacement à la direction générale de la gendarmerie nationale, et j'ai pu observer à quel point les spécificités de l'organisation de la gendarmerie, notamment en matière de gestion des crises, sont importantes, comme le sont celles de la police nationale.

Je ne peux laisser entendre que la gendarmerie serait moins bien traitée que la police et il me semble que les chiffres parlent d'eux-mêmes.

Le plan de remise à niveau du parc automobile, par exemple, prévoit une répartition parfaitement équitable et, sur les 11 000 nouveaux véhicules, la moitié bénéficiera à la police, l'autre moitié à la gendarmerie. De la même manière, les 50 millions d'euros du plan Poignées de porte pour 2022, seront répartis équitablement entre les deux forces. Enfin, répondant à une véritable demande des gendarmes, le Gouvernement a lancé la commande de blindés pour la gendarmerie, la commande de dix nouveaux hélicoptères et des chantiers immobiliers majeurs, comme la caserne Balma de Toulouse. Ces questions sur le traitement réservé à la gendarmerie au sein du ministère de l'intérieur appartiennent au passé, et cela fait maintenant plus de dix ans que cette force majeure a rejoint le ministère, dont elle fait aujourd'hui pleinement partie.

M. François-Noël Buffet, président. - Une dernière question peut-être, à laquelle j'associe Henri Leroy : à quel moment pensez-vous que la loi de programmation annoncée par le ministère sera présentée au Parlement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Je vous répondrai avec plaisir, monsieur le président, même s'il me semble qu'il ne s'agit pas là d'une question budgétaire.

M. François-Noël Buffet, président. - C'est un complément...

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - J'y réponds bien volontiers : les travaux ont d'ores et déjà été lancés et le ministre de l'intérieur a commencé à travailler sur la Loppsi, et sur la manière dont nous pourrons concrétiser un certain nombre d'annonces faites par le Président de la République. Comme vous le savez, le Gouvernement n'a pas l'entière maîtrise du calendrier parlementaire, et le ministre de l'intérieur vous présentera, en temps voulu, l'avancée de ses travaux. Je ne suis pas en mesure de vous donner une date précise à ce stade.

M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial. - J'aurais voulu poser une question sur le programme 177, qui couvre la politique d'hébergement et d'accès au logement et l'insertion des personnes vulnérables. Quel est le contenu de ce programme qui explose depuis des années ? Combien de migrants réfugiés font partie des mises à l'abri prévues par ce programme ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - Si ma mémoire est bonne, le programme 177 ne fait pas partie des programmes du ministère de l'intérieur, mais de ceux du ministère délégué au logement. Il n'appartient donc pas au budget que je vous présente aujourd'hui.

M. François-Noël Buffet, président. - Vous allez décevoir monsieur Meurant, madame la ministre...

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. - J'en suis navrée, mais je ferai volontiers l'intermédiaire avec le ministère du logement pour vous apporter une réponse dans les meilleurs délais, monsieur le sénateur.

M. François-Noël Buffet, président. - Il me reste à vous remercier, madame la ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 40.

Mercredi 17 novembre 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 08  h 30.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Catherine Di Folco rapporteur sur la proposition de loi n° 4398 (A.N., XVe lég.) visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte et la proposition de loi organique n° 4375(A.N., XVe lég.) visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte, sous réserve de leur transmission.

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France - Désignation d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition

La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur pour avis sur la proposition de résolution n° 138 (2021-2022) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, présentée par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés.

M. François-Noël Buffet, président, rapporteur pour avis. - Notre commission doit se prononcer sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, présentée par Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés.

Après une étude attentive, il s'avère que ce texte respecte l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et ne pose donc pas de difficulté particulière de recevabilité.

D'une part, il n'a pas pour effet de reconstituer une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

Certes, le rapport de la commission d'enquête sur « l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid 19 et de sa gestion », publié le 8 décembre 2020, traitait en partie de l'organisation du système de santé, mais sous le seul angle de la gestion des crises pandémiques et des leçons à tirer de l'épidémie de covid-19.

Or, si la question de la crise sanitaire actuelle n'est pas absente du contexte qui sous-tend la présente demande de commission d'enquête, l'objet de cette dernière est beaucoup plus large.

D'autre part, il porte sur la gestion de services publics, puisque la commission d'enquête devrait notamment faire porter ses investigations sur les politiques publiques menées en matière d'organisation et de financement du système de santé, de conditions d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur le fonctionnement et le rôle de l'hôpital public et son articulation avec le secteur privé.

Aussi, je vous invite à constater la recevabilité de cette proposition de résolution, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux.

La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Nous entamons aujourd'hui l'examen des treize avis budgétaires de la commission des lois sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2022, qui concernent la seconde partie de ce texte : cinq avis seront rendus aujourd'hui, deux avis le mardi 23 novembre et six avis le mercredi 24 novembre. S'il advenait que le Sénat n'adopte pas l'article d'équilibre de la première partie du PLF mardi prochain, nous ne pourrions pas examiner d'avis budgétaires après ce vote. Aussi, je propose, dans une telle hypothèse, que les observations des six rapporteurs pour avis qui doivent présenter leurs travaux le mercredi 24 novembre fassent l'objet d'une publication sous la forme de rapports d'information.

Nous commençons par l'examen du rapport pour avis sur la mission « Outre-mer ».

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la mission « Outre-mer ». - Il me revient aujourd'hui de vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer » dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022, dont notre commission s'est saisie pour avis.

Les effets de la crise de la covid-19 ont été et sont encore très importants sur les économies ultramarines ; des contraintes particulières sur l'activité économique, mais également sur les activités touristiques et le transport maritime trouvent encore à s'appliquer sur certains territoires ultramarins. Cela justifie le maintien des mesures de soutien aux collectivités ultramarines comme aux acteurs économiques, soutien qui me paraît indispensable au regard de la situation sanitaire et économique particulièrement dégradée de certains territoires. Dans ce cadre, la mission « Outre-mer » est cette année encore pertinente, puisqu'elle a pour ambitions premières la relance et le développement des territoires ultramarins.

La principale problématique à laquelle est confrontée cette mission est celle de la sous-exécution chronique des crédits votés. Chaque année, les crédits consommés sont largement inférieurs aux crédits attribués en loi de finances. Cependant, en dépit d'une dégradation de la situation sanitaire et économique des outre-mer, cette sous-exécution a été, l'année dernière, significativement inférieure à celle qui a été constatée les années précédentes.

En effet, depuis le projet de loi de finances pour 2021, des mesures visant à remédier à la sous-exécution chronique des crédits de cette mission ont été déployées par le ministère des outre-mer suivant deux axes : la sincérisation du budget de la mission en PLF et l'amélioration du pilotage budgétaire au cours de l'exécution budgétaire de la mission. Je constate, avec satisfaction, que des efforts de fiabilisation des prévisions et hypothèses budgétaires instruisant des baisses ciblées de crédits en programmation initiale ont été menés avec succès et appellent à leur approfondissement.

Aussi, je souhaite saluer les efforts entrepris par la direction générale des outre-mer (DGOM), qui s'est pleinement engagée dans une démarche active d'évolution de ses modalités de pilotage des crédits, qui s'illustre en particulier par l'accélération des décaissements sur la mission.

Cet effort de sincérisation est positif : il permet de disposer d'une vision plus crédible de la conduite des politiques de la mission « Outre-mer ». Je vous invite toutefois à être vigilants, afin que cela ne conduise pas à terme à une diminution de l'ambition pour nos territoires ultramarins. En tout état de cause, ce n'est pas le cas dans le projet de budget qui nous est présenté aujourd'hui : les crédits alloués à la mission « Outre-mer » restent stables par rapport à 2021. Ainsi, la mission est dotée pour 2022 de 2,62 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 2,47 milliards en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 1,3 %.

La programmation des crédits pour 2022 est en effet marquée par un effort de relance à la suite de la crise de la covid-19, qui se traduit par des mesures nouvelles et un effort significatif en matière de lutte contre l'habitat insalubre, de soutien à l'emploi et à la formation ciblé sur les jeunes ultramarins, et d'accompagnement des collectivités territoriales.

Permettez-moi de vous présenter ces trois priorités.

En matière de construction et de rénovation des infrastructures, l'année 2022 constituera la dernière année de mise en oeuvre du plan « Logement outre-mer 2019-2022 ». Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une hausse de 10 millions d'euros des crédits mobilisables pour de nouveaux projets. Cela permettra de poursuivre la mise en oeuvre du plan et d'accompagner les stratégies territoriales des établissements publics fonciers et d'aménagement de Guyane et de Mayotte.

Un effort conséquent est également fait en faveur de la lutte contre l'habitat insalubre et informel sur ces deux territoires : une expérimentation du dispositif Logement locatif très social adapté a été lancée afin de permettre, d'une part, la construction massive de nouveaux logements par un soutien financier de l'État pouvant atteindre 100 % de subventions et, d'autre part, de proposer des loyers abordables pour ces ménages. J'y suis tout à fait favorable, car la situation particulière de l'habitat dans les territoires ultramarins impose une politique particulièrement volontariste.

En matière de soutien à l'insertion et à la formation des jeunes ultramarins, ces crédits connaissent une hausse de près de 7 % en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, illustrant la volonté gouvernementale de recentrer son action sur cette priorité.

Je souhaite revenir sur la double mesure relative au service militaire adapté (SMA). Celui-ci a de nouveau montré toute sa pertinence lors de la crise sanitaire. Le niveau d'insertion a certes chuté en 2021, mais il demeure à un niveau très élevé et devrait avoisiner les 75 % à la fin de l'année. Ces bons résultats justifient qu'une expérimentation du programme SMA 2025+, élargissant le public cible et enrichissant le contenu du programme, soit financée via le PLF pour 2022 et lancée à Mayotte cette année.

Aussi, deux nouvelles compagnies seront créées à Mayotte et en Polynésie française, respectant ainsi les engagements pris par le Gouvernement au cours de l'année 2021. Ainsi, près de 9,7 millions d'euros et 251 équivalents temps plein (ETP) seront affectés à ces mesures auxquelles je souscris pleinement.

En ce qui concerne l'accompagnement des collectivités ultramarines, troisième priorité du budget pour 2022, des efforts sont en premier lieu prévus en matière d'aide à l'équipement des territoires. Cela passe par les contrats de convergence et de transformation, qui visent à réduire significativement et durablement les écarts de développement en matière économique, sociale et environnementale. En 2022, 209 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement et 156,26 millions d'euros en crédits de paiement au titre de ces contrats. Cela est conforme aux engagements pris par le Gouvernement. Toutefois, je constate à regret que les outils de contractualisation ne permettent pas de pallier les difficultés de sous-consommation des crédits budgétaires. La faiblesse des montants consommés par rapport aux montants contractualisés est particulièrement alarmante : les dernières prévisions disponibles font état d'un taux de consommation des crédits qui s'établirait à 30 % seulement fin 2022... J'appelle par conséquent l'État à renforcer l'accompagnement des collectivités concernées par ce dispositif.

L'aide aux territoires passe également par l'introduction de deux mesures nouvelles relatives à la lutte contre la prolifération des algues sargasses et à l'accompagnement des mineurs isolés à Mayotte, qui répondent à des attentes formulées de longue date par les élus locaux.

Des actions fortes devraient enfin être menées afin d'accompagner les collectivités ultramarines dans le redressement de leur situation financière et budgétaire : 50 millions d'euros supplémentaires devraient y être dédiés. Cela traduit l'engagement de l'État à accompagner la collectivité territoriale de Guyane pour rétablir sa capacité d'autofinancement, mais également à financer le dispositif Contrat de Redressement en Outre-mer (COROM). Ce soutien renforcé de l'État est d'autant plus nécessaire que la situation financière et budgétaire fortement dégradée de certaines collectivités ultramarines est particulièrement préoccupante.

Pour terminer, je souhaite vous rappeler que les crédits portés par la mission « Outre-mer » ne constituent qu'un dixième environ de l'effort total de l'État en faveur des territoires ultramarins. Il s'agit des actions spécifiques de l'État dans les outre-mer, chaque ministère étant par ailleurs en charge de la mise en oeuvre de ses politiques sur l'ensemble du territoire français, outre-mer compris. Ainsi, l'effort global de l'État en faveur des territoires ultramarins en 2022 représenterait 19,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 21,2 milliards d'euros en crédits de paiement. Parmi ces crédits, 1,5 milliard d'euros devrait provenir de plan de relance qui contient des mesures spécifiques aux outre-mer. Je suis particulièrement favorable à cette territorialisation, mais je souhaite rappeler que ces dispositifs appellent un accompagnement et un suivi attentif de l'État afin que les acteurs locaux puissent pleinement s'en saisir.

L'ensemble de ces éléments me conduisent donc à vous proposer un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Relations avec les collectivités territoriales » - Examen du rapport pour avis

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». - Cette année, l'examen des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » (RCT) s'inscrit dans un contexte plus apaisé que celui que nous avons connu, chaque année - ou peu s'en faut -, sous ce quinquennat. L'examen du projet de loi de finances (PLF) s'avère ainsi une surprise : pas de contractualisation léonine ; pas de réforme de la fiscalité du bloc local ; pas de diminution des impôts de production. Est-ce pourtant à dire que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Naturellement, ce n'est pas le cas et nous aurons, cette année encore, certaines récriminations à formuler - ou à renouveler ! -, tant au sujet des crédits de la mission que des articles rattachés à cette dernière.

En premier lieu, je voudrais dire un mot du contexte dans lequel s'inscrivent les finances locales cette année. Ce contexte est celui de finances encore déstabilisées, d'une part, par un quinquennat de révision ininterrompue du panier de recettes des collectivités territoriales et, d'autre part, par la crise sanitaire.

Délicate pour les collectivités territoriales sur le plan financier, l'année 2020 s'est traduite par une diminution de l'épargne brute globale de 10,3 %, dont a résulté une contraction de l'investissement des collectivités territoriales de 7,1 %. Certes, l'année 2021 se caractériserait par une amélioration sensible de la situation financière des collectivités territoriales, l'épargne brute devant progresser de 9,4 %. Nous ne pouvons que nous féliciter de l'amélioration des perspectives financières des collectivités territoriales ; je note néanmoins que le contexte financier demeure source d'inquiétudes, de nombreuses collectivités montrant leur réticence à engager la pleine relance de leurs investissements.

Dans ce contexte, que je qualifierais volontiers d'incertain, les crédits de la mission RCT, qui représentent seulement 4 % des transferts financiers de l'État aux collectivités dans le projet de loi de finances pour 2022, connaissent une nette augmentation de l'ordre de 9,8 %.

La progression des crédits ouverts au titre du programme 119, « Concours financiers aux collectivités territoriales et à leurs groupements », qui atteignent 4,32 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 4 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), est principalement due à une hausse des dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales. Celle-ci s'explique en particulier par un abondement de 337 millions d'euros de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) de droit commun, destiné au financement des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Certaines associations d'élus représentant le bloc communal que nous avons auditionnées ont regretté le fléchage de ces crédits vers ces instruments dont les élus locaux, particulièrement au sein de communes de petite taille, ne maîtrisent qu'imparfaitement les tenants et aboutissants.

Si les dotations de soutien à l'investissement tendent ainsi à concentrer la hausse des crédits à l'échelle du programme, les dotations de compensation se caractérisent par leur décevante stabilité, à l'exception notable de la dotation générale de décentralisation (DGD) des départements, qui connaît une progression de 19,36 %. Lors de son audition, la ministre a défendu l'engagement du Gouvernement à « sanctuariser » les dotations, notamment de compensation, aux collectivités. On peut s'en féliciter ; on peut également constater que, derrière ce vocable de « sanctuarisation », est en réalité défendue une érosion progressive en termes réels de ces dotations, dont le montant - stable, car fixé au « coût historique » d'exercice des compétences compensées - est grignoté chaque année par l'inflation.

Le programme 122, « Concours spécifiques et administration », qui regroupe des crédits destinés à financer un soutien de l'État à des collectivités territoriales confrontées à des situations exceptionnelles, connaît également une nette hausse de 33,44 %, due à des facteurs conjoncturels.

L'action n° 1, qui concentre diverses aides exceptionnelles aux collectivités territoriales connaît une hausse de l'ordre de 127,76 % en AE due, pour l'essentiel, à l'inscription de 66,1 millions d'euros destinés à l'abondement du fonds de reconstruction constitué à l'issue du passage de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes.

L'action n° 2 connaît une multiplication de ses crédits par 3,62 en AE et par 3,58 en CP, due au financement de la refonte de systèmes d'information et de nouveaux outils informatiques pour la direction générale des collectivités locales (DGCL), dont l'inscription au sein de la mission peut surprendre, alors que les crédits dédiés aux dépenses informatiques ont été transférés à la direction interministérielle du numérique (DINUM).

L'action n° 3, qui regroupe des dotations destinées aux outre-mer, ne connaît qu'une hausse marginale de ses crédits, due à l'indexation de la dotation globale de compensation versée à la Nouvelle-Calédonie au titre des services et établissements publics lui étant transférés.

Les crédits de la mission offrent donc, dans l'ensemble et au regard de leur augmentation globale, les motifs d'une relative satisfaction. Il n'en va pas de même des articles rattachés à la mission, pour lesquels je vous proposerai d'adopter quatre amendements, suivant trois axes.

Premier axe : corriger les modifications particulièrement décevantes apportées aux modalités d'attribution des dotations d'investissement. L'article 45 prévoit à titre principal l'unification des modalités d'attribution de la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID). L'ensemble de l'enveloppe départementale serait désormais attribué sous la forme d'appels à projets, à la main du préfet de région. Bien que les montants en jeu soient relativement modestes, une telle évolution revient à entériner le passage intégral des modalités d'octroi de la DSID sous une logique de « projet », par laquelle l'État exerce un contrôle d'opportunité sur les projets d'investissement des collectivités. Cette évolution, qui me semble contraire à l'esprit de la décentralisation, avait déjà été dénoncée par notre commission en 2018 comme une reprise en main par l'État. Conformément à cette logique, je vous proposerai donc de supprimer cet article.

L'article 45 bis vise, quant à lui, à assouplir le calendrier de notification de diverses dotations d'investissement, en prévoyant notamment que la DSIL, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation politique de la ville (DPV) seraient attribuées non en intégralité au 31 mars, mais à 80 % de leur montant au 30 juin de chaque année. Je note que le desserrement de cette contrainte calendaire revient à mettre en conformité le droit avec la pratique ; on aurait au contraire attendu que, par des moyens renforcés, la pratique des services de l'État soit rendue conforme aux dispositions votées par le législateur...

Ces modifications, décevantes dans leur dispositif comme dans leur portée, emportent d'autant moins l'adhésion que certaines propositions, formulées de longue date et avec constance par la commission, ne figurent pas parmi les articles rattachés à la mission.

En premier lieu, je regrette qu'une disposition que nous avons déjà adoptée à plusieurs reprises, tendant à garantir la consultation des présidents des conseils départementaux préalable aux attributions de subvention au titre de la part « projet » de la DSID, ne figure pas parmi la réforme des modalités d'attribution. Je vous proposerai donc d'adopter un amendement visant à nouveau à apporter cette garantie aux exécutifs départementaux.

En second lieu, il ne peut qu'être déploré que le Gouvernement n'ait pas fait sienne la proposition, adoptée par notre assemblée lors de l'examen du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit « 3DS », de départementaliser une part significative de l'attribution de la DSIL. La ministre a indiqué être ouverte à des modifications infra-législatives en la matière ; nous y veillerons dans les mois qui viennent.

Deuxième objectif poursuivi par les amendements que je vous propose : assurer une péréquation régionale plus ambitieuse.

L'article 47 ter prévoit la création d'un fonds régional de péréquation au bénéfice de la collectivité de Corse ainsi que de certaines collectivités disposant de compétences régionales en outre-mer, telles que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et le Département de Mayotte. Par deux sous-amendements, l'Assemblée nationale, reprenant une proposition de Régions de France, a néanmoins fait le choix d'amoindrir l'ambition du fonds, en diminuant son volume et en modifiant ses modalités d'abondement. Les potentiels bénéficiaires, à commencer par les territoires ultramarins concernés, y seraient perdants. Je sais que notre collègue Thani Mohamed Soilihi y est attaché : il me semble nécessaire de favoriser une péréquation effective entre collectivités régionales. Aussi, je vous proposerai de restaurer la rédaction proposée par le Gouvernement, qui m'apparaît plus conforme à cet objectif.

Enfin, le dernier axe de notre travail a porté sur la réflexion en cours sur les recettes de fonctionnement. En particulier, on ne peut accueillir que favorablement la réflexion sur les indicateurs financiers des collectivités territoriales, dont l'article 47 du présent projet de loi de finances est le reflet, et qui doit se poursuivre. Nous avons néanmoins souhaité écarter tout risque constitutionnel s'agissant de la définition des indicateurs financiers des communes nouvelles ; je sais Françoise Gatel attentive au sujet, et il m'a semblé que renvoyer à un décret en Conseil d'État serait de nature à faire courir le risque d'une incompétence négative du législateur. Je vous proposerai donc d'adopter un amendement palliant cette difficulté.

En conclusion, sous réserve de l'adoption de ces quelques ajustements, et au regard de la hausse des crédits prévus pour la mission en 2022, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits.

M. Didier Marie. - Je remercie notre collègue pour la qualité de ce rapport, le dernier de ce quinquennat. Je souligne le poids tout relatif de cette mission au sein des finances locales, avec 4,6 milliards d'euros sur 105,5 milliards d'euros de transferts financiers de l'État aux collectivités territoriales.

L'examen de cette mission nous permet néanmoins de faire un rapide bilan du quinquennat. Celui-ci avait mal commencé : les maires étaient trop nombreux, trop dépensiers et ont été mis sous tutelle avec les fameux contrats « de Cahors ». Cette volonté de brider les collectivités aura marqué ces cinq années. Rappelons la suppression de la taxe d'habitation, qui aura d'ailleurs profité aux plus aisés et non pas aux 5 millions de ménages non assujettis. Cette mesure continue d'inquiéter les collectivités au regard de l'histoire des compensations. Citons également la suppression partielle des impôts de production. Ces mesures posent la question fondamentale du lien entre le contribuable et le service rendu, le contribuable devenant plus consommateur de services que citoyen. N'oublions pas la recentralisation, décidée en loi de finances pour 2021, des taxes locales sur la consommation finale d'électricité (TCFE), pour un montant de 2,3 milliards d'euros.

Au total, il s'agit bien d'une perte d'autonomie financière des collectivités et de leur mise en concurrence par la systématisation des appels à projets en matière d'investissement.

Concernant la dotation globale de fonctionnement (DGF), on peut considérer que le verre est à moitié plein... ou à moitié vide ! Certes, les dotations sont restées globalement stables, mais le panier du maire continue d'augmenter. Cela se traduira en cette période de flambée des prix de l'énergie par une perte nette de leurs recettes. Une étude récente chiffre à 6 milliards d'euros les pertes de recettes et les charges nouvelles liées à la pandémie, dont 2 milliards pour les pertes de recettes tarifaires sur trois ans.

On peut se satisfaire de la progression de la péréquation concernant la dotation de solidarité urbaine (DSU), la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation d'aménagement des communes et circonscriptions territoriales d'outre-mer (DACOM), mais relevons qu'elle se fait à enveloppe fermée. De même, aucune solution n'est proposée pour inciter les communes en DGF négative à contribuer à la péréquation.

Au final, la DGF et les dispositifs actuels de péréquation sont arrivés au terme de leur logique. Notre collègue députée Christine Pires Beaune propose de remettre les dispositifs à plat. Il faudra que le prochain gouvernement s'attelle à cette tâche. Les ajustements proposés par les députés sur le potentiel fiscal et sur l'effort fiscal n'ont que peu d'incidences sur le projet de budget.

On peut se féliciter de la hausse de la DSIL à hauteur de 337 millions d'euros. Cependant, un meilleur équilibre entre la DSIL et la DETR pourrait être envisagé.

Se pose encore la question de l'attribution de la DSIL à l'échelle départementale, comme l'a souligné le rapporteur, ainsi que celle de l'association des élus à cette répartition, à l'image de ce qui est pratiqué pour la DETR. Celle-ci mériterait par ailleurs d'être abondée pour traiter la question de la défense extérieure contre l'incendie. J'ai proposé, avec mon collègue Franck Montaugé, une rallonge de 400 millions d'euros pour financer les obligations des collectivités en la matière.

Enfin, il convient d'accorder une attention spécifique à la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des magistrats locaux dite dotation « élu local », en supprimant la condition de potentiel financier, qui en exclut à ce jour près de 3 000 communes.

Je regrette la poursuite de la réforme de la DSID, attribuant au préfet de région toute latitude dans l'attribution de cette dotation. Je souligne enfin le mécontentement des régions, qui sont les seules à concourir aux variables d'ajustement, pour 50 millions d'euros.

En conclusion, ce quinquennat sera marqué par la défiance à l'égard des collectivités, avec une perte de leur autonomie, l'érosion de leur maigre pouvoir fiscal et la rupture du lien entre le contribuable et les élus.

Mme Françoise Gatel. - Je remercie Loïc Hervé pour son rapport. Même si nous ne traitons que d'une partie des crédits dédiés aux collectivités territoriales, l'examen de cette mission est l'occasion de soulever des points essentiels, s'agissant des finances locales.

Mon avis est plus nuancé que celui des intervenants précédents. Le précédent quinquennat avait essoré financièrement les collectivités. Certes, ce quinquennat a débuté en ignorant la culture des territoires. Des incertitudes demeurent quant à la mise en oeuvre de la suppression de la taxe d'habitation, le bloc local y perd là un levier financier important. Mais les enveloppes consacrées à l'investissement ont augmenté, même si de plus en plus de domaines sont éligibles. La logique des appels à projets, à laquelle un nombre croissant de dotations répond désormais, est problématique : ces appels à projets creusent une inégalité entre les collectivités qui ont les moyens d'investir et celles qui ne les ont pas ; celles qui sont retenues et celles qui ne le sont pas. Il faut y mettre fin.

Par ailleurs, les CRTE sont mal ficelés ; il faut prévoir une contractualisation entre l'État et les collectivités au travers de contrats pluriannuels associant mieux les collectivités, notamment les communes de petite taille. On y gagnerait en sécurité et en qualité.

La définition d'une métropole est clairement prévue par la loi. Cette entité très urbaine a vocation à entraîner l'ensemble d'un territoire. La métropole ne peut prospérer qu'en étroite relation avec son arrière-pays, si je puis dire. Les contrats de réciprocité induisent une alliance des territoires avec la métropole. La DGF doit être bonifiée à partir de ce critère, comme l'a proposé le récent rapport de notre délégation aux collectivités territoriales.

Les communes nouvelles sont une invention de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités pour permettre à certains territoires de s'inventer un nouveau périmètre pour s'assurer un avenir. Or certaines communes nouvelles vont déplorer dans quelque temps une perte de recettes considérable. Il n'y a pas de raison que ces communes soient pénalisées. C'est un vrai sujet, et le Gouvernement ne comprend pas ce que nous lui expliquons.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son rapport. Je me félicite de l'amendement du rapporteur à l'article 47 ter visant à revenir à la rédaction initiale proposée par le Gouvernement pour affermir la péréquation entre les régions les plus riches et les plus pauvres. Cela sera de nature à soutenir les territoires qui ont besoin de solidarité, à commencer par Mayotte.

Au regard des enseignements tirés de la récente mission d'information à Mayotte, je sais que vous serez sensibles, mes chers collègues, à cet amendement, et je déposerai un amendement identique à celui du rapporteur.

M. Alain Richard. - Je formulerai quelques observations sur les appréciations générales portées sur l'évolution des finances locales.

J'évoquerai d'abord les effets finals de la réforme de la taxe d'habitation. On lit dans la presse, une information relayée par certains, au sein du Parlement, que cette réforme entrainerait inévitablement une hausse massive de la taxe foncière. La réalité démontre l'inverse : 25 % des communes avaient augmenté le taux de leur taxe foncière en 2015, contre 14 % en 2021. Cela démontre que les communes parviennent à équilibrer leurs comptes sans augmenter la taxe foncière. La taxe d'habitation est entièrement compensée depuis huit jours, y compris la compensation des résidents de logements sociaux.

Notre collègue Didier Marie a souligné la recentralisation des taxes locales sur la consommation de l'électricité. Non, il y a unification de son taux, mais ce sont les collectivités territoriales qui perçoivent cette taxe. La liberté de fixation de taux a été éliminée en conformité avec une règle européenne.

J'appelle à la prudence sur la recherche de nouveaux outils de péréquation au sein du bloc local. L'une des raisons pour lesquelles nous ne parvenons pas, ni les uns ni les autres, à proposer de nouvelles mesures, tient essentiellement à la différence de financement qui existe aujourd'hui entre les communes-centres et les autres. Pour l'heure, personne n'est arrivé à déterminer un indicateur représentatif des charges spécifiques des communes-centres.

Le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) était une idée séduisante au départ, mais nous avons nous-mêmes démontré qu'il avait beaucoup de mal à trouver son équilibre.

Concernant les communes nouvelles, je partage l'insatisfaction de notre collègue. Mais s'il n'y avait pas eu de primes lors de la création, comme je le réclamais, on n'en serait pas là : les communes nouvelles auraient ainsi été créées sur le seul fondement d'un projet de territoire, délié de toute incitation financière.

Je veux bien que l'on parle de recentralisation pour la fixation d'objectifs dans les dotations d'investissement de l'État. Mais que signifierait un dispositif de financement si l'on ne fixe aucun objectif correspondant à des nécessités d'intérêt national ? Si l'on veut favoriser certains projets, il faut impulser une dynamique et fixer des priorités dans les politiques de subvention de l'État. Vouloir y renoncer témoigne d'une vision partielle de la réalité financière.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - Je tiens tout de même à dénoncer un véritable problème de transparence et d'association des élus concernant la DSIL et la DETR. La réserve parlementaire a été supprimée, pour la remplacer par une réserve préfectorale... Or un certain nombre de préfets font de la politique. Même si l'État fixe les objectifs de sa politique publique, souvent extrêmement nombreux d'ailleurs, le préfet de département et surtout le préfet de région ont un pouvoir extraordinairement important, nous le constatons tous. Cet effet est atténué pour la DETR par la commission des élus.

Au-delà de toute démagogie, il importe de renforcer l'association des élus locaux à ces dotations, une mesure votée à plusieurs reprises, à l'initiative de la commission, ainsi que dans le cadre du projet de loi dit « 3DS ». Cette idée commence à infuser et Jacqueline Gourault commence à être convaincue de la nécessité d'agir en ce sens.

La question des métropoles est un vrai sujet, mais nous n'avons pas encore trouvé le mécanisme idoine pour assurer la solidarité entre la métropole et son arrière-pays, tout en restant dans l'enveloppe fermée. Une bonification pour les métropoles ayant conclu des contrats de réciprocité ne saurait s'opérér, à enveloppe fermée, au détriment des autres collectivités.

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

Article 45

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - J'ai déjà présenté l'amendement LOIS.1, qui vise à supprimer l'article procédant à l'unification des modalités d'attribution de la DSID.

L'amendement de suppression LOIS.1 est adopté.

Article 45 bis

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'amendement LOIS.2 vise à associer les présidents des conseils départementaux aux attributions de subvention au titre la part « projet » de la DSID, un amendement que la commission a déjà adopté.

L'amendement LOIS.2 est adopté.

Article 47

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'amendement LOIS.3 tend à répondre à un risque d'incompétence négative du législateur en matière de définition des indicateurs financiers des communes nouvelles. Il maintient les modalités actuelles de calcul des potentiels financier et fiscal de ces communes telles que prévues par le code général des collectivités territoriales. Il conserve néanmoins, en l'encadrant davantage, la possibilité de préciser par décret en Conseil d'État les modalités spécifiques de définition de ces indicateurs.

L'amendement LOIS.3 est adopté.

Article 47 ter

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. - L'amendement LOIS.4 vise à revenir sur les modifications apportées par l'Assemblée nationale et, donc, à restaurer la rédaction de l'article telle qu'elle résulte de l'amendement introduit par le Gouvernement pour ce qui concerne la péréquation régionale.

L'amendement LOIS.4 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Immigration, asile et intégration » - Examen du rapport pour avis

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - L'appréciation de la situation en 2020 est difficile du fait de la pandémie, qui a influé sur les entrées et les sorties du territoire, ainsi que sur l'instruction des procédures administratives et judiciaires.

Ce projet de budget est en hausse, et la ministre Marlène Schiappa que nous avons auditionnée hier soir s'en réjouit. Toutefois, cette hausse ne traduit, à notre sens, que la difficulté à suivre la situation existante en termes d'immigration, qui n'est nullement maîtrisée, contrairement aux propos de la ministre. Je le redis cette année, ce budget est le tonneau des Danaïdes, par manque de véritable politique migratoire. Cela nous conduit à vous proposer le rejet des crédits de cette mission.

La mission représente 2 milliards en autorisations d'engagement (AE), soit une hausse de 14 %, et 1,9 milliard en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 3,2 %. La hausse des crédits concerne principalement la prise en charge de l'asile et l'augmentation des places dans les centres de rétention administrative (CRA).

Un mot sur l'immigration régulière.

En 2019, plus de 277 000 titres de séjour de primo-arrivants ont été délivrés. On constate une baisse de 21 % en 2020.

Le stock de titres en cours de validité est de l'ordre de 3,455 millions : 30 % des immigrés viennent du Maghreb. 250 000 régularisations ont été prononcées depuis la mise en oeuvre de la circulaire de 2012 de Manuel Valls qui prévoit des régularisations exceptionnelles - la majorité du Sénat demande régulièrement qu'elle ne soit pas appliquée telle qu'elle l'est aujourd'hui.

La version renforcée du contrat d'intégration républicaine (CIR) n'a pas trouvé toute sa force en 2020 pour les raisons que l'on connaît. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) va voir son budget augmenter de 3,1 % en 2022. Cette augmentation est, en réalité, très largement liée à l'ouverture d'une antenne à Mayotte avec 9 équivalents temps plein (ETP).

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont le budget avait baissé de 1,57 % en 2021, est confronté à des difficultés sérieuses dans l'exercice de ses missions. D'abord, il s'est vu confier une mission qui n'est pas la sienne : l'accompagnement à l'insertion professionnelle. Se pose aussi un problème de personnels, avec un taux de rotation de 30 à 40 % la première année. Enfin, il nous a été indiqué que les usagers essentiellement masculins ne considèrent pas le personnel d'accueil, essentiellement féminin, comme un personnel sachant. Des agressions régulières donnent lieu à des plaintes systématiques.

J'en viens à l'immigration irrégulière.

Nous regrettons chaque année l'incapacité dans laquelle nous sommes d'avoir des indicateurs plus fiables que ceux qui existent, puisque, je le rappelle, aucun indicateur consolidé n'est déployé. Nous pouvons nous fier à l'aide médicale de l'État (AME) pour déduire une estimation du nombre de personnes en situation irrégulière. En 2015, nous comptions 316 000 bénéficiaires de l'AME et 369 000 en 2020. Il est cependant difficile de donner des chiffres plus précis, sinon pour énoncer que l'immigration irrégulière a été moins importante en 2020 en raison de la fermeture des frontières.

Les aspects budgétaires sont essentiellement en lien avec l'augmentation du nombre de places dans les CRA. Comme vous le savez, un plan pluriannuel d'investissement a été mis en place. La capacité de rétention est aujourd'hui de 1 719 places. Du fait du plan d'investissement, elle devrait être portée à 2 099 places fin 2023, soit une augmentation de 70 % par rapport à fin 2018. Ce chiffre correspond à un ajustement minimum, puisque nous ne maîtrisons pas cette immigration irrégulière que nous n'arrivons pas à éloigner suffisamment. Cela répond à une réalité qui nous contraint et sur laquelle nous n'avons pas de marge de manoeuvre.

Cette augmentation est justifiée par la remontée du taux d'occupation des CRA. Avant la crise sanitaire, le taux d'occupation était de 86 %, après être tombé à 61 % en 2020, il est de 79 % aujourd'hui, et il va probablement continuer à augmenter.

S'agissant de l'éloignement, quelques avancées sont à noter. Je signalerai notamment le fait que la rétention administrative a été étendue à 90 jours par la loi du 10 septembre 2018, ce qui a permis des éloignements complémentaires - même s'ils ne sont pas significatifs.

Comme vous le savez, l'éloignement administratif est essentiellement constitué par les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Depuis 2012, leur taux d'exécution n'a cessé de diminuer, en pourcentage comme en valeur absolue.

Le ministre de l'intérieur nous dit que nous n'avons jamais autant procédé à des OQTF, ce qui est totalement faux - en pourcentage comme en valeur absolue. En 2012, le taux d'exécution était d'un peu plus de 22 % - en 2020, ce taux n'est pas significatif pour les raisons que j'ai expliquées plus haut -, contre 12 % en 2019, et 5,6 %, un taux extrêmement faible, au premier semestre 2021. La raison principale est la mauvaise coopération des pays dont les ressortissants sont en situation irrégulière en France, notamment du Maroc et de l'Algérie.

Ces deux pays sont les premiers pourvoyeurs de l'immigration régulière et l'Algérie est le premier pourvoyeur de l'immigration irrégulière. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que la pandémie a entraîné un durcissement des conditions de retour. Par exemple, un test PCR est aujourd'hui exigé pour que les migrants puissent être expulsés. Or nous ne pouvons pas les obliger à effectuer ce test. L'Algérie en a également profité pour ajouter une autre condition : les Algériens en situation irrégulière en France doivent figurer sur une liste dressée discrétionnairement par l'Algérie pour pouvoir revenir dans leur pays d'origine.

Je vous donnerai les chiffres si vous le souhaitez, mais l'Albanie, qui est le huitième pourvoyeur de l'immigration irrégulière, compte plus de ressortissants revenus au pays que l'Algérie, premier pourvoyeur de cette immigration irrégulière.

Nous rencontrons donc des difficultés significatives pour procéder aux éloignements avec un budget qui n'augmente pas significativement. Mais pour être honnête, même si ce budget augmentait, nous voyons mal comment les résultats pourraient être meilleurs, au regard de la situation qui nous est imposée par les principaux pays pourvoyeurs d'immigration irrégulière.

Encore une fois, c'est la politique du tonneau des Danaïdes, dans lequel nous continuons et continuerons à déverser le budget de l'État si nous ne mettons pas en place une véritable politique migratoire.

Une immigration choisie, avec un rôle accru du Parlement dans la définition des orientations de la politique migratoire, nous paraît indispensable. La conditionnalité des aides, la poursuite de la politique de restriction des visas aux pays non coopératifs et la simplification des contentieux devraient être des axes de travail pour arriver à faire face à l'immigration et pour pouvoir parler d'une politique migratoire maîtrisée.

Vous l'aurez compris, notre avis est donc défavorable à l'adoption des crédits de cette mission.

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la mission « Immigration, asile et intégration ». - Avec l'asile, nous nous situons, à l'intérieur du dispositif qui vous a été présenté, dans le cadre d'une chaîne qui comprend essentiellement l'Ofpra, qui traite les demandes, et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui examine les recours.

Le point essentiel est de se poser la question de savoir comment cette chaîne a réagi pendant la crise sanitaire. Nous avons, en quelque sorte, deux dynamiques qui se sont entrechoquées. D'un côté, nous avons noté une diminution du flux des demandeurs d'asile. Le flux des demandes se réduisant, l'activité de l'Ofpra et de la CNDA a elle aussi diminué. En revanche, du fait de la crise sanitaire, il a été quasiment impossible d'assurer les rendez-vous à l'Ofpra, l'intervention des officiers de protection instructeurs (OPI) ainsi que les audiences de recours devant la CNDA. La conséquence est que, fin 2020, l'Ofpra et la CNDA ont enregistré une augmentation de leurs stocks. À l'Ofpra, 84 655 dossiers étaient en attente à la fin 2020 et une augmentation mécanique des dossiers a également eu lieu à la CNDA.

La question est de savoir comment le flux des demandes de 2021 et 2022 va pouvoir être traité. Je rappellerai l'objectif fixé en 2017 par la France : traiter une demande d'asile en six mois - deux mois par l'Ofpra et quatre mois par la CNDA d'ici 2023. Or nous en sommes encore loin, puisque le traitement d'un dossier est environ de huit mois par chacune de ces institutions, soit un total de seize mois.

Est-ce à dire que cet objectif est hors de portée ? Pas nécessairement. Il est d'ailleurs intéressant de constater que c'est, en quelque sorte, maintenant que les choses se jouent. Des moyens très importants ont tout d'abord été alloués à l'Ofpra et à la CNDA. Plus de 200 agents y ont été recrutés en 2020, ce qui nous donne un total de 1 003 équivalents temps plein (ETP). La CNDA, quant à elle, a reçu des moyens supplémentaires qui ont été échelonnés sur 2018, 2019 et 2020. En 2021, tous les recrutements ont été réalisés. Ces moyens ont permis à l'Ofpra de rendre aujourd'hui 12 500 décisions par mois et à la CNDA de prononcer 70 000 décisions annuelles.

En 2019, nous avons ensuite atteint un pic, avec 140 000 demandes d'asile. En 2020, ce chiffre a nettement diminué en raison à la fermeture des frontières. Une remontée progressive est attendue, mais elle restera en dessous du niveau de 2019. Cette situation permettrait à l'Ofpra, sur la base de 12 500 décisions mensuelles, de traiter en flux les demandes de 2021 et de 2022, et de résorber une partie de son stock antérieur.

Dotés de ces nouveaux moyens, et si les demandes n'atteignent pas le chiffre de 2019, ces deux organismes pourront rendre un nombre de décisions supérieur au flux des demandes à traiter, ce qui pourrait permettre, en 2023, d'atteindre l'objectif fixé en 2017, à savoir le traitement d'une demande d'asile en six mois.

Si nous ne voyons pas très bien quelles pourraient être les possibilités d'amélioration du fonctionnement de l'Ofpra, notre opinion est plus nuancée pour la CNDA. Nous proposerons donc de faire un focus sur cette question.

Aujourd'hui, la CNDA compte 700 agents, 23 sections, 30 salles d'audience et 339 rapporteurs. Dans chaque salle d'audience sont réunis un président, des rapporteurs, un interprète, l'intéressé et son avocat ; c'est donc une très grande machine

Par ailleurs, un barreau s'est spécialisé dans le droit d'asile et est parvenu à imposer certaines conditions de fonctionnement à la CNDA : pas plus de sept dossiers traités par jour notamment. Si cela ne paraît pas poser de problème, dans les faits, chaque communauté de demandeurs d'asile a créé son propre barreau, avec des avocats spécialisés. Si, par exemple, une audience est consacrée uniquement à des demandeurs d'asile afghans, outre l'interprète, une dizaine d'avocats seront nécessaires pour traiter les dossiers et, très vite, la limite de sept dossiers est atteinte. À Mayotte - autre exemple -, seuls deux avocats sont spécialisés en droit d'asile, d'où une limite dans la tenue des audiences.

Par ailleurs, les audiences commencent tard le matin pour laisser le temps aux demandeurs résidant en province de venir jusqu'à Montreuil et s'achèvent à 15 heures 30 pour leur permettre de regagner leur lieu d'habitation.

En outre, la vidéoconférence est une méthode toujours contestée et le consentement de l'intéressé est obligatoire. Une expérimentation était prévue dans les barreaux de Nancy et de Lyon. Mais si, à Nancy, quelques vidéoconférences se sont tenues depuis fin septembre, l'expérimentation n'a pas pu être mise en place à Lyon.

Le système est donc sous contrainte.

Je terminerai par les conditions matérielles d'accueil. S'agissant de l'aide aux demandeurs d'asile, une augmentation de 4 % est proposée, pour atteindre 467 millions d'euros. Cependant, il s'agit d'un jeu de balance : plus il y a de demandeurs d'asile, plus les allocations augmentent ; et plus les dossiers sont vite traités, moins le montant des allocations versées est élevé, puisqu'elles ne sont versées que pendant la durée d'examen du dossier. Ces deux variables régulent le montant des aides qui seront consommées.

Le Gouvernement indique que si la consommation n'est pas totale, la provision prévue en cas de dépassement serait attribué au budget de l'hébergement. La capacité d'hébergement en France n'a jamais été aussi importante, puisqu'en 2020, nous comptions 98 500 places et 103 269 en 2021.

Le taux d'hébergement des demandeurs d'asile dans ces structures spécialisées a, il est vrai, augmenté de 9 points en 2021, passant à 64 %. En revanche, nous sommes encore loin de l'objectif fixé par le Gouvernement, de 90 % pour 2023.

En conclusion, je dirai que, pour 2 milliards d'euros, la France respecte ses obligations administratives et juridiques au regard des standards internationaux, mais ne possède pas de politique migratoire.

M. Jean-Yves Leconte. - Ce rapport comporte deux aspects. D'une part, la politique migratoire et, d'autre part, la manière dont nous répondons à nos obligations en matière de droit d'asile.

Concernant la politique migratoire, je m'inscris en faux contre les propos de notre rapporteur. La question n'est certainement pas de dire que rien n'est sous contrôle, que rien n'est maîtrisé et que nous n'avons pas de chiffres. Notre échec ne se situe pas là. Notre échec, c'est l'intégration. Notre échec n'est pas le contrôle des frontières ou le fait de distribuer trois fois moins de premiers titres de séjour par an que la Pologne. Non, nous faisons le minimum syndical et nous n'avons aucune marge de manoeuvre. Nous n'avons même pas la possibilité d'avoir une immigration choisie, puisque 250 000 régularisations, c'est le chiffre minimum absolu pour permettre l'intégration. Par ailleurs, une bonne partie des premiers titres de séjour sont des visas.

Aussi, 250 000 régulations sur neuf ans, ce n'est pas énorme. Et les conditions d'intégration sont lourdes. Je ne vois donc pas comment vous pouvez nous présenter un rapport qui alimente le pire du populisme. Notre échec, c'est l'intégration. À part la Chine et le Japon, le dynamisme d'une économie est totalement lié à la capacité d'un pays d'intégrer des personnes qui sont nées dans un autre pays.

Nous devons le dire et le répéter : tant que nous ne mettrons pas en place de bonnes politiques d'intégration, nous serons en échec. Et avec le type de discours que vous tenez - ainsi que le Gouvernement -, nous irons d'échec en échec. De ce point de vue, l'OFII joue un rôle essentiel et ne peut être chargé à la fois de l'intégration et des prestations allouées aux demandeurs d'asile, notamment dans une période où la demande croît.

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, le « tout CRA » ne fonctionne pas. Selon le directeur général des étrangers en France, les taux de réussite des OQTF ne veulent rien dire, puisque tout dépend à qui cette sanction est attribuée et dans quelles conditions elle l'est. Et les comparaisons d'un pays à l'autre ne valent pas plus, car les motivations ne sont pas les mêmes.

Plutôt que de multiplier les places en CRA pour éloigner des Roumains qui reviennent deux jours après, il serait préférable de faire un focus sur les réussites de l'OFII en matière de retours volontaires et de proposer de les développer.

S'agissant de l'asile, je partage vos propos, monsieur le rapporteur, même si la CNDA n'a pas cette vocation. Toutefois, tout ne peut pas être concentré sur les délais, même s'ils sont essentiels, à la fois pour des raisons d'humanité et de coût. Je rappelle en effet que le montant des prestations versées pendant trois à quatre semaines représente à peu près le budget annuel de l'Ofpra.

Une fois protégé, un immigré peut arriver à s'intégrer correctement - de fait la question de l'hébergement est primordiale. Mais lui trouver un travail le plus vite possible et lui donner l'occasion d'apprendre la langue sont également des conditions indispensables. Il est plus difficile de s'intégrer quand, pendant six mois ou un an, on vous a demandé de ne rien faire.

Par ailleurs, lorsqu'un migrant est protégé, il a la possibilité de faire venir ses enfants et son conjoint. Et pour commencer à vivre une nouvelle vie en France, il faut lui reconstituer son état civil. Or ces sujets sont les absents du contrôle parlementaire sur l'asile, actuellement. Nous l'avons d'ailleurs vu au moment de la crise afghane : des centaines d'enfants et de conjoints d'Afghans protégés n'ont pas pu rejoindre la France.

Il est donc important d'allouer plus de moyens à l'Ofpra pour les questions de reconstitution d'état civil et de mettre en place une réelle politique permettant à une personne protégée de faire venir son conjoint et ses enfants.

Mme Nathalie Goulet. - Je souhaiterais, pour ma part, aborder le sort des interprètes et des auxiliaires de l'armée française en Afghanistan, dont le Gouvernement nous dit que l'affaire est réglée. Car il n'en est rien : nous recevons, les uns et les autres, des demandes urgentes. Cette question a été traitée en dépit du bon sens, alors que le sujet des interprètes remonte à au moins sept ou huit ans. Ces gens sont menacés, la situation est scandaleuse, et je souhaiterais que nous demandions des comptes au Gouvernement.

S'agissant des OQTF, au moment de l'assassinat du père Olivier Maire, nous avons pu remarquer un certain nombre d'incohérences dans notre droit, notamment entre la procédure administrative et la procédure judiciaire, puisqu'un certain nombre de personnes frappées d'OQTF sont en plus soumises à des travaux d'intérêt général : au lieu d'être expulsés, ils sont retenus en France pour exécuter la sanction prononcée à leur encontre.

Monsieur le rapporteur, je souhaiterais savoir si, dans le cadre du rapport de suivi, nous pourrions avoir un état des lieux de l'application de l'article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet une libération conditionnelle en cas de retour dans le pays d'origine. L'application de cette disposition permettrait non seulement d'exécuter les OQTF, mais aussi de libérer des places en prison.

Mme Brigitte Lherbier. - Je voudrais attirer votre attention sur la situation actuelle dans le nord de la France. Un nombre important de migrants qui souhaitent gagner la Grande-Bretagne échouent et restent alors sur notre territoire. Hier encore, un camp à Sangatte a été détruit. Habituellement, il s'agit d'hommes jeunes, seuls, mais nous voyons beaucoup en ce moment de femmes et d'enfants.

Par ailleurs, monsieur Bonnecarrère, savons-nous combien de ressortissants afghans demandent à bénéficier du droit d'asile ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Malgré la réalité du rapport, mon groupe ne suivra pas la position des rapporteurs sur les crédits.

Madame la rapporteure, contrairement à ce que vous avez indiqué, le premier pays pourvoyeur d'immigrés clandestins est non pas l'Algérie, mais les Comores. Encore une fois, je déplore que les chiffres de l'outre-mer ne soient pas intégrés dans les chiffres globaux présentés chaque année à la représentation nationale, alors que plus de la moitié des reconduites à la frontière se font à partir de Mayotte. Les chiffres de la Guyane cumulés à ceux de Mayotte ne sont, en aucune mesure, comparables aux chiffres de l'Hexagone.

Mme Éliane Assassi. - Ces sujets sont sensibles et mériteraient que nous puissions dépasser un certain nombre de postures pour regarder avec une grande attention une situation qui n'existe pas uniquement en France.

Nous ne pouvons que saluer la hausse continue du budget en matière d'immigration et d'asile. Les mesures prises sont d'abord des choix politiques. Nous pourrons augmenter tous les budgets possibles, si nous ne changeons pas de posture ou de lecture de ce que sont l'immigration et l'asile, nous ne changerons pas grand-chose.

La hausse du budget ne peut masquer, par exemple, les conditions d'accueil et d'accompagnement des migrants, les atteintes à des lois fondamentales et les traitements dégradants des mineurs isolés.

Il est important de rappeler que l'asile est un droit qui ne saurait être soumis aux vicissitudes de la politique migratoire. Nous pourrions nous satisfaire de la réduction des délais de la procédure d'asile, mais il faut rappeler que la situation des personnes vulnérables s'inscrit dans une temporalité adaptée.

Le problème en matière d'asile est lié non pas aux délais d'instruction qui ont diminué, mais aux délais d'enregistrement des demandes. En effet, de nombreux migrants n'ayant pas réussi à se faire enregistrer sont interpellés et traités comme des personnes en situation irrégulière.

S'agissant des CRA, les problématiques restent les mêmes. Les conditions de détention continuent de se dégrader. Je rappellerai par ailleurs qu'ils n'ont pas cessé de recevoir des migrants en 2020, ce qui confirme la volonté du Gouvernement de poursuivre sa politique d'éloignement. Il me semble nécessaire de changer le regard que nous avons sur ces lieux d'enfermement, qui accueillent aussi des enfants. Nous devons être attentifs aux cris d'alarme poussés par de nombreuses associations, qui ne peuvent être taxées de gauchistes, et par la Défenseure des droits. Tous dénoncent la banalisation de la privation de liberté des personnes étrangères. Nous ne devons pas oublier qu'il s'agit d'êtres humains - des femmes, des enfants, des familles.

M. Philippe Bas. - Je voudrais d'abord dire que je n'ai jamais rencontré de populistes à la commission des lois ; un populisme à rebours nourri de misérabilisme ne vaut guère mieux qu'un populisme que certains stigmatisent.

Quant aux postures politiciennes qui nous empêcheraient d'avoir un regard humain sur des situations émouvantes, je répondrai qu'il existe aussi des situations humaines dramatiques liées à la confrontation du mode de vie des immigrés clandestins et d'un certain nombre de nos concitoyens, y compris d'ailleurs de ceux qui sont issus de l'immigration.

J'ai eu la chance de présider l'OFII et je trouve que nos débats comportent parfois des termes excessifs. Pour moi, il est très important que notre pays remplisse ses devoirs. Le droit d'asile est un devoir constitutionnel, et ce n'est pas parce que nous avons constaté un afflux massif de demandes d'asile que nous sommes contre le droit d'asile. Bien au contraire, le droit d'asile doit s'appliquer dans des conditions qui ne pénalisent pas les véritables réfugiés politiques.

Quant à l'exigence de l'intégration, elle est quand même beaucoup plus facile à mettre en oeuvre quand nous avons affaire à des étrangers en situation régulière plutôt qu'à des déboutés du droit d'asile ou à des immigrés clandestins.

Il est important de prendre du recul afin d'essayer d'aborder cette question dans toute sa complexité et d'une manière qui ne soit pas simplement le reflet d'un point de vue qui, dans certains cas, est celui de ceux qui donnent des cours du soir dans notre système et qui fragilisent, qu'ils le veuillent ou non, l'intégration.

J'entends que les délais de l'instruction des dossiers diminuent, mais ils sont encore beaucoup trop longs. Un effort est encore nécessaire et nous devrons nous mobiliser pour changer de paradigme dans notre politique d'accueil des étrangers pour, justement, mettre en place une politique d'intégration et d'assimilation qui soit d'une meilleure qualité.

Mme Valérie Boyer. - Je souhaiterais tout d'abord remercier les rapporteurs pour la rigueur de leur travail et la précision de leurs données. Les chiffres cités aujourd'hui sont particulièrement importants pour nourrir le débat.

La France - comme l'Europe - ne peut pas être prise en défaut de générosité. Nous sommes tous d'accord aujourd'hui pour défendre le droit d'asile et pour dire qu'il est dévoyé. De fait, cela empêche les personnes qui ont besoin du droit d'asile de voir leur demande instruite correctement.

Avant le départ des Américains de Kaboul, j'ai lu à plusieurs reprises que 100 000 Afghans étaient présents sur le territoire français, et que la grande majorité d'entre eux avaient été déboutés du droit d'asile, notamment en Allemagne. Qu'en est-il réellement ?

Ma seconde question concerne la sinistre affaire des traducteurs. Tout le monde s'accorde à dire que tous les interprètes et leurs familles n'ont pu être exfiltrés. Que sont devenues les personnes qui sont encore en Afghanistan ? Et qui sont celles qui sont sur le territoire français et qui n'entrent pas dans cette catégorie ?

M. André Reichardt. - Je trouve inacceptable d'affecter, année après année, des sommes importantes pour faire face à une situation que nous ne maîtrisons pas. La France n'a pas de stratégie migratoire, il faut le dire. Hier, j'ai demandé au ministre des affaires étrangères et de la défense comment la présidence française de l'Union européenne comptait mettre en oeuvre le pacte européen sur la migration et l'asile, alors que les pays de première entrée ou de relocalisation n'en veulent pas. Sa réponse a été la suivante : nous mènerons une politique des petits pas. Clairement, nous n'avons pas de politique migratoire. J'aurais aimé qu'il me réponde : nous allons tout faire pour tarir la source de l'immigration.

S'agissant de l'asile, si les délais diminuent, monsieur le rapporteur, je doute qu'ils puissent continuer à baisser avec les moyens qui sont affectés, puisque nous savons que les flux migratoires, loin de se tarir, vont augmenter.

Enfin, la non-exécution des OQTF est un véritable scandale. À quoi sert d'allouer autant de moyens à l'Ofpra si les décisions ne sont pas appliquées ?

Mme Esther Benbassa. - J'étais mardi à Calais et j'ai pu à nouveau constater ce qui s'y passait. Les propositions de M. Leschi, directeur général de l'OFII, à l'encontre des migrants qui sont dans les rues et qui n'aspirent qu'à traverser la Manche ne me conviennent pas du tout.

En cette période électorale, nous constatons une augmentation du nombre des expulsions. Nous avons d'ailleurs assisté, mardi dernier, à l'expulsion d'un millier de migrants à Grande-Synthe. Au cours de l'année 2021, les expulsions des camps et des abris informels ont augmenté de 23 %, la majorité concernant les villes du Calaisis et Grande-Synthe.

Dans un rapport publié par l'Assemblée nationale à la suite d'une commission d'enquête sur l'immigration, les députés appelaient l'État à renoncer à la politique du zéro point de fixation sur le littoral nord, au vu des conséquences massives sur le quotidien des migrants.

L'État distribue 800 repas à Calais, alors que l'on recense 1 500 migrants. Que peut-on faire ? Il faudrait d'abord décréter un moratoire en ce début de période hivernale, afin d'abriter tous ces gens qui ne pourront pas traverser la Manche. La concentration des migrants dans les rues crée des problèmes auprès des habitants. C'est un problème à la fois humain et humanitaire.

M. Guy Benarroche. - Je souhaite amplifier les propos exprimés précédemment par André Reichardt, en y apportant quelques précisions. Philippe Bas déplore l'utilisation de termes comme « populisme » et « posture » ; je le comprends très bien, mais ces termes sont utilisés, car, sur ces questions, nous dépendons d'une politique stratégique de l'État ; or, cette politique n'existe pas, et cela ouvre fatalement la porte à des postures ou des positionnements populistes. Par ailleurs, nous savons tous que la question migratoire jouera un rôle dans la campagne électorale.

Aucun choix politique n'est plus important aujourd'hui. Cela a été rappelé, nous ne sommes pas prêts de voir la fin des migrations au niveau mondial. Au-delà des problèmes géopolitiques, n'oublions pas les migrations liées aux changements climatiques ; des millions de personnes vont être déplacées de leur territoire, car elles ne pourront plus y vivre.

L'augmentation de moyens est nécessaire, mais elle ne résoudra pas tous les problèmes. Les juges administratifs, tous les gens qui sont sur le terrain, aux polices des frontières ou dans les centres d'accueil, ont l'impression de travailler pour rien et sont découragés.

Le fait de ne pas avoir de politique migratoire digne de ce nom a aussi des effets négatifs sur l'idée que l'on peut se faire de la France et de sa tradition d'accueil. 

Nous voterons contre le budget pour toutes ces raisons.

Mme Muriel Jourda, rapporteur pour avis. - Un certain nombre de déclarations exposent nos différends sur la politique migratoire. Certaines de ces déclarations ne justifient pas de réponses et d'autres ne les méritent pas.

Madame Goulet, vous nous avez demandé une appréciation sur la mise en oeuvre de l'article 729-2 du code de procédure pénale ; nous allons nous pencher sur la question.

Monsieur Mohamed Soilihi, les chiffres dont nous parlons sont transmis par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF).

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis. - Jean-Yves Leconte a insisté sur le rôle de l'Ofpra en matière de reconstitution des éléments d'état civil. C'est une vieille règle de droit : à partir du moment où la demande d'asile d'une personne a été acceptée, celle-ci ne peut plus se tourner vers son pays d'origine pour réclamer des documents d'état civil. L'Ofpra a donc, entre autres missions, la responsabilité d'être l'officier d'état civil des demandeurs d'asile ; le directeur est très conscient de cette responsabilité.

Les missions de l'Ofpra concernent, selon son directeur, plus de 500 000 personnes aujourd'hui. Ce chiffre différant de celui présenté par Mme Schiappa - légèrement supérieur à 400 000 -, nous essaierons de comprendre les raisons de cet écart.

Nathalie Goulet nous a demandé des précisions sur la question afghane, en particulier sur la situation des traducteurs. Nous ne pouvons que relayer les conclusions de l'Ofpra. Ces conclusions précisent que notre pays et notre ambassade ont effectué un important travail pour déterminer les droits des personnes devant être protégées. Au total, 2 700 personnes afghanes ont été ramenées en France dans le cadre de l'opération organisée par notre pays ; ce chiffre n'est pas neutre, et je vous laisse imaginer le nombre de traducteurs sollicités par notre armée.

Pour répondre à Brigitte Lherbier, les ressortissants afghans constituent, depuis trois ans, avant même donc les événements liés à la prise de pouvoir des talibans, le premier contingent des demandes d'asile. En 2019, on recensait 10 175 demandes d'asile pour des personnes de nationalité afghane, et ce chiffre a légèrement augmenté en 2020 - 10 364 demandes -, dans un contexte où la demande d'asile a fortement diminué.

Doit-on imaginer une crise plus importante ? Les points de vue sont divergents, et les délais d'inertie restent importants. Cela dépend de beaucoup d'éléments, dont la capacité des pays limitrophes - notamment l'Iran et le Pakistan - à accueillir cette population ; la politique de ces pays fixera la règle du jeu. Je rappelle qu'en Iran, on estime à 3 ou 4 millions le nombre de ressortissants afghans sur le territoire. Par ailleurs, nous savons que beaucoup d'hommes utilisés par l'armée de Bachar al-Assad en Syrie étaient de nationalité afghane ; ils combattaient dans l'espoir d'obtenir une régularisation.

Monsieur Mohamed Soilihi, nous vérifierons la question des données concernant la Guyane et Mayotte.

Éliane Assassi a évoqué la durée pour obtenir un rendez-vous dans les préfectures. On a connu quelques difficultés en région Île-de-France, mais la situation semble aujourd'hui maîtrisée. Un bémol toutefois : ces moyens supplémentaires engagés pour favoriser l'accueil concernent le plus souvent des personnels contractuels, avec donc un important taux de rotation.

Concernant Calais, je rappelle que le président de la commission des lois participe à une mission sur le sujet.

Enfin, monsieur Benarroche, nous partageons votre constat sur l'absence de politique migratoire. En raison de cette absence, tout élément nouveau devient compliqué à gérer. Je n'ose imaginer la situation que pourrait connaître notre pays si nous étions confrontés à des choses aussi horribles que ce que l'on appelle aujourd'hui les « guerres hybrides ».

En résumé, je retiens de la bonne volonté, mais aucun axe directeur.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » - Programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » - Examen du rapport pour avis

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ». - Cette année encore, le budget global de la justice augmente de 8 % par rapport à 2021, dont 3,4 % pour le programme « Justice judiciaire ». Cet effort de rattrapage, du retard accumulé depuis de nombreuses années, devrait permettre de combler un certain nombre de déficits.

On observe toutefois une sous-exécution chronique, qui s'amplifie chaque année. En 2021, on a ainsi relevé près de 10 millions d'euros de crédits annulés par voie réglementaire. Par ailleurs, le second projet de loi de finances rectificative (PLFR) prévoit d'annuler 135 millions d'euros de crédits de paiement supplémentaires, ce qui correspond à 1,3 % du total de la mission « Justice ».

Ces annulations posent de nombreuses questions et relativisent l'appréciation de l'augmentation du budget de la justice.

La hausse de ce budget ne doit pas nous exempter d'une réflexion de long terme, notamment sur les ressources humaines et les frais de justice. Pour ce qui concerne l'augmentation du personnel, le projet de loi de finances prévoit le recrutement de 50 magistrats, 50 agents d'encadrement et 47 greffiers, avec pour contrepartie la suppression de 107 emplois parmi les personnels administratifs et techniques. Le rythme des recrutements est moins soutenu que les années précédentes, puisque, à titre de comparaison, avaient été créés 50 postes de magistrat et 100 de greffier en 2021, ainsi que 100 postes de magistrat et 413 de greffier en 2020. Ces créations de postes s'ajoutent aux fameux « sucres rapides » dont nous parle régulièrement le garde des sceaux, à savoir les contractuels qui viennent renforcer les effectifs des juridictions.

En outre, malgré ces recrutements, le délai de traitement des affaires est toujours trop long. En matière civile, il est passé de 11,4 mois en 2019 à 13,8 mois en 2020 ; et la prévision de 13 mois pour 2021 n'augure pas d'une nette amélioration. En matière pénale, le délai de jugement des crimes est stable autour de 41 mois en 2021, mais demeure excessif.

Se pose toujours le problème de l'évaluation de la charge de travail des magistrats, qui permettrait de mieux apprécier les besoins en personnels. La commission des lois réclame cette évaluation depuis longtemps ; il semblerait qu'elle soit prévue pour l'année 2022.

L'autre enjeu est celui de « l'équipe autour du magistrat ». Pour faire face au volume croissant des affaires, arrivent de nombreux renforts, principalement des contractuels, avec des missions peu claires. Ils sont censés épauler les magistrats et les greffiers, mais une véritable organisation avec une meilleure définition des rôles de chacun, permettrait d'obtenir de meilleurs résultats.

L'augmentation des crédits alloués aux frais de justice s'explique par l'évolution de la dépense moyenne des frais de justice en matière pénale, passée de 374 euros en 2019 à 461 euros en 2021, en raison notamment de la mise en oeuvre des nombreuses réformes structurelles qui ne permettent pas de faire des économies d'échelle.

Les crédits consacrés aux frais de justice auront ainsi augmenté de près de 25 % entre 2017 et 2021. Le ministère vise toutefois un objectif de 330 euros en moyenne par affaire pénale en 2023 ; nous voyons mal comment l'économie envisagée pourra être réalisée.

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis sur les crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice ». - Le budget consacré au numérique connaît une forte augmentation de 27 % par rapport à l'année dernière. Les crédits s'élèvent à 340 millions d'euros en 2022, contre 268 millions en 2021. Le plan de transformation numérique était prévu de 2018 à 2022 ; on sent bien qu'il faut avancer pour atteindre l'objectif de 2022.

Le retard pris par le ministère dans l'équipement informatique des juridictions semble en passe d'être comblé. Selon les chiffres de la Chancellerie, 99 % des magistrats sont désormais dotés d'ordinateurs ultraportables, ainsi que 70 % des greffiers et autres agents, soit tous ceux dont les tâches peuvent être effectuées à distance.

Reste la question de l'accès aux réseaux ; des travaux sont en cours pour pouvoir équiper les sites en fibre.

Au sujet des logiciels, notre attention se porte, cette année, sur le projet Portalis. Seulement 2,6 % des justiciables ont fait le choix d'accéder à leur dossier en ligne, alors qu'on en attendait plutôt 10 %. La communication sur le sujet n'est pas très dynamique. Ce projet Portalis, dont la progression a pu être perçue comme lente et erratique, a fait l'objet en 2020 d'un audit de la direction interministérielle du numérique (Dinum) ; depuis, sa gouvernance a été modifiée et un calendrier plus progressif d'avancement a été défini jusqu'en juin 2025. Estimé à l'origine à 57,5 millions d'euros, le coût de ce projet devrait finalement s'établir à 77,5 millions d'euros - soit une hausse de 35 % - pour une durée totale de 135 mois et non de 120 comme cela était initialement prévu.

Dans ce budget pour 2022, on observe également une augmentation continue des crédits dédiés à l'aide juridictionnelle et à l'aide aux victimes. Pour ce qui concerne l'aide juridictionnelle, cette hausse contribue à l'amélioration de la rétribution des avocats. L'unité de valeur passe ainsi, cette année, de 34 à 36 euros, même si nous sommes encore en-deçà des 40 euros préconisés par le rapport Perben.

Pour l'accès au droit et l'aide aux victimes, l'augmentation des crédits est significative, de l'ordre de 29,6 % par rapport à 2021. Ces crédits alloués aux structures de proximité concernent notamment les conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), ainsi que les 148 maisons de justice et du droit (MJD) et les 414 « point-justice » de France Services ; pour ce dernier cas, il conviendra de mieux former les personnels des maisons France Services.

Enfin, le budget de l'aide aux victimes s'élève désormais à 40,2 millions d'euros, soit une augmentation de 25,7 %, dans la continuité de celle de 11,38 % qui est intervenue en 2020 et 2021. L'objectif est notamment de mobiliser des ressources en faveur des victimes de violences conjugales, avec les développements attendus du dispositif Téléphone grave danger et du bracelet anti-rapprochement.

En conclusion, nous nous proposons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».

M. Jean-Pierre Sueur. - L'augmentation des crédits, dont on ne peut que se réjouir, n'a qu'un effet mesuré sur la justice judiciaire. Alors que, l'an dernier, l'augmentation des crédits du programme « Justice judiciaire » s'élevait à 6 %, celle-ci n'est plus cette année que de 3,4 %.

On constate un certain nombre de carences qui, je crois, doivent être mises en évidence ; je pense, en particulier, à la situation des greffiers. L'évolution de la situation des greffiers ne suit pas le même rythme que celle, déjà limitée, des magistrats.

Les frais de justice constituent un éternel problème, qui n'est toujours pas pris en compte de manière satisfaisante. Certains magistrats nous disent qu'ils sont obligés de choisir entre les affaires ; la priorité se décide en fonction des moyens matériels dont on dispose.

Concernant l'accès au droit, l'aide aux victimes et l'aide juridictionnelle, la hausse des crédits reste limitée. Nous appellerons, une fois encore, à un changement d'échelle, en espérant que nous serons entendus par les futurs gouvernants que se donnera notre pays. Il faut poursuivre cet effort budgétaire et ne pas le consacrer majoritairement à la question pénitentiaire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature ».de la mission « Justice ».

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Justice » - Programme « Administration pénitentiaire » - Examen du rapport pour avis

M. Alain Marc, rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ». - Il me revient, comme l'an passé, de vous présenter les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire. En 2022, ces crédits atteindront presque 4,6 milliards d'euros, ce qui correspond à plus de 40 % des crédits de la mission « Justice ».

Pour la deuxième année consécutive, ces crédits s'inscrivent en forte hausse, progressant de 9 % par rapport à la loi de finances pour 2021, hors crédits affectés au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Cette dynamique des dépenses s'explique en grande partie par la poursuite du programme de construction de 15 000 places de prison, qui occasionne des dépenses immobilières et rend indispensables des recrutements pour assurer le fonctionnement des futurs établissements.

En introduction de mon propos, il me semble utile de faire un point sur ce programme de construction qui devait aboutir, je vous le rappelle, à la livraison de 7 000 nouvelles places d'ici à la fin de l'année 2022 et à la livraison de 8 000 autres places à l'horizon de 2027. Je signale que les investissements immobiliers absorberont l'an prochain 636 millions d'euros de crédits, soit un montant en hausse de 14,5 % par rapport à 2021.

Même si le ministre a essayé de nous convaincre, la semaine dernière, photos à l'appui, que les chantiers avançaient à un bon rythme, la réalité est que le calendrier ne sera pas tenu.

À ce jour, 2 000 places environ ont effectivement été livrées. Elles concernent des projets - ceux de la Santé et de Baumettes II notamment - lancés avant 2017, ce qui n'est guère surprenant. En effet, l'administration pénitentiaire considère qu'un délai de sept années s'écoule entre le moment où la décision est prise de construire une prison et le moment où l'établissement ouvre ses portes.

Les chantiers aujourd'hui en cours portent sur un total d'environ 2 500 places, et c'est seulement au cours du premier semestre de 2022 que seront lancés les travaux nécessaires à la réalisation des 2 500 places manquantes pour arriver au total de 7 000. Il est exclu que ces places soient livrées en totalité à la fin de l'année prochaine, l'administration pénitentiaire envisageant plutôt un achèvement des travaux à la fin de l'année 2023, ce qui est sans doute encore une évaluation optimiste.

Concernant les 8 000 places suivantes, un peu moins de 46 millions d'euros leur sont consacrés dans le budget. Ces crédits sont orientés vers les cinq projets les plus avancés. Je rappelle que cinq appels d'offres ont été lancés en 2020, quatre en 2021, et que les six derniers seront lancés en 2022, l'objectif étant que l'ensemble du programme de 15 000 places ait été au moins passé en commande à la fin de l'année prochaine.

Le programme de construction a naturellement des conséquences sur les recrutements. L'an prochain, le budget permettra de financer la création de 599 emplois supplémentaires ; sur ce total, 419 emplois serviront à constituer les équipes nécessaires à l'ouverture des futurs établissements, le solde venant renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).

Même si le programme de construction pèse lourd dans le projet de budget, il n'explique pas à lui seul la hausse des dépenses. Les crédits prévus dans le projet de loi de finances doivent permettre aussi de financer l'entretien et la sécurisation du parc pénitentiaire, ainsi que des mesures de revalorisation salariale.

L'entretien du parc pénitentiaire ne doit pas être négligé, sans quoi la dégradation du bâti risque d'entraîner, à plus long terme, d'importantes dépenses de réhabilitation. Il est satisfaisant de constater que les crédits consacrés à ce poste de dépense progressent de 5 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021, étant précisé que les redéploiements internes sont susceptibles d'abonder cette enveloppe en cours d'année, comme ce fut le cas au cours des exercices antérieurs.

La sécurité dans les établissements constitue un autre motif de préoccupation. À cet égard, le budget marque un effort très significatif, puisque les crédits augmentent de 113 %, pour dépasser les 135 millions d'euros. Cette enveloppe permettra d'améliorer les systèmes de détection des produits illicites ou dangereux, la lutte contre les drones et le brouillage des téléphones mobiles. L'administration pénitentiaire prévoit également de déployer un nouveau terminal mobile qui permettra aux surveillants de communiquer, d'accéder plus facilement à leurs applications métier et de déclencher une alarme. Les membres des équipes de sécurité pénitentiaire vont recevoir des pistolets à impulsion électrique, plus communément dénommés « tasers ».

Le budget prévoit également de consacrer 22,4 millions d'euros au financement de diverses mesures tendant à améliorer la rémunération des personnels pénitentiaires. Parmi les plus significatives, on relève la fusion des grilles de surveillants et de brigadiers, ainsi que la revalorisation de la prime de sujétion spéciale et de l'indemnité pour charges pénitentiaires. Les plus faibles rémunérations bénéficient, en outre, du relèvement de l'indice minimum de traitement des agents des trois fonctions publiques.

L'administration pénitentiaire souligne que 120 millions d'euros auront été consacrés au total, au cours du quinquennat, à cette politique d'amélioration catégorielle, ce qui n'est pas négligeable. Il n'en reste pas moins que les rémunérations demeurent moins élevées dans l'administration pénitentiaire que dans d'autres secteurs de la fonction publique. Ces écarts nuisent à l'attractivité des emplois, alors que l'administration pénitentiaire doit continuer à recruter. Elle organise régulièrement des campagnes d'information dans les médias, sur les réseaux sociaux ou par voie d'affichage pour attirer des candidats aux concours qu'elle organise.

Je souhaite également évoquer les conditions de détention qui dépendent, en grande partie, de l'évolution de la population carcérale. Après la forte baisse observée en 2020, la population carcérale est repartie à la hausse ; le 1er octobre dernier, le nombre de détenus s'élevait à 69 173, en augmentation de 18 % par rapport au point bas atteint à la fin du premier confinement ; le nombre de détenus n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant la crise, proche de 71 000, mais il s'en rapproche.

Au début du mois d'octobre, le taux d'occupation était revenu à près de 115 % en moyenne, et il s'élevait à 135 % dans les maisons d'arrêt, qui sont traditionnellement les établissements les plus sollicités. On comptait plus de 1 400 matelas au sol, et le taux d'encellulement individuel était retombé à 43 %.

Cette évolution doit retenir toute notre attention. On ne peut exclure que le nombre de détenus se stabilise dans les prochains mois autour de 70 000. En revanche, si la hausse se poursuivait, elle pourrait entraîner une dégradation rapide des conditions de détention. Jusqu'à présent, le nombre de recours pour conditions indignes est resté limité ; l'administration pénitentiaire en a recensé une cinquantaine, principalement à Fresnes, Nanterre et dans les établissements ultra-marins ; mais cette situation pourrait ne pas durer.

Cette évolution conduit à s'interroger sur les effets de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition de réduire le nombre de courtes peines de prison, en privilégiant les alternatives à l'incarcération. L'encombrement des maisons d'arrêt montre que les tribunaux continuent de prononcer un nombre élevé de courtes peines. Les efforts du Gouvernement pour développer le travail d'intérêt général et les dispositifs de surveillance électronique n'ont pas encore d'effets tangibles sur le niveau de la population carcérale. Ces peines alternatives peuvent pourtant être adaptées pour sanctionner des infractions de faible gravité, en offrant de meilleures perspectives de réinsertion.

Enfin, le projet de loi de finances prévoit d'allouer une enveloppe de 54 millions d'euros au développement du travail en détention et à l'amélioration du statut du détenu travailleur, dans le prolongement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire dont nos collègues Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère étaient les rapporteurs. Une mesure est également prévue en faveur des détenus indigents ; l'aide qui leur versée, dont le montant n'avait pas été revalorisé depuis 2013, sera portée de 20 à 30 euros par mois.

En conclusion, je vous propose d'émettre, comme l'an dernier, un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire, compte tenu de l'effort important réalisé sur les recrutements, l'immobilier et la sécurisation des établissements.

Toutefois, en parallèle de cet effort financier, je crois indispensable que le ministère de la justice développe sa fonction d'évaluation des politiques publiques ; cela est également valable pour d'autres ministères. On manque d'études rigoureuses permettant d'apprécier les effets de telle ou telle peine sur la récidive et sur les chances de réinsertion. Les indicateurs de performance, annexés à la loi de finances, sont plus des indicateurs d'activité qu'une véritable mesure des résultats de l'action publique. Or, plus la nation consacre de moyens à ses prisons, plus elle est en droit d'exiger qu'il soit fait un bon usage de ces crédits, ce que seule une évaluation objective et indépendante peut garantir à nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur. - Les questions sont toujours les mêmes. Comment se fait-il que les alternatives à la détention, depuis le temps que nous en parlons, ne progressent pas davantage, voire régressent ? Tous les gardes des sceaux ne cessent de vanter ces alternatives : le bracelet électronique, les travaux d'intérêt général, la suppression des courtes peines - notamment pour les jeunes qui se retrouvent, pour une courte période, dans le milieu carcéral et y acquièrent un vocabulaire, des relations, un savoir-faire, qui ne les aident pas à se réinsérer.

En 2020, 7 000 ou 8 000 détenus en fin de peine ont été libérés ; cela n'a pas causé la révolution dans notre pays, ni une augmentation de la délinquance. L'important n'est pas d'atteindre un nombre toujours plus élevé de détenus ; il en faudrait moins et que l'on s'occupe davantage d'eux pour préparer la sortie. À cet égard, je salue la mesure relative au développement du travail en prison, ainsi que l'augmentation, certes mesurée, des fonds pour les détenus indigents - en passant à 30 euros par mois, cela ne va pas mettre en péril le budget de l'État.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - C'est encore au conditionnel...

M. Jean-Pierre Sueur. - Oui, si cela est voté... On entend des annonces tonitruantes sur l'augmentation du nombre de places ; je ne suis pas séduit par cela. On voit d'ailleurs que ce qui était prévu en six ans va finalement se réaliser en quinze. Au-delà de la construction de nouvelles prisons, la priorité doit concerner l'entretien et la rénovation de celles qui existent. Par ailleurs, ce n'est pas la peine d'en construire de nouvelles si l'on croit dans le développement des peines alternatives.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - Je partage beaucoup de choses avec Jean-Pierre Sueur. Quand je disais que l'on n'avait pas encore atteint le nombre de 70 000 détenus, je ne m'en réjouissais pas.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai évoqué cela pour que vous puissiez le préciser.

M. Alain Marc, rapporteur pour avis. - En annonçant que l'on va construire de nouvelles prisons, on présuppose que cela va diminuer la délinquance. Or, comme vous l'avez dit fort justement, il arrive que des jeunes détenus sombrent davantage encore dans la délinquance et récidivent, alors qu'ils auraient pu envisager un autre avenir, par le biais de peines alternatives.

Faute d'une évaluation rigoureuse des mesures, nous sommes incapables de mener une politique pénitentiaire à long terme. Les 15 000 places sont décidées, mais elles ne seront probablement pas livrées en totalité avant sept ou huit ans. Il nous faudra progresser sur ces peines alternatives qui seraient certainement plus utiles aux primodélinquants.

M. Jean-Pierre Sueur. - On recense 419 postes pour les nouveaux établissements pénitentiaires et 250 postes pour les SPIP ; nous pourrions faire d'autres choix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

La réunion est close à 11 h 10.

Jeudi 18 novembre 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 12  h 10.

Projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons à examiner les six amendements du Gouvernement au texte de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire.

Je rappelle que, lorsque le Sénat examine après l'Assemblée nationale les conclusions d'une commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement. Notre commission est elle-même amenée à exprimer un avis global sur les amendements adoptés par l'Assemblée nationale. Il n'y a pas d'explication de vote sur les amendements eux-mêmes : chacun des groupes s'exprimera globalement sur l'ensemble du texte tel que modifié par les amendements.

M. Jean-Yves Leconte. - Nous sommes dans une situation totalement inhabituelle. Je n'ai pas le souvenir d'avoir vu chose pareille.

De manière générale, quand le Gouvernement dépose un amendement après une CMP, c'est pour apporter des corrections techniques mineures, qui ne font pas débat. Or, en l'occurrence, les amendements déposés bouleversent l'équilibre du texte.

Doit-on désormais intégrer le Gouvernement dans les CMP ? La question se pose. Permettez-moi toutefois d'émettre des réserves sur cette éventualité.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous ne faisons que respecter la Constitution et le règlement du Sénat. Le Gouvernement a la possibilité de déposer des amendements en séance sur les conclusions d'une commission mixte paritaire.

Il est vrai que, la plupart du temps, les amendements sont rédactionnels ou de précision. C'est d'ailleurs le cas de cinq des six amendements que nous avons à examiner.

Nous allons revenir sur le seul amendement de fond, qui vise à résoudre un problème d'interprétation soulevé notamment par la profession d'avocat et auquel nous ne sommes pas hostiles.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU GOUVERNEMENT

Article 2

La commission émet un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 1.

Article 3

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - L'amendement n° 2 concerne le secret professionnel de l'avocat. Je ne rouvrirai pas le débat sur ce dernier ni sur les évolutions prévues à l'article 3.

En l'état des discussions avec les représentants de la profession d'avocat, nous avons aujourd'hui trois solutions.

On peut d'abord considérer qu'il convient de s'en tenir à l'accord trouvé en CMP. Cette position serait cependant vue comme conflictuelle. J'ajoute que les alinéas que l'amendement tend à supprimer ne sont pas un apport du Sénat. Le seul enjeu, pour notre Haute Assemblée, concernait l'extension du secret à l'activité de conseil et les limites qu'il convient d'y apporter.

Certains ont pu souhaiter la suppression de la totalité de l'article 3 - c'était le voeu exprimé par la majorité des membres du conseil national des barreaux. Nous vous proposons de ne pas suivre ce point de vue, pour deux raisons. Premièrement, comme l'a exprimé Jean-Yves Leconte, nous estimons que cela modifierait le texte de manière importante, ce qui serait une rupture par rapport à la pratique parlementaire : on pourrait y voir la tentation de créer une sorte de troisième lecture. Deuxièmement, cette suppression serait une forme de politique du pire, puisque nous priverions la profession d'avocat d'avancées indiscutables, comme le volet relatif aux perquisitions et l'extension du secret au conseil.

Si l'on ne fait pas le bonheur des gens contre leur gré, il n'est tout de même pas interdit d'essayer d'apporter des solutions et d'aboutir au résultat le plus favorable possible sur des sujets sur lesquels nous n'avons aucune raison d'entrer en conflit avec les avocats. Leur rôle est éminent et l'idée d'étendre le secret professionnel sans désarmer la société dans la lutte contre les infractions n'est pas problématique.

S'agit-il d'une intrusion de l'exécutif dans le travail parlementaire ? Je ne le pense pas. À cet égard, l'amendement ne nous pose pas de difficulté.

Pour revenir sur un sujet que Marie-Pierre de La Gontrie évoquait en séance, je souligne que la réécriture de la définition du délit de prise illégale d'intérêts qui figure dans le texte, avec une référence à l'objectivité, l'impartialité et l'indépendance, ne vise pas à interférer dans des affaires judiciaires en cours. Considérons-nous donc comme libres. En adoptant cet amendement, le Sénat suit sa propre logique. Il n'est instrumentalisé ni par les avocats ni par le garde des sceaux.

Mme Éliane Assassi. - Je souscris tout à fait aux arguments développés sur le secret professionnel des avocats.

Notre groupe est favorable à cet amendement. Sur le fond, il est issu d'échanges entre la chancellerie et les avocats, dont on sait combien ils se sont mobilisés sur le sujet.

Cependant, je regrette profondément les conditions d'examen de cette mesure importante.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons veillé, avec les rapporteurs, à ce que les amendements déposés par le Gouvernement ne modifient pas en profondeur l'accord intervenu entre l'Assemblée nationale et le Sénat. C'est dans cet esprit que nous avons travaillé.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 2.

Article 6

La commission émet un avis favorable à l'amendement rédactionnel n° 3.

Article 10

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n° 4 est un amendement de précision sur le droit au silence.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je ne suis pas sûre que l'amendement n° 4 puisse être qualifié d'amendement rédactionnel, puisque le Gouvernement limite l'objet du droit au silence. Il semble qu'il s'agisse plutôt d'une tentative du Gouvernement de modifier notre action à la marge...

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Le Gouvernement se cale sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - C'est une simple transposition de la décision rendue à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Certes, mais ce n'est pas ce que nous avons voté.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 4.

Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement n° 5 est un amendement de précision concernant l'avertissement pénal probatoire : il réduit le délai probatoire à un an pour les contraventions.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ce n'est pas non plus un amendement rédactionnel.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 5.

Article 32 B

La commission émet un avis favorable à l'amendement de coordination n° 6.

La réunion est close à 12 h 20.