Mardi 16 novembre 2021

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Cohésion des territoires » - Crédits « Logement » - Examen du rapport pour avis

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons le rapport pour avis sur les crédits « Logement » de la mission « Cohésion des territoires » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Au moment où nous examinons le budget du logement, comment ne pas être frappés par les motifs d'inquiétude, pour ne pas dire la crise autour de nous ? Portés par des taux d'intérêt très bas qui poussent à la spéculation, les prix des logements s'envolent et deviennent inaccessibles pour nombre de nos concitoyens. Il en est de même des prix de l'énergie qui pèsent lourdement sur le pouvoir d'achat. Cela explique que, malgré les discours officiels, les Français ont le sentiment de se précariser et le logement, symbole de sécurité, est au coeur de leurs préoccupations.

Face à cette situation, le Gouvernement nous présente le « meilleur budget logement du quinquennat ». J'en prends acte, mais c'est les yeux grands ouverts car il ne faut ni manquer de mémoire, ni faire preuve de myopie.

Au sein de la mission de Cohésion des territoires, le budget logement regroupe trois programmes : le programme 109 « Aide à l'accès au logement », le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » et le programme 177 consacré à l'hébergement, aux parcours vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables.

Ces trois programmes totaliseront, en 2022, 16,3 milliards d'euros en crédits de paiement en augmentation de 7,4 % par rapport à 2021, soit 1,1 milliard d'euros de plus.

C'est donc sur le plan financier, le budget logement le plus élevé depuis le début du quinquennat.

Il est marqué par deux évolutions majeures en faveur des aides personnalisées au logement (APL) et de l'hébergement d'urgence.

Concernant les APL, l'État accroîtra sa contribution de 643 millions d'euros. Cela s'explique par le fait qu'aucune ponction ne sera faite sur Action Logement cette année. Rappelons qu'en 2021, elle s'élevait à 1 milliard d'euros et, en 2020, à 500 millions d'euros. Un accord a pu être trouvé avec le groupe paritaire qui a accepté, en contrepartie, d'accroître sa contribution à l'effort de relance et pourra ainsi mener à bien sa réforme.

La seconde évolution budgétaire est la hausse de 477 millions d'euros en faveur de l'hébergement d'urgence qui est le prolongement de l'effort considérable réalisé pendant la crise sanitaire pour ouvrir 43 000 places d'accueil supplémentaires et éviter les expulsions sans relogement. Cela montre aussi qu'il est possible d'avoir une action très déterminée et efficace contre le « sans-abrisme » dans notre pays.

On pourrait voir dans ce budget, comme certains l'ont fait à l'Assemblée nationale, « la marque de l'ambition et des efforts depuis cinq ans en faveur du logement... ». Vous me permettrez, sans nier la réalité des chiffres pour 2022, d'y jeter un regard un peu plus critique.

Bien plus que la marque d'une ambition, ce budget est un rappel à la réalité douloureuse du mal-logement d'un grand nombre de Français. L'augmentation constatée cette année de 1,1 milliard d'euros doit être replacée dans son contexte.

Souvenons-nous que ce même budget du logement s'élevait à 17,6 milliards d'euros en 2017 et est descendu à 14,4 milliards d'euros en 2020, à la veille de la crise sanitaire.

Le Gouvernement soutient les APL cette année, mais c'est oublier les 10 milliards d'euros économisés au détriment des plus modestes depuis cinq ans, comme l'a justement dénoncé la Fondation Abbé Pierre et comme nous l'avions fait dès 2017 à l'annonce de la baisse des APL, que le président de la République a reconnue ensuite comme une erreur.

Action Logement, apparemment épargné en 2022, perd chaque année environ 300 millions d'euros correspondant aux cotisations des plus petites entreprises qui ne lui sont plus compensées par l'État. Le groupe a également accepté, début 2021, de mobiliser 1,5 milliard d'euros dans le cadre de l'accompagnement de la relance du secteur et 1,4 milliard d'euros au profit de l'ANRU...

Si le passé nous incite à la circonspection, regarder vers l'avenir doit nous alerter car le PLF 2022 renvoie à 2023 des questions sans réponse. On peut craindre que le prochain PLF soit celui de tous les dangers pour le logement...

Concernant Action Logement, la convention quinquennale doit être renégociée l'an prochain pour une entrée en vigueur en 2023. Or, comme l'a montré le rapport de la Cour des comptes paru cet automne sur le sujet, Bercy n'a rien abandonné de ses prétentions en matière de captation de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), et de démantèlement du groupe. Il nous faudra donc être très vigilants.

L'avenir de la réduction de loyer de solidarité (RLS), qui pèse 1,3 milliard d'euros sur les bailleurs, est l'autre grand sujet. Sa reconduction, son amplification ou sa réduction devra être tranchée dans le prochain PLF. Au-delà de l'enjeu financier, c'est le modèle du logement social qui est en question. Dans le dossier que la revue Esprit a consacré à l'habitat en septembre dernier, deux chercheurs ont montré la rupture qui s'est produite en 2018 et évoquent « la mutation majeure du logement social solide vers le logement abordable liquide ».

De plus, avec la RLS devront être revus plusieurs circuits de financement du logement issus de la clause de revoyure pour en atténuer le coût sur les bailleurs. Par exemple, 300 millions d'euros annuels sont apportés au Fonds national d'aide à la pierre (FNAP) par Action Logement à la place des bailleurs sociaux. Qu'en sera-t-il dans le futur ?

En outre, de nombreux dispositifs fiscaux ont été prolongés et leur avenir devra être tranché dans le prochain budget. Le « Pinel » est le plus important d'entre eux, il représente 48 % de la construction d'immeubles privés collectifs neufs.

Enfin, le budget 2023 devra être bouclé sans plan de relance en matière de friches, d'aide aux maires bâtisseurs ou d'appui à la rénovation des logements...

Ainsi, le PLF 2022 représente un sursaut, une prise de conscience particulièrement bienvenue, mais ce n'est pas, loin s'en faut, une rupture par rapport à la politique du logement suivie depuis 2017.

Après cette vision d'ensemble du budget, je voudrais faire trois focus sur la réforme des APL, la relance de la construction et l'hébergement d'urgence.

L'année 2021 a vu s'appliquer la réforme du calcul des APL. Leur montant est désormais révisé trimestriellement sur la base des ressources des douze derniers mois et non plus fixé pour une année en fonction des revenus perçus deux années auparavant. Cette réforme n'est pas à rejeter dans son principe, même s'il ne faut pas cacher sa fonction budgétaire puisque, par le double mécanisme de l'amélioration des revenus et de la sous réévaluation structurelle des APL, son rendement augmentera. Il est d'ores et déjà compris entre 1,1 et 1,2 milliard d'euros.

La mise en oeuvre technique de cette réforme a été difficile pour la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). Jusqu'à 3 % des versements auraient été erronés, soit près de 200 000 allocataires. Si la situation semble aujourd'hui maîtrisée, elle mobilise encore une énergie importante.

Concernant l'impact sur les allocataires, la réforme a amplifié les ajustements à la baisse et atténué les réévaluations à la hausse. La réforme a conduit à augmenter les droits pour 18,2 % des allocataires de 49 euros en moyenne. 115 000 personnes sont devenues allocataires grâce à la nouvelle formule de calcul. En revanche, les APL ont diminué d'un montant moyen de 73 euros pour 29,6 % des allocataires, dont plus de 400 000 ont perdu leurs droits ; 52,2 % ont conservé leurs droits à l'identique.

Des mesures spécifiques ont été prises pour protéger les étudiants et les jeunes en formation. Les ressources des étudiants sont prises en compte sur la base d'un forfait, de sorte que la réforme ne modifie pas leur APL à situation inchangée, et améliore l'APL des étudiants salariés quel que soit le montant de leur rémunération. Les apprentis et les titulaires d'un contrat de professionnalisation bénéficient d'un abattement sur leurs ressources.

Malgré cela, plusieurs associations, dont l'Union nationale pour l'habitat des jeunes (UNHAJ), ont mis en évidence des effets sur les jeunes qui débutent dans la vie professionnelle par une phase précaire. Lors de son audition devant notre commission la semaine dernière, Madame Emmanuelle Wargon a refusé de le prendre en compte ces difficultés des jeunes actifs dans le cadre des APL, car la réforme conduit mécaniquement à des variations. Pour elle, la prime de 1 000 euros « Coup de pouce 1er emploi-1er logement » mise en place par Action Logement est une réponse mieux adaptée.

Dans tous les cas, malheureusement les règles de recevabilité financière nous empêchent d'agir sur ce volet.

Comme je le soulignais l'an dernier, il est grand temps de prendre toute la mesure de la gravité de la situation. Selon les statistiques officielles du Gouvernement, parues en septembre, les nombres de logements autorisés et commencés au cours des douze derniers mois sont encore légèrement inférieurs (respectivement - 0,9 et - 0,4 %) à leurs niveaux des douze mois précédant le premier confinement (mars 2019 à février 2020) et bien entendu aucun rattrapage n'a été effectué.

Concernant le logement social, comme la ministre nous l'a dit en audition, l'objectif de 120 000 logements sociaux agréés en 2021 ne sera pas atteint et donc pas plus celui de 250 000 logements en deux ans. En réalité, un peu plus de 100 000 logements sociaux devraient être agréés cette année.

Certes, la crise sanitaire a eu un impact important, de même que l'étalement dans le temps des élections municipales. Mais ces éléments conjoncturels n'expliquent pas tout. Le Gouvernement continue de nier sa responsabilité préférant incriminer les maires qui ne signeraient pas les permis de construire. Or, les données de long terme sont très claires. Celles publiées par l'INSEE la semaine passée montrent un recul de la construction au cours des cinq dernières années par rapport à ce qui a été observé depuis 1986.

Ensuite, les mesures que le Gouvernement propose restent insuffisantes. Le candidat Macron avait voulu créer « un choc d'offre ». Il a échoué. Le Président Macron voudrait « un choc de confiance » mais il est vraisemblablement voué au même échec.

La commission Rebsamen était parvenue à un diagnostic commun sur le besoin de construire et à des propositions ; cependant, la plus emblématique d'entre elles, la compensation intégrale aux maires de l'exonération de taxe foncière sur la propriété bâtie (TFPB) dont bénéficient les logements sociaux, telle qu'elle figure dans ce PLF, ne pourra créer la confiance attendue. Comme l'a regretté l'Association des maires de France (AMF), le Gouvernement n'entend pas compenser intégralement l'exonération pour toutes les communes et tous les logements sociaux existants, mais seulement pour les nouveaux logements agréés entre janvier 2021 et juin 2026 et ce pour 10 ans sur les 25 années d'exonération : ce n'est pas comme cela qu'on encourage les maires bâtisseurs ! De plus, cette compensation sera soumise à une clause de revoyure pour vérifier son efficacité. Précisons enfin que ce n'est qu'à partir de 2023 ou 2024 que les premières compensations seront versées... Compte tenu de l'expérience des maires concernant les compensations de l'État - je pense en particulier à la taxe d'habitation - et le niveau anecdotique de la compensation actuelle, il n'est pas certain que l'effet attendu soit au rendez-vous. De là à ce que ce soit le résultat attendu par Bercy, il n'y aurait qu'un pas...

Comme l'an passé, je veux réaffirmer que d'autres mesures étaient possibles pour relancer la construction, notamment en profitant du plan de relance.

Concernant le logement social, il était possible de redonner de l'oxygène aux bailleurs par exemple en rétablissant le taux de TVA à 5,5 % pour toutes leurs constructions ou ne serait-ce que pour les opérations de rénovation, comme je l'ai proposé dans le cadre de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et Résilience ». Je le redis, ce taux réduit, c'est environ 5 000 euros de moins par logement neuf, de quoi créer un effet de masse efficace dès lors que l'on veut en construire ou rénover plus de 200 000.

Plus généralement, nous avions l'occasion de revenir sur les effets de la RLS. Nous n'avions pas trop d'illusion, la RLS ayant été annoncé jusqu'en 2022. La solvabilité des bailleurs n'a été stabilisée qu'au prix d'un allongement de leur dette et de l'augmentation des ventes. Est-ce bien ce que l'on souhaite alors que le foncier en zone tendue est bien souvent irremplaçable et que la loi « 3DS » a instauré une priorité pour l'attribution de logements aux travailleurs clefs ?

Enfin, c'était le bon timing pour s'attaquer véritablement au statut du bailleur privé. Là aussi, à force de considérer l'investisseur immobilier comme un « rentier improductif » et non comme un « entrepreneur en logement », on a obéré durablement le logement locatif, ce qui n'incitera pas nos concitoyens à remettre sur le marché des logements vacants, y compris en les conventionnant, il faut du gagnant-gagnant, ou bien les propriétaires peuvent être tentés de ne pas prendre le risque de louer sachant les risques encourus, en particulier du fait de mauvais payeurs. Le rapport du Comité d'Action publique 2022, en juin 2018, invitait pourtant à changer de pied. C'est une occasion manquée. Dans le projet de loi climat et résilience, j'avais proposé de doubler le déficit foncier pour les investisseurs immobiliers. Ce serait une première pierre. Dans la loi 3DS, j'avais appelé de mes voeux la prolongation et l'élargissement du dispositif « Louer abordable », le Gouvernement a déposé un amendement en ce sens, c'est une bonne chose mais pas une rupture dans l'approche du sujet.

Après la réforme des APL et la relance de la construction, je vais aborder mon troisième focus consacré à l'hébergement d'urgence.

Le budget consacré à l'hébergement d'urgence atteindra en 2022 un niveau historique de 2,7 milliards d'euros en crédits de paiement.

Cette augmentation exceptionnelle traduit trois ambitions : le maintien de 190 000 places d'hébergement d'urgence par rapport aux 203 000 places ouvertes en 2021 au coeur de la crise sanitaire ; la création d'un « service public de la rue au logement » ; la volonté de gérer ce programme « sous enveloppe fermée ».

S'il me faut saluer à nouveau l'engagement des services du ministère du logement afin de mettre à l'abri la quasi-totalité des personnes vulnérables durant la crise sanitaire et le choix de maintenir les capacités d'accueil au plus haut niveau, s'il me faut également encourager l'ambition portée par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), responsable de ce nouveau service public, je dois apporter plusieurs bémols au discours ministériel sur le sujet.

D'abord, je ne peux que déplorer que les besoins d'hébergement d'urgence aient atteint un niveau aussi élevé dans notre pays. Ensuite, les plus de 200 000 places ouvertes n'ont pas épuisé la demande. L'actualité nous en apporte la preuve régulièrement et les associations avancent un besoin supplémentaire de 5 000 à 10 000 places. De plus, cet « accueil inconditionnel » que la France accorde et doit à des familles dans un dénuement extrême est une dépense qui vient au bout de l'échec des politiques du logement mais aussi de l'immigration et de l'asile. Mon propos n'est pas ici de lancer un débat sur ces sujets difficiles mais de constater, comme d'ailleurs la ministre l'a concédé à demi-mots lors de son audition, que « la gestion sous enveloppe fermée » et la réduction du nombre de places est une illusion. On nous dit que le budget 2022 a atteint un niveau historique, mais c'est oublier que les moyens ouverts en 2021 lui sont supérieurs de 263 millions d'euros.

Dès lors, le vrai danger du nouveau service public de la rue au logement, c'est le « low cost ».

Je suis personnellement très favorable à la création de ce nouveau service public qui vise à regrouper dans une même direction de l'État l'ensemble des moyens d'accueil et d'orientation. Ce projet porte une véritable ambition pour l'accès au logement et pour la performance sociale et la capacité d'insertion des dispositifs d'accueil. On peut en espérer une meilleure coordination au service des personnes en difficulté. Depuis le lancement du plan « Logement d'abord », 280 000 personnes ont pu être prises en charge et on sait qu'un accès sinon direct, du moins le plus rapide possible à un logement et à un accompagnement offre les meilleures chances de réinsertion. C'est un véritable changement d'approche qui doit être approfondi.

Mais, dans le contexte de double pression du nombre des personnes à accueillir et de l'enveloppe financière à tenir, on peut craindre que l'ambition de départ ne se traduise par une simple mise sous tension budgétaire des acteurs, le choix des solutions les moins chères et l'insuffisance de l'accompagnement social. L'accueil en hôtel en est d'ores et déjà le symptôme. C'est la solution pour les familles dont le droit au séjour n'est pas encore établi ou a été refusé, mais c'est aussi celle où l'accompagnement est le moins important. Ce point devrait peu changer d'autant que l'un des objectifs est de faire baisser le coût de l'hébergement à l'hôtel.

De même, il n'est pas question cette année d'augmenter le forfait journalier des pensions de familles. Il a progressé de deux euros l'an passé, alors que la prise en compte de l'inflation aurait dû conduire à retenir trois euros. La question est encore plus pertinente cette année.

Les associations, et plus particulièrement l'Union professionnelle du logement accompagné (Unafo), déplorent également que l'aide à la gestion locative sociale (AGLS), destinée à financer les résidences sociales, ne soit en réalité versée qu'aux deux tiers à ses bénéficiaires, le reste étant redéployé vers d'autres besoins et notamment l'hébergement d'urgence.

Ces exemples font ressortir un dernier sujet : le besoin de revalorisation des métiers de l'hébergement et de l'insertion. Lourdement mis à contribution pendant la crise sanitaire mais aussi du fait d'une crise sociale et migratoire, qui elle, est bien plus longue, ces personnels ont le sentiment de ne pas être reconnus à hauteur de leur engagement. Il me paraît nécessaire de prendre conscience qu'il ne sera pas possible d'accroître les ambitions en termes de performance sociale et d'objectifs de réinsertion professionnelle sans inclure les principaux acteurs et avoir pour eux aussi une ambition métier.

En conclusion, cet effort budgétaire certain ne peut occulter le fait que la politique menée au cours de ce quinquennat a affaibli le logement, sur tous les territoires, et je vois les menaces qui pèsent sur l'avenir du secteur dès 2023. C'est pourquoi je donnerai un avis défavorable à ces crédits.

Mme Viviane Artigalas. - Merci pour ce rapport très complet, qui met en avant les problèmes de la politique du logement depuis 2017. Ce budget est en trompe-l'oeil, la politique du logement est la grande perdante de ce quinquennat, et le Gouvernement essaie de le dissimuler. La réforme des APL a pénalisé les ménages les plus pauvres, une baisse de 5 euros ne paraît pas beaucoup mais c'est une perte énorme pour les bailleurs. La construction s'est arrêtée le temps que les bailleurs trouvent la parade. Le Gouvernement leur a dit de vendre des logements, mais cela n'a pas toujours été possible, je l'ai vu dans mon département. Il ne faut pas perdre de vue que la sous-évaluation structurelle des APL a encore diminué les moyens de bien des ménages. Il en est de même de la réforme du calcul des APL en temps réel. Il y a encore trop de trous dans la raquette.

Les 250 000 logements neufs en deux ans n'y seront pas, alors que tous les partenaires sont en ordre de marche pour construire, cela montre l'ampleur de la tâche mais aussi la difficulté du Gouvernement à corriger les choses après cinq ans de manque d'investissement. Il y a un grand risque l'an prochain. En conséquence, nous ne voterons pas ces crédits.

M. Franck Montaugé. - Savez-vous quel est l'impact économique de la chute de la construction dans le secteur du BTP ? Avez-vous des chiffres pour le quinquennat, en comparant par exemple avec les périodes précédentes ? La dimension d'emploi local est importante, il faut en tenir compte.

M. Denis Bouad. - L'augmentation de la TVA a eu un impact important, puis la RLS a été le coup de trop. On sait que les objectifs ne seront pas atteints, c'est très décevant quand on sait l'importance du logement décent pour l'insertion sociale et face à la pauvreté croissante des demandeurs.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Dès l'été 2017 et la première discussion budgétaire du quinquennat, nous avons alerté sur les conséquences de la baisse des APL de 5 euros, mais aussi sur la réduction du loyer de solidarité. Nous étions tous d'accord pour dire que c'était inadmissible de faire compenser la baisse des APL par les bailleurs. Le Gouvernement avait l'objectif de doubler le montant de la RLS. Nous avons obtenu la clause de revoyure, et nous avons demandé que la RLS ne soit pas pérenne. Le Gouvernement tend à pérenniser ce qu'il nous avait présenté comme une mesure ponctuelle qui diminue les capacités d'autofinancement des bailleurs donc les capacités d'investissement. Dans le même temps, les bailleurs doivent réaliser la rénovation énergétique des logements. Leurs obligations sont de plus en plus importantes et rares sont ceux qui peuvent réellement conduire de front des opérations de construction neuve et de rénovation. En outre, les dossiers de construction sont plus difficiles qu'avant, il faut souvent cinq ans pour aboutir là où il en fallait deux, en particulier parce que les logements sociaux sont moins bien acceptés socialement. Les élus se retroussent les manches, les maires se mobilisent, mais ils butent sur ces réalités. Par ailleurs, la loi ELAN a ajouté des obligations de regroupement et des objectifs démesurés de vente. Le Gouvernement demandait que les bailleurs vendent 40 000 logements sociaux alors que 10 000 serait déjà très ambitieux. Les occupants n'ont pas tous les moyens d'acheter. Les maires peuvent être réticents à voir sortir des logements sociaux de leur parc.

L'an passé, nous avons conduit notre « mission flash » sur Action logement. Je suis convaincue que si le Gouvernement a reculé, c'est parce que nous avons su nous mobiliser. Notre rapport l'a mis au pied du mur. Le Gouvernement, cependant, ne paraît pas avoir abandonné l'idée de démanteler ce groupe paritaire dont le but est de lier travail et logement. Les inquiétudes sont fortes pour 2023, nous devrons être vigilants et déterminés.

On estime en général qu'un logement construit représente deux emplois, c'est très important en particulier dans les territoires. C'est pourquoi je crois qu'il ne faut pas opposer territoires ruraux et urbains, marchés tendus et non tendus, il faut plutôt accompagner et construire dans les meilleures conditions possibles, y compris dans les territoires ruraux. La maison individuelle ne serait pas un modèle soutenable ? Mais cela reste le rêve des trois-quarts des Français, et n'oublions pas que le marché des maisons fait vivre bon nombre d'entreprises. Nous avons besoin que le parcours résidentiel redémarre, il est bloqué, alors qu'il est important dans chacune de ses composantes, du logement d'insertion au logement intermédiaire, en passant par le logement social - c'est tout cet ensemble qu'il faut faire redémarrer, par une politique plus ambitieuse et d'ensemble.

M. Franck Montaugé. - Nous ne parlons pas suffisamment des politiques de peuplement, alors que le sujet est essentiel.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Dans la loi 3DS, le Sénat a adopté un amendement sur mon initiative, pour identifier les bâtiments fragiles dans lesquels il faut une politique de peuplement adaptée, pour ne pas ajouter de la pauvreté. C'est essentiel, parce que vous pourrez avoir les plus beaux projets de requalification urbaine, ils se dégraderont irrémédiablement si vous continuez à regrouper la misère avec la misère. J'espère que cette disposition aboutira, même si je crois savoir que la ministre n'y est pas favorable.

M. Denis Bouad. - Et la politique de peuplement passe par bien des leviers. Quand le Gouvernement augmente le surloyer, il accélère le déséquilibre en faisant fuir les ménages qui ont plus de moyens que les autres.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Effectivement, même si le surloyer ne s'applique pas dans les quartiers de la politique de la ville, c'est un mécanisme qui contribue à l'évolution que vous décrivez et déplorez.

Mme Viviane Artigalas. - Des bailleurs qui parviennent à rééquilibrer des parties de leur parc se voient attribuer d'autres familles précaires, au motif qu'elles ne trouvent pas de place ailleurs... en réalité, il faut construire parce qu'il manque des logements. C'est un cercle vicieux.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous savons combien les maires sont engagés sur le sujet, et qu'ils ne sont pas assez soutenus, et aussi combien ils manquent de ressources, nous l'avons dit de vive voix au Premier ministre.

Je rappelle que nous voterons après avoir examiné l'ensemble des missions - et que l'avis de notre rapporteur est défavorable sur ces crédits.

La réunion est close à 18 h 30.

Mercredi 17 novembre 2021

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Cohésion des territoires - Crédits « Politique de la ville » - Examen du rapport pour avis

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous débutons notre réunion par l'examen du rapport pour avis de Mme Viviane Artigalas sur les crédits du programme 147 « Politique de la Ville » de la mission « Cohésion des territoires. Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Madame la Présidente, mes chers collègues,

L'an passé, nous examinions le budget de la politique de la Ville dans la foulée de l'appel des maires du 14 novembre 2020. C'était la seconde fois du quinquennat que les maires des quartiers prioritaires de la politique de la Ville, les QPV, signaient un appel au Président de la République pour ne pas être oubliés et laissés à leurs difficultés. L'an passé, ces maires faisaient le constat de la grande détresse de leur population après la crise sanitaire et d'un décrochage de la communauté nationale. Ils demandaient à bénéficier d'au moins 1 % du plan de relance, soit 1 milliard d'euros.

Le Sénat et notre commission en particulier avaient voulu être à l'écoute de ces élus de terrain. Le Président Larcher avait reçu les porte-paroles du mouvement avec les sénateurs plus particulièrement investis sur ces questions et nous avions fait adopter un certain nombre d'amendements pour transcrire leurs demandes financières dans le budget de la mission « Plan de relance » et de la mission « Cohésion des territoires ».

À défaut que nos amendements aient été au final retenus par le Gouvernement, la mobilisation a été fructueuse puisque lors du Comité interministériel des villes du 29 janvier 2021, le Premier ministre a non seulement pris l'engagement de consacrer au moins 1 % du plan de relance aux quartiers prioritaires et d'abonder de 2 milliards d'euros le Nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU, mais aussi de piloter lui-même son application en réunissant régulièrement cette instance pour s'assurer de sa déclinaison territoriale.

C'est la raison pour laquelle, au-delà de l'examen des crédits du programme 147 pour 2022, j'ai eu à coeur de retourner à la rencontre de ces maires pour faire un point de situation. Je voulais voir si la relance était bien arrivée jusqu'à eux. Dans une époque où le zapping est roi et où ces quartiers servent le plus souvent de décor à des annonces ministérielles, ces visites sans caméra - comme nous en faisons tous - et cette méthode sénatoriale, faite d'écoute et de travail dans la durée au plus près des réalités, a été très appréciée.

Je vais donc, ce matin, commencer par vous présenter les crédits du programme puis vous rendre compte des sondages que j'ai réalisés sur l'application du plan de relance.

Je commence donc par l'examen des crédits.

Il faut tout d'abord avoir conscience que les crédits du programme 147, qui s'élèvent cette année à 558 millions d'euros et qui sont détaillés dans le « bleu » budgétaire, ne représentent qu'une toute petite partie de ce que l'État identifie comme relevant de la politique de la ville et qui est regroupé dans un document transversal dit « orange » et qui totalise, en 2022, 7 milliards d'euros. Encore, à ma surprise, ce document ne retranscrit pas la part du plan de relance dévolu aux QPV. Ainsi, les crédits du programme, spécifiques ou de pilotage, ne représentent que 6 à 7 % de l'ensemble des moyens identifiés.

En 2022, ces crédits augmentent de 45 millions d'euros, soit + 8,8 % en crédits de paiement comme en autorisation d'engagement.

Sur l'ensemble du quinquennat et par rapport à 2017, où ils s'élevaient à 429 millions d'euros, ces crédits ont quasiment été en hausse constante. Au final, il y a 129 millions d'euros de plus soit + 30 %.

Même si le rejet du rapport Borloo en 2018 est certainement l'une des graves erreurs politiques du quinquennat, on ne peut pas nier que, sur ce strict volet financier, le Gouvernement fasse preuve d'une certaine constance.

L'évolution positive en 2022 s'explique par deux mesures nouvelles :

- 31,5 millions d'euros viennent financer l'ouverture de 74 nouvelles cités éducatives pour atteindre l'objectif de 200 annoncé par le Premier ministre en janvier,

- et 16 millions d'euros pour financer en année pleine les « Bataillons de la prévention ». Il s'agit en réalité de 300 binômes constitués d'un éducateur spécialisé et d'un adulte-relais formé à la médiation, qui sont déployés dans 45 « Quartiers de reconquête républicaine ».

Ces deux ouvertures de crédits de 47,5 millions d'euros sont légèrement minorées par l'extinction progressive du dispositif des zones franches urbaines, soit une économie de 2,5 millions d'euros cette année.

Ce panorama financier positif doit cependant faire l'objet de quatre tempéraments concernant la contribution de l'État à l'ANRU, le financement des opérations « Quartiers d'été/Quartiers d'automne », la reconnaissance de la surcharge scolaire et les difficultés de déploiement des « Bataillons de la prévention ».

Mon premier regret est que l'État se dispense toujours de payer son écot au NPNRU. Au début du quinquennat, le Président de la République avait pris l'engagement de porter la part de l'État à 1 milliard et d'en payer 200 millions sur cinq ans. Preuve de cet engagement irrévocable, 185 millions d'autorisations d'engagement avaient même été inscrites au budget 2019 ! Mais à peine la première marche franchie, c'est-à-dire de porter les crédits de paiement de 15 à 25 millions, la détermination a manqué et ce sont désormais 15 millions d'euros qui sont versés chaque année. Au total, sur cinq ans, moins de 80 millions d'euros ont été versés par rapport aux 200 millions annoncés ! Les optimistes disent que c'est déjà très bien que l'État finance le NPNRU, d'autres que cela n'est pas nécessaire maintenant puisque l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, ne les dépenserait pas dans l'immédiat. Vous me permettrez de penser, dans la continuité de la position de notre commission depuis cinq ans, qu'il est bien peu probable que l'État verse 1 milliard demain alors qu'il n'a pas versé 200 millions hier et aujourd'hui. Nous le savons ce sont Action Logement et les bailleurs sociaux qui payeront in fine et c'est pour cela que je veux le dénoncer une nouvelle fois !

Mon deuxième regret porte sur la non-garantie du financement, en 2022, des programmes « Quartiers d'été/Quartiers d'automne ». Vous vous en souvenez, ces programmes ont été lancés après le confinement en complément des dispositifs de l'Éducation nationale visant à rattraper ou consolider les acquis pédagogiques pendant les congés d'été. Il s'agissait aussi d'ouvrir ces quartiers et ces jeunes sur l'extérieur et de lutter contre la relégation et l'oisiveté « mère de tous les vices » et de toutes les dérives. Les retours en sont extrêmement positifs. En 2021, près d'un million de jeunes et familles (un jeune sur deux, un habitant sur quatre) a été touché. Selon le ministère de la Ville, cela fait près de 20 ans que l'État n'a pas touché un tel nombre de bénéficiaires. Ce sont également 500 communes et 3 000 associations qui se sont mobilisées. Malgré cela, ces programmes rencontreraient une vraie résistance du ministère des Finances de telle sorte que les crédits ont été délégués très tard en 2021, en mai-juin pour juillet-août. Selon les informations qui m'ont été transmises, si le principe de la reconduction est normalement acquis, les moyens ne sont pas fléchés. Qu'en sera-t-il l'année prochaine avec les élections, quelle sera la visibilité des communes et des associations ? Oui, ce programme coûte cher, mais combien coûtent les dégradations ? Une compagnie de CRS dans un quartier c'est 40 000 euros par jour. Quelle société voulons-nous ?

Mon troisième regret, qui est également celui des maires des QPV, c'est la non-reconnaissance de la nécessité d'une dotation pour surcharge scolaire qui a été évaluée à 40 millions d'euros par an. La plupart des villes abritant des QPV sont des villes jeunes à la démographie dynamique. Elles ont beaucoup plus d'écoles que les autres. Grigny en est peut-être l'archétype. 45 % des habitants sont en dessous du seuil de pauvreté, 45 % ont moins de 25 ans. La natalité est celle d'une ville deux fois plus importante. 10 % de la population est sans titre de séjour. De ce fait, dans certains quartiers, le taux de scolarisation est supérieur à 100 % ! Sans être confrontée à une situation aussi difficile, la maire de Chanteloup-les-Vignes dont toutes les écoles et tous les collèges sont classés en Réseau d'éducation prioritaire, REP ou REP +, demande également que les charges spécifiques de ces communes soient reconnues. Je souhaite que ce dossier puisse avancer.

Enfin, ma dernière réserve porte sur le déploiement des « Bataillons de la prévention ». L'État semble s'être aperçu un peu tardivement que la prévention spécialisée était de la compétence des départements et que la médiation était assumée par les communes. Dans les Yvelines par exemple, 16 binômes ont été attribués à Trappes et aux Mureaux par l'État quelques jours après que le département avait déjà pris la même décision. De ce fait, il faut maintenant négocier avec l'État pour que les moyens puissent être déployés ailleurs. « Ce n'est pas de la communication que nous demandons, c'est de travailler sur les territoires ! » m'a dit Catherine Arenou. Réaction assez similaire à Grigny dont la ville est déjà dotée, même si un complément est bienvenu, et dont le maire Philippe Rio s'est étonné que les effectifs n'aient pas été attribués à des secteurs complètement dépourvus, pointant un manque de dialogue avec les territoires. « Entre les annonces et les réalisations, ce sont pourtant les maires qui assurent le dernier kilomètre » m'a-t-il indiqué. Par ailleurs, l'État finance des CDD de 18 mois. Comment organiser une action dans la durée dans ces conditions ? Le sujet est renvoyé aux prochains contrats de villes qui s'appliqueront en 2023...

Après vous avoir donné une vision générale des crédits du programme 147, je voudrais vous rendre compte de la mise en oeuvre du plan de relance.

Globalement, le Gouvernement affirme avoir tenu ses engagements et même être allé au-delà, 1,2 milliard d'euros étant d'ores et déjà fléchés vers les QPV. Dans les grandes masses, ce sont 436 millions d'euros pour la transition écologique, 393 millions pour la compétitivité et l'attractivité économique et 389 millions d'euros pour la cohésion sociale.

Ces grands chiffres ne disent finalement rien de la réalité sur les territoires. Dès l'an passé, certains d'entre nous avaient dénoncé le piège du 1 % dont l'État démontrerait nécessairement qu'il serait atteint. « Pourquoi vous plaignez-vous, vous l'avez déjà ! » entendait-on d'ailleurs après l'appel des maires !

C'est la raison pour laquelle, j'ai tenu à « soulever le capot » et à interroger les acteurs terrain. J'ai fait trois sondages l'un auprès des QPV de Tarbes et Lourdes dans mon département, les deux autres en me rendant chez Philippe Rio à Grigny et chez Catherine Arenou à Chanteloup-les-Vignes.

Même s'il y a quelques points d'attention, les retours sont très positifs.

Sur Tarbes et Lourdes où un inventaire complet m'a été présenté, ce sont par exemple 990 000 euros qui ont été mobilisés pour deux écoles, un collège et la rénovation d'un terrain de sport synthétique. Le remplacement du système de chauffage d'un collège représente à lui seul plus de 420 000 euros.

Sur ces mêmes quartiers, 1,2 million d'euros du fonds friches a été débloqué au profit de deux opérations pour créer des logements.

À Grigny, l'État a accepté de prendre en charge la rénovation TTC de Grigny 2, la plus grande copropriété dégradée de France, pour 24,5 millions d'euros. Les habitants dont le revenu moyen est inférieur à 9 000 euros par an ne pouvaient pas même prendre en charge la TVA. 2 millions d'euros ont également été débloqués pour réhabiliter une école maternelle.

À Chanteloup-les-Vignes, c'est le projet de construction de la cité éducative qui a pu décoller grâce à une enveloppe supplémentaire de 800 000 euros.

Ainsi, sans vous noyer sous les chiffres et les exemples, on peut constater que le plan de relance a apporté un vrai plus pour les communes concernées permettant de financer des projets en attente ou d'en faire émerger d'autres.

Par ailleurs, comme je l'ai indiqué, le Premier ministre a ouvert, le 29 janvier dernier, une seconde enveloppe de 2 milliards d'euros correspondant à une rallonge du NPNRU. Elle est financée par Action Logement à hauteur de 1,4 milliard, par les bailleurs sociaux (368 millions d'euros), par l'État (200 millions d'euros) et par des économies constatées lors de la clôture d'opérations du PNRU (32 millions d'euros).

Il ne s'agissait pas de faire un nouveau programme mais bien de donner des moyens supplémentaires pour enrichir les projets du NPNRU. Au 1er juillet, 38 QPV auraient déjà pu valider des compléments.

Sur ce volet aussi, l'avis des maires est très positif.

Catherine Arenou avec sa double casquette de maire et de conseillère départementale, a estimé que cela avait été « spectaculaire » et qu'elle avait « vu très vite la différence ». Des rénovations dans le quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie ont ainsi été validées en septembre. De même à La Verrière, il a été possible de valider un programme en un an. Elle a d'ailleurs rappelé qu'à Chanteloup-les-Vignes, l'essentiel de la cité de la Noé était déjà réhabilité et que cela avait été absolument décisif pour faire passer son taux de logement social de 82 % à 46 % et pour créer de la mixité et des parcours résidentiels pour les habitants qui le peuvent.

Même son de cloche à Grigny, 400 démolitions supplémentaires ont pu être validées à la Grande Borne, un quartier déjà à moitié rénové grâce au PNRU.

Sur ces deux sujets, le déploiement du plan de relance et du supplément du NPNRU, je voudrais formuler avec les équipes rencontrées, trois tempéraments sur le mécanisme des appels à projets, la pérennité des financements et sur l'impact sur la trajectoire des quartiers.

Ma première réserve porte sur le mécanisme des appels à projets. Ce mode de fonctionnement a deux défauts bien connus : la précarité des financements et l'inégalité des territoires. La précarité tout d'abord car rien n'est jamais acquis. Il faut sans cesse redemander pour telle ou telle opération. C'est également chronophage, sur Tarbes et Lourdes, on me donnait l'exemple où quatre associations avaient candidatées pour 9 000 € dans le cadre des « Jardins partagés ». De même, des associations locales n'avaient pas été retenues dans le cadre d'un appel à projet sur la culture, l'État semblant avoir favorisé des associations de plus grande dimension. Cette insécurité financière provoque une forme d'épuisement et empêche de se projeter dans l'avenir et il revient aux collectivités d'apporter de la stabilité et de garantir les projets structurants. À Grigny, où l'on est rodé à ce fonctionnement, la mairie s'organise pour répondre systématiquement et envisage de manière assez fataliste un système où « tous les gagnants ont tenté leur chance »... Il faut également que les territoires fassent preuve d'une grande réactivité, les appels à projets ne sont pas ouverts très longtemps, parfois très tardivement comme pour les Quartiers d'été dont les moyens ont été délégués en mai et juin mais bien évidemment par appels à projets !

Cela introduit une grande inégalité entre les territoires au bénéfice des mieux organisés, des plus mobilisés et des plus visibles dans une logique « 1er arrivé, 1er servi ». À Tarbes et Lourdes, c'est l'organisation sous la forme d'un groupement d'intérêt public, un GIP, qui permet au territoire d'attirer à lui des moyens. Selon les estimations de sa direction, cela aurait permis d'obtenir environ deux fois plus que si les attributions avaient été arithmétiques... Dans les Yvelines, c'est le rôle de la préfecture qui semble être déterminant. Très mobilisée et réactive, elle a multiplié les réunions d'information et de suivi et s'assure que les communes puissent répondre à tous les appels à projets dans tous les domaines. À Grigny, c'est plutôt la visibilité de la commune et des équipes très professionnelles qui permettent de tirer le meilleur parti du plan de relance.

Ma seconde observation est une inquiétude. Elle porte sur la pérennité des financements. Je l'ai déjà évoqué à propos des bataillons de la prévention, c'est particulièrement flagrant pour les conseillers numérique déployés dans les Maisons France services. Le plan de relance finance, pour 24,5 millions d'euros, 477 postes de conseillers numériques. À Tarbes et Lourdes, 470 000 € ont été attribués pour une dizaine de postes sur deux ans. L'action ne s'inscrit pas dans la durée. Il n'y a ni pilotage ni mise en réseau. Le constat des équipes du GIP, c'est que tout peut retomber s'il n'y a pas au final une prise en charge par les collectivités et les associations déjà implantées sur le territoire. À Chanteloup-les-Vignes, l'équipe municipale explique que, particulièrement dans le domaine sportif, les associations sont échaudées par la précédente suppression des contrats aidés. Elles hésitent à s'engager alors que, de petite taille, constituées essentiellement de bénévoles et fragilisées par la baisse des pratiquants en raison de la crise sanitaire, elles ne peuvent assumer un salarié si l'aide venait à se tarir. C'est donc la commune qui doit s'engager et apporter les garanties.

Enfin, se pose naturellement la question de l'impact du plan de relance sur la trajectoire des quartiers.

Le sentiment des équipes du GIP de Tarbes et Lourdes, c'est que le plan de relance est un outil technique utile qui vient consolider le travail de terrain mais il reste largement invisible des habitants qui ne perçoivent pas un changement net entre avant et après. En matière de développement économique et d'emplois, de nombreux jeunes intègrent les dispositifs proposés mais il n'y a aujourd'hui aucun recul sur leur impact.

À Grigny, le retour est un peu plus positif. Le mouvement impulsé est visible des habitants qui voient que « les choses avancent » même si là aussi toute une partie est invisible compte tenu des délais de mise en oeuvre par exemple à Grigny 2 ou les relogements avant démolition progressent à toute petite vitesse.

A contrario, ce sont les programmes « Quartiers d'été » et « Vacances apprenantes » qui ont provoqué l'effet le plus sensible, « des moments de retrouvailles extraordinaires » et un vrai progrès scolaire avec un nombre d'enfants en stages de remise à niveau multiplié par cinq ou la distribution de cahiers de vacances du CP à la 5e vécue par beaucoup comme une vraie chance !

À Chanteloup-les-Vignes, malgré les moyens du plan de relance qui devraient permettre de bâtir la cité éducative et de démolir un immeuble où se concentrent les trafics, le risque est permanent de voir se défaire ce qui a été construit avec beaucoup d'effort : la coopération avec la mosquée menacée de radicalisation, le suivi des jeunes qui quittent la commune pour le lycée, le maintien en bon état des biens publics face aux dégradations et à la volonté des trafiquants de reprendre le contrôle du territoire, ou encore l'attribution des logements à des ménages toujours plus en difficulté à la place de ceux qui ont été accompagnés par le Centre communal d'action sociale (CCAS) vers un parcours résidentiel ascendant.

On touche là une des difficultés fondamentales de la politique de la Ville qui doit empêcher que ces quartiers soient des ghettos fermés pour en faire des sas vers la République tout en ne parvenant pas à les normaliser et à les intégrer pleinement dans leurs villes de rattachement.

Pour conclure, malgré des limites et ses difficultés de mise en oeuvre que je vous ai détaillés, je constate un réel effort budgétaire sur le programme 147 et les retours de terrain sur la déclinaison locale du plan de relance et de l'enrichissement du NPNRU sont tout à fait encourageants.

Enfin, je crois, Madame la Présidente, que notre commission aura l'occasion l'année prochaine de réfléchir en profondeur à ces questions et au bilan de la politique de la ville dans la perspective des nouveaux contrats de ville.

Je vous remercie.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'approuve complètement le rapport qui vient d'être présenté mais je voudrais insister sur l'importance de la présence humaine sur le terrain à côté des programmes d'investissement comme le NPNRU, qui, je le regrette, est financé par Action Logement et non par l'Etat. La prévention, la médiation et l'éducation populaire sont essentielles. On ne peut pas tout demander à l'école publique. Il faut aider les familles qui ne peuvent pas mais parfois aussi ne veulent pas réaliser l'accompagnement scolaire de leurs enfants. Il faut aussi assumer une mission d'intégration républicaine. L'éducation populaire a disparu faute de moyens financiers. Aujourd'hui les centres de loisirs sont animés par des équipes originaires des quartiers. Il y a un risque d'entrisme et d'entre-soi. Les équipes de rue, formées et dotées de moyens pour agir avaient un véritable impact et ouvraient les jeunes sur l'extérieur. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il faudrait les rétablir.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Je m'interroge sur les raisons du différentiel entre les annonces de crédits, en termes d'autorisations d'engagement, et la réalité des crédits consommés. Il me semble que ce décalage est encore plus important en ce qui concerne les projets d'intérêt régionaux. On manque de visibilité même si, bien entendu, ces programmes s'inscrivent dans le temps long.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Je suis d'accord avec l'observation de Marie-Noëlle Lienemann et le besoin de moyens humains. Que faire avec des contrats de 18 mois ? Ce sont les communes qui devront au final les prendre en charge. C'est pourquoi je crois qu'il nous faudra être très attentifs aux futurs contrats de ville. Il nous faut aussi chercher les solutions dans et en dehors de l'école. Nous avons besoin de l'engagement d'associations laïques.

Concernant la mise en oeuvre du NPNRU, je crois que la RLS a fait beaucoup de dégâts. A Lourdes, dans mon département, ni le bailleur social ni la ville n'ont plus les moyens de mener à bien le projet de rénovation urbaine. La rallonge du NPNRU a été bénéfique mais au profit des plus pro-actifs. Il y a des inégalités entre les territoires, par exemple entre les Yvelines et la Sarthe comme me l'a indiqué Catherine Arenou.

M. Michel Bonnus. - Dans ces quartiers, l'école n'est pas la seule solution. Il faut impliquer tous les acteurs et notamment la police et la justice. Il faut une vraie aide à la parentalité. La continuité de l'action publique et l'engagement humain sont nécessaires si on ne veut pas que la mixité recule.

Mme Sophie Primas, présidente. - Effectivement, l'implication de tous est la clé. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) fonctionnaient bien et permettaient de fédérer tous les acteurs.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure pour avis. - Il faut saluer les élus qui sont les fédérateurs de ces actions sans avoir toujours le soutien de l'Etat ou les aides. L'exemple des commerces est significatif. A Grigny, le maire a fait tout le nécessaire pour l'implantation d'une grande surface alimentaire car il n'y en a pas. La situation a été particulièrement difficile pendant le confinement. Et pourtant, aujourd'hui, il fait face à un recours en justice sur ce projet par un concurrent.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je souhaite aussi souligner les problèmes posés par les attributions de logement. Dans bien des cas, ces communes ne peuvent éviter que le communautarisme et la pauvreté se renforcent par l'arrivée de nouveaux locataires.

Je rappelle que nous voterons sur ces crédits après avoir examiné l'ensemble des missions.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Plan de relance » - Examen du rapport pour avis

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Je suis très heureuse, pour la deuxième année consécutive, de présenter l'avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Plan de relance ».

D'abord, il faut resituer le contexte pour comprendre de quoi nous parlons. Le plan France Relance, c'est sur le papier 100 milliards d'euros et, pour ce qui nous concerne plus directement, 40 milliards budgétés sur la mission « Plan de relance », contre 60 milliards passant par d'autres canaux que le budget.

Concernant la mission « Plan de relance », je suis bien consciente d'être en CDD de deux ans, car cette mission est temporaire et vouée à disparaître !

Seulement 1,2 milliards d'autorisations d'engagement sont demandées sur la mission pour 2022 (après 36 milliards l'an passé). Cet exercice budgétaire n'est donc que la « queue de comète » du plan de relance, ajoutant 0,6 milliard d'euros au programme « Cohésion », 0,5 milliard d'euros au programme « Compétitivité » et 0,1 milliard d'euros au programme « Écologie », sans toucher l'enveloppe globale, et sans impact significatif attendu sur l'activité économique.

Ce PLF 2022 est toutefois l'occasion de revenir sur les deux objectifs fixés par le Gouvernement. Le premier, c'était un déploiement rapide des crédits à court terme, et c'est plutôt réussi ; le second, c'était une transformation à moyen et long terme de l'économie, et là, c'est beaucoup plus décevant.

Je commence par le déploiement des crédits à court terme.

L'objectif maintes fois rappelé par le Gouvernement d'un engagement de 70 milliards d'euros de France Relance d'ici la fin de l'année 2021 semble en passe d'être atteint. Les crédits de paiement continueront, c'est logique, de s'échelonner au fur et à mesure de la réalisation des opérations financées, mais le décaissement s'effectue à un rythme rapide. De ce point de vue, c'est plutôt un succès.

Comme beaucoup d'entre vous je suis aussi élue locale - à la région Île-de-France. Aussi, j'ai voulu prêter une attention particulière au déploiement territorial du plan de relance. C'était l'une des faiblesses identifiées l'an dernier.

Le Premier ministre en avait fait une priorité, avec sa circulaire du 23 octobre 2020, qui instaurait des « comités régionaux de pilotage et de suivi », associant l'ensemble des parties prenantes. Ils se sont réunis chaque mois sans exception, vous avez pu le constater.

Les sous-préfets à la relance ont joué un rôle précieux, pour faire connaître les aides et orienter les entreprises et les collectivités vers les dispositifs adéquats, recenser les difficultés en continu et adapter l'action publique à la nature évolutive de la crise. Ils ont eu pour rôle la bonne vascularisation des crédits sur les territoires, en présentant « le bon dispositif, au bon moment, au bon interlocuteur ».

J'ai deux points d'alerte néanmoins sur la territorialisation.

D'abord sur l'ancrage territorial insuffisant de certains opérateurs de l'État, n'ayant parfois au mieux que des délégués régionaux ou interdépartementaux. Leur distance a pu ralentir la circulation des informations et freiner le recours à certains dispositifs, dans un contexte où les appels à projet nécessitaient au contraire une mobilisation rapide. La territorialisation a une nouvelle fois démontré son intérêt pour irriguer le tissu économique local : elle ne doit pas s'arrêter aux opérateurs dont la multiplication cache parfois une centralisation.

Ensuite, et notre collègue Micheline Jacques aura l'occasion d'en parler plus longuement tout à l'heure, la déclinaison du plan de relance dans les outre-mer a connu quelques difficultés.

Malgré ces deux écueils, la territorialisation a aussi permis au plan de relance d'être bien accueilli par les entreprises.

Les fédérations d'entreprises ont souligné l'utilité des mesures d'urgence et de relance, qui ont permis de préserver le tissu économique et social des faillites et destructions d'emplois. Les organisations professionnelles ont perçu dans le plan de relance un effort de remise à niveau, de rattrapage des sous-investissements des dernières années.

L'accès des TPE et PME aux dispositifs du plan France relance a fait l'objet d'une attention particulière de l'administration dès la conception des aides. Une complémentarité dans le ciblage des aides a en effet été recherchée avec, en parallèle d'appels à projets transversaux visant l'ensemble des entreprises, des dispositifs d'accompagnement ou de guichet unique visant les TPE et PME. Des données encore partielles sur certaines aides font apparaître que 70 % des bénéficiaires d'aides auraient été des TPE et PME. La médiatisation importante de France relance semble avoir permis d'atteindre de nouveaux publics plus efficacement que le maquis d'aides publiques nombreuses mais souvent méconnues qui existaient auparavant.

En revanche, il ne faut pas oublier que la Banque de France a recensé à peine 30 000 faillites sur un an glissant en septembre 2021, soit deux fois moins que pour une année normale. Les craintes d'un « mur des faillites » ne semblent donc pas infondées. Bpifrance se veut rassurant sur la trésorerie des PME et la capacité de 95 % d'entre elles à rembourser les prêts garantis par l'État, mais à ce stade l'État n'a pas encore « débranché » les aides.

J'en viens à l'effet à moyen et long terme du plan de relance, et mes observations seront là plus critiques. Car c'est la principale faiblesse de France Relance, pointée par le comité Coeuré d'évaluation du plan de relance, entendu au tout début de nos travaux. À mon sens, ce plan laisse filer la dette sans engager une réelle transformation de notre modèle économique.

En comparant les différents plans de relance européens, on s'aperçoit que plus les montants sont élevés, plus les crédits sont dispersés en un grand nombre de mesures disparates. Mais la France fait un peu exception à la règle.

En effet, en France, la part du plan de relance dans la richesse nationale est comparable à celle de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, soit de l'ordre de 4 % du PIB. C'est plutôt dans la fourchette basse.

Pourtant, le profil de dépenses de la France la range plutôt dans la catégorie des plans de relance dépensiers, comme l'Espagne ou l'Italie que dans celle d'une relance frugale, comme en Allemagne.

J'y vois l'une des raisons de l'inefficience du plan de relance français : la conjonction d'un montant limité et d'une dispersion maximale. La dispersion, en somme.

Contrairement à ce qu'avance le Gouvernement, l'effort de ciblage sectoriel et géographique des mesures n'a pas été suffisant lors de la conception des mesures. La géographie de la crise, mise en évidence par France Stratégie, était très différente de la cartographie classique des difficultés économiques.

En fait, la recherche d'un effet d'entraînement a été quelque peu perdue de vue. Le plan a ressemblé à une session de rattrapage pour arbitrages budgétaires perdus. Résultat : un inventaire à la Prévert de mesures souhaitables mais qui ne sont pas de la relance, par exemple la restauration de cathédrales pour 80 millions d'euros, le soutien aux refuges pour animaux pour 15 millions d'euros.

Le Gouvernement anticipe une baisse de l'endettement public en 2021, grâce aux recettes fiscales de la reprise. C'est vrai, mais il n'en reste pas moins que depuis l'annonce du plan de relance, la dette a augmenté en valeur absolue de 92 milliards d'euros soit à peu près le montant du plan de relance.

La conséquence du décaissement rapide des crédits, c'est que l'exigence de qualité des investissements n'a pas été érigée en priorité de la gouvernance de France Relance.

Un exemple frappant a trait à la dimension écologique du plan de relance. D'abord, le rapport du comité d'évaluation souligne que les aides à la rénovation thermique des bâtiments publics et privés ont financé pour la grande majorité des rénovations « monogestes », alors que les experts s'accordent sur l'intérêt de rénovations globales, plus performante en gains énergétiques. J'ai envie de dire qu'on n'est pas loin d'avoir jeté l'argent par les fenêtres !

Ensuite, seulement 3 % du fonds pour l'aéronautique et 30 % du fonds pour l'automobile contribuent à la transition vers la mobilité verte, c'est-à-dire les véhicules électriques ou à l'hydrogène. Tous ces crédits sont pourtant rangés dans le programme « Écologie ». Cherchez l'erreur !

Avec un grand nombre de dossiers traités en un temps réduit, les moyens humains et financiers ne permettaient pas de procéder à une instruction approfondie. Bpifrance rappelle par exemple que pour les crédits qui la concernaient, la sélectivité des projets de France Relance était nettement inférieure à celle des Programmes d'investissements d'avenir (PIA).

En confondant vitesse et précipitation, cette approche comporte au moins trois effets contreproductifs : elle empêche la constitution de filières performantes, la montée en gamme et l'émergence de savoir-faire ; elle peut freiner les investissements ultérieurs pour des raisons financières, car ces premiers investissements mettront du temps avant d'être amortis ; elle peut enfermer dans des choix technologiques non efficients.

Un autre enjeu majeur pour la compétitivité de nos entreprises, la numérisation, n'a pas été assez appuyée. Au total, en comparaison européenne, les montants pour la « mise à niveau numérique des entreprises » sont sous-dimensionnés. Parmi les fonds européens du plan de relance, 21 % sont consacrés à la numérisation en France, contre 52 % en Allemagne. Mais on nous répond que nous sommes en avance... CCI France et France Num ont réalisé un audit de la maturité numérique des commerces, et notamment de leur chaîne logistique, qui a au contraire été jugée très moyenne.

À cet égard, le chèque numérique de 500 euros à destination des entreprises semble bien faible et, surtout, son caractère ponctuel ne permet pas un accompagnement sur la durée de la numérisation des entreprises. Le dispositif « IA Booster » porté par Bpifrance, qui visait un public d'entreprises plus matures, n'a pas été maintenu alors qu'il constituait un gisement de productivité intéressant.

L'enseignement de tout cela, c'est que la transition écologique et la transformation numérique exigeront des montants d'investissements supérieurs à ce plan de relance mais, sans nul doute, mieux ciblés.

Dans le contexte nouveau d'après-crise, certaines conditions institutionnelles devront toutefois être réunies, et cela appelle peut-être à des aménagements des règles budgétaires pour sanctuariser les dépenses vertes, si elles sont strictement conditionnées, ou une révision plus durable des règles de minimis en matière d'aides d'État pour favoriser l'émergence de champions industriels.

Mais au-delà de subventions ponctuelles, ou de la baisse des impôts de production, les entreprises expriment le besoin d'une remise à plat complètes des aides, y compris fiscales, afin d'améliorer de façon durable le socle de production. C'est peut-être là un chantier pour la délégation aux entreprises, présidée par Serge Babary que je salue.

M. Daniel Gremillet. - Je voudrais féliciter notre rapporteure pour son travail et la grande clarté de son intervention.

Un point d'attention sur le plan de relance : il y a d'un côté les heureux élus et de l'autre ceux qui n'en bénéficient pas. Il en résulte une distorsion territoriale de compétitivité, que je constate notamment dans le Grand Est. Les collectivités, en particulier les régions, n'ont pas la dynamique financière ou les moyens d'apporter des sommes à la hauteur du plan de relance.

Mme Viviane Artigalas. - Cette inégalité territoriale a été signalée à l'occasion de la table ronde qui s'est tenue lundi matin à la Mutualité au sujet du plan de relance en outre-mer. La logique de l'appel à projets conduit à une inégalité territoriale dans la répartition des fonds.

M. Fabien Gay. - Je partage le constat au sujet des inégalités territoriales. Le problème de ce plan de relance à plusieurs milliards d'euros est qu'il finance au coup par coup des projets, sans vision stratégique des priorités en termes d'investissement. En l'absence de fil conducteur, que va-t-il rester du plan de relance pour des grandes filières qui nous apparaissent comme stratégiques et n'auront pas bénéficié des financements du plan de relance pour leur éventuelle relocalisation ? La crise du Covid a montré que nous manquions d'une souveraineté française ou européenne dans un certain nombre de domaines. Aucun débat au Parlement n'a eu lieu en vue d'identifier ce qui méritait d'être considéré comme stratégique.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Il y a des régions qui ont emboîté le pas du plan de relance. Cela n'a pas été le cas partout, ce qui explique le ressenti de certains territoires.

S'agissant de la question de Fabien Gay, je pense qu'elle doit être posée à Bruno Le Maire, car avec France Relance nous avons confondu vitesse et précipitation ce qui a conduit à un saupoudrage. Le plan France 2030 est lui très ambitieux, mais les récentes annonces méritent des précisions.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous aurons en effet besoin d'éclaircissements sur les investissements qui sont réalisés aujourd'hui d'un point de vue économique, selon leur provenance.

Projet de loi de finances pour 2022 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport pour avis

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis. - L'an dernier, j'avais poussé un cri d'alarme sur la crise que traverse le tissu économique et social ultramarin. Je le réitère cette année, et j'espère qu'il trouvera un écho renforcé.

Le rebond que connaît l'hexagone en 2021 a été perturbé dans les outre-mer par de nouvelles mesures sanitaires, en août et septembre. En fait, les outre-mer ont cumulé trois handicaps dans la crise. Primo, un historique de la crise en décalage par rapport à l'hexagone. Deuxio, l'éloignement et, bien souvent, l'insularité, ont joué contre les territoires une fois la crise déclarée. Tertio, une composition sectorielle spécifique des territoires ultramarins, qui les rend pour la plupart particulièrement exposés.

Je voudrais m'arrêter un peu sur le tourisme, qui revêt une importance cruciale pour les outre-mer. Son poids peut monter jusqu'à 10 % d'emplois directs et autant d'emplois indirects. Il exerce un fort effet d'entraînement sur d'autres secteurs, comme les transports, la restauration, les loisirs. Mais il est tributaire, et parfois de façon exclusive, du transport aérien, mis à mal pendant la crise.

Dans ce contexte, les mesures d'urgence et de relance ont pris une importance particulière, parce qu'elles devaient permettre d'éviter des destructions d'entreprises et d'emplois.

Mais s'agissant de l'urgence, le déploiement du fonds de solidarité a été freiné, pour une raison principale. Pour qu'une entreprise bénéficie du fonds de solidarité en août et en septembre 2021, il fallait qu'elle en ait déjà bénéficié en avril ou mai 2021, afin d'éviter les effets d'aubaine. Or, à cette date, la crise sanitaire et économique avait relativement épargné les territoires ultramarins. Un décret du mois dernier a étendu les dates, mais il faudrait carrément supprimer ce critère du bénéfice antérieur.

Concernant maintenant la relance, elle est sous-dimensionnée et insuffisamment adaptée à la réalité des outre-mer. Les 1,5 % de France Relance spécifiquement fléchés vers les outre-mer sont bien faibles rapportés à la part de la population ultramarine dans la population totale de la France (4 %). D'autant plus que les outre-mer comptent plusieurs vulnérabilités qui plaideraient au contraire pour des aides par tête supérieures à la moyenne. Et sans compter le déficit d'ingénierie des collectivités ultramarines, qui a freiné les candidatures aux appels à projets. La mission budgétaire « Outre-mer », à proprement parler, c'est 2,5 milliards d'euros seulement sur 20 milliards d'argent public qui vont chaque année aux outre-mer.

Cette mission outre-mer est le reflet de la situation économique de l'outre-mer : quand l'activité baisse, elle baisse ; et quand l'activité repart, elle repart. L'an dernier, la situation a été dramatique : en conséquence, pour la première fois depuis de nombreuses années, les crédits de la mission reculent par rapport à l'année précédente. C'est la double peine !

La diminution est due à la baisse d'activité économique, qui a entraîné mécaniquement un recul des exonérations de cotisations sociales patronales. Ces compensations représentant plus de la moitié des crédits de la mission « Outre-mer », leur baisse suffit à elle seule à expliquer la baisse des crédits totaux de la mission, de 73 millions d'euros. En matière de logement, en tant que co-auteure du rapport de la délégation aux outre-mer préconisant notamment une territorialisation de cette politique, je veux commencer par une bonne nouvelle : le ministère des outre-mer a annoncé le mois dernier reprendre plusieurs de nos propositions pour les intégrer à mi-parcours au PLOM, le plan logement outre-mer. C'est le signe que nos travaux sont entendus et reconnus.

Et heureusement ! Car en matière de logement, les outre-mer font face à des problématiques différentes de celles de l'hexagone, et différentes d'un territoire à l'autre. Dans les Antilles, la démographie est vieillissante, et l'enjeu réside essentiellement dans la réhabilitation de centres-villes en dévitalisation. À Mayotte et en Guyane, la démographie dynamique et la prévalence du mal-logement, nécessitent au contraire d'accentuer l'effort de construction.

Une mesure retenue par le Gouvernement qui me tient particulièrement à coeur est la création de commissions locales de normalisation, pour accréditer des matériaux et techniques localement, sans passer par l'hexagone, comme la Nouvelle-Calédonie le fait avec la Nouvelle-Zélande en matière de normes sismiques. C'est un facteur d'économies !

Dans ce budget logement, on note des efforts, mais ces efforts doivent être poursuivis pour être à la hauteur de la forte demande. 70 % de la population ultramarine est éligible au logement très social (contre environ 30 % dans l'hexagone). Dans une recherche d'équilibre territorial, il faut aussi produire du logement « intermédiaire », via l'accession à la propriété, et traiter la problématique du mal-logement et de l'habitat indigne, qui concerne plus d'un logement sur dix. Vaste chantier !

Le PLF pour 2022 propose d'augmenter la ligne budgétaire unique, c'est-à-dire le logement outre-mer, pour atteindre 200 millions d'euros. La consommation des crédits votés, très alarmante ces dernières années, s'est aussi améliorée. La sous-consommation est un problème chronique de la mission « Outre-mer », lié à un déficit d'ingénierie des collectivités et de l'État, et à une conception trop « descendante » des politiques publiques.

L'augmentation de la ligne budgétaire unique (LBU) est bienvenue, mais rappelons qu'elle est toujours en deçà de son niveau de 2010, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy. D'autant que l'envolée des prix des matières premières et des matériaux de construction, absorbe une bonne partie de la hausse des crédits. En conséquence, le montant de LBU engagé pour chaque logement social est sous-estimé par l'État, ce qui réduit le nombre de logements financés.

Sur le terrain, la construction de logements sociaux a poursuivi son recul, entamé avant la crise sanitaire et économique, avec seulement 4 200 logements sociaux financés en 2020, loin des objectifs fixés. En revanche, l'accent est mis par le fonds friche sur la réhabilitation du parc ancien, qui était appelée de ses voeux par le Sénat.

Il faut inscrire la politique du logement plus largement dans une politique d'aménagement foncier et d'équipement. Car à quoi sert de produire des logements si le foncier n'est pas viabilisé, si les travaux de voirie, d'assainissement et de raccordement ne permettent pas d'y habiter ?

À cet égard, je tiens à saluer l'action positive des fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (FRAFU), cofinancés par la LBU, l'Union européenne et les régions.

Un point d'alerte subsiste en revanche sur l'abondement du fonds exceptionnel d'investissement (FEI), dont les crédits de paiement sont loin d'être à la hauteur des engagements.

Je ne conclurai pas sans une note d'espoir plus généralement pour les outre-mer : je pense que d'ici 2030, ils peuvent démontrer qu'ils sont des territoires d'innovation et de production, au-delà de l'image de carte postale qui leur est parfois attachée.

Un exemple peut être donné avec les sargasses, qui polluent depuis 2011 les « côtes au vent », exposées au vent d'est, des Antilles, en particulier à la Guadeloupe, avec des répercussions négatives pour le tourisme et la pêche. Après un « plan sargasses » de 10 millions d'euros cofinancé par le ministère de la transition écologique en 2018, l'État prévoit pour 2022, 2,5 millions d'euros supplémentaires de crédits pour financer le « plan sargasses II », afin d'aider les collectivités dans le ramassage de ces algues. C'est bienvenu, mais une approche moins attentiste consisterait à anticiper davantage les échouages par des moyens satellitaires, à capter les sargasses en mer, et à développer la valorisation des sargasses, qui peuvent servir d'engrais ou de matériau pour fabriquer des produits plastiques.

Il ne s'agit là bien sûr que d'un exemple parmi d'autres. Les outre-mer ont un potentiel évident pour devenir des laboratoires dans la recherche de résilience accrue des territoires face aux effets du changement climatique. Et ces solutions seront ensuite transposables dans l'hexagone.

Mme Sophie Primas, présidente. - Compte tenu des débats en cours sur le vote de la 1ère partie de la loi de finances, je vous propose de repousser le vote sur ces crédits à la fin de l'examen de l'ensemble des missions.

Proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes - Examen des amendements au texte de la commission mixte paritaire

Mme Sophie Primas, présidente. - Le Gouvernement a déposé cinq amendements sur le texte issu de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes. Notre rapporteure Anne Chain-Larché vous propose de donner un avis favorable à ces amendements de coordination juridique.

Article 2 bis C

La commission émet un avis favorable aux amendements 3 et 4.

Article 3

La commission émet un avis favorable à l'amendement 5.

Article 12

La commission émet un avis favorable à l'amendement 1.

Article 14

La commission émet un avis favorable à l'amendement 2.

Les avis de la commission sur les amendements sont repris dans le tableau ci-après :

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

Article 2 bis C

Le Gouvernement

3

Coordination juridique

Favorable

Le Gouvernement

4

Coordination juridique

Favorable

Article 3

Le Gouvernement

5

Coordination juridique

Favorable

Article 12

Le Gouvernement

1

Amendement de coordination juridique

Favorable

Article 14

Le Gouvernement

2

Amendement de coordination juridique

Favorable

Proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires - Désignation des candidats pour la commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Sophie Primas, M. Olivier Rietmann, M. Laurent Duplomb, Mme Françoise Férat, M. Jean-Jacques Michau, M. Christian Redon-Sarrazy et M. Bernard Buis comme membres titulaires et de Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, M. Daniel Gremillet, M. Pierre Louault, M. Rémi Cardon, M. Henri Cabanel et M. Fabien Gay comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Proposition de nomination aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale de rénovation urbaine en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation d'un rapporteur

Mme Sophie Primas, présidente. - Par courrier en date du 28 octobre dernier, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le Président du Sénat le souhait de M. le Président de la République de nommer Mme Anne-Claire Mialot aux fonctions de directrice générale de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine.

Cette décision est soumise à l'avis préalable des commissions des affaires économiques des deux assemblées. Nous entendrons Mme Mialot mercredi 8 décembre à 11 h 30. Je vous rappelle qu'en application de l'article 3 de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, les délégations de vote ne seront pas autorisées.

La candidate sera entendue le même jour, mercredi 8 décembre à 9 h 30 à l'Assemblée nationale, avant que nous ne procédions au dépouillement simultané du scrutin à l'issue de notre propre audition.

En application du paragraphe 2 de l'article 19 bis du Règlement du Sénat, tel qu'il résulte des modifications adoptées en juillet dernier par notre assemblée, « lorsqu'elle est consultée selon la procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution, la commission désigne un rapporteur chargé de préparer l'audition ».

Je vous propose donc la candidature de notre collègue Mme Viviane Artigalas pour être rapporteure de cette audition article 13.

La commission désigne Mme Viviane Artigalas rapporteure sur la proposition de nomination aux fonctions de directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, en application de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. 

La réunion est close à 12 h 15.

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, comme chaque année, notre commission est saisie pour avis des crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances (PLF) pour 2022. Et, pour la deuxième année consécutive, elle est aussi saisie des crédits de la mission « Plan de relance ». Il s'agit du dernier PLF du quinquennat, un exercice budgétaire toujours particulier, qui tient à la fois du bilan parce qu'il résulte des précédents PLF - notamment en matière de dette -, et de la promesse. Des promesses oserais-je dire, car le Gouvernement n'en est naturellement pas avare en cette période électorale.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, monsieur le ministre, je souhaiterais faire une digression, et vous remercier de bien vouloir consacrer du temps à cette chambre qui vous voit si peu. Il est vrai que dans votre dernier livre, Un éternel soleil, on peut lire que vous considérez que nous, sénateurs, sommes trop nombreux à vous contrôler, à vous interroger, et que notre pouvoir parlementaire devrait être limité en matière budgétaire à de simples observations et à une approbation sans droit d'amendement. Vous proposez même de mettre fin au « principe de double examen des lois par l'Assemblée nationale et le Sénat ».

Vous comprendrez que cette attaque du bicamérisme, bien que médiatique, soit fraîchement accueillie dans cette assemblée. Il est vrai que rester entre vous au sein d'une majorité qui vous est acquise serait sans doute plus confortable que de devoir débattre devant une assemblée libre de son point de vue. Ici, nous représentons tous les territoires de France et les sénateurs, étant au plus près du terrain, apportent au débat législatif un point de vue indépendant, un regard ancré dans le quotidien des Français, une vision alimentée par des années d'expérience en tant qu'élus locaux. Nous avons la faiblesse de penser que cet apport améliore la qualité des textes issus du Parlement, et ce, quelle que soit la configuration entre majorité présidentielle et majorité sénatoriale.

Vous le savez, monsieur le ministre, sous notre République, le Parlement ce sont deux chambres, une navette, des débats. Lors des premiers mois de la crise de la covid, nous avons encore prouvé que nous savons être constructifs, que nous savons débattre dans des délais très courts, et trouver des solutions transpartisanes et concrètes. Tout cela prend du temps, mais c'est utile, notamment au bon fonctionnement de ce qu'on appelle « la démocratie ».

Sur de nombreux points, comme la crise des gilets jaunes, la crise du logement ou les conséquences du confinement, cette assemblée a su anticiper la réaction de nos compatriotes. À nous ignorer, à ne pas écouter vos contradicteurs, à juger nos propos inutiles, vous pensez gagner du temps, mais vous en perdez. Vous croyez gagner en rapidité, mais vous perdez en efficacité. C'est dire, monsieur le ministre, si je vous remercie de votre présence et de l'immense effort que vous faites donc aujourd'hui.

Cette audition sera certainement l'occasion de dresser un bilan de la politique économique menée lors du quinquennat écoulé. À ce titre, et au regard de votre longévité à Bercy qu'il faut dire impressionnante, quel regard rétrospectif portez-vous sur ces cinq années ?

Je vais peut-être vous surprendre, monsieur le ministre, mais s'agissant du plan de relance, je voudrais commencer par un satisfecit. Il faut en effet se féliciter des investissements prévus par le plan France Relance à hauteur de 100 milliards d'euros, soit 4 % du PIB, presque le niveau moyen des plans de relance de la zone euro, situé à 5,5 %. Il faut aussi se féliciter du déploiement de ce plan, presque aussi rapide qu'en Allemagne. Enfin, il faut se féliciter d'une croissance économique estimée à 6,75 % pour 2021, presque similaire à celle du Royaume-Uni. En somme, ce plan de relance est presque un succès !

Cependant, ce succès n'est pas complet. Le comité de suivi et d'évaluation des mesures de soutien aux entreprises, présidé par Benoît Coeuré, a jugé que l'effet à court terme de ce plan était sans doute positif pour relancer le moteur. La reprise et même certaines tensions inflationnistes le confirment. En revanche, s'il est trop tôt pour juger, le comité Coeuré se montre beaucoup plus circonspect sur l'effet à moyen terme du plan de relance, quant à sa capacité à transformer en profondeur notre modèle économique. Un seul exemple : en matière de rénovation thermique des bâtiments, le plan a essentiellement financé des rénovations monogestes, dont nous savons qu'elles ne sont pas les plus efficientes en gain d'énergie. Ainsi, la qualité des investissements et leur contribution aux transitions numérique et écologique restent sans doute à ajuster. Vous l'assumez d'ailleurs pour partie, en affirmant qu'il fallait d'abord se soucier de relancer le moteur. Cependant, certains estiment que le moteur tourne, mais à vide, et que l'on ne voit plus très bien dans quelle direction il nous propulse. Il est vrai que si ce plan laisse filer la dette sans résultat probant à moyen terme, et qu'il compromet notre capacité à mener dans les prochaines années des investissements efficients, dans les infrastructures par exemple, alors nous aurons perdu sur les deux tableaux. Vous nous expliquerez sans doute en quoi cette analyse manque de justesse.

Vous avez commencé le quinquennat en tant que chantre de la « start-up nation », et vous le finissez en promoteur de la réindustrialisation. Ce gouvernement a mis à l'arrêt la centrale nucléaire de Fessenheim, et voilà que vous annoncez la construction de nouveaux réacteurs EPR. Vos premières mesures ont consisté en une réforme avantageuse de la fiscalité du capital, et vous terminez en distribuant des chèques pour le pouvoir d'achat face à la hausse des prix de l'énergie. C'est sans doute l'effet du « en même temps » et des circonstances, mais je serais heureuse que vous nous expliquiez le fil conducteur de ces mesures, qui pourraient paraître contradictoires.

Votre réponse nous importe, monsieur le ministre, car nous avons le sentiment que nous prenons du retard par rapport à nos voisins allemands, dans le redressement de nos comptes publics, comme dans celui du commerce extérieur, pour lequel les progrès sont très réduits, et ce phénomène ne cesse de nous préoccuper. En juillet, le déficit commercial français s'est de nouveau creusé, pour atteindre presque 7 milliards d'euros sur un mois, et près de 68 milliards d'euros sur l'année. Ces résultats confirment que le déficit commercial français de l'année 2021 représentera vraisemblablement un triste record. À titre de comparaison, l'Allemagne a dégagé un excédent commercial de presque 18 milliards d'euros en juillet 2021, soit un excédent de près de 216 milliards d'euros sur les douze derniers mois. Nous en ferions des choses, avec 216 milliards d'euros !

Cette situation a des conséquences économiques, des conséquences pour l'emploi, notamment industriel, mais également pour notre autonomie. La crise économique liée à la pandémie a souligné nos vulnérabilités quant aux produits critiques, et l'autonomie stratégique est devenue une priorité partagée. La France abordera-t-elle 2022, monsieur le ministre, avec une économie plus autonome stratégiquement qu'en 2017 ?

M. Serge Babary, rapporteur pour avis de la mission « Économie ». - Monsieur le ministre, le 30 août dernier, le Gouvernement a reconnu l'importance de soutenir la filière de l'événementiel et a déclaré qu'un plan d'action spécifique serait élaboré. Début octobre, il a évoqué que les consultations se poursuivaient pour définir les mesures de soutien. Or, fin novembre, rien n'est encore acté. Certains dispositifs pourraient néanmoins avoir besoin d'un vote du Parlement pour trouver leur plein effet dès le 1er janvier 2022. Aujourd'hui, alors que le PLF est examiné par le Sénat, les acteurs de l'événementiel restent dans l'incertitude. Il est pourtant indispensable que cette filière puisse bénéficier d'un plan de relance dès maintenant, sachant que le début de l'année 2022 est déjà impacté par la fragilité des entreprises clientes, l'absence programmée de clientèle internationale, et la reprise de l'épidémie en Europe. Il y a donc urgence à annoncer rapidement les mesures qui inciteront les entreprises à réutiliser ces outils à fort effet de levier que sont les salons, congrès, foires et événements d'entreprise.

Ma seconde question porte sur le développement du commerce de centre-ville et à sa redynamisation. Il y a un an, le financement d'une centaine de foncières était annoncé, pour racheter environ 6 000 locaux vacants, les rénover et les louer à un tarif abordable. Parallèlement, un fonds de 60 millions d'euros était créé pour prendre en charge les déficits naissant naturellement de ce type de schémas. Or, d'après les informations transmises, cette enveloppe pourrait être épuisée bien avant que son objectif ne soit atteint. Envisagez-vous d'abonder à nouveau cette enveloppe ou avez-vous choisi de réviser l'ambition à la baisse ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, je vous propose de nous adresser votre propos liminaire, et de répondre ensuite à ces premières questions.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance. - Madame la présidente, je voudrais d'abord répondre à votre interpellation, même si nous ne sommes pas ici en commission des lois. Je voudrais dire très clairement que je ne fais aucun effort en venant au Sénat. J'y viens depuis que je suis élu à l'Assemblée nationale, soit depuis près de quinze ans, j'y viens avec plaisir, et c'est toujours un honneur d'être entendu par les sénateurs. J'ai d'ailleurs toujours considéré que les sénateurs et leur avis étaient utiles, et que vous aviez une compréhension très fine des attentes des Français. Le Sénat est à ce titre un bon sismographe de la société française et je l'apprécie comme ministre, et comme élu de l'Assemblée. Cependant, je confirme avoir la conviction profonde, depuis plusieurs années, qu'il faut rééquilibrer le partage des responsabilités entre Sénat et Assemblée nationale, et revoir notre procédure législative. Ce n'est pas notre propos d'aujourd'hui, mais comme je n'ai pas l'habitude de mettre mes convictions dans les poches, je ne voudrais pas qu'on lise comme une insulte ce qui relève simplement de la conviction profonde. Et je n'ai pas sur ce sujet la prétention de l'originalité, puisque le général de Gaulle lui-même affirmait qu'il était temps de rénover le Sénat ; c'est une absolue nécessité. Je ne fais donc que m'inscrire dans les pas de celui qui a toujours guidé mes convictions politiques.

M. Fabien Gay. - Vous êtes à nouveau de droite ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je veux bien que l'on ouvre un débat politique sur le sujet, mais je rappelle que le général de Gaulle lui-même disait qu'il n'était ni de droite ni de gauche, et qu'il refusait cette distinction. J'ai l'habitude, en tant que responsable politique, de défendre des convictions. Je le fais devant vous, librement et à visage découvert, comme je le fais dans mes ouvrages, et comme je le fais publiquement. Ce n'est un mystère pour personne que je défends depuis des années l'idée qu'il faut interroger notre fonctionnement législatif, qu'il faut aller vers plus de simplicité et de rapidité dans l'examen de la loi, qu'il faut associer davantage les Français à la fabrique de la loi et rééquilibrer le partage des responsabilités entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Je pense qu'un responsable politique a la liberté de défendre ses convictions, comme vous avez la liberté de vous y opposer.

Mme Sophie Primas, présidente. - Absolument !

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je reviens à notre sujet du jour, qui est celui de la situation économique du pays. Après plus de quatre années passées au ministère de l'économie et des finances, j'ai parfaitement conscience que la situation reste difficile pour beaucoup de Français, que des millions d'entre eux continuent de s'interroger sur la manière dont ils vont finir le mois, que pour beaucoup et malgré tous les efforts qui ont été faits, le travail ne paye pas suffisamment, et que de très nombreux Français estiment encore que la différence entre travailler ou ne pas travailler reste trop ténue dans notre pays. Par conséquent, le travail qui nous attend est encore plus important que celui que nous avons déjà réalisé. Je le dis avec beaucoup d'humilité, parce que je me déplace suffisamment souvent en France et j'entends suffisamment les Français pour savoir que la tâche qui reste devant nous est immense. Notre capacité à nous en saisir dépendra de la manière dont nous défendrons une valeur fondamentale, celle du travail. Et si j'avais un seul fil rouge à retenir de ces cinq années passées au ministère de l'économie et des finances, ce serait celui du travail. En effet, la valorisation, la dignité et la meilleure rémunération du travail ont composé le fil rouge économique de ce quinquennat.

Et je constate que cette politique donne des résultats. Même si pour beaucoup de Français, je le répète, la vie reste difficile, les résultats économiques de la France forcent le respect de nos partenaires étrangers. Notre croissance atteindra au moins 6,25 % en 2021, ce qui représente l'un des meilleurs résultats de la zone euro, et tire la croissance de l'Union européenne. L'investissement est à la hausse, la consommation est dynamique et surtout, puisque c'est sur cela que nous devons être jugés : la situation de l'emploi est meilleure après la crise qu'avant. Chacun le reconnaîtra, en mars, avril et mai 2020, ce que nous redoutions n'était pas la hausse des prix, mais une vague de faillites et une flambée du chômage. Nous les avons évitées, et nous avons défendu nos entreprises, protégé nos salariés et créé 1 million d'emplois sur la durée du quinquennat.

Comment avons-nous obtenu ces bons résultats ? J'évoquerai trois raisons. La première, que je tiens à rappeler, réside dans la politique structurelle que nous menons avec le Président de la République depuis 2017. Cette politique a consisté à valoriser le travail, à simplifier la vie des entreprises, à améliorer leur compétitivité et à baisser la pression fiscale qui s'exerce sur les Français. Je rappelle que nous avons baissé les impôts de 52 milliards d'euros, à parts égales entre les ménages et les entreprises, que nous avons tenu tous nos engagements vis-à-vis des entreprises en matière de baisse d'impôts, et que nous avons même été au-delà de ces engagements. Dans cette même salle, j'avais promis que nous ramènerions l'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % pour toutes les entreprises. Ce sera fait dès 2022. Et nous avons fait mieux encore, puisque le taux d'impôt réduit à 15 % pour les petites et moyennes entreprises (PME) a été rendu accessible à un nombre plus important de PME, grâce à une augmentation du plafond de chiffre d'affaires, qui est passé de 7,65 millions d'euros à 10 millions d'euros. Et nous avons fait mieux encore, puisque nous avons baissé les impôts de production de 10 milliards d'euros pour soutenir les relocalisations industrielles. Cette baisse d'impôts a aussi permis de mieux valoriser le travail et de permettre aux Français de garder davantage le fruit de leur travail. Le dernier rapport remis par l'Institut des politiques publiques (IPP) établit que sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les Français ont perdu en moyenne 15 euros de revenus par an, qu'ils ont gagné en moyenne 75 euros de revenus par an sous le quinquennat de François Hollande, et 396 euros de plus en moyenne sous le quinquennat d'Emmanuel Macron. Nous aurons l'occasion, j'en suis certain, de discuter des conséquences plus détaillées de ce rapport, mais il établit une chose et le dit de manière très objective : les gagnants du quinquennat d'Emmanuel Macron, ce sont les Françaises et les Français qui travaillent. C'était la promesse initiale de cette majorité et du Président de la République : faire en sorte que ceux qui travaillent vivent mieux de leur travail. Cette promesse a été tenue.

La deuxième raison expliquant ces bons résultats économiques est la manière dont nous avons soutenu les entreprises et les salariés pendant la crise, notamment grâce à l'activité partielle. Ce soutien a été massif et sans précédent dans l'histoire de France. Certes, il nous a menés à une dette publique de 115 % du PIB. Mais là aussi, j'en reviens au rapport de l'IPP, qui établit de manière très claire et convaincante que si nous n'avions pas apporté ce soutien, le coût de l'augmentation du chômage et de l'augmentation des faillites aurait provoqué une hausse de la dette publique de dix points supplémentaires. Nous n'en serions donc pas à 115 %, mais très exactement et selon les chiffrages de l'IPP, à 126 % de dette publique. La conclusion est simple, et je la défends avec l'ensemble du Gouvernement depuis 2020 : protéger est moins coûteux que réparer. C'est moins coûteux socialement et économiquement, mais aussi pour les finances publiques.

La troisième raison de ces perspectives économiques positives est l'efficacité de la relance de 100 milliards d'euros ; dont 70 milliards seront engagés d'ici la fin de l'année 2021.

Quels sont les risques devant nous ? D'abord, j'en reviens au mot « humilité ». En effet, ayons l'humilité de reconnaître que personne n'avait prévu les risques qui sont devant nous, ni les économistes, ni les scientifiques, ni les responsables politiques. Si vous trouvez une publication scientifique, économique ou politique, datant du milieu de l'année 2020 et prédisant qu'au regard de cette pandémie, le risque majeur serait représenté par les pénuries de main-d'oeuvre et de matières premières, et l'inflation, je serais curieux de la lire ! Cela conduit à beaucoup de prudence quant aux prévisions à venir, en matière économique comme en matière politique.

Le premier risque, ce sont effectivement les pénuries, de main d'oeuvre, de matières premières et de semi-conducteurs. Sur ces trois chantiers majeurs, nous agissons et continuerons d'agir. Tout d'abord, la meilleure façon de remédier au problème de main-d'oeuvre est de rendre certains secteurs plus attractifs pour l'embauche, et je sais qu'ils y sont prêts. Je salue notamment les efforts menés dans l'hôtellerie et la restauration, qui se sont remis en question en profondeur, pour essayer de rendre leur métier plus attractif et d'attirer des jeunes qui s'en détournent. C'est une affaire de rémunération, mais aussi une affaire de perspective de carrière et d'organisation du temps de travail. Il est facile de dire que les jeunes ne veulent plus travailler, mais je pense que c'est faux, et qu'au contraire ils sont engagés, dynamiques, volontaristes, et veulent réussir leur vie, mais sans nécessairement sacrifier tous leurs week-ends et leurs soirées. Nos amis restaurateurs en ont conscience et font évoluer les temps de travail pour permettre aux jeunes de s'engager. De notre côté, nous avons prévu la défiscalisation des pourboires en plus de celle des heures supplémentaires, ce qui contribuera à rendre le métier plus attractif. Si je tire une conclusion de cette question de l'attractivité des métiers, c'est que la réponse ne peut être que collective. Ainsi, plutôt que de se réfugier dans des slogans un peu faciles, de pointer du doigt les uns ou les autres, il est plus efficace de se rassembler, de considérer les difficultés et d'apporter des réponses communes. Quand le Gouvernement, le Parlement et les filières choisissent une même politique et la mettent en oeuvre rapidement, c'est en général efficace.

L'autre volet de la réponse, ce sont les décisions prises sur l'assurance chômage. Elles sont critiquées, mais nous estimons qu'à partir du moment où il y a des pénuries d'emplois et que l'activité redémarre aussi fort, il est légitime de mettre en vigueur la réforme de l'assurance chômage, et d'appliquer les règles telles qu'elles sont définies. Quand vous refusez deux offres d'emploi raisonnables, au bout d'un certain temps, on vous retire votre allocation, et cela me paraît juste.

Enfin, la réponse sur la main-d'oeuvre passe aussi par une politique extrêmement offensive que nous conduisons en matière de formation et de qualification. En effet, certains métiers connaissent des pénuries parce qu'on les a délaissés et, dans certaines filières, il faut à nouveau former des jeunes à certaines qualifications. Dans le cas de la filière nucléaire par exemple, à force de dire qu'on allait fermer tous les réacteurs nucléaires, les jeunes se sont détournés de la soudure ou de la chaudronnerie dans ce domaine. Il nous appartient aussi de revitaliser ces filières, pour qu'elles attirent à nouveau des compétences et des qualifications.

J'en viens aux semi-conducteurs, qui représentent un sujet absolument stratégique pour la France et l'Union européenne, et constituent un combat que je livre au quotidien. Ce combat est difficile, va demander des investissements très lourds et un partage des responsabilités entre États européens. Nous avons la chance de compter sur notre territoire l'entreprise STMicroelectronics, installée à Grenoble, qui est d'une qualité exceptionnelle. Cependant, il nous faut rapidement augmenter nos capacités de production. Des investissements sont donc nécessaires, mais il faut aussi faire venir des acteurs étrangers et je suis en négociation avec un certain nombre d'entre eux pour les inciter à investir en France. D'autres investissements seront faits en Allemagne, et il est important de conserver un équilibre entre nos deux pays, pour qu'un seul État ne concentre pas l'intégralité des capacités de production de semi-conducteurs en Europe. En matière d'innovation sur les semi-conducteurs, la France a une carte à jouer, notamment avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et il faut réfléchir à des investissements substantiels dans la recherche sur les semi-conducteurs aux gravures les plus fines - deux à cinq nanomètres. C'est un combat, qu'à la demande du Président de la République j'ai commencé à livrer, c'est un combat de longue haleine, difficile, dans lequel la compétition entre les pays est ardue. Mais nous le livrerons, pour que la France reste l'un des grands producteurs de semi-conducteurs dans le monde.

Le deuxième risque occupe légitimement médias et débat public, et il s'agit de l'inflation. Selon les chiffres de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l'inflation est aujourd'hui à 2,6 % en glissement annuel et, selon nous, elle sera transitoire. Toutefois, je veux être très clair vis-à-vis des Français : il ne s'agira pas d'une transition de quelques semaines, mais de plusieurs mois. Je n'envisage donc pas de baisse des prix avant la fin de l'année 2022, notamment parce que cette inflation est principalement tirée par les prix de l'énergie. Et l'augmentation des prix de l'énergie a certes une composante conjoncturelle - une conjoncture vouée à durer - mais elle a aussi une composante structurelle. Cette analyse représente d'ailleurs l'un des rares points de divergence entre notre partenaire allemand et nous. La part conjoncturelle de l'augmentation des prix de l'énergie est liée à la forte demande et à la reprise économique plus forte que prévu partout dans le monde. D'autre part, dès lors que les investissements dans les énergies fossiles baissent et que la tarification COdes énergies fossiles augmente, on observe une augmentation du prix de l'énergie qui est bien structurelle.

La transition prendra donc des mois et, à ce titre, nécessite une réaction politique. Ne rien faire serait en effet irresponsable et nous avons décidé, avec le Premier ministre et le Président de la République, de protéger les Français contre la première composante de l'augmentation des prix : les prix de l'énergie. Nous avons mis en place un « bouclier énergie », qui va permettre de geler les prix du gaz et de plafonner l'augmentation des prix de l'électricité à 4 % au lieu de plus de 15 % si l'on n'intervenait pas. Pour des millions de Français, cela représentera un immense changement. Protéger les Français contre l'augmentation des prix de l'énergie est un enjeu absolument majeur.

La réponse à plus long terme, c'est le combat que je livre au sein de l'Union européenne pour modifier le marché européen de l'énergie. Aujourd'hui, le prix de l'électricité dépend en partie du prix du gaz. Il est compliqué d'expliquer aux Français qu'il faut investir dans l'énergie décarbonée, et notamment dans l'énergie nucléaire qui représente 70 % de notre mix énergétique actuel, mais que dans le même temps ils doivent payer pour l'énergie fossile parce que les prix de l'électricité dépendent des prix du gaz. Je veux obtenir une décorrélation entre les prix de l'électricité tels qu'ils sont produits en France et les prix du gaz qui, je le rappelle, dépendent en grande partie de la fourniture de gaz venu de Russie. Il s'agit d'autonomiser le prix de l'électricité, de façon à ce que les Français puissent recueillir les fruits de notre investissement dans le nucléaire et l'énergie décarbonée. C'est un combat aussi difficile que celui que j'ai livré sur la taxation des géants du digital.

Je rappelle également que nous avons mis en place une indemnité inflation qui va toucher plus de 38 millions de Français et permettre de protéger les plus fragiles. Voilà les réponses que nous voulons apporter sur cette question de l'inflation et de l'augmentation des prix de l'énergie, qui préoccupe beaucoup les Français.

Enfin, le troisième risque qui pèse sur la croissance, après les pénuries et l'inflation, est la reprise épidémique. Je voudrais rappeler qu'il est vital que nous respections les gestes barrières, que les Français qui ne sont pas encore vaccinés aillent se faire vacciner, et que ceux qui sont éligibles à la troisième dose la reçoivent. Je ne voudrais pas avoir à revivre ce que nous avons dû imposer aux Français par nécessité de sécurité sanitaire : la fermeture des commerces et le confinement, qui créent de la difficulté sociale et beaucoup d'inquiétudes économiques, et représenteraient pour tous les commerçants, entrepreneurs et salariés, une difficulté supplémentaire dont nous n'avons pas besoin.

Je terminerai par les défis de long terme, et j'en vois trois se dessiner pour la France. Le premier est celui des finances publiques, qu'il faudra rétablir au lendemain de la crise. En effet, nous avons pu lever de l'argent de façon massive afin de protéger notre économie et cela s'est avéré efficace. Il est donc de ma responsabilité, en tant que ministre des finances, de faire en sorte que si demain une nouvelle crise économique ou sanitaire devait frapper, nous aurions les réserves financières nécessaires pour y faire face, pour à nouveau mettre en place de l'activité partielle et des prêts garantis par l'État, et à nouveau protéger notre économie. Pour ce seul principe de responsabilité, il est indispensable de rétablir progressivement, mais fermement, les finances publiques de la France. Nous le faisons en décidant que toutes les recettes fiscales supplémentaires seront consacrées à la réduction des déficits publics, en ramenant le déficit à 5 % du PIB pour 2022 et la dette publique à 113,5 %. Ensuite, je crois à une méthode reposant à la fois sur un calendrier clair - nous devons repasser sous les 3 % de déficit public en 2027 - et sur des instruments clairs - croissance, pluriannualité de la dépense et réformes de structure, assurance chômage et réforme des retraites en tête.

Le deuxième grand défi a été rappelé par madame la présidente et je partage entièrement son avis sur le sujet. Il s'agit de garantir l'indépendance économique de la France et de restaurer notre balance commerciale, les deux étant liés. Si nous voulons réindustrialiser le pays comme nous avons commencé à le faire, et reconquérir des filières industrielles, il faut investir. Nous le faisons avec le plan France 2030, dans l'hydrogène, dans les batteries électriques, dans les semi-conducteurs, dans l'intelligence artificielle, dans le calcul quantique. Tout cela doit permettre de rétablir une balance commerciale positive, ce qui ne s'est pas produit depuis le début des années 2000. C'est l'un des enjeux des prochaines années. De plus, si nous poursuivons cette politique de compétitivité, de redressement de l'industrie, de création de nouvelles filières industrielles, de formation et de qualification, nous pourrons d'ici dix ans retrouver le plein emploi que nous n'avons pas connu depuis un demi-siècle. Oui, la France est embourbée dans le chômage de masse depuis un demi-siècle... Et cela fait un demi-siècle que l'on nous explique qu'il n'y a rien à faire contre cela. Je pense pourtant que le plein emploi est à portée de main si nous poursuivons notre politique. Et la restauration de notre commerce extérieur l'est aussi. Avant les années 2000, notre balance commerciale était positive, mais tous les discours sur la désindustrialisation, l'industrie sans usine - la « fabless industry » - ont causé un tort considérable et inacceptable à l'économie française. Nous devons emprunter la voie de la relocalisation industrielle, qui rétablira notre balance commerciale extérieure.

Enfin, le troisième grand défi est celui du climat et du risque de grandes divergences entre les États du Sud et les États du Nord, entre les pays en développement et les pays développés. Tous ces sujets sont étroitement liés. Si nous ne réglons pas le problème climatique et si nous n'apportons pas un soutien aux pays en développement, ce que nous connaissons en matière migratoire à la frontière entre Biélorussie et Pologne, nous le connaîtrons au centuple aux frontières maritimes entre l'Afrique et l'Union européenne.

Le changement climatique et les difficultés économiques touchent en priorité les pays en développement. Ce serait irresponsable de détourner le regard des pays en développement et de les laisser à leur sort. La politique que nous menons contre le réchauffement climatique et pour le soutien au développement des pays les plus fragiles est aussi dans l'intérêt national et européen.

Je réponds maintenant à Serge Babary. Nous sommes sortis du « quoi qu'il en coûte » et il n'y a pas de raison d'y revenir dans les circonstances actuelles. En revanche, pour un petit nombre de secteurs qui doivent se projeter, la situation reste difficile. En effet, pour les traiteurs ou les secteurs de l'événementiel et de l'organisation de mariages ou de fêtes, envisager quoi que ce soit à 2 ou 3 mois est bien plus difficile du fait de la persistance des difficultés sanitaires. Nous apporterons très rapidement, avec le Premier ministre, des réponses aux demandes légitimes de ce secteur.

S'agissant des foncières commerciales, nous avons engagé 13 millions d'euros sur les 60 millions d'euros prévus. Il n'est donc nul besoin, pour le moment, de réabonder l'enveloppe. Quelque 53 foncières sont opérationnelles et 6 000 commerces ont déjà été rénovés. Nous ferons un point précis sur cette politique le 1er décembre lors des Assises du commerce, auxquelles j'attache une importance vitale. En effet, je vois trop de communes moyennes en proie à des difficultés considérables d'animation de leur centre-ville ou de maintien de commerces ouverts. Il faut les aider. Avoir un commerce de bouche, une librairie ou une droguerie ouverte en centre-ville est absolument vital pour des dizaines de milliers de communes.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le ministre, s'agissant de la nécessaire relocalisation de l'industrie et de la production dans notre pays, vous avez présenté, le 12 octobre dernier, dans le plan d'investissement France 2030, dix objectifs sectoriels. Cette planification pour la décennie à venir paraît justifiée pour faire en sorte que notre pays retrouve une force de production. N'oublions pas les secteurs d'activité non pris en compte dans ce plan, tels que l'industrie textile ou la fabrication de chaussures. La relocalisation de la production de baskets dans notre pays est ainsi rendue impossible dans son ensemble du fait de la perte de savoir-faire. Quelles sont les intentions de votre ministère et du Gouvernement pour accompagner la relocalisation de ces productions et ces savoir-faire spécifiques ?

Vous répétez régulièrement votre attachement à la valeur travail. Il serait nécessaire de la relier à la formation régulière des salariés, afin retrouver des savoir-faire. Certains pays comme le Danemark ont instauré une semaine de formation régulière par an avec l'objectif de se former tout au long de la vie. Sur cet aspect, quel bilan dressez-vous de ce quinquennat et quels sont vos objectifs précis pour l'année à venir ?

M. Fabien Gay. - Monsieur le ministre, en votre présence je suis comme un enfant qui voit le Père Noël, puisque c'est une fois par an. En revanche, vous ne nous amenez pas de jolis cadeaux au pied du sapin !

Il me semble qu'on ne souffre pas de trop de parlementarisme ni de trop de débat démocratique dans notre pays, mais plutôt de trop de verticalité. Par exemple, dans la crise que nous traversons, le choix de l'exécutif de vouloir gérer seul et de se passer du Parlement constitue l'un des problèmes. L'urgence n'est pas de réduire le nombre de parlementaires, mais de redonner sa place à l'ensemble du Parlement.

L'année dernière, vous appeliez à la modération des dividendes et je vous avais interpellé sur ce sujet. Quelque 28,6 milliards d'euros de dividendes étaient versés pour l'année 2019, contre 51 milliards pour l'année 2020. Votre appel à la modération des dividendes de ces entreprises qui ont touché le plan de relance ou le chômage partiel a-t-il été entendu ?

Concernant le plan France Relance, j'ai du mal à voir la cohérence et les secteurs stratégiques sur lesquels il se concentre. On a l'impression d'un coup par coup et on peine à maintenir nos fleurons industriels. À cet égard, que pensez-vous de la vente d'une partie d'Engie, Equans, à Bouygues ?

Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que l'Institut des politiques publiques annonce, dans son récent rapport, que tout va bien. Certes, le pouvoir d'achat des ménages augmente de 1,6 % en moyenne. Néanmoins, il baisse de 0,5 % pour les 5 % des ménages qui gagnent moins de 972 euros par mois, tandis que les 1 % les plus privilégiés voient un accroissement de leur pouvoir d'achat de 2,8 %, et les 0,1 % les plus riches une hausse de 4,1 %. Les gens ne veulent pas de chèques énergie ou de chèques repas, mais l'augmentation des salaires. Vous avez appelé le patronat à augmenter les salaires mais il vous a répondu qu'il n'en était pas question. Que comptez-vous faire sur cette question d'augmentation des salaires, notamment des salaires les plus faibles ?

M. Jean-Pierre Moga. - S'agissant des prêts garantis par l'État, vous avez récemment affirmé qu'il n'y aura pas de report supplémentaire de remboursement. Néanmoins, des exceptions, notamment pour les PME ou les TPE sont-elles prévues en cas de difficultés ?

Ma seconde question porte sur la soutenabilité des moyens déployés par l'État au travers des prêts garantis. Il s'agit d'éviter un cercle vicieux entre faillites des entreprises et impact sur les finances publiques. Quel taux de faillite anticipez-vous et quelle est votre évaluation de la soutenabilité à long terme de ces politiques de soutien aux entreprises ? Quelle articulation est selon vous nécessaire entre le niveau national et européen ?

M. Bernard Buis. - Taux de chômage historiquement faible, taux de croissance qui pourrait tutoyer les 6,5 %, consommation des ménages qui a bondi de 5 %, contribuant pour 2,5 % à la croissance du PIB entre juillet et septembre, ces bons résultats économiques de la France ne seraient-il pas mis en difficulté suite à des problèmes d'approvisionnement et de main-d'oeuvre, voire par la hausse de la dette publique et de l'inflation ?

M. Michel Bonnus. - Jusqu'à quand la flat tax restera-t-elle en vigueur ?

L'hôtellerie et le commerce en général sortent de plusieurs années très compliquées entre les « gilets jaunes » et les confinements successifs. Ces secteurs ont donc besoin de passerelles via les formations.

S'agissant de la défiscalisation des pourboires, cela fait trente ans que j'exerce ce métier et je n'ai jamais vu quelqu'un déclarer un pourboire. Il faut intéresser nos agents au résultat pour créer une synergie dans nos entreprises.

M. Patrick Chaize. - Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l'état de la dette en invoquant surtout l'effet covid. Il me semble néanmoins que l'augmentation de la dette n'est pas exclusivement due au covid-19. Je pense aux 90 milliards d'euros d'accroissement de la dette qui ne sont pas liés au covid-19. Pouvez-vous nous le confirmer ?

S'agissant de La Poste, le Gouvernement souhaite confier à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) le contrôle du coût net du service universel postal, comme le proposait une mission d'information du Sénat. Je regrette que le Gouvernement ait suivi une proposition du Sénat - comme quoi le Sénat a une certaine utilité - sans que ce dernier y ait été associé.

Il semble aussi que l'Arcep ait modifié sa méthode de calcul sur la mission « Cohésion des territoires », présentant un déséquilibre assez profond par rapport aux années précédentes. Je voudrais que vous nous rassuriez sur le fait que la compensation effective des missions de service public de La Poste est pérenne et totale pour les années à venir.

Mme Sylviane Noël. - Les entreprises fournisseurs des équipementiers et constructeurs automobiles subissent une très forte baisse de leur activité pour la seconde année consécutive, de l'ordre de 50 voire 75 %. Cette situation se traduit par la constitution de stocks de pièces non livrées aux clients et qui pèsent lourd sur la trésorerie des entreprises, d'autant plus que ces pièces ont été fabriquées avec des matières premières payées au prix fort.

En outre, la hausse des coûts de l'énergie a un impact fort, tout comme les nouvelles taxes instaurées par les fournisseurs de matières premières, sans que ces hausses soient réglementées. In fine, on observe une rapide dégradation de la trésorerie de ces constructeurs. Cela se traduit par un recours massif à l'activité partielle, notamment dans le cadre de l'activité partielle de longue durée (APLD). Face à cette situation critique, la filière automobile réclame des assouplissements liés au recours et au remboursement des prêts garantis par l'État (PGE), une exonération des charges temporaires et une prolongation de l'APLD au-delà des deux ans prévus et un doublement du volume de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh) pour modérer cette hausse des prix de l'énergie.

Compenser l'augmentation des coûts énergétiques pour l'ensemble de la chaîne industrielle est donc une priorité. Envisagez-vous d'élargir l'avance de compensation des coûts indirects du carbone de 150 millions d'euros destinés pour le moment aux entreprises électro-intensives, sachant que les entreprises de décolletage, très consommatrices d'électricité, ne rentrent pas dans cette catégorie ? Je souhaite avoir votre avis sur l'ensemble de ces mesures.

M. Yves Bouloux. - Les fonderies d'aluminium d'Ingrandes, dans la Vienne, cherchent un repreneur. Pour sauver cette entreprise et ses 350 salariés, il faut trouver 25 millions d'euros et des discussions sont en cours entre l'État, Renault et la région Nouvelle-Aquitaine. L'État prendra-t-il sa part ? Si oui, à quelle hauteur ?

M. Daniel Gremillet. - Sur quoi les négociations européennes sur la réforme du marché de l'électricité ont-elles achoppé ? Quand et comment le Gouvernement entend-il les faire aboutir ?

Je considère que les grandes oubliées du bouclier tarifaire sont les entreprises. Je considère comme très optimistes les perspectives tablant sur une inflation de 2,6 % pour 2022. Toutes les entreprises qui sont en train de travailler sur les budgets 2022 émettent des perspectives beaucoup moins encourageantes. Quels seront les moyens mis à disposition des entreprises pour les aider à passer ce cap difficile ?

Le Président de la République a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Comment seront-ils financés : par une nouvelle régulation du nucléaire, par une garantie de l'État ou par une gestion des actifs ?

M. Rémi Cardon. - Je m'inquiète de la suppression de 1 500 postes équivalents temps plein dans votre ministère, et notamment sur la qualité des services rendus à la population.

J'espère que vous ne resterez pas dans vos convictions de 2016, date à laquelle vous aviez proposé la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires. Étant donné que vous remettez en cause l'utilité du Sénat, qu'en est-il de celle de la Cour des comptes, qui rapporte qu'en 2018, les temps d'attente sont jusqu'à trois heures dans certains centres de finances publiques ? Comment comptez-vous répondre aux attentes de nos concitoyens éloignés des services publics qui ne maîtrisent pas forcément l'usage du numérique et qui sont pris dans des « galères » administratives ?

M. Pierre Cuypers. - Je l'ai dit tout à l'heure en questions au Gouvernement, mais vous n'y étiez pas : s'agissant de l'énergie, en particulier du gaz, j'ai eu l'impression que vous laissiez de côté la possibilité d'intervenir sur le prix du gaz, sur sa disponibilité et sur les conséquences d'un manque de gaz pour la fabrication de l'ensemble de nos fertilisants agricoles.

Quelles mesures allez-vous prendre pour, d'ici quelques semaines, faire en sorte que l'azote soit accessible et que le gaz soit disponible ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Pensez-vous que nous assisterons, à la fin de l'année, à une baisse ou à une stabilisation des prix ?

S'agissant de la croissance de 6,25 % que vous envisagez pour 2022, nous avons connu une décroissance de 8 % l'année dernière ; ce me semble donc relever du phénomène de rééquilibrage.

Pourriez-vous nous expliquer l'articulation exacte des plans d'investissements français entre les programmes d'investissements d'avenir, France 2030, France Relance et le plan de relance européen ? On se trouve parfois perdu dans le labyrinthe des investissements. Où en sommes-nous du décaissement du plan de relance européen ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je vois que mes propositions de réforme du Sénat rencontrent un succès d'estime. Je tiens seulement à préciser que je n'ai jamais nié l'utilité du Sénat, mais que je propose une rénovation en profondeur de notre procédure législative et du fonctionnement des deux chambres. C'est tout le contraire que de reléguer le rôle de ces chambres que j'estime précieux et, notamment pour le contrôle exercé, très important.

S'agissant de la dernière question posée par la présidente sur le rééquilibrage de la croissance, oui, la France a connu une récession très forte en 2020. Simplement, la vigueur de la reprise surprend tout le monde, y compris les observateurs étrangers. Il serait dommage de dévaloriser les résultats de l'économie française et des salariés français. Dans le meilleur des scénarios du FMI et de la Commission européenne, la France retrouvait son niveau d'activité économique pré-crise dans le courant du premier trimestre 2022. Nous l'avons retrouvé début novembre 2021. C'est un exploit de l'économie française, des salariés, des entrepreneurs et des investisseurs. Et je pense très sincèrement que cela tient beaucoup aux transformations de fond menées au début du quinquennat.

Aujourd'hui, un investisseur qui cherche à investir en Europe ne se tourne plus systématiquement vers l'Allemagne, mais, grâce à la baisse des impôts de production, n'hésite plus à se tourner vers la France. Cela participe de la vigueur de la reprise que nous connaissons aujourd'hui.

Concernant l'architecture des plans d'investissement, la relance avait un seul objectif : la relance de l'économie. Il s'agit d'un investissement de 1 pour 1. On dépense pour que l'économie redémarre, sans que cela ne rapporte plus que ce qui est dépensé. C'est le cas de MaPrimeRénov', du soutien à l'emploi des jeunes, des primes pour l'embauche des jeunes apprentis ou des primes à la conversion pour les véhicules.

Le plan d'investissement est très différent. On estime que c'est un rapport de 1,5 pour 1. C'est-à-dire que les 30 milliards d'euros doivent remporter au moins 45 milliards d'euros de richesses supplémentaires. C'est le cas du Programme d'investissements d'avenir (PIA) ou du plan France 2030. Cela n'a rien à voir avec l'argent européen ou avec la relance européenne : c'est bien un investissement national qui vise à accroître les capacités de production et la productivité de notre économie.

Avec le Président de la République, nous ne nous résignons pas à une croissance faible et carbonée pour la France ; nous voulons une croissance forte et décarbonée. J'ai la conviction qu'en investissant 9 milliards d'euros dans l'hydrogène, on crée des milliers d'emplois dans notre pays, comme ce sera le cas à Belfort et en Normandie. Dans le même temps, les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, c'est-à-dire les deux grandes aciéries de Mittal, sont décarbonés.

Il n'en reste pas moins que réorganiser l'investissement en France et clarifier le pilotage de l'investissement notre pays est une vraie question à laquelle nous répondrons d'ici la fin de l'année 2021.

S'agissant de l'inflation, je le redis, celle que nous connaissons aujourd'hui est, selon nous, une inflation transitoire qui se compte en mois beaucoup plus qu'en semaines et qui devrait perdurer jusqu'à la fin de l'année 2022. Les prix de l'énergie devraient donc rester élevés jusqu'à cette période. Cela appelle des politiques publiques - nous les avons mises en place avec le Premier ministre -, une très grande vigilance ainsi qu'une réflexion sur des mesures complémentaires. Si, l'augmentation du prix de la tonne de blé est très élevée, c'est notamment du fait de la flambée des engrais azotés suite à l'augmentation du prix des énergies fossiles.

Aussi, concernant l'inflation, le chiffre de 2,6 % que j'indiqué est un glissement annuel moyen sur l'ensemble des prix et, effectivement, les prix de l'énergie sont en augmentation plus forte.

Les entreprises agricoles ou industrielles, dont les coûts de production sont très dépendants des prix de l'énergie, en particulier les électro-intensifs, connaissent des difficultés particulières. Ainsi, le vrai problème de l'inflation, aujourd'hui, est le prix de l'énergie. C'est le problème le plus important auquel nous nous sommes attaqués avec le Premier ministre.

Concernant les relocalisations, qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur ce que nous entendons par relocalisation industrielle. Nous n'allons pas rapatrier sur le territoire français les productions de base, parce que nous ne serions pas compétitifs et que nous investirions de l'argent à perte. Toutefois, dans certains secteurs comme le petit électroménager ou le textile, il peut y avoir de la valeur ajoutée liée à une marque, un savoir-faire et un design français. Sur des niches sectorielles comme le textile technique, respirant ou de sport, la France est très forte et crée de la valeur ajoutée soit par la technicité du produit, soit par le visa. En revanche, je ne crois pas à l'idée de relocaliser en France toute la production textile.

Nous avons beaucoup investi depuis le début du quinquennat dans la formation régulière : 15 milliards d'euros dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences (PIC). C'est probablement l'un des sujets les plus importants pour réussir l'objectif du plein emploi dans les années qui viennent et nous devons encore nous améliorer.

Merci, Fabien Gay, de m'avoir traité de Père Noël à quelques semaines de Noël, cela va me rendre populaire auprès de mes quatre garçons. S'agissant des dividendes, je rappelle qu'aucune entreprise ayant bénéficié d'aides de l'État n'en a versé. Ils sont élevés car ils récompensent le risque pris par les actionnaires, y compris des millions de Français qui ont un plan d'épargne en actions (PEA) ou une assurance-vie libellée en unités de compte et qui investissent dans les PME ou dans les entreprises françaises. On ne peut pas appeler les Français à participer au financement de l'économie sans qu'ils en aient le juste retour.

Les secteurs stratégiques ne sont pas uniquement les secteurs de demain, mais aussi les secteurs d'aujourd'hui qu'il faut accompagner dans leur mutation. Il y a les biotechs, l'hydrogène, les batteries électriques, le nucléaire, les lanceurs spatiaux, mais il y a aussi l'automobile et l'aéronautique. Ces derniers nécessitent des investissements considérables parce qu'ils sont confrontés à des mutations très rapides, comme il en arrive une fois dans le siècle.

Pour ce qui concerne l'aéronautique, tout le monde m'expliquait il y a un an que c'était fichu et qu'il n'y aurait pas de redressement avant 2026 ou 2027. Aujourd'hui, Airbus vient d'enregistrer la commande la plus importante des 15 dernières années. Dans le reste du monde, le transport aérien et les commandes aéronautiques redémarrent fort. On a bien fait d'investir dans l'aéronautique et l'argent des Français a été bien placé en dépensant des milliards d'euros sur l'activité partielle dans ce secteur. Nous n'avons pas perdu nos ingénieurs, nos ouvriers qualifiés et nos techniciens de maintenance et Airbus peut livrer ses avions.

On avait beaucoup critiqué la décision de Guillaume Faury d'ouvrir une ligne de production de l'A321 Neo à Toulouse en pleine épidémie. Aujourd'hui, les commandes sont là et nous sommes bien contents d'avoir ouvert cette nouvelle ligne de production en France, parce que sinon, c'était tout pour les Allemands et rien pour les Français.

S'agissant du pouvoir d'achat, je conteste le chiffre de - 0,5 % avancé par l'Institut des politiques publiques pour la simple et bonne raison que n'y sont comptabilisés ni l'indemnité inflation que nous venons de mettre en place, ni la revalorisation des prestations sociales actée en 2018, ni d'autres éléments comme le remboursement à 100 % des soins dentaires et des soins optiques. Cette étude se discute.

M. Fabien Gay. - Vous ne contestez pas que cela a bénéficié aux salaires les plus élevés ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Non, je conteste la partie qui concerne les salaires les plus faibles.

Je rappelle à cet égard que nous sommes le seul pays développé dans lequel le salaire minimum a une revalorisation automatique indexée sur les prix, ce qui est une excellente chose et qui doit être maintenue.

Toutes les politiques que nous avons mises en place - prime d'activité, abaissement des cotisations patronales, défiscalisation des heures supplémentaires ou des pourboires - permettent à un salarié au niveau du SMIC de toucher non pas 1 270, mais 1 492 euros net par mois, c'est-à-dire presque 1 500 euros.

Sur les PGE, l'évaluation de la Banque de France estime à moins de 3 % les entreprises menacées de ne pas pouvoir rembourser leurs prêts garantis par l'État. C'est pour cette raison que je ne suis pas favorable à une mesure transversale repoussant à nouveau la date de début de remboursement du PGE.

Je l'ai fait une fois : le remboursement devait avoir lieu au printemps 2021 et j'ai considéré que la reprise n'était pas là, que la situation restait compliquée et qu'il fallait donc reporter d'un an l'échéance. J'ai également considéré qu'il pouvait être bon de donner la possibilité aux entreprises nécessitant davantage de trésorerie de souscrire un nouveau PGE, en étendant la durée de souscription jusqu'à l'été 2022. Une mesure transversale pour toutes les entreprises ne serait pas la bonne solution : ce serait repousser le problème un peu plus loin en accumulant les intérêts.

Je prends l'engagement qu'il n'y a pas une entreprise confrontée à une difficulté de remboursement du PGE qui ne sera pas accompagnée par les dispositifs mis en place au niveau départemental pour examiner la situation des entreprises et leur apporter des solutions en termes de trésorerie.

Je partage ce que Michel Bonnus a dit sur l'intéressement et la participation et voudrais rappeler à toutes les entreprises françaises, notamment les PME, que nous avons supprimé la taxe à 20 % sur l'intéressement et nous avons simplifié les dispositifs d'intéressement : les plus petites entreprises peuvent les conclure sur une seule année. Maintenant que nous sortons de la crise et que la croissance est au rendez-vous, je voudrais vraiment que chaque petite entreprise profite de ces dispositifs pour mettre en place des accords d'intéressement. Quant à la flat tax, je vous confirme que je suis favorable à la stabilité fiscale ; il n'est donc pas question de toucher aux dispositifs fiscaux que nous avons mis en place. Enfin, sur la non-déclaration des pourboires, je vais faire comme si je n'avais rien entendu.

S'agissant du contrôle du coût net du service universel postal par l'Arcep, c'est la preuve que le Sénat fait de bonnes propositions. Cette proposition du Sénat été reprise et adoptée par le Gouvernement qui la mettra en oeuvre avec le Sénat, La Poste et l'Arcep. Quant à la compensation du service universel postal, elle s'élèvera à 500 millions d'euros environ par an suivant des indicateurs de qualité qui seront ensuite à atteindre par la Poste.

La situation des équipementiers automobiles est vitale et extraordinairement difficile. La transformation technologique de l'industrie automobile va beaucoup plus vite que prévu. Nous basculons vers l'électrique à un rythme beaucoup plus soutenu que prévu, ce qui pose évidemment des difficultés majeures à un certain nombre de sous-traitants, notamment dans le secteur des fonderies. Je rappelle qu'il y a quatre fois moins d'aluminium ou de fonte dans un moteur électrique que dans un moteur thermique.

À cela s'ajoute l'augmentation des coûts de l'énergie et des intrants, notamment l'aluminium, ce qui met un certain nombre d'entreprises en grande difficulté. Nous proposerons dans les prochaines semaines, avec le Président de la République et le Premier ministre, un nouveau plan automobile visant à accompagner notamment les équipementiers et les sous-traitants automobiles.

Pour ce qui concerne la fonderie de la Vienne, j'attends les offres de reprise d'ici le 10 janvier. L'État a répondu présent en soutenant l'entreprise via un prêt de fonctionnement et a financé des audits pour repositionner l'entreprise sur des marchés plus porteurs. Toutes les fonderies font d'ailleurs l'objet d'un accompagnement particulier parce que la bascule est tellement rapide qu'il faut envisager des restructurations et des accompagnements pour chacune d'entre elles.

Pourquoi la réforme d'EDF a-t-elle été un échec ? Tout simplement parce que j'ai préféré mettre un terme aux discussions quand j'ai vu que la seule proposition qui retenait l'accord de la commission aboutissait à un démantèlement d'EDF.

S'agissant des suppressions d'emplois dans mon ministère, je considère ce dernier comme exemplaire sur les gains d'efficacité ou la digitalisation - on l'a vu par exemple avec la retenue à la source. Ma politique n'est pas de supprimer des emplois pour supprimer des emplois, mais de se rapprocher le plus possible des Français. Une des politiques que j'ai le plus portée depuis plusieurs mois est la déconcentration des services de l'État : la direction générale des finances publiques est ainsi en train d'ouvrir des antennes dans de nombreuses villes. Je considère que déconcentrer des services de Paris vers des villes moyennes ou petites est un des dispositifs les plus efficaces et les plus attendus par nos compatriotes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cette audition et vos réponses, même s'il en manque quelques-unes, notamment sur la dette.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 55.