Mardi 9 novembre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 5.

Projet de loi de finances pour 2022 - Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons cet après-midi notre cycle d'auditions sur le projet de loi de finances (PLF) 2022 en accueillant Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, que je remercie de s'être rendue disponible.

Madame la ministre, l'année qui vient de s'écouler nous a donné l'occasion d'oeuvrer de concert pour tenter de juguler les effets de la terrible crise pandémique sur le secteur culturel, mais également d'anticiper les évolutions du monde de demain. Je suis à ce titre heureux de relever que le Sénat a été saisi en premier lieu du projet de loi relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique, sur lequel, après des débats vifs et passionnés, nous avons pu parvenir à un accord en commission mixte paritaire (CMP). Le Sénat a également été à l'origine de deux propositions de loi, l'une de Sylvie Robert consacrée aux bibliothèques, l'autre de Laure Darcos, avec Céline Boulay-Espéronnier comme rapporteur, sur l'économie du livre. À chaque fois, nous avons pu mener un travail approfondi avec vos équipes, et je salue l'excellent climat de confiance qui existe entre nous.

Je ne doute pas qu'il en sera de même dans quelques semaines lorsque nous examinerons la proposition de loi de nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. En dépit de nos positions parfois divergentes sur ce sujet, nous poursuivons un objectif commun : celui de doter notre pays d'un cadre plus pérenne et plus transparent.

Nous vous recevons aujourd'hui dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Nul n'ignore les difficultés du secteur, nul cependant ne dirait que le gouvernement y a été sourd. Je pense d'ailleurs que vous nous préciserez les masses budgétaires en jeu.

Nous commencerons par la culture. Vous avez pu prendre connaissance du rapport de nos collègues Sonia de La Provôté et Sylvie Robert relatif à la mise en oeuvre du plan de relance dans le domaine de la création que nous avons adopté la semaine passée.

Sur le sujet du plan de relance, comme sur le projet de budget, nous ne pouvons que saluer l'effort conséquent du gouvernement pour accompagner le monde de la culture, qui a payé un lourd tribut à la crise sanitaire.

Nous avons néanmoins constaté que le secteur culturel attendait de l'État un accompagnement qui ne soit pas seulement financier, mais aussi politique et technique. Les demandes en faveur d'une plus grande adaptation se font de plus en plus pressantes. Le secteur est également préoccupé parce que le public ne retourne pas aussi massivement que nous l'espérions dans les salles de spectacles.

Nous évoquerons ensuite l'audiovisuel public, qui a bien résisté à la crise sanitaire. Je me réjouis à nouveau que la chaîne France 4 dédiée à la jeunesse et à la culture ait été maintenue et je crois que le Sénat a joué un rôle en ce sens.

Vous avez indiqué, madame la ministre, le lancement de deux missions d'inspection sur l'avenir de la contribution à l'audiovisuel public et sur les règles relatives à la concentration. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les objectifs et sur les délais de ces travaux ?

Le Sénat, assemblée des territoires, est particulièrement attentif à la présence de l'audiovisuel public au niveau local. Les coopérations entre France 3 et France Bleu ont du mal à se nouer, en particulier dans le domaine du numérique. Je crois que vous partagez notre souci. Comment vous envisagez de dynamiser ces coopérations ?

À l'issue de votre intervention liminaire, nous aurons une première séquence autour de la mission culture. Nos rapporteures, Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et Else Joseph, en lieu et place de Sabine Drexler pour les crédits des patrimoines, seront les premières à vous interroger.

Dans un second temps, nous aborderons le débat relatif à la mission Médias, Livre et industries culturelles. Je donnerai la parole aux rapporteurs Jean-Raymond Hugonet sur l'audiovisuel, Michel Laugier sur la presse, Julien Bargeton sur les industries culturelles et Jérémy Bacchi sur le cinéma, avant que nos autres collègues vous interrogent.

Je rappelle que cette audition est captée et diffusée en direct sur le site du Sénat. Madame la ministre, vous avez la parole !

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Je suis très heureuse de vous retrouver pour vous présenter le dernier projet de budget du ministère de la culture du quinquennat.

Je suis également fière du budget des missions Culture, Médias, Livre et industries culturelles, qui connaît une augmentation sans précédent avec 273 millions d'euros de mesures nouvelles. Pour la première fois de son histoire, il dépassera 4 milliards d'euros, à 4,08, hors audiovisuel public. Cette hausse parachève un effort continu mené depuis 2017 en faveur de la culture. En cinq ans, le budget du ministère a augmenté de 15 %, soit 507 millions d'euros.

Ce budget a plusieurs objectifs. Tout d'abord, accompagner la sortie de crise, qui a bouleversé la condition de vie des artistes, des créateurs et des publics, d'un point de vue économique mais aussi d'un point de vue moral. La succession de périodes d'ouverture et de fermeture sur les 18 derniers mois a provoqué une chute sans précédent de la fréquentation des lieux culturels et le lien avec le public s'est distendu, malgré les efforts des lieux culturels pour le préserver et la mobilisation de l'État. Celle-ci a été rapide, forte et continue. Elle a d'ores et déjà mobilisé 13,6 milliards d'euros et certaines actions vont continuer. Pourtant, la reprise reste fragile, avec des niveaux de fréquentation encore bien en deçà de ceux de 2019. L'étude que j'ai commandée à la fin de l'été a montré qu'une partie des Français, environ 30 %, hésitaient à fréquenter les lieux publics en raison de la situation sanitaire.

Le budget a donc vocation à accompagner cette sortie de crise et la reprise d'activité, mais nous devons aussi préparer l'avenir de la culture en France. La crise a accéléré des mutations qui étaient en cours. Les pratiques et les modèles évoluent extrêmement vite, nous devons adapter nos politiques et c'est le sens des priorités de ce budget, tourné vers la jeunesse, qui renforce notre soutien sur le terrain, au plus près des territoires et qui repense l'accès de tous à la culture, en répondant au défi des transitions numériques et des transitions écologiques.

J'ai la double ambition de consolider le présent et de structurer l'avenir. Au-delà des 4,08 milliards d'euros de moyens budgétaires pérennes alloués à la culture et des 3,7 milliards d'euros alloués à l'audiovisuel public, la culture bénéficiera à la fois de l'annuité 2022 de France Relance, soit 463 millions d'euros, de la poursuite du déploiement des 400 millions d'euros du programme d'investissements d'avenir (PIA4), des taxes affectées au Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), au Centre national de la musique et à l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), soit 752 millions d'euros, des dépenses fiscales, dont l'impact progressera en 2022 à 1,12 milliard d'euros et enfin de 600 millions d'euros de crédits dans le cadre du programme France 2030, dont 265 millions en crédits de paiement dès 2022, qui permettront d'investir massivement dans les infrastructures de tournage, dans la formation aux métiers de l'audiovisuel, du cinéma, des jeux vidéo ainsi que dans les technologies de réalité virtuelle et augmentée.

Enfin, les grands opérateurs du ministère bénéficieront d'un soutien exceptionnel à hauteur de 234 millions d'euros dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative pour 2021 qui vous sera soumis dans quelques semaines.

En 2022, la mission Culture progressera de 8,6 %, avec 259 millions d'euros de mesures nouvelles.

La priorité à la jeunesse se matérialise dans le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » créé en 2021 qui bénéficiera de 181 millions d'euros de crédits supplémentaires à travers deux grandes priorités du quinquennat : le déploiement de l'éducation artistique et culturelle (EAC) et la mise en oeuvre du pass culture. Je connais la réticence d'une partie du Sénat à ce dispositif et je reconnais que je m'étais moi aussi posé un certain nombre de questions lors de mon arrivée au ministère de la culture. J'avais alors appelé à un bilan apaisé.

L'expérimentation menée dans 14 départements a permis d'affiner l'analyse des forces et des faiblesses du dispositif et de le faire largement évoluer avant de le généraliser à tous les jeunes de 18 ans comme le président de la République l'a annoncé en mai dernier. C'est un vrai succès ! Depuis le 20 mais près de 641 000 utilisateurs bénéficient d'un crédit de 300 euros sur une cohorte annuelle de 850 000 jeunes de 18 ans. Chaque semaine, nous enregistrons entre 10 000 et 12 000 abonnements supplémentaires. Lors de mes déplacements, notamment pendant le dernier à La Réunion, je rencontre des partenaires qui montrent un véritable engouement pour le pass culture. En ajoutant les personnes inscrites dans le cadre de l'expérimentation, ce sont plus de 800 000 jeunes qui utilisent cette application. Ce succès nous oblige et nous incite à nous mobiliser encore davantage.

Le pass culture tient compte du résultat de l'étude décennale du ministère sur les pratiques culturelles des Français de juillet 2020. En donnant aux jeunes la possibilité de choisir, tout en les diversifiant, leurs pratiques culturelles, il invite les différents acteurs culturels à proposer une offre adaptée et diversifiée répondant aux attentes du jeune public.

La politique culturelle repose depuis 60 ans sur une logique d'offres. Celle-ci a permis l'aménagement culturel du territoire dans une action conjointe du ministère de la culture et des collectivités territoriales. Elle repose aussi sur une politique de la demande qui constitue une révolution dans notre approche et il serait vain d'opposer ces deux logiques.

Cette démarche doit également reposer sur un renforcement de la médiation. C'est tout le sens de l'extension du pass aux jeunes de la 4e à la terminale. Le décret permettant cette extension a été publié ce dimanche. Dans les classes de 4e, dans tous les établissements scolaires, les élèves pourront bénéficier d'offres élaborées par les structures culturelles dans le cadre de projets collectifs pilotés par les professeurs. Il y aura également une part individuelle permettant aux jeunes, à partir de 15 ans, de commencer à faire leurs propres choix, dans la logique d'émancipation du pass. Le budget 2022 prévoit près de 200 millions d'euros de crédits pour le pass culture, dont 140 millions d'euros de mesures nouvelles.

La mise en oeuvre de ce projet ne s'est pas faite au détriment d'autres actions. Ces nouveaux crédits bénéficieront à tous les acteurs culturels : cinémas, librairies indépendantes, salles de spectacle vivant, etc. Je rappelle également que le ministère de l'éducation nationale dispose d'un budget de 45 millions d'euros pour financer le volet collectif du pass au collège et au lycée.

C'est un bon exemple de l'excellente coopération entre nos ministères, en faveur de l'EAC et de l'émancipation culturelle. Cette ambition s'articule étroitement avec l'objectif de généralisation de l'EAC engagé depuis 2017. En cinq ans, nous avons presque doublé les crédits qui lui sont consacrés, pour les porter à 100 millions d'euros en 2022 et ainsi poursuivre l'objectif 100 % EAC fixé par le président de la République.

Parallèlement, ce budget témoigne d'un engagement sans précédent pour l'enseignement supérieur de la culture. Ses crédits augmentent de 11 %, soit 26 millions d'euros, pour permettre la rénovation des écoles, l'amélioration de la vie étudiante et l'insertion professionnelle des jeunes diplômés. À ces crédits, s'ajoute l'effort exceptionnel de 70 millions d'euros sur deux ans, engagé dans le cadre de France Relance, pour accélérer la rénovation et la digitalisation de nos écoles.

Nous poursuivrons également nos efforts pour placer les habitants, les territoires et les artistes au coeur de nos politiques culturelles, avec 12,5 millions d'euros de mesures nouvelles consacrés aux politiques territoriales.

Je sais l'attachement de votre commission et du Sénat pour le pilotage et l'affectation des moyens au plus près des territoires. Ce budget en est l'incarnation. En 2022, les crédits déconcentrés dans les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) augmenteront de 4 %. Avec 37 millions d'euros de moyens nouveaux depuis 2017, ils auront progressé de 22 %, signe de l'attachement de ce gouvernement à la territorialisation des politiques publiques.

Cet attachement aux territoires passe également par un cadre d'action de l'État renouvelé en matière de soutien aux festivals. C'est un sujet de préoccupation de nombre d'entre vous. Les deux premières éditions des états généraux des festivals ont permis de poser les termes du débat, de partager des analyses, des études et la troisième édition est programmée dans une quinzaine de jours à Toulouse. En 2022, les moyens des festivals augmenteront de 10 millions d'euros. Dix millions d'euros supplémentaires seront consacrés aux institutions, labels, réseaux et aux équipes artistiques en régions, dans le prolongement de l'effort important réalisé en 2021.

Les crédits de la création artistique s'élèveront à 909 millions d'euros avant transferts, soit une hausse de 5,6 %. C'est 100 millions d'euros de plus qu'en 2017.

L'effort porté sur nos territoires est très présent dans le programme Patrimoine qui bénéficiera en 2022 d'un budget de 1,019 milliard d'euros avant transferts. Les moyens consacrés aux monuments historiques, grâce à l'appui de France Relance, seront en hausse de 3,5 % et atteindront 470 millions d'euros. Nous poursuivrons notamment le déploiement du plan cathédrales. Hors relance, le soutien au patrimoine aura progressé de 7 % au cours des cinq dernières années.

Le Fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques situés dans les communes à faibles ressources sera doté de 16 millions d'euros, soit une hausse de 6,7 %.

La protection de notre patrimoine a également été consolidée par le recours à des financements innovants, notamment le loto du patrimoine. Depuis sa mise en place, il a financé la restauration de plus de 500 monuments en péril pour 115 millions d'euros, l'État apportant son soutien à ce dispositif à due concurrence des taxes afférentes.

Le budget de la culture traduit un soutien indéfectible aux artistes, aux auteurs et aux créateurs. Tout au long de la crise, nous avons agi en faveur de l'emploi intermittent. L'année blanche a été prolongée jusqu'au 31 décembre et nous y avons associé des dispositifs réglementaires garantissant aux intermittents, à compter du 31 août 2021, un accompagnement pouvant aller jusqu'à 16 mois. Le ministère est déterminé à garantir la sortie de crise du secteur créatif et nous suivons au jour le jour sa situation.

Le ministère a également soutenu l'emploi artistique et culturel avec trois dispositifs dotés chacun de 10 millions d'euros pour faciliter le recrutement d'intermittents et mieux structurer l'emploi. Par ailleurs, les ressources du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) seront abondées de 5 millions d'euros.

Tous les outils disponibles ont été mobilisés pour soutenir les auteurs et les créateurs affectés par la crise. Le fonds de solidarité a versé 245 millions d'euros à 45 000 bénéficiaires. Les exonérations de cotisations mises en place en 2020 ont été renouvelées en 2021 et sont prolongées en 2022. Pour compléter ces dispositifs, des aides spécifiques ont été mises en oeuvre à travers le Centre national de la musique (CNM), le CNC, le Centre national du livre (CNL), le Centre national des arts plastiques (CNAP) à hauteur de 35 millions en 2020 et en 2021.

En 2022, nous continuerons à déployer le programme ambitieux en faveur des artistes auteurs que j'ai présenté en mars dernier.

Le président de la République a dévoilé hier soir les 264 projets retenus dans le cadre de l'appel à projet « Monde nouveau ». 179 sont portés par des artistes individuels, 85 par des collectifs. 430 artistes seront donc soutenus, 60 % ont moins de 40 ans. Toutes les disciplines sont représentées, avec une dominante des arts visuels qui représentent 30 % des projets. Cet appel à projets marque une nouvelle manière d'accompagner les artistes dont nous pouvons tous nous réjouir.

La mission Médias, Livre et industries culturelles est également en hausse de 2,4 %. Nous concrétisons notre volonté de renforcer ces filières stratégiques au service de la diversité culturelle. Elles ont été affectées par la crise sanitaire et connaissent de profondes mutations. C'est pourquoi le soutien public au secteur de la presse, du livre, des médias et du cinéma a été massif et constant. Il se poursuivra en 2022.

Sur le secteur de la presse, nous poursuivons le déploiement du plan de filière ambitieux doté de 483 millions d'euros sur 2020-2022, dont 140 millions au titre de France Relance. Les 70 millions prévus pour 2022 dans ce cadre continueront à soutenir la modernisation et la transformation de la filière et à garantir le pluralisme de la presse. C'est un enjeu de démocratie et de cohésion sociale et territoriale.

2022 verra aussi la mise en oeuvre de la réforme du transport postal de la presse, très attendue par tous les acteurs. Elle encouragera la presse dite chaude à se tourner vers le portage et unifiera les tarifs postaux pour l'ensemble des titres. Le projet de budget traduit cette réforme, notamment avec le rapatriement des crédits dédiés à la compensation du transport postal de la presse sur les crédits du programme presse à hauteur de 62,3 millions d'euros.

Un soutien massif a été apporté au livre pendant la crise et il bénéficiera en 2022 d'un appui important à travers le rehaussement de la subvention pour charges de service public de la Bibliothèque nationale de France (BnF) de 2 millions d'euros et des crédits d'intervention du CNL de 7 millions. Ces mesures s'accompagnent du prolongement des dispositifs en faveur des librairies et des bibliothèques prévus par France Relance à hauteur de 23 millions d'euros. La lecture, érigée en grande cause nationale par le président de la République, fera encore l'objet d'un soutien décisif de l'État.

Le secteur de la musique a bénéficié en 2020 de la création du Centre national de la musique. Il a prouvé combien il était essentiel pour la filière en mobilisant 152 millions d'euros de moyens exceptionnels en 2020 et une enveloppe de 200 millions sur deux ans dans le cadre de France Relance. Nous avons décidé d'accroître notre soutien au secteur et nous examinerons, dans le cadre des articles non rattachés de ce projet de loi de finances, un amendement prolongeant l'exonération de taxe sur les spectacles sur le second semestre 2021.

Nous avons aussi beaucoup oeuvré en faveur des filières cinématographiques et audiovisuelles. Les aides mises en place depuis le début de la crise se sont élevées à 436 millions d'euros d'aides sectorielles et à 1,3 milliard d'euros de dispositifs transversaux. Ils ont permis de sauver nos entreprises et d'accompagner les créateurs. Le fonds assurantiel pour les tournages a été prolongé jusqu'à la fin de l'année, un fonds d'urgence sectoriel a été mis en place pour le CNC et une aide de 34 millions d'euros a été débloquée en faveur des distributeurs, des producteurs et des exploitants afin de compenser pour partie des effets de l'instauration du passe sanitaire sur la fréquentation.

Au-delà des aides conjoncturelles, ce quinquennat aura permis de mener une réforme ambitieuse du financement de la création et de la régulation des secteurs : directive SMA, directive droit d'auteur en voie d'achèvement, loi relative à la régulation. L'ensemble de ces réformes permettra de mieux protéger la création française et le droit d'auteur en prévoyant la contribution de l'ensemble des diffuseurs à la création française et en organisant un partage de la valeur plus équitable entre les plateformes, les producteurs et les auteurs. Grâce à cette réforme, les investissements dans le cinéma l'audiovisuel pourraient augmenter de 20 % dès 2022, soit 250 millions d'euros supplémentaires.

Depuis le début du quinquennat, le soutien pérenne aux filières des ICC aura progressé de 9 %, soit 49 millions d'euros. Cet appui s'est accompagné du déploiement du fonds dédié aux investissements dans les entreprises créatives doté de 250 millions d'euros et de 400 millions d'euros débloqués dans le cadre du PIA4. À ces sommes, s'ajoute le volet culture du plan France 2030 visant à produire les contenus culturels de demain, soit 600 millions d'euros : 200 millions pour la réalité virtuelle et la réalité augmentée, 300 millions pour les nouvelles structures de tournage et de production numérique et 100 millions pour la formation.

Enfin, le financement de l'audiovisuel public continuera à respecter la trajectoire exigeante mais réaliste engagée en 2018 et confirmée dans les contrats d'objectifs et de moyens des sociétés de l'audiovisuel public signés au printemps. La baisse de 190 millions d'euros entre 2018 et 2022 représente une diminution des crédits d'environ 5 % sur quatre ans. Les entreprises du secteur ont ainsi contribué à l'effort de maîtrise des dépenses publiques, chacune à la mesure de ses marges de manoeuvre.

Je rappelle que ces trajectoires constituent un engagement ferme du gouvernement, qui a ainsi garanti au secteur une visibilité pluriannuelle sur ses ressources. Ces trajectoires ont été respectées à l'euro près, sans compter le soutien exceptionnel de 73 millions d'euros versé pour l'aider à surmonter les effets de la crise sanitaire. L'impact de cette trajectoire n'a pas affecté l'accomplissement des missions de l'audiovisuel public. Les engagements en faveur de la création ont été préservés, des offres territoriales communes ont été lancées, Culture Box a été créée et France 4 pérennisée.

Par ailleurs, le gouvernement n'a pas renoncé à poursuivre la transformation du secteur. Le développement des coopérations et des synergies entre les sociétés de l'audiovisuel public est au coeur du plan de transformation annoncé par le gouvernement en 2018.

Cette ambition s'est traduite par la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens 2020-2022 qui pour la première fois comprennent un volet commun dédié à leurs missions communes ainsi qu'à leur engagement à coopérer encore davantage. La mise en oeuvre de ce volet commun s'est déjà traduite par des réalisations concrètes comme la signature le 22 octobre d'un pacte pour la jeunesse et d'un pacte pour la visibilité des Outre-mer. D'ici la fin de l'année, un pacte pour le soutien et l'exposition de la culture et de la musique sera également signé.

Elle se traduira aussi par le lancement par France Télévisions et Radio France d'une offre numérique de proximité partagée à la fin du premier trimestre 2022 avec la création d'un grand média numérique de la vie locale. Les Français auront ainsi accès à l'actualité autour de chez eux et disposeront d'une multitude de services pour faciliter leur vie quotidienne en termes et d'une grande diversité de programmes (culture, découverte, sport, divertissement, etc.). Ils pourront ainsi se retrouver autour de centres d'intérêt partagés.

Les deux entreprises créeront une structure légère opérationnelle, à la gouvernance paritaire, pour porter cette nouvelle offre éditoriale complétant le rapprochement engagé avec le déploiement de matinales communes à France Bleu et France 3. En trois ans, nous aurons accompli des avancées considérables sur les deux piliers de l'offre de proximité du service public. C'est une étape vers des coopérations encore plus étroites, y compris sur leurs offres linéaires, auxquelles j'ai demandé aux deux entreprises de travailler.

L'enjeu est que le service public soit présent aux côtés des Français, là où aucun autre média ne va. C'est une de ses spécificités. Je réaffirme avec force, face aux attaques et aux mises en cause dont il est l'objet, que le service public remplit des missions essentielles pour nos concitoyens, que les médias privés ne peuvent ou ne veulent assurer.

Il n'y aura pas de changement en 2022 sur la contribution à l'audiovisuel public (CAP) mais la suppression de la taxe d'habitation pose la question de son avenir. Différentes pistes de réformes ont été identifiées mais ce recensement ne permet pas d'arbitrage définitif. Un travail d'analyse approfondi sera conduit par une mission dédiée confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des finances (IGF) à laquelle les parlementaires seront associés. Je sais les travaux qui ont été menés ici et à l'Assemblée nationale.

Je tiens à souligner que le financement de l'audiovisuel public par le budget général est exclu du champ de la réflexion. La mission devra identifier une ressource pérenne, adaptée à la réalité des usages audiovisuels actuels, qui permette d'assurer un rendement équivalent à la CAP et comptable avec la garantie d'indépendance de l'audiovisuel public et l'exigence de prévisibilité de ses moyens.

J'ai donc l'honneur de défendre le dernier budget de ce quinquennat au cours duquel nous avons fait face à de nombreux défis et nous avons défendu l'avenir et le rayonnement de nos secteurs culturels. Ce budget est doté de moyens inédits et toute mon action vise à consolider le présent tout en préparant l'avenir.

Je me livre maintenant à vos questions.

M. Laurent Lafon, président. - Je donne successivement la parole à Sylvie Robert, pour les crédits de la création et de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture, et à Else Joseph, qui interviendra au nom de Sabine Drexler, pour les crédits « Patrimoines ».

Mme Sylvie Robert. - Je me réjouis que le budget de la mission culture augmente de manière substantielle.

J'attire néanmoins votre attention sur un point de vigilance. Nous avons tous été stupéfaits de voir que le public ne revenait pas dans les salles, ce qui pose des problèmes économiques aux différents acteurs. Le passe sanitaire est obligatoire dans les lieux culturels et la jauge de 75 % pour les concerts debout s'applique de nouveau dans certains départements. Pourquoi ne pas envisager une jauge à 100 %, avec port du masque obligatoire, pour permettre aux programmateurs de concerts de sortir de l'impasse ? Nous vous invitons à suivre avec la plus grande attention l'évolution du secteur pour, le cas échéant, proroger l'année blanche des intermittents de quelques mois.

Par ailleurs, le secteur des arts visuels est toujours fragilisé, non seulement en termes de crédits par rapport au spectacle vivant mais aussi parce que c'est un secteur peu structuré. Le 1 % artistique est de moins en moins appliqué et les artistes visuels souffrent globalement d'un problème de rémunération. Dans le rapport rédigé avec Sonia de La Provôté, nous préconisons la création d'un observatoire des arts visuels pour disposer de données socio-économiques sur ce secteur très compliqué à appréhender et ainsi mieux le soutenir.

Pour que le pass culture devienne un vrai levier de l'action publique, il pourrait être plus prescriptif. En effet, les jeunes se tournent plus volontiers vers les livres, le cinéma ou la musique que vers le spectacle vivant, les musées et les centres d'art.

Enfin, le budget prévoit 5 millions d'euros de crédits dans le cadre d'un appel à projets pour des initiatives locales. C'est une bonne nouvelle puisque nous sommes favorables à la déconcentration des crédits. J'ai constaté que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) avait débloqué un million d'euros pour les tiers lieux. Il serait intéressant que votre ministère et celui de la cohésion des territoires travaillent ensemble pour repérer ces lieux à vocation culturelle en lien avec les collectivités.

Mme Else Joseph. - J'interviens au nom de Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits du programme « Patrimoines ».

Les auditions conduites ces dernières semaines ont souligné l'obstacle du déficit d'ingénierie des collectivités territoriales et des propriétaires privés pour mener à bien leurs projets de restauration du patrimoine. C'est une conséquence directe de la réforme de la maîtrise d'ouvrage de 2005, qui avait pour but de mieux responsabiliser les propriétaires de monuments historiques. Pendant quelque temps, les services du ministère de la culture avaient mis en place une assistance à maîtrise d'ouvrage pour les dans leur nouvelle responsabilité. Or aujourd'hui, seules quelques rares régions proposent encore ce service et les agences départementales spécialisées sont à peine une poignée. C'est une vraie difficulté, dans la mesure où les collectivités territoriales, notamment les plus petites qui concentrent l'essentiel du patrimoine à protéger, ne sont généralement pas formées au rôle de maître d'ouvrage. Serait-il envisageable que les services déconcentrés assurent une mission d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ? Il faudrait alors renforcer les effectifs de ces services. Êtes-vous capable de chiffrer le nombre d'équivalents temps plein (ETP) supplémentaires ? Sinon, quelles solutions alternatives proposez-vous pour mieux accompagner les collectivités et les propriétaires privés ?

Ma deuxième question porte sur le fonds incitatif et partenarial. Cet outil est plébiscité, mais il est encore très méconnu des communes rurales auxquelles il est pourtant destiné et les cas dans lesquels il est activé restent relativement opaques. Nous avons le sentiment que vous avez développé un très bon outil, mais que le faible niveau de sa dotation vous oblige à ne pas en faire la publicité, d'où des résultats limités. Pouvez-vous nous confirmer que ce sont aujourd'hui les DRAC qui choisissent seules les projets qui bénéficieront de ce fonds ? Pourquoi ne pas envisager d'en accroître la dotation, avec une partie des crédits de restauration réservés chaque année aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État ?

Enfin, lors de nos dernières auditions, les musées nous ont alertés sur un risque accru de sortie d'un certain nombre de trésors nationaux, compte tenu de la forte augmentation des demandes de certificat d'exportation. Peu d'entreprises sont en mesure d'aider l'État, par le biais du mécénat, à acquérir ces chefs-d'oeuvre de notre patrimoine. Ce risque vous paraît-il avéré ? Votre ministère travaille-t-il à des pistes pour le limiter ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Si j'ai lancé une enquête sur la fréquentation des lieux culturels, c'est pour suivre finement et à intervalle régulier l'évolution du secteur. En effet, la fréquentation des cinémas est en baisse de 25 % par rapport à 2019, qui était une excellente année grâce au film Joker, mais de seulement 15 % par rapport à 2018. Par ailleurs, après un choc important au moment de l'instauration du passe sanitaire, du 13 au 19 septembre, pour la première fois depuis mi-juillet, la fréquentation était supérieure à celle de la même période de 2019. Cette amélioration a été de courte durée puisque la semaine 38, elle, était inférieure de 8 % à celle de 2019 puis de 26 % la semaine 39. Je considère que nous sommes globalement sur une baisse de 25 %.

Les établissements patrimoniaux nationaux ont enregistré une baisse importante de leur fréquentation par rapport à 2019 avant l'instauration du passe sanitaire. Cette chute oscille entre 56 % pour la semaine 35 et 41 % pour semaine 39. L'écart se résorbe légèrement en semaine 42, avec - 38 %. Les établissements souffrent non pas du passe sanitaire mais de l'absence des touristes étrangers. J'ai visité plusieurs expositions, celle consacrée à Georgia O'Keeffe à Pompidou ou celle consacrée au cinéma au musée d'Orsay, et j'ai bon espoir que la situation évolue.

Pour le spectacle vivant, les opérateurs avaient accueilli mi-octobre 75 000 spectateurs, soit une baisse de 15 % par rapport à 2019. La situation est très hétérogène. La Villette n'a enregistré que 2,4 % de baisse, alors que le remplissage de l'Opéra national de Paris a diminué de 24 %. La situation s'améliore et aujourd'hui les salles de l'Opéra sont pleines.

Les opérateurs sont gênés par un changement de pratiques. Avant la crise, en début de saison, les abonnements et les réservations représentaient 45 % de la jauge. Aujourd'hui, ce chiffre n'est que de 25 %. Ils ont donc moins de visibilité mais il y a plus de fluidité dans les places. Les grands acheteurs captaient une grande partie des places et de nombreux spectateurs n'en trouvaient pas. Nous ne savons pas si ses comportements deviendront pérennes.

Grâce au système d'information billetterie SIBIL, nous disposons de nouvelles informations. En septembre 2021, le nombre de billets vendus était inférieur de 28 % par rapport à 2019 mais en hausse de 36 % par rapport à 2020. Le chiffre d'affaires était en baisse de 85 % par rapport à 2019 et de 53 % par rapport à 2020.

La dégradation de la situation sanitaire a en effet conduit le Gouvernement, dans les départements où le taux d'incidence dépassait 50 cas pour 100 000 habitants, à maintenir les mesures de freinage. 60 départements sont désormais concernés, contre une vingtaine il y a peu, par l'abaissement des jauges à 75 %. Je comprends les difficultés des opérateurs et je m'interroge, avec vous, sur la territorialisation des mesures de sécurité sanitaire.

Je suis favorable à la création d'un observatoire des arts visuels. Nous avons constitué un groupe de travail avec le Conseil national des professions des arts visuels. Il s'intéresse à l'observation et vise à établir les besoins pour le secteur et à mieux mobiliser les différents acteurs : le département des statistiques du ministère, le CNAP ou les pôles régionaux.

Tous les acteurs culturels demandent la sanctuarisation de lignes du pass culture à hauteur de 5 ou de 10 %. Il me paraît difficile d'accéder à leurs demandes, d'autant plus que le pass culture est un outil d'autonomisation. Pourquoi empêcher un jeune de consacrer ses 300 euros à l'achat d'une guitare ? Je suis donc très réservée sur le côté prescriptif du pass culture et il serait, de plus, impossible de satisfaire tous les secteurs.

Je suis très attentivement la situation des intermittents avec ma collègue Élisabeth Borne. Je n'ai pas d'inquiétude en raison de la prolongation de l'année blanche et des mesures d'accompagnement que nous avons mises en place. Nous manquons même d'intermittents dans certains secteurs !

La maîtrise d'ouvrage des travaux sur les monuments a été rendue aux propriétaires. Pour atténuer les conséquences défavorables de cette réforme, le code du patrimoine prévoit que les DRAC peuvent assurer une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) à titre gratuit. Certaines DRAC y parviennent, d'autres rencontrent des difficultés compte tenu de leurs effectifs très faibles en ingénieurs des services culturels et en techniciens des bâtiments de France. Les DRAC peuvent également aider les propriétaires privés et les collectivités à assurer leur rôle de maître d'ouvrage en participant par subvention au coût du recrutement d'une AMO privée.

La situation des effectifs des personnels techniques des DRAC est sensible et fait l'objet de mon attention constante. Le recrutement est complexe et les départs à la retraite à venir exigent l'organisation de concours pour assurer les remplacements. Le ministère a également engagé un plan pour résorber la vacance d'emplois et mieux répondre aux besoins sur l'ensemble du territoire. En 2020, sur les 30 ETP obtenus pour accompagner la déconcentration, 7 postes ont été consacrés au renforcement de certaines UDAP. Je souhaite, qu'à côté de l'offre de l'État, les collectivités territoriales développent une offre propre pour la réalisation des études préalables aux travaux.

Il est peut-être excessif d'affirmer que nous ne faisons pas la publicité du FIP car il manquerait de moyens. C'est un outil utile et novateur, intégralement déconcentré. Il associe les régions et permet un soutien renforcé de l'État, jusqu'à 80 %, sous réserve d'une participation financière des régions de 15 %, 5 % en Outre-mer. Toutes les régions métropolitaines, à l'exception de la Normandie, se sont engagées avec l'État et 500 opérations ont été financées. Les communes de moins de 2 000 habitants représentent 65 % des bénéficiaires du FIP. Pour répondre à ce succès, sa dotation est portée de 15 à 16 millions d'euros. Cette augmentation est mesurée pour préserver l'effet de levier des crédits de l'État.

Enfin, nous sommes évidemment très attentifs à la sortie du territoire des trésors nationaux. À ce jour, je n'observe pas de multiplication inquiétante du nombre de demandes de certificats, qui est compris entre 10 000 et 11 000 par an. Ce chiffre a baissé en raison de la crise sanitaire et de la hausse des seuils de valeur. Néanmoins, d'importants trésors nationaux sont actuellement en attente d'acquisition et malgré nos efforts, ils ne pourront pas tous rejoindre les collections publiques. Les montants en jeu sont phénoménaux, un Rembrandt est par exemple estimé entre 175 et 180 millions d'euros. Une seule oeuvre pourrait absorber la capacité d'achat d'un établissement public. Les musées ne ménagent pas leurs efforts pour trouver des mécènes ou organiser des opérations participatives et nous suivons la situation avec la plus grande attention comme nous l'avons fait pour le Baiser de Brancusi.

M. Laurent Lafon, président. - Merci madame la ministre. Je donne la parole à mes collègues pour une nouvelle série de questions en les invitant à être synthétiques.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Le budget consacré au patrimoine est en augmentation de 200 millions d'euros par rapport à 2021 et les investissements prévus par le plan de relance sont nécessaires voire vitaux. Certains opérateurs risquent de connaître une situation encore plus difficile qu'en 2020. L'ouverture partielle ne leur a pas permis de réaliser des économies comme lors du premier confinement où les activités étaient totalement arrêtées. Le public ne revient que très progressivement du fait d'une jauge stricte et l'absence des touristes étrangers pèse toujours. Les grands musées parisiens, dont le modèle économique repose largement sur l'autofinancement, sont particulièrement concernés par cet arrêt du tourisme international qui représentait, avant la crise, 75 % des visiteurs. La RMN-Grand Palais dépend à 76 % de ses ressources propres et le musée du Louvre à 63 % comme nous l'a indiqué sa nouvelle présidente Mme des Cars.

Des ruptures de trésorerie ont dû être anticipées, par exemple avec le versement pour les travaux du Grand Palais du PIA dès le mois de juillet. Par ailleurs, malgré le soutien de l'État, les pertes du musée du Louvre ne sont qu'à moitié couvertes. Cette situation doit nous amener à réfléchir sur le modèle économique de ces grands établissements.

Je souhaite également évoquer la baisse de fréquentation de l'Opéra de Paris, qui traverse une période difficile et rencontre d'importants problèmes de trésorerie. Il a été contraint de stopper le projet d'aménagement d'une salle modulable. Pouvez-vous faire le point sur la situation de l'établissement à partir du rapport qui vous a été remis par messieurs Tardieu et Hirsch ? Pouvez-vous nous confirmer qu'un accompagnement financier supplémentaire est envisagé dans le cadre du second projet de loi de finances rectificative (PLFR) ?

Enfin, le Grand Palais a renoncé à des transformations dispendieuses pour se concentrer plus raisonnablement et à la demande du gouvernement sur les aménagements indispensables. Pouvez-vous préciser l'état d'avancement des travaux et l'utilisation du budget attribué, qui reste stable malgré la transformation du projet initial ?

Mme Sonia de La Provôté. - Pour le patrimoine, vous avez répondu sur le FIP et sur l'AMO. Sur l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), malgré l'augmentation de son budget, nous nous attendons à un embouteillage des demandes. Comment allez-vous suivre les compétences en matière d'études archéologiques sur le terrain ? Les référents ruralité, annoncés au sein des DRAC par l'Agenda rural pour accompagner les questions patrimoniales, ont-ils été mis en place ?

Les conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) peinent à s'installer dans certaines régions. Comment envisagez-vous d'accompagner les politiques publiques dans les territoires et la mise en place de ces CLTC ? Pourquoi ne pas prévoir une part de co-construction entre les DRAC et les collectivités locales et de co-finacement des politiques culturelles ? En effet, entre les labels et les appels à projets, il ne reste qu'une portion congrue pour les initiatives locales.

Enfin, le nombre d'étudiants dans les écoles d'architecture stagne, alors qu'elles forment à des métiers d'avenir sur lesquels repose une partie des enjeux environnementaux.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'interrogation de Céline Boulay-Espéronnier sur la pérennité du modèle économique des grands opérateurs. La politique de mécénat est soumise à des contraintes très difficiles à gérer pour les établissements. Il n'est par exemple pas aisé de faire financer une nouvelle salle sur les arts byzantins par l'Azerbaïdjan qui exposera du mobilier arménien.

La crise du Covid a révélé une fragilité sous-jacente. Par ailleurs, une partie du mécénat se dirige vers des structures privées, au détriment des établissements publics. Je crains que les soutiens exceptionnels de l'État deviennent pérennes et votre ministère soit contraint de négocier avec Bercy, qui vous demandera la fin de ces dispositifs exceptionnels qui sont structurellement indispensables pour ces grands opérateurs.

Dans ce contexte, je m'interroge sur l'opportunité de transformer le mobilier national en établissement public, ce qui le soumettra lui aussi à des contraintes de recherche de ressources propres.

Enfin, j'ai assisté la semaine dernière au Collège de France à un hommage rendu à Jack Ralite. Grâce à son initiative, pendant des années, des professeurs au Collège de France sont allés à Aubervilliers pour présenter leurs recherches. C'est un magnifique exemple d'intermédiation culturelle qui va vers ceux qui n'ont pas l'habitude de fréquenter ce niveau de savoir. Je considère que le pass culture est à l'inverse de cette démarche et je ne suis pas certain que nous puissions trouver la même révélation dans une forme de consommation culturelle sans intermédiation.

M. Julien Bargeton. - Je me félicite de ce budget historique qui dépasse pour la première fois 4 milliards d'euros. Les crédits de la mission Culture ont progressé de 500 millions d'euros en cinq ans et de 8 % en 2022.

Sur la mission Livres, Médias et industries culturelles, la progression est de près de 12 % et le plan de relance apporte 600 millions d'euros supplémentaires.

Je vous félicite pour cet effort, pour le Fonpeps et l'emploi dans le secteur de la culture et pour votre engagement dans le secteur culturel.

Le Centre national de la musique (CNM) devrait retrouver en 2023 un étiage normal et il a besoin de ressources pérennes, notamment à la suite de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les droits à répartir. Quelles sont les pistes pour le financer à long terme ?

La conservation de la presse de la IIIe République est un projet porté par la Bibliothèque nationale de France (BnF) qui présente un intérêt patrimonial et historique majeur. Pouvez-vous nous rassurer sur ce projet ?

Enfin, le jeu vidéo est un domaine très concurrentiel de l'excellence française. Le crédit d'impôts dont il bénéficie est parfois attaqué alors qu'il semble efficace. Pouvez-vous nous communiquer des éléments objectifs sur son efficacité, notamment en termes de création d'emplois ? En effet, le secteur du jeu vidéo a un lien très fort avec l'innovation et nous devons le défendre et l'encourager.

Mme Marie-Pierre Monier. - La mission de service public de l'Inrap est revalorisée de 2 %, aux dépens des subventions destinées aux services d'archéologie départementaux agréés et grâce au transfert des moyens du département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM) en provenance du programme 361 de la mission culture. Or, l'archéologie préventive a été perturbée par la crise sanitaire et a besoin de moyens.

Dans le cadre des crédits restant du plan de relance, la ligne de 10 millions d'euros destinée à aider les collectivités territoriales peut-elle être sollicitée pour aider les communautés de communes à financer des travaux de fouilles et d'archéologie préventive ?

Par ailleurs, les crédits alloués aux sites patrimoniaux remarquables stagnent depuis 2018. Pourquoi cette enveloppe n'a-t-elle pas évolué ?

Enfin, le bleu budgétaire du programme 131 prévoit la transition du mobilier national d'un service à compétence nationale vers un statut d'établissement public à caractère administratif. Comment les partenaires sociaux appréhendent cette évolution et quel est pour vous l'intérêt de ce changement ?

Je vous remercie également pour l'entrevue que nous avons eue sur le patrimoine culturel immatériel. Avez-vous retenu quelques-unes de nos propositions ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - La compensation des pertes de recettes des opérateurs sera examinée dans le cadre de la LFR qui sera examinée d'ici la fin de l'année. Ces pertes s'élèvent à 969 millions d'euros.

Pour les établissements du programme 175, nous allons mobiliser 169 millions d'euros répartis de la manière suivante :

- Le CMN 30 millions d'euros ;

- La Villette 24 millions d'euros ;

- Le Louvre 53 millions d'euros ;

- Le musée d'Orsay 18 millions d'euros ;

- Le Grand Palais 12 millions d'euros ;

- Le musée Rodin 5 millions d'euros ;

Sur le programme 361, Universcience bénéficiera de 23 millions d'euros.

Pour le programme 131, la Philharmonie recevra 8 millions d'euros, l'Opéra de Paris 25 millions, la Comédie française près de 6 millions, Pompidou 1 million, le Palais de Tokyo 709 000 euros, le musée de Sèvres 320 000 euros et l'Odéon un million d'euros.

Nous verserons donc aux opérateurs un total de 234 millions d'euros.

La salle modulable de l'Opéra de Paris n'a pas été abandonnée sous l'effet de la crise mais après évaluation des besoins structurels de l'établissement. J'ai en effet demandé un rapport de travail à Georges-François Hirsch et à Christophe Tardieu et j'ai engagé des échanges avec la direction et le conseil d'administration de l'Opéra de Paris pour construire une nouvelle feuille de route.

À l'issue de ces échanges, j'ai demandé à Alexander Neef d'engager, en étroite collaboration avec les représentants du personnel, la réforme du modèle artistique, économique et social de l'Opéra de Paris. Le projet stratégique s'articule autour des priorités suivantes : faire évoluer les méthodes de programmation artistique et la planification pour mieux maîtriser en exécution les coûts de production et la masse salariale variable ; redéfinir l'organisation des services et des règles de fonctionnement pour réduire les charges fixes ; retrouver progressivement les recettes perçues avant la crise sanitaire ; revenir en 2024 à un budget équilibré. En contrepartie de ces efforts, l'État maintient son important soutien et les crédits initialement dédiés au projet de salle modulable seront utilisés pour la transformation de l'établissement. Enfin, ses moyens seront consolidés avec la hausse de 0,9 million d'euros de la subvention de fonctionnement et de 3,5 millions d'euros de la subvention d'investissement. Le projet global sera validé par les tutelles dans les prochaines semaines.

Pour le Grand Palais, l'enveloppe budgétaire de 470 millions d'euros est strictement respectée. Il est totalement fermé depuis le 12 mars et le Grand Palais éphémère a été inauguré le 9 juin. Il remplit parfaitement ses fonctions et les travaux se déroulent selon le coût d'objectif et le calendrier prévus.

Dans le cadre du plan de relance, les crédits de l'Inrap ont été abondés de 20 millions d'euros au titre des missions non concurrentielles. Cet établissement contribue parfaitement à la relance économique et à l'aménagement du territoire. Il fait face à une augmentation de 20 % de l'activité de diagnostic. La trajectoire de redressement est confirmée par la hausse du chiffre d'affaires, les charges sont maîtrisées et son éligibilité au crédit impôts recherche est confirmée. Plusieurs réformes de fond sont menées, comme la mise en oeuvre d'une comptabilité analytique, la réduction des implantations ou le redressement des prix de vente. En 2022, la subvention progressera de 1,5 million d'euros au titre de la réforme indemnitaire des agents contractuels sur le secteur non concurrentiel.

Pour les écoles d'architecture, l'effort budgétaire 2022 est sans précédent, avec 8,2 millions d'euros sur le programme 361. Par ailleurs, dix emplois supplémentaires seront dégagés en gestion pour poursuivre le renforcement des effectifs. Les écoles nationales supérieures d'architecture (ENSA) bénéficient de 60 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Elles doivent se mettre en ordre de marche pour la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018 et occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. J'ai remis hier l'écharpe de commandeur des Arts et Lettres à Mme Lacaton et à M. Vassal qui ont obtenu le prix Pritzker et qui sont les chantres de cette nouvelle façon de considérer l'architecture.

Le Mobilier national est une institution de référence pour les métiers d'art et de design. Ses ateliers perpétuent un savoir-faire d'excellence. La transformation de ce service à compétence nationale en établissement public à caractère administratif est en cours. Un rapport de la Cour des comptes et le rapport parlementaire « France métiers d'excellence » ont montré la nécessité de faire évoluer son statut pour valoriser son utilité sociale en libérant les leviers de modernisation. Un effort supplémentaire de 4,5 millions d'euros et de 10 ETP est porté au PLF 2022 afin d'accompagner cette transformation et porter une nouvelle ambition pour le rayonnement des savoir-faire français et engager le schéma directeur de cet établissement.

Cette réforme est nécessaire. Les organisations syndicales craignaient qu'elle se déroule à budget et à emplois constants, ce n'est pas le cas !

Un arrêt de la CJUE a reporté durablement la contribution des organismes de gestion collective au financement du CNM. Nous devons explorer d'autres solutions pour créer une plus grande symétrie entre les acteurs du spectacle et ceux de la musique enregistrée. L'une d'entre elles serait la taxation des ventes de musique, notamment par abonnement. Elle l'aurait l'avantage de permettre, comme pour le spectacle, la taxation de la filière par et pour elle-même. Il est un peu tôt pour que le ministère se positionne sur ce dossier, que je suis avec la plus grande attention.

À travers la collection des journaux de la IIIe République, vous posez le problème de la numérisation des collections de presse de la BnF qui sont les plus vastes et les plus anciennes du monde avec 270 000 titres de presse. Une grande partie des collections est menacée de disparition et la numérisation est la seule solution. Pour accélérer ce chantier, la BnF a besoin de 80 millions d'euros sur six ans. La numérisation des contenus culturels fait partie des dispositifs financés par le PIA4. La BnF pourra donc candidater en 2022 à un financement à ce titre, sous réserve qu'elle en remplisse les critères.

Le fonds d'aide aux jeux vidéo dispose d'un budget limité de 4 millions d'euros et la dépense fiscale du crédit d'impôts jeux vidéo a atteint en 2020 63 millions d'euros. Pour approfondir la connaissance statistique du secteur, les ministères de la culture et de l'économie ont publié cette année une étude sur le tissu économique et la compétitivité de la filière. L'industrie française du jeu vidéo s'est considérablement renforcée avec 1 000 entreprises actives sur l'ensemble du territoire qui emploient 12 000 personnes. La France se distingue par la qualité de ses formations, la créativité de ses studios mais le secteur fait face à deux défis majeurs. La consommation culturelle s'inscrit de plus dans un environnement tout numérique. Il bénéficie de la confiance d'investisseurs extra-européens et connaît une très forte accélération du mouvement de consolidation industrielle, ce qui pose la question de l'indépendance du modèle français. Enfin, le jeu vidéo sera au coeur du plan France 2030.

M. Laurent Lafon, président. - Je donne la parole à Jean-Raymond Hugonet pour les crédits de l'audiovisuel, puis à Michel Laugier pour la presse et enfin à Jérémy Bacchi pour le cinéma.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Il y a maintenant six ans, en 2015, notre commission avait proposé une réforme « clé en main » de l'audiovisuel public, portant à la fois sur la gouvernance avec la création d'une holding et sur son financement avec la création d'une taxe universelle « à l'allemande ».

Au terme de ce quinquennat, nous sommes au regret de constater que rien n'a avancé. La réforme de la gouvernance a été abandonnée en mars 2020 et celle du financement a été chaque année reportée, suscitant aujourd'hui une inquiétude réelle et grandissante chez les différents acteurs.

Alors que les médias privés se regroupent pour essayer de résister à la concurrence des plateformes, comment expliquez-vous cette absence d'ambition du gouvernement pour le service public de l'audiovisuel tout au long du quinquennat ?

Concernant la réforme de la CAP, vous avez demandé que le rapport des inspections générales soit rendu en mai 2022. Compte tenu des échéances électorales et des contraintes inhérentes à la préparation du budget 2023, pensez-vous qu'il sera techniquement possible pour le prochain gouvernement d'inscrire cette réforme dans le PLF 2023 ou faudra-t-il envisager une solution de transition consistant, par exemple, à maintenir en 2023 la CAP en l'état avec un rôle fiscal propre ?

Ma seconde question porte sur la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4. Alors que le contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions adopté en début d'année prévoyait encore sa suppression, elle a été finalement maintenue au lendemain de l'adoption, par notre commission, d'un amendement prévoyant de l'inscrire dans la loi.

Pour autant, le budget de France Télévisions ne comporte aucune rallonge pour financer cette chaîne dont le coût est estimé entre 20 et 40 millions d'euros. Confirmez-vous, dans ces conditions, que le budget de France Télévisions pourrait être en déficit en 2022, du fait de cette charge nouvelle non compensée ?

Enfin, vous avez annoncé la création d'une offre numérique commune à France 3 et à France Bleu avec une structure partagée. Pouvez-vous préciser le cadre juridique de cette coopération ? S'agira-t-il d'un groupement d'intérêt public ? Quel sera son périmètre ? Cette structure comprendra-t-elle l'ensemble des moyens humains de France Bleu et des antennes régionales de France 3 ou seulement une équipe restreinte, dédiée à cette nouvelle offre numérique ?

M. Michel Laugier. - La mauvaise volonté de Google à jouer le jeu de la négociation sur les droits voisins est dorénavant établie par une décision d'une sévérité inédite de l'Autorité de la concurrence en date du 23 juillet dernier. Or les échos que nous en avons semblent montrer que l'incitation à une négociation de bonne foi n'est pas suivie d'effet. Google a-t-il réglé les 500 millions d'amende ? Les astreintes ont-elles commencé à tomber ou bien sommes-nous dans un jeu qui, manifestement, ne mène nulle part ?

Comme d'autres secteurs, la presse subit une forte hausse du prix des matières premières. Le papier a augmenté de 25 % à 30 %, quand il est disponible, et les emballages de 50 %. Je constate que les incitations mises en place avec l'éco-contribution ne sont pas suffisantes puisque tout semble finir en carton. Madame la ministre, quelle solution pourrions-nous proposer à ce secteur déjà fragile avant la crise et désormais aux abois ?

M. Jérémy Bacchi. - Le secteur du cinéma a plutôt bien résisté à la crise grâce au soutien massif de l'État. Cependant, le secteur manque de techniciens et de scénaristes pour la relance de la production. Vous avez évoqué un chiffre de 600 millions d'euros, dont 100 millions dédiés à la formation. Pouvez-vous préciser l'affectation de ces crédits ?

Par ailleurs, le CNC va ouvrir ses aides aux nouveaux diffuseurs. Ce soutien représentera environ 30 millions d'euros chaque année. Si le CNC a mis en place un fonds sélectif de 5 millions d'euros, il subsiste un écart de 25 millions d'euros qui n'est pas compensé. Comment cet écart sera-t-il compensé dans les années à venir ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - L'analyse des travaux réalisés sur la CAP constitue un élément de perplexité. L'énumération de mon propos liminaire n'était pas hiérarchisée et les propositions de réforme doivent être jugées à l'aune d'une grande impopularité et d'un défaut d'acceptation de l'opinion publique.

La holding avait pour objectif d'améliorer les coopérations entre les sociétés de l'audiovisuel public mais je pense que ces coopérations peuvent être mises en oeuvre sans structure chapeau, qui aurait été source de conflit et de dépenses supplémentaires (président, directeur, secrétaires, frais de fonctionnement, etc.). Par ailleurs, elle était rejetée par l'ensemble des personnels des différents établissements.

Le rapprochement entre France 3 et France Bleu est essentiel. Il s'est concrétisé avec la mise en place de matinales communes depuis janvier 2019. Leur généralisation est prévue à l'horizon 2023. Les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France engagent les deux sociétés à amplifier la coopération de leurs réseaux régionaux qui se concrétise par l'offre numérique de proximité. Il y aura donc un grand média numérique de la vie locale au plus tard à la fin du premier trimestre 2022. Sur proposition des deux entreprises, le gouvernement leur a demandé de porter et de piloter cette offre de manière paritaire, à travers une structure légère et opérationnelle, qui prendra la forme d'un groupement d'intérêts économiques (GIE). Ce GIE sera chargé de piloter l'offre éditoriale, de définir la marque et de porter la plateforme technologique.

Radio France et France Télévisions, au cours d'une réunion de travail avec le Premier ministre, nous ont fait part de leur intention de multiplier les initiatives communes de terrain, notamment dans le cadre de la couverture des échéances électorales. Par ailleurs, je les ai invitées à engager une réflexion sur l'approfondissement de leur coopération avec un objectif d'accroissement de l'offre de proximité en télévision et en radio, d'amélioration de son exposition et d'accroissement du maillage territorial des deux réseaux. Le résultat de cette réflexion a vocation à être inscrit dans la prochaine génération des contrats d'objectifs et de moyens.

La mission commune de l'IGAC et de l'IGF devra tenir compte de ces objectifs et identifier une ressource permettant d'accompagner l'enrichissement de cette offre de proximité.

Pour l'amende infligée à Google par l'Autorité de la concurrence (ADLC), le recouvrement des sanctions pécuniaire est du ressort de la direction générale des Finances publiques (DGFiP). À notre connaissance, le titre de perception a été émis. Je précise également que le produit des amendes dressées pour sanctionner le non-respect des injonctions prononcées par l'ADLC alimente le budget général de l'État. Il ne peut être affecté à la réparation du préjudice subi par l'une des parties.

La hausse des prix du papier et ses conséquences pour la presse ne sont pas directement de mon ressort mais de celui du ministre de l'Industrie. Vous en connaissez les raisons structurelles, restructuration de la filière papetière, fortes tensions sur le marché du papier recyclé, mais aussi des raisons conjoncturelles, forte reprise de l'activité économique mondiale, hausse globale du prix des matières premières, de l'énergie.

Le plan France 2030 prévoit 300 millions d'euros pour doter notre pays d'infrastructures de production de niveau international. De nombreux professionnels ont été interrogés et ils nous ont indiqué qu'ils avaient besoin de nombreux besoins de studios adaptés aux techniques nouvelles de production audiovisuelle. L'objectif est de faire émerger quelques grandes infrastructures dans des territoires stratégiques. Le président de la République a fait une première annonce pour le site de Marseille, qui dispose déjà d'un écosystème de studios qu'il faut adapter. Nous pensons aussi à la région parisienne et à Lille.

Un volet de 100 millions d'euros est consacré à la formation. Sur les 20 meilleures écoles du monde, 4 sont françaises, dont l'école des Gobelins, la Femis ou l'école Louis Lumière.

Notre ambition est de pallier la pénurie d'auteurs, de techniciens, de cadres de production, d'ingénieurs, de webdesigners, de codeurs ou de logisticiens. Nous voulons aussi développer des formations plus courtes, centrées sur l'apprentissage. J'ai passé une matinée à la Ciné Fabrique de Lyon, 50 % des étudiants sont boursiers et certains entrent sans le bac. Nous devons pousser la démocratisation de ces métiers.

Enfin, 200 millions d'euros sont destinés aux technologies de réalité virtuelle et augmentée. La production directe de contenus audiovisuels en bénéficiera. J'ai vu à Chaillot le spectacle de Blanca Li en réalité virtuelle, c'est impressionnant. Il y a là une source extraordinaire de création et de divertissement. Ces technologies peuvent profiter à l'ensemble du secteur culturel, avec la visite de musées, de sites patrimoniaux ou de sites naturels exceptionnels.

Pour le spectacle vivant en streaming, il faut imaginer d'autres produits et ne pas se contenter de planter deux caméras sur une scène. Il existe une collaboration très intéressante entre le Châtelet et la troupe (la)horde de Marseille et la mode peut également bénéficier de ces nouvelles technologies.

Enfin, les grandes plateformes participeront à la création française à hauteur de 20 à 25 % de leur chiffre d'affaires grâce à la publication du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). C'est une première étape historique et la contrepartie de ces obligations nouvelles est l'accès à des aides du CNC. Les services du CNC ont travaillé à l'ouverture progressive des soutiens, en concertation avec les producteurs audiovisuels et les plateformes. Le conseil d'administration du CNC a voté vendredi dernier la création d'un fonds de soutien sélectif pour les producteurs qui travaillent avec les plateformes. Cette avancée est conditionnée à l'acception du décret SMAD dans toutes ses composantes.

Mme Laure Darcos. - Sur le spectacle vivant, les jauges sont revenues à 75 %. La crise sanitaire a amplifié la règle selon laquelle les producteurs doivent rembourser les places des spectacles annulés ce qui a considérablement fragilisé le secteur, étranglé par le remboursement de la billetterie. Quelles seraient les pistes pour améliorer la situation ?

Vous n'avez pas abordé les problèmes de harcèlement rencontrés dans certaines écoles d'architecture.

Enfin, dans le cadre de la recherche, j'ai réalisé un focus sur la culture scientifique. J'ai constaté qu'à Universcience ou au Muséum d'histoire naturelle, les particuliers reviennent mais pas les groupes scolaires. Je vous demande de nous appuyer auprès du ministère de l'éducation nationale pour que les groupes scolaires retournent dans les musées et dans les salles de spectacle. Nous n'amènerons pas nos jeunes à aimer la science si nous ne les envoyons pas à Universcience.

M. David Assouline. - En 2018, les ressources de l'audiovisuel public ont diminué de 39 millions d'euros, de 35 millions en 2019, de 70 millions en 2020 et en 2021 et le budget 2022 prévoit une nouvelle diminution de 18 millions. Sur le quinquennat, la dotation à l'audiovisuel aura baissé de 240 millions d'euros.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - La baisse est de 5 %.

M. David Assouline. - Les ministres successifs ont tous assuré que l'audiovisuel public était absolument nécessaire pour la démocratie, l'information, pour les investissements dans la création. Or, je constate que ces baisses vont à l'encontre de ces déclarations. Pendant plusieurs années, l'État nous a expliqué que l'offre publique était pléthorique et que France 4 pouvait être supprimée. Aujourd'hui France 4 est maintenue, avec une offre un peu différente, mais sans accompagnement budgétaire. Soit cette chaîne ne coûtait pas très cher, soit il manque 30 millions dans le budget pour la financer. Comment justifiez-vous le maintien de France 4 tout en diminuant le budget de France Télévisions ?

Sur la redevance, je suis très inquiet. Je pense que le ministère de la culture sous-estime l'action de Bercy, qui semble freiner toute réforme. Or, en l'absence de réforme, la suppression de la taxe d'habitation va plonger l'audiovisuel dans un gouffre puisqu'il n'y aura plus de recettes. Dans ces conditions, la proposition de certains candidats à l'élection présidentielle de privatiser l'audiovisuel public prendra corps. Si aucune décision n'est prise, l'audiovisuel public sera fragilisé. Ce n'est pas une accusation, c'est un avertissement. Je prends date et malheureusement la réalité ne m'a jamais donné tort sur ce type de prévision.

J'aimerais en savoir plus sur la mission que vous avez confiée à l'IGAC et à l'IGF. À quel moment ses travaux débuteront-ils ? Qui la compose ? Quand les parlementaires seront-ils sollicités ?

Plusieurs ministères ont nommé une mission pour travailler sur la question des concentrations. J'ai le sentiment que nos réflexions ne vont pas dans le même sens et nous allons créer une commission d'enquête. Nous pouvons considérer que les hyperconcentrations présentent un danger et qu'il faut les évaluer ou estimer que la réglementation est caduque car il est nécessaire de permettre plus de concentrations, pour que les acteurs soient mieux positionnés par rapport aux plateformes. Certains pensent que c'est la meilleure manière de répondre aux géants. Comme nous ne disposerons jamais de géants à la hauteur d'Amazon, je suis convaincu que nous devons mettre en avant d'autres atouts, comme la pluralité et la diversité de l'offre.

Quel est l'objectif du gouvernement ? Adapter la législation pour permettre plus de concentrations ou conserver la loi de 1986 ?

Mme Monique de Marco. - Je vous remercie, madame la ministre, pour cette annonce sur l'offre numérique locale. Sera-t-elle gérée au niveau local ? En effet, je me souviens de la suppression de certaines stations locales de FIP qui assuraient une information de proximité.

Par ailleurs, quel sera le budget consacré à cette nouvelle offre ? Bénéficiera-t-elle de nouveaux moyens ou d'une nouvelle répartition de moyens déjà alloués ? Les syndicats de France Télévisions nous ont en effet alertés sur un manque de moyens financiers et humains.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. - Je considère que le service public de l'audiovisuel bénéficie de moyens puissants. La trajectoire de diminution a été modérée, 5 % sur ensemble du quinquennat et elle a tenu compte de la capacité de réorganisation et de réforme de ce secteur. Il a également bénéficié de 73 millions d'euros pour compenser les effets de la crise sanitaire.

Grâce à une réorganisation modérée, il remplit l'intégralité de ses missions, taille des croupières à l'audiovisuel privé et a conservé la même capacité de création.

La mission conjointe de l'IGAC et de l'IGF sur la CAP a été lancée fin octobre. Nous les réunirons prochainement pour examiner la manière dont elles vont s'emparer de ce sujet et associer les parlementaires à leurs travaux.

Sur la concentration des médias, nous pouvons effectivement nous interroger sur l'efficacité des textes dont nous disposons. La loi du 30 septembre 1986 ne traite que de la diffusion hertzienne et de la presse papier et ne concerne que les concentrations horizontales, comme celle de TF1 et de M6, mais pas les concentrations verticales entre la production, la distribution et la diffusion. Nous devons réfléchir à de nouveaux textes, sur un terrain vierge, ce qui demande un très gros travail.

J'ai rappelé à l'Assemblée nationale le calendrier de l'étude du projet de rapprochement entre TF1 et M6, qui aboutira ou non fin 2022. Les instances représentatives du personnel ont voté à l'unanimité pour cette fusion. Le conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) mène des auditions et rendra son avis dans le courant du premier semestre 2022. Enfin, l'Autorité de la concurrence, qui étudie l'impact de cette fusion sur le marché publicitaire, se prononcera à l'été 2022. Si elle est créée, la nouvelle entité devra vendre trois de ses dix chaînes et je serai très attentive au respect des différentes échéances.

La gestion de l'offre numérique locale sera de la responsabilité de France Télévisions et de Radio France.

Des mécanismes permettent de transformer les remboursements de billetterie en avoirs sur des spectacles à venir.

Sur les ENSA, les questions de harcèlement font l'objet d'une action spécifique du ministère. Nous avons lancé une mission de l'IGAC et de l'inspection de l'enseignement supérieur pour évaluer les techniques de charrette, extrêmement violentes pour les étudiants.

Enfin, vous avez raison, les Français manquent singulièrement de culture scientifique. Les grands établissements comme Universcience sont bien adaptés pour répondre à cet enjeu et je suis favorable à ce que les écoles retournent dans les établissements culturels. Pour autant, vous avez souligné l'effet contre-productif de certaines déclarations ministérielles que je me garderais bien de prononcer.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie pour vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.

Mercredi 10 novembre 2021

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2022 - Crédits relatifs à l'enseignement scolaire - Examen du rapport pour avis

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». - Les crédits de la mission « Enseignement scolaire », hors enseignement agricole, s'élèvent en 2022 à 76,25 milliards d'euros. Cela représente une augmentation d'1,47 milliard d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021, soit une hausse de 2,47 %. Ainsi, sur l'ensemble du quinquennat, ces crédits auront augmenté de 6,17 milliards d'euros, soit 8,8 %.

Dans ce budget pour 2022, 726 millions d'euros traduisent la priorité du Grenelle de l'éducation en faveur de la revalorisation des salaires du personnel de l'Éducation nationale. Je ne reviendrai pas sur ces mesures, détaillées par M. le ministre lors de son audition de la semaine dernière. Toutefois, je voudrais souligner que 58 % des professeurs et assimilés bénéficieront d'une prime  « Grenelle » en 2022. De plus, 55,8 millions d'euros seront consacrés à la revalorisation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) en 2021 et 2022. Dans son ensemble, le PLF pour 2022 consacre 3,5 milliards d'euros en faveur de l'école inclusive.

De manière générale, je salue ce budget. Toutefois, je souhaiterais attirer votre attention sur certains points auxquels nous devrons nous montrer vigilants.

Pour la première fois depuis le début du quinquennat, le nombre d'équivalents temps plein (ETP) n'augmentera pas dans le premier degré, alors que le dédoublement des classes de grande section en réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP+ n'est pas achevé.

En outre, le plafonnement à vingt-quatre élèves, hors éducation prioritaire, en grande section de maternelle, CP et CE1 doit encore être mis en oeuvre dans 14 % des classes d'ici la rentrée scolaire 2022. Je salue bien sûr cette volonté d'améliorer les conditions d'apprentissage des savoirs fondamentaux dans les classes charnières. Néanmoins, nous devrons être attentifs aux possibles effets de bord, et notamment aux capacités de remplacement des enseignants et directeurs d'école, y compris pour des absences de courte durée.

Le ministère table sur une baisse démographique de 75 000 enfants dans le primaire dès 2022 pour résoudre cette équation entre ETP constants et promesse d'une amélioration du taux d'encadrement pour les grandes sections, CP et CE1. Il nous reste à espérer que cette équation se révèle juste !

La situation est particulièrement tendue dans le secondaire, qui est au coeur de la « bosse démographique ». En effet, au collège et au lycée, 46 400 élèves supplémentaires sont accueillis en cette rentrée 2021. Depuis 1996, il n'y a jamais eu autant d'élèves au collège que cette année.

Face à cette augmentation, le nombre d'ETP du programme 141 « Enseignement scolaire public du second degré » restera stable en 2022. Néanmoins, 410 ETP d'enseignants seront supprimés au profit de la création de 350 postes de conseillers principaux d'éducation (CPE). De plus, 60 postes supplémentaires d'inspecteurs sont prévus afin de renforcer les contrôles dans le cadre des écoles hors contrat et de l'instruction en famille. La création de 60 postes similaires est également budgétée pour le premier degré.

Certes, le surinvestissement dans le primaire profitera également au secondaire, qui accueillera ainsi des élèves mieux formés. Par ailleurs, le taux d'encadrement baissera mécaniquement pour des raisons démographiques et ce, dès 2022.

Je comprends le raisonnement politique qui consiste à allier renforcement du niveau des élèves et gestion à long terme de l'emploi public. Il peut cependant créer des tensions à court terme. J'avais d'ailleurs alerté l'année dernière sur le recours aux heures supplémentaires qui semblait atteindre ses limites. Un élément de souplesse a toutefois été apporté par un décret du 12 octobre 2021, qui prévoit la possibilité pour les enseignants à temps partiel d'effectuer des heures supplémentaires.

Il faudra également nous montrer attentifs à la réforme du lycée qui, si elle ouvre le champ des possibles, rend plus que jamais nécessaire l'accompagnement des élèves dans leur orientation. À ce titre, je salue l'augmentation des crédits dédiés à l'information et à l'orientation, qui atteindront 339 millions d'euros en 2022. Toutefois, nous devrons être vigilants quant à l'effectivité des heures d'orientation obligatoires et à l'accompagnement des jeunes.

Je souhaiterais à présent aborder un sujet particulier : le sport à l'école. Alors que le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse est devenu aussi ministère des sports, et dans la perspective des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, il me semble intéressant de nous pencher sur cette thématique.

Et tout d'abord, je voudrais apporter une précision. La pratique du sport à l'école revêt deux formes principales : l'éducation physique et sportive (EPS) d'une part, qui est obligatoire et reste le seul enseignement à être dispensé à tous les niveaux de la scolarité ; et le sport scolaire d'autre part, pratique facultative d'un sport en marge du temps scolaire, qui dispose d'un lien fort avec l'école puisqu'elle est encadrée et animée par des enseignants, qui le font de façon bénévole dans le primaire, et obligatoire dans le secondaire.

Le renforcement de la pratique du sport à l'école semble faire l'objet d'une ambition politique et un rapprochement institutionnel a eu lieu : depuis le 1er janvier 2021, les services déconcentrés de la jeunesse et des sports sont rattachés aux services académiques.

Sur le terrain, de nouveaux dispositifs émergent pour renforcer les passerelles entre l'éducation nationale et les acteurs du monde sportif. C'est le cas de « Génération 2024 » dont l'objectif est d'attribuer ce label à 20 % des écoles et établissements avant cette date.

Néanmoins, de nombreux freins demeurent au développement de la pratique sportive à l'école, notamment des difficultés qui résident au sein même de l'Éducation nationale. On observe un décalage très important entre les mesures annoncées et la réalité. Sur le papier, la France fait figure de bon élève en termes de volume d'heures d'EPS. Par ailleurs, le ministère a instauré un enseignement renforcé relatif à la pratique sportive dans le cadre de la construction du parcours professionnel des jeunes, à travers une nouvelle spécialité « éducation physique, pratiques et culture sportives » présente depuis 2021 dans la voie générale, et une mention complémentaire « animation et gestion de projets dans le secteur sportif » en 2018 dans la voie professionnelle. De plus, une unité facultative « secteur sportif » vient d'ouvrir à la rentrée 2021 dans cinq bacs professionnels.

Toutefois, la réalité est très différente sur le terrain, notamment au primaire. La Cour des comptes le soulignait en 2019 dans son rapport consacré au sport : « dans le primaire, l'EPS est une variable d'ajustement des emplois du temps ». D'ailleurs, le ministère estime l'horaire moyen d'EPS par semaine à une heure et demie, soit la moitié de ce que prévoient les programmes.

En outre, de nombreux enseignants du primaire ne se sentent pas armés pour dispenser cet enseignement. Le temps dédié à l'EPS dans la formation initiale et les modules de formation continue a fortement diminué, et le nombre de conseillers pédagogiques EPS chargés d'accompagner les enseignants est en baisse.

Ce non-respect des horaires limite l'acquisition des compétences par les élèves, mais aussi leur découverte des différents sports. Or, pour de nombreux élèves du primaire, l'EPS reste la seule occasion de pratiquer un sport.

En ce qui concerne le sport scolaire, il est principalement développé au collège, et s'effondre lors du passage au lycée. De plus, des écarts importants existent entre les établissements et, si dans les collèges ruraux près d'un élève sur trois est licencié en sport scolaire, la moyenne nationale est de 24 %.

On observe deux principaux freins structurels au développement du sport à l'école. Le premier est un fonctionnement en silo. De manière paradoxale mais révélatrice, la circulaire du 26 juin visant à « mieux faire ensemble » et à « rapprocher l'ensemble des acteurs concernés » pour renforcer la pratique sportive à l'école a été rédigée et publiée sans concertation ; ni l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité  (AMF) ni les associations de sport scolaire, ni les syndicats d'enseignants n'ont été consultés.

Pour les communes et leurs groupements, c'est d'autant plus dommageable que ce sont des partenaires essentiels puisque 80 % des infrastructures sportives leur appartiennent, qu'elles épaulent les enseignants du primaire par la mise à disposition d'éducateurs sportifs, et qu'elles fournissent le petit équipement sportif.

Un autre frein majeur est l'inégalité d'accès aux infrastructures sportives. À titre d'exemple, un tiers des classes élémentaires ne bénéficient pas d'une offre satisfaisante de bassins. Faute d'équipements suffisants, l'EPS et le sport scolaire se retrouvent en concurrence avec les clubs sportifs ou les particuliers pour l'utilisation de ces infrastructures.

Cette problématique est particulièrement sensible pour les écoles et établissements situés en zone rurale, où le déficit d'équipement demeure important. J'espère que les territoires ruraux ne seront pas oubliés dans la construction d'ici 2024 de 5 000 équipements sportifs de proximité promis par le Président de la République le 13 octobre 2021.

Enfin, quels moyens budgétaires apporte l'Éducation nationale pour promouvoir le sport à l'école ? La circulaire du26 juin 2021 mentionnait deux savoirs fondamentaux, qui doivent notamment être portés par l'école : le savoir-nager, pour lequel le financement se fait par l'agence nationale du sport - aucun crédit en provenance de l'Éducation nationale n'étant prévu -, et le savoir rouler à vélo lancé en 2018, qui n'a bénéficié jusqu'au début de cette année d'aucun crédit. De l'aveu même du ministère, cela a freiné son déploiement. Enfin, le déploiement du label « Génération 2024 » - également mis en avant par cette circulaire - se fait à moyens constants.

Le budget alloué à la promotion de la pratique sportive est donc, dans sa très grande majorité, constitué par la valorisation budgétaire du temps d'enseignement. Les sommes sont significatives puisque, selon les estimations du ministère, elles représentent plus de 4,4 milliards d'euros.

Il s'agit d'ailleurs - hors mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la crise sanitaire et du plan de relance - du principal poste de dépenses de l'État en faveur du sport. Néanmoins, cette valorisation des crédits alloués par la mission « Enseignement scolaire » en faveur du sport interroge. En effet, le non-respect des heures d'EPS remet fortement en cause la valorisation du temps d'enseignement dans le primaire. Le budget alloué se rapproche donc davantage de 3,3 milliards d'euros, soit 25 % de moins que celui annoncé par les chiffres inscrits dans les documents budgétaires.

Le chemin à parcourir reste encore long pour atteindre les objectifs ambitieux du ministère en matière de renforcement de la pratique sportive des Français à travers le sport à l'école.

Toutefois, en ce qui concerne les crédits de la mission, qui augmentent de 2,47 % dans le PLF 2022, je vous propose d'y donner un avis favorable.

M. Laurent Lafon, président. - Les crédits de la mission étant de 76 milliards d'euros, une énumération exhaustive aurait été impossible, et je vous remercie d'avoir rendu votre présentation accessible en vous concentrant sur une thématique précise.

M. Max Brisson. - Jacques Grosperrin a présenté un rapport juste et équilibré sur un sujet qu'il maîtrise parfaitement, avec une attention particulière portée à l'EPS que je salue. En effet, on évoque trop souvent ce sujet par incantation, voire par injonction, sans entrer dans le fond de la question. Je vous remercie pour cette excellente synthèse sur une discipline souvent malmenée, qui sert parfois de variable d'ajustement au bouclage des programmes.

Les grandes orientations ont été largement discutées depuis cinq ans - le ministère de M. Blanquer dépassera bientôt en longévité celui de M. Fouché !, et nous les avons approuvées, notamment le dédoublement des classes en REP et REP+, le plafonnement des effectifs et l'école inclusive.

Je voudrais tout de même entrer dans le détail sur certains points afin d'obtenir des précisions du rapporteur, quand nous n'avons pu les obtenir du ministre... Tout d'abord, je m'interroge sur les conséquences, en termes de ressources humaines et d'effectifs, du processus de dédoublement des classes. Quelles conséquences sur le secondaire et l'école rurale ?

En ce qui concerne le plafonnement des classes, le territoire est-il couvert de façon homogène, France ultramarine comprise ? Le Président de la République a annoncé que ce serait le cas à la fin de son mandat ; qu'en est-il ?

J'ai reconnu les efforts du Gouvernement et du ministère sur l'école inclusive mais je commence à trouver inquiétant - pour ne pas dire agaçant - le décalage entre le discours extrêmement positif du ministre et la réalité du terrain, notamment le ressenti difficile des AESH. À ce titre, je me demande si la mise en place des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) n'a pas créé une dégradation des conditions d'exercice des fonctions des AESH. En tout cas, il me semble nécessaire de porter sur ce sujet un regard objectif, ce à quoi nous nous essayons avec Marie-Pierre Monier et Annick Billon, dans le cadre de la mission que vous nous avez confiée.

Enfin, pourriez-vous préciser les effets du Grenelle de l'éducation sur le budget actuel ? Et, au-delà des hausses de salaire, quels effets aura la mise en oeuvre de la loi de finances pour 2022 sur la reconnaissance des professeurs ? Je rappelle que seuls 7 % des professeurs français se sentent reconnus, contre 25 % au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ici encore, le décalage est grand entre le discours ministériel et le ressenti des professeurs. Des mesures ont été annoncées ; commence-t-on à en observer les effets positifs ?

Après avoir entendu vos réponses, nous suivrons votre avis favorable sur les crédits de la mission.

Mme Annick Billon. - Le groupe Union Centriste suivra aussi l'avis du rapporteur, mais je voudrais revenir sur quelques éléments.

D'abord, il est difficile d'émettre un avis négatif sur ces budgets puisqu'on observe une augmentation substantielle cette année, et continue depuis cinq ans. De plus, les principales augmentations pour 2022 concernent les revalorisations salariales, ce qui est positif.

Néanmoins, je voudrais signaler quelques points de vigilance. Le dédoublement des classes est progressivement devenu réalité, mais il s'est opéré dans des conditions à géométrie variable, et selon la capacité des établissements. Il s'agit de budgets importants, de postes nombreux, et il semblerait nécessaire d'évaluer l'efficacité du processus et de savoir, sur le temps long, s'il apporte les résultats escomptés quant à la réussite des enfants. Leur trajectoire scolaire en sera-t-elle modifiée ?

En ce qui concerne les AESH, je partage les inquiétudes soulevées et observe la tendance qui consiste à remettre en cause la création des PIAL. Avec Max Brisson et Marie-Pierre Monier, nous conduisons en ce moment des auditions, et nous avons entendu hier des acteurs des PIAL des Pyrénées-Atlantiques et de la Drôme. Les propos tenus par les AESH et les PIAL sont très différents. Les PIAL ont été créés avec un objectif de revalorisation salariale, pour assurer une véritable formation et une reconnaissance du métier. Le message était beau. Mais les choses se passent-elles ainsi dans tous les territoires ? Les territoires de la Drôme et des Pyrénées-Atlantiques semblent assez vertueux en la matière mais qu'en est-il ailleurs ? Des décisions ont été prises, mais elles sont mises en oeuvre de façon différente, en fonction des territoires, et les conditions de travail des AESH, l'accueil des élèves ou la place des familles ne sont pas les mêmes partout.

Par ailleurs, le ministre se dit très positif sur la réforme du lycée et la fin des sections. Toutefois, la génération 2021 a été la première à connaître cette réforme, et des questions importantes persistent quant aux attendus des études supérieures. Les professeurs disent ne pas avoir l'information afin d'orienter les élèves dans leurs choix. Ici encore, les perceptions diffèrent entre le ministère, les professeurs et les élèves, qui semblent perdus. Il faut évaluer ces spécialités et options, dont certaines ne sont pas proposées dans tous les territoires, ce qui pourrait créer un bac à deux vitesses et de fortes inégalités territoriales.

L'augmentation des effectifs du secondaire, conjuguée à la réforme du lycée, entraîne un manque de temps pour l'orientation. En effet, la réforme du lycée a profondément modifié les attendus, mais les professeurs font face à un déficit de temps pour accompagner les élèves. Le rapporteur a indiqué des budgets en augmentation ; seront-ils suffisants pour pallier ce déficit d'orientation ?

Concernant le sport à l'école, il existe une feuille de route très précise pour expliquer aux enseignants comment faire leur travail, ce qui me semble revenir à nier leurs compétences et leur capacité à mutualiser des enseignements, à l'heure où l'on tente pourtant de revaloriser leur métier.

Enfin, l'accès aux équipements est à géométrie variable, notamment dans le cas de l'aisance aquatique et du savoir rouler. Or, aucun crédit ne semble fléché pour l'installation de ces équipements - sans évoquer les crédits nécessaires à leur entretien. Ces objectifs ne seront pas atteints sans budget...

Mme Marie-Pierre Monier. - La question du sport revêt aujourd'hui une importance particulière, à l'heure où notre pays s'apprête à accueillir les jeux Olympiques, mais au-delà, le sport reste une question de santé publique. Les interlocuteurs que nous avons interrogés dans le cadre de nos auditions ont souvent souhaité tiré la sonnette d'alarme sur plusieurs points, dont la suppression de 800 postes en EPS depuis le début du quinquennat, la dégradation de la qualité de la formation initiale en EPS et sa disparition en formation continue, les inégalités en termes d'infrastructures sportives sur le territoire. D'ailleurs, aucun recensement global de ces infrastructures n'existe. On sait en tout cas que les carences touchent plus spécifiquement les milieux ruraux, ce qui implique des coûts de déplacement pour les élèves.

Je salue la volonté du Gouvernement de faire du sport à l'école une priorité, mais pour l'heure je ne vois pas bien comment cela est mis en oeuvre. Il faudrait mener une politique ambitieuse, s'engager dans une course de fonds, sur le temps long, au-delà du coup de projecteur apporté par les jeux Olympiques.

Il est rare qu'un seul ministre reste en place pendant toute la durée d'un quinquennat, mais rarement un ministre aura fait consensus contre lui à ce point ! Ce projet de loi de finances s'inscrit dans la continuité de la politique menée depuis quatre ans. Les réalités constatées sur le terrain sont loin des discours d'affichage. Un point positif est la poursuite du dédoublement des classes en REP et REP+, mais le processus n'est pas achevé. En ce qui concerne le plafonnement à 24 élèves, hors éducation prioritaire, il reste 14 % des classes à plafonner d'ici à la rentrée 2022. Les objectifs affichés sont louables, mais on peut se demander comment ils seront atteints dans la mesure où il n'y a pas d'augmentations de postes d'enseignants ! Les postes créés sont des postes administratifs. De fait, il devient difficile de préparer les rentrées. Notre rapporteur évoque des effets de bord qui affecteraient les capacités de remplacement des enseignants, mais il s'agit plutôt, à mon sens, d'une volonté politique de limiter les moyens ! Résultat, les professeurs absents ne sont pas remplacés, et les professeurs ne peuvent pas suivre les formations continues qu'ils souhaiteraient faute de remplaçants disponibles.

Au nom de la priorité accordée au primaire, on a raboté les postes dans le secondaire public depuis le  début du quinquennat : la suppression de 410 postes d'enseignants dans ce budget succède ainsi à la suppression de 7490 ETP depuis 2018, alors que l'on comptera 25 000 élèves supplémentaires à la rentrée 2022. Mais M. Blanquer avait déjà commencé à réduire le nombre de postes lorsqu'il était directeur général de l'enseignement scolaire. La compensation de ces postes supprimés ne peut se faire par le recours à des heures supplémentaires. Il n'est pas normal de demander à des personnes en temps partiel de faire des heures supplémentaires. Les enseignants sont épuisés, il semble aussi difficile d'augmenter la quotité d'heures.

J'en viens à l'école inclusive : nous avons été alertés par les acteurs de terrain et les familles. La mise en place des PIAL a été difficile : les conditions de travail ont été aggravées, avec parfois plusieurs élèves concernés dans une même classe, des déplacements à faire... Le système est mal organisé. On note aussi un manque de formation. Les AESH sont parfois obligés de prendre sur leurs deniers, alors que leurs salaires sont très bas, même si une revalorisation de 1 500 euros est envisagée et que 4 000 postes d'ETP ont été créés. Toutefois la réalité est que la majorité d'entre eux sont recrutés sur des contrats courts et vivent sous le seuil de pauvreté.

Les fonds sociaux collégiens sont en légère hausse, mais ils n'ont pas encore retrouvé leur niveau de 2019.

Nous avons des retours des familles, des élèves et des bacheliers sur la réforme du lycée. Les élèves ne savent pas quels sont les attendus pour suivre tel ou tel parcours universitaire. Le baccalauréat devient local et le contrôle continu est source de stress pendant toute l'année.

Un mot enfin sur la revalorisation des enseignants. Le Gouvernement évoque une hausse historique. Mais la revalorisation consiste en une prime d'attractivité, qui concernera seulement la moitié des enseignants : ceux qui ont plus de 22 ans de carrière ne la toucheront pas, tandis que pour les autres, la prime représentera l'équivalent d'une hausse de salaire de 29 à 57 euros par mois... Lors du quinquennat précédent, que M. Blanquer aime à citer, je rappelle qu'un protocole global relatif aux parcours professionnels avait été mis en place, ce qui constituait une approche plus appropriée pour répondre aux attentes des professeurs et à la crise de vocations.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononcera contre l'adoption des crédits de cette mission.

Mme Céline Brulin. - Merci à notre rapporteur d'avoir mis l'accent sur le sport, important autant pour la santé publique que pour l'enseignement. Je propose que notre commission s'intéresse spécifiquement à la question de la santé scolaire l'année prochaine ; nous dénonçons tous, les uns et les autres, l'état d'indigence de ce secteur.

Sans surprise, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste n'aura pas le même avis sur la mission que notre rapporteur, mais nous rejoignons certaines de ses observations.

La priorité affichée par le Gouvernement pour le primaire marque le pas : faute de créations de postes, je crains que, sur le terrain, l'offensive pour regrouper les écoles ne se poursuive, notamment en milieu rural. Les préfets et les recteurs ont déjà lancé des messages en ce sens. Nous nous étions mobilisés de manière transpartisane pendant la crise à ce sujet. La concurrence, organisée par le ministère, entre les zones urbaines et rurales est délétère, car les besoins ne sont pas les mêmes partout.

Comme Mme Monier, je déplore des pertes de postes dans le secondaire, qui sont masquées par des hausses de postes administratifs. Les heures supplémentaires ne sont pas la panacée. On a l'impression que les besoins du ministère et de l'institution priment sur les besoins d'enseignement. C'est le cas des PIAL qui visent avant tout à optimiser le temps de travail des AESH, avant de se préoccuper des besoins d'accompagnement.

Les mesures du Grenelle de l'éducation ne sont pas de nature à endiguer la crise de recrutement. Un effort financier s'impose. Le ministre avait promis une loi de programmation pluriannuelle. Où en est-on ?

Je voudrais connaître le nombre d'AESH embauchés sur le titre 2 et hors titre 2. On ne sait pas combien ils sont.

Enfin, dans la course au regroupement des écoles, le statut de directeur d'école, cher à certains, constitue un facteur d'accélération et risque d'être utilisé dans les territoires pour inciter à créer des écoles plus importantes.

M. Thomas Dossus. - Je remercie le rapporteur pour son analyse synthétique et très claire. On peut saluer, en effet, la longévité à ce poste du ministre Blanquer, ce qui permet de tirer un bilan de son idéologie et de son action : pratiquement 8 000 postes supprimés durant le mandat, une prime à la place d'une revalorisation salariale, etc. Je pense qu'il a contribué à la dégradation de l'attractivité du métier. Les rattrapages en fin de quinquennat ne suffisent pas à combler notre retard et la France se classe dans les derniers de l'OCDE s'agissant de la rémunération des enseignants. Le décalage est net entre la réalité du terrain et l'autosatisfaction affichée. En ce qui concerne les AESH, l'État est un piètre employeur qui recrute des milliers de personnes, essentiellement des femmes, dans des conditions précaires. On ne peut donc pas parler de service public de l'accompagnement. Le turn-over est élevé et beaucoup de familles sont dans des situations difficiles pour accompagner leurs enfants. Nous ne voterons pas les crédits de cette mission.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Les propos de notre rapporteur sur le sport à l'école montrent bien que le sport n'est pas enraciné dans la culture de notre pays. Il constitue une variable d'ajustement à l'école, en dépit de dispositifs aux titres ronflants et de circulaires indigestes dépourvues d'effets. La réalité est que le sport n'existe à l'école que si les communes financent un intervenant. Pourtant le sport est fondamental pour la santé.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Avant tout, je tiens à préciser que je ne suis pas l'avocat de l'action du ministère et du ministre... Lors de sa dernière audition, je lui avais d'ailleurs fait part de nos réserves quant à sa gestion directe et à l'oubli de certains partenaires, comme les associations d'élus. Mais les chiffres sont têtus : le budget augmente de 8,8 % sur le quinquennat.

L'EPS, en dépit de son importance, reste trop souvent une variable d'ajustement des emplois du temps.

Les effectifs scolaires augmentent cette année dans le secondaire, mais ils baisseront les années suivantes. Le ministre fait le pari que le système tiendra bon pendant ces années de bosse démographique. Lorsque l'on embauche un professeur, c'est pour 42 ans. Il faut donc réfléchir et anticiper. On comptera 14 000 élèves de moins en 2024 dans le secondaire, et 21 000 de moins en 2025. La bosse démographique est donc passagère. Il appartient au ministère de la surmonter.

Le taux de remplacement dans le primaire a légèrement baissé, passant 83,3 % en 2018 à 78,43 %, aujourd'hui. En ce qui concerne le plafonnement à 24 élèves, il reste 14 % des classes à plafonner d'ici à la rentrée scolaire 2022. Cela représente 1 472 emplois au total, répartis sur 2021 et 2022. D'un autre côté, le ministre table sur une baisse démographique de 75 000 élèves dans le primaire dès 2022.

En ce qui concerne les AESH, la mise en place des PIAL a modifié les pratiques et habitudes professionnelles, ce qui est source de tensions. En outre, les AESH ont de faibles revenus et doivent attendre 6 ou 8 ans avant d'obtenir un CDI ; le turnover est élevé ; les emplois du temps sont très flexibles. On compte 4 630 PIAL sur tout le territoire et une évaluation du dispositif est en cours.

Notre mission d'information sur le bilan des mesures éducatives évaluera les conséquences du Grenelle de l'éducation. Dans ce budget, en tout cas, 726 millions d'euros traduisent la priorité du Grenelle de l'éducation en faveur de la revalorisation des salaires du personnel de l'éducation nationale. La prime représentera un montant allant de 29 euros à 116 euros par mois. Elle concernera 58 % des professeurs et assimilés, même si ceux qui ont plus de 22 ans d'ancienneté ne la toucheront pas. On reste loin, en effet, des salaires du Luxembourg, où les professeurs touchent 90 000 euros par an.

La revalorisation concernera aussi les CPE et les psychologues de l'éducation nationale.

J'entends vos remarques sur le décrochage du pouvoir d'achat.

Madame Billon, les dédoublements sont parfois à géométrie variable. J'espère que ce budget sera suffisant pour achever le processus. Actuellement, les dédoublements représentent 10 800 postes en CP et CE1 et 2 950 emplois pour les classes de grande section de maternelle. 2 950 emplois supplémentaires sont nécessaires pour finaliser les mesures de dédoublement en grande section de maternelle. 1 200 emplois devraient y être consacrés en 2022. La mesure s'achèvera à la rentrée 2023.

Je partage les propos de Madame Billon sur le sport à l'école : le manque de formation des professeurs des écoles est évident, en dépit de la diffusion de mémentos, et les enseignants ne se sentent pas toujours compétents.

L'annonce par le Président de la République d'un plan pour financer 5 000 équipements sportifs de proximité est très politique : j'attends de voir comment le programme « savoir nager » se déroulera dans les territoires ruraux. Une circulaire devrait être publiée prochainement. J'espère que des bassins itinérants seront installés.

Les crédits pour l'orientation augmentent légèrement de 1,5 % et atteindront 339 millions l'an prochain.

Oui, des suppressions de postes d'enseignants d'EPS ont eu lieu, mais une réflexion était peut-être nécessaire, la discipline n'étant pas la plus mal dotée.

En ce qui concerne les AESH, 37 184 sont embauchés en titre 2 et 41 406 hors titre 2. Dans les zones rurales, le nombre moyen d'élèves par classe s'élève à 20,3. Le nombre de regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI) passe de 1 648 à 1 764 entre la rentrée 2020 et la rentrée 2021.

En ce qui concerne la médecine scolaire, nous sommes tous conscients de ses difficultés. Un chiffre pour illustrer la problématique des moyens : les médecins scolaires étaient de 974 en 2019, de 935 en 2020. Ils seront 869 en 2022.

Monsieur Dossus, j'entends vos remarques, mais je rappelle que le budget de l'éducation a augmenté malgré tout de 8,8 % en 5 ans...

Selon Thierry Terret, délégué ministériel aux jeux Olympiques et Paralympiques, beaucoup d'initiatives fleurissent autour des jeux et du sport. Mais M. Hugonet a raison, le sport à l'école et la diffusion d'une culture du sport dépendent pour beaucoup de l'intervention des collectivités et de leur financement.

M. Jean-Jacques Lozach. - Je crains que la réalité ne soit encore plus sombre que les chiffres annoncés pour l'EPS à l'école...

La loi d'orientation des mobilités prévoit l'apprentissage obligatoire du vélo à l'école, et la délivrance d'une attestation scolaire. Mais il ne s'est rien passé. Pourquoi ?

Mme Sonia de La Provôté. - La participation de l'État au pass culture s'élève à 45 millions d'euros : ce n'est pas négligeable, mais comment cette somme est-elle employée ? Le dispositif n'a pas encore fait ses preuves.

La baisse du nombre d'élèves dans le primaire est avancée pour justifier la baisse des effectifs dans le corps enseignant. Il conviendrait de procéder à une analyse qualitative, au-delà d'une approche strictement comptable, pour voir où ont lieu les suppressions et les créations de postes, selon les territoires et les types d'écoles. Il ne faudrait pas que les territoires ruraux deviennent des déserts en matière éducative. Avez-vous des données sur les dédoublements de classes dans les territoires ruraux ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Lors de l'examen de la loi pour une école de la confiance, nous avons adopté un amendement inscrivant la maîtrise des outils et ressources numériques au programme des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ). Une ligne budgétaire de 95 millions a été attribuée. Comment a-t-elle été utilisée ? À l'ère des réseaux sociaux, il est urgent de former les formateurs au numérique.

M. Bernard Fialaire. - Il faut faire la distinction entre sport à l'école et activité physique. Quand les enfants doivent marcher une demi-heure chaque matin pour aller à l'école, les résultats scolaires sont bien meilleurs. Et cela ne coûte rien !

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Le programme « savoir rouler à vélo » (SRAV) a pour objectif que tous les élèves entrant au collège maitrisent de manière autonome l'usage du vélo dans des conditions réelles de circulation. L'objectif est intéressant, mais, faute de financement, son déploiement a été freiné. Des moyens ont enfin été prévus, mais hors budget de l'éducation nationale. Le comité interministériel à la ville du 29 janvier 2021 a débloqué une enveloppe de 200 000 euros pour l'agence nationale du sport, fléchés vers ce dispositif. Le programme « Génération vélo » devra allouer 21 millions d'euros en trois ans sur la base d'un cofinancement des collectivités territoriales.

Une enveloppe de 47 millions d'euros est consacrée au pass culture. Le dispositif comporte une part individuelle, pour les élèves de la seconde à la terminale, et une part collective, utilisable dans le cadre scolaire, de la 4e à la terminale.

En ce qui concerne le dédoublement des classes, vous avez évoqué le cas des territoires ruraux, mais certains territoires urbains qui ne sont pas en REP sont aussi en grande difficulté. Vous avez raison, il convient d'adopter une approche qualitative, mais cela sera possible dans un second temps.

Madame Morin-Desailly, une réforme du réseau Canopé est en cours pour le recentrer sur la formation au numérique. Le ministère porte une attention particulière à l'enseignement du et par le numérique dans les INSPÉ. Notre mission d'information s'intéressera certainement à ce sujet.

Enfin, monsieur Fialaire, je ne peux qu'encourager chacun à faire trente minutes de marche par jour !

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'enseignement scolaire au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2022.

Projet de loi de finances pour 2022 - Crédits relatifs à l'enseignement technique agricole - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président, rapporteur pour avis en remplacement de Mme Nathalie Delattre. - Je vous prie d'excuser l'absence momentanée de Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole », qui nous rejoindra dans un instant. En attendant son arrivée, je vais lire son intervention.

Notre rapporteure souhaite d'abord revenir sur l'action de notre commission lors de l'examen du précédent projet de loi de finances. Notre commission avait alerté sur le péril que courait l'enseignement agricole si la trajectoire budgétaire, et notamment celles des équivalents temps plein (ETP), était maintenue.

Notre mobilisation collective tant l'année dernière que cette année, par le biais du droit de tirage du groupe RDSE, n'a pas été vaine.

Tout d'abord, le budget de l'enseignement agricole est en hausse de 43,5 millions d'euros. Cela représente une augmentation de 3,5 %, soit un pourcentage d'augmentation supérieur à celui du reste du budget consacré à la mission « Enseignement scolaire ».

Comment se répartissent ces quelque 43,5 millions d'euros supplémentaires ?

La moitié, 22 millions d'euros, est consacrée à la revalorisation du salaire des personnels de l'enseignement agricole. Il s'agit de la mise en oeuvre des mesures du Grenelle de l'éducation, en raison du principe de parité entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole.

Ensuite, 14,2 millions d'euros supplémentaires sont consacrés aux aides sociales : pour la prime d'internat notamment. Comme vous le savez, l'enseignement agricole accueille un nombre importants d'internes. Par ailleurs, l'extension de la bourse au mérite aux élèves inscrits en certificat d'aptitude professionnelle (CAP) s'applique également à l'enseignement agricole. Enfin, le budget anticipe une hausse du nombre de boursiers et de leurs échelons de bourse en lien avec la crise sanitaire - et économique.

Troisième augmentation budgétaire : 2 millions d'euros supplémentaires sont inscrits en faveur de l'accueil des jeunes en situation de handicap. Depuis 2005, le nombre de jeunes en situation de handicap accueillis dans l'enseignement agricole est en progression de 15 % chaque année. Cet engagement de l'enseignement agricole en faveur de l'école inclusive doit bien évidemment être salué. Ce poste de dépenses appelle néanmoins à la vigilance. Notre rapporteure s'interroge sur la pleine adéquation des moyens, face à la hausse continue des besoins. Pour 2021, les crédits votés dans la loi de finances initiale ne sont pas suffisants pour couvrir les besoins de l'année en cours.

En outre, le calibrage des personnes ressources questionne. Dès 2017, un appui aux établissements et aux services déconcentrés a été instauré. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais aujourd'hui, ce sont seulement deux personnes à temps plein qui sont chargées d'animer un réseau national, de coordonner les actions de formation et d'appuyer les établissements et services déconcentrés. Pour mémoire, il y a plus de 800 établissements de l'enseignement agricole !

Quatrième augmentation des crédits sur laquelle la rapporteure souhaite s'attarder : l'augmentation de 1,9 million d'euros en faveur des maisons familiales et rurales, les maisons familiales et rurales (MFR). Un nouveau protocole 2021-2023 vient d'être signé entre le ministère et l'union des MFR. Il prévoit une enveloppe plafond rehaussée à 210 millions d'euros annuels.

Nous savons tous combien les MFR sont précieuses dans l'animation des territoires, ainsi que pour aller chercher les jeunes, les accompagner, leur permettre de s'épanouir et de s'intégrer professionnellement.

Lors de son audition, la direction générale de l'enseignement et à la recherche (DGER) a indiqué que cette augmentation de crédits doit inciter les MFR à augmenter leurs effectifs : une sorte de « donnant-donnant ». Elles y arriveront sans nul doute avec brio.

Deuxième motif de satisfaction - bien que cela puisse sembler curieux - la suppression de 16 ETP. Il faut pour cela nous replacer dans le schéma pluriannuel 2019-2022 qui prévoyait une suppression de 110 ETP. Par rapport aux intentions de Bercy, 94 ETP ont donc été sauvés.

Certes, nous aurions tous préféré qu'il n'y ait aucune suppression - voire même une légère augmentation. Mais, de manière très concrète, pour le ministère, cela ouvre de nouvelles perspectives, puisqu'il s'était organisé en prévision d'une suppression de 110 ETP.

Le ministère a demandé aux directions régionales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (Draaf) et aux chefs d'établissement des propositions pour l'utilisation de ces emplois sauvés : maintiens de classes à très petits effectifs, ouverture de nouvelles classes, plus d'options proposées... Les discussions sont en cours.

Nous devrons néanmoins rester particulièrement vigilants concernant l'évolution des ETP dans les années à venir. Le prochain schéma pluriannuel d'emplois n'est pas connu à ce jour.

Le sursaut des effectifs de l'enseignement agricole constitue le troisième motif de satisfaction. On constate une augmentation de 0,8 % pour la voie scolaire.

Cette hausse est particulièrement importante pour les classes d'entrée dans les cycles infra-bac : + 14,4 % en 4ème, + 7,5 % en seconde générale ; + 2,4 % en seconde professionnelle. Au final, le solde positif de « seulement » 0,8 % s'explique par l'effet de traine des moindres recrutements de l'année dernière.

Pour mémoire, les effectifs étaient répartis à la hausse en 2019 après plus de dix ans de baisse continue.

Notre rapporteure en est convaincue : la baisse des effectifs l'année dernière était liée à la crise sanitaire. De nombreuses journées portes ouvertes ou salons de l'orientation n'ont pas pu se tenir. Or, ces moments de rencontre sont essentiels pour faire découvrir l'enseignement agricole et les métiers auxquels il prépare et qui vont bien au-delà du seul secteur agricole. Cela pose l'enjeu essentiel d'une meilleure connaissance de cet enseignement agricole.

Les chiffres de l'apprentissage ne sont pas encore connus. Mais les premières remontées du terrain laissent à penser qu'ils seront excellents. L'année dernière, ils étaient en hausse de 22 %

La rapporteure avait évoqué l'année dernière la tournée du « Camion du Vivant », qui avait dû s'arrêter après seulement deux étapes, en raison des protocoles sanitaires. Le camion est enfin reparti ! 24 étapes ont été programmées entre septembre 2021 et la fin de l'année. Onze étapes ont déjà été réalisées, avec plus de 6 200 visiteurs accueillis, dont près de 20 % d'élèves. Le camion doit également se rendre dans une trentaine de villes supplémentaires au 1er semestre 2022.

En outre, l'enseignement agricole a pu profiter d'une nouvelle campagne de communication #CestFaitPourMoi, dans le cadre du plan de relance. Elle semble avoir apporté une visibilité forte à l'enseignement agricole et répond à une partie des critiques de la précédente campagne « l'Aventure du Vivant » : celle-ci n'avait eu que peu de répercussions sur le grand public.

La campagne #CestFaitPourMoi s'appuie notamment sur une mosaïque interactive, mettant les jeunes de l'enseignement agricole à l'honneur à travers leurs témoignages. Notre rapporteure est persuadée que les élèves, apprentis, étudiants de l'enseignement agricole en sont les meilleurs ambassadeurs. Combien de fois avons-nous entendu chez ces jeunes rencontrés sur le terrain : « Je n'ai pas forcément choisi cette filière. Mais maintenant que j'y suis, je m'y plais et je ne le regrette pas ! »

Cela m'amène au dernier point de cette présentation: mieux faire connaître l'enseignement agricole, notamment au sein de l'éducation nationale, est vital pour son développement.

Jean-Michel Blanquer l'a réaffirmé devant nous la semaine dernière : il y a une volonté politique de rapprochement entre les deux ministères, qui sont censés ne pas se faire concurrence mais se compléter. Plusieurs textes ont été pris depuis 2019 témoignant de cette volonté de rapprochement et visant à lever des freins à l'orientation vers l'enseignement agricole. Au moins quatre textes en l'espace de deux ans. On peut s'en féliciter. On peut aussi voir dans ce chiffre relativement élevé dans un délai restreint une certaine réticence, ou à tout le moins, des difficultés au niveau des services déconcentrés pour mettre concrètement en oeuvre cette meilleure connaissance de l'enseignement agricole.

Le dernier document publié, à savoir la feuille de route pour l'éducation nationale et l'enseignement agricole pour 2021 et 2022, présente des nouveautés intéressantes : elle vise à renforcer les liens par des actions concrètes concernant directement les élèves : favoriser les échanges entre les établissements, prévoir la participation des établissements de l'enseignement agricole au campus des métiers ou encore faire découvrir aux élèves des exploitations agricoles de proximité.

Par ailleurs, et c'est un motif de satisfaction, un représentant de l'enseignement agricole, équivalent du Dasen, le directeur académique des services de l'éducation nationale, va être prochainement mis en place. Une circulaire conjointe entre les deux ministères - encore une - doit être très prochainement publiée. En effet, si les échanges entre Draaf et recteurs sont de manière générale fluide, l'enseignement agricole est bien souvent insuffisamment identifié par le Dasen, en raison de l'absence d'un échelon départemental.

Or le Dasen joue un rôle important dans les politiques d'éducation menées à l'échelle d'un territoire, l'orientation et l'affectation des élèves.

La réforme du lycée doit entraîner un renforcement de l'orientation. La rapporteure appelle de ses voeux une présentation systématique de l'enseignement agricole au collège.

La mission d'information du Sénat a fait plusieurs propositions très concrètes pour renforcer l'information des élèves, des familles, mais aussi des professeurs et principaux de collège qui ne connaissent pas tous les débouchés offerts par l'enseignement agricole.

Le Sénat a toujours été très attaché à l'enseignement agricole. Nous devons continuer à être vigilants pour que cette filière de formation perdure et renforce son attractivité.

En conclusion, notre rapporteure nous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme 143, tout en faisant part aux deux ministres, dans l'hémicycle, de notre vigilance sur l'évolution des crédits et des ETP de l'enseignement agricole à moyen terme.

M. Max Brisson. - Je salue l'excellent rapport d'information de Nathalie Delattre et Jean-Marc Boyer, Enseignement agricole : l'urgence d'une transition agro-politique. Je m'exprime également au nom d'Alexandra Borchio Fontimp, qui a dû rejoindre son département.

L'année dernière, nous avions voté contre les crédits du programme 143, « Enseignement technique agricole », tellement ils nous paraissaient conduire à une véritable déstructuration d'un enseignement qui a pourtant fait ses preuves. Il apporte, en effet, aux jeunes savoir-faire et savoir-être. Je crois que, en la matière, le Sénat peut être utile. Notre « coup de gueule » de l'année dernière a largement permis l'amélioration substantielle que nous observons cette année. N'oublions pas, toutefois, le mépris du Gouvernement, l'année dernière, vis-à-vis de l'enseignement technique agricole.

On constate cette année une hausse de 43,5 millions d'euros, soit une progression de 2,94 %, une augmentation des moyens humains et financiers, une revalorisation de la prime d'internat, une extension des aides aux élèves boursiers ainsi qu'un renforcement des moyens en faveur de l'école inclusive. Je me réjouis également des 1,9 million d'euros supplémentaires dédiés aux 368 maisons familiales rurales. Saluons également la hausse du nombre d'élèves, après une forte baisse sur dix ans.

Nous nous sommes opposés à la suppression de postes, qui revient à mettre définitivement à mal l'enseignement technique agricole. Le schéma d'emploi pour 2022 est donc une excellente chose.

S'agissant de l'organisation, tout reste à faire. Le ministre de l'éducation nationale, même s'il s'en défend, a des envies d'absorption. Nous devons être vigilants à ce sujet, car le ministre continue de créer des formations concurrentes. Nous dénoncerons sans cesse ce double discours.

M. Blanquer doit également répondre à la proposition du rapport Boyer-Delattre d'un nouveau projet stratégique clair et ambitieux pour l'enseignement agricole associant l'éducation nationale, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, les régions et les branches professionnelles. Ce n'est que dans ce cadre-là que nous donnerons du souffle à cet enseignement et que nous préserverons l'enseignement technique agricole de toute absorption par le ministère de l'éducation nationale.

En espérant que le gouvernement suive les excellentes recommandations de la mission dont Jean-Marc Boyer était président et Nathalie Delattre rapporteure, nous suivons donc la rapporteure dans son avis favorable sur les crédits à ce programme.

Mme Annick Billon. - Je remercie également la rapporteure pour ses travaux très enrichissants. Les crédits sont effectivement en augmentation importante. Ils s'inscrivent toutefois dans un contexte de plusieurs années de diète : je rappelle que quelque 300 postes ont été supprimés durant les quatre dernières années. Nous passons de 209 postes supprimés entre 2019 et 2021 à seulement 16 pour 2022. Le signal envoyé par le Sénat a donc été entendu.

L'enseignement agricole est la voie de l'excellence, tant en matière de résultats scolaires que d'insertion professionnelle ou d'épanouissement des élèves et de construction du futur citoyen. C'est un outil essentiel pour relever les défis auxquels l'agriculture est confrontée, notamment le renouvellement des générations d'agriculteurs. Nous voterons donc ces crédits mais serons vigilants sur plusieurs points.

Le premier est le lien entre la réforme du bac et la suppression d'emplois. La logique comptable a, ici, pris le pas sur la logique pédagogique.

Deuxièmement, il s'agit de la prise en charge supportée par les établissements des exploitations agricoles, qui ne rentrent toujours pas dans les discussions budgétaires. C'est faire fi de la particularité technique de l'enseignement technique agricole.

Troisièmement, s'agissant des équipements nécessaires à une agriculture qui se prépare pour l'agriculture de demain, une meilleure synergie doit être trouvée entre ministères et collectivités, notamment vis-à-vis des investissements informatiques nécessaires.

Quatrièmement, concernant les aides exceptionnelles de la période passée, quelque 6,9 millions d'euros ont été versés pour 55 établissements publics et 3,3 millions pour 72 établissements privés.

Cinquièmement, je rappelle que, en dix ans, les effectifs en formation initiale scolaire ont baissé de 11 %, même si les premières données de 2021 témoignent d'une nouvelle croissance des effectifs.

Sixièmement, la situation financière des établissements doit également constituer un point de vigilance. La crise de la covid-19 a déstabilisé les établissements en percutant les modèles de financement en partie fondés sur une couverture des charges par les recettes générées par les MFR.

Septièmement, la suppression de nombreux emplois depuis 2019 entraîne le blocage des ouvertures de classes et oblige à revoir les seuils de dédoublement de classes. Une évaluation semble pertinente à mener sur ce sujet.

Huitièmement, s'agissant de la concurrence entre les établissements, notamment avec l'éducation nationale, il est urgent de fournir à l'enseignement technique agricole des conditions dans la voie générale pour assoir ses effectifs.

Enfin, nous étions très attachés à ce que l'enseignement technique agricole reste dans le giron du ministère de l'agriculture. Néanmoins, certaines conditions d'exercice ainsi que le statut des enseignants de l'enseignement technique agricole en amènent certains à concevoir des doutes sur leur rattachement au ministère de l'agriculture.

Mme Céline Brulin. - L'enseignement technique agricole se trouvait effectivement dans un cercle vicieux et mortifère, tant en ce qui concerne la trajectoire d'emploi engagée qu'en termes de reconnaissance des personnels. En effet, les personnels des établissements techniques agricoles sont encore moins bien payés que leurs collègues de l'éducation nationale. À cet égard, la revalorisation soulignée dans le rapport concerne-t-elle également les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ? Tout cela concourt à un manque criant d'attractivité, en sus de l'impossibilité d'ouvrir de nouvelles formations.

Je crois que le rejet des crédits de ce programme, l'an passé, a sonné le tocsin. Même si ce budget n'est pas entièrement satisfaisant, nous avons réussi à interrompre ce cercle infernal.

Nous nous abstiendrons donc, mais je salue le travail de la mission d'information pilotée par Nathalie Delattre. Il faut, maintenant, un projet stratégique pour l'enseignement technique agricole. Il me semble nécessaire que la puissance publique réinvestisse ce domaine.

Mme Marie-Pierre Monier. - L'enseignement agricole est aujourd'hui à la croisée des chemins dans un nouveau contexte agroécologique et de renouvellement des générations d'agriculteurs. Ces enjeux sont majeurs pour notre pays et notre agriculture.

La mission d'information a permis de pointer l'ensemble des inquiétudes, notamment matérielles, auxquelles est confronté l'enseignement technique agricole. Il me semble que les suppressions effectuées entre 2017 et 2021 correspondraient à l'équivalent de 10 000 postes supprimés dans l'éducation nationale. C'est dramatique !

C'est vrai qu'il y a un léger mieux. La mission et le rapport ont certainement servi à amoindrir les suppressions de postes, néanmoins, c'est loin d'être suffisant parce qu'on ne revient pas sur tous ces postes perdus depuis plusieurs années.

Nous avions porté, l'an dernier, un amendement visant au rétablissement des emplois supprimés dans l'enseignement agricole public comme privé, pour un total de 12,5 millions d'euros. Nous en sommes bien loin, aujourd'hui. Le budget actuel ne répondra pas aux besoins de l'enseignement agricole.

Ayons également à l'esprit que la réforme des seuils de dédoublement, mise en oeuvre en 2019 pour répondre à cette évolution défavorable du schéma d'emplois, a d'ores et déjà conduit à une forte dégradation des conditions d'enseignement et d'apprentissage.

Cet enseignement agricole est pourtant une singularité pédagogique qui permet d'aider des élèves parfois en errance et de mailler notre territoire, en particulier rural. Par exemple, les travaux pratiques, indispensables à l'enseignement agricole, n'ont parfois pas lieu. Je ne pense pas que les moyens présentés pourront y remédier.

Les conséquences de la réforme du bac général doivent également être prises en considération. Cette réforme a mis en difficulté l'enseignement agricole qui, au vu des financements dont il dispose, se trouve dans l'incapacité d'offrir des options facultatives et des enseignements optionnels aussi diversifiés que dans l'enseignement général. Cela nuit à son attractivité.

Subsiste, enfin, l'épineuse question des postes d'assistants d'éducation. On peut saluer une hausse des lignes budgétaires correspondantes, lesquelles demeurent insuffisantes pour couvrir la pleine rémunération de ces personnels. Le différentiel qui subsiste pour ces postes avec le ministère de l'éducation nationale est une problématique récurrente. Nous constatons à regret que ce dernier s'est encore aggravé.

C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se prononce contre l'adoption des crédits relatifs à l'enseignement technique agricole.

Mme Monique de Marco. - Ce budget pourrait sembler satisfaisant, car il apporte des moyens complémentaires. Mais, même si le Gouvernement présente un budget en augmentation, ce dernier nous apparaît être un trompe-l'oeil par rapport aux enjeux.

S'agissant des postes, qui sont le nerf de la guerre pour les établissements, le Gouvernement a seulement infléchi la trajectoire de suppression en passant de 110 suppressions à 16, lesquelles viennent s'ajouter au passif des suppressions des années précédentes.

Les problèmes persistent donc et remettent en cause le fonctionnement normal des établissements. Le manque de personnel ne leur permet pas, par exemple, de disposer d'un nombre suffisant d'assistants d'éducation, d'avoir des dédoublements de classe pour les travaux dirigés et travaux pratiques - ils s'effectuent pourtant avec des matériels assez dangereux dans les laboratoires ou avec des animaux et des machines agricoles - et d'avoir une diversité minimale d'enseignements optionnels.

Notons également un budget sur la santé des étudiants inférieur à celui proposé pour le reste du secteur de l'éducation supérieure.

Je me permets de rappeler le rapport sénatorial sur l'enseignement agricole, voté à l'unanimité en septembre 2021, qui fait état d'une revalorisation qui ne rattrape pas encore celle octroyée à l'éducation nationale et d'un ministre de l'agriculture qui perd tous ses arbitrages à Bercy. Reconnaissons tout de même que figurait dans ce rapport la nécessité d'avoir des moyens supplémentaires. À titre conservatoire, il appelait à l'annulation des suppressions d'emplois au PLF pour 2022.

Pour rappel, l'an passé, de nombreux amendements issus de tous les bords politiques visaient à renforcer les moyens de l'enseignement agricole dans le PLF et le PLFR. Nous pouvons qu'espérer que cela le cas également cette année.

Plus globalement, au-delà des aspects techniques, il faut rappeler que nous avons besoin de former des agriculteurs avec un enseignement agricole public fort pour assurer le renouvellement des générations. Il y a 250 000 exploitants qui arriveront à l'âge de la retraite en 2026 - c'est-à-dire un agriculteur sur deux -, tout en assurant la transition agroécologique.

Pour nous, les moyens supplémentaires doivent aller vers le développement de formations à l'orientation biologique et au système de circuit court. Par conséquent, nous voterons contre ces crédits.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole ». - Je pense, comme l'ont dit Max Brisson et Céline Brulin, que l'action que nous avons menée l'an passé en votant contre les crédits proposés par le PLF a permis le sursaut de cette année.

De la même manière, le travail de notre mission d'information a été tellement remarqué que le Premier ministre vient de nommer deux députés en mission sur l'enseignement agricole. Faire et refaire, c'est toujours travailler, mais cela ne pourra que nous conforter dans une vision partagée. Nous pourrons d'ailleurs exprimer tout cela aux deux ministres, puisque nous avons un engagement du ministre de l'agriculture d'être au banc en même temps que le ministre de l'éducation nationale, lors de l'examen des crédits en séance.

Max Brisson évoquait les difficultés des établissements. Nous avons effectivement enregistré 6,12 millions d'euros pour les établissements en difficulté dans le projet de loi de finances rectificative que le Sénat examinera dans quelques semaines. Il faut que les conditions d'attribution soient plus claires que ce qui avait été prévu l'année d'avant, les règles semblant avoir changé en cours de route. Cela a permis aux établissements publics en difficulté de s'en sortir beaucoup mieux dans la répartition de l'enveloppe que les établissements privés. En revanche, aucune enveloppe de ce type n'est prévue dans le PLF 2022.

Les suppressions de 16 ETP - 9 pour le public et 7 pour le privé - résultent effectivement d'un arbitrage favorable, suite à ce que nous avons pu dénoncer, tant dans le PLF que dans la mission d'information. Le ministère de l'agriculture n'avait pas vraiment eu vent de ce que le syndicat majoritaire des enseignants a pu exprimer devant nous, à savoir rejoindre le ministère de l'éducation nationale. Ce plan avait été échafaudé par Bercy - précisément par la 7e sous-direction de Bercy, bien connue de notre commission. Il nous faut réaffirmer fortement notre position à ce sujet. Le rapport de la mission d'information a donc permis au ministre de l'agriculture de renforcer ses arbitrages vis-à-vis de Bercy.

S'agissant de la concurrence avec l'éducation nationale, nous avons, dans le rapport, beaucoup souligné nos craintes à ce sujet. Comme moi, vous avez entendu, lors de son audition, le ministre Blanquer nous dire qu'il fallait lui signaler en direct tous les doublons et que sa volonté était de bien respecter les missions de chacun.

Comme Annick Billon, l'avis favorable n'empêche pas de rester vigilant sur de nombreux sujets.

Nous n'avons pas eu de réponse quand nous avons abordé, avec la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER), le schéma d'emplois 2023. Nous avons indiqué, tant au ministre qu'à la DGER, que nous espérions que cette inflexion budgétaire soit durable.

S'agissant des exploitations agricoles qui ne rentreraient toujours pas dans les discussions budgétaires, elles figurent bien dans les budgets des établissements mais ne sont pas encore identifiées de façon propre et ne font pas l'objet d'une valorisation, notamment dans le coût unitaire par élève. Je le regrette. Des crédits sont affectés à la restructuration du système d'information, assez obsolète, qui ne pourra pas encore valoriser ces exploitations en 2022. L'amélioration des systèmes d'information est espérée pour 2023.

La réforme du bac a effectivement été synonyme de suppressions d'emplois. Les 22 millions d'euros d'attributions supplémentaires sont un rattrapage qui se fait suite aux engagements du Grenelle de l'éducation. Je note que peu de spécialités sont proposées au bac dans ces établissements. Il faudrait des effectifs supplémentaires pour assurer la pluralité des options au bac.

S'agissant des effectifs, nous avons l'espoir d'une hausse puisqu'il y a un accroissement des effectifs des élèves dans l'enseignement agricole, à hauteur de 0,8 % d'élèves supplémentaires. Cela est dû au franc succès de la campagne de communication pour les établissements agricoles.

C'est peut-être ce qui pénalise les MFR, puisque les aides à l'apprentissage sont très intéressantes pour les employeurs, en vidant les effectifs des sessions de formation initiale.

En ce qui concerne la revalorisation financière des AESH, nous n'avons pas de réponse de la DGER.

Enfin, le budget santé étudiant relève du programme 142, et non du programme 143, même s'il s'agit de corréler les deux.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à l'enseignement technique agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2022.

Projet de loi de finances pour 2022 - Crédits relatifs à la presse - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Chers collègues, nous nous retrouvons pour l'examen de trois avis budgétaires, et nous commençons par les crédits relatifs à la presse.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis des crédits du programme 180 « Presse et médias ». - La presse traverse dans notre pays une zone de turbulence qui se prolonge et s'étire. Elle a perdu plus de 60 % de ses recettes depuis 2000, et peu d'autres secteurs ont eu à souffrir autant sur cette période.

Dans ce contexte général sinistré, la pandémie a constitué un nouveau drame, mais aussi et de façon paradoxale, une chance. Un drame parce que la crise s'est traduite par un effondrement de près de 20 % des recettes publicitaires et la mise à l'arrêt des activités annexes comme l'événementiel.

Cependant, elle a aussi représenté une chance puisque nos concitoyens ont pu mesurer l'importance et la valeur d'une information fiable, vérifiée de manière professionnelle. Ainsi, selon le baromètre annuel de la société Kantar, la crédibilité de la presse écrite a augmenté de deux points en 2021. Si le niveau de 48 % reste insatisfaisant, il révèle toutefois une progression à l'oeuvre ces deux dernières années, pour la première fois depuis longtemps.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont apporté un soutien important et unanimement salué par la profession. La presse écrite a ainsi bénéficié d'aides s'élevant à 425 millions d'euros en 2022, répartis entre dotations et dépenses fiscales.

En outre, la presse a bénéficié de 166 millions d'euros d'aides en 2020, et d'un plan de relance de 140 millions d'euros en 2021 et 2022. En trois ans et en complément des crédits budgétaires habituels, 326 millions d'euros ont donc été versés.

En 2022, sur le programme qui nous rassemble aujourd'hui, on observe une hausse des crédits de 50 %, qui est cependant largement le résultat d'un effet d'optique, puisqu'elle est causée par le transfert des crédits utilisés pour compenser la mission de service public de La Poste, dans le cadre de la réforme du postage et du portage. Son premier effet est d'ailleurs paradoxalement de diminuer les crédits budgétaires en 2022, mais une hausse est prévue en 2023.

Par ailleurs, les crédits de l'Agence France-Presse (AFP) restent stables, et le fonds destiné aux radios associatives augmente de 1,1 million d'euros, après une hausse de 1,25 million en 2021, pour répondre à la diminution des recettes publicitaires de ces acteurs fragiles, et à la progression du nombre de radios éligibles.

Il me faut à ce stade lever un malentendu persistant : la vocation des aides à la presse n'est pas de soutenir à bout de bras un secteur connaissant un irrésistible déclin, erreur ruineuse déjà commise avec Presstalis. Je voudrais aussi rappeler que nous croyons tous ici au futur de la presse, qui a été très rentable pendant la majeure partie de son histoire.

Les aides sont une contrepartie normale pour la place essentielle qu'occupe une presse diversifiée et pluraliste dans le débat public et le fonctionnement de nos démocraties. Par ailleurs, ces soutiens ont pour vocation première d'accompagner la presse vers un modèle économique viable et ambitieux. Or, la cause première des difficultés rencontrées par les publications reste l'irruption du numérique, qui a bien failli emporter la musique et menace aujourd'hui le cinéma. Il appartient donc aux pouvoirs publics de s'emparer de ce sujet, comme nous l'avons fait dans cette commission, à l'initiative de David Assouline, sur le sujet des droits voisins.

Cette mise au point faite, je voudrais revenir sur la façon dont le Gouvernement accompagne la presse. Tout d'abord, dans le secteur de la distribution, il s'agit de solder les comptes très lourds laissés par Presstalis, désormais « France Messagerie », et mettre ainsi fin à un interminable feuilleton. Le plan d'aide prévoit encore 80 millions d'euros de l'État pour 2020 et 2021, et 47 millions d'euros supplémentaires doivent provenir des éditeurs. Je ne voudrais pas me montrer trop optimiste, mais la nouvelle société est d'une taille bien plus modeste - 269 salariés contre 1 069 au moment de la faillite -, et ne présente plus de réel risque systémique.

Cependant, je voudrais relever deux sujets de préoccupation. D'abord, une lutte continue d'opposer les messageries lyonnaises de presse (MLP) et France Messagerie sur la distribution hors quotidien, et cette concurrence se traduit par des barèmes touffus, des négociations sans fin avec l'Autorité des régulations des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), et ne profite à personne dans un secteur déclinant.

L'assortiment constitue un second sujet de préoccupation. L'une des dispositions essentielles de la loi de modernisation de la distribution permettait aux marchands de choisir en partie les titres qu'ils proposent, pour éviter l'effet désastreux sur la clientèle des cartons éventrés et des étalages trop fournis. Plus de deux ans après la promulgation de cette loi, rien n'est encore fait. Certes, la crise sanitaire a frappé, mais le vrai sujet demeure l'existence d'un système informatique qui était déjà antédiluvien il y a dix ans. Je suis donc un peu sceptique quand j'entends que tout sera prêt pour le mois de juin ; ce serait un réel exploit !

Par ailleurs, il s'agira de se montrer vigilant quant à la réforme du postage et du portage. Le projet des ministres de la culture et de l'économie, présenté en septembre, consiste à optimiser les réseaux de portage, possédés la plupart du temps par la presse locale, en leur confiant la distribution, partout où cela est possible, de toutes les publications nationales aux abonnés. Pour ce faire, les tarifs postaux très avantageux de la presse d'information politique et générale (IPG) seraient supprimés dans les zones dites « denses », qui concentrent un peu plus de la moitié des volumes. Une aide à l'exemplaire porté, calculée de manière à être neutre financièrement, serait instituée à la place.

Cette réforme me semble présenter trois avantages. Tout d'abord, elle permet de sortir par le haut de l'éternel débat sur la compensation versée à la Poste, qui affiche un déficit sur la presse de 186 millions d'euros. De plus, si elle est menée comme prévu - ce à quoi nous veillerons, elle offrira aux éditeurs une visibilité tarifaire sur les six prochaines années. Enfin, elle permettra de mieux utiliser des réseaux de portage performants, qui devront cependant accepter de s'ouvrir à d'autres publications. Tel est d'ailleurs le principal défi de l'année 2022 : passer d'une culture de l'exclusivité à une culture de l'ouverture ; la rationalité économique le réclame. Dans l'ensemble, je suis convaincu par cette réforme qui permet, à enveloppe équivalente, de créer un système d'incitation au portage plus judicieux et efficace.

Par ailleurs, il faudra être vigilant au sujet des droits voisins. Le constat est implacable : plus de deux ans après la promulgation de la loi, rien n'a été versé aux éditeurs, mais beaucoup aux avocats. Notre commission y a consacré deux auditions cette année, qui ont démontré le manque d'unité de la profession et la multiplication des manoeuvres dilatoires de Google, qui abuse de subterfuges juridiques pour retarder l'échéance, voire y échapper. Heureusement, la décision de l'Autorité de la concurrence, enfin rendue le 13 juillet 2021, a été d'une sévérité exemplaire en sanctionnant Google à hauteur de 500 millions d'euros et en lui ordonnant de mener des négociations sous peine d'astreintes. J'ai interrogé hier Mme la ministre Roselyne Bachelot au sujet des droits voisins, lors de son audition devant la commission, mais elle m'a renvoyé vers Bercy. Les échos sur les négociations en cours ne sont pas tous très rassurants, même si je note avec satisfaction la conclusion d'un accord entre la presse IPG et Facebook, et la création d'un nouvel organisme de gestion collective (OGC) pour l'ensemble de la presse - à l'exception, cela ne surprendra personne, de la presse IPG... Plus de deux ans après l'adoption de la loi, il est plus que temps que les entreprises se soumettent enfin à la règle de droit.

Un dernier sujet a fait son apparition récemment : la hausse du prix des matières premières, qui frappe la presse écrite comme de nombreux secteurs. Selon mes informations, on observe depuis janvier 2021 des hausses de prix de 25 à 30 % pour le papier et de 50 % pour les emballages. Au-delà de l'augmentation tarifaire, la disponibilité même du papier pose question et inquiète. En effet, une part importante de la matière collectée et triée est aujourd'hui redirigée vers la fabrication de cartons d'emballage, au détriment de l'économie circulaire du papier graphique, pour laquelle les éditeurs de presse acquittent pourtant une éco-contribution.

S'il est difficile pour les pouvoirs publics d'intervenir pour orienter les prix du marché, la question d'un soutien rapide et temporaire pourrait se poser, d'autant que la presse se retrouve une nouvelle fois victime du succès des plateformes de l'Internet, qui ont popularisé la livraison à domicile et la production de carton au détriment du papier.

Au vu de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la presse pour 2022.

M. Max Brisson. - Notre groupe partage les conclusions de notre rapporteur, dont l'expertise sur le sujet est connue et remarquable ! La presse fait en effet partie de ces filières dont les problématiques structurelles ont été accentuées par la crise sanitaire, à cause de l'érosion de ses deux principales sources de revenus : la vente des journaux papier et les recettes publicitaires. Il était donc important que l'État poursuive son effort financier, non pour tenir à bout de bras une filière en difficulté mais bien pour tenter de maintenir et de faire vivre le pluralisme de l'information.

Le plan repose cette année encore sur plusieurs dispositifs, dont l'aide au transport postal, le plan de relance pour 50 millions d'euros et les crédits de la mission que nous examinons aujourd'hui, à hauteur de 179 millions d'euros.

Certes, nous constatons une forte augmentation des aides à la presse grâce aux 62 millions d'euros de transfert de crédits pour la réforme de la distribution de la presse, qui traduit les recommandations du rapport d'Emmanuel Giannesini. Cette réforme concerne la presse dite « abonnée », vise à stabiliser les tarifs postaux pour l'ensemble des titres et à inciter les éditeurs à recourir davantage au portage. Néanmoins, nous serons attentifs à sa mise en oeuvre. Nous serons également vigilants quant aux résultats de l'évaluation qui suivra la diminution de l'aide à l'exemplaire posté en zone dense à partir de 2024.

Les aides liées à la crise sanitaire sont également reconduites, notamment l'aide au pluralisme des services de presse en ligne, qui permet d'accompagner la recherche de nouveaux modèles économiques, ainsi que les crédits du plan de relance. De même, le crédit d'impôt adopté en juillet 2020 pour le premier abonnement souscrit à un journal, à une publication périodique ou à un service de presse en ligne IPG est reconduit, ce qui est positif, même si l'on peut regretter une communication insuffisante sur cette disposition.

Je serai moins positif sur la situation des territoires ultramarins, dont vous n'avez pas parlé cher collègue, et dont les crédits de 2 millions d'euros sont certes reconduits mais ne résoudront pas toutes les difficultés rencontrées, tant la diffusion de la presse y subit des contraintes lourdes, notamment en termes d'acheminement et de stockage du papier.

Malgré cette réserve importante, notre groupe sera favorable au vote des crédits consacrés à la presse parce qu'ils viennent protéger différents acteurs du secteur, garantissant ainsi le maintien du pluralisme et de la qualité de l'information dans notre pays.

M. Jérémy Bacchi. - Je commencerai par saluer la stabilité plutôt encourageante des crédits de l'AFP.

Néanmoins, la diffusion de la presse connaît une mutation et cela crée des inquiétudes pour un certains nombres de petits journaux à travers le pays, qui ont le sentiment de perdre la maîtrise de la distribution.

De plus, on observe une légère baisse de l'aide au pluralisme, d'1,22 million d'euros. Il s'agit peut-être d'une stabilisation des crédits, certains journaux ayant disparu pendant la crise sanitaire. Cependant, dans une année d'élections présidentielles, cette aide méritait d'être substantielle, d'autant qu'un certain nombre de journaux sont en grande difficulté, notamment, vous l'avez mentionné, à cause de l'explosion du prix du papier et de la raréfaction de cette ressource. Le seul apport au pluralisme réside dans les 60 millions d'euros pérennisés au titre du crédit d'impôt pour le premier abonnement.

Pour ces raisons, nous nous abstiendrons lors du vote.

Mme Monique de Marco. - La presse a été confrontée à plusieurs crises et a connu une baisse des ventes de 40 % depuis 2007, et ce phénomène tend à s'accélérer. Par ailleurs, le nombre de marchands de journaux est aussi en forte diminution.

Nous tenons à saluer le soutien d'un secteur en difficulté, mais le régime des aides à la presse mériterait une réforme en profondeur, davantage de transparence, d'équité entre les médias, et de contreparties, notamment sur l'emploi et l'indépendance des journalistes. En effet, certains titres sont aujourd'hui subventionnés alors qu'ils appartiennent à des grands groupes, que des licenciements ont cours dans les rédactions et que les conditions dans lesquelles l'information y est produite se dégradent. Les aides à la presse pourraient servir de levier pour lutter contre la concentration des médias et renforcer leur indépendance par rapport au pouvoir économique.

J'aimerais enfin poser une question de fonctionnement : la question des radios est-elle incluse dans ce programme ?

Et pour conclure, malgré la qualité du rapport, nous nous abstiendrons lors du vote.

M. Pierre-Antoine Levi. - Nous avons la chance d'avoir un État qui protège le pluralisme de la presse. Vous avez rappelé l'aide massive qu'il fournit, l'augmentation du budget, ainsi que la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour un premier abonnement, qui permettra une démocratisation plus grande encore de l'accès à la presse.

Sur les tarifs postaux bonifiés, il faudra peut-être s'interroger sur le maintien de cette disposition pour certains journaux qui ne respectent pas les valeurs républicaines.

Par ailleurs, je salue l'augmentation des crédits pour le fonds de soutien et l'expression radiophonique locale d'1 million d'euros, pour accompagner le passage vers la norme digital audio broadcasting (DAB+) pour les radios locales et associatives. Enfin, le soutien à Medi 1, radio francophone du Maroc, semble très positif, surtout dans un contexte où le besoin de compréhension interculturelle est important.

Le groupe Union Centriste suivra donc l'avis du rapporteur.

M. David Assouline. - On observe une très forte hausse de l'aide à la diffusion, qui aurait pu nous inciter à voter en faveur des crédits.

Cependant, deux lignes sont en baisse : celle de l'aide au pluralisme et celle de la modernisation. Or, le pluralisme est l'enjeu majeur pour la presse, à l'heure des concentrations, qui tuent cette diversité sur le territoire. La multiplicité de titres crée une illusion de pluralisme, mais les lignes éditoriales sont similaires et, de fait, les mêmes cinq ou six banques et assurances contrôlent presque toute la presse quotidienne régionale (PQR).

Par ailleurs, la modernisation est l'outil essentiel pour traverser ce moment de révolution technologique, qui a en grande partie tué la presse papier. Ces baisses sont mal venues, ou pour le moins maladroites. Nous nous abstiendrons donc lors du vote.

M. Michel Laugier, rapporteur pour avis. - Pour répondre à Monique de Marco, nous traitons bien des questions liées aux radios, mais seulement associatives. Depuis l'an dernier celles-ci sont aidées et les aides ont été maintenues cette année, ce qui est très positif.

Pour rassurer Max Brisson, la presse ultramarine fait bien partie intégrante du rapport, mais il m'était difficile d'évoquer tous les sujets dans ma présentation. Je précise toutefois que l'aide à la presse a été renforcée dans les outre-mer l'an dernier, et qu'elle est maintenue en 2022.

L'aide au pluralisme est effectivement au coeur du rôle que nous avons à jouer en examinant ce budget. Néanmoins, il nous faut aussi être vigilants sur la réforme du postage et du portage, qui représente une grande nouveauté dans ce budget, et sur les résultats de laquelle nous nous montrerons attentifs l'an prochain. Elle devrait en tout cas être efficace car les grands problèmes rencontrés dans la distribution ne le sont pas au niveau régional ni local, mais national. Ma seule inquiétude demeure la course au tarif à laquelle se livrent les deux messageries.

Je finirai en rappelant qu'un nouveau défi attend la presse : celui de la pénurie et du prix du papier. J'ai également interrogé à ce sujet Mme la ministre hier, qui m'a renvoyé vers ses collègues du Gouvernement.

M. Laurent Lafon, président. - Je remercie Michel Laugier pour la qualité de son rapport et mets son avis aux voix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « Presse et médias» de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2022.

La réunion est close à 11 h 25.

Numérique - Audition de Mme Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook, lanceuse d'alerte

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Madame Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook.

Madame, nous sommes tous très admiratifs de votre engagement en faveur d'une technologie moins menaçante pour nos libertés et nos démocraties.

Nous ne sous-estimons pas le courage qui vous a été nécessaire pour dénoncer au grand jour les actions de votre ancien employeur, qui allaient contre vos convictions les plus profondes.

Il est hélas clair que seules des actions comme la vôtre sont susceptibles de faire bouger les lignes, tant la domination des grandes compagnies de l'Internet repose aujourd'hui sur un enchevêtrement de technologies difficilement compréhensibles par le grand public et de lobbying exercé avec des moyens démesurés.

La commission de la culture s'intéresse de longue date au sujet de la régulation des réseaux sociaux. Je pense en particulier aux travaux de Catherine Morin-Desailly, travaux qui vous ont conduit, chère collègue, à vous rendre à Londres le 27 novembre 2018 pour participer avec des parlementaires d'une dizaine de pays à une séance du Digital, Culture, Media and Sport Committee (DCMS) de la Chambre des Communes britannique.

Je note que Mark Zuckerberg avait fait preuve de moins de courage que vous, Madame Haugen, en ne répondant pas à l'invitation qui lui avait été faite de venir alors s'exprimer sur l'affaire « Cambridge Analytica ».

Je formule donc le souhait que votre audition de ce jour, dans le cadre d'un véritable « tour du monde » des parlements qui vous a déjà conduit devant le Sénat américain, la chambre des communes britanniques et le Parlement européen, soit pour nous l'occasion de prendre encore mieux conscience de la réalité de l'influence et des méthodes du plus grand réseau social du monde.

Je cède à présent la parole à Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. - Le scandale qui éclabousse Facebook depuis quelques semaines n'est que le dernier d'une longue série.

Mais pour la première fois, Madame Haugen, vos révélations s'appuient non pas seulement sur des constats externes ou sur des témoignages individuels, mais sur des documents de travail internes de Facebook, que vous avez patiemment photographiés, puis transmis au Congrès américain et à la Securities and Exchange Commission - le gendarme de la Bourse américaine. Au fil de plusieurs milliers de pages se dévoilent ainsi les effets néfastes des réseaux sociaux sur la santé mentale des adolescents ou sur la polarisation du débat public.

Vous êtes pourtant un « pur produit » de la Silicon Valley : vous y avez effectué toute votre carrière, dans de grands groupes comme Google, Pinterest, et enfin Facebook, où vous étiez en charge de la lutte contre la désinformation. Vous nous expliquerez ce qui vous a poussé à prendre la décision courageuse de devenir lanceuse d'alerte, face à l'une des entreprises les plus puissantes du monde. Vous savez sans doute que notre Parlement s'apprête à examiner une proposition de loi visant à renforcer la protection des lanceurs d'alerte, qui transpose d'ailleurs une directive européenne en ce sens.

Je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation à venir témoigner au Sénat : la commission des affaires européennes examinera en effet dans quelques semaines le rapport de nos collègues Catherine Morin8Desailly et Florence Blatrix Contat, sur le projet de Digital Services Act (DSA) européen.

Ce texte pionnier prévoit un régime de responsabilité renforcée à l'égard des plateformes afin d'empêcher la prolifération des contenus illicites. Il propose également des obligations complémentaires pour les très grandes plateformes concernant l'évaluation et la gestion des risques systémiques, notamment la désinformation.

Votre témoignage nous sera donc particulièrement précieux pour affûter et étayer notre position sur ce texte. À cet égard, nous serons particulièrement désireux de vous entendre sur les ressources mises en oeuvre par Facebook pour la modération, y compris dans différentes langues, mais aussi, par exemple, sur sa gestion de la sécurité des produits - un sujet auquel la France est particulièrement attentive.

Au-delà de ces questions particulières, nous souhaiterions recueillir votre sentiment sur le modèle commercial des plateformes de réseaux sociaux : l'échec dont vous faites le constat est-il la conséquence d'un manque de volonté et de moyens de la part de Facebook, ou les causes sont-elles plus profondes ? Pensez-vous, au fond, que ce modèle, basé sur une économie de l'attention et financé par la publicité ciblée, est réformable ?

Mme Frances Haugen, ancienne ingénieure chez Facebook, lanceuse d'alerteMessieurs les présidents, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, je vous remercie de l'opportunité qui m'est donnée de me présenter devant vous, ainsi que de votre volonté de faire face à certaines des menaces les plus urgentes pour les citoyens français.

J'avais rejoint Facebook parce que je croyais que l'entreprise avait le potentiel de faire ressortir le meilleur de nous, mais je suis ici aujourd'hui parce que je crois que les produits de Facebook nuisent aux enfants, aggravent les clivages, affaiblissent notre démocratie et bien plus encore.

Les dirigeants de l'entreprise savent comment rendre Facebook et Instagram plus sûrs, mais refusent de réaliser les changements nécessaires parce qu'ils font passer leurs immenses bénéfices avant les gens.

Les conséquences sont graves. La plateforme Facebook porte aujourd'hui atteinte à la santé et à la sécurité, menace nos communautés et l'intégrité de nos démocraties.

Il ne sera pas facile de relever ce défi, mais les démocraties doivent faire ce qu'elles ont toujours fait lorsque le commerce entre en conflit avec les intérêts du peuple et de la société dans son ensemble : intervenir et élaborer de nouvelles lois.

Je suis reconnaissante au Gouvernement français et aux dirigeants de l'Union européenne, comme le commissaire Breton, de prendre cette question très au sérieux.

Selon moi, le projet de règlement sur les services numériques (Digital Services Act) actuellement examiné par le Parlement européen peut devenir une référence mondiale qui pourra inspirer d'autres régions du monde, y compris mon pays, et les conduire à adopter de nouvelles règles pour protéger nos démocraties.

La législation doit être forte et son application ferme sans quoi nous perdrons cette occasion unique d'associer technologie et démocratie. Je sais que les dirigeants français ont joué un rôle central dans les progrès que nous avons accomplis, et je vous encourage à maintenir la pression.

Mon analyse des documents contenus dans mes révélations n'est pas uniquement fondée sur mon travail chez Facebook. J'ai travaillé comme chef de produits dans de grandes entreprises technologiques comme Google, Pinterest, Yelp et Facebook.

Mon travail a surtout porté sur des produits algorithmiques, comme les recherches Google Plus, ou les systèmes de recommandation comme celui qui alimente le fil d'actualité de Facebook.

J'ai pu comparer la façon dont chaque entreprise aborde et relève différents défis. Les choix opérés par les dirigeants de Facebook représentent un danger énorme pour les enfants, la sécurité publique, la démocratie. C'est pourquoi j'ai lancé cette alerte. Soyons clairs : les choses n'ont pas à être ainsi. Nous sommes ici aujourd'hui à cause des choix délibérés de Facebook.

J'ai rejoint Facebook en 2019 parce qu'un de mes proches s'est radicalisé. Je me suis sentie obligée de jouer un rôle actif dans la création d'un Facebook moins toxique.

Durant mon passage chez Facebook, d'abord en tant que cheffe de produit pour la désinformation civique, puis pour le contre-espionnage, l'entreprise a fait face à plusieurs reprises à des conflits entre ses propres bénéfices et la sécurité collective. L'entreprise a toujours résolu ces conflits à son profit. Ce système a amplifié la division, l'extrémisme, la polarisation, qui fragilisent les sociétés du monde entier.

Dans certains cas, ces discours en ligne dangereux ont conduit à des violences qui ont fait des victimes, voire des morts. Dans d'autres cas, le mécanisme d'optimisation des profits a généré de l'automutilation, de la haine de soi, notamment dans des groupes vulnérables comme les adolescents.

Ces problèmes ont été confirmés à plusieurs reprises par les recherches internes de Facebook. Il ne s'agit pas seulement de la colère ou de l'instabilité de certains utilisateurs des réseaux sociaux. Facebook est devenu une entreprise pesant mille milliards de dollars en engrangeant des bénéfices aux dépens de notre sécurité, y compris celle de nos enfants. C'est inacceptable !

Je crois que j'ai fait ce qui était juste et nécessaire pour l'intérêt général, mais je sais que Facebook dispose de ressources infinies qu'il pourrait utiliser pour me détruire.

J'ai compris une vérité effrayante : presque personne, en dehors de Facebook, ne sait ce qui se passe à l'intérieur de Facebook. La direction de l'entreprise cache des informations vitales au public, à ses actionnaires, au Gouvernement américain et aux gouvernements du monde entier.

Les documents que j'ai fournis prouvent que Facebook nous a trompés à plusieurs reprises sur ce que ses propres recherches révèlent sur la sécurité des enfants, son rôle dans la diffusion de messages haineux et polarisants, et bien plus encore.

La réponse la plus adaptée pourrait venir de nouvelles règles et de nouvelles normes. La législation de l'Union européenne a un énorme potentiel. Elle n'essaye pas de supprimer le problème avec des réglementations sur le contenu. Elle adopte une approche neutre en termes de contenus pour s'attaquer aux risques systémiques et aux méfaits du modèle commercial global. Je soutiens fermement cette conception et je crois que la force des nouvelles lois dépend de la volonté politique des États membres de s'assurer qu'elles sont appliquées.

Il y aurait beaucoup à dire sur la manière de résorber les menaces que Facebook et d'autres grandes plateformes font peser sur la démocratie.

Je souhaite mettre en lumière deux impératifs qui, d'après mon expérience, sont d'une importance capitale : premièrement, demander des comptes aux entreprises pour les préjudices sociaux qu'elles provoquent et, deuxièmement, établir de nouvelles règles axées spécifiquement sur le modèle commercial lui-même des plateformes.

Personne ne peut comprendre les choix destructeurs de Facebook mieux que Facebook, qui a seul le droit de « regarder sous le capot ». Or Facebook ne peut être à la fois juge et partie.

La transparence sera donc essentielle pour parvenir à une réglementation efficace. Il faudra un accès complet aux données. Nous avons besoin de plus d'experts pour étudier ces systèmes, et ils doivent pouvoir consulter toutes les données dont ils ont besoin. Il est essentiel de bien faire les choses, car le diable est dans les détails.

J'ai préconisé un plan en trois étapes pour le processus d'évaluation des risques.

Tout d'abord, chaque plateforme devrait être tenue pour responsable des risques présentés par ses produits et services. Toutes devraient être obligées de procéder à une analyse de la sécurité de leurs produits et la diffuser au public.

Deuxièmement, un régulateur devrait interroger le public et la société civile pour comprendre les angles morts que la plateforme n'a pas explorés. Facebook est homogène et géographiquement isolé. Nous devons nous assurer d'évaluer le plus complètement possible tous les risques que présente un produit.

Troisièmement, les entreprises devraient être tenues de prévoir un plan pour traiter chaque préjudice. Ce plan devrait être audité et contrôlé pour s'assurer qu'il est vraiment mis en oeuvre. Nous avons besoin des données de l'entreprise pour vérifier leurs progrès.

Facebook a tenté à maintes reprises d'éviter les scandales en déclarant simplement qu'il y travaille. Cette dynamique doit changer, et cela commence par l'accès aux données.

L'une des questions que l'on me pose le plus souvent porte sur le type de données à demander à Facebook. Si un accès total aux données dont dispose Facebook permettrait d'effectuer de larges recherches, l'ouverture d'un tel accès doit être effectuée avec précaution pour protéger la vie privée des utilisateurs.

Cet accès aux données permettra aux chercheurs et aux régulateurs d'évaluer les risques et les préjudices de l'ensemble du système - profilage, ciblage, et engagement-based ranking, ce classement basé sur l'engagement.

Mes révélations montrent clairement que les systèmes de classement basés sur l'engagement sont l'une des causes fondamentales de l'un des plus grands risques systémiques que les réseaux sociaux font courir à nos sociétés. Cela met en cause le système lui-même. En utilisant des outils neutres en termes de contenus, les nouvelles lois devraient obliger les plateformes à assumer leurs responsabilités, non seulement en matière de divulgation de contenus illégaux, mais aussi de manipulation des élections, de diffusion virale de la désinformation ou d'effets néfastes sur la santé mentale des adolescents.

Si la nouvelle législation est bien conçue, elle peut changer la donne à travers le monde. Vous pouvez obliger les plateformes à intégrer le risque sociétal dans leurs activités commerciales, de sorte que les décisions concernant les produits à développer et la manière de les développer ne soient plus fondées que sur l'augmentation des bénéfices. On peut établir des règles, des normes systémiques qui tiennent compte des risques tout en prenant en compte la liberté d'expression, et on peut montrer au monde comment la transparence, la surveillance et l'application des règles doivent fonctionner.

Nous avons déjà connu cela lorsque les fabricants de tabac affirmaient que les cigarettes avec filtre étaient plus sûres pour les consommateurs. Les scientifiques ont pu invalider ce message marketing en confirmant que ces cigarettes continuaient à faire peser une menace sérieuse sur la santé et qu'elles étaient en fait plus toxiques que les autres.

Aujourd'hui, nous ne pouvons réaliser ce type d'évaluation indépendante de Facebook. Nous devons croire ce que dit Facebook. Or ce groupe a prouvé à plusieurs reprises qu'il ne mérite pas que nous lui fassions une confiance aveugle.

Les régulateurs de Facebook peuvent détecter certains problèmes, mais sont dans l'incapacité de déterminer leur cause. Ils ne peuvent donc pas élaborer de solutions spécifiques. Ils ne peuvent pas avoir accès aux données de l'entreprise sur la sécurité des produits, encore moins mener un audit indépendant. Comment le public est-il censé déterminer si Facebook résout les conflits d'intérêts de manière conforme à l'intérêt général s'il n'a aucune visibilité sur le fonctionnement réel de Facebook ? Ceci doit changer !

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'enjeu est de taille. Vous avez l'opportunité unique de créer de nouvelles règles pour le monde en ligne. Construire des réseaux sociaux plus sûrs et plus sympathiques est possible.

Deux points sont à retenir. En premier lieu, Facebook choisit chaque jour le profit au détriment de la sécurité, et cela continuera, en l'absence d'action énergique de la part des législateurs. Par ailleurs, Facebook cache son comportement réel, ce qui conduit notre sécurité à se dégrader à un niveau inacceptable.

Si Facebook est autorisé à continuer à fonctionner dans l'obscurité, nous n'assisterons qu'à des tragédies de plus en plus importantes. J'ai lancé l'alerte au risque de ma vie parce que je crois qu'il est encore temps d'agir, mais nous devons le faire maintenant.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour vos propos très forts, qui vont, j'imagine, soulever un certain nombre de questions.

Vous avez dit que personne ne connaît Facebook si ce n'est Facebook lui-même. Pour aider à notre compréhension, je poserai des questions très précises, tout d'abord sur la modération, à propos de laquelle nous avons questionné les responsables de Facebook sans obtenir aucune explication précise.

Nous nous interrogeons en premier lieu sur le nombre de modérateurs francophones qui suivent les propos en français. Avez-vous un ordre de grandeur, si ce n'est un chiffre précis ?

Par ailleurs, la presse, à plusieurs reprises, a fait état du fait que ces modérateurs étaient des prestataires et qu'il n'y avait pas de personnel interne à Facebook. Est-ce vraiment le cas ?

Mme Frances Haugen. - Une des raisons pour lesquelles Facebook ne divulgue pas ce chiffre, c'est parce qu'il y a trop peu de modérateurs francophones. Je n'en connais pas le nombre exact, mais je sais qu'en septembre 2020, Facebook consacrait 87 % du budget opérationnel à l'anglais. Je ne sais pas exactement comment les choses sont ventilées entre la modération et la vérification des faits, mais je pense que les trois quarts des 30 000 modérateurs se consacrent à l'anglais.

Facebook sait que le plus gros risque pour l'entreprise serait qu'un scandale éclate aux États-Unis. Ils ont donc sous-investi là où ils sont le moins menacés.

Quant aux prestataires, il existe des usines Facebook à travers le monde, principalement aux Philippines. La plupart des modérateurs y sont basés et le plus grand nombre est bien sûr anglophone, mais je n'en suis pas sûre. Facebook emploie ces personnes en tant que prestataires parce que les obligations sont bien moindres.

M. Laurent Lafon, président. - Quelle est l'autonomie des entités de Facebook dans chaque pays ? Peuvent-elles intervenir sur les algorithmes ? Dans quelle mesure les entités sur place influent-elles sur les modérations pour prendre en compte les différences culturelles et sociales entre les pays et adapter les règles ?

Mme Frances Haugen. - D'après ce que j'ai pu comprendre, les normes sont assez similaires d'un pays à l'autre, avec des exceptions, notamment en matière de nudité, qui sont très spécifiques culturellement.

En général, il n'y a pas de spécificité par pays, sauf s'il existe vraiment une législation différente. La stratégie de Facebook part du principe qu'il faut traiter les choses par langue, plutôt que d'avoir une plateforme sécurisée dans son ensemble. Cela a bien sûr des limites, car les systèmes ne sont pas conçus pour être adaptés pour le français que l'on parle en Algérie, en France ou ailleurs dans le monde. Il n'est en effet pas efficace de réaliser une « customisation » pour les petits marchés.

Quant à l'autonomie, elle existe très peu. Je n'ai jamais vu de rapport sur le classement des fils d'actualité en dehors des États-Unis quand je travaillais à la désinformation civique.

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez dit ce matin que l'on serait surpris d'apprendre ce que Facebook peut faire grâce au wifi. Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là et quel type d'informations une entreprise comme Facebook utilise à partir des données wifi ?

Mme Frances Haugen. - Je sais que des entreprises comme Google contrôlent les noms des réseaux environnants pour savoir exactement où l'on est. C'est pour cela qu'ils peuvent être si précis dans la localisation. Facebook a six systèmes différents pour localiser les personnes à n'importe quel moment grâce à « l'empreinte digitale de localisation ». Je pense qu'ils enregistrent le nom du wifi. Je n'en suis pas totalement sûre, mais je pense qu'il existe suffisamment de systèmes pour affiner les données afin de savoir exactement où l'on est.

M. Laurent Lafon, président. - La parole est aux Rapporteures de la commission des affaires européennes, Mmes Catherine Morin-Desailly et Florence Blatrix Contat.

Mme Catherine Morin-Desailly, corapporteure. - Madame, vous êtes le deuxième lanceur d'alerte, avec votre compatriote Edward Snowden, à avoir informé les opinions mondiales du fait que l'internet n'était pas le monde angélique que l'on pouvait croire. Merci infiniment.

Votre témoignage est extrêmement précieux, à l'heure où, avec ma collègue Florence Blatrix Contat, nous sommes en train de travailler sur le rapport concernant le DSA, pour lequel vous avez été aussi auditionnée à Bruxelles.

Votre constat, qui est accablant, n'est pas franchement une surprise pour les sénatrices et les sénateurs car, depuis l'affaire « Cambridge Analytica », on avait bien identifié les dysfonctionnements, la manipulation des données de plus de 83 millions d'internautes, et constaté que les alertes internes n'avaient pas été prises en compte par Facebook.

Vous avez eu le courage de témoigner devant le Congrès américain et devant le Parlement européen, ce que n'a pas fait Mark Zuckerberg.

L'affaire du Capitole nous a aussi alertés sur les menaces dirigées contre nos démocraties par les réseaux sociaux. Nous avons besoin de plus de transparence, d'« accountability » pour ces plateformes mais, au-delà, il nous faut légiférer dans un cadre européen. Les tentatives de législations nationales ont en effet été des échecs, car elles mettaient en danger la liberté d'expression dans un mauvais équilibre et une mauvaise compréhension de l'écosystème, tel que vous l'avez démontré.

Notre préoccupation est de comprendre le modèle économique que vous avez évoqué, et notamment le fonctionnement de ces algorithmes, dont vous êtes une spécialiste. Ceux-ci ont-ils été conçus avec l'intention originelle de faire exclusivement du profit ? Peuvent-ils être corrigés et, si oui, comment et par qui ?

Est-ce au contraire totalement irréparable ? Dans ce cas, le modèle économique, comme l'a dit Shoshana Zuboff, dans son livre Le capitalisme de surveillance, est toxique et définitivement pervers. C'est une question fondamentale pour que nous comprenions le système.

Vous avez parlé d'évaluation, d'identification des risques systémiques et d'un vaste plan qui serait nécessaire pour mesurer tout cela. L'article 31 du DSA prévoit l'ouverture des données nécessaires à des chercheurs extérieurs pour évaluer ces risques, mais on y opposera peut-être le secret des affaires. Pouvez-vous nous confirmer s'il est absolument indispensable que tout cela soit ouvert à une expertise extérieure pour fonctionner ?

Mme Frances Haugen. - S'agissant des bénéfices, Facebook, en 2018, a modifié son fonctionnement pour maximiser le temps pendant lequel il pouvait garder les gens sur son site, en essayant de développer le plus possible les « interactions sociales » significatives. Or, six mois après le lancement, il a vu que les fils avaient en fait moins de sens, mais sa volonté était de générer davantage de contenus. Quand les gens génèrent plus de contenus, ils restent plus longtemps sur le site et consomment plus de publicité. C'est un modèle commercial. Facebook a essayé différentes techniques. Celle qui avait le moins d'effets secondaires consistait à distribuer beaucoup plus de petites récompenses en dopamine, grâce aux « likes », re-partages ou commentaires, par exemple.

Facebook n'avait pas l'intention de provoquer un incendie, mais a compris que plus les clics arrivaient vite, plus il y avait de colère. Cela peut-il être réparé ? Oui. Facebook connaît énormément de solutions qui pourraient fonctionner partout dans le monde. Des modifications doivent être apportées à la plateforme. Ce n'est pas une question de personnes ou d'idées : c'est le système qui amplifie les pires contenus de façon démesurée.

En 2008, le fil d'actualités de Facebook portait sur la famille et les amis. On ne parlait pas de destruction de la démocratie à l'époque. Le nouveau système pousse les personnes vers des groupes énormes, qui sont beaucoup plus extrêmes, qui fonctionnent avec un classement reposant sur l'engagement de l'utilisateur. En Allemagne, 65 % des personnes qui ont rejoint des groupes néonazis l'ont fait après que cela leur ait été suggéré par Facebook !

Pourquoi Facebook n'a-t-il pas modifié les choses ? C'est là que le modèle commercial intervient. Sans une force qui l'y oblige, comme le DSA, il s'abstiendra de déployer ces changements, car tout ceci touche aux bénéfices. Il pourrait avoir demain 90 % de désinformation en moins sur la plateforme, mais cela lui coûterait quelques points en termes de bénéfices.

Facebook mérite-t-il d'avoir 35 % ou 40 % de marge, ou « seulement » 25 % ? On ne lui demande pas de ne pas être rentable ; mais on lui demande d'être responsable !

Enfin, il est vital que les universitaires et les chercheurs indépendants aient accès aux données. Je défends cette ouverture ainsi qu'un accès plus facile aux données agrégées.

Sur Twitter, par exemple, 10 000 chercheurs indépendants peuvent étudier les données publiques du réseau. C'est une question de sécurité nationale. Une très grande partie des informations sur Facebook ont été trouvées par des chercheurs indépendants parce qu'ils travaillaient sur Twitter. On doit développer un écosystème basé sur la responsabilité. C'est ainsi qu'on peut contrebalancer le poids de ces plateformes.

Mme Florence Blatrix Contat, corapporteure. - Merci pour votre courage, Madame.

Dans le prolongement de la question de ma collègue, les algorithmes peuvent-ils être conçus de manière responsable pour fonctionner au bénéfice de tous ? Pour quelles raisons les algorithmes ne fonctionnent-ils pas de manière responsable ? Est-ce un problème de paramétrage ou le fruit de leur utilisation ? Pensez-vous que le fait de mettre en place des obligations de « legacy by design » pour les algorithmes soit utile ?

S'agissant du modèle économique, pensez-vous que des mesures qui visent à l'assèchement des ressources publicitaires des plateformes liées aux contenus illégaux ou de désinformation pourraient avoir un impact ?

Le modèle économique de Facebook pourrait-il selon vous continuer à fonctionner si on interdisait la publicité ciblée ?

Enfin, dans le prolongement de ce qu'a indiqué le président Jean-François Rapin, nous avons en Europe une réglementation stricte en matière de protection des données personnelles, le règlement général sur la protection des données (RGPD), qui est entré en vigueur en 2018. À votre connaissance, ce texte a-t-il réellement un impact sur la manière dont Facebook traite les données personnelles de nos concitoyens ?

Mme Frances Haugen. - Sans aucun doute, les algorithmes peuvent être conçus en appliquant le principe de « safety by design ». Le problème vient du fait que la seule motivation de Facebook réside dans les bénéfices.

La plupart des grosses entreprises de technologie ont une certaine transparence. On peut ainsi télécharger les résultats de recherche via Google et les analyser. C'est ce que font les gens. Google sait qu'il est contrôlé. L'entreprise est donc plus responsable. De vrais ingénieurs travaillent sur le système, écrivent des blogs et expliquent comment fonctionnent leurs recherches. C'était du moins le cas en 2006, lorsque je travaillais chez eux.

Twitter sait également que les gens récupèrent un dixième des tweets et les analysent. Je pense donc qu'ils effectuent des choix plus responsables, parce qu'ils savent qu'ils peuvent être tenus pour responsables. Facebook n'a jamais fourni intentionnellement d'informations sur son système, alors qu'il pourrait faire comme Twitter et partager ses données. Il sait que si on ne voit rien, on ne peut poser de questions ni réclamer de nouvelles règles.

On peut lui demander de réfléchir à la sécurité collective, mais ce n'est pas une question de périmètre. Il s'agit plutôt de savoir si, quand Facebook voit un problème, il essaie de le régler. Il existe deux Facebook. Le premier est celui de la croissance, qui est plutôt optimiste. Les personnes qui traitent de la sécurité en sont séparées. Auparavant, elles travaillaient uniquement sur les risques de panne du site. Aujourd'hui, elles travaillent un peu sur la désinformation, mais à chaque fois qu'une personne qui travaille dans les sections « sécurité et intégrité » trouve une solution qui rend le système plus sûr aux dépens des profits, l'entreprise fait tout pour ne rien mettre en place.

Il existe des solutions qui ne vont pas à l'encontre de la liberté d'expression. Facebook choisit de ne pas les mettre en place parce que cela lui coûte une partie de ses bénéfices.

Beaucoup d'entreprises ont géré leur façon de stocker les données grâce au RGPD, comme Google, par exemple. Je sais qu'il y a aussi des abus dans ce domaine, Facebook refuse de communiquer certaines données à cause du RGPD. Il faut s'assurer qu'on inclut la définition de la vie privée dans le DSA, car cela permettra d'éviter que Facebook considère que les données agrégées violent la vie privée.

Je pense que Facebook pourrait être rentable sans les publicités ciblées. Serait-il aussi rentable qu'aujourd'hui ? Certainement pas ! Encore une fois, c'est une question d'équilibre entre différents besoins. Je ne suis pas économiste. Je ne peux donc vous dire combien ils perdraient, mais j'imagine que les publicités non ciblées sont rentables. Facebook a d'autres manières de faire de l'argent par ailleurs. Je pense qu'il a suffisamment d'options.

Mme Catherine Morin-Desailly, corapporteure. - Vous voulez prémunir la jeunesse contre les effets désastreux que vous avez évoqués. Finalement, la jeunesse n'est peut-être plus tant sur Facebook que sur Instagram. On sait qu'Instagram et Facebook font en réalité partie de la même société, avec WhatsApp. Pouvez-vous nous dire si Instagram fonctionne de la même manière et si vous formulez les mêmes remarques à son endroit ?

Enfin, faut-il envisager, comme certains démocrates américains, le démantèlement du trust ?

Mme Frances Haugen. - Une des raisons pour lesquelles je ne soutiens pas le démantèlement du trust vient de ce que les problèmes de plateformes existent dans les deux services, Instagram et Facebook, avec l' « engagement-based ranking » : on constate les mêmes problèmes sur les deux produits. Les documents contenus dans mes révélations montrent que le clone de TikTok dans Instagram, Reels, connaît les mêmes difficultés, avec un algorithme, qui n'était pas programmé pour être raciste mais qui a « appris » que les contenus concernant des personnes de couleur, par exemple, n'entraînaient pas les mêmes réactions que ceux concernant les personnes blanches.

Ce n'est donc pas le problème de l'entreprise en soi, mais de l'intelligence artificielle, qui n'a pas de contrepoids et qui force l'entreprise à gérer les choses de cette manière.

Si Facebook doit faire le choix de mettre 10 000 nouveaux ingénieurs sur des jeux vidéo plutôt que sur la sécurité parce qu'ils ne veulent faire que des bénéfices et avoir une entreprise rentable plutôt que de sécuriser leurs produits, les problèmes continueront, dans les deux sociétés. Ce qui est important, c'est le bon contrôle, et cela changera la relation de l'entreprise avec le public.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, Madame, pour votre travail et la qualité de vos informations. Vous êtes citoyenne des États-Unis d'Amérique, pays d'origine de Facebook, et vous comprenez que nous, Français, avons un problème supplémentaire avec cette entreprise, celui de la défense de notre indépendance nationale.

La question est de savoir si nous allons continuer à être une « colonie numérique » des GAFAM, et si ces entreprises vont accroître leur maîtrise sur nos données personnelles, au risque d'intervenir directement dans le fonctionnement de notre démocratie, alors qu'elles-mêmes échappent à toute forme de régulation et de contrôle des institutions.

Le Gouvernement français a proposé quelques lois qui ont été malheureusement sans effet. Je prends un exemple : le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) peut en principe accéder aux algorithmes, mais les GAFAM ne le lui permettent pas, et comme il n'existe pas de dispositif de sanction, il n'y a aucune possibilité de les obtenir.

Vous l'avez dit très justement : la violence de Facebook est consubstantielle à son modèle numérique. Aussi ne peut-on s'intéresser à ce problème sans toucher à ce modèle numérique. Le Sénat français avait travaillé sur un amendement qui prônait l'interopérabilité et permettait aux usagers de garder la maîtrise de leurs données, tout en leur permettant de changer de plateforme. C'était là introduire une forme de concurrence. Pensez-vous qu'il pourrait s'agir d'une mesure utile pour réduire le monopole de Facebook ?

Mme Frances Haugen. - J'adore le terme de « colonie numérique » que vous utilisez. Aux États-Unis, on utilise la formule « pas de taxation sans représentation ». On pourrait compter tous les dollars que représente la publicité générée par l'Europe. J'ai travaillé sur Google Plus, je sais combien cela représente. Il existe des options. Peut-être faut-il parfois regarder le retour sur investissement.

Il existe également des questions de défense nationale. Facebook, parce qu'il se réfugie dans le secret, porte un fardeau bien plus lourd, du fait que personne ne peut intervenir à sa place en matière de sécurité : j'ai travaillé sur le contre-espionnage et j'ai aidé à mettre en place des outils contre le terrorisme, les cartels, les trafics humains, l'exploitation d'enfants et les crimes en ligne. Il est inacceptable de ne pas savoir combien de personnes travaillent dans chacune de ces fonctions. Il est inacceptable d'ignorer combien d'affaires sont prises en charge par pays dans chacun de ces domaines. Je pense que vous seriez choqués d'apprendre le peu qui est fait pour protéger la France.

Le DSA doit exiger ces informations et demander combien de personnes travaillent dans chaque domaine. Lorsque j'étais chez Google, l'entreprise, pour donner l'impression que plus de femmes travaillaient dans les postes techniques, incluait les secrétaires des ingénieurs dans le personnel technique. Si on leur avait demandé leur titre exact, je pense que les choses auraient changé.

Par ailleurs, l'interopérabilité ouvre d'autres difficultés qui pourraient compliquer davantage les choses. Les serveurs de messagerie électronique disposent de cette interopérabilité. On envoie généralement un courriel à un seul serveur. Ensuite, on ne le gère plus, on a une ligne directe et sécurisée. Imaginez que je sois sur Facebook, mais que mes amis soient tous sur des clones. Si je poste une photo de mon bébé, elle va être envoyée à tous les serveurs, individuellement. Il ne faut pas, alors, que l'un de mes amis dépende d'un serveur hébergé par un groupe russe, par exemple. Je dois donc faire confiance à chacun.

Par ailleurs, on doit pouvoir changer les paramètres de sécurité de ce que l'on poste après la publication. Il faut donc que je sois sûre que, lorsque j'enlève des éléments de mon serveur, ceux-ci seront également retirés de tous les autres serveurs. Si l'on avait une parfaite interopérabilité, les gouvernements devraient donc auditer chaque serveur individuellement pour vérifier que ce que j'ai choisi d'enlever a été enlevé partout.

Les effets de réseau sont énormes et on ne peut les empêcher. Il y a trois ans, certains pays disposaient d'alternatives à Facebook. Certains réseaux étaient arrivés suffisamment tôt et avaient réussi à exclure Facebook. Aujourd'hui, aucun pays, mis à part la Chine, n'interdit Facebook.

Un créateur crée une page sur TikTok pour atteindre le plus de personnes possible. Au final, les marchés peuvent être en concurrence, parce que les personnes copient les contenus et les publient sur d'autres sites. On peut regarder du contenu issu de TikTok sur YouTube parce que les créateurs le copient. Les réseaux sociaux personnels, eux, ne cherchent pas à atteindre le plus de gens possible, mais quelques personnes spécifiques. C'est là qu'est la difficulté.

Je vous encourage à réfléchir à Facebook comme à un prestataire public, parce qu'il n'y a pas de choix : soit on l'interdit complètement, soit on l'accepte.

M. Thomas Dossus. - Merci pour votre courage, Madame, et pour l'apport extrêmement utile de votre témoignage pour le débat public. Il met en exergue la fragilité de nos démocraties vis-à-vis des poids lourds du numérique.

Je souhaiterais vous interroger sur la régulation des algorithmes de recommandation, qui sont le coeur du modèle économique de Facebook mais aussi, pour nos démocraties, le moteur d'un certain nombre de menaces que vous avez bien décrites.

Pensez-vous possible que la puissance publique puisse réellement obtenir la transparence de ces algorithmes ? Facebook a déjà menti à de nombreuses reprises, et cela fait partie de son modèle économique. Il va forcément avoir envie de le garder privé.

Vous avez rappelé que l'intelligence artificielle ne peut pas tout et qu'il faut un certain nombre de moyens humains, notamment en matière de modération. À quelle échelle les évaluer pour constituer un vrai service de régulation indépendant à l'échelle européenne, qui est la meilleure pour obtenir ce service ?

Mme Frances Haugen. - Concernant les mensonges de Facebook sur ses données, je pense qu'il y a deux voies à explorer. En matière d'évaluation des risques, il me paraît plus simple de dire de quelles données on a besoin pour vérifier si des progrès sont accomplis. En tant que spécialiste des données, je puis vous assurer qu'il est plus simple de les obtenir de cette manière.

Je pense qu'il est important, dans le DSA, de préciser que lorsque Facebook fournit des données, il doit également publier la manière dont celles-ci sont produites. En effet, Facebook manipule les données mieux que quiconque. Il a recruté certains des meilleurs scientifiques de ce domaine à travers le monde.

En matière de science des données, chaque calcul a besoin de simplifications et de suppositions. Quand Facebook n'a pas besoin de vous les montrer, il les cache. Un scandale a éclaté aux États-Unis il y a deux mois : pendant des années, des universitaires avaient demandé qu'on leur communique des données simples. Ils ont réussi à démontrer la mauvaise foi de Facebook parce que les données qu'on leur avait communiquées ne s'alignaient pas avec les précédentes.

L'idée qu'on doit sans arrêt vérifier si Facebook ment est totalement inacceptable. S'il doit expliquer comment ces données ont été créées, vous avez plus de chances d'obtenir les bonnes informations, celles-ci pouvant être contrôlées.

Par ailleurs, dans le cas d'un système d'audits, avec un, deux, trois audits, où pour chaque préjudice, on a les données associées, il est plus difficile de créer de fausses données qui se recoupent dans un grand nombre de domaines. Réaliser de très bonnes fausses données est extrêmement compliqué. C'est tout un art. Si on veut obtenir de vrais sets de données qui ne sont pas sensibles du point de vue de la vie privée, mais qui peuvent être des données agrégées, on peut exercer des vérifications croisées, et c'est bien mieux en termes de sécurité.

Vous avez évoqué les moyens humains. Je ne pense pas que la modération des contenus recourant à des humains sera suffisante pour résoudre les problèmes actuels. Le problème sera le même du point de vue de la diversité des langues. Nous aurons besoin d'énormément de personnes, dans beaucoup de langues différentes, et dans certains endroits, il sera difficile d'avoir les personnes qui auront les bonnes compétences ou des responsables qui pourront parler suffisamment de langues pour gérer une équipe multilingue.

Alors comment sécuriser les plateformes ? Facebook sait que plus il montre de contenu de votre famille ou de vos amis gratuitement, moins on a de discours haineux, de nudité, de violence. Ce n'est pas une question de personnes ou de contenu : c'est Facebook qui pousse à rejoindre des groupes de milliers de personnes, où des milliers de contenus sont créés chaque jour, avec des usines destinées à créer du contenu viral. Or le contenu destiné à des milliers de personnes est le pire, parce que l'algorithme choisit toujours le contenu le plus clivant et le plus violent. Donc je pense que faire en sorte de retrouver des plateformes à taille humaine permettrait de contrer l'hyper-amplification : les mauvais contenus seront moins redirigés et auront moins d'impact.

M. Yan Chantrel. - Il est essentiel de souligner à nouveau votre courage et votre détermination, madame. Votre présence pointe aussi l'urgence qu'il y a pour nous, en tant que législateurs, à soutenir les lanceuses et les lanceurs d'alerte comme vous et à mieux protéger votre statut afin qu'il y en ait davantage.

Votre intervention a mis en lumière trois enjeux essentiels à propos de la question des médias sociaux, celui de la santé publique, notamment la santé mentale et la protection des mineurs, celui de la sécurité à l'heure où les discours de haine du monde virtuel se transforment en actes de violence dans le monde réel - on l'a vu avec l'attaque du Capitole -, et celui de la démocratie face aux manipulations et à la désinformation, sujet auquel nous sommes particulièrement sensibles en France, à l'heure où l'on va vivre une élection présidentielle.

En réponse, vous mettez le doigt sur deux points éminemment politiques pour notre assemblée. En premier lieu, face à des mastodontes comme Facebook, qui font primer les profits financiers sur toute autre considération, notamment la protection de ses utilisateurs, la puissance publique doit jouer son rôle pour réguler l'activité et imposer des normes.

En deuxième lieu, en démocratie, la transparence et la responsabilité doivent s'imposer aux entreprises privées comme aux instances publiques. Ces entreprises doivent rendre des comptes.

Dans votre intervention, vous avez souligné à quel point les outils de Facebook, les algorithmes, le classement des publications étaient plus particulièrement biaisés à l'endroit des publics vulnérables. C'est une accusation très grave et, à mon sens, qui n'est pas assez soulignée. Elle mérite qu'on s'y attarde. Pourriez-vous nous en dire plus sur ces biais et sur les populations auxquelles vous pensez ?

La commission de la culture, à laquelle j'appartiens, est très attachée à la richesse des langues et des cultures et à la défense de la diversité face à tout hégémonisme culturel, qu'il soit américain, anglophone ou autres. Pourriez-vous expliquer dans quelles proportions les utilisateurs de Facebook en français, tout comme en espagnol, en arabe dialectal ou toute autre langue, sont davantage exposés à la nocivité de certains de ces outils que les utilisateurs anglophones ou occidentaux en général ?

Enfin, après cette audition, la plupart des parlementaires vont eux-mêmes faire un post Facebook pour relater nos échanges. Pensez-vous que l'algorithme le mettra en avant ?

Mme Frances Haugen. - S'agissant des populations vulnérables, Facebook a cherché à savoir qui présentait le risque le plus élevé d'être exposé à la désinformation. Il a découvert que les personnes qui venaient d'être veuves ou divorcées, ou qui venaient de déménager, celles qui étaient plus isolées socialement, pouvaient se connecter et passer beaucoup de temps devant leur écran. Ces personnes sont parfois happées par le système et consomment énormément de contenus parce qu'elles ont perdu leur réseau social réel.

Facebook peut prétendre que tout le monde est exposé à différentes opinions sur les réseaux sociaux, mais il faut vraiment faire la différence entre l'expérience à la marge et les autres. La plupart des utilisateurs peuvent faire face à différentes expositions, mais le préjudice est concentré sur une minorité d'utilisateurs.

Facebook a estimé que 4 % des communautés recevaient 80 % des messages de désinformation sur le covid-19 et le vaccin. Certaines personnes font l'objet d'un déluge d'informations de la part de QAnon ou d'autres, qu'il s'agisse de haine, de désinformation concernant la covid-19. Pour les personnes très exposées, plus une idée est présentée, plus elle semble réelle.

En outre, la nature de ce qui arrive sur les écrans est très dangereuse. Pour la covid-19, un post qui génère énormément de commentaires a plus de chances d'être sélectionné pour être inséré dans votre fil d'actualité. Mettons qu'un groupe sur la covid-19 composé d'un quart de million de personnes produise 100 000 contenus par jour. Si seulement trois de ces publications arrivent dans votre fil d'informations et comportent des informations en faveur du vaccin, mais que beaucoup de personnes parlent de conspiration, ce post sera considéré comme ayant beaucoup d'interactions positives. Il sera promu et arrivera dans votre fil d'information. Qui croira-t-on au final ? Cela m'inquiète vraiment, car 3 % de la population seulement peuvent provoquer une révolution. C'est donc dangereux pour les démocraties.

Pour ce qui est de la richesse des langues, vous êtes sans aucun doute exposés à davantage de toxicité en France que je ne le suis aux États-Unis. Je pense en effet que Facebook passe beaucoup plus de temps à gérer au mieux les classificateurs pour la langue anglaise.

Par exemple, on compte un milliard d'arabophones dans le monde. Facebook affirme aux autorités de contrôle modérer la langue arabe. En décembre 2020, Facebook a réalisé un audit sur l'arabe et on s'est aperçu que cette langue était en fait composée de six dialectes différents, alors que Facebook n'en modérait qu'un. Facebook a cependant continué à affirmer qu'il modérait l'arabe. Un des documents que j'ai publiés en parle : quand il n'existe pas ou très peu de modération, 75 % des discours contre-terroristes sont classés comme discours terroristes, parce que ce sont les mêmes mots-clefs qui apparaissent.

Pour régler ce problème, il faut investir énormément et s'assurer qu'il y a suffisamment de contre-exemples.

Selon les statistiques sur les classements anti-covid - un audit de quinze langues a été réalisé en avril 2020 -, le français était l'une des langues qui se « comportait » le moins bien, avec l'arabe et le hindi. Je ne sais pas pourquoi. L'intelligence artificielle n'a pas pu expliquer pourquoi, mais les performances ont été très mauvaises. C'était peut-être un petit peu mieux deux mois plus tard, mais c'est un exemple.

Je pense que Facebook doit mettre en place des fonctions d'étiquetage. Quelqu'un m'a raconté avoir demandé à Facebook combien d'enfants étaient surexposés aux contenus d'automutilation. Facebook a répondu qu'il ne suivait pas les contenus d'automutilation et ne le savait donc pas.

Je sais que Facebook a une mauvaise représentation dans les langues autres que l'anglais. 80 de ses partenaires vérifient les contenus internationaux. Facebook prétend contrôler les différentes langues et en modérer 50, mais pas toutes.

En mai 2021, il n'y avait pas de classificateur de discours haineux en hindi par exemple, malgré les violences ethniques en Inde. Facebook choisi les langues, les systèmes, et je vous encourage à lui demander des exemples de classement. On s'apercevra que les discours contre-terroristes sont considérés comme des discours terroristes, ou que telle langue n'est pas modérée autant que telle autre.

À l'heure actuelle, personne ne le sait et Facebook ne gère donc pas ces problèmes, prétendant ne pouvoir donner d'informations pour ne pas les divulguer auprès des « méchants ». Or les « méchants » les connaissent déjà et sont ceux qui publient plus de contenus à destination des groupes vulnérables. Les seuls qui ne savent rien, ce sont les « gentils », et c'est inacceptable !

Votre post sera-t-il promu par Facebook ? Comme on l'a dit, Facebook a tant de délai pour intervenir sur les mauvais contenus, quels qu'ils soient que je suis sûre que votre post pourra être publié !

Mme Annick Billon. - Merci, Madame, pour vos propos et la force de votre témoignage.

Le risque qu'encourent les lanceurs d'alerte est évident et réel. Que pensez-vous qu'il faille mettre en oeuvre pour réussir à améliorer la dénonciation ? La culture de la dénonciation est quelque chose qu'on a du mal à encadrer et à développer.

Ma deuxième question concerne le droit à l'oubli, et notamment la protection des jeunes et des publics vulnérables. Que pourriez-vous proposer pour les protéger ?

Par ailleurs, dans la foulée des élections aux États-Unis, Donald Trump a été banni des réseaux sociaux. Un cahier des charges est-il mis ou devrait-il être mis en place pour pouvoir encadrer cette suppression ?

Enfin, en quoi le changement de nom de Facebook est-il une manière de changer le regard qu'il faut porter sur les activités de ce réseau social ?

Mme Sabine Drexler. - Merci, Madame, pour la qualité de votre intervention, et pour votre action, ô combien utile, de lanceuse d'alerte.

Très récemment, une mission d'information du Sénat a rendu son rapport et a unanimement constaté l'inaction des réseaux sociaux, dont le groupe Facebook, dans la lutte contre le cyber harcèlement scolaire. Nous avons d'ailleurs reçu entre autres les responsables de Facebook et n'avons pas obtenu de réponse précise et encore moins satisfaisante à ce sujet.

Or les réseaux sociaux, par leur puissance, leur anonymat, leur viralité, leur évolution permanente, démultiplient les conséquences du harcèlement chez nos jeunes.

Je souhaite connaître votre vision, votre avis et vos analyses. Confirmez-vous l'inaction - que je qualifierai de volontaire à entendre vos propos - du groupe Facebook dans la lutte contre le cyber harcèlement, en particulier scolaire ?

Mme Frances Haugen. - Je pense qu'il sera de plus en plus important d'avoir des lanceurs d'alerte, parce que la technologie a toujours été plus vite que les démocraties. Les nouvelles technologies sont de plus en plus complexes et s'accélèrent.

Vous ne pouvez avoir de doctorat ou de master dans ce domaine : il faut travailler dans des entreprises pour le comprendre. On doit donc avoir des systèmes de protection pour les entreprises privées et publiques afin de s'assurer que les personnes sont en sécurité.

J'encourage les associations ou les institutions de protection des lanceurs d'alerte. J'ai vécu avec ma mère, qui est pasteur, pendant six mois l'année dernière. Quand vous avez un cas de conscience, c'est très utile. Je la remercie donc pour le soin qu'elle a pris de moi. Quand ils lancent une alerte, la plupart des lanceurs d'alerte ne vont généralement pas très bien. Ils sont confrontés à des vérités très dures, se sentent impuissants au sein de l'entreprise, et cela les anéantit.

Les lanceurs d'alerte n'ont donc pas uniquement besoin de protection juridique, mais doivent également être soutenus par des coachs, par exemple, afin que ceux-ci leur expliquent les manières sûres de lancer une alerte.

Si j'avais été conductrice de bus aux États-Unis, il y aurait eu un numéro d'appel d'urgence dans ma salle de pause. J'ai travaillé sur des sujets touchant la sécurité nationale et l'intégrité de ma société, mais je n'avais pas de numéro d'appel d'urgence. C'est aussi inacceptable.

Je soutiens fermement le droit à l'oubli. Les jeunes doivent pouvoir « remettre leur compte à zéro ». Facebook pourrait utiliser l'intelligence artificielle pour repérer des contenus qui ont été effacés par des adolescents. Cela permettrait d'identifier ceux que les jeunes pourraient ensuite regretter. On pourrait trouver des solutions.

S'agissant de Donald Trump, je soutiens l'établissement de règles internationales, car le danger est grand quand un leader commence à parler de minorités comme d'insectes, ou à utiliser n'importe quelle autre forme de déshumanisation. C'est plus qu'un drapeau rouge en matière de violence ethnique.

Lorsque des individus appellent à des actions contre le résultat des élections ou qu'un leader appelle au meurtre, il faut déterminer les lignes rouges. Je trouve inquiétant qu'un élu puisse se comporter de manière dangereuse, mais ce n'est pas à Facebook de voter les lois et de dire le droit.

Meta est une très belle illustration du « méta-problème » de Facebook. Facebook veut toujours aller plus loin et croître. Si Facebook avait investi autant dans la sécurité que dans les jeux vidéo, je ne serais pas ici. La sécurité connaît un sous-investissement. Ils n'emploient que 1 000 ou 2 000 ingénieurs dans ce domaine, et cela démontre leurs priorités.

Je suis aussi très inquiète que Meta s'intéresse à l'emploi. Le métavers a besoin de beaucoup de capteurs et de données biométriques sur les personnes. Imaginez que votre employeur décide de transformer sa société en entreprise métavers et que vous deviez travailler chez vous. Serez-vous obligés d'avoir des capteurs Facebook chez vous, des micros ou autres, alors que Facebook ment ? Allez-vous faire entrer Facebook dans votre maison ? Il y a là un gros problème d'acceptabilité, et les gouvernements doivent légiférer.

Pour ce qui est du cyber harcèlement et du harcèlement scolaire, auparavant, quand un enfant était harcelé, il pouvait rentrer chez lui et être tranquille. À présent, les enfants sont harcelés tout au long de la journée, jusqu'au soir. Cela ne s'arrête jamais. Ils se couchent harcelés et se réveillent harcelés. Il y a de plus en plus de méchanceté en ligne, alors que les enfants ont de plus en plus une vie sociale en ligne.

Les recherches de Facebook dans ce domaine montrent que les enfants s'attendent à ce que les personnes qui s'occupent d'eux soient méchantes avec eux. Imaginez le type de relations que ces enfants vont avoir dans dix ans, quinze ans ! C'est un vrai problème.

M. Laurent Lafon, président. - Au nom de Jean-François Rapin et de l'ensemble de mes collègues, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et des réponses que vous nous avez apportées.

Nous continuerons bien sûr à vous suivre et, si nous le pouvons, à vous soutenir dans votre démarche.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.