Jeudi 4 novembre 2021

- Présidence de Madame Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Table ronde sur la médecine préventive dans la fonction publique territoriale

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je remercie nos invités et nos collègues ici présents. Deux sujets sont ce matin à l'ordre du jour. Le premier est celui de la médecine préventive dans la fonction publique territoriale, qui est au coeur des préoccupations de notre délégation. Il en va en effet de la capacité des maires et des présidents d'autres collectivités (départements, intercommunalités...) d'assumer leur responsabilité d'employeur. Nous abordons ce sujet en lien avec le rapport Santé et Territoires de nos collègues monsieur Philippe Mouiller et madame Patricia Schillinger. Il s'agissait de la question générale de l'accès aux soins, mais il nous semble ne pas en être totalement détaché.

Tout à l'heure, une deuxième table ronde sera consacrée aux élus.

Lors de l'audition de monsieur François Baroin, président de l'Association des Maires de France, beaucoup d'entre vous ont soulevé la question de l'attractivité de la fonction publique territoriale, les difficultés de recrutement et de formation, mais nous avons découvert que la médecine, notamment préventive, était aussi un véritable sujet.

Je remercie de sa contribution Catherine Di Folco, ici présente, dont nous connaissons l'expertise en la matière.

Je salue également Chantal Pétard-Voisin, présidente du centre de gestion d'Ille-et-Vilaine, mon département, qui m'a interpellée il y a plusieurs mois avec son vice-président sur les grandes difficultés qu'ils rencontraient.

Nous avons échangé à ce propos avec Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, que je remercie d'être présente parmi nous.

Nous accueillons aussi Michel Hiriart et Éric Durand, respectivement président et vice-président de la Fédération nationale des centres de gestion, afin d'élargir notre regard sur le plan national.

Enfin, nous excusons l'absence de Philippe Locatelli, président du centre de gestion du Rhône.

Je rappelle tout d'abord les textes qui régissent la question : la loi de 1984 sur la fonction publique territoriale crée des obligations extrêmement précises et lourdes. Elle prévoit que les collectivités « doivent disposer d'un service de médecine préventive, soit en créant leur propre service, soit en adhérant aux services de santé au travail interentreprises ou assimilés, à un service commun à plusieurs collectivités ou au service créé par le centre de gestion ». Cette même loi définit ainsi la mission de la médecine préventive : « éviter toute altération de l'état de santé des agents du fait de leur travail, notamment en surveillant les conditions d'hygiène du travail, les risques de contagion et l'état de santé des agents ».

Le sujet est extrêmement sensible puisque des syndicats, ou des agents eux-mêmes, sont amenés à contester les pratiques de collectivités. Il concerne la capacité des élus à exercer leur lourde responsabilité d'employeur. Nous sommes donc très préoccupés.

Certains ont évoqué les solutions mises en oeuvre dans le secteur privé avec l'élargissement du rôle des infirmiers.

L'exemple de mon département, qui n'est malheureusement pas isolé, en dit long sur la situation. Les services privés de santé au travail, qui assuraient le suivi des agents de grandes collectivités, ont été « sommés » par les services de l'État de se recentrer sur les salariés du privé. Désormais, en Ille-et-Vilaine, près de 3 000 agents territoriaux ne bénéficient plus d'un suivi en santé au travail et les grandes collectivités s'inquiètent de cette pénurie.

La détresse est sensiblement la même dans les collectivités locales et dans le secteur privé.

Pour votre part, quel état des lieux dressez-vous ? Quelles solutions imaginez-vous, sachant qu'il n'y a pas de recette miraculeuse automatique ? Comment pouvons-nous vous aider à faire évoluer le volet législatif ?

Je vous cède la parole.

M. Michel Hiriart, président de la Fédération nationale des centres de gestion. - Merci, madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs. Vous avez fort bien résumé nos difficultés. Je vais dresser l'état des lieux pour les centres de gestion sur le plan national.

Conformément à la loi de 1984, 82 centres de gestion sur 98 ont mis en place une médecine préventive. Elle couvre environ 1 million d'agents, sur les 1,9 million d'agent que compte la fonction publique territoriale. Les autres agents sont couverts soit par la médecine préventive de leur collectivité soit par le secteur privé.

La loi du 6 août 1989 a par ailleurs introduit la possibilité pour les centres de gestion de couvrir les agents des fonctions publiques d'État et hospitalière.

La majorité des centres de gestion ont mis en place des équipes pluridisciplinaires, composées d'infirmiers, d'assistantes sociales, de psychologues et d'ergonomes. Ils ont bénéficié à partir de 2012 d'un financement du Fonds pour l'Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (FIPHFP). Ce fonds disposait de ressources issues des contreparties dues en cas d'irrespect du quota de 6 % de personnes handicapées employées, qui est aujourd'hui atteint. Dès lors, la pérennité de l'activité des centres de gestion pose aujourd'hui question.

En 2018, selon les dernières statistiques disponibles, les centres de gestion employaient au total 392 médecins pour le compte de 32 000 collectivités.

Les tarifs moyens pratiqués par les centres de gestion en médecine préventive s'élèvent à 74 euros pour les affiliés et à 81 euros pour les non affiliés (agents de l'État ou autres collectivités). Je rappelle à cet égard que l'affiliation obligatoire ne concerne que les collectivités employant moins de 350 agents. À titre de comparaison, les tarifs du secteur privé avoisinent 175 euros, d'où l'intérêt de recourir aux centres de gestion.

Je vais aborder maintenant les difficultés de recrutement. Elles résultent de plusieurs facteurs.

Pour commencer, très peu de médecins optent pour la prévention lors de leurs études.

Pour pallier cette carence, il est certes possible de recruter ce que nous appelons des médecins collaborateurs, qui sont le plus souvent des généralistes. Cette faculté est cependant assortie de deux conditions : d'une part, l'existence au niveau local d'un médecin tuteur agréé, dont tous les centres ne disposent pas ; d'autre part, l'obligation de suivre au préalable une formation longue (278 jours sur quatre ans) et coûteuse (environ 25 000 euros au total, dont 12 000 euros de frais de scolarité, le restant étant constitué des frais d'hébergement et de déplacement) ; cette formation est d'autant plus coûteuse que le salaire du médecin est maintenu.

De surcroît, les médecins ainsi formés ne sont soumis à aucune obligation juridique de rester. Certains préfèrent partir exercer dans le secteur privé où ils sont mieux rémunérés.

S'y ajoute une situation que je qualifie d'ubuesque : outre la formation obligatoire dont je viens de faire état, le collaborateur qui souhaite reprendre son activité d'origine est astreint à une nouvelle formation, dite « de retour ».

Pour finir, certains territoires sont plus attractifs que d'autres. La médecine de ville connaît certes les mêmes difficultés, mais nos obligations légales d'assurer la médecine préventive s'en trouvent affectées.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup pour cette présentation qui pose un cadre. Monsieur le Vice-Président, pouvez-vous apporter un éclairage complémentaire ?

M. Éric Durand, vice-président de la Fédération nationale des centres de gestion. - Madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs, je précise que j'interviens ici en qualité de vice-président de la Fédération des centres de gestion, mais je suis aussi co-président de la commission nationale Santé et qualité de vie au Travail.

Je rappelle d'abord le contexte dans lequel ont été menés les travaux de la commission, particulièrement dans la fonction publique. Ils ont été lancés avant 2020, puis suspendus pendant la première phase de la crise sanitaire, puis relancés fin 2020 avant d'être de nouveau suspendus jusqu'en juillet 2021, date à laquelle le projet de Plan santé au travail a été proposé par l'État. Cette genèse et cette crise sanitaire ont entraîné des modifications au projet. La principale est l'intégration de la santé mentale qui en était absente. À titre d'illustration, 40 % des arrêts longue maladie avant 2020 étaient liés à la santé mentale ; après la crise sanitaire, selon les chiffres du centre de gestion du Nord, les dépressions, burn-out et autres maladies liées au psychisme représentent environ la moitié des arrêts.

J'ajoute que ce Plan santé au travail est une nouveauté dans la fonction publique, alors qu'il est déjà ancré depuis plusieurs années dans le secteur privé.

Je souhaite aussi insister sur le rôle de tiers de confiance rempli par les centres de gestion, rôle que la crise sanitaire a amplifié. Pour bien des collectivités, les centres de gestion ont en effet été la seule source d'information et d'interprétation des textes qui se succédaient, le plus souvent d'application immédiate.

Comme le président Hiriart l'a indiqué, les centres de gestion sont désormais reconnus comme une ressource. De plus en plus, de grandes collectivités adhèrent à des socles communs, dont la prévention. Pour renforcer ce domaine, il est indispensable d'attirer et de fidéliser des compétences. Le manque d'attractivité de la médecine du travail a été évoqué. Cette filière est globalement la moins demandée en fin d'études. C'est encore plus vrai dans la fonction publique, où les rémunérations sont moins élevées du fait des grilles applicables. Même si nous parvenons à appliquer certaines compensations financières, elles ne sont que partiellement prises en compte dans le calcul des cotisations de retraite.

Par conséquent, il est nécessaire de mener une démarche pérenne et globale, notamment sur la santé mentale, et non plus d'agir au cas par cas, comme jusqu'à présent.

Pour compléter mes propos, je développerai la démarche menée par le centre de gestion du Nord que je préside. Ce centre est l'un des plus importants de France avec 25 000 agents potentiels à suivre et 1 000 collectivités et établissements publics. Je souhaite insister particulièrement sur deux points : la pluridisciplinarité et le caractère inter fonctions publiques.

La pluridisciplinarité des équipes de prévention constitue un facteur d'attractivité et d'amélioration des services rendus. Dans le centre du Nord, comme dans d'autres, l'équipe de prévention santé est pilotée par un médecin coordonnateur. Elle est constituée de cinq médecins à temps plein (trois médecins du travail, un généraliste et un psychiatre), tous plutôt en fin de carrière, ainsi que de cinq infirmières et infirmiers, trois préventeurs, deux psychologues, un ergonome, une assistante sociale et six assistantes médicales.

Le médecin conserve le pilotage et délègue certaines activités, notamment aux infirmiers. Chantal Pétard-Voisin reviendra plus particulièrement sur les binômes médecin - infirmier.

600 collectivités adhèrent directement. 27 000 agents sont suivis, dont environ 2 000 appartiennent notamment à la fonction publique d'État.

Le centre de gestion remplit en effet un rôle inter fonctions publiques. Il peut assurer des services pour les fonctions publiques d'État et hospitalières. Le département du Nord, la Préfecture, Météo France adhèrent ainsi à notre centre de gestion. Cependant, nous ne pouvons pour le moment pas prendre en compte de nombreuses autres demandes. Les raisons en sont surtout financières. Dès lors, près de 10 000 agents de l'État et de l'ARS ne sont pas suivis.

Pour revenir sur la pluridisciplinarité, elle présente plusieurs avantages. Elle permet d'abord une meilleure prise en charge médicale, avec la possibilité d'une coordination immédiate avec un spécialiste. Les antennes locales assurent une plus grande proximité, les médecins allant vers les agents. Cela est particulièrement important pour ceux de catégorie C qui peuvent hésiter à se déplacer dans un département aussi étendu géographiquement. Enfin, la pluridisciplinarité s'inscrit dans une démarche de qualité de vie et représente un facteur d'attractivité. Le médecin n'est pas isolé, il peut encadrer une équipe et échanger avec ses membres. De plus, il peut élargir son champ d'activité au-delà du quotidien. Ainsi, notre centre de gestion est à l'initiative d'un important colloque sur la santé mentale au travail, auquel tous nos médecins sont associés, en lien notamment avec l'EPSM (Établissement Public de Soins Mentaux), le CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) et l'Université de Lille.

Je conclurai sur la nécessité de renforcer la logique inter fonctions publiques. Les centres de gestion sont aujourd'hui reconnus pour leur expertise tandis que la fonction publique d'État ne dispose pas de service de prévention. Une mutualisation des ressources au niveau des centres de gestion permettrait la mise en oeuvre d'une véritable dynamique commune.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie et passe la parole à madame Chantal Pétard-Voisin.

Mme Chantal Pétard-Voisin, présidente du centre de gestion d'Ille-et-Vilaine. - Madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs, je vais plus particulièrement développer le rôle de l'infirmier.

Selon une étude nationale menée par la Fédération, tous les centres de gestion proposent des prestations de visite médicale ou de reprise et assurent un « tiers temps », consacré à des observations sur site destinées à conseiller d'éventuelles adaptations de postes ; la plupart des centres proposent aussi une surveillance médicale particulière (femmes enceintes, travailleurs handicapés ou exposés à des risques particuliers), des visites d'embauche et des visites à la demande des collectivités ou des agents, ou encore des études de poste. Plusieurs prestations complémentaires sont parfois proposées, comme des audiogrammes, des vaccinations, des mesures de bruit, des prescriptions d'examens complémentaires, des accompagnements psychologiques ou une sensibilisation au secourisme. Cependant, le spectre de ces missions n'est pas complet sur tout le territoire.

Faute de médecins de prévention, de nombreux centres de gestion ont mis en place des entretiens infirmiers en remplacement ou en complément de ceux assurés par les médecins. L'équipe du centre d'Ille-et-Vilaine est composée de deux médecins à temps partiel, soit 1,6 équivalent temps plein. 3 000 agents affiliés ne sont pas pris en charge, d'autant que nous avons dû renoncer à recourir à la médecine privée, conformément aux instructions de l'Administration. Nous avons dû établir des priorités et nous ne pouvons pas prendre en charge les agents de l'État.

Depuis une dizaine d'années, comme plus de la moitié des centres, nous avons procédé à un nombre croissant de recrutements d'infirmiers du travail. Ces infirmiers peuvent mener des entretiens et assurer un suivi infirmier. Ils peuvent aussi conduire des entretiens médico-professionnels sous la responsabilité du médecin. Il n'existe toutefois pas de cadre réglementaire qui sécuriserait médecins et infirmiers. Un projet de décret est attendu. En l'état, les infirmiers peuvent prendre des constantes, assurer les examens de vision, prendre la tension artérielle, recueillir les données épidémiologiques, assister le médecin dans les visites sous protocole, réaliser le tiers temps, animer des modules de sensibilisation à la santé, participer aux réunions d'équipes pluridisciplinaires évoquées précédemment, répondre aux demandes exprimées dans les CHSCT des collectivités et collaborer avec le service de prévention sur les risques professionnels.

La deuxième partie de mon propos concerne la tenue des instances médicales, qui représente une difficulté en Ille-et-Vilaine comme ailleurs. Une loi, applicable à partir de février 2022, prévoit le remplacement des commissions de réforme et des comités médicaux par des conseils médicaux. Les conditions de saisine, l'organisation et le fonctionnement de ces conseils seront définis par un décret en Conseil d'État.

Le secrétariat des commissions de réforme et des comités médicaux est pris en charge par les centres de gestion à titre obligatoire pour les collectivités affiliées, à titre facultatif pour les autres. L'exercice de ces deux missions doit répondre au désengagement progressif de l'État et à la nécessité d'une optimisation collective destinée à assurer une bonne gestion des dossiers d'invalidité que sollicitaient tous les employeurs.

En Ille-et-Vilaine, le centre de gestion a repris la responsabilité du secrétariat des commissions de réforme dès 2006 et celui des comités médicaux en 2014. La finalité de cette reprise a été soulignée à plusieurs reprises par les pouvoirs publics, notamment dans un rapport de l'IGA et de l'IGAS de mai 2017, selon lequel elle permet notamment d'accélérer le traitement des dossiers et de mieux les orienter.

S'ils reconnaissent l'utilité de ces instances, les centres de gestion ont émis plusieurs préconisations : assouplir le formalisme et revoir la composition des commissions de réforme, en supprimant notamment l'obligation de présence d'un expert spécialiste de la pathologie de l'agent dont le dossier est étudié ; supprimer la règle du quorum ; rendre obligatoire le recours au centre de gestion pour toutes les collectivités ; développer la formation des médecins siégeant dans ces instances ; revaloriser et harmoniser leur rémunération ; supprimer certains cas de saisine ; revoir la constitution des listes de médecins susceptibles de siéger, beaucoup d'entre eux n'étant pas disponibles ou se trouvant proches de la retraite. En effet, certaines réunions de commissions ont dû être annulées faute de médecin, retardant de ce fait la prise de décision.

Le projet de décret d'application de l'ordonnance du 25 novembre 2020, qui sera examiné fin novembre par le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Territoriale, définira les conditions de réunion en formation plénière ou restreinte ainsi que les cas de saisine. A cet égard, il est envisagé qu'aucun avis ne soit émis en cas de prolongation de congé maladie ordinaire, de renouvellement de congé maladie longue durée ou d'aptitude à la reprise des fonctions à l'issue d'un arrêt, quelle qu'en soit la durée. Le décret pourrait également acter la suppression du comité médical supérieur.

Si la fusion des instances et la modification des cas de saisine répondent à une forte demande des centres de gestion, il convient d'être attentif à la composition du conseil médical. En effet, le rôle des élus y semble remis en cause : la commission de contrôle ne comprendrait que des médecins, tandis que la présidence serait confiée à un médecin ayant autorité sur le secrétariat administratif. Par conséquent, les centres de gestion demandent qu'un élu conserve la présidence. Cette responsabilité facilite le dialogue avec les syndicats. Elle décharge également le médecin de l'animation et des tâches administratives.

Je vous remercie.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci, nous poursuivons nos échanges avec cinq demandes d'intervention. Je passe d'abord la parole à Catherine Di Folco, puis à Philippe Mouiller.

Mme Catherine Di Folco. - Merci, madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs.

Je commencerai par une remarque sur le nombre de praticiens ayant la qualification de médecins de prévention. Pour les nombreux jeunes médecins avec lesquels j'ai pu échanger, la médecine du travail n'est pas de la médecine. Il y aurait donc une culture à modifier dans l'approche du rôle du médecin.

Je compléterai les propos des présidents Hiriart et Durand avec l'exemple du service du centre de gestion du Rhône. Nous y avons créé une médecine de contrôle il y quatre ans à la demande des grands employeurs (la Métropole et la Ville de Lyon, la Région...) qui ne sont pas affiliés de façon obligatoire, car ils emploient plus de 350 agents. Ces collectivités se trouvaient désemparées face à l'absentéisme de leurs agents.

Nous affichons un bilan très positif, avec environ 40 % de retour à l'emploi, soit en cours d'arrêt, soit en reprise immédiate. Le centre est en effet considéré comme un tiers de confiance. N'étant pas l'employeur, il a plus de recul pour écouter l'agent.

Notre centre emploie trois médecins de contrôle à temps partiel, soit deux équivalents temps plein. La médecine de prévention est en effet essentiellement assurée à temps partiel, souvent par des femmes qui sont plutôt en fin de carrière.

Au-delà du contrôle, ces médecins réalisent également des visites d'aptitude à l'embauche ou au port d'arme, dans le cas de la police. Au total, 2 295 visites sont assurées par an dans le Rhône.

Enfin, ils travaillent en liaison avec le service de maintien ou de retour à l'emploi, par le biais notamment de mutations internes ou externes.

Il conviendrait à mon sens de travailler au niveau national sur l'extension de ces missions.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie. Du fait de mon expérience de maire, je suis particulièrement sensible à ces propos sur la reconversion et sur le rôle que peuvent remplir les centres de gestion en la matière.

M. Michel Hiriart. - Si vous le permettez, je souhaiterais en l'absence d'Éric Locatelli, souffrant, remercier Catherine Di Folco pour ce qui a été mis en place dans le Rhône.

M. Philippe Mouiller- Nous sommes conscients des difficultés de la médecine générale, amplifiées dans la médecine préventive. La situation restera tendue dans les dix années à venir, malgré les mesures mises en place aujourd'hui.

Dans certains domaines, les centres de gestion sont acteurs tandis que d'autres sujets relèvent d'un débat national. Ainsi, les équipes pluridisciplinaires sont de votre ressort. En revanche, le manque d'attractivité de la médecine préventive, en l'absence notamment de rôle de prescription, et la question des rémunérations relèvent du débat national.

Je souhaiterais poser plusieurs questions.

Dans les domaines qui vous concernent, et pour les dix années à venir, imaginez-vous de revoir les règles concernant spécifiquement la médecine préventive ?

Par ailleurs, la télémédecine a-t-elle été évoquée dans les territoires ? Cela pourrait être une façon de pallier les difficultés de recrutement, notamment dans les grands centres ou les collectivités les plus importantes.

Enfin, dans le contexte de tarissement des ressources financières du FIPHFP, êtes-vous associés aux réflexions sur le recentrage des missions du Fonds sur le conseil et l'accompagnement, missions qui étaient à l'origine de sa création ?

M. Michel Hiriart. - Je répondrai d'abord sur les salaires. La grille de référence les fixe à 5 000 euros. Certains centres vont jusqu'à 10 000 euros, notamment en Ile-de-France, face à la concurrence du secteur privé.

La téléconsultation fait partie des amendements que nous avons soumis au Conseil supérieur. Elle a été retenue, en dépit des réticences des Organisations syndicales qui y voyaient un risque en matière de confidentialité.

La diminution et la presque disparition des financements émanant du FIPHFP représentent une difficulté pour nos centres. Il convient toutefois de préciser que la mise à disposition des fonds était assortie d'une obligation de résultat. Ainsi, le centre des Pyrénées-Atlantiques devait reclasser 100 personnes en trois ans dans une autre activité.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je passe maintenant la parole à trois de nos collègues.

Mme Sonia de La Provôté. - À la fois médecin du travail et élue, je voudrais émettre quelques constats.

Tout d'abord, je suis toujours étonnée de la différence de prise en charge entre les secteurs public et privé. Les métiers, les pratiques de prévention, les équipements de protection individuelle et les problématiques de reclassement sont les mêmes. Selon moi, la seule différence réside dans le nombre de métiers différents et dans le rôle d'employeur, puisque l'élu en charge des ressources humaines n'a pas nécessairement toutes les compétences. Je vous demanderai ainsi comment vous envisagez votre rôle de conseil, d'assistance et de formation vis-à-vis de l'élu employeur.

Je répondrai aussi sur la prescription. Le rôle central du médecin concerne le diagnostic, la prescription n'est pas sa valeur ajoutée.

Ma deuxième question portera sur la prise en charge des différentes fonctions publiques. Il existe une vraie carence concernant la fonction publique d'État, notamment dans l'Éducation nationale. La fonction publique d'État est confrontée à une véritable inégalité de traitement, à des lenteurs et à des problématiques de reclassement inextricables. Dans ces conditions, quelle fonction publique d'État devrait-elle être accompagnée en priorité ?

M. Laurent Burgoa- Je souhaiterais pour ma part vous interpeller sur la situation de détresse d'élus de communes de petite taille, confrontés à des situations d'absence qui peuvent les priver de tous leurs agents. Ils ne peuvent apporter aucune réponse à leurs concitoyens, d'où un réel malaise. Ne pourraient-ils pas être aidés à procéder à des recrutements temporaires ?

Mme Michelle Gréaume. - Je remercie monsieur Éric Durand pour la sincérité de ses propos. Dans le Nord, en effet, les élus connaissent des difficultés.

Ma première question porte donc sur les raisons de ces difficultés. S'agit-il d'un manque de médecins ou d'un manque de financement ?

Ma deuxième question porte sur les dépressions, qui concernent 50 % des personnes suivies selon les chiffres mentionnés. Votre étude s'est-elle penchée sur les raisons de ces situations ? Sont-elles liées à la dégradation de l'offre de soins sur l'ensemble du territoire ou repérez-vous d'autres causes ? Si oui, quelles seraient-elles ?

Pour finir, je souhaite rappeler que le manque de médecins n'affecte pas uniquement les centres de gestion, mais également les crèches.

M. Michel Hiriart. - S'agissant des tarifs pratiqués, il convient d'indiquer que la médecine préventive est déficitaire dans beaucoup de centres. Ils n'appliquent pas la totalité des tarifs qu'ils pourraient pratiquer. La situation du privé est bien différente.

Je reviendrai ultérieurement sur la périodicité des contrôles qui pourrait apporter certains soulagements.

Dans certaines collectivités, surtout les plus petites, l'absence d'agents communaux ou intercommunaux génère en effet des difficultés. Toutefois, beaucoup de maires ne connaissent pas bien le rôle des centres de gestion, notamment la possibilité de mise à disposition d'un agent formé et suivi par le centre.

Mme Catherine Di Folco. - Les centres de gestion disposent aussi de services d'intérim.

M. Michel Hiriart. - L'intérim est en effet autorisé, mais il génère des coûts supplémentaires.

Les collectivités sollicitent les centres de gestion en permanence, mais toutes ne connaissent pas l'ensemble de leurs missions, comme le conseil en recrutement, le comité médical, la commission de réforme.

S'agissant de fonction publique d'État, nous ne pouvons certes pas suivre le nombre considérable d'agents de l'Éducation nationale, mais nous contrôlons déjà certains services comme la Préfecture et la police.

Mme Sonia de La Provôté- J'insiste sur l'Éducation nationale, car elle regroupe des agents de la fonction publique d'État et de la fonction publique territoriale. Or les premiers sont moins bien suivis que seconds, d'où de véritables tensions dans le fonctionnement et les conditions de travail.

M. Éric Durand. - Pour ma part, je voudrais insister sur la nécessité de contrôle. Il ne s'agit pas de « flicage », mais d'entretien médical. Les centres sont demandeurs. L'expérience serait à dupliquer au niveau national.

En matière de santé mentale au travail, nous en sommes au début des recherches. Un premier colloque, organisé avec le CNAM, s'est tenu en octobre dernier. Des spécialistes éminents y sont intervenus. Des groupes de travail réunissant anciens patients et professionnels ont également été créés.

S'agissant du financement, je ne peux que déplorer le manque de recettes en tant qu'élu local confronté à l'augmentation des dépenses. La réforme de la taxe d'habitation nous prive d'impôts dynamiques. Dans ce contexte, qui assure la compensation ? Et comment ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'ouvre une parenthèse. Notre conviction, au sein du Sénat, est que le paiement incombe à celui qui décide.

M. Éric Durand. - Pour ma part, je précise une nouvelle fois qu'il s'agit du premier plan de santé dans le secteur public, à la différence du privé. Or, dans le secteur privé, le financement est assuré par les cotisations sociales sur la masse salariale, tandis qu'il incombe à l'employeur dans le secteur public.

Par ailleurs, je suis favorable à la téléconsultation, à condition qu'un médecin la réalise ou la contrôle. L'entretien demeure indispensable dans certains cas.

Mme Chantal Pétard-Voisin. - Dans notre centre d'Ille-et-Vilaine, nous aimerions bien disposer d'un ou de deux médecins en capacité de coordonner une équipe d'infirmiers et d'autres professionnels. Je pense nécessaire de renforcer l'attractivité de la fonction, en revalorisant les rémunérations, en lançant une campagne nationale sur l'intérêt de la prévention ou en mettant en place des formations plus courtes, par le biais par exemple de la Validation des Acquis de l'Expérience.

Mme Françoise Gatel, présidente. - N'hésitez pas à nous apporter tout support à la réflexion ou tout complément d'information.

M. Michel Hiriart. - Nous avons essayé de prouver que les centres de gestion sont efficaces.

Je souhaite ajouter quelques informations sur les amendements que nous avions proposés au Conseil supérieur. Plusieurs ont été retenus, comme la pluridisciplinarité, la possibilité d'établir un protocole confiant certaines missions à un infirmier, le renforcement du rôle de médecin en matière d'accidents du travail, la téléconsultation et l'obligation de formation continue pour les médecins. En revanche, nous n'avons pas obtenu satisfaction concernant la périodicité des visites. Nous aurions souhaité l'harmoniser avec celle du privé, soit cinq ans. À défaut, il nous semblerait opportun d'autoriser le médecin à porter la périodicité des visites à cinq ans pour certaines catégories d'agents au lieu des deux ans sur lesquels s'oriente l'État.

Je conclurai sur une requête concernant le Plan santé au travail. La Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) ne nous associe pas à son élaboration, alors que la responsabilité de la fonction publique territoriale ne relève pas de l'État. Le Sénat pourrait-il faire passer le message ?

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous avions convié la DGAFP à cette table ronde. Elle n'a pas souhaité participer. Pourtant, je tiens à rappeler que le maire est un employeur. Des moyens et des ressources humaines sont indispensables à l'exercice de sa responsabilité. Vos propos résonnent donc fortement dans cette enceinte. Si l'État est incontournable, si la République est une et indivisible, nous plaidons pour une relation partenariale.

Je suis également sensible à la périodicité des visites. Certaines fonctions sont identiques à celles du privé, leurs outils et leurs qualifications sont les mêmes. Il conviendrait par conséquent de prendre en considération les moyens disponibles et de les adapter aux risques des métiers.

Vous pouvez compter sur nous pour porter ces messages.

M. Lucien Stanzione. - Je souhaite insister sur la périodicité des visites. La visite est un moment important qui permet souvent de détecter certaines maladies.

Mme Françoise Gatel, présidente. - J'adresse tous mes remerciements aux intervenants et aux élus.

M. Michel Hiriart. - Je vous remercie de nous avoir reçus et de nous avoir permis de présenter le rôle des centres de gestion et de la fédération.

La réunion est close à 10 h 26.

- Présidence de Madame Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Table ronde sur « Les élus aujourd'hui »

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous passons à notre deuxième table ronde de la matinée, consacrée aux élus aujourd'hui, dans un contexte de doute sur l'engagement citoyen.

Nous accueillons monsieur Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), et monsieur Olivier Rouquan, chercheur en sciences politiques et auteur d'une étude récemment publiée par le biais de la Fondation Jean Jaurès.

Nous constatons aujourd'hui une montée de l'abstention et une crise de l'implication locale. Des maires, parfois octogénaires, peuvent ainsi se trouver contraints de renouveler leur candidature, à défaut d'autres candidats.

Ce constat correspond-il à une réalité ? Les élections présidentielles sont moins concernées. La population jeune apparaît peu sensible aux élections régionales ou départementales, car elle est moins ancrée dans le paysage institutionnel local et moins consommatrice des services apportés par ces collectivités.

Au-delà de la réflexion sociologique et du diagnostic, nous nous interrogeons. Comment donner envie d'adhérer à une collectivité locale et à un espace national ? Quelles bonnes pratiques peuvent être identifiées ?

Je laisse la parole à Jean-Michel Houllegate, co-rapporteur de la mission d'information que nous menons.

M. Jean-Michel Houllegatte, co-rapporteur. - Nous nous préoccupons de l'implication dans la vie politique, que ce soit par le vote ou par l'engagement dans les responsabilités à l'échelon communal. À cet égard, il existe un paradoxe : nos concitoyens savent s'engager, dans la vie associative ou pour de grandes causes, mais ils semblent éloignés de la prise de responsabilité.

À travers la photographie des élus que vous allez nous présenter, nous nous interrogeons sur les freins que vous avez pu identifier. Partant de la volonté d'engagement que nous pouvons constater, quels leviers pouvez-vous repérer pour favoriser un engagement plus important ?

M. Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF). - Merci, madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs. Je suis très heureux de pouvoir échanger avec vous sur la vie démocratique et municipale. Je vais donc insister sur les points qui correspondent à vos préoccupations, à savoir les leviers et les freins.

Ce que je vais évoquer ne présente pas seulement une valeur locale, mais également nationale. Elle peut même s'apprécier dans d'autres contextes nationaux. Par ailleurs, il faut conserver à l'esprit que la matière est très difficile à cerner. Les propos d'aujourd'hui n'auront probablement pas de valeur dans vingt ans. Nous vivons la fin d'un cycle de la démocratie électorale, qui a été dans beaucoup de pays un élément majeur de reconstruction et d'engagement.

Toutefois, les formes alternatives de démocratie électorale ne constituent pas « la pierre philosophale » que l'on veut souvent y voir. Une forme hybride mélangeant démocratie délibérative, participative, représentative et consultative ne me semble pas la réponse à tous les maux.

La situation est beaucoup plus complexe. Elle est caractérisée par le fractionnement entre causes environnementales, sportives, culturelles et éducatives, sans cohérence automatique permettant un engagement autour de ces multiples enjeux. Les syndicats assuraient auparavant cette cohérence, ce n'est plus vrai aujourd'hui. Il manque désormais un chaînon entre les différentes formes d'engagement.

Je voudrais maintenant partager avec vous un sujet qui me passionne depuis plusieurs années : le portrait des élus municipaux.

Les raisons de la faible participation électorale lors des élections municipales de 2020 sont multiples. À titre d'illustration, selon une étude menée avec l'Association des Maires de France (AMF), la moitié des maires interrogés y voyaient une cause conjoncturelle liée à la pandémie, l'autre moitié y voyant une cause structurelle, beaucoup plus préoccupante.

Statistiquement, 19,8 % des maires sont des femmes, au lieu de 16 % en 2014. C'est la seule différence. Leur répartition géographique est caractérisée par une forte atomisation. Il est impossible d'expliquer statistiquement que certains territoires soient plus propices que d'autres à une représentation féminine. Il convient toutefois de noter que les femmes représentent 25 % des maires de villes de plus de 100 000 habitants.

Plus significativement, les femmes élues maires sont toujours plus jeunes que les hommes, quelle que soit la strate de population de leur commune. Cela pose la question de la conciliation d'une vie professionnelle et d'un mandat de maire. Pour résumer, lorsqu'il y a des enjeux de pouvoir, les femmes sont en général perdantes à l'issue du scrutin. Ainsi, le taux de féminisation est plus élevé dans les communes de moins de 3 500 habitants. Corriger cette situation me semble très compliqué.

L'information que je présente maintenant n'a jamais été publiée. En moyenne, le maire a sept ans de plus que ses conseillers municipaux. L'écart se réduit toutefois dans les agglomérations de plus de 30 000 habitants, autour de 4 à 5 ans.

Dans le même esprit, l'étude des caractéristiques socioprofessionnelles révèle que 24 % des maires ont une activité professionnelle dans des communes majoritairement constituées de retraités ou d'inactifs au sens de l'INSEE (demandeurs d'emploi, en formation, militaires). Ce chiffre révèle une forme d'engagement forte. J'y vois pour ma part un élément positif, qui pourrait militer en faveur d'une réflexion sur les statuts.

Je poursuis l'analyse des catégories socioprofessionnelles :

· Quatre maires sur dix sont retraités. Le constat est identique pour les hommes et les femmes. Pour autant, les retraités ne représentent pas 40 % des administrés, mais environ 25 %. Un retraité maire représente en moyenne 1 341 personnes, y compris celles qui ne sont pas en âge de voter.

· Environ 20 % des maires sont cadres ou exercent des professions intellectuelles supérieures.

· Les inactifs au sens de l'INSEE ne constituent que 2,7 % des maires, mais représentent en moyenne le plus grand nombre d'administrés.

· La proportion d'agriculteurs reste importante, même si elle baisse : ils constituent 11,6 % des maires, contre 40 % en 1977. Pour autant, un maire agriculteur ne représente que 530 habitants en moyenne. Le nombre d'anciens agriculteurs parmi les retraités exerçant un mandat de maire n'est pas significatif.

· Le seuil discriminant est celui de 3 500 habitants. Sous ce seuil, les maires sont largement issus des catégories « professions intermédiaires » et « inactifs » ; au-delà, ils appartiennent davantage aux catégories « cadres et professions intellectuelles supérieures », dites « CSP+ ».

Pour passer à la concurrence électorale, il convient d'abord de noter que les constats sont proches en France et à l'étranger : plus la compétition est forte, plus la participation électorale est forte.

Nous pouvons ensuite remarquer que la proportion de communes ayant élu leur maire au premier tour reste élevée, même si elle baisse de sept points par rapport aux 93 % en 2014.

Par ailleurs, les femmes ont beaucoup moins de chance d'être élues au premier tour en cas de forte compétition. Au second tour, en revanche, leur chance d'être élues augmente proportionnellement à la taille de la commune. La compétition dans les grands ensembles urbains semble donc avantager les femmes.

Enfin, il convient de remarquer qu'il n'y avait qu'une seule liste dans 37 % des communes, ce qui tend à affaiblir la mobilisation électorale.

S'agissant maintenant du destin des maires, il est significatif de remarquer que près de 60 % des maires sortants ont été réélus, soit un taux de renouvellement de 40 %. C'est considérable.

La plupart des maires élus en 2020 disposent d'une antériorité politique. À peine 5 % des maires élus en 2020 n'étaient pas élus auparavant comme conseillers municipaux ou premiers adjoints. La trajectoire politique des maires élus s'inscrit donc dans la durée.

30 % des maires sortants n'étaient pas candidats. Ce pourcentage s'explique par la difficulté à mener de front leur vie professionnelle et leur mandat, puis la difficile conciliation entre leur vie personnelle et leur fonction de maire, enfin par le sentiment de ne plus pouvoir gouverner leur commune comme ils l'entendaient lors de leur engagement. Cela reflète une inadéquation entre leurs attentes et leur capacité d'agir.

En termes de participation, il est difficile de caractériser les raisons, conjoncturelles ou structurelles, de la forte abstention lors des élections de 2020.

Il est en effet presque impossible d'identifier une causalité liée à la crise sanitaire. Dans les départements où les admissions à l'hôpital dues au Covid ont été élevées, le taux de participation est plus faible de cinq points par rapport à la moyenne des autres départements, mais ces chiffres ne peuvent expliquer à eux seuls une baisse de la participation électorale de 20 %

En revanche, la faible participation des électeurs de moins de 24 ans doit nous inciter à réfléchir aux modalités de vote applicables aux jeunes. Quand 40 % d'une classe d'âge poursuit des études après le bac, souvent hors de sa commune d'origine, il est nécessaire de s'interroger quant au lieu d'inscription sur les listes électorales. À cet égard, le double vote me semble une fausse bonne idée, en raison du fort attachement à la commune des citoyens français quel que soit leur âge. À mon sens, une telle pratique contribuerait à casser cet enracinement à une communauté.

Par ailleurs, j'ai été frappé par le taux de participation plus élevé dans les 4 500 communes - de toute taille et de toute couleur politique - qui avaient organisé des réunions d'initiative locale. Je nuancerai cependant ce constat positif en indiquant que le tiers des maires de ces communes n'était pas candidats à leur réélection.

Pour conclure dans un premier temps, j'ai observé deux phénomènes en étudiant les programmes : d'une part leur « verdissement », même si l'on peut parfois s'interroger sur leur caractère concret et crédible, d'autre part la référence unanime à la « concertation ». Je ne pense pas que ce soit une garantie de meilleure participation électorale.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie. Nous aimerions certes des réponses simples et miraculeuses, mais la situation est en effet fort complexe et relative à l'époque. Je laisse désormais la parole à monsieur Olivier Rouquan.

M. Olivier Rouquan, chercheur en sciences politiques. - Merci, madame la Présidente, mesdames les Sénatrices, messieurs les Sénateurs. J'interviendrai pour aborder le sujet de l'engagement citoyen local, que nous souhaiterions nécessaire à la régénération de notre vie démocratique.

À titre liminaire, j'en appellerai à une forme de modestie dans mes propos, à la fois dans l'analyse et dans les propositions. J'oserai formuler des propositions un peu concrètes, de nature parfois hybride, destinées à essayer de stimuler l'engagement local. Mon propos sera parfois différent de celui de monsieur Martial Foucault. J'ai toutefois noté l'esprit de ses réserves, car, en effet, rien n'est garanti.

Nous connaissons le contexte. Nous constatons la détérioration du lien social qui se manifeste par des expressions d'inquiétude, de peur et de colère. L'ampleur de l'abstention témoigne de la dégradation du lien politique. Dans ce contexte de défiance, la régénération de la démocratie par l'engagement local reste un pari. Malgré tout, la décentralisation peut être perçue comme un moyen de renouer avec la confiance politique. Toutefois, il convient de rester modeste.

Je dresserai un état des lieux non exhaustif avant de définir quelques pistes

L'état des lieux est partiel, à partir de quelques éléments de compréhension. Le premier est une culture à dominante consumériste où le consommateur sature le citoyen. Cette culture produit des effets sur la structuration du territoire et la sociabilité. Le deuxième est le creusement des inégalités, qui pose la question de la crise du résultat de l'action publique, malgré les dispositifs de mesure existants. Dans ce contexte, la décentralisation pourrait encourager des mobilisations identitaires et régionalistes. Le troisième point est le constat opéré sur les mobilisations populistes et la faiblesse de la réponse des gouvernements dits progressistes, dont le mépris et la condamnation morale sont restés sans effet.

Je vais m'attarder sur les deux premiers points.

Le mode de vie consumériste affecte la sociabilité. L'individu veut être contenté immédiatement et à moindre coût, d'où l'essor d'entreprises comme Amazon. Tous les appels au patriotisme économique sont restés sans suite. L'ouvrage récemment publié de Jérôme Fourquet montre à quel point notre paysage a été reconfiguré. La vitesse produit des conséquences sur le lien social, l'implantation de l'habitat, les moyens de communication. Une solidarité demeure, mais elle est fragilisée.

En deuxième lieu, je voudrais revenir sur les inégalités territoriales et sur l'idée qu'une décentralisation plus poussée accentuerait les risques de délitement de la République. Je vais essayer de contester cet argument en me référant à d'autres États. La forme juridique de l'État est sans incidence, puisque des États fédéraux comme l'Allemagne ou l'Autriche ne connaissent pas de menaces régionalistes ou identitaires, à l'inverse de certains États centralisés. À mon sens, il demeure possible de parier sur une autonomie locale accrue sans risquer la division républicaine.

Il ne faut pas nier que le lien politique et le lien social sont abîmés également au niveau local. En témoignent notamment la fatigue des élus locaux et leurs interrogations sur le sens de leur mandat, l'augmentation des incivilités, les tensions sur la sécurité même dans de petits villages. En outre, la société du numérique, accentuée par la crise sanitaire, modifie les relations de proximité. Le présentiel est remis en question et le télétravail se développe. Nous n'en sommes qu'au début des interrogations sur nos façons de faire société.

Dans ce contexte, existe-t-il un potentiel d'engagement ? Une enquête du CEVIPOF en 2019 souligne la faiblesse du lien régulier avec les élus, puisque seules 25 % des personnes interrogées mentionnent un lien fréquent. Selon la même étude, seuls 16 % des sondés participent à la vie locale. La faiblesse de ces résultats témoigne d'un désengagement. Je pourrais également mettre à votre disposition une enquête intéressante réalisée cet été par BVA sur l'engagement dans la société.

Néanmoins, ce constat peut être nuancé par des observations plus positives. Il existe une appétence, même si elle reste déclarative. Des enquêtes assez fréquentes relèvent une volonté de dialogue ainsi qu'une opinion favorable sur les outils référendaires, le droit d'interpellation des élus municipaux ou les budgets participatifs.

Ce climat favorable dans l'opinion m'incite à prendre le risque de vous proposer quelques idées.

En matière de participation, je suggérerais qu'un conseil citoyen soit tiré au sort, d'abord à l'échelon municipal. Une alternative consisterait à réserver un quart des conseils municipaux à des citoyens tirés au sort. J'ai conscience que ces propositions peuvent donner matière à discussion. Leur objectif serait de former des citoyens à la démocratie représentative afin de susciter des vocations.

De façon plus structurelle, je m'inspire des travaux de monsieur François Taddei sur la Nation apprenante pour proposer un service public de la transmission structuré à l'échelon des municipalités. Les écoles pourraient constituer des tiers lieux ouverts au public permettant de partager savoir-faire et savoir-être. Il s'agirait ici non seulement de réunir les citoyens, mais aussi de collecter de bonnes pratiques regroupées sur une plateforme numérique. J'y vois une valorisation symbolique sur le plan républicain de l'école en tant que tiers lieu.

En matière de vote, je propose de proportionnaliser le scrutin municipal en s'inspirant du scrutin régional. Le système actuel peut en effet s'avérer décourageant quand, par exemple, une liste totalisant 40 % des suffrages obtient seulement deux ou trois sièges au conseil municipal.

Par ailleurs, le président de l'intercommunalité pourrait être élu au suffrage universel, afin de donner plus de visibilité à cette collectivité.

Plusieurs sénateurs - Mais ce serait la fin des communes !

M. Olivier Rouquan. - Je savais que j'allais vous faire réagir, mais je termine rapidement.

Le développement d'applications ludiques et pédagogiques pourrait inciter les plus jeunes à s'inscrire dans le cadre de la démocratie représentative.

Je vais sans doute susciter de nouvelles réactions en évoquant le référendum local. Pourquoi ne pas s'engager à organiser un référendum, consultatif ou décisionnel, par mandat électoral ? Cela permettrait d'initier une culture et de répondre à une demande croissante. Dans le même esprit, ne pourrait-on pas abaisser de 50 % à 30 % le seuil permettant de valider un référendum décisionnel local ? Ou encore instituer un référendum local d'initiative partagée qui obligerait l'assemblée délibérante locale à prendre en compte et à répondre à la pétition ainsi soumise ?

Je vais être encore plus provocant, mais ne pourrait-on pas envisager à terme des lois régionales, en généralisant par exemple l'expérience de la Nouvelle-Calédonie ? J'oserais même envisager une réforme constitutionnelle qui mettrait le Sénat à parité avec l'Assemblée nationale sur les questions locales. Il ne s'agirait pas d'instaurer un État fédéral, mais un État régional.

J'ai conscience que certaines de ces propositions relèvent d'une vision un peu utopique de la société française, mais elles peuvent nous aider à prendre conscience de certaines questions.

Je vous remercie de votre écoute.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci beaucoup. Je ne doute pas qu'il y aura beaucoup de questions. Le Sénat ne craint pas les propos qui suscitent des réflexions, voire des désaccords. Je partage profondément vos réflexions, à l'un et à l'autre. Nous devons nous interroger sur des choses que nous ne maîtrisons pas.

Avant de laisser à la parole à Jean-Michel Houllegate et à nos collègues, j'exposerai quelques remarques.

Vous avez parlé de la dégradation du lien entre la politique et le citoyen. L'une des premières raisons n'est-elle pas l'inefficacité de l'action publique ? En deuxième lieu, la régénération de l'intérêt naîtrait-elle de la proximité alors que nous ne faisons plus naturellement communauté comme auparavant ? Nous ne sommes plus nécessairement de quelque part (somewhere), mais bien souvent de nulle part (nowhere) ou de partout (anywhere). Beaucoup de personnes ne font que passer dans les communes, certaines d'entre elles voient leur population se renouveler de plus de 20 % entre deux scrutins. Un certain nombre de jeunes ne sont pas fixés dans leur vie avant 30 ans et leurs préoccupations sont éloignées de sujets comme la crèche ou la médiathèque.

La différenciation fait débat au sein du Sénat. La crainte de toucher à l'unité de la République en constitue le fondement. J'estime que c'est un faux débat. L'objectif de l'égalité doit être atteint par la mise en oeuvre de moyens différents. Depuis des dizaines d'années, des distinctions visent les territoires d'outre-mer, le littoral ou la montagne. De même, les organisations municipales sont différentes selon la taille des communes.

Enfin, je souhaite émettre une réflexion personnelle sur les conseils citoyens. Chaque citoyen est libre de s'engager et je ne vois pas pour quelles raisons forcer cet engagement. Je rappelle que les élus sont aussi et avant tout des citoyens, tout particulièrement dans les plus petites communes où l'engagement est moins politique que dans les grandes villes.

M. Jean-Michel Houllegatte, co-rapporteur. - J'ajouterai que les députés travaillent également sur ces sujets. Une mission d'information doit rendre ses conclusions le 15 décembre prochain. Son objet consiste à « identifier les ressorts de l'abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale ».

La facilitation du vote fait l'objet de problématiques de fond et de considérations techniques. Le vote par procuration existe déjà, mais des expérimentations de vote par correspondance ou de vote électronique seront peut-être proposées. Il n'en demeure pas moins que tous les jeunes ne sont pas inscrits.

Sur le fond, le sentiment d'appartenance à la commune renforce l'implication citoyenne. Le lien est évident, mais mérite d'être rappelé.

Je précise par ailleurs que les conseils citoyens ont été institués par la loi de 2014 relative à la politique de la ville. J'ignore si des bilans ont été établis. Ils sont peut-être mitigés. À mon sens, ces initiatives fonctionnent bien. C'est un processus initiatique qui permet de passer de la démocratie représentative à la démocratie implicative. Un certificat d'engagement apporte reconnaissance et valorisation aux citoyens, notamment à ceux qui sont issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Je donnerai un autre exemple d'initiative intéressante dont il faudra tirer les leçons. Il s'agit du référendum informatique, de nature consultative, qui est organisé dans les jours prochains à Cherbourg-en-Cotentin.

M. Rémy Pointereau, vice-président. - Je suis surpris de l'analyse de monsieur Martial Foucault sur les élections de 2020. Je pense que la pandémie a joué un rôle essentiel, surtout dans les zones urbaines où les taux de participation sont plus proches de 30 % de participation que de 40 %.

S'agissant de la faible participation des moins de 24 ans, que pensez-vous de la solution consistant à abaisser à 16 ans l'âge requis pour être électeur ?

Concernant les lieux d'inscription sur les listes électorales, l'éloignement des étudiants de leurs communes rurales d'origine est un vrai sujet, en raison notamment des coûts de déplacement. Pour être un peu provocateur, j'y ajoute celui des résidences secondaires nombreuses dans certaines communes, où se font inscrire des Parisiens. Ceux-ci ne votent parfois plus nulle part, ni à Paris ni dans nos communes !

Par ailleurs, ne doit-on pas voir un lien entre baisse de participation et suppression de la taxe d'habitation ? Désormais, les erreurs de gestion n'ont plus les mêmes conséquences.

Nous pouvons espérer retrouver des taux de participation plus élevés lorsque la crise sanitaire sera derrière nous. Pour autant, je juge essentiel que les élus tiennent leurs promesses et qu'ils appliquent la formule « faire ce que l'on dit et dire ce que l'on fait ». Il en va de l'incarnation de la fonction. Un maire présent qui tient ses promesses est réélu, les statistiques présentées le montrent. J'observerai aussi que les citoyens qui expriment le plus fort leur mécontentement sont ceux qui ne vont jamais voter.

Pour finir, je suis sceptique sur les conseils citoyens, les conseils de développement, etc. Nous sommes des citoyens élus par des citoyens. La seule reconnaissance que nous pouvons attendre est d'être réélus.

Mme Sylvie Robert. - Pour ma part, j'émettrai deux réflexions qui entraîneront des questions, avec l'humilité de rigueur sur ces sujets éminemment complexes.

Ma première réflexion concerne la démocratie locale. Je constate une appétence à la participation, j'y suis attentive. J'ai d'ailleurs produit un rapport sur le sujet et j'en fais l'expérience dans ma ville de Rennes. La participation crée un cadre propice, mais ne doit pas être confondue avec la démocratie représentative, puisque l'élu décide in fine. Il est intéressant d'associer les citoyens aux projets de politique publique, qui sont parfois des microprojets. Pourtant, je relève dans vos propos qu'il n'y a pas de corrélation entre ces engagements, qui sont réels, et la participation électorale. Dès lors, je m'interroge : que faut-il faire ?

Ma seconde remarque porte sur la distorsion que je ressens entre les préoccupations des citoyens et la capacité des élus à y répondre. Vous n'avez pas évoqué le rôle des médias et des réseaux sociaux, mais ils ont un impact. Il est difficile aux élus de répondre à ces préoccupations, qui sont d'ailleurs différentes selon les territoires. Il existe comme un sentiment d'impuissance du politique face aux préoccupations des citoyens. Personnellement, je n'ai pas de réponse. Toutefois, partagez-vous ce constat ?

M. Martial Foucault. - Je vais répondre à vos interventions dans le désordre.

Je commencerai par le rôle des promesses électorales dans le désengagement et l'abstention. Je n'ai pas abordé ce sujet jusqu'ici dans mon propos. Il est pourtant essentiel. En étudiant des centaines de professions de foi depuis les élections municipales de 1977, j'ai constaté une évolution au cours du temps, aussi bien en volume - elles contiennent beaucoup moins de promesses - qu'en nature : il s'agit désormais de définir un cadre. Certes, quand les promesses sont tenues, la reconnaissance électorale est positive, mais encore faut-il connaître ces promesses. Or il existe bien souvent soit une forme de méconnaissance, soit une cristallisation sur une seule promesse qui n'est pas nécessairement la plus importante. Le rôle des promesses n'est donc pas considérable. Au niveau national, le sujet est surtout la désaffection liée à l'efficacité des politiques publiques ; à l'échelon municipal, il s'agit plutôt d'un décalage entre les promesses et les préoccupations prioritaires.

J'attire votre attention sur un sujet plus nouveau, observé au niveau national. S'il procède d'une intuition, il fait suite à de nombreuses rencontres. Il s'agit de l'opposition entre l'efficacité de l'action publique et la démocratie. Longtemps, l'action publique a été considérée comme le fruit d'une démocratie qui fonctionnait bien. Les deux notions n'étaient pas placées sur le même plan. Aujourd'hui, elles sont mises en opposition : l'efficacité commanderait de ne pas s'encombrer de démocratie totale. Nous voyons ainsi poindre des mesures autoritaires motivées par l'efficacité, ou même l'efficience si on y intègre une dimension budgétaire.

La situation est inverse à l'échelon local, qui privilégie l'idée d'un « commun » pour lequel la procédure démocratique est fondamentale. Il s'agit alors d'affronter ses erreurs en cas d'échec.

Je reviens sur le lien de causalité entre Covid et participation électorale. En l'état, il est impossible de l'identifier avec certitude. Il aurait fallu disposer d'un territoire totalement exempt de contamination.

Concernant les procédures électorales, une expérimentation est indispensable. Personnellement, je ne vois aucun élément, ni juridique ni pratique, qui empêcherait d'expérimenter le vote par correspondance. Sa mise en oeuvre, aux États-Unis à l'échelon des États et des Comtés, en Allemagne à celui des communes, s'est traduite par un sursaut de participation.

S'agissant des réseaux sociaux, nous sommes confrontés à un océan d'incertitudes. Il est évident qu'ils exercent une influence, le mouvement des gilets jaunes en témoigne. Pour autant, peut-on les considérer comme une source d'information fiable sur la vie de la cité, même pour les plus jeunes ? Il s'agit du média dans lequel les Français ont le moins confiance, après les partis politiques et les syndicats. Pourtant, ces réseaux sont moins bien utilisés par les équipes municipales que par les citoyens mécontents. Le vrai sujet est la difficulté de les réguler. À ma connaissance, pas un seul maire n'a porté plainte contre Facebook ou Twitter. Or la personnalisation évoquée à l'échelon présidentiel est en train de gagner le niveau local par le biais de ces réseaux sociaux.

Je finirai par l'impact de la taxe d'habitation sur la participation électorale. C'est un excellent sujet qu'il conviendra d'étudier attentivement.

Mme Céline Brulin. - Je ressens pour ma part une crise de l'idéal, mais également une crise du pragmatisme, évoquée précédemment par les termes « inefficacité de l'action publique » ou « crise du résultat ». Un maire a la faculté d'inscrire les questions du quotidien dans une démarche politique globale. Or il me semble que l'action pèche des deux côtés, idéal et pragmatisme. Les grandes options qui donnent de l'enjeu au débat me semblent désormais absentes.

Pourtant, dans ce contexte global, la commune résiste, le socle reste très solide, malgré ses imperfections, d'où la vivacité de nos réactions précédentes sur l'intercommunalité. Je me demande toutefois si cet attachement à la commune est différent selon la taille de celle-ci.

Concernant l'abstention, je pense qu'elle n'est plus seulement motivée par le désintérêt. Elle devient désormais une forme d'action politique visant à punir les élus que je qualifierais d'abstention revendiquée.

M. Laurent Somon. - Je vais mettre en parallèle les éléments positifs et les éléments négatifs qui ont été évoqués. Les modes de vie ont changé, l'attachement au territoire et l'implication sont moindres. Le comportement et les promesses des élus ont évolué vers moins de certitudes. Les citoyens ne perçoivent plus l'intérêt général qui s'inscrit dans le temps long. Le travail se transforme, avec plus de vitesse, plus de stress, moins de contacts. La crise sanitaire a marqué un retour sur soi et pour certains une moindre envie de sortir. Le comportement des électeurs par rapport à l'information est modifié, ils consacrent moins de temps à la lecture des programmes papier. L'anxiété croît et la confiance dans la parole publique diminue, puisque les résultats ne sont pas visibles immédiatement.

Dans ce contexte, je poserai trois questions. La participation est-elle plus élevée là où des applications municipales sur smartphone, par exemple, permettent d'interpeller directement les élus ? Peut-on établir un lien entre état d'anxiété et participation électorale ? L'augmentation du volume de la publicité électorale a-t-elle un effet sur cette participation ?

Mme Sonia de La Provôté. - Outre les réseaux sociaux, j'évoquerai de mon côté les choix éditoriaux des chaînes d'information, les sondages qui donnent l'impression que le résultat est déjà acquis, la propagande électorale peu ou mal diffusée, dans une période de crise sanitaire qui a empêché le porte-à-porte et le contact physique.

Mes questions portent quant à elles sur deux points : la participation obligatoire et la comptabilisation du vote blanc.

M. Olivier Rouquan. - Je commencerai par les réseaux sociaux et les chaînes d'information. Certaines campagnes locales se déplacent sur des thèmes qui ont peu à voir avec les compétences. Les collectivités se doivent d'être présentes sur tous ces supports et d'imaginer des communications adaptées. Des réseaux comme Facebook ou Twitter sont dans la recherche du clash. Il est certes difficile pour des municipalités de se positionner, mais il existe des astuces. Leurs services de communication pourraient gagner en aisance et en audace.

Concernant la participation par le biais de conseils citoyens ou autres, il ne s'agit pas de remettre en cause la démocratie représentative, mais de créer des sas face au décrochage des jeunes, notamment, quant à l'utilité du vote. Certes, le tirage au sort peut être vécu comme une obligation, mais ces sas me semblent représenter à long terme un moyen de susciter des vocations. Les partis politiques ne remplissent plus ce rôle. Même s'ils se sont bien défendus lors des départementales et régionales de 2020, leur base électorale est restreinte. Mon idée consiste à se servir de ces outils techniques et organisationnels pour imaginer un continuum.

Comme le disait monsieur Rémy Pointereau, la communication publique connaît une crise majeure. Il convient par conséquent de s'interroger sur la façon de valoriser des résultats obtenus. Des études, comme celle publiée annuellement par Kantar, présentent des résultats plutôt positifs. Pourtant, la communication négative opérée lors des campagnes électorales contraste avec ces résultats et avec une appréciation globale relativement bonne. La communication n'est pas claire, au niveau local comme au niveau national.

Sur les autres sujets évoqués, je pense que les professions de foi doivent certes continuer à exister, mais j'émets des doutes sur le temps de lecture qui leur est effectivement consacré.

Je rejoins les propos tenus sur le choix délibéré de l'abstention, de façon générale ou pour certaines élections. En revanche, je réagis sur la crise de l'idéal qui a été mentionnée. Je ne suis pas convaincu que la page de l'engagement sur des valeurs soit tournée. En témoigne chez certains jeunes la cristallisation autour du thème de l'écologie.

Le vote obligatoire ne relève pas pour moi de la culture démocratique. La participation citoyenne doit être volontaire. C'est une question de culture. Elle ne passe pas uniquement par l'école et l'enseignement supérieur, il faut trouver d'autres moyens.

Enfin, j'évoquais les intercommunalités par le seul biais de l'élection de leur Président au suffrage universel. En tout état de cause, je ne vois pas certaines d'entre elles comme des ennemies de l'échelon communal. L'objectif de la loi Engagement et proximité était précisément l'amélioration du fonctionnement de ce couple.

Mme Françoise Gatel, présidente. - L'intercommunalité n'est pas l'ennemie de la commune. Je crois beaucoup à son intérêt. Cependant, est-elle une collectivité supra ou un lieu de coopération animé par un principe de subsidiarité ? C'est un vrai débat, qui nécessiterait beaucoup plus de temps.

M. Martial Foucault. - Mes réponses seront télégraphiques.

30 % des exécutifs sont des femmes dans les EPCI.

Concernant le vote obligatoire, interrogeons-nous sur l'état politique de l'Argentine et de la Belgique.

Je suis favorable à une présentation spécifique du vote blanc par le Ministère de l'Intérieur, mais ce vote ne saurait constituer un « candidat » à part entière. Ce serait contradictoire avec le principe du vote majoritaire.

S'agissant de l'attachement à la communauté, les conséquences des transformations de la sociologie d'habitat sont fondamentales. La mobilité est accrue et la sédentarité est moindre, surtout dans les zones métropolitaines. Le consumérisme est également lié à la transformation de la sociologie d'habitat dans des communes nouvelles caractérisées par l'étalement urbain.

Le concept d'abstention revendiquée est un excellent sujet à travailler.

Je vois un lien entre anxiété et participation électorale. À cet égard, je renvoie au travail des historiens sur le rôle des émotions. L'anxiété est une émotion négative qui s'inscrit dans un statu quo, elle est donc moins grave, toutes proportions gardées, que la colère. A contrario, le lien entre émotions positives - en l'occurrence l'optimisme - et importance de la participation a été constaté sur la façade atlantique de la France lors des élections présidentielles de 2007.

Mme Françoise Gatel, présidente. -Vos réponses qualifiées de télégraphiques sont puissantes. Nous travaillons dans cette délégation sur des sujets concrets, mais nous avons besoin de grilles de lecture, afin de prendre du recul. Nous vous en remercions.

Je conclurai sur une note de réalité. Lors des élections municipales de 2014, 64 communes n'avaient pas de candidats. Aujourd'hui, nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, mais elles sont à peine une centaine. C'est un point positif, à condition de faciliter l'accès à la fonction d'élu et l'exercice de ses missions, dans le cadre du continuum que vous évoquiez.

M. Martial Foucault. - Pour aller dans votre sens, j'indiquerai que pas un seul pays au monde rapporté à sa population n'est capable de mobiliser un million de candidats à une élection locale.

La réunion est close à 12 h 16.