Jeudi 21 octobre 2021

- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Accueil de dix membres supplémentaires et désignation d'un membre du Bureau

Mme Françoise Gatel, présidente. - Le président du Sénat et le Bureau ayant constaté que les demandes de participation à notre délégation excédaient toujours les places disponibles, nous devons procéder à la désignation de dix membres supplémentaires. Les candidatures de Mme Chantal Deseyne, Mme Muriel Jourda, Mme Christine Lavarde et de M. Olivier Paccaud ont été présentées par le groupe Les Républicains ; celles de M. Thierry Cozic et M. Hervé Gillé, par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; celle de M. Jean-Marie Mizzon, par le groupe Union Centriste ; celle de M. Bernard Buis, par le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; celle de M. Franck Menonville, par le groupe Les Indépendants - République et Territoires ; celle de M. Thomas Dossus, par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.

Il en est pris acte.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous souhaitons pouvoir proposer à chacun des membres de cette délégation une mission sur un sujet qui l'intéresse particulièrement. Notre travail consiste à défricher des sujets d'intérêt pour les collectivités, à formuler des recommandations, parfois reprises par les commissions, et à mener des évaluations.

En raison de l'augmentation de l'effectif de la délégation, notre Bureau doit comprendre un membre supplémentaire, lequel doit être désigné parmi les sénateurs du groupe Les Républicains. En conséquence, celui-ci propose que soit désigné M. Cédric Vial.

Il en est ainsi décidé.

Mme Françoise Gatel, présidente. - M. Philippe Dallier ayant démissionné de son mandat de sénateur, il a laissé son siège vacant à la vice-présidence de notre Bureau. Le groupe Les Républicains a proposé que Mme Agnès Canayer le remplace. M. Jean-Pierre Vogel lui succédera au poste de secrétaire du Bureau.

Il en est ainsi décidé.

Audition de M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous sommes très heureux d'accueillir Joël Giraud, secrétaire d'État chargé de la ruralité.

Les préoccupations de notre délégation sont larges : son travail porte sur l'ensemble du territoire français, à l'exception de l'outre-mer, qui fait l'objet d'une délégation dédiée. Les thèmes que nous évoquons concernent les territoires, dans leur diversité, qu'ils soient urbains ou ruraux.

Nous sommes convaincus que la ruralité ne mérite aucun misérabilisme. La ruralité est une réalité, au même titre que l'urbanité ; elle est la force de ce pays. Comme le pense Gérard-François Dumont, il n'y a pas de fatalité pour les territoires. Chaque territoire possède son génie propre, pour acter son développement.

Les élus et les acteurs locaux ont pour ressource essentielle leur imagination et leur envie de servir leur territoire. Leurs innovations sont nombreuses ; on peut les qualifier de réussites. Reste que la ruralité présente certaines spécificités. Il conviendrait, à cet égard, d'élaborer des dispositions qui, sans rompre avec l'unité de la République, tiendraient compte de la diversité de nos territoires.

Nous avons dit au Premier ministre, à qui nous avons remis un rapport d'information sur les métropoles, qu'il ne peut y avoir de réussite sans alliance des territoires. Si la métropolisation est un fait, rappelons qu'elle a pour vocation initiale d'être un levier et une locomotive pour tout un territoire, en conjuguant les forces complémentaires entre zones urbaines et zones rurales. Seule cette complémentarité permettra aux métropoles d'atteindre ses objectifs, car les territoires périphériques ont des ressources alimentaires et accueillent un certain nombre d'entreprises et d'habitats.

L'alliance des territoires est inscrite dans la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam. La métropole de Nantes a conclu un contrat de réciprocité avec le pays de Retz, qui est essentiellement agricole. Ce contrat permet à la métropole de s'engager dans une alimentation durable et sûre. En retour, il assure au pays de Retz, qui dispose de peu de ressources, de retrouver des couleurs. La loi Maptam doit être appliquée ; nous n'avons pas à nous indigner de l'encouragement financier des métropoles qui s'engagent dans des contrats de réciprocité effectifs.

Qu'en est-il du rôle de l'État à l'égard de la ruralité ? De deux choses l'une : soit l'État aide les territoires dont les perspectives de développement sont faibles - ce que commande une posture misérabiliste -, soit il les accompagne pour leur révéler un avenir annoncé. La crise covid a donné envie à bon nombre d'urbains de s'éloigner des villes. Ce phénomène est positif. Encore faut-il observer la façon dont il peut évoluer, compte tenu de la greffe massive d'urbains aux populations locales, et comment l'État peut accompagner les élus dans la réalisation de leurs projets.

Vous allez sans doute évoquer l'agenda rural, monsieur le secrétaire d'État. Hier, le rapport d'information intitulé « Santé et territoires : à la recherche de l'équilibre » a été présenté. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu'il existe des déserts médicaux en zone rurale ; le problème est bien plus vaste et concerne aussi nos villes. Aucune loi n'accomplira le miracle d'assurer la présence de médecins en nombre suffisant dans tous les territoires. Une réflexion générale sur les services de santé est indispensable, ainsi que sur la nécessité de créer un écosystème attractif à l'échelon des communes, pour garantir leur revitalisation.

Je veux aujourd'hui adresser un message personnel : arrêtons les appels à projets ! Ceux-ci ne sont pas mauvais en soi : au-delà de l'octroi de subventions, le Gouvernement et les régions cherchent simplement à accompagner la réalisation de projets et à favoriser la ruralité. C'est une idée généreuse, mais, au final, ils sont de nature à créer une situation mortifère. Les maires doivent courir un véritable marathon : après nombre de concertations auprès de la population et des intercommunalités, et une recherche active de moyens et d'ingénierie, ils se voient souvent refuser leur projet. Ils sont contraints d'assumer cet échec non seulement devant leur conseil municipal, qu'ils ont probablement harcelé pour faire aboutir l'appel à projets, mais aussi devant leurs administrés. Si nous voulons regagner la confiance de nos concitoyens, évitons de placer les maires dans de telles situations d'échec !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ruralité. - Je vous remercie pour votre invitation, madame la présidente. Entre le projet de loi de finances pour 2022 et le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS, cet automne est particulièrement chargé.

Je veux, ce matin, dresser un bilan de la politique qui a été menée en faveur de la ruralité au cours des dix-huit derniers mois. Je partage vos constats et vos convictions, mesdames, messieurs les sénateurs.

La ruralité recouvre des réalités diverses. Les zones rurales sont riches d'atouts considérables ; ce sont des territoires d'avenir. Je suis convaincu qu'elles seront appelées à se développer dans les années qui viennent, grâce aux nouvelles technologies, aux complémentarités avec les métropoles et à une intervention adaptée et efficace de l'État. Hormis les contrats de réciprocité, des complémentarités plus classiques existent entre des villes-centres ne relevant pas du classement des communes en zone de revitalisation rurale (ZRR) et les territoires ruraux périphériques.

Le développement des projets alimentaires territoriaux (PAT) est considérable. Ils ont montré toute leur pertinence durant la crise covid.

Depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a beaucoup oeuvré en faveur de la ruralité, notamment via l'agenda rural, qui est pour moi une boussole. Nous nous efforçons de le développer d'un comité interministériel aux ruralités (CIR) à l'autre. Il a été particulièrement renforcé lors du CIR de Villevallier, qui s'est tenu en marge de la réunion thématique « Femmes et ruralité » du congrès de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).

Le plan de relance nous a permis d'intensifier nos efforts sur de nombreux domaines qui concernent la ruralité. Entre autres, l'ANCT, qui est née dans la Haute Assemblée, a été mise en place progressivement.

J'ai tenu à ce que l'on déploie une organisation territoriale particulière. Dans cette perspective, nous avons demandé à chacune des préfectures de désigner des référents ruralité, de sorte que l'aiguillon de la ruralité concerne le plus grand nombre de départements, y compris ceux pour lesquels la ruralité n'est pas une priorité. Nous avons aussi imposé la désignation des référents aux principales administrations centrales de l'État.

Mon cabinet et l'ANCT animent régulièrement le réseau de la ruralité. De mon côté, j'interviens dans plusieurs réunions pour entretenir la flamme et manifester la préoccupation du Gouvernement sur le sujet. Notre mobilisation via l'agenda rural est efficace : 181 mesures ont été créées ; j'en ai ajouté quelques-unes. Quatre-vingt-douze d'entre elles sont déjà complètement réalisées et soixante-dix-sept sont en cours de réalisation. Bref, 93,5 % des mesures sont mises en oeuvre au moins partiellement.

Aucune de ces mesures n'est dédiée à l'égalité hommes-femmes. C'est pourquoi j'ai ajouté ce thème à l'agenda rural, dans la veine du CIR de Villevallier et du congrès de l'AMRF. Bon nombre d'associations et de structures ont vocation à travailler sur le sujet. La précarité des femmes est parfois plus grave en zone rurale qu'en zone urbaine ; les violences qu'elles subissent y sont aussi plus prégnantes. De même, j'ajouterai bientôt à l'agenda rural le thème des discriminations contre les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT)

Il est difficile d'évaluer avec exactitude le montant des crédits du plan de relance qui ont bénéficié à la ruralité. Par exemple, les campus connectés situés en zone urbaine irriguent parfois une zone rurale. Aujourd'hui, 8,4 milliards d'euros sont engagés en faveur de la ruralité, si l'on s'en tient à la définition de la ruralité de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), telle que nous l'avons modifiée.

Je précise que 20 millions d'euros du plan de relance ont été spécifiquement dédiés à la mise en oeuvre des politiques de l'agenda rural. Ils ont notamment permis de créer le volontariat territorial en administration (VTA) : 231 jeunes, d'un niveau bac+2 minimum, ont déjà été recrutés ; 1000 candidats sont inscrits sur la plateforme et 500 offres ont été émises par les collectivités locales. Nous n'avons pas restreint le champ du VTA aux collectivités locales ; les associations d'élus et leurs structures départementales peuvent aussi y avoir recours. C'est un bon système pour développer l'ingénierie de proximité. Le CIR a acté le dépassement du budget pour le recrutement de 350 volontaires d'ici à la fin de l'année et de 800 volontaires en 2022.

Pour répondre aux appels à projets, il faut de l'ingénierie. À cet égard, je souhaite que l'on développe un système plus simple que celui qui est prévu par le plan Petites Villes de demain (PVD) ou d'autres plans nationaux, lesquels posent justement des difficultés de recrutement. Le VTA, en ciblant des jeunes d'un niveau bac+2, assure une bonne couverture de nos territoires.

Attention aux appels à projets ! Il n'est pas besoin de les supprimer, mais nous devons rester prudents. S'agissant de ceux qui relèvent du plan Avenir montagnes, nous avions insisté pour que l'exposé des motifs des formulaires qui sont envoyés soit le plus léger possible, pour éviter que des territoires ne disposant pas d'ingénierie ne parviennent pas à la demander.

Notre méthode est partenariale et transversale. Quant à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux saluer le rôle que vous jouez en faveur de la ruralité ; l'action qui est la vôtre reste la meilleure façon d'assurer un relai parlementaire dans nos territoires ruraux.

Le numérique est un défi de notre temps ; le Gouvernement a beaucoup oeuvré en la matière. Il n'est pas possible de parler de ruralités si, en parallèle, le développement des réseaux numériques n'est pas assuré. Je suis issu d'un département rural et de montagne ; je sais très bien que des zones blanches subsistent toujours. Des choix en matière de fibre optique ont été faits par des syndicats mixtes, l'État n'étant absolument pas le maître d'ouvrage de ces opérations.

Pour ce qui est du « New Deal mobile » et du réseau 4G, le Gouvernement a accompli plus de progrès en trois ans que ces dix dernières années. Il a changé de paradigme, en abandonnant une recette sur les opérateurs. En 2022, l'objectif d'une couverture complète du territoire par le réseau 4G, par au moins un opérateur, sera tenu. Cédric O, qui est placé sous la double tutelle du ministère de la cohésion des territoires et de Bercy, doit prendre toutes les mesures dédiées. Certains territoires ont pris du retard ; les recours, de plus en plus nombreux, sont parfois pénalisants. Au printemps 2021, 85,4 % du territoire français était couvert par au moins un opérateur 4G, y compris en outre-mer.

D'ici à 2022, il est prévu que tout le monde puisse accéder au très haut débit (THD). Au printemps dernier, plus de 71 % des locaux étaient couverts par le THD filaire.

N'oublions pas pour autant le réseau cuivre. Lors du premier confinement, les habitants de la Haute vallée de la Drôme se sont trouvés privés de réseau. L'Assemblée nationale a depuis lancé une mission flash. Cédric O et moi-même avons rencontré le président-directeur général d'Orange pour discuter de ces problèmes. Du reste, un programme prioritaire a été lancé pour résorber les carences du réseau cuivre dans des zones où il n'était même pas possible de recourir à des réseaux de substitution.

Le numérique est un prérequis. Sinon, comment la télémédecine pourrait-elle fonctionner ? Celle-ci s'est considérablement développée durant la crise sanitaire : on est passés de 50 000 consultations par mois en septembre 2019 à plus de 2 millions. Les négociations sur les pratiques de la télémédecine ont abouti à supprimer un certain nombre d'entraves. Et la télémédecine a survécu à la crise.

En somme, nous devons faire en sorte que certains territoires puissent s'adapter, en recourant à des outils « cousus main », comme le dit Jacqueline Gourault.

En ce qui concerne les maisons France Services, le Gouvernement tient ses objectifs : d'ici à 2022, chaque Français pourra accéder à l'une de ces structures à moins de trente minutes de chez lui - bientôt, ce sera quinze minutes ! À l'heure actuelle, 1 745 maisons France Services sont déployées sur l'ensemble du territoire ; deux tiers d'entre elles sont implantées en zone rurale.

Nous avons intérêt à promouvoir l'inter-territorialité, qui est déjà déclinée via les PAT. Il existe aujourd'hui un grand nombre de contrats de réciprocité - j'en découvre de nouveaux chaque jour ! Récemment, la commune de Joigny a conclu un contrat de réciprocité avec la ville de Paris, dédié à la fourniture de denrées alimentaires.

Le Gouvernement est là pour apporter son aide. Mais l'initiative de ces contrats revient aux collectivités territoriales. Celles-ci ne peuvent pas se contenter d'une politique qui consiste à considérer comme béni tout ce qui tombe du ciel, c'est-à-dire à attendre des solutions toutes faites.

Notre objectif, c'est d'être au plus près du terrain et d'accompagner les initiatives des collectivités. Le Sénat avait souhaité que l'échelon de développement de la politique de la ruralité soit celui des préfets de département, en ce qu'ils sont correspondants de l'ANCT.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Absolument !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Notre but est de rendre cette politique efficace, en veillant à ce que la bonne forme d'ingénierie soit appliquée dans chaque territoire.

Nous sommes en train de développer un programme  en faveur de la commune ardéchoise du Teil, qui a enduré un séisme d'ampleur il y a deux ans, dont les séquelles sont encore visibles. Il était important que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) intervienne comme agence associée. La dégradation des habitats, dans d'autres territoires, appelle parfois une opération de revitalisation de territoire (ORT). Le préfet et le département peuvent déclencher l'intervention de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). L'aide de l'ANAH, je l'ai longtemps attendue lorsque j'étais maire : en vingt-huit ans de mandat, je n'ai jamais reçu son concours, alors que ma commune comptait des habitats industriels dégradés !

En outre, nous avons recours aux marchés à bons de commande à l'échelon national pour les compétences dont ne dispose pas l'ANCT.

En Isère, un projet de réhabilitation du patrimoine industriel des centrales hydroélectriques de la vallée de la Romanche est en cours de réalisation ; la communauté de communes a fait appel aux bureaux d'études du ministère pour qu'ils valident ce projet.

N'oublions pas l'ensemble de l'ingénierie, mise en oeuvre via les plans nationaux, et le VTA. J'insiste, le VTA fonctionne ! Il attire vers les territoires ruraux non seulement les jeunes qui s'en étaient écartés, cherchant des perspectives d'avenir ailleurs, mais aussi les jeunes urbains.

Je suis toujours à l'affût des idées les plus petites, pour obtenir des arbitrages. Le Gouvernement a été particulièrement sollicité dans la région lyonnaise sur le dispositif Argent de poche. Obtenir un arbitrage n'a pas été facile, mais nous avons fini par y parvenir.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Cela fait trois ans que nous battons à ce sujet !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Ce dispositif est une excellente idée, notamment en ce qu'il part du terrain, même s'il est d'une complexité que seule la France peut inventer. Quoi qu'il en soit, il permettra de donner de l'expérience et des ressources aux jeunes, ainsi qu'aux collectivités territoriales.

Faire du gagnant-gagnant, c'est tout l'objectif de mon secrétariat d'État.

Mme Françoise Gatel, présidente. - La politique en faveur de la ruralité ne peut être conduite que dans une logique interministérielle - c'est essentiel !

Dans l'ensemble, les initiatives prises pour le développement de campus connectés à la campagne sont excellentes. En Bretagne, le campus de Fougères, créé sur l'initiative de la chambre de commerce et d'industrie, et celui de Redon en sont une remarquable illustration. Les territoires ruraux, dès lors qu'ils disposent de niches de formations, sont à même de convaincre les étudiants de s'éloigner des grandes villes. Cela crée, in fine, un écosystème vertueux.

À l'heure où le projet de loi 3DS est examiné, la question de l'unité de la parole de l'État se pose. Entre les avis rendus par l'Agence de la transition écologique (Ademe), par les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ou d'autres structures, nous entendons, dans nos territoires, un choeur polyphonique qui n'a rien d'harmonieux ! Les collectivités s'en trouvent totalement démunies, d'autant qu'elles reçoivent des injonctions contradictoires. L'unité de la parole de l'État est donc essentielle ; nous l'avons vu lors de la crise sanitaire.

Nous avons beaucoup insisté sur l'échelle départementale au travers du projet de loi 3DS. Le maire d'une grande ville sera toujours entendu par le préfet. Le maire d'une toute petite commune, lui, n'a pas la même chance, surtout s'il relève d'un arrondissement qui n'a pas de sous-préfet.

La parité homme-femmes doit être respectée. C'est dans les communes rurales que l'on retrouve le plus grand nombre de femmes maires : rien n'est impossible pour les femmes dans les territoires !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Tout à fait !

Mme Françoise Gatel, présidente. - Toutefois, des progrès restent à faire. Introduire davantage de parité dans les intercommunalités et dans toutes les communes supposerait de passer au scrutin de liste. Comme le disait l'ancien président de la commission des lois du Sénat, veillons à ce que la noble idée de parité ne fragilise pas la démocratie. Il est très difficile pour certaines communes d'obtenir deux listes ! Bref, nous aurons probablement à nous interroger sur le nombre de conseillers municipaux.

M. Rémy Pointereau. - Merci, monsieur le secrétaire d'État, d'avoir tracé les dispositifs en faveur des territoires ruraux. Les appels à projets... point trop n'en faut ! En revanche, vous n'avez pas évoqué celui qui concerne les ZRR, mis en place depuis plus de vingt ans avec succès. Avec Bernard Delcros et Frédérique Espagnac, nous avons oeuvré pour qu'il soit légèrement modifié. Son terme a été repoussé à la fin de 2022. Certes, des échéances électorales auront lieu entre-temps, mais la revitalisation rurale n'en dépend pas forcément. Quoi qu'il en soit, nous devons poursuivre la réflexion en la matière. Jacqueline Gourault avait déclaré qu'elle organiserait un groupe de travail avec des sénateurs pour moduler ces ZRR en fonction de l'évolution des critères, en mettant la priorité sur les communes sortantes et sur celles qui méritaient d'y entrer. Les élus évoquent ce dispositif lors de chaque congrès des maires, car il permet notamment l'aide à l'installation des médecins et la diminution des charges sur l'emploi de salariés. Quel est l'état d'avancement de ce groupe de travail ?

Mme Céline Brulin. - Je voudrais aborder deux sujets dont vous n'avez pas parlé, mais qui constituent des préoccupations majeures pour les élus des territoires ruraux : la défense extérieure contre les incendies (DECI) et les secrétaires de mairie.

Sur le premier sujet, un rapport a été commis par nos collègues Hervé Maurey et Franck Montaugé, il concerne de nombreux départements, dont la Seine-Maritime. Les investissements colossaux que ceux-ci doivent engager pour la mise en conformité des communes rurales se font au détriment des autres projets. Les fonds de l'État sont aussi mis à contribution. Dans mon département, la part de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) consacrée à la défense incendie devient de plus en plus importante. C'est pourquoi nos collègues avaient préconisé qu'une part du plan France Relance y soit affectée. Quelles sont les pistes examinées par le Gouvernement ?

Pour ce qui est des secrétaires de mairie, nous en manquons de plus en plus - une cinquantaine en Seine-Maritime. L'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a été sollicitée pour formuler des propositions à ce sujet. Le Gouvernement compte-t-il s'en inspirer pour revaloriser le statut des secrétaires de mairie ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Sur les 89 campus connectés, 66 d'entre eux se trouvent en zone rurale. Ce ratio extrêmement intéressant a permis de mettre fin au syndrome de ces étudiants qui stoppaient leurs études parce qu'ils vivaient loin de la ville. Le projet de 3DS fait l'objet de toute l'attention de Jacqueline Gourault.

Nous voulons revenir aux préfets et aux sous-préfets développeurs.

Concernant la parité, il convient d'adapter les situations à la ruralité. Pour les ZRR, et plus généralement tous les zonages arrivés à échéance, nous avons prévu leur reconduction pendant deux ans en vertu d'un amendement du Gouvernement. Plusieurs rapports très intéressants ont été publiés par le Sénat, les inspections générales et les chambres de commerce et d'industrie. Le taux d'utilisation des mesures ZRR est paradoxalement assez faible, avec des effets de bord gênants, tels que du dumping de certaines intercommunalités à l'encontre de leurs voisines. Je partage la position de Jacqueline Gourault sur ce sujet. Très honnêtement, si certains parlementaires veulent créer une mission d'information flash, je serai le premier à écouter leurs conclusions. Ce serait d'ailleurs une bonne façon de valoriser leur rôle en la matière.

S'agissant des secrétaires de mairie, nous avons oeuvré avec Amélie de Montchalin et nous sommes rendus dans un centre de gestion. Nous n'avons pas pu annoncer certaines mesures embryonnaires au CIR. Mais une journée des secrétaires de mairie aura lieu le 25 novembre pour rapprocher les maisons France Services des secrétariats de mairie, qui en sont la porte d'entrée privilégiée. À cette occasion, Amélie de Montchalin a mené les négociations sur des mesures qui ne sont pas cosmétiques. Il faudrait modifier l'appellation « secrétaire de mairie », déjà remplacée dans le privé par « assistante de direction ». Autre élément en discussion : la nouvelle bonification indiciaire (NBI), afin que nous puissions faire des annonces d'ici à la fin du mois prochain.

Concernant la DECI, je n'ai pas lu ce rapport. J'ai connu le sujet de la défense contre les incendies en ma qualité de maire, mais pas en tant que secrétaire d'État. Et les incendies sont moins fréquents en haute altitude. Je vous suggère de m'envoyer ce rapport afin que j'en fasse une analyse précise. Je reviendrai ensuite vers vous pour vous faire part de mes préconisations.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je remercie Céline Brulin d'avoir évoqué cette question de la DECI. Puisque le rapport a trait à la sécurité incendie, notre interlocuteur a été le ministre de l'intérieur. Nous aurons un débat en janvier prochain sur ce sujet, et je suis certaine que vous serez notre avocat. L'approche de la sécurité incendie n'est évidemment pas la même en Bretagne et dans les Alpes...

M. Laurent Burgoa. - J'attire votre attention sur le patrimoine dans la ruralité. À Collias, les élus, tel Cervantès, essaient de préserver les moulins à eau, qui appartiennent au patrimoine local proche du pont du Gard et résistent depuis 300 ans aux épisodes cévenols, y compris les inondations. Nous sommes confrontés à une bizarrerie administrative : d'un côté, le fonds Barnier serait disponible pour le relogement d'une famille dans l'un de ces moulins, dont les fondations sont romaines ; et, de l'autre, les services de l'État déclarent que ce patrimoine doit être soit détruit, soit muré. Je ne vous demande pas de convoquer un comité interministériel pour régler le problème, mais en tant que secrétaire d'État chargé de la ruralité, vous pourriez imposer le maintien de ce patrimoine, et par là même la biodiversité du cours d'eau.

M. Bernard Delcros. - Monsieur le secrétaire d'État, je salue votre engagement en faveur de la ruralité. Nous vous devons notamment une meilleure reconnaissance de la ruralité et de la montagne au travers d'une dotation spécifique à côté de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Je rejoins Mme la présidente sur les appels à projets, dont la multiplication pénalise les petites communes. Ce sont aux outils financiers de s'adapter aux initiatives locales et non l'inverse.

Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) constituent une régression par rapport aux contrats de ruralité, dont la première génération à partir de 2017 visait à donner aux collectivités de la visibilité sur leurs projets et leurs financements. Nous sommes d'accord sur le principe des CRTE, mais nous déplorons le flou qui entoure leur mise en oeuvre concrète. En effet, les élus n'ayant pas connaissance d'une enveloppe pour leur territoire, ils ne peuvent pas planifier leurs projets.

L'urbanisme est un autre sujet très important. Avec toutes ces différentes lois, on se tire une balle dans le pied pour les dix à quinze ans à venir concernant les possibilités de construction et donc l'accueil de nouvelles populations et le développement des communes rurales. Les nombreuses remontées de terrain font état de difficultés sur les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI), les obligations de réduire les surfaces constructibles, ou encore les interdictions de construire de petits lotissements dans des communes rurales. Il faut traiter ce sujet au nom de la différenciation. Il y va de l'essor des communes rurales.

Pour conclure, je m'associe aux propos de Rémy Pointereau sur les ZRR et m'inscris en faux sur ces rapports qui affirment l'absence d'effet levier sur l'emploi. Ces zones n'ont pas une portée seulement symbolique, et les attentes des élus sont fortes. Je souhaite que l'on mette à profit la prorogation des dispositifs jusqu'au 31 décembre 2022 pour formuler des propositions concrètes sur ces zonages extrêmement utiles et appréciés en milieu rural.

M. Olivier Paccaud. - Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour votre discours optimiste, ainsi que pour votre visite dans l'Oise voilà quelques semaines. La construction en zone rurale est essentielle, comme l'a brillamment exposé Bernard Delcros, pour éviter les « réserves de Peaux-Rouges ». Votre cartographie de la 4G me paraît bien enthousiaste. Parler d'une couverture finalisée pour 2022 n'est-ce pas faire l'autruche ? Dans l'Oise, la téléphonie ne cesse en effet de se dégrader, la 3G étant le maximum que l'on puisse espérer. Le conseil départemental agit, mais les habitants sont dans l'incompréhension.

Sur les secrétaires de mairie, nous pourrions conclure un partenariat avec l'Education nationale. Certains professeurs des écoles seraient sûrement intéressés. N'y aurait-il pas là une piste à creuser ?

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Monsieur Burgoa, nous allons nous renseigner sur la situation à Collias pour résoudre le problème avec la préfète Marie-Françoise Lecaillon.

Monsieur Delcros, j'ai déjà répondu sur les appels à projets. Nous travaillons par dotation, donc sans appel à projets. L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est l'élément fédérateur jusqu'au volontariat territorial en administration (VTA). Les CRTE ne font pas l'objet de contrats pluriannuels, ce qui s'explique par le contexte budgétaire contraint. Néanmoins, près de 350 millions d'euros supplémentaires ont été injectés à cette fin.

Monsieur Paccaud, en matière d'urbanisme, les équilibres départementaux doivent être préservés concernant l'artificialisation. Mais nous devons aussi, grâce au développement des opérations de revitalisation de territoire (ORT), trouver des solutions plus efficaces en zone rurale. Avec l'agrégation des anciennes intercommunalités, une seule ORT autour de la ville-centre ne suffit pas. Je veillerai à ce que, au niveau départemental, l'artificialisation ne soit pas traitée différemment dans les agglomérations et dans les zones rurales. Pour la 4G, dix pylônes seront installés en 2021 dans les zones rurales, et 25 sites notifiés se situent dans l'Oise.

M. Olivier Paccaud. - Vous en avez inauguré un !

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Le département de l'Isère était le moins couvert en raison du grand nombre de contentieux. La couverture théorique de l'Oise est bonne, le problème est ailleurs. Merci pour votre suggestion concernant les secrétaires de mairie. Dans certains endroits, cette mission était également remplie par les instituteurs ; plus à l'ouest, par les curés !

M. Jean-Michel Houllegatte. - Dans une lettre adressée le 14 octobre dernier au Premier ministre, une famille réclamait un plan d'urgence sur le prix de l'énergie en milieu rural. La hausse de 20 % des dépenses de chauffage et de 40 % de frais de transport porterait atteinte à la cohésion des territoires. Comment accélérer l'isolation thermique des bâtiments en milieu rural ? Ne serait-il pas opportun de se doter de critères de localisation, et non plus de revenus, pour tenir compte de ce différentiel ? Comment faire en sorte que les alternatives au véhicule individuel se développent en milieu rural ? L'ingénierie doit être mobilisée par les élus pour résoudre ce problème énergétique en milieu rural.

M. Hervé Gillé. - Je réintègre avec grand plaisir la délégation aux collectivités territoriales. Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais vous alerter sur la planification et l'organisation territoriale. Aujourd'hui, les syndicats mixtes et les pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) ne sont pas assez privilégiés dans l'ingénierie. Par ailleurs, le reporting de la mise en oeuvre de l'agenda rural ou du plan de relance est sans doute très différent selon les territoires. Il est déficient, mais nous dépendons à cet égard des décisions de la préfète de région.

M. Charles Guené. - Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour votre capacité de discussion. Le mécanisme des ZRR n'est pas suffisamment connu et mériterait des campagnes de communication. Sur le plan technique, il faut faire attention lorsque l'on associe la densité, qui varie de 1 à 1 000, et le revenu moyen, qui évolue de plus ou moins 5 %. C'est l'une des causes de ce reporting. Pour l'ANCT, la réussite passe par les préfets. Il faut donc alerter le corps préfectoral pour obtenir une plus grande adhésion de sa part. Enfin, les PETR ne sont pas assez reconnus, ce qui a entraîné de nombreux problèmes dans les grandes agglomérations en milieu rural. Les mécanismes de souplesse qui ont été retenus ne doivent pas être temporaires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le secrétaire d'État, j'invite ceux de nos collègues qui n'ont pu poser leurs questions à vous les transmettre sous forme écrite afin d'obtenir une réponse différée de votre part. Peut-être pourrez-vous nous accorder un autre moment pour développer ces sujets.

M. Joël Giraud, secrétaire d'État. - Monsieur Houlegatte, pour l'isolation thermique, les critères sont nationaux et non territoriaux. Je ne manquerai pas d'évoquer votre question avec la ministre compétente. Sur la loi d'orientation des mobilités (LOM) et la compétence mobilité dans les intercommunalités, les situations sont diverses selon les régions. Certaines intercommunalités ont pris la compétence qui leur était ouverte par la loi, d'autres se sont abstenues après des campagnes régionales en ce sens. En tant que président d'une intercommunalité, j'ai été à l'initiative de la création d'une autorité organisatrice de proximité (AOP) de transport. C'est lorsque la compétence a été entièrement transférée aux régions que les services ont atteint des niveaux satisfaisants.

Concernant l'ingénierie, notre opérateur France mobilités peut se déployer sur les projets des communautés de communes, y compris en montagne.

Pour ce qui est du PETR, messieurs Gillé et Guené, je ne peux vous dire de mémoire le nombre de CRTE qui les concernent, mais les pays sont d'excellentes recrues. Nous ouvrons tous les programmes nationaux à des portages par les syndicats mixtes. Beaucoup d'anciens contrats de ruralité étaient menés par les PETR et les pays ; nous avons repris la plupart du temps la maille précédente pour lancer des contrats de relance, de ruralité et de transition écologique. Nous avons un dialogue permanent avec l'Association nationale des PETR qui n'est pas plus contrainte qu'une communauté de communes. Nous faisons le maximum pour aider les PETR qui regroupent plusieurs intercommunalités, car les projets sont souvent plus structurants. Étant favorable aux pays, je vais faire en sorte qu'ils soient bien relayés.

Merci pour vos remarques complémentaires sur les ZRR. Je me réjouis que nous puissions progresser sur la dotation de biodiversité, dont le changement d'appellation dans le projet de loi de finances pour 2022 a pour objet de bien souligner ses aspects positifs.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Merci pour le temps que vous nous avez consacré. Que nos collègues qui n'ont pu s'exprimer veuillent bien nous excuser. Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État !

Audition de M. François BAROIN, président de l'Association des maires de France (AMF)

Mme Françoise Gatel, présidente. - Monsieur le Président, l'Association des maires de France (AMF) est un partenaire du Sénat, chambre des territoires, et vous faites partie de l'association Territoires unis avec les départements et les régions. Le Sénat, sous la houlette et à l'initiative de son président Gérard Larcher, a beaucoup travaillé avec Territoires unis en vue de formuler cinquante propositions en faveur des libertés locales. Celles-ci ne constituent pas un dogme en soi, mais elles sont néanmoins utiles et indispensables pour que l'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre ne reste pas un voeu pieux, mais devienne une réalité.

Vous représentez à nos yeux un grand témoin. Nous avons connu un essorage financier sous un quinquennat, puis un chamboule-tout institutionnel autoritaire dont nous avons peine à comprendre le sens. Enfin, nous avons vécu deux crises particulières : tout d'abord celle des gilets jaunes, qui était l'expression d'une fracture territoriale dont nous parlions beaucoup, puis la crise sanitaire qui, au-delà des difficultés, a permis de révéler l'importance du couple Etat-collectivités. Si la santé constitue une compétence régalienne, l'État ne peut l'exercer sans s'appuyer sur les collectivités, en matière d'opérationnalité, d'initiative et d'agilité.

Par ailleurs, je souhaiterais vous remercier à titre personnel, car j'ai eu le plaisir d'être vice-présidente de l'AMF avec vous. Je souhaitais également saluer l'excellente collaboration que nous avons avec les services de l'AMF, fondés sur des échanges pertinents et intelligents, toujours en recherche de solutions.

M. François Baroin, président de l'Association des maires de France (AMF). - Madame la Présidente, en premier lieu, je tiens à vous remercier pour votre accueil.

A titre préliminaire, c'est à mon tour de vous rendre hommage, madame la Présidente, ainsi qu'à toute l'équipe de cette délégation. Je salue l'importance de votre implication dans la construction du chemin en vue de trouver un cadre adapté pour une meilleure collaboration des communes entre elles. Je parle de la commune nouvelle, dont vous avez été d'une certaine manière la marraine. En la matière, vous avez été au coeur d'un dispositif qui montre que l'AMF, les maires et les présidents d'intercommunalité ne sont pas des personnes regroupées dans un syndicat d'élus conservateurs, voire réactionnaires. Au contraire, ils sont à l'écoute des besoins de proximité et attentifs à offrir le meilleur rapport qualité/prix, si j'ose dire, entre la contribution demandée à un administré à travers des impôts locaux et sa répartition dans des logiques de mutualisation et d'efficacité des politiques publiques ainsi que de respect du suffrage universel. C'est la base volontaire qui a créé les conditions d'un outil au service du développement de toutes les communes membres d'une commune nouvelle et de la dynamique d'un territoire ayant une ambition plus élevée, car ayant sur une base volontaire décidé de travailler ensemble. Je tenais à souligner ce point devant les collègues sénateurs. Je suis toujours heureux de les retrouver et singulièrement de revenir dans cette salle pour avoir été l'un de vos collègues.

Nous pouvons dire en introduction que l'année 2015 a représenté une année de bascule dans notre quotidien d'élus locaux ainsi que dans nos relations avec l'État. En 2015, l'État, incarné par le président de la République François Hollande, était en négociation avec Bruxelles au sujet de l'application des traités budgétaires qui fixaient le rendez-vous des 3 % de déficit. Le président nouvellement élu dispose alors d'une année afin de mettre en place la politique pour laquelle il a été mandaté par Bruxelles. Cependant en 2014, l'État n'est pas au rendez-vous, ni des 60 % de dettes (en raison de la crise financière de 2008), ni des 3 % de déficit, ce dernier point étant anormal au regard des possibilités offertes par les discussions portant sur la loi de finances.

Dès lors, Bruxelles impose à Paris de réaliser des réformes. Les réformes structurelles possibles portaient sur les retraites, sur le temps de travail ou sur les collectivités. Les deux premiers thèmes ont été écartés en l'absence de majorité politique nécessaire à leur mise en oeuvre. C'est ainsi que la réforme des collectivités a été imaginée. Elle était fondée sur l'idée que l'agrandissement de la taille des collectivités apporterait de la puissance et de l'efficacité au service public de proximité. Cependant, c'était oublier qu'en France, la moitié des Français vivent dans des communes de moins de 10 000 habitants et 35 % des Français vivent dans des communes de moins de 2 500 habitants. En conséquence, l'agrandissement des collectivités a créé l'éloignement avec le service public, voire la rupture du lien. Les grandes régions en sont la caricature. La réforme de la carte des régions avait pourtant été vendue à la Commission européenne comme représentant une source d'économie de 12 milliards d'euros.

En parallèle, la loi MAPTAM sur les métropoles repose sur l'idée que l'avenir réside dans les métropoles et que tous les investissements publics doivent être fléchés dans le sens de leur développement : les pôles d'excellence, l'enseignement supérieur, le développement économique et les politiques de logement. De plus, l'article 1er de la loi NOTRe portait l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, c'est-à-dire, à terme, la mort des communes.

Voilà pour la présentation du cadre général. Il ne faut jamais s'éloigner des raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés là. Ces raisons sont un objectif de report de 3 % de déficit selon une lecture technocratisée du dispositif ainsi que d'une inspiration qui ne tenait pas compte de la réalité sur l'argent public local et l'investissement local. Il oubliait par là même que 75 % de l'investissement public, qui est l'un des moteurs de la croissance, est investi par les collectivités locales. En outre, 60 % de cet investissement constitue le « bloc communal », c'est-à-dire l'addition des investissements des communes et des intercommunalités. Ainsi, les investissements qui restituent le mieux l'argent du contribuable pour le développement des territoires sont réalisés par les communes et les intercommunalités.

Or, à partir de 2015, la poursuite de ces discussions est allée de pair avec la volonté de recentraliser les compétences par l'effacement des moyens affectés aux collectivités locales. Cette situation a été à l'origine des débats houleux portant sur les dotations. La réforme des dotations aurait représenté pour les collectivités un effort de 3,5 milliards chaque année ou tous les trois ans, c'est-à-dire entre 10 et 11 milliards d'efforts supplémentaires. À ce titre, il est rappelé que les dotations ne sont pas des subventions, mais correspondent au devoir pesant sur l'État de compenser à l'euro près les impôts locaux supprimés. C'est un devoir constitutionnel. Or, dans la loi de finances discutée annuellement, l'État s'autorise à la considérer comme une variable d'ajustement pour assurer ses fins de mois sur d'autres politiques publiques.

Ce non-respect du cadre des dotations ainsi que du cadre des discussions budgétaires a amené l'État à prendre un grand risque notamment sur la croissance. En supprimant 11 milliards d'euros de dotations aux collectivités, il a ainsi amputé de 15 à 20 % l'investissement public local. Les conséquences ont été visibles au bout de trois années.

Nous avons porté ce combat et nous sommes montés au créneau. L'AMF avait organisé une manifestation de maires pour préserver les services publics locaux. Nous avons créé les conditions de la prise de conscience que nous pouvions être des acteurs pleins et entiers du débat public. Pour autant, ce serait une erreur de nous considérer comme un contre-pouvoir. Nous sommes des représentants de la Nation, élus au suffrage universel et organisés en association pour nous permettre de laisser au vestiaire nos engagements militants, de les dépasser et de nous mettre autour de la table pour voir ce que nous avons en partage. L'immense majorité des maires a en partage le sens de l'intérêt général et le respect de l'État. Les maires sont très attachés à l'Etat. C'est un partenaire naturel. Néanmoins, être partenaire ou allié implique de se montrer exigeant et d'exprimer son désaccord, parfois avec force lorsque la politique suivie par un partenaire va à l'encontre de celle souhaitée par les autres. La République repose depuis la Révolution française sur ces deux piliers : l'État et la commune. C'est cela la France. Si l'un des partenaires est affaibli, c'est une béquille qu'il faut trouver quelque part. Or l'affaiblissement par la voie financière a des conséquences négatives sur les services publics, sur l'investissement et sur le développement des territoires. Ils ont créé le sentiment de malaise et d'abandon qui a abouti au mouvement des gilets jaunes.

Ce dernier n'est pas uniquement lié à la limitation de vitesse à 80 km/h. Il fallait beaucoup d'audace ou beaucoup de méconnaissance, ou peut-être un peu des deux, pour imaginer pouvoir imposer à tout le monde sans aucune discussion un changement de fonctionnement. Un département français moyen compte en effet 400 000 habitants et une agglomération 100 000 habitants. La moitié des emplois sont situés en zone urbaine et 90 % des personnes qui les occupent vivent à la campagne. Ils font donc 30 à 40 kilomètres par jour. Si vous additionnez le temps de déplacement, plus la taxe carbone, c'est-à-dire le prix que coûte le fait d'aller travailler, à un moment, vous n'en pouvez plus. A cela est venu s'ajouter toute une série de réformes, dont celle de l'APL, qui me semble la mère de toutes les réformes les plus dangereuses qui ont été portées au cours de ces dernières années. C'est une mesure budgétaire et la bombe à retardement qui est devant nous avec le logement y est liée très directement. D'ailleurs, les débats qui surgissent sur les maisons individuelles et autres sont une déclinaison de la vision étatique et suradministrée par l'Etat de la politique du logement. Vous bougez 1 euro sur l'APL, vous récupérez 300 ou 350 millions d'euros. Vous en bougez 5, vous récupérez 1,5 milliard d'euros. Vous arrivez au Budget, vous êtes ministre, vous avez une note. Cela a été mon cas. Quand je suis arrivé au ministère, une note de la Direction du budget m'expliquait que l'APL constituait une potentielle source d'économies. Cependant, le modèle économique des offices publics de l'habitat repose sur la solidarité nationale à travers cette aide pour le logement. La déstabilisation de ce système provoque une crise du logement. Cette réforme a forcé les offices publics de l'habitat à puiser dans leur autofinancement. Ils n'ont dès lors plus investi dans la réhabilitation ni dans la construction, favorisant ainsi la production privée. En conséquence, cette situation a créé un retard dans la construction de plusieurs dizaines de milliers de logements par an depuis un an. Ce problème sera récurrent dans les deux à trois années à venir.

Ce sont ces difficultés qui ont provoqué le mouvement des Gilets jaunes. Nous avions alerté l'État depuis de nombreux mois sur la prise de risque que représentait la réduction des dotations. De plus, nous avons été les premiers à dire à quel point la problématique de l'APL représentait un risque. De même pour les contrats dites de Cahors portant sur l'encadrement des dépenses, en contradiction avec l'article 72 de la Constitution. Un autre élément devant être cité est la suppression de la taxe d'habitation. Celle-ci était perçue comme un impôt affecté permettant aux citoyens de l'adresser directement à leur commune pour demander des services publics et développer les territoires, etc. Cette taxe fonctionnait bien. L'État a voulu réaliser une recentralisation par une nationalisation des impôts. À l'issue de discussions, les communes ont récupéré l'impôt sur le foncier. Cependant, cet impôt ne repose pas sur la même assiette et a causé une perte d'autonomie fiscale des départements. C'est un beau résultat pour une réforme que personne ne demandait et qui ne va pas du tout dans la bonne direction. À ce jour, l'existence de recettes suffisantes est uniquement liée à la conjoncture post-Covid et n'est pas durable. L'État s'est retrouvé en grande difficulté et a demandé aux collectivités de l'aider, aide qu'il a reçue. Les collectivités ont joué le rôle de médiateur pour restaurer le dialogue entre l'État et les administrés.

Enfin, la crise sanitaire est apparue et s'est déroulée en trois temps. Il s'agissait, dans un premier temps, d'une bataille logistique liée à la fourniture de masques de protection. Les collectivités se sont vu confier la responsabilité de compenser les manques de l'État. L'État a fait tout ce qu'il a pu avec beaucoup de sincérité, mais il n'a pas pu régler les problèmes de logistique liés à la distribution au dernier kilomètre. La gestion de la crise a été confiée de bout en bout au ministère de la Santé. Or ce dernier est hospitalocentré, puisqu'il sous-traite à la CNAM la médecine de ville. C'est le ministère de l'Hôpital et non le ministère de la Santé. Une réflexion serait à mener sur ce que serait un ministère de la Santé englobant public et privé. De plus, c'est tout sauf un ministère de la Logistique, compétence qui relève de la Défense ou de l'Intérieur. Sous le mandat du Président François Hollande, a été supprimé le Conseil national de la sécurité civile, qui regroupait tous les moyens opérationnels en lien avec les préfets de département. Dès que nous nous en sommes aperçus, nous avons demandé la restauration des pleins pouvoirs des préfets de département pour gérer la logistique du dernier kilomètre. L'idée du couple maire-préfet vient de l'AMF. C'est nous qui avons expliqué que le préfet devait avoir la main sur l'ARS, sur les recteurs et sur les DREAL. Nous avons compensé en lien avec les départements, les régions et les entreprises aussi. Ils ont été les acteurs complémentaires d'un Etat qui était en difficulté sur le premier temps. Il en est allé de même pour le déploiement des tests et celui des vaccinodromes. Ces derniers n'auraient pu être mis en place si les communes n'avaient pas mis à disposition des locaux et des agents, qui ont dépassé leur poste. Qui était là pour accueillir le dimanche ? C'était là un professeur de gym, ici un maître-nageur et ailleurs un agent des services techniques. Ils étaient là et ils ont été au-delà de leurs strictes attibutions. L'État n'avait pas les moyens de mettre en place les vaccinodromes.

En conclusion, nous devons avoir conscience que notre union crée notre force et que notre indépendance crée notre responsabilité d'exigence vis-à-vis de l'État. Le statu quo n'est plus possible, parce que l'État n'a plus les moyens de jouer partout le rôle de correcteur des handicaps. À présent, il les amplifie. En conséquence, il faut réfléchir à un transfert de compétences et de moyens. Quand l'État s'est effacé, ce sont les collectivités territoriales qui ont compensé. Du sud de Lille au nord de Bordeaux, l'État s'est effacé par manque d'intérêt au titre de l'aménagement du territoire. C'est là où les collectivités ont naturellement apporté une compensation en vue de permettre l'accès aux services publics à l'ensemble des citoyens. La compensation a été naturellement effectuée au titre de la responsabilité des collectivités.

Une réflexion doit être menée sur l'organisation de l'État et son périmètre de compétences. De même que sur le cadre général du rôle du préfet de département. Pour ma part, je suis favorable au renforcement de son rôle en tant que fonctionnaire d'autorité sur tous les services de l'État. C'est déjà son rôle, ce renforcement ne passe donc pas par l'adoption d'une loi, mais par l'écriture d'une note interministérielle signée de la main du Premier ministre.

De plus, une réflexion doit être menée sur le transfert de compétence à travers l'adoption d'une grande loi de décentralisation. Le texte actuellement en discussion ne répond pas à l'ambition de l'AMF en matière de libertés locales. Ce texte constitue une bonne base de travail, mais ne peut pas corriger le cadre général.

La santé est sujet de décentralisation. Nous sommes parvenus à un consensus sur l'idée que les présidents de régions devraient co-présider les ARS. Je vous soumets également une réflexion personnelle sur le bâti des hôpitaux. En la matière, l'expérience relative aux collèges et aux lycées a montré l'efficacité des collectivités locales en vue d'améliorer le patrimoine qu'il a en exercice. Une réflexion sur le bâti des hôpitaux permettrait d'accélérer et d'améliorer en peu de temps l'investissement. Un consensus est établi pour que le domaine du médico-social relève de la responsabilité des départements. Les conséquences du double pilotage mis en place dans les EPHAD n'est ni digne ni acceptable. Le rôle du législateur est de tirer les conséquences de cette expérience en vue d'améliorer le processus.

Enfin, les maires sont demandeurs de récupérer les compétences qui relèvent du domaine de la proximité, ainsi que les moyens et les effectifs. Ce point concerne notamment le domaine du logement. En la matière, la problématique de l'APL nationale doit être soulevée. L'APL doit-elle être la même à Neuilly ou à Troyes ? Un soutien adapté au revenu fiscal moyen permettrait d'apporter une meilleure cohérence au dispositif.

Outre la question du logement, les communes jouent un rôle de premier ordre dans le domaine du sport. En la matière, les communes possèdent 90 % des effectifs, du patrimoine, des moyens et des subventions. Il faut que toute la compétence en matière de sport soit transférée aux communes et que l'État conserve une compétence sur les événements sportifs internationaux.

Il en est de même dans le domaine de la culture. En la matière, les communes sont en large part propriétaires du patrimoine et soutiennent l'aide à la création ainsi que le tissu associatif. Une réflexion doit enfin être menée sur le tourisme.

Si le statu quo n'est plus possible, il est temps de mener un combat culturel sur ce que la décentralisation a apporté au pays. C'est au nom du service de l'État que nous avons chevillé au corps que nous devons aller vers plus de décentralisation. D'ailleurs, il convient de rappeler que, dans les années 1980, une telle décentralisation a été mise en oeuvre afin de sauver l'État dans son périmètre d'action. Continuer de construire culturellement autour d'un État qui n'en a plus les moyens et qui est surendetté ne paraît pas être le chemin le plus pertinent.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie, monsieur le Président. Vous le savez, le Sénat a été force de proposition face à un texte d'une timidité maladive et qui, en tout cas, était initialement présenté comme un recueil d'outils de décentralisation et de déconcentration. Nous avons préféré affirmer un objectif en suggérant à la ministre d'insérer la notion d'efficacité de l'action publique jusqu'au dernier kilomètre. Nous avons ainsi construit notre proposition autour de trois principes : le principe de subsidiarité, le principe du décideur-payeur et le principe selon lequel le détenteur d'une responsabilité doit disposer des moyens financiers et des ressources humaines qui vont de pair.

Nous avons réalisé une révolution culturelle en la matière. On nous dit que nous détricotons. J'affirme au contraire que nous avons produit un texte de liberté et de responsabilité en définissant un cadre législatif qui soit un champ des possibles pour que, quel que soit le territoire et quelle que soit la thématique, l'action publique soit efficace, au lieu d'adopter un esprit législatif qui soit celui de la norme, du format et de la contrainte. Ce modèle est à la fois exigeant pour les élus et pour l'État qui doit arrêter d'infantiliser les élus et de transférer allègrement tout ce qui lui permet de s'alléger. Certains des voeux que vous avez émis ont été réalisés par le Sénat. Nous souhaitons à présent que la sagesse gagne l'Assemblée nationale.

Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie de ces paroles. Elles se rapprochent de la conception que nous avons de notre organisation territoriale et de la façon dont elle devrait mieux fonctionner. Ma première question concerne le domaine de la culture, qui est une compétence partagée. Un rapport sénatorial que j'avais produit avant la crise sanitaire a mis en évidence que la compétence partagée était plébiscitée par les collectivités. Elle était perçue comme une forme de liberté et d'adaptabilité des politiques culturelles dans les territoires. La question se pose toutefois des crédits déconcentrés. En effet, une fois que les DRAC ont financé les structures labellisées et les appels à projets de l'État, il ne reste quasiment rien pour accompagner les collectivités. Quid du budget de la culture qui serait exclusivement destiné à cette interaction ?

Ma seconde question porte sur le patrimoine. L'État n'assurant plus l'assistance à maîtrise d'ouvrage, notamment pour les collectivités rurales et les communes de petite taille, il avait été suggéré la création au niveau départemental d'un guichet unique en matière d'ingénierie pour accompagner les maires dans le financement et le montage de projet. Qu'en pensez-vous ? Au sujet de l'ingénierie, la contribution auprès des agences d'urbanisme et de tous les organismes locaux portés par beaucoup d'élus locaux et très fédérateurs ne peut être versée au budget d'investissement. Or c'est un investissement d'avenir. Cette idée ne permettrait-elle pas de libérer un peu les initiatives et l'organisation de l'ingénierie dans les territoires ?

M. Charles Guené. - Monsieur le Président, vous avez évoqué le tsunami qui a frappé les finances locales. Or, la plupart des candidats à la présidence de la République envisagent actuellement d'aller jusqu'au bout de la suppression des impôts de production. Nous ne disposerons dès lors plus que d'impôts nationaux qui seront répartis. J'estime que l'autonomie fiscale est assez lointaine. D'ailleurs, elle n'est pas constitutionnellement garantie, puisque nous ne disposons que de la libre administration dans le cadre de l'article 72.2 de la Constitution. Je ne pense pas que quelqu'un osera rétablir les quelque 35 ou 40 milliards d'euros qui ont été transférés au niveau national. Je m'interroge cependant sur la manière dont nous pourrons conserver et assurer notre libre administration. J'estime que nous pourrons le faire avec une nouvelle gouvernance entre les élus, l'État et le Parlement selon un fonctionnement différent. Pour l'instant nous n'en prenons pas le chemin. Quelle est votre vision de la forme que pourraient prendre nos finances locales ?

M. François Baroin. - Sur le domaine de la culture, les financements croisés fonctionnaient bien et ils étaient pertinents. En la matière, le principe « qui décide paie et qui paie décide » crée les conditions de l'engagement de la liberté de choix et de la responsabilité dans le caractère effectif des investissements. Les crédits déconcentrés constituent de loin la meilleure réponse. Cependant, ce mécanisme va de pair avec la nécessité de redonner le pouvoir aux préfets, et ce, pour l'ensemble des politiques publiques. Il est nécessaire de faire entendre la voix des territoires auprès de l'État. Certaines préfectures ou sous-préfectures ont perdu à la fois en effectifs, en qualité et en moyens affectés. Il faut redonner des moyens et de l'autorité aux préfets au travers d'une décision ministérielle. Si le fléchage était a minima égal entre l'État et les collectivités, la situation serait meilleure.

Au sujet des assistances à maîtrise d'ouvrage (AMO), il est vrai que de nombreuses petites communes n'ont pas les moyens de mener à bien leurs projets. Certains départements sont organisés avec leurs sociétés d'investissement et ont créé un bloc d'AMO. Au sujet des normes d'urbanisme, des observations réalisées par les chambres régionales des comptes ont mis en évidence leur instabilité juridique. La mutualisation sur les AMO à l'échelle départementale constitue la solution la plus pertinente. Un geste de l'État pour que ces investissements changent de nature permettrait aux collectivités de récupérer la TVA.

Au sujet de l'autonomie fiscale, je ne crois pas que la suppression des impôts locaux soit irrévocable. Par ailleurs, on ne peut pas réellement parler de suppression de la taxe d'habitation, mais de nationalisation d'un impôt local. Ce n'est pas un effort qui soutient le pouvoir d'achat. En effet, la taxe d'habitation n'était payée que par 40 à 45 % des ménages. Le gain de pouvoir d'achat n'est donc pas suffisamment significatif. La réalité est que cette mesure a creusé un déficit budgétaire de 10 milliards d'euros et que le contribuable local a été remplacé par le contribuable national. Je considère qu'il s'agit d'une très mauvaise politique qui déstabilise le système.

Cependant, si l'on envisage une grande loi portant sur les libertés locales, il faut entamer une réflexion sur les compétences, sur les transferts de moyens et sur les effectifs. Enfin, au niveau constitutionnel, il convient d'entamer une réflexion sur la manière de donner toutes les garanties d'autonomie financière et fiscale dans l'article 72 de la Constitution. Le pouvoir législatif est en mesure de fixer le cadre qui guidera la plume du Conseil constitutionnel sur ce sujet. En la matière, je suis convaincu que chaque échelon doit disposer de son propre impôt, afin de permettre une autonomie fiscale. De notre côté, nous souhaitons retrouver une assiette fiscale qui soit plus pertinente. Les entreprises ont bien raison de demander la suppression des impôts de production. Cependant, ceux-ci sont prélevés en vue d'assurer le développement de ces entreprises dans leurs territoires. Ce sont donc des impôts sains. Il est possible de supprimer tous les impôts. Cependant, si le contribuable ne paie plus, c'est l'usager qui devra le faire. D'un point de vue libéral, la meilleure méthode réside dans la maîtrise d'un objet fiscal et de l'assumer.

M. Olivier Paccaud. - Je vous remercie, monsieur le Président. Vous avez commencé votre exposé en évoquant la réforme territoriale et en regrettant la course au gigantisme ainsi que l'hypocrisie afférente. Auparavant picard, j'appartiens désormais à la région des Hauts-de-France. Je regrette néanmoins la Picardie, dont je fus conseiller régional. Doit-on selon vous revenir en arrière sur la nouvelle carte des régions ? Deuxièmement, vous avez évoqué les transferts de compétences dans le domaine du bâti. Que pensez-vous du transfert de compétences pour la construction d'instituts médico-éducatifs (IME) aux départements ?

M. Philippe Pemezec. - J'ai apprécié la clarté de vos propos relatant le déroulement des événements. Je regrette cette situation. En Île-de-France, ces réformes ont entraîné la création d'échelons supplémentaires qui sont complexes et coûtent cher. De plus, certaines réformes manquent de sens : c'est le cas du transfert de la compétence d'urbanisme de la commune aux établissement publics territoriaux de la Métropole du Grand Paris.

M. François Baroin. - Il est vrai que le nouveau découpage régional manque de pertinence et n'a pas nécessairement tenu compte des identités régionales fortes. Par exemple, en Nouvelle-Aquitaine, les habitants de la Creuse ont été surpris d'être rattachés par leur nouvelle région au bord de mer. Autre exemple, la Champagne et la Picardie auraient pu être assemblées si elles ne représentaient pas deux régions en déclin démographique. Au fond, l'histoire est dans la géographie et dans les frontières naturelles. D'ailleurs, les activités économiques se construisent autour de ces éléments. Il convient donc d'abord de déterminer ce qui est pertinent dans la géographie pour établir les politiques publiques. Beaucoup souhaitent rouvrir le débat sur les grandes régions. Cependant, je suis convaincu que le débat sur la répartition des compétences est prioritaire.

Je suis par ailleurs très favorable au transfert de compétence pour la construction des IME.

Enfin, la situation de l'Île-de-France appelle une discussion d'une autre nature, qui appartient aux élus locaux. Ceux-ci doivent s'approprier le sujet en observant l'exemple de Marseille. Il est vrai que la situation actuelle est difficilement tenable à terme.

M. Rémy Pointereau. - Monsieur le Président a correctement synthétisé un certain nombre de sujets. Cependant, il en existe encore tellement d'autres sur lesquels il serait possible de discuter. Au sujet des transferts de compétences, deux questions restent en suspens. D'une part, il s'agit de la loi GEMAPI. Le transfert de la gestion des eaux et assainissement qui reste toujours en attente. Nous avons réussi à faire admettre par la ministre de la Cohésion des territoires qu'il fallait redonner une délégation de compétence à des établissements publics. À ce titre, de nombreux syndicats départementaux sont en cours de création. Ces grandes structures risquent d'entraîner des augmentations des coûts. D'autre part, la question de l'artificialisation des sols est durcie par la loi Climat, qui semble mettre sous cloche les territoires ruraux en les empêchant de se développer. Sur ce sujet, nous devons mener des actions fortes afin de débloquer cette situation.

M. François Baroin. - Au sujet de la loi GEMAPI, le taux, l'assiette et l'importance de la mobilisation des fonds constituent des questions essentielles. À la suite des années 2013 et 2018, il y a eu une prise de conscience sur le fait que le renforcement des digues sur les bassins de vie constituait un sujet prioritaire. Par ailleurs, les questions liées à l'environnement et au développement durable sont intégrées dans mes réflexions. Nous devons être des acteurs de l'amélioration de la protection de nos populations et de la préservation de notre environnement. Or les digues constituent un élément d'amélioration, mais de nombreux territoires ont pris un retard important sur les ouvrages d'art.

L'État s'est dégagé de sa responsabilité pénale en fixant un cadre légal et en demandant aux collectivités de payer. Il doit être mis face à ses contradictions sur ces sujets. Le sujet de l'eau et de l'assainissement est magistral pour les futures générations d'élus. Pour remédier à la baisse du niveau des nappes dans le Bassin parisien, dont le coût est exorbitant, un syndicat est sur le point d'être constitué. Or cette solution n'est pas pleinement satisfaisante au regard de l'importance de l'investissement exigé.

Concernant le logement, l'État ne doit plus avoir une vision centralisée. Il n'en a pas les moyens ni la compétence. C'est aux élus locaux de créer le cadre général dans la maîtrise de l'urbanisme et de l'aménagement. Comment est-il possible d'affirmer que la maison individuelle n'est ni économique, ni écologique, ni sociale ? Il faut être à l'écoute des besoins en matière de maîtrise des sols et trouver le bon équilibre. Cependant, il faut continuer de se développer et être à l'écoute de la réalité des besoins.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous remercie, monsieur le Président, pour cet échange qui nous a captivés et qui nous ramène à l'essentiel, c'est-à-dire servir nos concitoyens pour que, quel que soit son lieu de résidence, son âge et sa catégorie socioprofessionnelle, il ait accès aux services publics et que la République le prenne en compte. Au travers de votre propos, vous nous rappelez que nous devons démarrer cet objectif. Nous devons d'abord établir les besoins de nos concitoyens et lesquels nous devons servir.

Enfin, nous sommes sensibles au fait que notre géographie a souvent fait notre histoire et notre culture, qui ont forgé notre présent. Je vous invite à lire l'excellent ouvrage « Une histoire de France par les villes et les villages ». Nous devrions l'offrir à tous les technocrates pour qu'ils comprennent que nous parlons de chair, de sang et d'humanité. La France ne peut pas être sauvée grâce à des seuils ou à des normes. Nos territoires constituent la richesse et l'avenir de la France. Il faut permettre aux Français de vivre comme ils l'entendent.

Désignation de rapporteurs

Mme Françoise Gatel, présidente. - Mes chers collègues, nous allons mettre en chantier deux nouveaux rapports.

Sont proposés comme rapporteurs sur le thème « Numérique et territoires » Antoine Lefèvre, Anne-Catherine Loisier et Jean-Yves Roux.

Seraient rapporteurs sur le thème « Citoyens et démocratie locale » Jean-Michel Houllegatte et moi-même.

La commission désigne M. Antoine Lefèvre, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Jean-Yves Roux comme rapporteurs sur le thème « Numérique et territoires ».

La commission désigne M. Jean-Michel Houllegatte et Mme Françoise Gatel comme rapporteurs sur le thème « Citoyens et démocratie locale ».

Questions diverses

Mme Françoise Gatel, présidente. - Je vous rappelle que la mission que nous devions effectuer avec nos collègues de la commission des lois en Polynésie française a été reportée au mois de mars prochain en raison de la pandémie.

La séance est levée à 11 h 40